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VOYAGE SPIRITE EN 1862 > DISCOURS PRONONCE DANS LES REUNIONS GENERALES DES SPIRITES DE LYON ET DE BORDEAUX
DISCOURS PRONONCE DANS LES REUNIONS GENERALES DES SPIRITES DE LYON ET DE BORDEAUX
Messieurs et chers frères Spirites,
Vous n'êtes plus des écoliers en Spiritisme ; je laisserai donc aujourd'hui de côté les détails pratiques, sur lesquels j'ai été à même de reconnaître que vous êtes suffisamment éclairés, pour envisager la question sous un aspect plus large et surtout dans ses conséquences. Ce côté de la question est grave, le plus grave, sans contredit, puisqu'il montre le but où tend la doctrine et les moyens de l'atteindre. Je serai un peu long peut-être, car le sujet est bien vaste, et pourtant il resterait encore beaucoup à dire pour le compléter ; aussi réclamerai-je votre indulgence en considération de ce que, ne pouvant rester que peu de temps avec vous, je suis forcé de dire en une seule fois ce qu'autrement j'aurais pu répartir en plusieurs.
Avant d'aborder le côté principal du sujet, je crois devoir l'examiner à un point de vue qui m'est en quelque sorte personnel. Si pourtant ce ne devait être qu'une question individuelle, assurément je n'en ferais rien ; mais il s'y rattache plusieurs questions générales d'où peut ressortir une instruction pour tout le monde ; c'est le motif qui m'a déterminé, saisissant ainsi l'occasion d'expliquer la cause de certains antagonismes qu'on s'étonne de rencontrer sur ma route.
Dans l'état actuel des choses ici-bas, quel est l'homme qui n'a pas d'ennemis ? Pour n'en pas avoir, il faudrait n'être pas sur la terre, car c'est la conséquence de l'infériorité relative de notre globe et de sa destination comme monde d'expiation. Suffit-il pour cela de faire le bien ? Hélas ! non ; le Christ n'est-il pas là pour le prouver ? Si donc le Christ, la bonté par excellence, a été en butte à tout ce que la méchanceté peut imaginer, faut-il s'étonner qu'il en soit de même à l'égard de ceux qui valent cent fois moins ?
L'homme qui fait le bien - ceci dit en thèse générale - doit donc s'attendre à trouver de l'ingratitude, à avoir contre lui ceux qui, ne le faisant pas, sont jaloux de l'estime accordée à ceux qui le font ; les premiers, ne se sentant pas la force de s'élever, cherchent à rabaisser les autres à leur niveau, à tenir, par la médisance ou la calomnie, ce qui les offusque. On entend souvent dire dans le monde que l'ingratitude dont on est payé endurcit le coeur et rend égoïste ; parler ainsi, c'est prouver qu'on a le coeur facile à endurcir, car cette crainte ne saurait arrêter l'homme vraiment bon. La reconnaissance est déjà une rémunération du bien que l'on fait ; ne le faire qu'en vue de cette rémunération, c'est le faire par intérêt. Et puis, qui sait si celui qu'on oblige et dont on n'attendait rien ne sera pas ramené à de meilleurs sentiments par de bons procédés ? C'est peut-être un moyen de le faire réfléchir, d'adoucir son âme, de le sauver ! Cet espoir est une noble ambition ; si l'on est déçu, on n'en aura pas moins fait ce qu'on doit.
Il ne faut pas croire, pourtant, qu'un bienfait demeuré stérile sur la terre soit toujours improductif ; c'est souvent une graine semée qui ne germe que dans la vie future de l'obligé. Nous avons souvent observé des Esprits, ingrats comme hommes, être touchés, comme Esprits, du bien qu'on leur avait fait, et ce souvenir, en réveillant en eux de bonnes pensées, leur a facilité la voie du bien et du repentir, et contribué à abréger leurs souffrances. Le Spiritisme seul pouvait nous révéler ce résultat de la bienfaisance ; à lui seul il était donné, par les communications d'outre-tombe, de montrer le côté charitable de cette maxime : Un bienfait n'est jamais perdu, au lieu du sens égoïste qu'on lui attribue. Mais revenons à ce qui me concerne.
Toute autre question personnelle à part, j'ai d'abord des adversaires naturels dans les ennemis du Spiritisme. Ne croyez pas que je m'en chagrine : loin de là ; plus leur animosité est grande, plus elle prouve l'importance que prend la doctrine à leurs yeux ; si c'était une chose sans conséquence, une de ces utopies qui ne sont pas nées viables, ils n'y feraient pas attention, ni à moi non plus. Ne voyez-vous pas des écrits, bien autrement hostiles que les miens aux idées reçues, où les expressions ne sont pas plus ménagées que la hardiesse des pensées, et dont cependant ils ne disent pas un mot ? Il en serait de même des doctrines que j'ai cherché à répandre si elles fussent restées dans les feuillets d'un livre. Mais ce qui peut sembler plus étonnant, c'est que j'aie des adversaires, même parmi les partisans du Spiritisme ; or, c'est ici qu'une explication est nécessaire.
Parmi ceux qui adoptent les idées spirites, il y a, comme vous le savez, trois catégories bien distinctes :
1. Ceux qui croient purement et simplement aux phénomènes des manifestations, mais n'en déduisent aucune conséquence morale ;
2. Ceux qui voient le côté moral, mais l'appliquent aux autres et non à eux ;
3. Ceux qui acceptent pour eux-mêmes toutes les conséquences de la doctrine, qui en pratiquent ou s'efforcent d'en pratiquer la morale. Ceux-là, vous le savez aussi, sont les VRAIS SPIRITES, les SPIRITES CHRETIENS. Cette distinction est importante, parce qu'elle explique bien des anomalies apparentes ; sans cela, il serait difficile de se rendre compte de la conduite de certaines personnes. Or, que dit cette morale ? Aimez-vous les uns les autres ; pardonnez à vos ennemis ; rendez le bien pour le mal ; n'ayez ni haine, ni rancune, ni animosité, ni envie, ni jalousie ; soyez sévères pour vous-mêmes et indulgents pour les autres. Tels doivent être les sentiments d'un Vrai Spirite, de celui qui voit le fond avant la forme, qui met l'Esprit au-dessus de la matière ; il peut avoir des ennemis, mais il n'est l'ennemi de personne, parce qu'il n'en veut à personne ; à plus forte raison ne cherche-t-il à faire de mal à personne. Ceci, comme vous le voyez, messieurs, est un principe général dont tout le monde peut faire son profit. Si donc j'ai des ennemis, ce ne peut être parmi les Spirites de cette catégorie, car en admettant qu'ils eussent des sujets légitimes de plainte contre moi, ce que je m'efforce d'éviter, ce ne serait pas un motif de m'en vouloir, à moins forte raison si je ne leur ai point fait de mal. Le Spiritisme a pour devise : Hors la charité point de salut ; il est tout aussi vrai de dire : Hors la charité point de vrais spirites. Je vous engage à inscrire désormais cette double maxime sur votre drapeau, parce qu'elle résume à la fois le but du Spiritisme et le devoir qu'il impose.
Etant donc admis qu'on ne peut être bon Spirite avec un sentiment de haine dans le coeur, je me flatte de n'avoir que des amis parmi ces derniers, parce que si j'ai des torts ils sauront les excuser. Nous verrons tout à l'heure à quelles immenses et fertiles conséquences conduit ce principe.
Voyons donc les causes qui ont pu exciter certaines animosités.
Dès que parurent les premières manifestations des Esprits, beaucoup de personnes y virent un moyen de spéculation, une nouvelle mine à exploiter. Si cette idée eût suivi son cours, vous auriez vu pulluler partout des médiums, ou soi-disant tels, donnant des consultations à tant la séance ; les journaux eussent été couverts de leurs annonces et de leurs réclames ; les médiums se fussent transformés en diseurs de bonne aventure, et le Spiritisme eût été mis sur la même ligne que la divination, la cartomancie, la nécromancie, etc.. Dans ce conflit, comment le public aurait-il pu discerner la vérité du mensonge ? Le relever de là n'eût pas été chose facile. Il fallait empêcher qu'il ne prît cette voie funeste ; il fallait couper dans sa racine un mal qui l'eût retardé de plus d'un siècle. C'est ce que je me suis efforcé de faire en montrant, dès le principe, le côté grave et sublime de cette science nouvelle ; en la faisant sortir de la voie purement expérimentale pour la faire entrer dans celle de la philosophie et de la morale ; en montrant enfin ce qu'il y a de profanation à exploiter les âmes des morts, alors qu'on entoure leurs cendres de respect. Par là, et en signalant les inévitables abus qui résulteraient d'un pareil état de choses, j'ai contribué, et je m'en glorifie, à discréditer l'exploitation du Spiritisme, et par cela même amené le public à le considérer comme une chose sérieuse et sainte.
Je crois avoir rendu quelques services à la cause ; mais n'eussé-je fait que cela que je m'en féliciterais. Grâce à Dieu, mes efforts ont été couronnés de succès, non seulement en France, mais à l'étranger ; et je puis dire que les médiums de profession sont aujourd'hui de rares exceptions en Europe ; partout où mes ouvrages ont pénétré et servent de guide, le Spiritisme est envisagé sous son véritable point de vue, c'est-à-dire sous le point de vue exclusivement moral ; partout les médiums, dévoués et désintéressés, comprenant la sainteté de leur mission, sont entourés de la considération qui leur est due, quelle que soit leur position sociale, et cette considération s'accroît en raison même de l'infériorité de la position rehaussée par le désintéressement.
Je ne prétends nullement dire que parmi les médiums intéressés il ne puisse s'en trouver de très honnêtes et de très estimables ; mais l'expérience a prouvé, à moi et à bien d'autres, que l'intérêt est un puissant stimulant pour la fraude, parce qu'on veut gagner son argent, et que si les Esprits ne donnent pas, ce qui arrive souvent, puisqu'ils ne sont pas à notre caprice, la ruse, féconde en expédients, trouve aisément moyen d'y suppléer. Pour un qui agira loyalement, il y en aura cent qui abuseraient et qui nuiraient à la considération du Spiritisme ; aussi les adversaires n'ont-ils pas manqué d'exploiter au profit de leur critique les fraudes dont ils ont pu être témoins, en en concluant que tout devait être faux, et qu'il y avait lieu de s'opposer à ce charlatanisme d'un nouveau genre. En vain objecte-t-on que la sainte doctrine n'est pas responsable des abus ; vous connaissez le proverbe : « Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il est enragé ».
Quelle réponse plus péremptoire peut-on faire à l'accusation de charlatanisme que de pouvoir dire : « Qui vous a prié de venir ? Combien avez-vous payé pour entrer ? » Celui qui paye veut être servi ; il veut en avoir pour son argent ; si on ne lui donne pas ce qu'il attend, il a droit de se plaindre ; or, pour éviter cela, on veut le servir à tout prix. Voilà l'abus, mais cet abus menaçant de devenir la règle au lieu d'être l'exception, il a fallu l'arrêter ; maintenant que l'opinion est faite à cet égard, le danger n'est à craindre que pour les gens inexpérimentés. A ceux donc qui se plaindraient d'avoir été dupés, ou de n'avoir pas obtenu les réponses qu'ils désiraient, on peut dire : Si vous aviez étudié le Spiritisme, vous auriez su dans quelles conditions il peut être observé avec fruit ; quels sont les légitimes motifs de confiance et de défiance, ce qu'on peut en attendre, et vous ne lui auriez pas demandé ce qu'il ne peut donner ; vous n'auriez pas été consulter un médium comme un tireur de cartes, pour demander aux Esprits des révélations, des renseignements sur des héritages, des découvertes de trésors, et cent autres choses pareilles qui ne sont pas du ressort du Spiritisme ; si vous avez été induits en erreur, vous ne devez vous en prendre qu'à vous-mêmes.
Il est bien évident qu'on ne peut considérer comme exploitation la cotisation que paye une société pour subvenir aux frais de la réunion. La plus vulgaire équité dit qu'on ne peut imposer ces frais à celui qui reçoit, s'il n'est ni assez riche, ni assez libre de son temps pour le faire. La spéculation consiste à se faire une industrie de la chose, à convoquer le premier venu, curieux ou indifférent, pour avoir son argent. Une société qui agirait ainsi serait tout aussi répréhensible, plus répréhensible même qu'un individu, et ne mériterait pas plus de confiance. Qu'une société pourvoie à tous ses besoins ; qu'elle subvienne à toutes ses dépenses et ne les laisse pas supporter par un seul, c'est de toute justice, et ce n'est là ni une exploitation ni une spéculation ; mais il n'en serait plus de même si le premier venu pouvait acheter le droit d'y entrer en payant, car ce serait dénaturer le but essentiellement moral et instructif des réunions de ce genre, pour en faire une sorte de spectacle de curiosités. Quant aux médiums, ils se multiplient tellement que les médiums de profession seraient aujourd'hui complètement superflus.
Telles sont, Messieurs, les idées que je me suis efforcé de faire prévaloir, et je suis heureux d'avoir réussi plus facilement que je ne l'aurais cru ; mais vous comprenez que ceux dont j'ai déjoué les espérances ne sont pas de mes amis. Voilà donc déjà une catégorie qui ne peut me voir d'un bon oeil, ce dont je m'inquiète fort peu. Si jamais l'exploitation du Spiritisme tentait de s'introduire dans votre ville, je vous invite à renier cette nouvelle industrie, afin de n'en point accepter la solidarité, et que les plaintes auxquelles elle pourrait donner lieu ne puissent retomber sur la doctrine pure.
A côté de la spéculation matérielle, il y a ce qu'on pourrait appeler la spéculation morale, c'est-à-dire la satisfaction de l'orgueil, de l'amour-propre ; ceux qui, sans intérêt pécuniaire, avaient cru pouvoir se faire du Spiritisme un marchepied honorifique pour se mettre en évidence. Je ne les ai pas mieux favorisés, et mes écrits, aussi bien que mes conseils, ont contrecarré plus d'une préméditation, en montrant que les qualités du vrai Spirite sont l'abnégation et l'humilité selon cette maxime du Christ : « Quiconque s'élève sera abaissé ». Seconde catégorie qui ne me veut pas plus de bien et qu'on pourrait appeler celle des ambitions déçues et des amours-propres froissés.
Viennent ensuite les gens qui ne me pardonnent pas d'avoir réussi ; pour qui le succès de mes ouvrages est un crève-coeur ; que les témoignages de sympathie qu'on veut bien m'accorder empêchent de dormir. C'est la coterie des jaloux, qui n'est pas plus bienveillante, tant s'en faut, et qui est renforcée de celle des gens qui, par tempérament, ne peuvent voir un homme élever un peu la tête sans être prêt à lui tirer dessus.
Une coterie des plus irascibles, le croiriez-vous, se trouve parmi les médiums, non pas les médiums intéressés, mais ceux qui sont très désintéressés, matériellement parlant ; je veux parler des médiums obsédés, ou mieux, fascinés. Quelques observations à ce sujet ne seront pas sans utilité.
Par orgueil, ils sont tellement persuadés que ce qu'ils obtiennent est sublime, et ne peut venir que d'Esprits Supérieurs, qu'ils s'irritent de la moindre observation critique, au point de se brouiller avec leurs amis lorsque ceux-ci ont la maladresse de ne pas admirer ce qui est absurde. Là est la preuve de la mauvaise influence qui les domine car, en supposant que, par un défaut de jugement ou d'instruction, ils ne vissent pas clair, ce ne serait pas un motif pour prendre en grippe ceux qui ne sont pas de leur avis ; mais cela ne ferait pas l'affaire des Esprits obsesseurs qui, pour mieux tenir le médium sous leur dépendance, lui inspirent de l'éloignement, de l'aversion même pour quiconque pourrait lui ouvrir les yeux.
Il y a ensuite ceux dont la susceptibilité est poussée à l'excès ; qui se froissent de la moindre chose, de la place qu'on leur donne dans une réunion et ne les met pas assez en évidence, de l'ordre assigné à la lecture de leurs communications, ou de ce qu'on refuse la lecture de celles dont le sujet ne paraît pas opportun dans une assemblée ; de ce qu'on ne les sollicite pas avec assez d'instances pour donner leur concours ; d'autres trouvent mauvais qu'on n'intervertisse pas l'ordre des travaux pour se plier à leurs convenances ; d'autres voudraient se poser en médiums en titre d'un groupe ou d'une société, y faire la pluie et le beau temps, et que leurs Esprits directeurs fussent pris pour arbitres absolus de toutes les questions, etc.. Ces motifs sont si puérils et si mesquins qu'on n'ose pas les avouer ; mais ils n'en sont pas moins la source d'une sourde animosité qui se trahit tôt ou tard ou par le mauvais vouloir ou par la retraite. N'ayant pas de bonnes raisons à donner, il en est qui ne se font pas scrupule d'alléguer des prétextes ou des imaginaires. N'étant nullement disposé à me plier devant toutes ces prétentions, c'est un tort, que dis-je ! un crime impardonnable aux yeux de certaines personnes que naturellement je me suis mises à dos, ce dont j'ai encore le plus grand tort de me soucier comme du reste. Impardonnable ! Concevez-vous ce mot de la part de gens qui se disent Spirites ? Ce mot devrait être rayé du vocabulaire du Spiritisme.
Ce désagrément, la plupart des chefs de groupe ou de société l'ont éprouvé comme moi, et je les engage à faire comme moi, c'est-à-dire à ne pas tenir à des médiums qui sont plutôt une entrave qu'un secours ; avec eux on est toujours mal à l'aise, dans la crainte de les froisser par l'action souvent la plus indifférente.
Cet inconvénient était plus fréquent autrefois que maintenant ; alors que les médiums étaient plus rares, il fallait bien se contenter de ceux qu'on avait ; mais aujourd'hui qu'ils se multiplient à vue d'oeil, l'inconvénient diminue en raison même du choix et à mesure que l'on se pénètre mieux des vrais principes de la doctrine.
Le degré de la faculté à part, les qualités essentielles d'un bon médium sont la modestie, la simplicité et le dévouement ; il doit donner son concours en vue de se rendre utile et non pour satisfaire sa vanité ; il ne doit jamais prendre fait et cause pour les communications qu'il reçoit, autrement il ferait croire qu'il y met du sien, et qu'il a un intérêt à les défendre ; il doit accepter la critique, la solliciter même, et se soumettre à l'avis de la majorité sans arrière-pensée ; si ce qu'il écrit est faux, mauvais, détestable, on doit pouvoir le lui dire sans crainte de le blesser, parce qu'il n'y est pour rien. Voilà les médiums vraiment utiles dans une réunion et avec lesquels on n'aura jamais de désagrément, parce qu'ils comprennent la doctrine ; les autres ne la comprennent pas ou ne veulent pas la comprendre. Ce sont ceux aussi qui finissent par obtenir les meilleures communications, parce qu'ils ne se laissent point dominer par des Esprits orgueilleux ; les Esprits trompeurs les redoutent, parce qu'ils savent ne pouvoir les abuser.
Et puis vient la catégorie des gens qui ne sont jamais contents ; les uns trouvent que je vais trop vite, d'autres trop lentement ; c'est vraiment la fable du Meunier, son fils et l'âne. Les premiers me reprochent d'avoir formulé des principes prématurés, de me poser en chef d'école philosophique. Est-ce que, toute idée spirite à part, je n'ai pas le droit de créer, comme tant d'autres, une philosophie à ma guise, fût-elle absurde ? Si mes principes sont faux, que n'en mettent-ils d'autres à la place et ne les font-ils prévaloir ? Il paraît qu'en général on ne les trouve pas trop déraisonnables, puisqu'ils rencontrent un si grand nombre d'adhérents ; mais ne serait-ce pas cela même qui excite la mauvaise humeur de certaines gens ? Si ces principes ne trouvaient point de partisans, fussent-ils ridicules au premier chef, on n'en parlerait pas.
Les seconds, qui prétendent que je ne vais pas assez vite, voudraient me pousser, par bonne intention, je veux bien le croire, car il vaut mieux croire le bien que le mal, dans une voie où je ne veux pas m'engager. Sans donc me laisser influencer par les idées des uns et des autres, je poursuis ma route ; j'ai un but, je le vois, je sais quand et comment je l'atteindrai, et ne m'inquiète pas des clameurs des passants.
