REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1865

Allan Kardec

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Août

Ce qu'apprend le Spiritisme

Il y a des gens qui demandent quelles sont les conquêtes nouvelles que nous devons au spiritisme. De ce qu'il n'a pas doté le monde d'une nouvelle industrie productive, comme la vapeur, ils concluent qu'il n'a rien produit. La plupart de ceux qui font cette question ne s'étant pas donné la peine de l'étudier, ne connaissent que le Spiritisme de fantaisie créé pour les besoins de la critique, et qui n'a rien de commun avec le Spiritisme sérieux ; il n'est donc pas étonnant qu'ils se demandent quel peut en être le côté utile et pratique. Ils l'eussent appris s'ils avaient été le chercher à sa source, et non dans les caricatures qu'en ont faites ceux qui ont intérêt à le dénigrer.

Dans un autre ordre d'idées, quelques-uns trouvent, au contraire, la marche du Spiritisme trop lente au gré de leur impatience ; ils s'étonnent qu'il n'ait pas encore sondé tous les mystères de la nature, ni abordé toutes les questions qui paraissent être de son ressort ; ils voudraient le voir tous les jours enseigner du nouveau, ou s'enrichir de quelque nouvelle découverte ; et, de ce qu'il n'a point encore résolu la question de l'origine des êtres, du principe et de la fin de toutes choses, de l'essence divine, et quelques autres de même portée, ils concluent qu'il n'est pas sorti de l'alphabet, qu'il n'est point entré dans la véritable voie philosophique, et qu'il se traîne dans les lieux communs, parce qu'il prêche sans cesse l'humilité et la charité. « Jusqu'à ce jour, disent-ils, il ne nous a rien appris de nouveau, car la réincarnation, la négation des peines éternelles, l'immortalité de l'âme, la gradation à travers les périodes de vitalité intellectuelle, le périsprit, ne sont point des découvertes spirites proprement dites ; il faut donc marcher à des découvertes plus vraies et plus solides. »

Nous croyons devoir, à ce sujet, présenter quelques observations, qui ne seront pas non plus du nouveau, mais il est des choses qu'il est utile de répéter sous diverses formes.

Le Spiritisme, il est vrai, n'a rien inventé de tout cela, parce qu'il n'y a de vraies vérités que celles qui sont éternelles, et que, par cela même, elles ont dû germer à toutes les époques ; mais n'est-ce rien de les avoir tirées, sinon du néant, du moins de l'oubli ; d'un germe avoir fait une plante vivace ; d'une idée individuelle, perdue dans la nuit des temps, ou étouffée sous les préjugés, avoir fait une croyance générale ; d'avoir prouvé ce qui était à l'état d'hypothèse ; d'avoir démontré l'existence d'une loi dans ce qui paraissait exceptionnel et fortuit ; d'une théorie vague, avoir fait une chose pratique ; d'une idée improductive avoir tiré des applications utiles ? Rien n'est plus vrai que le proverbe : « Il n'y a rien de nouveau sous le soleil, » et cette vérité elle-même n'est pas neuve ; aussi n'est-il pas une découverte dont on ne trouve des vestiges et le principe quelque part. A ce compte là Copernic n'aurait pas le mérite de son système, parce que le mouvement de la terre avait été soupçonné avant l'ère chrétienne. Si c'était chose si simple, il fallait donc la trouver. L'histoire de l'œuf de Christophe Colomb sera toujours une éternelle vérité.

Il est incontestable en outre que le Spiritisme a encore beaucoup à nous apprendre ; c'est ce que nous n'avons cessé de répéter, car jamais nous n'avons prétendu qu'il ait dit son dernier mot. Mais de ce qu'il reste encore à faire, s'ensuit-il qu'il ne soit pas sorti de l'alphabet ? Son alphabet a été les tables tournantes, et depuis lors il a fait, ce nous semble, quelques pas ; il nous semble même qu'il en a fait d'assez grands en quelques années, si on le compare aux autres sciences qui ont mis des siècles pour arriver au point où elles en sont. Aucune n'est arrivée à son apogée du premier bond ; elles avancent, non par la volonté des hommes, mais à mesure que les circonstances mettent sur la voie de nouvelles découvertes ; or, il n'est au pouvoir de personne de commander à ces circonstances, et la preuve en est, c'est que toutes les fois qu'une idée est prématurée, elle avorte, pour reparaître plus tard en temps opportun.

Mais à défaut de nouvelles découvertes, les hommes de science n'ont-ils rien à faire ? La chimie n'est-elle plus la chimie si elle ne découvre pas tous les jours de nouveaux corps ? Les astronomes sont-ils condamnés à se croiser les bras faute de trouver de nouvelles planètes. Et ainsi de toutes les autres branches des sciences et de l'industrie. Avant de chercher du nouveau, n'a-t-on pas à faire l'application de ce qu'on sait ? C'est précisément pour donner aux hommes le temps de s'assimiler, d'appliquer et de vulgariser ce qu'ils savent, que la Providence met un temps d'arrêt dans la marche en avant. L'histoire est là pour nous montrer que les sciences ne suivent pas une marche ascendante continue, du moins ostensiblement ; les grands mouvements qui font révolution dans une idée ne s'opèrent qu'à des intervalles plus ou moins éloignés. Il n'y a point stagnation pour cela, mais élaboration, application, et fructification de ce que l'on sait, ce qui est toujours du progrès. L'Esprit humain pourrait-il sans cesse absorber de nouvelles idées ? La terre elle-même n'a-t-elle pas besoin de temps de repos avant de reproduire ? Que dirait-on d'un professeur qui enseignerait tous les jours de nouvelles règles à ses élèves, sans leur donner le temps de s'exercer sur celles qu'ils ont apprises, de s'identifier avec elles et de les appliquer ? Dieu serait-il donc moins prévoyant et moins habile qu'un professeur ? En toutes choses les idées nouvelles doivent s'enter sur les idées acquises ; si celles-ci ne sont pas suffisamment élaborées et consolidées dans le cerveau, si l'esprit ne se les est pas assimilées, celles qu'on veut y implanter ne prennent pas racine : on sème dans le vide.

Il en est de même à l'égard du Spiritisme. Les adeptes ont-ils tellement mis à profit ce qu'il a enseigné jusqu'à ce jour, qu'il n'aient plus rien à faire ? Sont-ils tellement charitables, dépourvus d'orgueil, désintéressés, bienveillants pour leurs semblables ; ont-ils tellement modéré leurs passions, abjuré la haine, l'envie et la jalousie ; sont-ils enfin tellement parfaits qu'il soit désormais superflu de leur prêcher la charité, l'humilité, l'abnégation, en un mot la morale ? Cette prétention prouverait à elle seule combien ils ont encore besoin de ces leçons élémentaires, que quelques-uns trouvent fastidieuses et puériles ; c'est pourtant à l'aide de ces instructions seules, s'ils les mettent à profit, qu'ils peuvent s'élever assez haut pour être dignes de recevoir un enseignement supérieur.

Le Spiritisme tend à la régénération de l'humanité ; ceci est un fait acquis ; or cette régénération ne pouvant s'opérer que par le progrès moral, il en résulte que son but essentiel, providentiel, est l'amélioration de chacun ; les mystères qu'il peut nous révéler sont l'accessoire, car, nous ouvrit-il le sanctuaire de toutes les connaissances, nous n'en serions pas plus avancés pour notre état futur, si nous ne sommes pas meilleurs. Pour admettre au banquet de la suprême félicité, Dieu ne demande pas ce que l'on sait ni ce que l'on possède, mais ce que l'on vaut et ce que l'on aura fait de bien. C'est donc à son amélioration individuelle que tout spirite sincère doit travailler avant tout. Celui-là seul qui a dompté ses mauvais penchants, a réellement profité du Spiritisme et en recevra la récompense ; c'est pour cela que les bons Esprits, par l'ordre de Dieu, multiplient leurs instructions et les répètent à satiété ; un orgueil insensé peut seul dire : Je n'en ai plus besoin. Dieu seul sait quand elles seront inutiles, et à lui seul appartient de diriger l'enseignement de ses messagers, et de le proportionner à notre avancement.

Voyons pourtant si, en dehors de l'enseignement purement moral, les résultats du Spiritisme sont aussi stériles que quelques-uns le prétendent.

1° Il donne d'abord, comme chacun le sait, la preuve patente de l'existence et de l'immortalité de l'âme. Ce n'est point une découverte il est vrai, mais c'est faute de preuves sur ce point qu'il y a tant d'incrédules ou d'indifférents sur l'avenir ; c'est en prouvant ce qui n'était qu'une théorie qu'il triomphe du matérialisme, et qu'il en prévient les funestes conséquences pour la société. Le doute sur l'avenir étant changé en certitude, c'est toute une révolution dans les idées, et dont les suites sont incalculables. Là se bornerait exclusivement le résultat des manifestations : que ce résultat serait immense.

2° Par la ferme croyance qu'il développe, il exerce une puissante action sur le moral de l'homme ; il le porte au bien, le console dans ses afflictions, lui donne la force et le courage dans les épreuves de la vie, et le détourne de la pensée du suicide.

3° Il rectifie toutes les idées fausses que l'on s'était faites sur l'avenir de l'âme, sur le ciel, l'enfer, les peines et les récompenses ; il détruit radicalement, par l'irrésistible logique des faits, les dogmes des peines éternelles et des démons ; en un mot, il nous découvre la vie future, et nous la montre rationnelle et conforme à la justice de Dieu. C'est encore une chose qui a bien sa valeur.

4° Il fait connaître ce qui se passe au moment de la mort ; ce phénomène, jusqu'à ce jour insondable, n'a plus de mystères ; les moindres particularités de ce passage si redouté sont aujourd'hui connues ; or, comme tout le monde meurt, cette connaissance intéresse tout le monde.

5° Par la loi de la pluralité des existences, il ouvre un nouveau champ à la philosophie ; l'homme sait d'où il vient, où il va, pour quelle fin il est sur la terre. Il explique la cause de toutes les misères humaines, de toutes les inégalités sociales ; il donne les lois mêmes de la nature pour base aux principes de solidarité universelle, de fraternité, d'égalité et de liberté, qui n'étaient assis que sur la théorie. Il jette enfin la lumière sur les questions les plus ardues de la métaphysique, de la psychologie et de la morale.

6° Par la théorie des fluides périspritaux, il fait connaître le mécanisme des sensations et des perceptions de l'âme ; il explique les phénomènes de la double vue, de la vue à distance, du somnambulisme, de l'extase, des rêves, des visions, des apparitions, etc. ; il ouvre un nouveau champ à la physiologie et à la pathologie.

7° En prouvant les relations qui existent entre le monde corporel et le monde spirituel, il montre, dans ce dernier, une des forces actives de la nature, une puissance intelligente, et donne la raison d'une foule d'effets attribués à des causes surnaturelles et qui ont alimenté la plupart des idées superstitieuses.

8° En révélant le fait des obsessions, il fait connaître la cause, inconnue jusqu'ici, de nombreuses affections sur lesquelles la science s'était méprise au préjudice des malades, et qu'il donne les moyens de guérir.

9° En nous faisant connaître les véritables conditions de la prière et son mode d'action ; en nous révélant l'influence réciproque des Esprits incarnés et désincarnés, il nous apprend le pouvoir de l'homme sur les Esprits imparfaits pour les moraliser et les arracher aux souffrances inhérentes à leur infériorité.

10° En faisant connaître la magnétisation spirituelle, que l'on ne connaissait pas, il ouvre au magnétisme une nouvelle voie, et lui apporte un nouveau et puissant élément de guérison.

Le mérite d'une invention n'est pas dans la découverte d'un principe, presque toujours connu antérieurement, mais dans l'application de ce principe. La réincarnation n'est pas une idée nouvelle, sans contredit, non plus que le périsprit, décrit par saint Paul sous le nom de corps spirituel, ni même la communication avec les Esprits. Le Spiritisme, qui ne se flatte pas d'avoir découvert la nature, recherche avec soin toutes les traces qu'il peut trouver de l'antériorité de ses idées, et, quand il en trouve, il se hâte de le proclamer, comme preuve à l'appui de ce qu'il avance. Ceux donc qui invoquent cette antériorité en vue de déprécier ce qu'il a fait, vont contre leur but, et agissent maladroitement, car cela pourrait faire soupçonner une arrière-pensée.

La découverte de la réincarnation et du périsprit n'appartient donc pas au Spiritisme, c'est chose convenue ; mais, jusqu'à lui, quel profit la science, la morale, la religion avaient-elles retiré de ces deux principes, ignorés des masses, et restés à l'état de lettres mortes ? Non-seulement il les a mis en lumière, les a prouvés et fait reconnaître comme lois de nature, mais il les a développés et fait fructifier ; il en a déjà fait sortir d'innombrables et féconds résultats, sans lesquels on serait encore à comprendre une infinité de choses ; chaque jour ils nous en font comprendre de nouvelles, et l'on est loin d'avoir épuisé cette mine. Puisque ces deux principes étaient connus, pourquoi sont-ils demeurés si longtemps improductifs ? Pourquoi, pendant tant de siècles, toutes les philosophies se sont-elles heurtées contre tant de problèmes insolubles ? C'est que c'étaient des diamants bruts qu'il fallait mettre en œuvre : c'est ce qu'a fait le Spiritisme. Il a ouvert une nouvelle voie à la philosophie, ou, pour mieux dire, il a créé une nouvelle philosophie qui prend chaque jour sa place dans le monde. Sont-ce donc là des résultats tellement nuls qu'il faille se hâter de marcher à des découvertes plus vraies et plus solides ?

En résumé, d'un certain nombre de vérités fondamentales, ébauchées par quelques cerveaux d'élite, et restées pour la plupart à un état pour ainsi dire latent, une fois qu'elles ont été étudiées, élaborées et prouvées, de stériles qu'elles étaient, elles sont devenues une mine féconde d'où sont sortis une foule de principes secondaires et d'applications, et ont ouvert un vaste champ à l'exploration, de nouveaux horizons aux sciences, à la philosophie, à la morale, à la religion et à l'économie sociale.

Telles sont jusqu'à ce jour les principales conquêtes dues au Spiritisme, et nous n'avons fait qu'indiquer les points culminants. En supposant qu'elles dussent se borner à cela, on pourrait déjà se tenir pour satisfait, et dire qu'une science nouvelle qui donne de tels résultats en moins de dix ans, n'est pas entachée de nullité, car elle touche à toutes les questions vitales de l'humanité, et apporte aux connaissances humaines un contingent qui n'est pas à dédaigner. Jusqu'à ce que ces seuls points aient reçu toutes les applications dont ils sont susceptibles, et que les hommes en aient fait leur profit, il se passera encore bien du temps, et les spirites qui voudront les mettre en pratique pour eux-mêmes et pour le bien de tous, ne manqueront pas d'occupation.

Ces points sont autant de foyers d'où rayonnent d'innombrables vérités secondaires qu'il s'agit de développer et d'appliquer, ce qui se fait chaque jour ; car chaque jour se révèlent des faits qui lèvent un nouveau coin du voile. Le Spiritisme a donné successivement et en quelques années toutes les bases fondamentales du nouvel édifice ; à ses adeptes maintenant de mettre ces matériaux en œuvre, avant d'en demander de nouveaux ; Dieu saura bien leur en fournir quand ils auront achevé leur tâche.

Les spirites, dit-on, ne savent que l'alphabet du Spiritisme ; soit ; apprenons donc d'abord à syllaber cet alphabet, ce qui n'est pas l'affaire d'un jour, car, réduit même à ces seules proportions, il s'écoulera du temps avant d'en avoir épuisé toutes les combinaisons et récolté tous les fruits. Ne reste-t-il plus de faits à expliquer ? Les spirites n'ont-ils pas d'ailleurs à enseigner cet alphabet à ceux qui ne le savent pas ? ont-ils jeté la semence partout où ils auraient pu le faire ? ne reste-t-il plus d'incrédules à convertir, d'obsédés à guérir, de consolations à donner, de larmes à sécher ? Est-on fondé à dire qu'on n'a plus rien à faire quand on n'a pas achevé sa besogne, quand il reste encore tant de plaies à fermer ? Ce sont là de nobles occupations qui valent bien la vaine satisfaction d'en savoir un peu plus et un peu plus tôt que les autres.

Sachons donc épeler notre alphabet avant de vouloir lire couramment dans le grand livre de la nature ; Dieu saura bien nous l'ouvrir à mesure que nous avancerons, mais il ne dépend d'aucun mortel de forcer sa volonté en devançant le temps pour chaque chose. Si l'arbre de la science est trop haut pour que nous y puissions atteindre, attendons pour y voler que nos ailes soient poussées et solidement attachées, de peur d'avoir le sort d'Icare.