Vous le voyez, Messieurs, les pierres ne manquent pas sur mon chemin ; j'en passe et des plus grosses. Si l'on connaissait la véritable cause de certaines antipathies et de certains éloignements, on serait fort surpris de bien des choses ; il faudrait y ajouter les gens qui se sont mis à mon égard dans des positions fausses, ridicules ou compromettantes, et qui cherchent à se justifier, en dessous main, par de petites calomnies ; ceux qui avaient espéré m'attirer à eux par la flatterie, croyant m'amener à servir leurs desseins et qui ont reconnu l'inutilité de leurs manoeuvres pour me faire entrer dans leurs vues ; ceux que je n'ai ni flatté ni encensés et qui auraient voulu l'être ; ceux enfin qui ne me pardonnent pas de les avoir devinés, et qui sont comme le serpent sur lequel on met le pied. Si tous ces gens-là voulaient se mettre seulement un instant au point de vue extra-terrestre, et voir les choses d'un peu haut, ils comprendraient combien ce qui les préoccupe tant est puéril, et ne s'étonneraient pas du peu d'importance qu'y attache tout vrai Spirite. C'est que le Spiritisme ouvre des horizons si vastes, que la vie corporelle, si courte et si éphémère, s'efface avec toutes ses vanités et ses petites intrigues devant l'infini de la vie spirituelle.
Je ne dois cependant pas omettre un reproche qui m'a été adressé : c'est de ne rien faire pour ramener à moi les gens qui s'en éloignent. Cela est vrai, et si c'est un reproche fondé, je le mérite, car je n'ai jamais fait un pas pour cela, et voici les motifs de mon indifférence.
Ceux qui viennent à moi, c'est que cela leur convient ; c'est moins pour ma personne que par sympathie pour les principes que je professe. Ceux qui s'éloignent, c'est que je ne leur conviens pas, ou que notre manière de voir ne concorde pas ; pourquoi donc irais-je les contrarier, et m'imposer à eux ? Il me semble plus convenable de les laisser tranquilles. Je n'en aurais d'ailleurs vraiment pas le temps, car on sait mes occupations qui ne me laissent pas un instant de repos, et pour un qui s'en va, il y en a mille qui viennent ; je me dois donc à ceux-ci avant tout, et c'est ce que je fais. Est-ce la fierté ? Est-ce mépris des gens ? Oh ! assurément non ; je ne méprise personne ; je plains ceux qui agissent mal, je prie Dieu et les Bons Esprits de les ramener à de meilleurs sentiments, et voilà tout ; s'ils reviennent, ils sont toujours les bienvenus, mais pour courir après eux, jamais je ne le fais, en raison du temps que réclament les gens de bonne volonté ; en second lieu, parce que je n'attache pas à certaines personnes l'importance qu'elles attachent à elles-mêmes. Pour moi, un homme est un homme, et rien de plus ; je mesure sa valeur à ses actes, à ses sentiments, et non à son rang ; fût-il haut placé, s'il agit mal, s'il est égoïste et vain de sa dignité, il est à mes yeux au-dessous d'un simple ouvrier qui agit bien, et je serre plus cordialement la main d'un petit dont le coeur parle, que celle d'un grand dont le coeur ne dit rien ; la première me réchauffe, la seconde me glace.
Les personnages du plus haut rang m'honorent de leur visite, et jamais pour eux un prolétaire n'a fait antichambre. Souvent dans mon salon le prince se trouve côte-à-côte avec l'artisan ; s'il s'en trouvait humilié, je dirais qu'il n'est pas digne d'être Spirite ; mais, je suis heureux de le dire, je les ai vus souvent se serrer fraternellement la main, et je me suis dit : « Spiritisme, voilà un de tes miracles ; c'est l'avant-coureur de bien d'autres prodiges ! ».
Il ne tenait qu'à moi de m'ouvrir les portes du grand monde ; je n'ai jamais été y frapper ; cela me prendrait un temps que je crois pouvoir employer plus utilement. Je place en première ligne les consolations à donner à ceux qui souffrent ; relever les courages abattus ; arracher un homme à ses passions au désespoir, au suicide, l'avoir arrêté sur la pente du crime peut-être, cela ne vaut-il pas mieux que la vue des lambris dorés ? J'ai des milliers de lettres qui valent mieux pour moi que tous les honneurs de la terre, et que je regarde comme mes vrais titres de noblesse. Ne vous étonnez pas si je laisse aller ceux qui ne me recherchent pas.
J'ai des adversaires, je le sais ; mais le nombre n'en est pas aussi grand qu'on pourrait le croire d'après l'énumération que j'ai faite ; ils se trouvent dans les catégories que j'ai citées, mais ce ne sont toujours que des individualités, et le nombre est peu de chose comparé à ceux qui veulent bien me témoigner de la sympathie. D'ailleurs, jamais ils n'ont réussi à troubler mon repos ; jamais leurs machinations ni leurs diatribes ne m'ont ému ; et je dois ajouter que cette profonde indifférence de ma part, le silence que j'ai opposé à leurs attaques n'est pas ce qui les exaspère le moins. Quoi qu'ils fassent, jamais ils ne parviendront à me faire sortir de la modération qui est la règle de ma conduite ; jamais on ne pourra dire que j'ai répondu à l'injure par l'injure. Les personnes qui me voient dans l'intimité savent si jamais je m'occupe d'eux ; si jamais à la Société il a été dit un seul mot, ou fait une seule allusion les concernant. Dans la Revue, jamais je n'ai répondu à leurs agressions, quand elles se sont adressées à ma personne, et Dieu sait si ce sont les occasions qui ont manqué !
Que peut d'ailleurs leur mauvais vouloir ? Rien, ni contre la doctrine, ni contre moi-même. La doctrine prouve par sa marche progressive qu'elle ne craint rien ; quant à moi, je n'occupe aucune position, donc on ne peut rien m'enlever ; je ne demande rien, je ne sollicite rien, donc on ne peut rien me refuser ; je ne dois rien à personne, donc, on ne peut rien me réclamer ; je ne dis de mal de personne, pas même de ceux qui en disent de moi ; en quoi pourraient-ils donc me nuire ? Il est vrai qu'on peut me faire dire ce que je n'ai pas dit, et c'est ce qu'on a fait plus d'une fois ; mais ceux qui me connaissent savent ce que je suis capable de dire et de ne pas dire, et je remercie ceux qui, en pareil cas, ont bien voulu répondre de moi. Ce que je dis, je suis toujours prêt à le répéter, en présence de qui que ce soit, et quand j'affirme n'avoir pas dit ou fait une chose, je me crois le droit d'être cru.
D'ailleurs, que sont toutes ces choses en présence du but que nous, Spirites sincères et dévoués, poursuivons tous ! de cet immense avenir qui se déroule à nos yeux ? Croyez-moi, Messieurs, il faudrait regarder comme un vol fait à la grande oeuvre les instants que l'on y déroberait pour se préoccuper de ces misères. Pour ma part, je remercie Dieu, pour prix de quelques tribulations passagères, de m'avoir donné déjà ici-bas tant de compensations morales, et la joie d'assister au triomphe de la doctrine.
Je vous demande pardon, Messieurs, de vous avoir si longtemps entretenu de moi, mais j'ai cru qu'il était utile d'établir nettement la position, afin que vous sussiez à quoi vous en tenir selon les circonstances, et que vous soyez bien convaincus que ma ligne de conduite est tracée, et que rien ne m'en fera dévier. Du reste, je crois que de ces observations mêmes, et en faisant abstraction de la personne il a pu en ressortir quelques enseignements utiles.
Passons maintenant à un autre point, et voyons où en est le Spiritisme.
Vous n'êtes plus des écoliers en Spiritisme ; je laisserai donc aujourd'hui de côté les détails pratiques, sur lesquels j'ai été à même de reconnaître que vous êtes suffisamment éclairés, pour envisager la question sous un aspect plus large et surtout dans ses conséquences. Ce côté de la question est grave, le plus grave, sans contredit, puisqu'il montre le but où tend la doctrine et les moyens de l'atteindre. Je serai un peu long peut-être, car le sujet est bien vaste, et pourtant il resterait encore beaucoup à dire pour le compléter ; aussi réclamerai-je votre indulgence en considération de ce que, ne pouvant rester que peu de temps avec vous, je suis forcé de dire en une seule fois ce qu'autrement j'aurais pu répartir en plusieurs.
Avant d'aborder le côté principal du sujet, je crois devoir l'examiner à un point de vue qui m'est en quelque sorte personnel. Si pourtant ce ne devait être qu'une question individuelle, assurément je n'en ferais rien ; mais il s'y rattache plusieurs questions générales d'où peut ressortir une instruction pour tout le monde ; c'est le motif qui m'a déterminé, saisissant ainsi l'occasion d'expliquer la cause de certains antagonismes qu'on s'étonne de rencontrer sur ma route.
Dans l'état actuel des choses ici-bas, quel est l'homme qui n'a pas d'ennemis ? Pour n'en pas avoir, il faudrait n'être pas sur la terre, car c'est la conséquence de l'infériorité relative de notre globe et de sa destination comme monde d'expiation. Suffit-il pour cela de faire le bien ? Hélas ! non ; le Christ n'est-il pas là pour le prouver ? Si donc le Christ, la bonté par excellence, a été en butte à tout ce que la méchanceté peut imaginer, faut-il s'étonner qu'il en soit de même à l'égard de ceux qui valent cent fois moins ?
L'homme qui fait le bien - ceci dit en thèse générale - doit donc s'attendre à trouver de l'ingratitude, à avoir contre lui ceux qui, ne le faisant pas, sont jaloux de l'estime accordée à ceux qui le font ; les premiers, ne se sentant pas la force de s'élever, cherchent à rabaisser les autres à leur niveau, à tenir, par la médisance ou la calomnie, ce qui les offusque. On entend souvent dire dans le monde que l'ingratitude dont on est payé endurcit le coeur et rend égoïste ; parler ainsi, c'est prouver qu'on a le coeur facile à endurcir, car cette crainte ne saurait arrêter l'homme vraiment bon. La reconnaissance est déjà une rémunération du bien que l'on fait ; ne le faire qu'en vue de cette rémunération, c'est le faire par intérêt. Et puis, qui sait si celui qu'on oblige et dont on n'attendait rien ne sera pas ramené à de meilleurs sentiments par de bons procédés ? C'est peut-être un moyen de le faire réfléchir, d'adoucir son âme, de le sauver ! Cet espoir est une noble ambition ; si l'on est déçu, on n'en aura pas moins fait ce qu'on doit.
Il ne faut pas croire, pourtant, qu'un bienfait demeuré stérile sur la terre soit toujours improductif ; c'est souvent une graine semée qui ne germe que dans la vie future de l'obligé. Nous avons souvent observé des Esprits, ingrats comme hommes, être touchés, comme Esprits, du bien qu'on leur avait fait, et ce souvenir, en réveillant en eux de bonnes pensées, leur a facilité la voie du bien et du repentir, et contribué à abréger leurs souffrances. Le Spiritisme seul pouvait nous révéler ce résultat de la bienfaisance ; à lui seul il était donné, par les communications d'outre-tombe, de montrer le côté charitable de cette maxime : Un bienfait n'est jamais perdu, au lieu du sens égoïste qu'on lui attribue. Mais revenons à ce qui me concerne.
Toute autre question personnelle à part, j'ai d'abord des adversaires naturels dans les ennemis du Spiritisme. Ne croyez pas que je m'en chagrine : loin de là ; plus leur animosité est grande, plus elle prouve l'importance que prend la doctrine à leurs yeux ; si c'était une chose sans conséquence, une de ces utopies qui ne sont pas nées viables, ils n'y feraient pas attention, ni à moi non plus. Ne voyez-vous pas des écrits, bien autrement hostiles que les miens aux idées reçues, où les expressions ne sont pas plus ménagées que la hardiesse des pensées, et dont cependant ils ne disent pas un mot ? Il en serait de même des doctrines que j'ai cherché à répandre si elles fussent restées dans les feuillets d'un livre. Mais ce qui peut sembler plus étonnant, c'est que j'aie des adversaires, même parmi les partisans du Spiritisme ; or, c'est ici qu'une explication est nécessaire.
Parmi ceux qui adoptent les idées spirites, il y a, comme vous le savez, trois catégories bien distinctes :
1. Ceux qui croient purement et simplement aux phénomènes des manifestations, mais n'en déduisent aucune conséquence morale ;
2. Ceux qui voient le côté moral, mais l'appliquent aux autres et non à eux ;
3. Ceux qui acceptent pour eux-mêmes toutes les conséquences de la doctrine, qui en pratiquent ou s'efforcent d'en pratiquer la morale. Ceux-là, vous le savez aussi, sont les VRAIS SPIRITES, les SPIRITES CHRETIENS. Cette distinction est importante, parce qu'elle explique bien des anomalies apparentes ; sans cela, il serait difficile de se rendre compte de la conduite de certaines personnes. Or, que dit cette morale ? Aimez-vous les uns les autres ; pardonnez à vos ennemis ; rendez le bien pour le mal ; n'ayez ni haine, ni rancune, ni animosité, ni envie, ni jalousie ; soyez sévères pour vous-mêmes et indulgents pour les autres. Tels doivent être les sentiments d'un Vrai Spirite, de celui qui voit le fond avant la forme, qui met l'Esprit au-dessus de la matière ; il peut avoir des ennemis, mais il n'est l'ennemi de personne, parce qu'il n'en veut à personne ; à plus forte raison ne cherche-t-il à faire de mal à personne. Ceci, comme vous le voyez, messieurs, est un principe général dont tout le monde peut faire son profit. Si donc j'ai des ennemis, ce ne peut être parmi les Spirites de cette catégorie, car en admettant qu'ils eussent des sujets légitimes de plainte contre moi, ce que je m'efforce d'éviter, ce ne serait pas un motif de m'en vouloir, à moins forte raison si je ne leur ai point fait de mal. Le Spiritisme a pour devise : Hors la charité point de salut ; il est tout aussi vrai de dire : Hors la charité point de vrais spirites. Je vous engage à inscrire désormais cette double maxime sur votre drapeau, parce qu'elle résume à la fois le but du Spiritisme et le devoir qu'il impose.
Etant donc admis qu'on ne peut être bon Spirite avec un sentiment de haine dans le coeur, je me flatte de n'avoir que des amis parmi ces derniers, parce que si j'ai des torts ils sauront les excuser. Nous verrons tout à l'heure à quelles immenses et fertiles conséquences conduit ce principe.
Voyons donc les causes qui ont pu exciter certaines animosités.
Dès que parurent les premières manifestations des Esprits, beaucoup de personnes y virent un moyen de spéculation, une nouvelle mine à exploiter. Si cette idée eût suivi son cours, vous auriez vu pulluler partout des médiums, ou soi-disant tels, donnant des consultations à tant la séance ; les journaux eussent été couverts de leurs annonces et de leurs réclames ; les médiums se fussent transformés en diseurs de bonne aventure, et le Spiritisme eût été mis sur la même ligne que la divination, la cartomancie, la nécromancie, etc.. Dans ce conflit, comment le public aurait-il pu discerner la vérité du mensonge ? Le relever de là n'eût pas été chose facile. Il fallait empêcher qu'il ne prît cette voie funeste ; il fallait couper dans sa racine un mal qui l'eût retardé de plus d'un siècle. C'est ce que je me suis efforcé de faire en montrant, dès le principe, le côté grave et sublime de cette science nouvelle ; en la faisant sortir de la voie purement expérimentale pour la faire entrer dans celle de la philosophie et de la morale ; en montrant enfin ce qu'il y a de profanation à exploiter les âmes des morts, alors qu'on entoure leurs cendres de respect. Par là, et en signalant les inévitables abus qui résulteraient d'un pareil état de choses, j'ai contribué, et je m'en glorifie, à discréditer l'exploitation du Spiritisme, et par cela même amené le public à le considérer comme une chose sérieuse et sainte.
Je crois avoir rendu quelques services à la cause ; mais n'eussé-je fait que cela que je m'en féliciterais. Grâce à Dieu, mes efforts ont été couronnés de succès, non seulement en France, mais à l'étranger ; et je puis dire que les médiums de profession sont aujourd'hui de rares exceptions en Europe ; partout où mes ouvrages ont pénétré et servent de guide, le Spiritisme est envisagé sous son véritable point de vue, c'est-à-dire sous le point de vue exclusivement moral ; partout les médiums, dévoués et désintéressés, comprenant la sainteté de leur mission, sont entourés de la considération qui leur est due, quelle que soit leur position sociale, et cette considération s'accroît en raison même de l'infériorité de la position rehaussée par le désintéressement.
Je ne prétends nullement dire que parmi les médiums intéressés il ne puisse s'en trouver de très honnêtes et de très estimables ; mais l'expérience a prouvé, à moi et à bien d'autres, que l'intérêt est un puissant stimulant pour la fraude, parce qu'on veut gagner son argent, et que si les Esprits ne donnent pas, ce qui arrive souvent, puisqu'ils ne sont pas à notre caprice, la ruse, féconde en expédients, trouve aisément moyen d'y suppléer. Pour un qui agira loyalement, il y en aura cent qui abuseraient et qui nuiraient à la considération du Spiritisme ; aussi les adversaires n'ont-ils pas manqué d'exploiter au profit de leur critique les fraudes dont ils ont pu être témoins, en en concluant que tout devait être faux, et qu'il y avait lieu de s'opposer à ce charlatanisme d'un nouveau genre. En vain objecte-t-on que la sainte doctrine n'est pas responsable des abus ; vous connaissez le proverbe : « Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il est enragé ».
Quelle réponse plus péremptoire peut-on faire à l'accusation de charlatanisme que de pouvoir dire : « Qui vous a prié de venir ? Combien avez-vous payé pour entrer ? » Celui qui paye veut être servi ; il veut en avoir pour son argent ; si on ne lui donne pas ce qu'il attend, il a droit de se plaindre ; or, pour éviter cela, on veut le servir à tout prix. Voilà l'abus, mais cet abus menaçant de devenir la règle au lieu d'être l'exception, il a fallu l'arrêter ; maintenant que l'opinion est faite à cet égard, le danger n'est à craindre que pour les gens inexpérimentés. A ceux donc qui se plaindraient d'avoir été dupés, ou de n'avoir pas obtenu les réponses qu'ils désiraient, on peut dire : Si vous aviez étudié le Spiritisme, vous auriez su dans quelles conditions il peut être observé avec fruit ; quels sont les légitimes motifs de confiance et de défiance, ce qu'on peut en attendre, et vous ne lui auriez pas demandé ce qu'il ne peut donner ; vous n'auriez pas été consulter un médium comme un tireur de cartes, pour demander aux Esprits des révélations, des renseignements sur des héritages, des découvertes de trésors, et cent autres choses pareilles qui ne sont pas du ressort du Spiritisme ; si vous avez été induits en erreur, vous ne devez vous en prendre qu'à vous-mêmes.
Il est bien évident qu'on ne peut considérer comme exploitation la cotisation que paye une société pour subvenir aux frais de la réunion. La plus vulgaire équité dit qu'on ne peut imposer ces frais à celui qui reçoit, s'il n'est ni assez riche, ni assez libre de son temps pour le faire. La spéculation consiste à se faire une industrie de la chose, à convoquer le premier venu, curieux ou indifférent, pour avoir son argent. Une société qui agirait ainsi serait tout aussi répréhensible, plus répréhensible même qu'un individu, et ne mériterait pas plus de confiance. Qu'une société pourvoie à tous ses besoins ; qu'elle subvienne à toutes ses dépenses et ne les laisse pas supporter par un seul, c'est de toute justice, et ce n'est là ni une exploitation ni une spéculation ; mais il n'en serait plus de même si le premier venu pouvait acheter le droit d'y entrer en payant, car ce serait dénaturer le but essentiellement moral et instructif des réunions de ce genre, pour en faire une sorte de spectacle de curiosités. Quant aux médiums, ils se multiplient tellement que les médiums de profession seraient aujourd'hui complètement superflus.
Telles sont, Messieurs, les idées que je me suis efforcé de faire prévaloir, et je suis heureux d'avoir réussi plus facilement que je ne l'aurais cru ; mais vous comprenez que ceux dont j'ai déjoué les espérances ne sont pas de mes amis. Voilà donc déjà une catégorie qui ne peut me voir d'un bon oeil, ce dont je m'inquiète fort peu. Si jamais l'exploitation du Spiritisme tentait de s'introduire dans votre ville, je vous invite à renier cette nouvelle industrie, afin de n'en point accepter la solidarité, et que les plaintes auxquelles elle pourrait donner lieu ne puissent retomber sur la doctrine pure.