L'abbé Dégenettes, médium

Ancien curé de Notre-Dame des Victoires, à Paris

Le fait suivant est tiré textuellement de l'ouvrage intitulé : Mois de Marie, par l'abbé Défossés :

Voici comment se produisit au monde, d'une manière surnaturelle et céleste, l'œuvre Divine de l'archiconfrérie du très saint et immaculé Cœur de Marie. Laissons encore la parole à M. Dégenettes. Qui mieux que lui pourrait nous raconter ce qui se passa ?

« L'archiconfrérie a pris naissance le 3 décembre 1836. Beaucoup de personnes, qui ne jugent que d'après les apparences, nous en appellent le fondateur. Nous ne pouvons pas laisser passer ce préjugé sans le combattre et le détruire ; nous ne sommes point le fondateur ; à Dieu seul l'honneur et la gloire. Nous n'avions aucune des dispositions d'esprit et de cœur qui pouvaient nous y préparer ; nous devons confesser, en en demandant pardon à Dieu et à Marie, que, quoique enfant de Marie, habitué dès notre jeune enfance à l'aimer, à la vénérer comme la plus tendre des mères, nous ne comprenions rien à la dévotion de son saint cœur, que nous évitions même d'y penser. Nous ajoutons encore qu'un saint religieux, le P. Maccarty, ayant un jour prêché dans notre église des Missions étrangères sur le saint cœur de Marie, nous ne recueillions de son sermon aucun sentiment donnant notre suffrage ordinaire à l'éloquence du prédicateur, mais fâché, tant était grand l'orgueil de notre prévention, qu'il eût traité un tel sujet que nous pensions n'être pas plus utile aux autres qu'à nous. Telle a été notre disposition constante jusqu'au 3 décembre 1836, fête de saint François Xavier.

« Ce jour, à neuf heures du matin, je commençais la sainte messe au pied de l'autel de la sainte Vierge, que nous avons depuis consacré à son très saint et immaculé Cœur, et qui est aujourd'hui l'autel de l'archiconfrérie. J'en étais au premier verset du psaume Judica me, quand une pensée vint saisir mon esprit : c'était la pensée de l'inutilité de mon ministère dans cette paroisse ; elle ne m'était pas étrangère, je n'avais que trop d'occasions de la concevoir et me la rappeler ; mais dans cette circonstance elle me frappa plus vivement qu'à l'ordinaire. Comme ce n'était ni le lieu ni le temps de m'en occuper, je fis tous les efforts possibles pour l'éloigner de mon esprit. Je ne pus y parvenir, il me semblait toujours entendre une voix qui venait de mon intérieur et qui me disait : Tu ne fais rien, ton ministère est nul ; vois, depuis plus de quatre ans que tu es ici, qu'as-tu gagné ? Tout est perdu, ce peuple n'a plus de foi. Tu devrais, par prudence, te retirer !…

Malgré tous mes efforts pour repousser cette malheureuse pensée, elle s'opiniâtra tellement qu'elle absorba toutes les facultés de mon esprit, au point que je lisais et récitais des prières, sans plus comprendre ce que je disais. La violence que je m'étais faite m'avait fatigué et j'éprouvais une transpiration des plus abondantes. Je fus dans cet état jusqu'au commencement du canon de la messe. Après avoir récité le Sanctus, je m'arrêtai un instant, je cherchai à rappeler mes idées ; effrayé de l'état de mon esprit, je me dis : « Mon Dieu, dans quel état suis-je ? Comment vais-je offrir le divin sacrifice ? je n'ai pas assez de liberté d'esprit pour consacrer. O mon Dieu, délivrez-moi de cette distraction. » Aussitôt que j'eus achevé ces paroles, j'entendis distinctement ces mots prononcés d'une manière solennelle : Consacre ta paroisse au très saint et immaculé Cœur de Marie. A peine eus-je entendu ces paroles, qui ne frappèrent point mes oreilles, mais retentirent seulement au dedans de moi, que je recouvrai immédiatement le calme et la liberté d'esprit. La fatale impression qui m'avait si violemment agité s'effaça aussitôt ; il ne m'en resta aucune trace. Je poursuivis la continuation des saints mystères sans aucun souvenir de ma précédente distraction.

Après mon action de grâces, j'examinai la manière dont j'avais offert le saint sacrifice. Alors seulement je me rappelai que j'avais eu une distraction, mais ce n'était qu'un souvenir confus, et je fus obligé de rechercher, pendant quelques instants, quel en avait été l'objet. Je me rassurai en me disant : « Je n'ai pas péché, je n'étais pas libre. » Je me demandai comment cette distraction avait cessé, et le souvenir de ces paroles que j'avais entendues se présenta à mon esprit. Cette pensée me frappa d'une sorte de terreur. Je cherchai à nier la possibilité de ce fait, mais ma mémoire confondait les raisonnements que je m'objectais. Je bataillai avec moi-même pendant dix minutes. Je me disais à moi-même : Si je m'y arrêtais, je m'exposerais à un grand malheur, elle affecterait mon moral, je pourrais devenir visionnaire.

Fatigué de ce nouveau combat, je pris mon parti et me dis : Je ne puis m'arrêter à cette pensée, elle aurait de trop fâcheuses conséquences ; d'ailleurs c'est une illusion ; j'ai eu une longue distraction pendant la messe, voilà tout. L'essentiel pour moi est de n'y avoir pas péché. Je ne veux plus y penser. J'appuyai mes mains sur le prie-Dieu sur lequel j'étais à genoux. Au moment même, et je n'étais pas encore relevé (j'étais seul dans la sacristie), j'entends prononcer bien distinctement : Consacre ta paroisse au très saint et immaculé Cœur de Marie. Je retombe à genoux, et ma première impression fut un moment de stupéfaction. C'étaient les mêmes paroles, le même son, la même manière de les entendre. Pendant quelques instants, j'essayai de ne pas croire ; je voulais au moins douter, je ne le pouvais plus. J'avais entendu, je ne pouvais me le cacher à moi-même. Un sentiment de tristesse s'empara de moi ; les inquiétudes qui venaient de tourmenter mon esprit se présentèrent de nouveau. J'essayai vainement de chasser toutes ces idées ; je me disais : C'est encore une illusion, fruit de l'ébranlement donné à ton cerveau par la première impression que tu as ressentie ; tu n'as pas entendu, tu n'as pas pu entendre, et le sens intime me disait : Tu ne peux douter, tu as entendu deux fois.

Je pris le parti de ne point m'occuper de ce qui venait de m'arriver, de tâcher de l'oublier. Mais ces paroles : Consacre ta paroisse au très saint et immaculé Cœur de Marie, se présentaient sans cesse à mon esprit. Pour me délivrer de l'impression qui me fatiguait, je cède de guerre lasse et je me dis : C'est toujours un acte de dévotion à la sainte Vierge, qui peut avoir un bon effet ; essayons. Mon consentement n'était pas libre, il était exigé par la fatigue de mon esprit. Je rentrai dans mon appartement ; pour me délivrer de cette pensée, je me mis à composer les statuts de notre association. A peine eus-je mis la main à l'œuvre que le sujet s'éclaircit à mes yeux, et les statuts ne tardèrent pas à être rédigés. Voilà la vérité, et nous ne l'avons pas dite dans les premières éditions de notre manuel ; nous l'avons même cachée au vénérable directeur de notre conscience ; nous en avions fait jusqu'à ce jour un secret même aux amis les plus intimes ; nous n'osions pas le dévoiler ; et aujourd'hui que la divine miséricorde a signalé si authentiquement son œuvre par l'établissement, la prodigieuse propagation de l'archiconfrérie, et surtout par les fruits admirables qu'elle produit, ma conscience m'oblige à révéler ce fait. « Il est glorieux, disait l'archange Raphaël à Tobie, il est glorieux de révéler les œuvres de Dieu, afin que tous reconnaissent qu'à lui seul appartiennent louange, honneur et gloire. »

Le fait de médiumnité auditive est ici de la dernière évidence. A celui qui nierait que ce soit un effet médianimique et le considèrerait comme miraculeux, nous répondrions que le caractère du miracle est d'être exceptionnel et au-dessus des lois de la nature, et que l'on n'a jamais songé à donner cette qualité aux phénomènes qui se produisent tous les jours ; la reproduction est l'indice certain qu'ils existent en vertu d'une loi, et que, par conséquent, ils ne sortent pas de l'ordre naturel ; or, les faits analogues à celui de l'abbé Dégenettes sont au nombre des plus vulgaires, parmi ceux de la médiumnité ; les communications par voie auditive sont excessivement nombreuses.