A côté de la spéculation matérielle, il y a ce qu'on pourrait appeler la spéculation morale, c'est-à-dire la satisfaction de l'orgueil, de l'amour-propre ; ceux qui, sans intérêt pécuniaire, avaient cru pouvoir se faire du Spiritisme un marchepied honorifique pour se mettre en évidence. Je ne les ai pas mieux favorisés, et mes écrits, aussi bien que mes conseils, ont contrecarré plus d'une préméditation, en montrant que les qualités du vrai Spirite sont l'abnégation et l'humilité selon cette maxime du Christ : « Quiconque s'élève sera abaissé ». Seconde catégorie qui ne me veut pas plus de bien et qu'on pourrait appeler celle des ambitions déçues et des amours-propres froissés.
Viennent ensuite les gens qui ne me pardonnent pas d'avoir réussi ; pour qui le succès de mes ouvrages est un crève-coeur ; que les témoignages de sympathie qu'on veut bien m'accorder empêchent de dormir. C'est la coterie des jaloux, qui n'est pas plus bienveillante, tant s'en faut, et qui est renforcée de celle des gens qui, par tempérament, ne peuvent voir un homme élever un peu la tête sans être prêt à lui tirer dessus.
Une coterie des plus irascibles, le croiriez-vous, se trouve parmi les médiums, non pas les médiums intéressés, mais ceux qui sont très désintéressés, matériellement parlant ; je veux parler des médiums obsédés, ou mieux, fascinés. Quelques observations à ce sujet ne seront pas sans utilité.
Par orgueil, ils sont tellement persuadés que ce qu'ils obtiennent est sublime, et ne peut venir que d'Esprits Supérieurs, qu'ils s'irritent de la moindre observation critique, au point de se brouiller avec leurs amis lorsque ceux-ci ont la maladresse de ne pas admirer ce qui est absurde. Là est la preuve de la mauvaise influence qui les domine car, en supposant que, par un défaut de jugement ou d'instruction, ils ne vissent pas clair, ce ne serait pas un motif pour prendre en grippe ceux qui ne sont pas de leur avis ; mais cela ne ferait pas l'affaire des Esprits obsesseurs qui, pour mieux tenir le médium sous leur dépendance, lui inspirent de l'éloignement, de l'aversion même pour quiconque pourrait lui ouvrir les yeux.
Il y a ensuite ceux dont la susceptibilité est poussée à l'excès ; qui se froissent de la moindre chose, de la place qu'on leur donne dans une réunion et ne les met pas assez en évidence, de l'ordre assigné à la lecture de leurs communications, ou de ce qu'on refuse la lecture de celles dont le sujet ne paraît pas opportun dans une assemblée ; de ce qu'on ne les sollicite pas avec assez d'instances pour donner leur concours ; d'autres trouvent mauvais qu'on n'intervertisse pas l'ordre des travaux pour se plier à leurs convenances ; d'autres voudraient se poser en médiums en titre d'un groupe ou d'une société, y faire la pluie et le beau temps, et que leurs Esprits directeurs fussent pris pour arbitres absolus de toutes les questions, etc.. Ces motifs sont si puérils et si mesquins qu'on n'ose pas les avouer ; mais ils n'en sont pas moins la source d'une sourde animosité qui se trahit tôt ou tard ou par le mauvais vouloir ou par la retraite. N'ayant pas de bonnes raisons à donner, il en est qui ne se font pas scrupule d'alléguer des prétextes ou des imaginaires. N'étant nullement disposé à me plier devant toutes ces prétentions, c'est un tort, que dis-je ! un crime impardonnable aux yeux de certaines personnes que naturellement je me suis mises à dos, ce dont j'ai encore le plus grand tort de me soucier comme du reste. Impardonnable ! Concevez-vous ce mot de la part de gens qui se disent Spirites ? Ce mot devrait être rayé du vocabulaire du Spiritisme.
Ce désagrément, la plupart des chefs de groupe ou de société l'ont éprouvé comme moi, et je les engage à faire comme moi, c'est-à-dire à ne pas tenir à des médiums qui sont plutôt une entrave qu'un secours ; avec eux on est toujours mal à l'aise, dans la crainte de les froisser par l'action souvent la plus indifférente.
Cet inconvénient était plus fréquent autrefois que maintenant ; alors que les médiums étaient plus rares, il fallait bien se contenter de ceux qu'on avait ; mais aujourd'hui qu'ils se multiplient à vue d'oeil, l'inconvénient diminue en raison même du choix et à mesure que l'on se pénètre mieux des vrais principes de la doctrine.
Le degré de la faculté à part, les qualités essentielles d'un bon médium sont la modestie, la simplicité et le dévouement ; il doit donner son concours en vue de se rendre utile et non pour satisfaire sa vanité ; il ne doit jamais prendre fait et cause pour les communications qu'il reçoit, autrement il ferait croire qu'il y met du sien, et qu'il a un intérêt à les défendre ; il doit accepter la critique, la solliciter même, et se soumettre à l'avis de la majorité sans arrière-pensée ; si ce qu'il écrit est faux, mauvais, détestable, on doit pouvoir le lui dire sans crainte de le blesser, parce qu'il n'y est pour rien. Voilà les médiums vraiment utiles dans une réunion et avec lesquels on n'aura jamais de désagrément, parce qu'ils comprennent la doctrine ; les autres ne la comprennent pas ou ne veulent pas la comprendre. Ce sont ceux aussi qui finissent par obtenir les meilleures communications, parce qu'ils ne se laissent point dominer par des Esprits orgueilleux ; les Esprits trompeurs les redoutent, parce qu'ils savent ne pouvoir les abuser.
Et puis vient la catégorie des gens qui ne sont jamais contents ; les uns trouvent que je vais trop vite, d'autres trop lentement ; c'est vraiment la fable du Meunier, son fils et l'âne. Les premiers me reprochent d'avoir formulé des principes prématurés, de me poser en chef d'école philosophique. Est-ce que, toute idée spirite à part, je n'ai pas le droit de créer, comme tant d'autres, une philosophie à ma guise, fût-elle absurde ? Si mes principes sont faux, que n'en mettent-ils d'autres à la place et ne les font-ils prévaloir ? Il paraît qu'en général on ne les trouve pas trop déraisonnables, puisqu'ils rencontrent un si grand nombre d'adhérents ; mais ne serait-ce pas cela même qui excite la mauvaise humeur de certaines gens ? Si ces principes ne trouvaient point de partisans, fussent-ils ridicules au premier chef, on n'en parlerait pas.
Les seconds, qui prétendent que je ne vais pas assez vite, voudraient me pousser, par bonne intention, je veux bien le croire, car il vaut mieux croire le bien que le mal, dans une voie où je ne veux pas m'engager. Sans donc me laisser influencer par les idées des uns et des autres, je poursuis ma route ; j'ai un but, je le vois, je sais quand et comment je l'atteindrai, et ne m'inquiète pas des clameurs des passants.
Vous le voyez, Messieurs, les pierres ne manquent pas sur mon chemin ; j'en passe et des plus grosses. Si l'on connaissait la véritable cause de certaines antipathies et de certains éloignements, on serait fort surpris de bien des choses ; il faudrait y ajouter les gens qui se sont mis à mon égard dans des positions fausses, ridicules ou compromettantes, et qui cherchent à se justifier, en dessous main, par de petites calomnies ; ceux qui avaient espéré m'attirer à eux par la flatterie, croyant m'amener à servir leurs desseins et qui ont reconnu l'inutilité de leurs manoeuvres pour me faire entrer dans leurs vues ; ceux que je n'ai ni flatté ni encensés et qui auraient voulu l'être ; ceux enfin qui ne me pardonnent pas de les avoir devinés, et qui sont comme le serpent sur lequel on met le pied. Si tous ces gens-là voulaient se mettre seulement un instant au point de vue extra-terrestre, et voir les choses d'un peu haut, ils comprendraient combien ce qui les préoccupe tant est puéril, et ne s'étonneraient pas du peu d'importance qu'y attache tout vrai Spirite. C'est que le Spiritisme ouvre des horizons si vastes, que la vie corporelle, si courte et si éphémère, s'efface avec toutes ses vanités et ses petites intrigues devant l'infini de la vie spirituelle.
Je ne dois cependant pas omettre un reproche qui m'a été adressé : c'est de ne rien faire pour ramener à moi les gens qui s'en éloignent. Cela est vrai, et si c'est un reproche fondé, je le mérite, car je n'ai jamais fait un pas pour cela, et voici les motifs de mon indifférence.
Ceux qui viennent à moi, c'est que cela leur convient ; c'est moins pour ma personne que par sympathie pour les principes que je professe. Ceux qui s'éloignent, c'est que je ne leur conviens pas, ou que notre manière de voir ne concorde pas ; pourquoi donc irais-je les contrarier, et m'imposer à eux ? Il me semble plus convenable de les laisser tranquilles. Je n'en aurais d'ailleurs vraiment pas le temps, car on sait mes occupations qui ne me laissent pas un instant de repos, et pour un qui s'en va, il y en a mille qui viennent ; je me dois donc à ceux-ci avant tout, et c'est ce que je fais. Est-ce la fierté ? Est-ce mépris des gens ? Oh ! assurément non ; je ne méprise personne ; je plains ceux qui agissent mal, je prie Dieu et les Bons Esprits de les ramener à de meilleurs sentiments, et voilà tout ; s'ils reviennent, ils sont toujours les bienvenus, mais pour courir après eux, jamais je ne le fais, en raison du temps que réclament les gens de bonne volonté ; en second lieu, parce que je n'attache pas à certaines personnes l'importance qu'elles attachent à elles-mêmes. Pour moi, un homme est un homme, et rien de plus ; je mesure sa valeur à ses actes, à ses sentiments, et non à son rang ; fût-il haut placé, s'il agit mal, s'il est égoïste et vain de sa dignité, il est à mes yeux au-dessous d'un simple ouvrier qui agit bien, et je serre plus cordialement la main d'un petit dont le coeur parle, que celle d'un grand dont le coeur ne dit rien ; la première me réchauffe, la seconde me glace.
Les personnages du plus haut rang m'honorent de leur visite, et jamais pour eux un prolétaire n'a fait antichambre. Souvent dans mon salon le prince se trouve côte-à-côte avec l'artisan ; s'il s'en trouvait humilié, je dirais qu'il n'est pas digne d'être Spirite ; mais, je suis heureux de le dire, je les ai vus souvent se serrer fraternellement la main, et je me suis dit : « Spiritisme, voilà un de tes miracles ; c'est l'avant-coureur de bien d'autres prodiges ! ».
Il ne tenait qu'à moi de m'ouvrir les portes du grand monde ; je n'ai jamais été y frapper ; cela me prendrait un temps que je crois pouvoir employer plus utilement. Je place en première ligne les consolations à donner à ceux qui souffrent ; relever les courages abattus ; arracher un homme à ses passions au désespoir, au suicide, l'avoir arrêté sur la pente du crime peut-être, cela ne vaut-il pas mieux que la vue des lambris dorés ? J'ai des milliers de lettres qui valent mieux pour moi que tous les honneurs de la terre, et que je regarde comme mes vrais titres de noblesse. Ne vous étonnez pas si je laisse aller ceux qui ne me recherchent pas.
J'ai des adversaires, je le sais ; mais le nombre n'en est pas aussi grand qu'on pourrait le croire d'après l'énumération que j'ai faite ; ils se trouvent dans les catégories que j'ai citées, mais ce ne sont toujours que des individualités, et le nombre est peu de chose comparé à ceux qui veulent bien me témoigner de la sympathie. D'ailleurs, jamais ils n'ont réussi à troubler mon repos ; jamais leurs machinations ni leurs diatribes ne m'ont ému ; et je dois ajouter que cette profonde indifférence de ma part, le silence que j'ai opposé à leurs attaques n'est pas ce qui les exaspère le moins. Quoi qu'ils fassent, jamais ils ne parviendront à me faire sortir de la modération qui est la règle de ma conduite ; jamais on ne pourra dire que j'ai répondu à l'injure par l'injure. Les personnes qui me voient dans l'intimité savent si jamais je m'occupe d'eux ; si jamais à la Société il a été dit un seul mot, ou fait une seule allusion les concernant. Dans la Revue, jamais je n'ai répondu à leurs agressions, quand elles se sont adressées à ma personne, et Dieu sait si ce sont les occasions qui ont manqué !
Que peut d'ailleurs leur mauvais vouloir ? Rien, ni contre la doctrine, ni contre moi-même. La doctrine prouve par sa marche progressive qu'elle ne craint rien ; quant à moi, je n'occupe aucune position, donc on ne peut rien m'enlever ; je ne demande rien, je ne sollicite rien, donc on ne peut rien me refuser ; je ne dois rien à personne, donc, on ne peut rien me réclamer ; je ne dis de mal de personne, pas même de ceux qui en disent de moi ; en quoi pourraient-ils donc me nuire ? Il est vrai qu'on peut me faire dire ce que je n'ai pas dit, et c'est ce qu'on a fait plus d'une fois ; mais ceux qui me connaissent savent ce que je suis capable de dire et de ne pas dire, et je remercie ceux qui, en pareil cas, ont bien voulu répondre de moi. Ce que je dis, je suis toujours prêt à le répéter, en présence de qui que ce soit, et quand j'affirme n'avoir pas dit ou fait une chose, je me crois le droit d'être cru.
D'ailleurs, que sont toutes ces choses en présence du but que nous, Spirites sincères et dévoués, poursuivons tous ! de cet immense avenir qui se déroule à nos yeux ? Croyez-moi, Messieurs, il faudrait regarder comme un vol fait à la grande oeuvre les instants que l'on y déroberait pour se préoccuper de ces misères. Pour ma part, je remercie Dieu, pour prix de quelques tribulations passagères, de m'avoir donné déjà ici-bas tant de compensations morales, et la joie d'assister au triomphe de la doctrine.
Je vous demande pardon, Messieurs, de vous avoir si longtemps entretenu de moi, mais j'ai cru qu'il était utile d'établir nettement la position, afin que vous sussiez à quoi vous en tenir selon les circonstances, et que vous soyez bien convaincus que ma ligne de conduite est tracée, et que rien ne m'en fera dévier. Du reste, je crois que de ces observations mêmes, et en faisant abstraction de la personne il a pu en ressortir quelques enseignements utiles.
Passons maintenant à un autre point, et voyons où en est le Spiritisme.
Le Spiritisme présente un phénomène inouï dans l'histoire des
philosophies, c'est la rapidité de sa marche ; nulle autre doctrine n'a
offert un exemple pareil. Quand on songe aux progrès qu'il fait d'année
en année, on peut, sans trop de présomption, prévoir l'époque où il sera
la croyance universelle.
La plupart des pays étrangers participent à ce mouvement : L'Autriche, la Pologne, la Russie, l'Italie, l'Espagne, Contantinople, etc. comptent de nombreux adeptes et plusieurs sociétés parfaitement organisées. J'ai plus de cent villes inscrites où il existe des réunions. Dans le nombre, Lyon et Bordeaux occupent le premier rang. Honneur donc à ces deux cités, imposantes par leur population et leurs lumières, qui ont planté haut et ferme le drapeau du Spiritisme. Plusieurs autres ambitionnent de marcher sur leurs traces.
Je suis à même de voir beaucoup de voyageurs ; tous s'accordent à dire que chaque année, ils trouvent un progrès dans l'opinion ; les rieurs diminuent à vue d'oeil. Mais à la raillerie succède la colère ; naguère on riait, aujourd'hui on se fâche ; c'est de bon augure, selon un vieux proverbe, et cela fait dire aux incrédules qu'il pourrait bien y avoir quelque chose.
Un fait non moins caractéristique, c'est que tout ce que les adversaires du Spiritisme ont fait pour en entraver la marche, loin de l'arrêter, en a activé le progrès, et l'on peut dire que partout le progrès est en raison de la violence des attaques. La presse l'a-t-elle prôné ? Chacun sait que loin de lui donner un coup d'épaule, elle lui a donné des coups de pied tant qu'elle a pu ; eh bien ! ces coups de pied n'ont abouti qu'à le faire avancer. Il en est de même des attaques de toute nature dont il a été l'objet.
Il y a donc une chose constante, c'est que, sans le secours d'aucun des moyens employés vulgairement pour faire ce qu'on appelle un succès, malgré les entraves qu'on lui a suscitées, il n'a cessé de grandir, et qu'il grandit tous les jours comme pour donner un démenti à ceux qui lui prédisaient sa fin prochaine. Est-ce une présomption, une forfanterie ? Non, c'est un fait qu'il est impossible de nier. Il a donc puisé sa force en lui-même, ce qui prouve la puissance de cette idée. Il faut bien que ceux que cela contrarie en prennent leur parti, et se résignent à laisser passer ce qu'ils ne peuvent arrêter. C'est que le Spiritisme est une idée, et que lorsqu'une idée marche, elle franchit toutes les barrières ; on ne l'arrête pas à la frontière comme un ballot de marchandises ; on brûle les livres, mais on ne brûle pas une idée, et leurs cendres mêmes, portées par le vent, vont féconder la terre où elle doit fructifier.
Mais il ne suffit pas de lancer une idée de par le monde pour qu'elle prenne racine ; non certes. On ne crée à volonté ni des opinions, ni des habitudes ; il en est de même des inventions et des découvertes : la plus utile échoue si elle vient avant son temps, si le besoin qu'elle est destinée à satisfaire n'existe pas encore. Ainsi en est-il des doctrines philosophiques, politiques, religieuses ou sociales ; il faut que l'esprit soit mûr pour les accepter ; venues trop tôt, elles restent à l'état latent, et, comme des fruits plantés hors de saison, elles ne prospèrent pas.
Si donc le Spiritisme trouve de si nombreuses sympathies, c'est que son temps est venu, c'est que les esprits étaient mûrs pour le recevoir ; c'est qu'il répond à un besoin, à une aspiration. Vous en avez la preuve dans le nombre, considérable aujourd'hui, des personnes qui l'accueillent sans surprise, comme une chose toute naturelle, lorsqu'on leur en parle pour la première fois, et qui disent qu'il leur semblait que les choses devaient être ainsi, mais sans pouvoir les définir. On sent le vide moral que l'incrédulité, le matérialisme font autour de l'homme ; on comprend que ces doctrines creusent un abîme pour la société ; qu'elles détruisent les liens les plus solides, ceux de la fraternité. Et puis instinctivement, l'homme a horreur du néant, comme la nature a horreur du vide, c'est pourquoi il accueille avec joie la preuve que le néant n'existe pas.
Mais, dira-t-on, ne lui enseigne-t-on pas chaque jour que le néant n'existe pas ? Sans doute on le lui enseigne ; mais alors comment se fait-il que l'incrédulité et l'indifférence aillent sans cesse croissant depuis un siècle ? C'est que les preuves qu'on lui donne ne lui suffisent plus aujourd'hui ; qu'elles ne sont plus en rapport avec les besoins de son intelligence. Le développement scientifique et industriel a rendu l'homme positif ; il veut se rendre compte de tout ; il veut savoir le pourquoi et le comment de chaque chose ; comprendre pour croire est devenu un besoin impérieux, c'est pourquoi la foi aveugle n'a plus d'empire sur lui. Selon les uns c'est un mal, selon les autres c'est un bien ; sans discuter le principe, nous dirons que telle est la marche de la nature ; l'humanité collective, comme les individus, a son enfance et son âge mûr ; quand elle est à l'âge mûr, elle secoue ses langes et veut faire usage de ses propres forces, c'est-à-dire de son intelligence ; la faire rétrograder est aussi impossible que de faire remonter un fleuve vers sa source.
Attaquer le mérite de la foi aveugle, dira-t-on, c'est une impiété, parce que Dieu veut qu'on accepte sa parole sans examen. La foi aveugle pouvait avoir sa raison d'être, je dirai même sa nécessité, à une certaine période de l'humanité ; si, aujourd'hui, elle ne suffit plus pour affermir la croyance, c'est qu'il est dans la nature de l'humanité qu'il en soit ainsi ; or, qui a fait les lois de la nature ? Dieu, ou Satan ? Si c'est Dieu, il ne saurait y avoir impiété à suivre ses lois. Si, aujourd'hui, comprendre pour croire est devenu un besoin pour l'intelligence, comme boire et manger en est un pour l'estomac, c'est que Dieu veut que l'homme fasse usage de son intelligence, autrement il ne la lui aurait pas donnée. Il est des gens qui n'éprouvent pas ce besoin ; qui se contentent de croire sans examen ; nous ne les blâmons nullement, et loin de nous la pensée de les troubler dans leur quiétude ; le Spiritisme ne s'adresse point à eux ; du moment qu'ils ont ce qu'il leur faut, il n'a rien à leur donner ; il ne donne point à manger de force à ceux qui déclarent n'avoir pas faim. Il ne s'adresse donc qu'à ceux à qui la nourriture intellectuelle qu'on leur donne ne suffit plus, et le nombre en est assez grand pour qu'il n'ait pas à s'occuper des autres ; de quoi donc ceux-ci ont-ils à se plaindre, puisqu'il ne va pas les chercher ? Il ne va chercher personne ; il ne s'impose à personne ; il se borne à dire : Me voilà, voilà ce que je suis ; voilà ce que j'apporte ; que ceux qui croient avoir besoin de moi viennent ; que les autres restent chez eux ; je ne vais pas les troubler dans leur conscience ; je ne leur dis point d'injures ; je ne leur demande que la réciprocité.
Pourquoi donc le matérialisme tend-il à supplanter la foi ? C'est que jusqu'à présent la foi ne raisonne pas ; elle se borne à dire : Croyez, tandis que le matérialisme raisonne. Ce sont des sophismes, j'en conviens, mais bonnes ou mauvaises, ce sont des raisons qui, dans la pensée de beaucoup, l'emportent sur ceux qui n'en donnent pas du tout. Ajoutez que l'idée matérialiste satisfait ceux qui se complaisent dans la vie matérielle ; qui veulent s'étourdir sur les conséquences de l'avenir ; qui espèrent, par là, échapper à la responsabilité de leurs actes ; en somme elle est éminemment favorable à la satisfaction de tous les appétits brutaux. Dans l'incertitude de l'avenir, l'homme se dit : Jouissons toujours du présent ; que me font mes semblables ? Pourquoi me sacrifier pour eux ? Ce sont mes frères, dit-on ; mais que me font des frères que je ne reverrai plus ! qui peut-être demain seront morts et moi aussi ? que serons-nous alors les uns pour les autres ? Rien, si une fois morts il ne reste rien de nous. Que me servirait de m'imposer des privations ? quelle compensation en retirerais-je, si tout finit avec moi ?
Fondez donc une société sur les bases de la fraternité avec des idées semblables ! L'égoïsme, telle en est la conséquence toute naturelle ; avec l'égoïsme, chacun tire à soi et c'est le plus fort qui l'emporte. Le faible dit à son tour : Soyons égoïste, puisque les autres le sont ; ne pensons qu'à nous, puisque les autres ne pensent qu'à eux.
Tel est, il faut en convenir, le mal qui tend à envahir la société moderne, et ce mal, comme un ver rongeur, peut la ruiner dans ses fondements ! Oh ! qu'ils sont coupables ceux qui la poussent dans cette voie ; qui s'efforcent de tuer les croyances ; qui préconisent le présent aux dépens de l'avenir ! Ils auront un terrible compte à rendre de l'usage qu'ils auront fait de leur intelligence !
Pourtant, l'incrédulité laisse après elle une vague d'inquiétude ; l'homme a beau chercher à se faire illusion, il ne peut se défendre de penser quelquefois à ce qu'il en adviendra de lui ; l'idée du néant le glace malgré lui ; il voudrait une certitude, et il n'en trouve pas, alors il flotte, il hésite, il doute, et le doute le tue ; il se sent malheureux au milieu même des jouissances matérielles qui ne peuvent combler le gouffre du néant qui s'ouvre devant lui, et où il croit qu'il va être précipité.
C'est à ce moment que vient le Spiritisme, comme une ancre de salut, comme un flambeau dans les ténèbres de son âme ; Il vient tirer l'homme du doute ; il vient combler l'horreur du vide, non par une vague espérance, mais par des preuves irrécusables : celles de l'observation des faits ; il vient ranimer sa foi, non en lui disant simplement : Croyez parce que je vous le dis, mais : Voyez, touchez, comprenez et croyez. Il ne pouvait donc venir dans un moment plus opportun, soit pour arrêter le mal avant qu'il ne fût incurable, soit pour satisfaire aux besoins de l'homme qui ne croit plus sur parole, qui veut raisonner ce qu'il croit. Le matérialisme l'avait séduit par ses faux raisonnements ; à ses sophismes il fallait opposer des raisonnements solides appuyés sur des preuves matérielles ; dans cette lutte, la foi aveugle n'était plus assez puissante ; voilà pourquoi je dis que le Spiritisme est venu en son temps.
Ce qui manque à l'homme, c'est donc la foi en l'avenir, et l'idée qu'on lui en donne ne peut satisfaire son goût du positif ; elle est trop vague, trop abstraite ; les liens qui le rattachent au présent ne sont pas assez définis. Le Spiritisme, au contraire, nous présente l'âme comme un être circonscrit, semblable à nous, moins l'enveloppe matérielle dont elle s'est dépouillée, mais revêtue d'une enveloppe fluidique, ce qui déjà est plus compréhensible, et en fait mieux concevoir l'individualité. De plus, il prouve, par l'expérience, les rapports incessants du monde visible et du monde invisible, qui deviennent ainsi solidaires l'un de l'autre ; les relations de l'âme avec la terre ne cessent point avec la vie ; l'âme, à l'état d'Esprit, constitue un des rouages, une des forces vives de la nature ; ce n'est plus un être inutile, qui ne pense plus et n'agit plus que pour lui pendant l'éternité, c'est toujours et partout un agent actif de la volonté de Dieu pour l'exécution de ses oeuvres. Ainsi, d'après la doctrine Spirite, tout se lie, tout s'enchaîne dans l'univers ; et dans ce grand mouvement admirablement harmonieux, les affections se survivent ; loin de s'éteindre, elles se fortifient en s'épurant.
Si ce n'était là qu'un système, il n'aurait sur l'autre que l'avantage d'être plus séduisant, sans offrir plus de certitude ; mais c'est le monde invisible lui-même qui vient se révéler à nous ; nous prouver qu'il est, non dans les régions de l'espace inaccessibles même à la pensée, mais là, à nos côtés ; qu'il nous entoure et que nous vivons au milieu de lui, comme un peuple d'aveugles au milieu de voyants. Cela peut déranger certaines idées, j'en conviens ; mais devant un fait, bon gré, mal gré, il faut s'incliner. On aura beau dire que cela n'est pas ; il faudrait prouver que cela ne peut pas être ; à des preuves palpables, il faudrait opposer des preuves plus palpables encore ; or, qu'oppose-t-on ? La négation.
Le Spiritisme s'appuie donc sur des faits ; les faits d'accord avec le raisonnement et une rigoureuse logique, donnent à la doctrine Spirite le caractère de positivisme qui convient à notre époque. Le matérialisme est venu saper toute croyance, enlever toute base, toute raison d'être à la morale, et miner les fondements mêmes de la société en proclamant le règne de l'égoïsme ; les hommes sérieux se sont alors demandé où un tel état de choses pouvait nous conduire ; ils ont vu un abîme, et voilà que le Spiritisme vient le combler ; il vient dire au matérialisme : Tu n'iras pas plus loin, car voici des faits qui prouvent la fausseté de tes raisonnements. Le matérialisme menaçait de faire sombrer la société en disant aux hommes : Le présent est tout, car l'avenir n'existe pas ; le Spiritisme vient la relever en leur disant : Le présent n'est rien, l'avenir est tout, et il le prouve.
Un adversaire a dit quelque part dans un journal que cette doctrine est pleine de séductions ; il ne pouvait, sans le vouloir, en faire un plus grand éloge et se condamner d'une manière plus péremptoire. Dire qu'une chose est séduisante, c'est dire qu'elle plaît ; or, c'est là le grand secret de la propagation du Spiritisme. Que ne lui oppose-t-on quelque chose de plus séduisant pour la supplanter ! Si on ne le fait pas, c'est qu'on n'a rien de mieux à donner. Pourquoi plaît-elle ? C'est ce qu'il est facile de dire.
Elle plaît :
1)parce qu'elle satisfait l'aspiration instinctive de l'homme vers l'avenir ;
2)parce qu'elle présente l'avenir sous un aspect que la raison peut admettre ;
3)parce que la certitude de la vie future fait prendre en patience les misères de la vie présente ;
4)parce qu'avec la pluralité des existences, ces misères ont une raison d'être, on se les explique, et au lieu d'en accuser la Providence, on les trouve justes et on les accepte sans murmure ;
5)parce qu'on est heureux de savoir que les êtres qui nous sont chers ne sont pas perdus sans retour, qu'on les reverra, et qu'ils sont souvent auprès de nous ;
6)parce que toutes les maximes données par les Esprits tendent à rendre les hommes meilleurs les uns pour les autres ; et bien d'autres motifs que les Spirites peuvent seuls comprendre. En échange, quels moyens de séduction offre le matérialisme ? Le néant. C'est là toute la consolation qu'il donne pour les misères de la vie.
Avec de tels éléments, l'avenir du Spiritisme ne saurait être douteux, et cependant, si l'on doit s'étonner d'une chose, c'est qu'il se soit frayé un chemin si rapide à travers les préjugés. Comment, et par quels moyens arrivera-t-il à la transformation de l'humanité, c'est ce qu'il nous reste à examiner.
La plupart des pays étrangers participent à ce mouvement : L'Autriche, la Pologne, la Russie, l'Italie, l'Espagne, Contantinople, etc. comptent de nombreux adeptes et plusieurs sociétés parfaitement organisées. J'ai plus de cent villes inscrites où il existe des réunions. Dans le nombre, Lyon et Bordeaux occupent le premier rang. Honneur donc à ces deux cités, imposantes par leur population et leurs lumières, qui ont planté haut et ferme le drapeau du Spiritisme. Plusieurs autres ambitionnent de marcher sur leurs traces.
Je suis à même de voir beaucoup de voyageurs ; tous s'accordent à dire que chaque année, ils trouvent un progrès dans l'opinion ; les rieurs diminuent à vue d'oeil. Mais à la raillerie succède la colère ; naguère on riait, aujourd'hui on se fâche ; c'est de bon augure, selon un vieux proverbe, et cela fait dire aux incrédules qu'il pourrait bien y avoir quelque chose.
Un fait non moins caractéristique, c'est que tout ce que les adversaires du Spiritisme ont fait pour en entraver la marche, loin de l'arrêter, en a activé le progrès, et l'on peut dire que partout le progrès est en raison de la violence des attaques. La presse l'a-t-elle prôné ? Chacun sait que loin de lui donner un coup d'épaule, elle lui a donné des coups de pied tant qu'elle a pu ; eh bien ! ces coups de pied n'ont abouti qu'à le faire avancer. Il en est de même des attaques de toute nature dont il a été l'objet.
Il y a donc une chose constante, c'est que, sans le secours d'aucun des moyens employés vulgairement pour faire ce qu'on appelle un succès, malgré les entraves qu'on lui a suscitées, il n'a cessé de grandir, et qu'il grandit tous les jours comme pour donner un démenti à ceux qui lui prédisaient sa fin prochaine. Est-ce une présomption, une forfanterie ? Non, c'est un fait qu'il est impossible de nier. Il a donc puisé sa force en lui-même, ce qui prouve la puissance de cette idée. Il faut bien que ceux que cela contrarie en prennent leur parti, et se résignent à laisser passer ce qu'ils ne peuvent arrêter. C'est que le Spiritisme est une idée, et que lorsqu'une idée marche, elle franchit toutes les barrières ; on ne l'arrête pas à la frontière comme un ballot de marchandises ; on brûle les livres, mais on ne brûle pas une idée, et leurs cendres mêmes, portées par le vent, vont féconder la terre où elle doit fructifier.
Mais il ne suffit pas de lancer une idée de par le monde pour qu'elle prenne racine ; non certes. On ne crée à volonté ni des opinions, ni des habitudes ; il en est de même des inventions et des découvertes : la plus utile échoue si elle vient avant son temps, si le besoin qu'elle est destinée à satisfaire n'existe pas encore. Ainsi en est-il des doctrines philosophiques, politiques, religieuses ou sociales ; il faut que l'esprit soit mûr pour les accepter ; venues trop tôt, elles restent à l'état latent, et, comme des fruits plantés hors de saison, elles ne prospèrent pas.
Si donc le Spiritisme trouve de si nombreuses sympathies, c'est que son temps est venu, c'est que les esprits étaient mûrs pour le recevoir ; c'est qu'il répond à un besoin, à une aspiration. Vous en avez la preuve dans le nombre, considérable aujourd'hui, des personnes qui l'accueillent sans surprise, comme une chose toute naturelle, lorsqu'on leur en parle pour la première fois, et qui disent qu'il leur semblait que les choses devaient être ainsi, mais sans pouvoir les définir. On sent le vide moral que l'incrédulité, le matérialisme font autour de l'homme ; on comprend que ces doctrines creusent un abîme pour la société ; qu'elles détruisent les liens les plus solides, ceux de la fraternité. Et puis instinctivement, l'homme a horreur du néant, comme la nature a horreur du vide, c'est pourquoi il accueille avec joie la preuve que le néant n'existe pas.
Mais, dira-t-on, ne lui enseigne-t-on pas chaque jour que le néant n'existe pas ? Sans doute on le lui enseigne ; mais alors comment se fait-il que l'incrédulité et l'indifférence aillent sans cesse croissant depuis un siècle ? C'est que les preuves qu'on lui donne ne lui suffisent plus aujourd'hui ; qu'elles ne sont plus en rapport avec les besoins de son intelligence. Le développement scientifique et industriel a rendu l'homme positif ; il veut se rendre compte de tout ; il veut savoir le pourquoi et le comment de chaque chose ; comprendre pour croire est devenu un besoin impérieux, c'est pourquoi la foi aveugle n'a plus d'empire sur lui. Selon les uns c'est un mal, selon les autres c'est un bien ; sans discuter le principe, nous dirons que telle est la marche de la nature ; l'humanité collective, comme les individus, a son enfance et son âge mûr ; quand elle est à l'âge mûr, elle secoue ses langes et veut faire usage de ses propres forces, c'est-à-dire de son intelligence ; la faire rétrograder est aussi impossible que de faire remonter un fleuve vers sa source.
Attaquer le mérite de la foi aveugle, dira-t-on, c'est une impiété, parce que Dieu veut qu'on accepte sa parole sans examen. La foi aveugle pouvait avoir sa raison d'être, je dirai même sa nécessité, à une certaine période de l'humanité ; si, aujourd'hui, elle ne suffit plus pour affermir la croyance, c'est qu'il est dans la nature de l'humanité qu'il en soit ainsi ; or, qui a fait les lois de la nature ? Dieu, ou Satan ? Si c'est Dieu, il ne saurait y avoir impiété à suivre ses lois. Si, aujourd'hui, comprendre pour croire est devenu un besoin pour l'intelligence, comme boire et manger en est un pour l'estomac, c'est que Dieu veut que l'homme fasse usage de son intelligence, autrement il ne la lui aurait pas donnée. Il est des gens qui n'éprouvent pas ce besoin ; qui se contentent de croire sans examen ; nous ne les blâmons nullement, et loin de nous la pensée de les troubler dans leur quiétude ; le Spiritisme ne s'adresse point à eux ; du moment qu'ils ont ce qu'il leur faut, il n'a rien à leur donner ; il ne donne point à manger de force à ceux qui déclarent n'avoir pas faim. Il ne s'adresse donc qu'à ceux à qui la nourriture intellectuelle qu'on leur donne ne suffit plus, et le nombre en est assez grand pour qu'il n'ait pas à s'occuper des autres ; de quoi donc ceux-ci ont-ils à se plaindre, puisqu'il ne va pas les chercher ? Il ne va chercher personne ; il ne s'impose à personne ; il se borne à dire : Me voilà, voilà ce que je suis ; voilà ce que j'apporte ; que ceux qui croient avoir besoin de moi viennent ; que les autres restent chez eux ; je ne vais pas les troubler dans leur conscience ; je ne leur dis point d'injures ; je ne leur demande que la réciprocité.
Pourquoi donc le matérialisme tend-il à supplanter la foi ? C'est que jusqu'à présent la foi ne raisonne pas ; elle se borne à dire : Croyez, tandis que le matérialisme raisonne. Ce sont des sophismes, j'en conviens, mais bonnes ou mauvaises, ce sont des raisons qui, dans la pensée de beaucoup, l'emportent sur ceux qui n'en donnent pas du tout. Ajoutez que l'idée matérialiste satisfait ceux qui se complaisent dans la vie matérielle ; qui veulent s'étourdir sur les conséquences de l'avenir ; qui espèrent, par là, échapper à la responsabilité de leurs actes ; en somme elle est éminemment favorable à la satisfaction de tous les appétits brutaux. Dans l'incertitude de l'avenir, l'homme se dit : Jouissons toujours du présent ; que me font mes semblables ? Pourquoi me sacrifier pour eux ? Ce sont mes frères, dit-on ; mais que me font des frères que je ne reverrai plus ! qui peut-être demain seront morts et moi aussi ? que serons-nous alors les uns pour les autres ? Rien, si une fois morts il ne reste rien de nous. Que me servirait de m'imposer des privations ? quelle compensation en retirerais-je, si tout finit avec moi ?
Fondez donc une société sur les bases de la fraternité avec des idées semblables ! L'égoïsme, telle en est la conséquence toute naturelle ; avec l'égoïsme, chacun tire à soi et c'est le plus fort qui l'emporte. Le faible dit à son tour : Soyons égoïste, puisque les autres le sont ; ne pensons qu'à nous, puisque les autres ne pensent qu'à eux.
Tel est, il faut en convenir, le mal qui tend à envahir la société moderne, et ce mal, comme un ver rongeur, peut la ruiner dans ses fondements ! Oh ! qu'ils sont coupables ceux qui la poussent dans cette voie ; qui s'efforcent de tuer les croyances ; qui préconisent le présent aux dépens de l'avenir ! Ils auront un terrible compte à rendre de l'usage qu'ils auront fait de leur intelligence !
Pourtant, l'incrédulité laisse après elle une vague d'inquiétude ; l'homme a beau chercher à se faire illusion, il ne peut se défendre de penser quelquefois à ce qu'il en adviendra de lui ; l'idée du néant le glace malgré lui ; il voudrait une certitude, et il n'en trouve pas, alors il flotte, il hésite, il doute, et le doute le tue ; il se sent malheureux au milieu même des jouissances matérielles qui ne peuvent combler le gouffre du néant qui s'ouvre devant lui, et où il croit qu'il va être précipité.
C'est à ce moment que vient le Spiritisme, comme une ancre de salut, comme un flambeau dans les ténèbres de son âme ; Il vient tirer l'homme du doute ; il vient combler l'horreur du vide, non par une vague espérance, mais par des preuves irrécusables : celles de l'observation des faits ; il vient ranimer sa foi, non en lui disant simplement : Croyez parce que je vous le dis, mais : Voyez, touchez, comprenez et croyez. Il ne pouvait donc venir dans un moment plus opportun, soit pour arrêter le mal avant qu'il ne fût incurable, soit pour satisfaire aux besoins de l'homme qui ne croit plus sur parole, qui veut raisonner ce qu'il croit. Le matérialisme l'avait séduit par ses faux raisonnements ; à ses sophismes il fallait opposer des raisonnements solides appuyés sur des preuves matérielles ; dans cette lutte, la foi aveugle n'était plus assez puissante ; voilà pourquoi je dis que le Spiritisme est venu en son temps.
Ce qui manque à l'homme, c'est donc la foi en l'avenir, et l'idée qu'on lui en donne ne peut satisfaire son goût du positif ; elle est trop vague, trop abstraite ; les liens qui le rattachent au présent ne sont pas assez définis. Le Spiritisme, au contraire, nous présente l'âme comme un être circonscrit, semblable à nous, moins l'enveloppe matérielle dont elle s'est dépouillée, mais revêtue d'une enveloppe fluidique, ce qui déjà est plus compréhensible, et en fait mieux concevoir l'individualité. De plus, il prouve, par l'expérience, les rapports incessants du monde visible et du monde invisible, qui deviennent ainsi solidaires l'un de l'autre ; les relations de l'âme avec la terre ne cessent point avec la vie ; l'âme, à l'état d'Esprit, constitue un des rouages, une des forces vives de la nature ; ce n'est plus un être inutile, qui ne pense plus et n'agit plus que pour lui pendant l'éternité, c'est toujours et partout un agent actif de la volonté de Dieu pour l'exécution de ses oeuvres. Ainsi, d'après la doctrine Spirite, tout se lie, tout s'enchaîne dans l'univers ; et dans ce grand mouvement admirablement harmonieux, les affections se survivent ; loin de s'éteindre, elles se fortifient en s'épurant.