Si donc, selon l'opinion de quelques-uns, le démon est le seul accent des effets médianimiques, il en faudrait conclure, pour être conséquent, que la fondation de ladite archiconfrérie est une œuvre démoniaque ; car, en bonne logique, l'analogie absolue des effets implique celle de la cause.

Un point très embarrassant pour les partisans du démon, c'est la reproduction incessante de tous les phénomènes médianimiques dans le sein même du clergé et des communautés religieuses, et la parfaite similitude d'une foule d'effets réputés saints, avec ceux qui sont réputés diaboliques. Force est donc de convenir que les mauvais Esprits n'ont pas seuls le pouvoir de se manifester, autrement la plupart des saints ne seraient que des possédés, attendu que beaucoup n'ont dû leur béatification qu'à des faits du genre de ceux qui se produisent aujourd'hui chez les médiums. Ils s'en tirent en disant que les bons Esprits ne se communiquent qu'à l'Église, ou qu'à l'Église seule appartient de distinguer ce qui vient de Dieu ou du diable ; soit, c'est une raison comme une autre qui reste à l'appréciation de chacun, mais qui exclut la doctrine de la communication exclusive des démons.

Notre collègue, M. Delanne, qui a bien voulu nous transmettre le fait ci-dessus, y a joint la communication suivante, de l'abbé Dégenettes, obtenue par madame Delanne :

« Mes chers enfants, je réponds avec bonheur à votre appel ; je vous donnerai volontiers les détails que vous désirez connaître, car je suis aujourd'hui attaché à la grande phalange des Esprits qui ont pour mission de conduire les hommes dans le chemin de la vérité.

Lorsque j'étais sur la terre, je travaillais de corps et d'âme à ramener les hommes vers Dieu, mais je n'avais qu'une bien faible idée de l'importance de cette grande loi par laquelle tous les hommes viendront au progrès. La matière impose de graves entraves, et nos instincts paralysent souvent les efforts de notre intelligence. Lors donc de mon audition, je ne savais trop qu'en penser ; mais voyant que cette voix continuait à se faire entendre, je conclus à un miracle. Je me considérais néanmoins comme un véritable instrument, et tout ce que j'obtins par cette intercession me confirmait dans cette idée. Eh bien ! j'avais été, en effet, un instrument ; mais il n'y avait pas de miracles ; j'étais un des hommes désignés pour porter une des premières pierres à la doctrine en fournissant la preuve des communications spirituelles.

Les temps sont proches où il vous sera donné de grands développements concernant les choses qu'on nomme mystères, et qui devaient l'être jusqu'à présent, car les hommes n'étaient pas encore aptes à les comprendre. Oh ! mille fois heureux ceux qui comprennent aujourd'hui cette belle et enviable mission de propager la doctrine de la révélation, et de montrer un Dieu bon et miséricordieux !

Oui, mes chers enfants, lorsque j'étais en exil sur la terre, je possédais le précieux don de la médianimité ; mais, je vous le répète, je ne savais pas m'en rendre compte. A partir du moment où cette voix a parlé à mon cœur, je reconnus plus spécialement et plus visiblement la protection de Marie dans toutes mes actions, même les plus simples, et si je dissimulai avant de faire part à mes supérieurs de ce qui m'était arrivé, c'est encore par les conseils de cette même voix, qui me faisait comprendre que l'heure n'était pas arrivée de faire cette révélation. J'avais le pressentiment et comme une vague intuition du renouvellement qui s'opère ; je comprenais que la révélation ne devait pas venir de l'Église, mais qu'un jour l'Église serait forcée de l'appuyer par tous les faits auxquels elle donne le nom de miracles, et qu'elle attribue à des causes surnaturelles.

Je continuerai une autre fois, mes enfants ; que la paix du Seigneur soit dans vos âmes et vous procure un sommeil paisible.

D. Devons-nous envoyer à M. Allan Kardec cette communication et les faits qui l'ont provoquée ? – R. Ne vous ai-je pas dit que j'étais un des propagateurs de la doctrine ? Mon nom n'a pas une grande valeur, mais je ne vois pas pourquoi je ne vous autoriserais pas à le faire. Du reste, ce n'est pas la première fois que je me communique ; vous pouvez donc transmettre au maître mes simples instructions, ou plutôt mes simples récits.

DÉgenettes. »


Remarque. – L'abbé Dégenettes s'est en effet communiqué plusieurs fois spontanément, et il a dicté des paroles dignes de l'élévation de son Esprit.

Autant qu'il nous en souvient, c'est lui qui, dans un sermon prêché à l'église de Notre-Dame des Victoires, raconta le fait suivant : Une pauvre ouvrière sans ouvrage étant venue prier à l'Église, rencontra en sortant un monsieur qui l'aborda et lui dit : « Vous cherchez de l'ouvrage ; allez à telle adresse, demandez madame une telle ; elle pourra vous en procurer. » La pauvre femme le remercia et se rendit à l'adresse indiquée, où elle trouva effectivement la personne en question, à laquelle elle raconta ce qui venait de lui arriver. Cette dame lui dit : « Je ne sais qui a pu vous donner mon adresse, car je n'ai point demandé d'ouvrière ; cependant, comme j'ai quelque chose à faire faire, je vais vous en charger. » La pauvre femme, avisant un portrait dans le salon, répondit : « Tenez, madame, le monsieur qui m'a envoyée chez vous est celui-ci, » en désignant le portrait. « C'est impossible, dit la dame ; ce portrait est celui de mon fils, mort il y a trois ans. – Je ne sais comment cela se fait, reprit l'ouvrière ; mais je le reconnais parfaitement. »

M. l'abbé Dégenettes croyait donc à l'apparition des âmes après la mort, sous l'apparence qu'elles avaient de leur vivant. Les faits de ce genre ne sont pas insolites, et l'on en a d'assez nombreux exemples. Il n'est pas présumable que l'abbé Dégenettes ait rapporté celui-ci en chaire sans preuves authentiques. Sa croyance sur ce point, jointe à ce qui lui était arrivé personnellement, vient à l'appui de ce qu'il dit de sa mission actuelle de propager la doctrine des Esprits.

Un fait comme le dernier qui vient d'être rapporté devait nécessairement passer pour merveilleux ; le Spiritisme seul, par la connaissance des propriétés du périsprit, pouvait en donner une explication rationnelle. Il prouve, par cela même, la possibilité de l'apparition du Christ à ses apôtres après sa mort.



Manifestations de Fives, près Lille (Nord)

On lit dans l'Indépendant de Douai, des 6 et 8 juillet 1865, le récit suivant des faits qui viennent de se passer à Fives :


I


« Depuis une quinzaine de jours, il se passe dans la rue du Prieuré, à Fives, des faits encore inexpliqués et qui causent une profonde sensation dans tout ce quartier. A certains intervalles arrive, dans la cour de deux habitations de cette rue, une grêle de projectiles qui brisent les vitres, atteignent parfois les habitants, sans qu'on puisse découvrir ni le lieu d'où ils partent, ni la personne qui les lance. Les choses en sont venues à ce point qu'un des deux locataires a dû garantir ses fenêtres d'un treillis, dans la crainte d'être assommé.

D'abord les intéressés ont fait le guet, puis ont eu recours à la police, qui a exercé la plus active surveillance pendant plusieurs jours. Cela n'a pas empêché les morceaux de brique, charbon de terre, etc., de tomber aussi drus dans les deux cours. Un agent a même reçu un projectile dans les reins au moment où il cherchait à expliquer à un de ses camarades la parabole que les cailloux décrivaient avant leur chute.

Le vitrier, en remettant les carreaux brisés la veille par des morceaux de brique, a été également atteint dans le dos. Il s'est aussitôt élancé, jurant de connaître l'auteur de ces actes répréhensibles, mais il ne fut pas plus heureux que les autres.

On constate depuis quelques jours une diminution notable dans le volume des projectiles, mais ils arrivent plus nombreux, de sorte que l'émotion continue. Cependant on espère découvrir bientôt ce qu'il y a de mystérieux dans cette singulière affaire.