Si ce n'était là qu'un système, il n'aurait sur l'autre que l'avantage d'être plus séduisant, sans offrir plus de certitude ; mais c'est le monde invisible lui-même qui vient se révéler à nous ; nous prouver qu'il est, non dans les régions de l'espace inaccessibles même à la pensée, mais là, à nos côtés ; qu'il nous entoure et que nous vivons au milieu de lui, comme un peuple d'aveugles au milieu de voyants. Cela peut déranger certaines idées, j'en conviens ; mais devant un fait, bon gré, mal gré, il faut s'incliner. On aura beau dire que cela n'est pas ; il faudrait prouver que cela ne peut pas être ; à des preuves palpables, il faudrait opposer des preuves plus palpables encore ; or, qu'oppose-t-on ? La négation.
Le Spiritisme s'appuie donc sur des faits ; les faits d'accord avec le raisonnement et une rigoureuse logique, donnent à la doctrine Spirite le caractère de positivisme qui convient à notre époque. Le matérialisme est venu saper toute croyance, enlever toute base, toute raison d'être à la morale, et miner les fondements mêmes de la société en proclamant le règne de l'égoïsme ; les hommes sérieux se sont alors demandé où un tel état de choses pouvait nous conduire ; ils ont vu un abîme, et voilà que le Spiritisme vient le combler ; il vient dire au matérialisme : Tu n'iras pas plus loin, car voici des faits qui prouvent la fausseté de tes raisonnements. Le matérialisme menaçait de faire sombrer la société en disant aux hommes : Le présent est tout, car l'avenir n'existe pas ; le Spiritisme vient la relever en leur disant : Le présent n'est rien, l'avenir est tout, et il le prouve.
Un adversaire a dit quelque part dans un journal que cette doctrine est pleine de séductions ; il ne pouvait, sans le vouloir, en faire un plus grand éloge et se condamner d'une manière plus péremptoire. Dire qu'une chose est séduisante, c'est dire qu'elle plaît ; or, c'est là le grand secret de la propagation du Spiritisme. Que ne lui oppose-t-on quelque chose de plus séduisant pour la supplanter ! Si on ne le fait pas, c'est qu'on n'a rien de mieux à donner. Pourquoi plaît-elle ? C'est ce qu'il est facile de dire.
Elle plaît :
1)parce qu'elle satisfait l'aspiration instinctive de l'homme vers l'avenir ;
2)parce qu'elle présente l'avenir sous un aspect que la raison peut admettre ;
3)parce que la certitude de la vie future fait prendre en patience les misères de la vie présente ;
4)parce qu'avec la pluralité des existences, ces misères ont une raison d'être, on se les explique, et au lieu d'en accuser la Providence, on les trouve justes et on les accepte sans murmure ;
5)parce qu'on est heureux de savoir que les êtres qui nous sont chers ne sont pas perdus sans retour, qu'on les reverra, et qu'ils sont souvent auprès de nous ;
6)parce que toutes les maximes données par les Esprits tendent à rendre les hommes meilleurs les uns pour les autres ; et bien d'autres motifs que les Spirites peuvent seuls comprendre. En échange, quels moyens de séduction offre le matérialisme ? Le néant. C'est là toute la consolation qu'il donne pour les misères de la vie.
Avec de tels éléments, l'avenir du Spiritisme ne saurait être douteux, et cependant, si l'on doit s'étonner d'une chose, c'est qu'il se soit frayé un chemin si rapide à travers les préjugés. Comment, et par quels moyens arrivera-t-il à la transformation de l'humanité, c'est ce qu'il nous reste à examiner.
Quand on considère l'état actuel de la société, on est tenté de regarder
sa transformation comme un miracle. Eh bien ! c'est un miracle que le
Spiritisme peut et doit accomplir, parce qu'il est dans les desseins de
Dieu, et à l'aide de son mot d'ordre : Hors la charité point de salut. Que la société prenne cette maxime pour devise et y conforme sa conduite, au lieu de celle-ci qui est à l'ordre du jour : La charité bien ordonnée commence par soi, et tout change. Le tout est de la faire accepter.
Le mot charité, vous le savez, Messieurs, a une acception très étendue. Il y a la charité en pensées, en paroles et en actions ; elle n'est pas seulement dans l'aumône. Celui-là est charitable en pensées qui est indulgent pour les fautes de son prochain ; charitable en paroles, qui ne dit rien qui puisse nuire à son prochain ; charitable en actions, qui assiste son prochain dans la mesure de ses forces. Le pauvre qui partage son morceau de pain avec un plus pauvre que lui est plus charitable et a plus de mérite aux yeux de Dieu que celui qui donne de son superflu sans se priver de rien. Quiconque nourrit contre son prochain des sentiments de haine, d'animosité, de jalousie, de rancune, manque de charité. La charité est la contre-partie de l'égoïsme ; l'une est l'abnégation de la personnalité, l'autre l'exaltation de la personnalité ; l'une dit : Pour vous d'abord et pour moi ensuite ; l'autre : Pour moi d'abord, et pour vous s'il en reste. La première est toute dans cette parole du Christ : « Faites pour les autres ce que vous voudriez qu'on fît pour vous » ; en un mot, elle s'applique, sans exception, à tous les rapports sociaux. Convenez que si tous les membres d'une société agissaient selon ce principe, il y aurait moins de déceptions dans la vie. Dès que deux hommes sont ensemble, ils contractent, par cela même, des devoirs réciproques ; s'ils veulent vivre en paix, ils sont obligés de se faire des concessions mutuelles. Ces devoirs augmentent avec le nombre des individus ; les agglomérations forment des touts collectifs qui ont aussi leurs obligations respectives ; vous avez donc outre les rapports d'individu à individu, ceux de ville à ville, de province à province, de contrée à contrée. Ces rapports peuvent avoir deux mobiles qui sont la négation l'un de l'autre : l'égoïsme et la charité, car il y a aussi l'égoïsme national. Avec l'égoïsme, l'intérêt personnel passe avant tout, chacun tire à soi, chacun ne voit dans son semblable qu'un antagoniste, un rival qui peut marcher sur nos brisées, qui peut nous exploiter ou que nous pouvons exploiter ; c'est à qui coupera l'herbe sous le pied de son voisin : la victoire est au plus adroit, et la société, chose triste à dire, consacre souvent cette victoire, ce qui fait qu'elle se partage en deux classes principales : les exploiteurs et les exploités. Il en résulte un antagonisme perpétuel qui fait de la vie un tourment, un véritable enfer. Remplacez l'égoïsme par la charité, et tout change ; nul ne cherchera à faire de tort à son voisin ; les haines et les jalousies s'éteindront faute d'aliment, et les hommes vivront en paix, s'entraidant au lieu de se déchirer. La charité remplaçant l'égoïsme, toutes les institutions sociales seront fondées sur le principe de la solidarité et de la réciprocité ; le fort protégera le faible au lieu de l'exploiter.
C'est un beau rêve, dira-t-on ; malheureusement, ce n'est qu'un rêve ; l'homme est égoïste par nature, par besoin, et le sera toujours. S'il en était ainsi, ce serait triste, et il faudrait alors se demander dans quel but le Christ est venu prêcher la charité aux hommes ; autant aurait valu la prêcher aux animaux. Examinons cependant.
Y a-t-il progrès du sauvage à l'homme civilisé ? Ne cherche-t-on pas tous les jours, à adoucir les moeurs des sauvages ? Dans quel but, si l'homme est incorrigible ? Etrange bizarrerie ! vous espérez corriger des sauvages, et vous pensez que l'homme civilisé ne peut s'améliorer ! Si l'homme civilisé avait la prétention d'avoir atteint la dernière limite du progrès accessible à l'espèce humaine, il suffirait de comparer les moeurs, le caractère, la législation, les institutions sociales d'aujourd'hui avec celles d'autrefois ; et cependant les hommes d'autrefois croyaient, eux aussi, avoir atteint le dernier échelon. Qu'eût répondu un grand seigneur du temps de Louis XIV si on lui eût dit qu'il pouvait y avoir un ordre de choses meilleur, plus équitable, plus humain que celui d'alors ? que ce régime plus équitable serait l'abolition des privilèges de castes, et l'égalité du grand et du petit devant la loi ? L'audacieux qui aurait dit cela eût peut-être payé cher sa témérité.
Concluons de là que l'homme est éminemment perfectible, et que les plus avancés d'aujourd'hui pourront sembler aussi arriérés dans quelques siècles que ceux du moyen-âge le sont par rapport à nous. Nier le fait serait nier le progrès qui est une loi de la nature.
Quoique l'homme ait gagné au point de vue moral, il faut convenir cependant que le progrès s'est plus accompli dans le sens intellectuel ; pourquoi cela ? C'est encore là un de ces problèmes qu'il était donné au Spiritisme de nous expliquer ; en nous montrant que le moral et l'intelligence sont deux voies qui marchent rarement de front ; tandis que l'homme fait quelques pas dans l'une, il reste en arrière dans l'autre ; mais plus tard il regagne le terrain qu'il avait perdu, et les deux forces finissent par s'équilibrer dans les incarnations successives. L'homme est arrivé à une période où les sciences, les arts et l'industrie ont atteint une limite inconnue jusqu'à ce jour ; si les jouissances qu'il en tire satisfont la vie matérielle, elles laissent un vide dans l'âme ; l'homme aspire à quelque chose de mieux : il rêve de meilleures institutions ; il veut la vie, le bonheur, l'égalité, la justice pour tous ; mais comment y atteindre avec les vices de la société, avec l'égoïsme surtout ? L'homme voit donc la nécessité du bien pour être heureux ; il comprend que le règne du bien peut seul lui donner le bonheur auquel il aspire ; ce règne, il le pressent, car instinctivement, il a foi en la justice de Dieu, et une voix secrète lui dit qu'une ère nouvelle va s'ouvrir.
Comment cela arrivera-t-il ? Puisque le règne du bien est incompatible avec l'égoïsme, il faut la destruction de l'égoïsme ; or, qui peut le détruire ? La prédominance du sentiment d'amour, qui porte les hommes à se traiter en frères et non en ennemis. La charité, c'est la base, la pierre angulaire de tout édifice social ; sans elle, l'homme ne bâtira que sur du sable. Que les efforts et surtout les exemples de tous les hommes de bien tendent donc à la propager ; qu'ils ne se découragent s'ils voient une recrudescence dans les mauvaises passions ; elles sont les ennemies du bien, et en le voyant avancer, elles doivent se ruer contre lui ; mais Dieu a permis que, par leurs propres excès mêmes, elles se tuent ; le paroxysme d'un mal est toujours le signe qu'il touche à sa fin.
Je viens de dire que sans la charité l'homme ne bâtit que sur le sable ; un exemple le fera mieux comprendre.
Quelques hommes bien intentionnés, touchés des souffrances d'une partie de leurs semblables, ont cru trouver le remède au mal dans certains systèmes de réforme sociale. A quelques différences près, le principe est à peu près le même dans tous, quel que soit le nom qu'on leur donne. Vie commune pour être moins onéreuse ; communauté de biens pour que chacun ait quelque chose ; participation de tous à l'oeuvre commune ; point de grandes richesses, mais aussi point de misère. Cela était fort séduisant pour celui qui, n'ayant rien, voyait déjà la bourse du riche entrer dans le fond social, sans calculer que la totalité des richesses mises en commun créerait une misère générale au lieu d'une misère partielle ; que l'égalité établie aujourd'hui serait rompue demain par la mobilité de la population et la différence entre les aptitudes ; que l'égalité permanente des biens suppose l'égalité des capacités et du travail. Mais là n'est pas la question ; il n'entre pas dans mon cadre d'examiner le fort et le faible de ces systèmes ; je fais abstraction des impossibilités dont je viens de parler, et me propose de les envisager à un autre point de vue dont je ne sache pas qu'on se soit encore préoccupé, et qui se rattache à notre sujet.
Les auteurs, fondateurs ou promoteurs de tous ces systèmes, sans exception, ne se sont proposé que l'organisation de la vie matérielle d'une manière profitable pour tous. Le but est louable sans contredit ; reste à savoir si, à cet édifice, il ne manque pas la base qui seule pourrait le consolider, en admettant qu'il fût praticable.
La communauté est l'abnégation la plus complète de la personnalité ; chacun devant payer de sa personne, elle requiert le dévouement le plus absolu. Or, le mobile de l'abnégation et du dévouement, c'est la charité, c'est-à-dire l'amour du prochain. Mais nous avons reconnu que le fondement de la charité, c'est la croyance ; que le défaut de croyance conduit au matérialisme, et le matérialisme à l'égoïsme. Dans un système qui, de sa nature, requiert pour sa stabilité les vertus morales au suprême degré, il fallait prendre le point de départ dans l'élément spirituel ; eh bien ! non-seulement il n'en est tenu aucun compte, le côté matériel étant le but unique, mais plusieurs sont fondés sur une doctrine matérialiste hautement avouée, ou sur un panthéisme, sorte de matérialisme déguisé ; c'est-à-dire décorés du beau nom de fraternité ; mais la fraternité, pas plus que la charité, ne s'impose ni ne se décrète ; il faut qu'elle soit dans le coeur ; ce n'est pas le système qui l'y fera naître si elle n'y est déjà, tandis que le défaut contraire ruinera le système et le fera tomber dans l'anarchie, parce que chacun voudra tirer à soi. L'expérience est là pour prouver qu'il n'étouffe ni les ambitions ni la cupidité. Avant de faire la chose pour les hommes, il fallait former les hommes pour la chose, comme on forme des ouvriers avant de leur confier un travail ; avant de bâtir, il faut s'assurer de la solidité des matériaux. Ici les matériaux solides sont les hommes de coeur, de dévouement et d'abnégation. Avec l'égoïsme, l'amour et la fraternité sont de vains mots, ainsi que nous l'avons dit ; comment donc, sous l'empire de l'égoïsme, fonder un système qui requiert l'abnégation à un degré d'autant plus grand, qu'il a pour principe essentiel la solidarité de tous pour chacun et de chacun pour tous ? Quelques-uns ont quitté le sol natal pour aller fonder au loin des colonies sous le régime de la fraternité ; ils ont voulu fuir l'égoïsme qui les écrasait, mais l'égoïsme les a suivis, et là encore il s'est trouvé des exploiteurs et des exploités, parce que la charité a fait défaut. Ils ont cru qu'il leur suffisait d'emmener le plus de bras possible, sans songer qu'ils emmenaient en même temps les vers rongeurs de leur institution, ruinée d'autant plus vite qu'ils n'avaient en eux ni une force morale ni une force matérielle suffisantes.
Ce qu'il leur fallait, c'était moins des bras nombreux que des coeurs solides ; malheureusement beaucoup ne les ont suivis que parce que, n'ayant rien su faire ailleurs, ils ont cru s'affranchir de certaines obligations personnelles ; ils n'ont vu qu'un but séduisant, sans voir la route épineuse pour l'atteindre. Déçus dans leurs espérances, en reconnaissant qu'avant de jouir il fallait beaucoup travailler, beaucoup sacrifier, beaucoup souffrir, ils ont eu pour perspective le découragement et le désespoir ; vous savez ce qu'il est advenu de la plupart. Leur tort est d'avoir voulu bâtir un édifice en commençant par le faîte, avant d'avoir assis des fondements solides. Etudiez l'histoire et la cause de la chute des Etats les plus florissants, et partout vous verrez la main de l'égoïsme, de la cupidité, de l'ambition.
Sans la charité, il n'y a pas d'institution humaine stable, et il n'y a ni charité ni fraternité possibles, dans la véritable acception du mot, sans la croyance. Appliquez-vous donc à développer ces sentiments qui, en grandissant, tueront l'égoïsme qui vous tue. Quand la charité aura pénétré les masses, quand elle sera devenue la foi, la religion de la majorité, alors vos institutions s'amélioreront d'elles-mêmes par la force des choses ; les abus, nés du sentiment de la personnalité, disparaîtront. Enseignez donc la charité, et surtout, prêchez d'exemple : c'est l'ancre de salut de la société. Elle seule peut amener le règne du bien sur la terre, qui est le règne de Dieu ; sans elle, quoi que vous fassiez, vous ne créerez que des utopies dont vous ne retirerez que des déceptions. Si le Spiritisme est une vérité, s'il doit régénérer le monde, c'est parce qu'il a pour base la charité. Il ne vient ni renverser le culte, ni en établir un nouveau ; il proclame et prouve les vérités communes à tous, bases de toutes les religions, sans se préoccuper des points de détail. Il ne vient détruire qu'une chose : le matérialisme, qui est la négation de toute religion ; ne renverser qu'un seul temple : celui de l'égoïsme et de l'orgueil, et donner une sanction pratique à ces paroles du Christ qui sont toute sa loi : Aimez votre prochain comme vous-mêmes. Ne vous étonnez donc pas qu'il ait pour adversaires les adorateurs du veau d'or, dont il vient briser les autels. Il a naturellement contre lui ceux qui trouvent sa morale gênante, ceux qui auraient volontiers pactisé avec les Esprits et leurs manifestations, si les Esprits se fussent contentés de les amuser ; s'ils n'étaient venus rabaisser leur orgueil, leur prêcher l'abnégation, le désintéressement et l'humilité. Laissez-les dire et faire ; les choses n'en suivront pas moins la marche qui est dans les desseins de Dieu.
Le Spiritisme, par sa puissante révélation, vient donc hâter la réforme sociale. Ses adversaires riront sans doute de cette prétention, et cependant elle n'a rien de présomptueux. Nous avons démontré que l'incrédulité, le simple doute sur l'avenir, porte l'homme à se concentrer sur la vie présente, ce qui tout naturellement développe le sentiment d'égoïsme. Le seul remède au mal est de concentrer son attention sur un autre point et de le dépayser, pour ainsi dire, afin de lui faire perdre ses habitudes. Le Spiritisme, en prouvant d'une manière patente l'existence du monde invisible, amène forcément un ordre d'idées tout autre, car il élargit l'horizon moral borné à la terre. L'importance de la vie corporelle diminue à mesure que grandit celle de la vie spirituelle ; tout naturellement on se place à un autre point de vue, et ce qui nous semblait une montagne ne nous paraît plus qu'un grain de sable ; les vanités, les ambitions d'ici-bas deviennent des puérilités, des hochets d'enfants en présence de l'avenir grandiose qui nous attend. Tenant moins aux choses terrestres, on cherche moins à se satisfaire aux dépens des autres ; d'où une diminution dans le sentiment d'égoïsme.
Le Spiritisme ne se borne pas à prouver le monde invisible ; par les exemples qu'il déroule à nos yeux, il nous le montre dans sa réalité, et non tel que l'imagination l'avait fait concevoir ; il nous le montre peuplé d'êtres heureux ou malheureux, mais il prouve que la charité, la souveraine loi du Christ, peut seule y assurer le bonheur. D'un autre côté, nous voyons la société terrestre s'entre-déchirer sous l'empire de l'égoïsme, tandis qu'elle vivrait heureuse et paisible sous celui de la charité. Tout est donc bénéfice pour l'homme avec la charité : bonheur en ce monde et bonheur en l'autre. Ce n'est plus, selon l'expression d'un matérialiste, un sacrifice de dupes ; c'est, selon celle du Christ : de l'argent placé au centuple. Avec le Spiritisme, l'homme comprend qu'il a tout à gagner à faire le bien, et tout à perdre à faire le mal ; or, entre, je ne dirai pas la chance, mais la certitude de perdre ou de gagner, le choix ne saurait être douteux. Donc la propagation de l'idée spirite tend nécessairement à rendre les hommes meilleurs les uns pour les autres. Ce qu'il fait aujourd'hui sur les individus, il le fera sur les masses quand il sera généralement répandu. Tâchons donc de le répandre dans l'intérêt de tous.
Je prévois une objection que l'on pourrait faire en disant que, selon ces idées, la pratique du bien serait un calcul intéressé. A cela je réponds que l'Eglise, en promettant les joies du ciel ou en menaçant des flammes de l'enfer, conduit elle-même les hommes par l'espérance et la crainte ; que le Christ lui-même a dit que ce que l'on donne en ce monde sera rendu au centuple. Sans doute, il y a plus de mérite à faire le bien spontanément sans penser aux conséquences, mais tous les hommes n'en sont pas encore arrivés là, et il vaut encore mieux faire le bien avec ce stimulant que de ne pas le faire du tout.
On dit quelquefois des gens qui font le bien sans dessein prémédité et pour ainsi dire sans s'en douter, qu'ils n'ont pas de mérite, parce qu'ils n'ont point d'efforts à faire ; c'est une erreur. L'homme n'arrive à rien sans efforts ; celui qui n'a plus à en faire dans cette existence a dû lutter dans une précédente, et le bien a fini par s'identifier avec lui, c'est pourquoi il lui semble tout naturel ; il en est chez lui du bien, comme chez d'autres des idées qui, elles aussi, ont leur source dans un travail antérieur. C'est encore un des problèmes que le Spiritisme vient résoudre. Les hommes de bien ont donc eu aussi le mérite de la lutte ; pour eux la victoire est remportée, les autres ont encore à vaincre ; voilà pourquoi, comme à des enfants, il faut un stimulant, c'est-à-dire un but à atteindre ou, si vous le voulez, un prix à remporter.
Une autre objection plus sérieuse est celle-ci. Si le Spiritisme produit tous ces résultats, les Spirites doivent être les premiers à en profiter ; l'abnégation, le dévouement désintéressé, l'indulgence pour autrui, l'abstention absolue de toute parole ou de tout acte pouvant nuire au prochain, la charité, en un mot, dans sa plus pure acception, doit être la règle invariable de leur conduite ; ils ne doivent connaître ni l'orgueil, ni la jalousie, ni l'envie, ni la rancune, ni les sottes vanités, ni les puériles susceptibilités d'amour-propre ; ils doivent faire le bien pour le bien, avec modestie et sans ostentation, en pratiquant cette maxime du Christ : « Que votre main gauche ne sache pas ce que donne votre main droite », nul ne méritera qu'on lui applique ce vers de Racine :
Un bienfait reproché tient toujours lieu d'offense.
Enfin, la plus parfaite harmonie doit régner entre eux. Pourquoi donc cite-t-on des exemples qui semblent contredire l'efficacité de ces belles maximes ?
Dans le principe des manifestations spirites, beaucoup les ont acceptées sans en prévoir les conséquences ; la plupart n'y ont vu que des effets plus ou moins curieux ; mais lorsqu'il en est sorti une morale sévère, des devoirs rigoureux à remplir, beaucoup ne se sont pas senti la force de la pratiquer et de s'y conformer ; ils n'ont eu le courage ni du dévouement, ni de l'abnégation, ni de l'humilité ; chez eux, la nature corporelle l'a emporté sur la nature spirituelle ; ils ont pu croire, mais ils ont reculé devant l'exécution. Il n'y avait donc, dans l'origine, que des Spirites, c'est-à-dire des croyants ; la philosophie et la morale ont ouvert à cette science un horizon nouveau, et créé des Spirites Pratiquants ; les uns sont restés en arrière, les autres sont allés en avant.
Plus la morale a été sublime, plus elle a fait ressortir les imperfections de ceux qui n'ont pas voulu la suivre, comme une lumière éclatante fait ressortir les ombres ; c'était un miroir : quelques-uns n'ont pas voulu s'y regarder ou, croyant s'y reconnaître, ont préféré jeter la pierre à qui le leur montrait. Telle est encore la cause de certaines animosités ; mais, je suis heureux de le dire, ce sont là des exceptions ; quelques petites noires sur un immense tableau et qui ne sauraient en altérer l'éclat. Elles appartiennent en grande partie à ce qu'on pourrait appeler les Spirites de première formation ; quant à ceux qui se sont formés depuis et se forment chaque jour, la grande majorité a accepté la doctrine précisément à cause de sa morale et de sa philosophie, c'est pourquoi ils s'efforcent de pratiquer. Prétendre qu'ils doivent tous être devenus parfaits, ce serait méconnaître la nature de l'humanité ; mais n'auraient-ils dépouillé que quelques parties du vieil homme, ce serait toujours un progrès dont il faut tenir compte ; ceux-là seuls sont inexcusables aux yeux de Dieu, qui, étant bien et dûment éclairés, n'en auraient pas profité comme ils le pouvaient ; à ceux-là, certes, il sera demandé un compte sévère dont ils pourront, ainsi que nous en avons de nombreux exemples, subir les conséquences dès ici-bas ; mais, à côté de ceux-là, il en est beaucoup aussi en qui il s'est opéré une véritable métamorphose ; qui ont trouvé dans cette croyance la force de vaincre des penchants depuis longtemps enracinés, de rompre avec de vieilles habitudes, de faire taire les ressentiments et les inimitiés, de rapprocher les distances sociales. On demande au Spiritisme des miracles : voilà ceux qu'il produit.
Ainsi, par la force des choses, le Spiritisme aura pour conséquence inévitable l'amélioration morale ; cette amélioration conduira à la pratique de la charité, et de la charité naîtra le sentiment de la fraternité. Lorsque les hommes seront imbus de ces idées, ils y conformeront leurs institutions, et c'est ainsi qu'ils amèneront naturellement et sans secousse toutes les réformes désirables ; c'est la base sur laquelle ils assoiront l'édifice social futur.
Cette transformation est inévitable, parce qu'elle est selon la loi du progrès ; mais si elle ne suit que la marche naturelle des choses, son accomplissement peut être encore fort long. Si nous en croyons la révélation des Esprits, il serait dans les desseins de Dieu de l'activer, et nous sommes aux temps prédits pour cela ; la concordance des communications sous ce rapport est un fait digne de remarque ; de toutes parts il est dit que nous touchons à l'ère nouvelle, et que de grandes choses vont s'accomplir. On aurait tort cependant de croire le monde menacé d'un cataclysme matériel ; en scrutant les paroles du Christ, il est évident qu'en cette circonstance, comme en beaucoup d'autres, il a parlé d'une manière allégorique. La rénovation de l'humanité, le règne du bien succédant au règne du mal, sont d'assez grandes choses qui peuvent s'accomplir, sans qu'il soit besoin d'englober le monde dans un naufrage universel, ni de faire apparaître des phénomènes extraordinaires, ni de déroger aux lois naturelles. C'est toujours en ce sens que les Esprits se sont exprimés.
La terre étant arrivée au temps marqué pour devenir un séjour heureux, et s'élever ainsi dans la hiérarchie des mondes, il suffit à Dieu de ne plus permettre aux Esprits imparfaits de s'y réincarner ; d'en éloigner ceux qui, par orgueil, leur incrédulité, leurs mauvais instincts, en un mot, seraient un obstacle au progrès et troubleraient la bonne harmonie, comme vous le faites vous-même dans une assemblée où vous voulez avoir la paix et la tranquillité, et d'où vous écartez ceux qui pourraient y porter le désordre ; comme on expulse d'un pays les malfaiteurs que l'on relègue dans des contrées lointaines. Que dans la race, ou mieux, pour nous servir des paroles du Christ, dans la génération des Esprits envoyés en expiation sur la terre, ceux qui sont demeurés incorrigibles disparaissent, et qu'ils soient remplacés par une génération d'Esprits plus avancés, il suffit pour cela d'une génération d'hommes et de la volonté de Dieu qui peut aussi, par des événements inattendus, quoique très naturels, activer leur départ d'ici. Si donc, comme cela est dit, la plupart des enfants qui naissent aujourd'hui appartiennent à la nouvelle génération d'Esprits meilleurs, les autres s'en allant chaque jour pour ne plus revenir, il est évident, que dans un temps donné, il peut y avoir un renouvellement complet. Que deviendront les Esprits exilés ? Ils iront dans des mondes inférieurs expier leur endurcissement par de longs siècles de terribles épreuves, car eux aussi sont des anges rebelles, puisqu'ils ont méconnu la puissance de Dieu, et se sont révoltés contre ses lois que Christ était venu leur rappeler[1].
Quoi qu'il en soit, rien ne se fait brusquement dans la nature ; le vieux levain laissera encore pendant quelque temps des traces qui s'effaceront peu à peu. Quand les Esprits nous disent, et ils le disent partout, que nous touchons à ce moment, ne croyez pas que nous allons être témoins d'un changement à vue ; ils entendent que nous sommes au moment de la transition ; nous assistons au départ des anciens, et à l'arrivée des nouveaux qui viennent fonder le nouvel ordre de choses, c'est-à-dire le règne de la justice et de la charité qui est le véritable règne de Dieu prédit par les prophètes, et dont le Spiritisme vient préparer les voies.
Vous le voyez, messieurs, nous sommes déjà bien loin des tables tournantes, et pourtant à peine quelques années nous séparent de ce berceau du Spiritisme ! Quiconque eût été assez audacieux alors pour prédire ce qu'il en serait aujourd'hui, eût passé pour un insensé aux yeux même des adeptes. En voyant une petite graine, qui pourrait comprendre, s'il ne l'avait vu, qu'il en sortira un arbre immense ? En voyant l'enfant né dans une étable d'un pauvre village de Judée, qui pouvait croire que, sans faste et sans puissance mondaine, sa simple voix remuerait le monde, assisté seulement de quelques pêcheurs ignorants et pauvres comme lui ? Il en est ainsi du Spiritisme qui, sorti d'un humble et vulgaire phénomène, étend déjà ses racines de toutes parts, et dont bientôt les rameaux abriteront toute la terre ? C'est que les choses vont vite quand Dieu le veut ; et qui ne verrait là le doigt de Dieu, car rien n'arrive sans sa volonté !
En voyant la marche irrésistible des choses, vous pouvez dire aussi, comme jadis les Croisés marchant à la conquête de la Terre-Sainte : Dieu le veut ! mais avec cette différence qu'ils marchaient le fer et le feu à la main, tandis que vous n'avez pour arme que la charité qui, au lieu de faire des blessures mortelles, verse un baume salutaire sur les coeurs endoloris ; et avec cette arme pacifique, qui brille aux yeux comme un rayon divin, et non comme un fer meurtrier, qui sème l'espérance et non la crainte, vous avez en quelques années ramené au bercail de la foi plus de brebis égarées que n'eussent pu le faire plusieurs siècles de violence et de contrainte. C'est avec la charité pour guide que le Spiritisme marche à la conquête du monde.
Est-ce une chimère, un rêve fantastique dont je vous ai tracé le tableau ? Non ; la raison, la logique, l'expérience, tout dit que c'est une réalité.
Spirites ! vous êtes les premiers pionniers de cette grande oeuvre ; rendez-vous dignes de cette glorieuse mission dont les premiers vous recueillerez les fruits ; prêchez de paroles, mais surtout prêchez d'exemple ; faites qu'en vous voyant on ne puisse pas dire que les maximes que vous enseignez sont de vains mots dans votre bouche. A l'exemple des apôtres, faites des miracles, Dieu vous en a accordé le don ; non des miracles pour frapper les sens, mais des miracles de charité et d'amour ; soyez bons pour vos frères ; soyez bons pour tout le monde ; soyez bons pour vos ennemis ! A l'exemple des apôtres, chassez les démons, vous en avez le pouvoir, et ils pullulent autour de vous ; ce sont les démons de l'orgueil, de l'ambition, de l'envie, de la jalousie, de la cupidité, de la sensualité qui soufflent toutes les mauvaises passions et secouent parmi vous les brandons de discorde ; chassez-les de vos coeurs, afin que vous ayez la force de les chasser du coeur des autres. Faites ces miracles, et Dieu vous bénira, et les générations futures vous béniront, comme celles d'aujourd'hui bénissent les premiers chrétiens dont beaucoup revivent parmi vous pour assister et concourir au couronnement de l'oeuvre du Christ ; faites ces miracles, et vos noms seront inscrits glorieusement dans les annales du Spiritisme ; n'en ternissez pas l'éclat par des sentiments et des actes indignes de vrais Spirites, de Spirites Chrétiens ; dépouillez au plus tôt ce qui pourrait encore rester en vous du vieux levain ; songez que d'un moment à l'autre, demain peut-être, l'ange de la mort peut venir frapper à votre porte et vous dire : Dieu t'appelle pour lui rendre compte de ce que tu as fait de sa parole, de la parole de son Fils qu'il t'a fait répéter par ses bons Esprits. Soyez donc toujours prêts à partir, et ne faites pas comme le voyageur imprudent qui est pris au dépourvu ; faites vos provisions d'avance, c'est-à-dire provisions de bonnes oeuvres et de bons sentiments, car malheur à celui que le moment fatal surprendrait avec la haine, l'envie ou la jalousie dans le coeur ; ce seraient les mauvais Esprits qui lui feraient escorte, et se réjouiraient des malheurs qui l'attendent, car ces malheurs seraient leur oeuvre ; et vous savez, Spirites, quels sont ces malheurs : ceux qui les endurent viennent eux-mêmes vous décrire leurs souffrances. A ceux, au contraire, qui se présenteront purs, les Bons Esprits viendront tendre la main en leur disant : Frères, soyez les bienvenus au céleste séjour, où vous attendent les chants d'allégresse !
Vos adversaires pourront rire de vos croyances aux Esprits et à leurs manifestations, mais ils ne riront pas des qualités que donnent ces croyances ; ils ne riront pas quand ils verront des ennemis se pardonner au lieu de se haïr, la paix renaître entre des proches divisés, l'incrédule d'autrefois prier aujourd'hui, l'homme violent et colère devenu doux et paisible, le débauché devenu rangé et bon père de famille, l'orgueilleux devenu humble, l'égoïste devenu charitable ; ils ne riront pas quand ils verront qu'ils n'ont plus à craindre la vengeance de leur ennemi devenu Spirite ; le riche ne rira pas quand il verra le pauvre ne plus envier sa fortune, et le pauvre bénira le riche devenu plus humain et plus généreux, au lieu de le jalouser ; les chefs ne riront plus de leurs subordonnés et ne les molesteront plus quand ils les verront plus scrupuleux et plus consciencieux dans l'accomplissement de leurs devoirs ; les maîtres enfin encourageront leurs serviteurs et leurs tenanciers, quand ils les verront, sous l'empire de la foi spirite, plus fidèles, plus dévoués et plus sincères ; tous diront que le Spiritisme est bon à quelque chose, ne fût-ce qu'à sauvegarder leurs intérêts matériels : tant pis pour eux s'ils ne voient pas au-delà. Sous l'empire de cette même foi, le militaire est plus discipliné, plus humain, plus facile à conduire ; il a le sentiment du devoir, et il obéit plus par raison que par crainte. C'est ce que constatent tous les chefs imbus de ces principes, et ils sont nombreux ; aussi font-ils des voeux pour qu'aucune entrave ne s'oppose à la propagation de ces idées parmi leurs inférieurs.
Voilà, messieurs les rieurs, ce que produit le Spiritisme, cette utopie du dix-neuvième siècle, partiellement encore, il est vrai, mais déjà on reconnaît cette influence, et bientôt on comprendra qu'on a tout à gagner à sa promulgation ; que son influence est une garantie de sécurité pour les relations sociales, parce qu'il est le frein le plus puissant opposé aux passions mauvaises, aux effervescences désordonnées, en montrant le lien d'amour et de fraternité qui doit unir le grand au petit et le petit au grand. Faites donc, par votre exemple, que bientôt on puisse dire : Plût à Dieu que tous les hommes fussent Spirites de coeur.
Chers frères Spirites, je viens vous montrer la route, vous faire voir le but. Puissent mes paroles, toutes faibles qu'elles sont, vous en avoir fait comprendre la grandeur ! Mais d'autres viendront après moi qui vous la montreront aussi, et dont la voix plus puissante que la mienne aura pour les nations l'éclat retentissant de la trompette. Oui, mes frères, des Esprits, messagers de Dieu pour établir son règne sur la terre, surgiront bientôt parmi vous, et vous les reconnaîtrez à leur sagesse et à l'autorité de leur langage. A leur voix, les incrédules et les impies seront frappés d'étonnement et de stupeur et courberont la tête, car ils n'oseront les traiter de fous. Que ne puis-je, mes frères, vous révéler encore tout ce que nous prépare l'avenir ! Mais le temps est proche où tous ces mystères seront dévoilés pour la confusion des méchants et la glorification des bons.
Pendant qu'il en est temps encore, revêtez-vous donc de la robe blanche : étouffez toutes les discordes, car les discordes appartiennent au règne du mal qui va finir. Puissiez-vous tous vous confondre dans une seule et même famille, et vous donner du fond du coeur et sans arrière-pensée le nom de frères. Si parmi vous il y avait des dissidences, des causes d'antagonisme ; si les groupes qui doivent tous marcher vers un but commun étaient divisés, je vous le dis à regret, sans me préoccuper des causes, sans examiner qui peut avoir les premiers torts, je me rangerais, sans hésiter, du côté de celui où il y aurait le plus de charité, c'est-à-dire le plus d'abnégation et de véritable humilité, car celui qui manque de charité a toujours tort, eût-il raison d'un autre côté, et Dieu maudit celui qui dit à son frère : Racca. Les groupes sont des individus collectifs qui doivent vivre en paix comme les individus, s'ils sont vraiment Spirites ; ce sont les bataillons de la grande phalange ; or, que deviendrait une phalange dont les bataillons seraient divisés ? Ceux qui verraient les autres d'un oeil jaloux prouveraient, par cela seul, qu'ils sont sous une mauvaise influence, car l'Esprit du bien ne saurait produire le mal. Vous le savez, on reconnaît l'arbre au fruit qu'il porte : or, le fruit de l'orgueil, de l'envie et de la jalousie est un fruit empoisonné qui tue celui qui s'en nourrit.
Ce que je dis des dissidences entre les groupes, je le dis également de celles qui pourraient exister entre individus. En pareille circonstance, l'opinion des gens impartiaux est toujours favorable à celui qui fait preuve de plus de grandeur et de générosité. Ici-bas, personne n'étant infaillible, l'indulgence réciproque est une conséquence du principe de charité qui nous dit d'agir envers les autres comme nous voudrions que les autres agissent envers nous ; or, sans indulgence point de charité, sans charité point de vrai Spirite. La modération est un des signes caractéristiques de ce sentiment, comme l'acrimonie et la rancune en sont la négation ; avec l'aigreur et l'esprit vindicatif on gâte les meilleures causes, tandis qu'avec la modération on ajoute à son bon droit si on l'a de son côté, et on se le donne si on ne l'a pas. Si donc j'avais à me faire une opinion dans un différend, je me préoccuperais moins de la cause que des conséquences. La cause, dans les querelles de mots surtout, peut être le résultat d'un premier mouvement dont on n'est pas toujours maître ; la conduite ultérieure des deux adversaires est le résultat de la réflexion : ils agissent de sang-froid, et c'est alors que le véritable caractère normal de chacun se dessine. Mauvaise tête et bon coeur vont très souvent ensemble, mais rancune et bon coeur sont incompatibles. Ma mesure d'appréciation serait donc la charité, c'est-à-dire que j'observerais celui qui dit le moins de mal de son adversaire, celui qui est le plus modéré dans ses récriminations. C'est sur cette mesure que Dieu nous jugera, car il sera indulgent pour qui, lui-même, aura été indulgent ; il sera inflexible pour celui qui aura été inflexible.
La voie tracée par la charité est claire, infaillible et sans équivoque. On pourrait la définir ainsi : « Sentiment de bienveillance, de justice et d'indulgence à l'égard du prochain, basé sur ce qu'on voudrait que le prochain fît pour nous. » En la prenant pour guide, on est certain de ne pas s'écarter du droit chemin, de celui qui conduit à Dieu : quiconque veut sincèrement et sérieusement travailler à son amélioration, doit analyser la charité dans ses plus minutieux détails, et y conformer sa conduite, car elle a son application dans toutes les circonstances de la vie, petites ou grandes. Est-on incertain sur un parti à prendre intéressant autrui, qu'on interroge la charité, et elle répondra toujours juste. Malheureusement on écoute plus souvent la voix de l'égoïsme.
Sondez donc les replis de votre âme pour en arracher les derniers vestiges des mauvaises passions s'il en restait encore, et si vous éprouvez quelque ressentiment contre quelqu'un, hâtez-vous de l'étouffer, et dites-lui : Frère, oublions le passé ; les mauvais Esprits nous avaient divisés, que les bons nous réunissent ! S'il repousse la main que vous lui tendez, oh ! alors plaignez-le, car Dieu à son tour lui dira : Pourquoi demandes-tu le pardon, toi qui n'as pas pardonné ? Hâtez-vous donc, pour qu'on ne puisse vous appliquer cette parole fatale : Il est trop tard.