II


Les phénomènes bizarres qui se sont produits dans la rue du Prieuré, à Fives, depuis le jeudi 14 juin, et dont nous avions déjà parlé, sont entrés depuis samedi dernier dans une nouvelle phase, dit le journal auquel nous avons emprunté le premier récit.

Il ne s'agit plus de projectiles lancés du dehors avec un fracas extraordinaire contre les portes et les fenêtres, et beaucoup moins violemment contre les personnes.

Voici ce qui se passe maintenant dans une des deux maisons dont il a été parlé, – l'autre restant parfaitement tranquille.

Dans la journée de samedi, il tombe dans la cour huit sous et cinq pièces de deux centimes belges. La dame de la maison, voyant en même temps plusieurs meubles s'agiter et des chaises se renverser, va appeler des personnes du voisinage. On relève les chaises ; à plusieurs reprises, elles tombent de nouveau. En même temps on voit dans le jardin les sabots, laissés à l'entrée par la servante, bondir en cadence, comme s'ils étaient aux pieds d'une personne qui danserait.

Dans la soirée, un calendrier placé au-dessus d'une cheminée saute et tourbillonne en l'air ; des souliers, déposés à terre, sautent aussi, et retombent la semelle en haut.

La nuit venue, le maître de la maison, M. M…, résolut de veiller.

A peine seul, il entendit un bruit : c'était un chandelier qui tombait sur la cheminée ; tandis qu'il le relève, un coquillage roule à terre ; il se baisse pour le ramasser : l'autre chandelier lui tombe sur le dos. Ces manèges durèrent une partie de la nuit.

Pendant ce temps, la bonne, qui couche en haut, se mit à crier au secours ; on la trouva dans une telle frayeur qu'on ne put douter de sa sincérité quand elle affirma qu'on l'avait battue. On la fit descendre et coucher dans un cabinet voisin ; on l'entendit bientôt se plaindre encore, on entendait même les coups qu'elle recevait.

Cette fille est devenue malade et a dû retourner chez ses parents.

Le dimanche matin et le lendemain, il tombe encore des sous et des centimes belges dans la cour.

L'après-midi, Mme X… sort avec une de ses amies, après avoir visité toute sa maison, et sans y avoir rien remarqué qui ne fût pas en ordre.

La porte est soigneusement fermée. Personne n'a pu entrer. En revenant, Mme X… trouve dessiné sur son lit un grand 8 avec des bas et des foulards qui étaient enfermés dans une armoire.

Le soir, avec son mari, son neveu et un pensionnaire, qui composent avec elle tout le personnel de la maison, elle fait la visite de tous les appartements. Le lendemain matin, en montant à la chambre occupée autrefois par la servante, elle trouve, sur le lit, un dessin bizarre formé avec des bonnets, et, sur l'escalier d'en bas, une dizaine de marches couvertes par les paletots de son mari, de son neveu et du pensionnaire, étendus tout de leur long et surmontés d'un chapeau.

Le mardi matin, il tombe encore dans la cour un centime belge. On avait l'intention de le donner aux pauvres, ainsi que la monnaie tombée les deux jours précédents. Mais voila que le nécessaire où elle était déposée saute d'une pièce à l'autre et l'argent disparaît ainsi que la clef du secrétaire.

En balayant la salle à manger, on voit tout à coup deux couteaux se ficher dans le plancher, un autre est planté dans le plafond.

Tout à coup une clef tombe dans la cour. C'est celle de la porte de la rue, puis vient celle du secrétaire ; puis, des foulards, des mouchoirs roulés et noués, qui avaient disparu depuis quelque temps.

Dans l'après-midi, on voit sur le lit de M. M… un rond formé avec des habits, et au grenier un dessin du même genre, formé avec un vieux caban enroulé et une bourriche.

Tous ces faits, ainsi que ceux dont nous avons parlé samedi, sont attestés par les personnes de la maison, dont le caractère est loin d'être porté à l'exagération ou à l'illusion. Ils paraissant d'autant plus singuliers que le voisinage est parfaitement bien habité, et qu'une active surveillance n'a cessé d'être exercée depuis trois semaines.

On peut se figurer combien les personnes de la maison souffrent de cet état de choses. Après avoir commencé par masquer les fenêtres du côté de la cour, elles se sont ensuite décidées à abandonner les pièces où se produisaient les faits que nous avons rapportés, et elles sont maintenant en quelque sorte campées dans deux ou trois pièces, en attendant la fin de leurs ennuis.

Pour la chronique : Th. Denis. »



Ces faits, comme on le voit, ont une certaine analogie avec ceux de Poitiers, du boulevard Chave, à Marseille, de la rue des Grès et de celle des Noyers à Paris, de Hoerdt, près de Strasbourg, et d'une foule d'autres localités. Partout ils ont mis en défaut la surveillance la plus active et les investigations de la police. A force de se multiplier, ils finiront par ouvrir les yeux. S'ils ne se produisaient que dans un seul endroit, on serait fondé à les attribuer à une cause locale, mais lorsqu'ils ont lieu sur des points si éloignés et à des époques différentes, il faudra bien arriver à reconnaître que la cause est dans le monde invisible, puisqu'on ne la trouve pas dans celui-ci. En présence de ces faits si multipliés et qui, par conséquent, ont de si nombreux témoins, la négation n'est plus guère possible, aussi voit-on que les comptes rendus se bornent généralement à de simples récits.

Les Esprits ont annoncé que des manifestations de toute nature allaient se produire sur tous les points ; en effet, si l'on examine ce qui se passe depuis quelque temps, on voit qu'ils sont féconds en ressources pour attester leur présence. Les incrédules demandent des faits ; les Esprits leur en donnent à chaque instant, qui ont une valeur d'autant plus grande qu'ils ne sont point provoqués et se produisent sans le concours de la médiumnité ordinaire, et la plupart du temps chez des personnes étrangères au Spiritisme. Les Esprits semblent leur dire : Vous accusez les médiums de compérage, de prestidigitation, d'hallucinations ; nous vous donnons des faits qui ne sont pas suspects ; si après cela vous ne croyez pas, c'est que vous voudrez fermer les yeux et les oreilles.

Les manifestations de Fives nous sont, en outre, attestées par M. Mallet, de Douai, officier supérieur et homme de science, qui s'est enquis de leur réalité sur les lieux mêmes et auprès des personnes intéressées. Nous pouvons donc en garantir la parfaite exactitude.

Problème psychologique

Deux frères idiots

Dans un ménage d'ouvriers de Paris se trouvent deux enfants atteints d'idiotie, et qui présentent cette particularité que, jusqu'à l'âge de cinq à six ans, ils jouissaient de toutes leurs facultés intellectuelles relativement même très développées. A moins qu'elle ne soit provoquée par une cause accidentelle, l'idiotie, chez les enfants, est presque toujours le résultat d'un arrêt de développement des organes, et se manifeste, par conséquent, dès la naissance. Ce qui est en outre à remarquer ici, c'est le fait de deux enfants atteints de la même infirmité dans des conditions identiques.

Ce double phénomène pouvant être le sujet d'une étude intéressante au point de vue psychologique, un des membres de la Société de Paris, M. Desliens, se fit introduire dans cette famille par un de ses amis, afin de pouvoir en rendre compte à la Société. Voici le résultat de ses observations.

« Lorsque le père connut le but de ma visite, dit-il, il passa dans un cabinet, et en ressortit apportant sur ses bras un être plus semblable par les traits à un animal qu'à un foyer d'intelligence. Il en amena également un second dans le même état d'hébétement, mais avec des apparences physiques plus humaines. Aucun son sensé ne s'échappa de la bouche de ces infortunés ; de petits cris aigus, un grondement rauque sont leurs seules manifestations bruyantes. Presque toujours un rire bestial anime leur physionomie. L'aîné se nomme Alfred, et le second Paulin.

Alfred, qui a aujourd'hui dix-sept ans, naquit avec toute son intelligence qui se manifesta même avec une certaine précocité. A trois ans il parlait avec à propos et comprenait le moindre signe. Il fit alors une courte maladie, après laquelle il perdit l'usage de la parole et de ses facultés mentales. Les traitements médicaux n'aboutirent qu'à un épuisement des forces vitales, traduit aujourd'hui par un rachitisme absolu.