Tels sont, chers frères Spirites, les conseils que je viens vous donner. La confiance que vous voulez bien m'accorder m'est un garant qu'ils porteront leurs fruits. Les Bons Esprits qui vous assistent vous disent chaque jour la même chose, mais j'ai cru devoir en présenter l'ensemble pour en mieux faire ressortir les conséquences. Je viens donc, en leur nom, vous rappeler à la pratique de la grande loi d'amour et de fraternité qui doit avant peu régir le monde et y faire régner la paix et la concorde sous l'étendard de la charité pour tous, sans acception de sectes, de castes ni de couleurs.
Avec cet étendard, le Spiritisme sera le trait d'union qui rapprochera les hommes divisés par les croyances et les préjugés mondains ; il abaissera les plus fortes barrières qui séparent les peuples : l'antagonisme national ; à l'ombre de ce drapeau qui sera leur point de ralliement, les hommes s'habitueront à voir des frères dans ceux en qui ils ne voyaient que des ennemis. D'ici là il y aura encore des luttes, car le mal ne lâche pas facilement sa proie, et les intérêts matériels sont tenaces. Tous, vous ne verrez, pas sans doute, des yeux du corps l'accomplissement de cette oeuvre à laquelle vous aurez concouru, quoique le moment n'en soit pas éloigné, et que les premières années du siècle prochain doivent signaler cette ère nouvelle, dont la fin de celui-ci prépare les voies ; mais vous jouirez, par la vue de l'Esprit, du bien que vous aurez fait, comme les martyrs du christianisme ont joui de voir les fruits produits par leur sang répandu. Courage donc, et persévérance ; ne vous rebutez pas contre les obstacles : un champ ne devient pas fertile sans sueur ; de même qu'un père, sur ses vieux jours, bâtit une maison pour ses enfants, songez que vous élevez, pour les générations futures, un temple à la fraternité universelle, et dans lequel les seules victimes immolées seront l'égoïsme, l'orgueil et toutes les mauvaises passions qui ont ensanglanté l'humanité.
[1]Voyez « Revue Spirite », janvier 1862, Essai sur l'interprétation de la doctrine des Anges déchus.
Le mot charité, vous le savez, Messieurs, a une acception très étendue. Il y a la charité en pensées, en paroles et en actions ; elle n'est pas seulement dans l'aumône. Celui-là est charitable en pensées qui est indulgent pour les fautes de son prochain ; charitable en paroles, qui ne dit rien qui puisse nuire à son prochain ; charitable en actions, qui assiste son prochain dans la mesure de ses forces. Le pauvre qui partage son morceau de pain avec un plus pauvre que lui est plus charitable et a plus de mérite aux yeux de Dieu que celui qui donne de son superflu sans se priver de rien. Quiconque nourrit contre son prochain des sentiments de haine, d'animosité, de jalousie, de rancune, manque de charité. La charité est la contre-partie de l'égoïsme ; l'une est l'abnégation de la personnalité, l'autre l'exaltation de la personnalité ; l'une dit : Pour vous d'abord et pour moi ensuite ; l'autre : Pour moi d'abord, et pour vous s'il en reste. La première est toute dans cette parole du Christ : « Faites pour les autres ce que vous voudriez qu'on fît pour vous » ; en un mot, elle s'applique, sans exception, à tous les rapports sociaux. Convenez que si tous les membres d'une société agissaient selon ce principe, il y aurait moins de déceptions dans la vie. Dès que deux hommes sont ensemble, ils contractent, par cela même, des devoirs réciproques ; s'ils veulent vivre en paix, ils sont obligés de se faire des concessions mutuelles. Ces devoirs augmentent avec le nombre des individus ; les agglomérations forment des touts collectifs qui ont aussi leurs obligations respectives ; vous avez donc outre les rapports d'individu à individu, ceux de ville à ville, de province à province, de contrée à contrée. Ces rapports peuvent avoir deux mobiles qui sont la négation l'un de l'autre : l'égoïsme et la charité, car il y a aussi l'égoïsme national. Avec l'égoïsme, l'intérêt personnel passe avant tout, chacun tire à soi, chacun ne voit dans son semblable qu'un antagoniste, un rival qui peut marcher sur nos brisées, qui peut nous exploiter ou que nous pouvons exploiter ; c'est à qui coupera l'herbe sous le pied de son voisin : la victoire est au plus adroit, et la société, chose triste à dire, consacre souvent cette victoire, ce qui fait qu'elle se partage en deux classes principales : les exploiteurs et les exploités. Il en résulte un antagonisme perpétuel qui fait de la vie un tourment, un véritable enfer. Remplacez l'égoïsme par la charité, et tout change ; nul ne cherchera à faire de tort à son voisin ; les haines et les jalousies s'éteindront faute d'aliment, et les hommes vivront en paix, s'entraidant au lieu de se déchirer. La charité remplaçant l'égoïsme, toutes les institutions sociales seront fondées sur le principe de la solidarité et de la réciprocité ; le fort protégera le faible au lieu de l'exploiter.
C'est un beau rêve, dira-t-on ; malheureusement, ce n'est qu'un rêve ; l'homme est égoïste par nature, par besoin, et le sera toujours. S'il en était ainsi, ce serait triste, et il faudrait alors se demander dans quel but le Christ est venu prêcher la charité aux hommes ; autant aurait valu la prêcher aux animaux. Examinons cependant.
Y a-t-il progrès du sauvage à l'homme civilisé ? Ne cherche-t-on pas tous les jours, à adoucir les moeurs des sauvages ? Dans quel but, si l'homme est incorrigible ? Etrange bizarrerie ! vous espérez corriger des sauvages, et vous pensez que l'homme civilisé ne peut s'améliorer ! Si l'homme civilisé avait la prétention d'avoir atteint la dernière limite du progrès accessible à l'espèce humaine, il suffirait de comparer les moeurs, le caractère, la législation, les institutions sociales d'aujourd'hui avec celles d'autrefois ; et cependant les hommes d'autrefois croyaient, eux aussi, avoir atteint le dernier échelon. Qu'eût répondu un grand seigneur du temps de Louis XIV si on lui eût dit qu'il pouvait y avoir un ordre de choses meilleur, plus équitable, plus humain que celui d'alors ? que ce régime plus équitable serait l'abolition des privilèges de castes, et l'égalité du grand et du petit devant la loi ? L'audacieux qui aurait dit cela eût peut-être payé cher sa témérité.
Concluons de là que l'homme est éminemment perfectible, et que les plus avancés d'aujourd'hui pourront sembler aussi arriérés dans quelques siècles que ceux du moyen-âge le sont par rapport à nous. Nier le fait serait nier le progrès qui est une loi de la nature.
Quoique l'homme ait gagné au point de vue moral, il faut convenir cependant que le progrès s'est plus accompli dans le sens intellectuel ; pourquoi cela ? C'est encore là un de ces problèmes qu'il était donné au Spiritisme de nous expliquer ; en nous montrant que le moral et l'intelligence sont deux voies qui marchent rarement de front ; tandis que l'homme fait quelques pas dans l'une, il reste en arrière dans l'autre ; mais plus tard il regagne le terrain qu'il avait perdu, et les deux forces finissent par s'équilibrer dans les incarnations successives. L'homme est arrivé à une période où les sciences, les arts et l'industrie ont atteint une limite inconnue jusqu'à ce jour ; si les jouissances qu'il en tire satisfont la vie matérielle, elles laissent un vide dans l'âme ; l'homme aspire à quelque chose de mieux : il rêve de meilleures institutions ; il veut la vie, le bonheur, l'égalité, la justice pour tous ; mais comment y atteindre avec les vices de la société, avec l'égoïsme surtout ? L'homme voit donc la nécessité du bien pour être heureux ; il comprend que le règne du bien peut seul lui donner le bonheur auquel il aspire ; ce règne, il le pressent, car instinctivement, il a foi en la justice de Dieu, et une voix secrète lui dit qu'une ère nouvelle va s'ouvrir.
Comment cela arrivera-t-il ? Puisque le règne du bien est incompatible avec l'égoïsme, il faut la destruction de l'égoïsme ; or, qui peut le détruire ? La prédominance du sentiment d'amour, qui porte les hommes à se traiter en frères et non en ennemis. La charité, c'est la base, la pierre angulaire de tout édifice social ; sans elle, l'homme ne bâtira que sur du sable. Que les efforts et surtout les exemples de tous les hommes de bien tendent donc à la propager ; qu'ils ne se découragent s'ils voient une recrudescence dans les mauvaises passions ; elles sont les ennemies du bien, et en le voyant avancer, elles doivent se ruer contre lui ; mais Dieu a permis que, par leurs propres excès mêmes, elles se tuent ; le paroxysme d'un mal est toujours le signe qu'il touche à sa fin.
Je viens de dire que sans la charité l'homme ne bâtit que sur le sable ; un exemple le fera mieux comprendre.
Quelques hommes bien intentionnés, touchés des souffrances d'une partie de leurs semblables, ont cru trouver le remède au mal dans certains systèmes de réforme sociale. A quelques différences près, le principe est à peu près le même dans tous, quel que soit le nom qu'on leur donne. Vie commune pour être moins onéreuse ; communauté de biens pour que chacun ait quelque chose ; participation de tous à l'oeuvre commune ; point de grandes richesses, mais aussi point de misère. Cela était fort séduisant pour celui qui, n'ayant rien, voyait déjà la bourse du riche entrer dans le fond social, sans calculer que la totalité des richesses mises en commun créerait une misère générale au lieu d'une misère partielle ; que l'égalité établie aujourd'hui serait rompue demain par la mobilité de la population et la différence entre les aptitudes ; que l'égalité permanente des biens suppose l'égalité des capacités et du travail. Mais là n'est pas la question ; il n'entre pas dans mon cadre d'examiner le fort et le faible de ces systèmes ; je fais abstraction des impossibilités dont je viens de parler, et me propose de les envisager à un autre point de vue dont je ne sache pas qu'on se soit encore préoccupé, et qui se rattache à notre sujet.
Les auteurs, fondateurs ou promoteurs de tous ces systèmes, sans exception, ne se sont proposé que l'organisation de la vie matérielle d'une manière profitable pour tous. Le but est louable sans contredit ; reste à savoir si, à cet édifice, il ne manque pas la base qui seule pourrait le consolider, en admettant qu'il fût praticable.
La communauté est l'abnégation la plus complète de la personnalité ; chacun devant payer de sa personne, elle requiert le dévouement le plus absolu. Or, le mobile de l'abnégation et du dévouement, c'est la charité, c'est-à-dire l'amour du prochain. Mais nous avons reconnu que le fondement de la charité, c'est la croyance ; que le défaut de croyance conduit au matérialisme, et le matérialisme à l'égoïsme. Dans un système qui, de sa nature, requiert pour sa stabilité les vertus morales au suprême degré, il fallait prendre le point de départ dans l'élément spirituel ; eh bien ! non-seulement il n'en est tenu aucun compte, le côté matériel étant le but unique, mais plusieurs sont fondés sur une doctrine matérialiste hautement avouée, ou sur un panthéisme, sorte de matérialisme déguisé ; c'est-à-dire décorés du beau nom de fraternité ; mais la fraternité, pas plus que la charité, ne s'impose ni ne se décrète ; il faut qu'elle soit dans le coeur ; ce n'est pas le système qui l'y fera naître si elle n'y est déjà, tandis que le défaut contraire ruinera le système et le fera tomber dans l'anarchie, parce que chacun voudra tirer à soi. L'expérience est là pour prouver qu'il n'étouffe ni les ambitions ni la cupidité. Avant de faire la chose pour les hommes, il fallait former les hommes pour la chose, comme on forme des ouvriers avant de leur confier un travail ; avant de bâtir, il faut s'assurer de la solidité des matériaux. Ici les matériaux solides sont les hommes de coeur, de dévouement et d'abnégation. Avec l'égoïsme, l'amour et la fraternité sont de vains mots, ainsi que nous l'avons dit ; comment donc, sous l'empire de l'égoïsme, fonder un système qui requiert l'abnégation à un degré d'autant plus grand, qu'il a pour principe essentiel la solidarité de tous pour chacun et de chacun pour tous ? Quelques-uns ont quitté le sol natal pour aller fonder au loin des colonies sous le régime de la fraternité ; ils ont voulu fuir l'égoïsme qui les écrasait, mais l'égoïsme les a suivis, et là encore il s'est trouvé des exploiteurs et des exploités, parce que la charité a fait défaut. Ils ont cru qu'il leur suffisait d'emmener le plus de bras possible, sans songer qu'ils emmenaient en même temps les vers rongeurs de leur institution, ruinée d'autant plus vite qu'ils n'avaient en eux ni une force morale ni une force matérielle suffisantes.
Ce qu'il leur fallait, c'était moins des bras nombreux que des coeurs solides ; malheureusement beaucoup ne les ont suivis que parce que, n'ayant rien su faire ailleurs, ils ont cru s'affranchir de certaines obligations personnelles ; ils n'ont vu qu'un but séduisant, sans voir la route épineuse pour l'atteindre. Déçus dans leurs espérances, en reconnaissant qu'avant de jouir il fallait beaucoup travailler, beaucoup sacrifier, beaucoup souffrir, ils ont eu pour perspective le découragement et le désespoir ; vous savez ce qu'il est advenu de la plupart. Leur tort est d'avoir voulu bâtir un édifice en commençant par le faîte, avant d'avoir assis des fondements solides. Etudiez l'histoire et la cause de la chute des Etats les plus florissants, et partout vous verrez la main de l'égoïsme, de la cupidité, de l'ambition.
Sans la charité, il n'y a pas d'institution humaine stable, et il n'y a ni charité ni fraternité possibles, dans la véritable acception du mot, sans la croyance. Appliquez-vous donc à développer ces sentiments qui, en grandissant, tueront l'égoïsme qui vous tue. Quand la charité aura pénétré les masses, quand elle sera devenue la foi, la religion de la majorité, alors vos institutions s'amélioreront d'elles-mêmes par la force des choses ; les abus, nés du sentiment de la personnalité, disparaîtront. Enseignez donc la charité, et surtout, prêchez d'exemple : c'est l'ancre de salut de la société. Elle seule peut amener le règne du bien sur la terre, qui est le règne de Dieu ; sans elle, quoi que vous fassiez, vous ne créerez que des utopies dont vous ne retirerez que des déceptions. Si le Spiritisme est une vérité, s'il doit régénérer le monde, c'est parce qu'il a pour base la charité. Il ne vient ni renverser le culte, ni en établir un nouveau ; il proclame et prouve les vérités communes à tous, bases de toutes les religions, sans se préoccuper des points de détail. Il ne vient détruire qu'une chose : le matérialisme, qui est la négation de toute religion ; ne renverser qu'un seul temple : celui de l'égoïsme et de l'orgueil, et donner une sanction pratique à ces paroles du Christ qui sont toute sa loi : Aimez votre prochain comme vous-mêmes. Ne vous étonnez donc pas qu'il ait pour adversaires les adorateurs du veau d'or, dont il vient briser les autels. Il a naturellement contre lui ceux qui trouvent sa morale gênante, ceux qui auraient volontiers pactisé avec les Esprits et leurs manifestations, si les Esprits se fussent contentés de les amuser ; s'ils n'étaient venus rabaisser leur orgueil, leur prêcher l'abnégation, le désintéressement et l'humilité. Laissez-les dire et faire ; les choses n'en suivront pas moins la marche qui est dans les desseins de Dieu.
Le Spiritisme, par sa puissante révélation, vient donc hâter la réforme sociale. Ses adversaires riront sans doute de cette prétention, et cependant elle n'a rien de présomptueux. Nous avons démontré que l'incrédulité, le simple doute sur l'avenir, porte l'homme à se concentrer sur la vie présente, ce qui tout naturellement développe le sentiment d'égoïsme. Le seul remède au mal est de concentrer son attention sur un autre point et de le dépayser, pour ainsi dire, afin de lui faire perdre ses habitudes. Le Spiritisme, en prouvant d'une manière patente l'existence du monde invisible, amène forcément un ordre d'idées tout autre, car il élargit l'horizon moral borné à la terre. L'importance de la vie corporelle diminue à mesure que grandit celle de la vie spirituelle ; tout naturellement on se place à un autre point de vue, et ce qui nous semblait une montagne ne nous paraît plus qu'un grain de sable ; les vanités, les ambitions d'ici-bas deviennent des puérilités, des hochets d'enfants en présence de l'avenir grandiose qui nous attend. Tenant moins aux choses terrestres, on cherche moins à se satisfaire aux dépens des autres ; d'où une diminution dans le sentiment d'égoïsme.
Le Spiritisme ne se borne pas à prouver le monde invisible ; par les exemples qu'il déroule à nos yeux, il nous le montre dans sa réalité, et non tel que l'imagination l'avait fait concevoir ; il nous le montre peuplé d'êtres heureux ou malheureux, mais il prouve que la charité, la souveraine loi du Christ, peut seule y assurer le bonheur. D'un autre côté, nous voyons la société terrestre s'entre-déchirer sous l'empire de l'égoïsme, tandis qu'elle vivrait heureuse et paisible sous celui de la charité. Tout est donc bénéfice pour l'homme avec la charité : bonheur en ce monde et bonheur en l'autre. Ce n'est plus, selon l'expression d'un matérialiste, un sacrifice de dupes ; c'est, selon celle du Christ : de l'argent placé au centuple. Avec le Spiritisme, l'homme comprend qu'il a tout à gagner à faire le bien, et tout à perdre à faire le mal ; or, entre, je ne dirai pas la chance, mais la certitude de perdre ou de gagner, le choix ne saurait être douteux. Donc la propagation de l'idée spirite tend nécessairement à rendre les hommes meilleurs les uns pour les autres. Ce qu'il fait aujourd'hui sur les individus, il le fera sur les masses quand il sera généralement répandu. Tâchons donc de le répandre dans l'intérêt de tous.
Je prévois une objection que l'on pourrait faire en disant que, selon ces idées, la pratique du bien serait un calcul intéressé. A cela je réponds que l'Eglise, en promettant les joies du ciel ou en menaçant des flammes de l'enfer, conduit elle-même les hommes par l'espérance et la crainte ; que le Christ lui-même a dit que ce que l'on donne en ce monde sera rendu au centuple. Sans doute, il y a plus de mérite à faire le bien spontanément sans penser aux conséquences, mais tous les hommes n'en sont pas encore arrivés là, et il vaut encore mieux faire le bien avec ce stimulant que de ne pas le faire du tout.
On dit quelquefois des gens qui font le bien sans dessein prémédité et pour ainsi dire sans s'en douter, qu'ils n'ont pas de mérite, parce qu'ils n'ont point d'efforts à faire ; c'est une erreur. L'homme n'arrive à rien sans efforts ; celui qui n'a plus à en faire dans cette existence a dû lutter dans une précédente, et le bien a fini par s'identifier avec lui, c'est pourquoi il lui semble tout naturel ; il en est chez lui du bien, comme chez d'autres des idées qui, elles aussi, ont leur source dans un travail antérieur. C'est encore un des problèmes que le Spiritisme vient résoudre. Les hommes de bien ont donc eu aussi le mérite de la lutte ; pour eux la victoire est remportée, les autres ont encore à vaincre ; voilà pourquoi, comme à des enfants, il faut un stimulant, c'est-à-dire un but à atteindre ou, si vous le voulez, un prix à remporter.
Une autre objection plus sérieuse est celle-ci. Si le Spiritisme produit tous ces résultats, les Spirites doivent être les premiers à en profiter ; l'abnégation, le dévouement désintéressé, l'indulgence pour autrui, l'abstention absolue de toute parole ou de tout acte pouvant nuire au prochain, la charité, en un mot, dans sa plus pure acception, doit être la règle invariable de leur conduite ; ils ne doivent connaître ni l'orgueil, ni la jalousie, ni l'envie, ni la rancune, ni les sottes vanités, ni les puériles susceptibilités d'amour-propre ; ils doivent faire le bien pour le bien, avec modestie et sans ostentation, en pratiquant cette maxime du Christ : « Que votre main gauche ne sache pas ce que donne votre main droite », nul ne méritera qu'on lui applique ce vers de Racine :
Un bienfait reproché tient toujours lieu d'offense.
Enfin, la plus parfaite harmonie doit régner entre eux. Pourquoi donc cite-t-on des exemples qui semblent contredire l'efficacité de ces belles maximes ?