Cet être, qui n'a d'un homme pas même l'apparence, a cependant du sentiment ; il aime ses parents ; il aime son frère, et sait manifester sa sympathie ou sa répulsion pour ceux qui l'entourent. Il comprend tout ce qu'on lui dit ; il regarde avec des yeux où brillent l'intelligence ; il cherche sans cesse, mais sans résultat, à répondre lorsqu'on parle devant lui de choses qui l'intéressent. Il a une peur invincible de la mort, et ne peut voir un corbillard sans chercher à s'enfuir. Sa tante lui ayant dit un jour, en plaisantant, qu'elle l'empoisonnerait s'il continuait à être méchant, il comprit si bien que, pendant plus d'un an, il refusa de recevoir aucune nourriture de ses mains, bien qu'il soit d'un appétit extraordinaire.

Paulin, âgé de quinze ans, a une apparence plus humaine corporellement ; il porte sur son visage hébété, le cachet d'un idiotisme absolu. Cependant il aime, mais à cela se bornent ses manifestations extérieures. Il naquit également avec toute sa raison qu'il conserva entière jusqu'à l'âge de six ans. Il aimait beaucoup son frère. A cet âge il tomba malade et passa par les mêmes phases que son aîné. Il a fait dernièrement une longue maladie, et depuis ce temps il paraît mieux comprendre ce qu'on dit. Le curé et les prêtres de la paroisse firent entendre à la famille qu'il y avait là possession du démon et qu'il fallait exorciser les enfants. Les parents hésitaient ; cependant, fatigués de l'insistance de ces messieurs, et craignant de perdre les secours qu'ils recevaient à cause de leurs enfants, ils y consentirent ; mais alors ces messieurs prétendirent qu'il y avait eu en effet possession autrefois, mais qu'aujourd'hui ce n'était plus cela et qu'il n'y avait rien à faire. Il faut dire à la louange des parents, que leur tendresse pour ces infortunées créatures ne s'est jamais démentie, et qu'elles ont constamment été l'objet des soins les plus affectueux. »

Messieurs les ecclésiastiques ont sagement fait de renoncer à l'exorcisme, qui n'eût abouti qu'à un échec. Ces enfants même ne présentent aucun des caractères de l'obsession dans le sens du Spiritisme, et tout prouve que la cause du mal est purement pathologique. Chez tous les deux l'idiotie s'est produite à la suite d'une maladie qui a, sans aucun doute, occasionné l'atrophie des organes de la manifestation de la pensée. Mais il est aisé de voir que derrière ce voile existe une pensée active qui rencontre un obstacle invincible à sa libre émission. L'intelligence de ces enfants, pendant les premières années, prouve en eux des Esprits avancés qui se sont plus tard trouvés enserrés dans des liens trop étroits pour qu'ils pussent se manifester ; sous une enveloppe dans des conditions normales, ils eussent été des hommes intelligents, et lorsque la mort les aura délivrés de leurs entraves, ils recouvreront le libre usage de leurs facultés.

Cette contrainte imposée à l'Esprit doit avoir une cause morale, providentielle, et cette cause doit être juste, puisque Dieu est la source de toute justice. Or, comme ces enfants n'ont rien pu faire dans cette existence qui pût mériter un châtiment quelconque, il faut bien admettre qu'ils payent la dette d'une existence antérieure, à moins de nier la justice de Dieu. Ils nous offrent une preuve de la nécessité de la réincarnation, cette clef qui résout tant de problèmes, et qui chaque jour jette la lumière sur tant de questions encore obscures. » (Voy. l'Evangile selon le Spiritisme, chap. v, n° 66 : Causes antérieures des afflictions terrestres.)

La communication suivante a été donnée sur ce sujet à la Société de Paris, le 7 juillet 1865. (Méd. M. Desliens).

« La perte de l'intelligence, chez les deux idiots dont il s'agit, est certainement explicable au point de vue scientifique. Chacun d'eux a fait une courte maladie ; on peut donc conclure avec raison que les organes cérébraux ont été affectés. Mais pourquoi cet accident a-t-il eu lieu après la manifestation évidente de toutes leurs facultés, contrairement à ce qui se passe généralement dans l'idiotie ? Je le répète, toute perturbation de l'intelligence ou des fonctions organiques peut être expliquée physiologiquement, quelle que soit la cause première, attendu que des lois ayant été établies par le Créateur pour les rapports entre l'intelligence et les organes de transmission, il ne peut y être dérogé. La perturbation de ces rapports est une conséquence même de ces lois, et peut frapper le coupable pour ses fautes antérieures : là est l'expiation.

Pourquoi ces deux êtres sont-ils frappés ensemble ? Parce qu'ils ont participé à la même vie ; qu'ils ont été liés pendant l'épreuve, et qu ils doivent être réunis pendant la vie d'expiation.

Pourquoi leur intelligence s'est-elle d'abord manifestée, contrairement à ce qui a lieu ordinairement en pareil cas ? Au point de vue de l'intention providentielle, c'est une des mille nuances de l'expiation, qui a sa raison d'être pour l'individu, mais dont il serait souvent difficile de sonder le motif, par cela même qu'il est individuel. Il faut y voir aussi un de ces faits qui viennent journellement confirmer, pour l'observateur attentif, les bases de la doctrine spirite, et sanctionner par l'évidence, les principes de la réincarnation.

N'oubliez pas non plus que les parents ont leur part dans ce qui se passe ici ; c'est pour leur tendresse à l'égard de ces êtres qui ne leur offrent aucune compensation, une grande épreuve. Il faut les féliciter de n'y point faillir, car cette compensation qu'ils ne trouvent pas en ce monde, ils la trouveront plus tard. Dites en vous-mêmes que les soins et l'affection qu'ils prodiguent à ces deux pauvres êtres, pourraient bien être une réparation à leur égard, réparation que l'état de gêne de la famille rend encore plus méritoire. »

Moki.

Variétés

Épitaphe de Benjamin Franklin

Un de nos abonnés de Joinville (Haute-Marne) nous écrit ce qui suit :

« Sachant le bon accueil qui est réservé à tous les documents qui ont quelques rapports avec la doctrine spirite, je m'empresse de vous donner connaissance d'un passage de la biographie de Franklin, tiré de la Mosaïque de 1839, page 287 ; il prouve une fois de plus qu'à toutes les époques, des hommes supérieurs ont eu l'intuition des vérités spirites. La croyance de ce grand homme à la réincarnation et à la progression de l'âme se révèle tout entière dans les quelques lignes suivantes, formant l'épitaphe qu'il a composée lui-même ; elle est ainsi conçue :

« Ici repose, livré aux vers, le corps de Benjamin Franklin, imprimeur, comme la couverture d'un vieux livre dont les feuillets sont arrachés, et le titre et la dorure effacés ; mais, pour cela, l'ouvrage ne sera pas perdu, car il reparaîtra, comme il le croyait, dans une nouvelle et meilleure édition, revue et corrigée par l'auteur. »

Un des principaux citoyens, dont les Etats-Unis s'honorent le plus, était donc réincarnationiste ; non seulement il croyait à sa renaissance sur la terre, mais il croyait y revenir amélioré par son travail personnel ; c'est exactement ce que dit le Spiritisme. Si l'on recueillait tous les témoignages épars dans des milliers d'écrits en faveur de cette doctrine, on reconnaîtrait combien elle a eu de racines chez les penseurs de toutes les époques, et l'on s'étonnerait moins de la facilité avec laquelle elle est accueillie aujourd'hui, car on peut dire qu'elle gît latente dans la conscience du plus grand nombre. Ces pensées, semées çà et là, étaient les étincelles précurseurs du feu qui devait briller plus tard, et montrer aux hommes leur destinée.

Notices bibliographiques

Le Manuel de Xéfolius

Ce livre est une nouvelle preuve de la fermentation des idées spirites longtemps avant qu'il fût question des Esprits. Mais ici ce ne sont plus quelques pensées éparses, c'est une série d'instructions qu'on dirait calquées sur la doctrine actuelle, ou tout au moins puisées à la même source. Cet ouvrage, attribué à Félix de Wimpfen, guillotiné en 1793, paraît avoir été publié vers 1788 ; il n'a d'abord été imprimé qu'à soixante exemplaires pour quelques amis, ainsi que l'annonce un avis placé en tête, et, par conséquent, était excessivement rare. Voici le texte de la préface, qui porte la date de 1788, et dont la forme assez ambiguë pourrait bien être une manière de dissimuler la personnalité de l'auteur.

« Quand je dirais par quelle voie est tombé dans mes mains l'ouvrage que je donne aujourd'hui au public, l'extraordinaire que renferme cette histoire ne satisferait pas davantage le lecteur que mon silence ne peut l'inquiéter, et n'ajouterait rien au prix inestimable du présent que je lui fais. Surprise et préoccupée par cette singularité, j'ai lu avec une sorte de méfiance ; mais bientôt les conjectures ont été étouffées par l'admiration ; j'ai trouvé ce qu'aucun philosophe ne nous avait encore offert, un système complet. J'ai senti mon esprit s'appuyer, se fixer sur une base qui lui était en tout correspondante ; j'ai senti mon âme s'élever et s'agrandir ; j'ai senti mon cœur s'embraser d'un nouvel amour pour mes semblables ; mon imagination a été frappée d'un respect plus profond pour l'auteur de toutes choses ; j'ai vu le pourquoi de tant de sujets de murmures contre la sagesse éternelle ; en me trouvant meilleure et plus heureuse, j'ai pensé que ce n'était point au hasard que j'avais été choisie, et que la Providence m'avait déterminée pour être l'instrument de la publication de ce manuel, propre à tous les cultes qu'il respecte, à tous les âges qu'il instruit, à tous les états qu'il console, du monarque au mendiant. Le sentiment et la raison m'ont portée d'accord à faire partager à mes frères les encourageantes espérances, la paisible résignation, les élans vers la perfection dont je me trouve pénétrée. Forte d'une félicité qui m'était inconnue jusqu'alors, je brave le ridicule que me jetteront les esprits forts par faiblesse, et d'avance je leur pardonne les chagrins dont ils voudront peut-être payer le bonheur auquel j'invite le lecteur, et qui, tôt ou tard, deviendra son partage.

Un de nos collègues de la Société spirite de Paris, qui habite Gray, dans la Haute-Saône, trouva, il y a peu de temps, cet ouvrage sur sa table, sans qu'il ait jamais pu savoir comment ni par qui il y avait été apporté, ne connaissant personne qui ait pu le faire, et ne comprenant pas d'ailleurs le motif qu'on aurait eu de se cacher. Parmi les personnes qu'il fréquente, aucune n'y fit allusion dans la conversation, et ne parut avoir connaissance du livre, lorsqu'il en parla. Frappé lui-même des idées qu'il renferme, il nous le communiqua à son dernier voyage à Paris. Une édition plus récente en ayant été publiée chez Hachette[1], nous nous empressâmes de nous le procurer. Son titre, qui malheureusement ne dit rien, a dû contribuer à le laisser ignorer du public. Nous croyons que les Spirites nous sauront gré de le tirer de l'oubli en le signalant à leur attention. Nous ne pouvons mieux le faire qu'en en citant quelques passages.

Nous sommes tous partis du même point pour arriver à la même circonférence par des rayons différents, et c'est de la diversité des types que nous avons usés que provient la diversité des inclinations des hommes à leur premier prototype. Quant aux inclinations de ceux qui en ont déjà usé plusieurs, elles ont tant de causes différentes et tant de différentes nuances, qu'en voulant les indiquer on se perdrait dans l'infini. Je me contenterai donc de dire que, tant que l'on ne fait que tourner dans le cercle des vanités, l'on se ressemble toujours ; mais que celui qui est rentré dans ses lois ne pourra pas concevoir comment il a pu commettre certaines actions si peu ressemblantes, si contraires à ce qu'il est actuellement. (Page 87.)

L'homme ne passe dans un prototype ou difforme ou débile que lorsqu'il a abusé criminellement de la force et de la beauté de celui qu'il vient de quitter, parce qu'après que nous en avons eu l'expérience, nous sommes privés des avantages dont nous avons abusés pour nous éloigner du bonheur et du salut, et nous recevons ce qui peut nous en rapprocher de nouveau. Si donc ce fut la beauté : nous renaîtrons laids, difformes ; si la santé : faibles, maladifs ; si les richesses : pauvres, méprisés ; si les grandeurs : esclaves, conspués ; tels enfin que le jeu des lois universelles nous en montre déjà ici-bas quelques exemples constants dans ceux qui, après avoir abusé des biens passagers ou de convention, pour outrager leurs frères, sont devenus pour eux un sujet de mépris et de pitié. (Page 89.)

Quand nous jugeons des peines que mérite un crime, nous pouvons varier dans la mesure des punitions. Mais nous convenons tous que le crime doit être puni. Nous serons également d'accord pour convenir que les châtiments qui, d'un mauvais sujet feraient un bon citoyen, seraient préférables à la barbarie de le faire supplicier éternellement et inutilement pour lui et pour les autres, et que la Toute-Puissance ne pouvant être menacée, offensée, ébranlée, elle ne peut vouloir se venger ; qu'ainsi tout ce que nous éprouvons n'est que pour nous éclairer et nous modifier ; mais le prix inestimable qu'attache l'homme à des objets de toute espèce lui fait penser qu'il ne faut pas moins qu'une puissance infinie pour proportionner le châtiment au délit dont on s'est rendu coupable envers lui ; et dans sa folle passion, il s'imagine que Dieu ne manquera pas de se venger comme il se vengerait s'il était Dieu, tandis que d'autres cherchent à se persuader que le Ciel ne prend aucune connaissance de leurs crimes. Mais c'est ainsi que doivent raisonner les différents dévoyés, chacun prenant son différent intérêt pour base. » (Page 134.)

Si l'on n'avait pas borné l'univers à notre petit globe, à un Élysée, à un Tartare, le tout entouré de chandelles, l'on eut été plus juste envers Dieu et les hommes.

Tu ne sais que faire de ce tyran de Rome qui, après d'innombrables forfaits, mourut avec le regret de n'avoir pas commis tous ceux dont on trouva encore la liste. Ne pouvant le faire passer dans l'Élysée, tu inventes des Furies, un Tartare, tu le précipites dans le gouffre des peines éternelles. Mais quand tu sauras que ce tyran, assassiné à la fleur de son âge, n'a pas cessé de vivre ; qu'il a passé dans les conditions les plus abjectes ; qu'il a été puni par la loi du talion ; qu'il a souffert à lui seul tout ce qu'il avait fait endurer à tant d'autres ; quand tu sauras, qu'instruit par le malheur, ce grand maître de l'homme, modifié par les souffrances, détrompé, éclairé sur tout ce qui égare ; ce cœur dans lequel abondaient l'erreur et les vices, et qui vomit les crimes que les lois universelles ont fait servir à la modification et au salut d'une quantité de nos frères ; quand tu sauras, dis-je, que ce même cœur est aujourd'hui l'asile de la vérité, des plus tendres et des plus harmonieuses vertus, quels seront tes sentiments pour lui ? (Page 131.)

Quand les hommes ont imaginé un Dieu vengeur, ils l'ont fait à leur image. L'homme se venge, ou parce qu'il croit avoir été lésé, ou pour prouver qu'il ne faut pas se jouer de lui, c'est-à-dire qu'il ne se venge que par avarice et par crainte, croyant ne se venger que par un sentiment de justice. Or, chacun sait à quels excès peuvent nous pousser nos discordantes passions. Mais l'Éternel, inaccessible à nos attaques, l'Éternel aussi bon que juste, n'exerce sa justice qu'en mesure égale avec sa bonté. Sa bonté nous ayant créés pour une fin heureuse, il a justement ordonné la nature des choses de façon : 1° à ce qu'aucun crime ne puisse rester impuni ; 2° à ce que la punition devienne tôt ou tard une lumière pour l'infracteur et pour plusieurs autres ; 3° à ce que nous ne puissions déplacer ni enfreindre nos lois sans tomber dans un mal proportionné à notre infraction et à la luxation morale du degré actuel de notre modification. (Page 132.)

Plus tu avances, plus tu trouveras de charmes à la prière d'amour ; parce que c'est par l'amour que nous serons heureux, et que l'amour étant le lien des êtres, ton bon génie réagira sur toi. Ce compagnon invisible est peut-être l'ami que tu crois avoir perdu, ou cet autre toi-même que tu crois n'exister que dans ton désir ; mais encore un moment, et tu seras avec lui et avec tous ceux que tu auras bien aimés, ou que tu eusses préférablement aimés si tu les avais connus. (Page 265.)