Dans le principe des manifestations spirites, beaucoup les ont acceptées sans en prévoir les conséquences ; la plupart n'y ont vu que des effets plus ou moins curieux ; mais lorsqu'il en est sorti une morale sévère, des devoirs rigoureux à remplir, beaucoup ne se sont pas senti la force de la pratiquer et de s'y conformer ; ils n'ont eu le courage ni du dévouement, ni de l'abnégation, ni de l'humilité ; chez eux, la nature corporelle l'a emporté sur la nature spirituelle ; ils ont pu croire, mais ils ont reculé devant l'exécution. Il n'y avait donc, dans l'origine, que des Spirites, c'est-à-dire des croyants ; la philosophie et la morale ont ouvert à cette science un horizon nouveau, et créé des Spirites Pratiquants ; les uns sont restés en arrière, les autres sont allés en avant.
Plus la morale a été sublime, plus elle a fait ressortir les imperfections de ceux qui n'ont pas voulu la suivre, comme une lumière éclatante fait ressortir les ombres ; c'était un miroir : quelques-uns n'ont pas voulu s'y regarder ou, croyant s'y reconnaître, ont préféré jeter la pierre à qui le leur montrait. Telle est encore la cause de certaines animosités ; mais, je suis heureux de le dire, ce sont là des exceptions ; quelques petites noires sur un immense tableau et qui ne sauraient en altérer l'éclat. Elles appartiennent en grande partie à ce qu'on pourrait appeler les Spirites de première formation ; quant à ceux qui se sont formés depuis et se forment chaque jour, la grande majorité a accepté la doctrine précisément à cause de sa morale et de sa philosophie, c'est pourquoi ils s'efforcent de pratiquer. Prétendre qu'ils doivent tous être devenus parfaits, ce serait méconnaître la nature de l'humanité ; mais n'auraient-ils dépouillé que quelques parties du vieil homme, ce serait toujours un progrès dont il faut tenir compte ; ceux-là seuls sont inexcusables aux yeux de Dieu, qui, étant bien et dûment éclairés, n'en auraient pas profité comme ils le pouvaient ; à ceux-là, certes, il sera demandé un compte sévère dont ils pourront, ainsi que nous en avons de nombreux exemples, subir les conséquences dès ici-bas ; mais, à côté de ceux-là, il en est beaucoup aussi en qui il s'est opéré une véritable métamorphose ; qui ont trouvé dans cette croyance la force de vaincre des penchants depuis longtemps enracinés, de rompre avec de vieilles habitudes, de faire taire les ressentiments et les inimitiés, de rapprocher les distances sociales. On demande au Spiritisme des miracles : voilà ceux qu'il produit.
Ainsi, par la force des choses, le Spiritisme aura pour conséquence inévitable l'amélioration morale ; cette amélioration conduira à la pratique de la charité, et de la charité naîtra le sentiment de la fraternité. Lorsque les hommes seront imbus de ces idées, ils y conformeront leurs institutions, et c'est ainsi qu'ils amèneront naturellement et sans secousse toutes les réformes désirables ; c'est la base sur laquelle ils assoiront l'édifice social futur.
Cette transformation est inévitable, parce qu'elle est selon la loi du progrès ; mais si elle ne suit que la marche naturelle des choses, son accomplissement peut être encore fort long. Si nous en croyons la révélation des Esprits, il serait dans les desseins de Dieu de l'activer, et nous sommes aux temps prédits pour cela ; la concordance des communications sous ce rapport est un fait digne de remarque ; de toutes parts il est dit que nous touchons à l'ère nouvelle, et que de grandes choses vont s'accomplir. On aurait tort cependant de croire le monde menacé d'un cataclysme matériel ; en scrutant les paroles du Christ, il est évident qu'en cette circonstance, comme en beaucoup d'autres, il a parlé d'une manière allégorique. La rénovation de l'humanité, le règne du bien succédant au règne du mal, sont d'assez grandes choses qui peuvent s'accomplir, sans qu'il soit besoin d'englober le monde dans un naufrage universel, ni de faire apparaître des phénomènes extraordinaires, ni de déroger aux lois naturelles. C'est toujours en ce sens que les Esprits se sont exprimés.
La terre étant arrivée au temps marqué pour devenir un séjour heureux, et s'élever ainsi dans la hiérarchie des mondes, il suffit à Dieu de ne plus permettre aux Esprits imparfaits de s'y réincarner ; d'en éloigner ceux qui, par orgueil, leur incrédulité, leurs mauvais instincts, en un mot, seraient un obstacle au progrès et troubleraient la bonne harmonie, comme vous le faites vous-même dans une assemblée où vous voulez avoir la paix et la tranquillité, et d'où vous écartez ceux qui pourraient y porter le désordre ; comme on expulse d'un pays les malfaiteurs que l'on relègue dans des contrées lointaines. Que dans la race, ou mieux, pour nous servir des paroles du Christ, dans la génération des Esprits envoyés en expiation sur la terre, ceux qui sont demeurés incorrigibles disparaissent, et qu'ils soient remplacés par une génération d'Esprits plus avancés, il suffit pour cela d'une génération d'hommes et de la volonté de Dieu qui peut aussi, par des événements inattendus, quoique très naturels, activer leur départ d'ici. Si donc, comme cela est dit, la plupart des enfants qui naissent aujourd'hui appartiennent à la nouvelle génération d'Esprits meilleurs, les autres s'en allant chaque jour pour ne plus revenir, il est évident, que dans un temps donné, il peut y avoir un renouvellement complet. Que deviendront les Esprits exilés ? Ils iront dans des mondes inférieurs expier leur endurcissement par de longs siècles de terribles épreuves, car eux aussi sont des anges rebelles, puisqu'ils ont méconnu la puissance de Dieu, et se sont révoltés contre ses lois que Christ était venu leur rappeler[1].
Quoi qu'il en soit, rien ne se fait brusquement dans la nature ; le vieux levain laissera encore pendant quelque temps des traces qui s'effaceront peu à peu. Quand les Esprits nous disent, et ils le disent partout, que nous touchons à ce moment, ne croyez pas que nous allons être témoins d'un changement à vue ; ils entendent que nous sommes au moment de la transition ; nous assistons au départ des anciens, et à l'arrivée des nouveaux qui viennent fonder le nouvel ordre de choses, c'est-à-dire le règne de la justice et de la charité qui est le véritable règne de Dieu prédit par les prophètes, et dont le Spiritisme vient préparer les voies.
Vous le voyez, messieurs, nous sommes déjà bien loin des tables tournantes, et pourtant à peine quelques années nous séparent de ce berceau du Spiritisme ! Quiconque eût été assez audacieux alors pour prédire ce qu'il en serait aujourd'hui, eût passé pour un insensé aux yeux même des adeptes. En voyant une petite graine, qui pourrait comprendre, s'il ne l'avait vu, qu'il en sortira un arbre immense ? En voyant l'enfant né dans une étable d'un pauvre village de Judée, qui pouvait croire que, sans faste et sans puissance mondaine, sa simple voix remuerait le monde, assisté seulement de quelques pêcheurs ignorants et pauvres comme lui ? Il en est ainsi du Spiritisme qui, sorti d'un humble et vulgaire phénomène, étend déjà ses racines de toutes parts, et dont bientôt les rameaux abriteront toute la terre ? C'est que les choses vont vite quand Dieu le veut ; et qui ne verrait là le doigt de Dieu, car rien n'arrive sans sa volonté !
En voyant la marche irrésistible des choses, vous pouvez dire aussi, comme jadis les Croisés marchant à la conquête de la Terre-Sainte : Dieu le veut ! mais avec cette différence qu'ils marchaient le fer et le feu à la main, tandis que vous n'avez pour arme que la charité qui, au lieu de faire des blessures mortelles, verse un baume salutaire sur les coeurs endoloris ; et avec cette arme pacifique, qui brille aux yeux comme un rayon divin, et non comme un fer meurtrier, qui sème l'espérance et non la crainte, vous avez en quelques années ramené au bercail de la foi plus de brebis égarées que n'eussent pu le faire plusieurs siècles de violence et de contrainte. C'est avec la charité pour guide que le Spiritisme marche à la conquête du monde.
Est-ce une chimère, un rêve fantastique dont je vous ai tracé le tableau ? Non ; la raison, la logique, l'expérience, tout dit que c'est une réalité.
Spirites ! vous êtes les premiers pionniers de cette grande oeuvre ; rendez-vous dignes de cette glorieuse mission dont les premiers vous recueillerez les fruits ; prêchez de paroles, mais surtout prêchez d'exemple ; faites qu'en vous voyant on ne puisse pas dire que les maximes que vous enseignez sont de vains mots dans votre bouche. A l'exemple des apôtres, faites des miracles, Dieu vous en a accordé le don ; non des miracles pour frapper les sens, mais des miracles de charité et d'amour ; soyez bons pour vos frères ; soyez bons pour tout le monde ; soyez bons pour vos ennemis ! A l'exemple des apôtres, chassez les démons, vous en avez le pouvoir, et ils pullulent autour de vous ; ce sont les démons de l'orgueil, de l'ambition, de l'envie, de la jalousie, de la cupidité, de la sensualité qui soufflent toutes les mauvaises passions et secouent parmi vous les brandons de discorde ; chassez-les de vos coeurs, afin que vous ayez la force de les chasser du coeur des autres. Faites ces miracles, et Dieu vous bénira, et les générations futures vous béniront, comme celles d'aujourd'hui bénissent les premiers chrétiens dont beaucoup revivent parmi vous pour assister et concourir au couronnement de l'oeuvre du Christ ; faites ces miracles, et vos noms seront inscrits glorieusement dans les annales du Spiritisme ; n'en ternissez pas l'éclat par des sentiments et des actes indignes de vrais Spirites, de Spirites Chrétiens ; dépouillez au plus tôt ce qui pourrait encore rester en vous du vieux levain ; songez que d'un moment à l'autre, demain peut-être, l'ange de la mort peut venir frapper à votre porte et vous dire : Dieu t'appelle pour lui rendre compte de ce que tu as fait de sa parole, de la parole de son Fils qu'il t'a fait répéter par ses bons Esprits. Soyez donc toujours prêts à partir, et ne faites pas comme le voyageur imprudent qui est pris au dépourvu ; faites vos provisions d'avance, c'est-à-dire provisions de bonnes oeuvres et de bons sentiments, car malheur à celui que le moment fatal surprendrait avec la haine, l'envie ou la jalousie dans le coeur ; ce seraient les mauvais Esprits qui lui feraient escorte, et se réjouiraient des malheurs qui l'attendent, car ces malheurs seraient leur oeuvre ; et vous savez, Spirites, quels sont ces malheurs : ceux qui les endurent viennent eux-mêmes vous décrire leurs souffrances. A ceux, au contraire, qui se présenteront purs, les Bons Esprits viendront tendre la main en leur disant : Frères, soyez les bienvenus au céleste séjour, où vous attendent les chants d'allégresse !
Vos adversaires pourront rire de vos croyances aux Esprits et à leurs manifestations, mais ils ne riront pas des qualités que donnent ces croyances ; ils ne riront pas quand ils verront des ennemis se pardonner au lieu de se haïr, la paix renaître entre des proches divisés, l'incrédule d'autrefois prier aujourd'hui, l'homme violent et colère devenu doux et paisible, le débauché devenu rangé et bon père de famille, l'orgueilleux devenu humble, l'égoïste devenu charitable ; ils ne riront pas quand ils verront qu'ils n'ont plus à craindre la vengeance de leur ennemi devenu Spirite ; le riche ne rira pas quand il verra le pauvre ne plus envier sa fortune, et le pauvre bénira le riche devenu plus humain et plus généreux, au lieu de le jalouser ; les chefs ne riront plus de leurs subordonnés et ne les molesteront plus quand ils les verront plus scrupuleux et plus consciencieux dans l'accomplissement de leurs devoirs ; les maîtres enfin encourageront leurs serviteurs et leurs tenanciers, quand ils les verront, sous l'empire de la foi spirite, plus fidèles, plus dévoués et plus sincères ; tous diront que le Spiritisme est bon à quelque chose, ne fût-ce qu'à sauvegarder leurs intérêts matériels : tant pis pour eux s'ils ne voient pas au-delà. Sous l'empire de cette même foi, le militaire est plus discipliné, plus humain, plus facile à conduire ; il a le sentiment du devoir, et il obéit plus par raison que par crainte. C'est ce que constatent tous les chefs imbus de ces principes, et ils sont nombreux ; aussi font-ils des voeux pour qu'aucune entrave ne s'oppose à la propagation de ces idées parmi leurs inférieurs.
Voilà, messieurs les rieurs, ce que produit le Spiritisme, cette utopie du dix-neuvième siècle, partiellement encore, il est vrai, mais déjà on reconnaît cette influence, et bientôt on comprendra qu'on a tout à gagner à sa promulgation ; que son influence est une garantie de sécurité pour les relations sociales, parce qu'il est le frein le plus puissant opposé aux passions mauvaises, aux effervescences désordonnées, en montrant le lien d'amour et de fraternité qui doit unir le grand au petit et le petit au grand. Faites donc, par votre exemple, que bientôt on puisse dire : Plût à Dieu que tous les hommes fussent Spirites de coeur.
Chers frères Spirites, je viens vous montrer la route, vous faire voir le but. Puissent mes paroles, toutes faibles qu'elles sont, vous en avoir fait comprendre la grandeur ! Mais d'autres viendront après moi qui vous la montreront aussi, et dont la voix plus puissante que la mienne aura pour les nations l'éclat retentissant de la trompette. Oui, mes frères, des Esprits, messagers de Dieu pour établir son règne sur la terre, surgiront bientôt parmi vous, et vous les reconnaîtrez à leur sagesse et à l'autorité de leur langage. A leur voix, les incrédules et les impies seront frappés d'étonnement et de stupeur et courberont la tête, car ils n'oseront les traiter de fous. Que ne puis-je, mes frères, vous révéler encore tout ce que nous prépare l'avenir ! Mais le temps est proche où tous ces mystères seront dévoilés pour la confusion des méchants et la glorification des bons.
Pendant qu'il en est temps encore, revêtez-vous donc de la robe blanche : étouffez toutes les discordes, car les discordes appartiennent au règne du mal qui va finir. Puissiez-vous tous vous confondre dans une seule et même famille, et vous donner du fond du coeur et sans arrière-pensée le nom de frères. Si parmi vous il y avait des dissidences, des causes d'antagonisme ; si les groupes qui doivent tous marcher vers un but commun étaient divisés, je vous le dis à regret, sans me préoccuper des causes, sans examiner qui peut avoir les premiers torts, je me rangerais, sans hésiter, du côté de celui où il y aurait le plus de charité, c'est-à-dire le plus d'abnégation et de véritable humilité, car celui qui manque de charité a toujours tort, eût-il raison d'un autre côté, et Dieu maudit celui qui dit à son frère : Racca. Les groupes sont des individus collectifs qui doivent vivre en paix comme les individus, s'ils sont vraiment Spirites ; ce sont les bataillons de la grande phalange ; or, que deviendrait une phalange dont les bataillons seraient divisés ? Ceux qui verraient les autres d'un oeil jaloux prouveraient, par cela seul, qu'ils sont sous une mauvaise influence, car l'Esprit du bien ne saurait produire le mal. Vous le savez, on reconnaît l'arbre au fruit qu'il porte : or, le fruit de l'orgueil, de l'envie et de la jalousie est un fruit empoisonné qui tue celui qui s'en nourrit.
Ce que je dis des dissidences entre les groupes, je le dis également de celles qui pourraient exister entre individus. En pareille circonstance, l'opinion des gens impartiaux est toujours favorable à celui qui fait preuve de plus de grandeur et de générosité. Ici-bas, personne n'étant infaillible, l'indulgence réciproque est une conséquence du principe de charité qui nous dit d'agir envers les autres comme nous voudrions que les autres agissent envers nous ; or, sans indulgence point de charité, sans charité point de vrai Spirite. La modération est un des signes caractéristiques de ce sentiment, comme l'acrimonie et la rancune en sont la négation ; avec l'aigreur et l'esprit vindicatif on gâte les meilleures causes, tandis qu'avec la modération on ajoute à son bon droit si on l'a de son côté, et on se le donne si on ne l'a pas. Si donc j'avais à me faire une opinion dans un différend, je me préoccuperais moins de la cause que des conséquences. La cause, dans les querelles de mots surtout, peut être le résultat d'un premier mouvement dont on n'est pas toujours maître ; la conduite ultérieure des deux adversaires est le résultat de la réflexion : ils agissent de sang-froid, et c'est alors que le véritable caractère normal de chacun se dessine. Mauvaise tête et bon coeur vont très souvent ensemble, mais rancune et bon coeur sont incompatibles. Ma mesure d'appréciation serait donc la charité, c'est-à-dire que j'observerais celui qui dit le moins de mal de son adversaire, celui qui est le plus modéré dans ses récriminations. C'est sur cette mesure que Dieu nous jugera, car il sera indulgent pour qui, lui-même, aura été indulgent ; il sera inflexible pour celui qui aura été inflexible.
La voie tracée par la charité est claire, infaillible et sans équivoque. On pourrait la définir ainsi : « Sentiment de bienveillance, de justice et d'indulgence à l'égard du prochain, basé sur ce qu'on voudrait que le prochain fît pour nous. » En la prenant pour guide, on est certain de ne pas s'écarter du droit chemin, de celui qui conduit à Dieu : quiconque veut sincèrement et sérieusement travailler à son amélioration, doit analyser la charité dans ses plus minutieux détails, et y conformer sa conduite, car elle a son application dans toutes les circonstances de la vie, petites ou grandes. Est-on incertain sur un parti à prendre intéressant autrui, qu'on interroge la charité, et elle répondra toujours juste. Malheureusement on écoute plus souvent la voix de l'égoïsme.
Sondez donc les replis de votre âme pour en arracher les derniers vestiges des mauvaises passions s'il en restait encore, et si vous éprouvez quelque ressentiment contre quelqu'un, hâtez-vous de l'étouffer, et dites-lui : Frère, oublions le passé ; les mauvais Esprits nous avaient divisés, que les bons nous réunissent ! S'il repousse la main que vous lui tendez, oh ! alors plaignez-le, car Dieu à son tour lui dira : Pourquoi demandes-tu le pardon, toi qui n'as pas pardonné ? Hâtez-vous donc, pour qu'on ne puisse vous appliquer cette parole fatale : Il est trop tard.
Tels sont, chers frères Spirites, les conseils que je viens vous donner. La confiance que vous voulez bien m'accorder m'est un garant qu'ils porteront leurs fruits. Les Bons Esprits qui vous assistent vous disent chaque jour la même chose, mais j'ai cru devoir en présenter l'ensemble pour en mieux faire ressortir les conséquences. Je viens donc, en leur nom, vous rappeler à la pratique de la grande loi d'amour et de fraternité qui doit avant peu régir le monde et y faire régner la paix et la concorde sous l'étendard de la charité pour tous, sans acception de sectes, de castes ni de couleurs.
Avec cet étendard, le Spiritisme sera le trait d'union qui rapprochera les hommes divisés par les croyances et les préjugés mondains ; il abaissera les plus fortes barrières qui séparent les peuples : l'antagonisme national ; à l'ombre de ce drapeau qui sera leur point de ralliement, les hommes s'habitueront à voir des frères dans ceux en qui ils ne voyaient que des ennemis. D'ici là il y aura encore des luttes, car le mal ne lâche pas facilement sa proie, et les intérêts matériels sont tenaces. Tous, vous ne verrez, pas sans doute, des yeux du corps l'accomplissement de cette oeuvre à laquelle vous aurez concouru, quoique le moment n'en soit pas éloigné, et que les premières années du siècle prochain doivent signaler cette ère nouvelle, dont la fin de celui-ci prépare les voies ; mais vous jouirez, par la vue de l'Esprit, du bien que vous aurez fait, comme les martyrs du christianisme ont joui de voir les fruits produits par leur sang répandu. Courage donc, et persévérance ; ne vous rebutez pas contre les obstacles : un champ ne devient pas fertile sans sueur ; de même qu'un père, sur ses vieux jours, bâtit une maison pour ses enfants, songez que vous élevez, pour les générations futures, un temple à la fraternité universelle, et dans lequel les seules victimes immolées seront l'égoïsme, l'orgueil et toutes les mauvaises passions qui ont ensanglanté l'humanité.
[1]Voyez « Revue Spirite », janvier 1862, Essai sur l'interprétation de la doctrine des Anges déchus.