Quand une injustice ou une méchanceté élèvera en toi le sentiment de l'indignation, avant de raisonner sur cette injustice ou cette méchanceté, raisonne ton sentiment, afin qu'il ne se change pas en colère. Dis-toi : c'est pour supporter cela que j'ai besoin de la sagesse ; ne serait-ce pas une vieille dette que je paye ? Si je me laisse ébranler, je ne tarderai pas à tomber. Ne sommes-nous pas tous sous la main du grand Ouvrier, et ne sait-il pas mieux que moi l'outil dont il doit se servir ? Quels conseils donnerais-je à mon ami si je le voyais dans ma position ? N'est-il pas vrai que je le rappellerais à la gradation des êtres ; que je lui demanderais si un sauvageon produit d'aussi bons fruits qu'un espalier ; s'il voudrait se trouver aussi arriéré que l'est ce méchant, afin de pouvoir lui rendre la pareille ; si le coup qu'il vient de recevoir n'a pas tranché un lien qu'il ne connaissait pas, ou qu'il n'avait pas la force de rompre lui-même ? Ne finirais-je point par fixer ses yeux sur cette félicité éternelle, prix du complément d'une harmonie dans laquelle nous ne faisons des progrès qu'à mesure que nous nous éclairons et que nous nous détachons des misérables intérêts d'où naissent des chocs continuels, et que nous nous élevons au-dessus du fini ! » (Page 310.)

Ces citations en disent assez pour faire connaître l'esprit de cet ouvrage, et rendre tout commentaire superflu. Ayant demandé au guide d'un de nos médiums, M. Desliens, s'il serait possible d'évoquer l'Esprit de l'auteur, il fut répondu : « Oui, certainement et avec d'autant plus de facilité qu'il n'en est pas à sa première communication. Plusieurs médiums ont déjà été dirigés par lui en plusieurs circonstances ; mais je lui laisse à lui-même le soin de s'expliquer. Le voici. »

L'Esprit, évoqué et interrogé sur les sources où il a puisé les idées contenues dans son livre, a donné la communication suivante (29 juin 1865) :

« Puisque vous avez lu un ouvrage dont je ne m'attribue pas seul tout le mérite, vous devez savoir que le bien de l'humanité et l'instruction de mes frères ont été l'objet de mes plus chers désirs. C'est vous dire que je viens avec plaisir vous donner les renseignements que vous attendez de moi. Déjà je suis venu plusieurs fois aux séances de la Société, non seulement comme spectateur mais aussi comme instructeur, et vous ne serez pas étonné de ce que j'avance, lorsque je vous dirai, comme vous le savez déjà, que les Esprits prennent dans leurs communications, le nom type du groupe auquel ils appartiennent. Ainsi, tel Esprit qui signe saint Augustin ne sera pas l'Esprit de saint Augustin lui-même, mais bien un être du même ordre, arrivé au même degré de modification. Ceci posé, apprenez que je fus, du vivant de mon corps, un de ces médiums inconscients qui se révèlent fréquemment à votre époque. Pourquoi ai-je parlé sitôt et d'une manière qui semble prématurée, je vais vous le dire :

Pour chaque acquisition de l'homme, dans les sciences ou physiques ou morales, divers jalons, dédaignés, repoussés d'abord pour triompher ensuite, ont dû être posés afin de préparer insensiblement les Esprits aux mouvements futurs. Toute idée neuve, faisant, sans précédent, son entrée dans le monde qu'on a coutume d'appeler savant, n'a guère chance de réussite, en raison de l'esprit de parti et des oppositions systématiques de ceux qui le composent. Se rendre à de nouvelles idées, dont cependant ils reconnaissent la sagesse, c'est pour eux une humiliation, car ce serait avouer leur faiblesse et prouver l'insanité de leurs systèmes particuliers. Ils préfèrent nier par amour-propre, par respect humain, par ambition même, jusqu'à ce que 1'évidence les force à convenir de leur erreur, sous peine de se voir couverts du ridicule qu'ils avaient voulu déverser sur les nouveaux instruments de la Providence.

Il en fut ainsi de tout temps ; il en fut de même pour le Spiritisme. Ne soyez donc pas étonnés de retrouver à des époques antérieures au grand mouvement spiritualiste, diverses manifestations isolées, dont la concordance avec celles de l'heure présente, prouve une fois de plus, l'intervention de la Toute-Puissance dans toutes les découvertes que l'humanité attribue à tort à quelque génie humain particulier.

Sans doute, chacun a son génie propre ; mais, réduit à ses propres forces, que ferait-il ? Lorsqu'un homme, doué d'une intelligence capable de propager de nouvelles institutions avec quelques chances de succès, paraît sur cette terre ou ailleurs, il est choisi par la hiérarchie des êtres invisibles chargés, par la Providence, de veiller à la manifestation de la nouvelle invention, pour recevoir l'inspiration de cette découverte et amener progressivement les incidents qui doivent en assurer la réussite.

Vous dire ce qui m'a poussé à écrire ce livre, manifestation vraie de mon individualité, m'eût été impossible du temps de mon incarnation ; maintenant, je vois clairement que j'ai été l'instrument, en partie passif, de l'Esprit chargé de me diriger vers le point harmonieux, sur lequel je devais me modeler pour acquérir la somme des perfections qu'il m'était donné d'atteindre sur cette terre. Il y a deux sortes de perfections bien distinctes l'une de l'autre : les perfections relatives qui nous sont inspirées par le guide du moment, guide, bien loin d'être encore au sommet de l'échelle des perfectibilités, mais surpassant seulement leurs protégés en raison de la compréhension dont ils sont capables.

Il y a ensuite la perfection absolue qui, pour moi n'est qu'une aspiration encore voilée par ce que j'ignore, et à laquelle on arrive par la succession des perfections relatives.

A chaque monde qu'elle franchit, l'âme acquiert de nouveaux sens moraux qui lui permettent de connaître des choses dont elle n'avait pas la moindre idée. Vous dirais-je qui je fus ? quel rang j'occupe dans l'échelle des êtres ? A quoi bon ? De quelle utilité me serait un peu de gloire terrestre ?… J'aime mieux conserver le doux souvenir d'avoir été utile à mes semblables dans la mesure de mes forces, et continuer ici la tâche que Dieu, dans sa bonté, m'avait imposée sur la terre.

Je me suis instruit en instruisant les autres ; ici, je fais de même. Je vous apprendrai seulement que je fais partie de cette catégorie d'Esprit que vous désignez par le nom générique de Saint-Louis.

D. Pourriez-vous nous dire : 1° si, dans votre incarnation dernière, vous étiez la personne désignée dans la préface de la réédition de votre ouvrage, sous le nom de Félix de Wimpfen ? 2° si faisiez-vous partie de la secte des Théosophes dont les opinions se rapprochent beaucoup des nôtres ; 3° si vous devez bientôt vous réincarner et faire partie de la phalange d'Esprits destinée à achever le grand mouvement auquel nous assistons. M. Allan Kardec a l'intention de faire connaître votre livre ; il serait aussi bien aise d'avoir votre avis, à ce sujet. – R. Non, je ne fus pas Félix de Wimpfen, croyez-moi ; je le serais, que je n'hésiterais pas à le dire. Il fut mon ami, ainsi que divers autres philosophes du dix-huitième siècle ; je partageai même sa fin cruelle ; mais, je le répète, mon nom demeura inconnu, et il me paraît inutile de le faire connaître.

Certes, je fus un Théosophe, sans partager l'enthousiasme qui distingua quelques-uns des partisans de cette école.

J'eus des relations avec les principaux d'entre eux et mes idées, comme vous avez pu le voir, étaient en tout conformes aux leurs.

Je suis entièrement soumis aux décrets de la Providence, et s'il lui plaît de m'envoyer de nouveau sur cette terre pour continuer à me purifier et à m'éclairer, je bénirai sa bonté. C'est d'ailleurs un désir que j'ai formulé et dont j'espère bientôt voir la réalisation.

La connaissance de mon livre venant appuyer les idées spirites, je ne puis qu'approuver notre cher président d'y avoir songé ; mais, il n'est peut-être pas le premier instigateur de cette démarche et je suis certain, pour ma part, que quelques Esprits de ma connaissance ont contribué à le lui mettre entre les mains, et à lui inspirer les intentions qu'il a prises à cet égard.

Lorsque vous m'évoquerez spécialement je me ferai reconnaître ; mais si je viens vous instruire comme par le passé, vous ne reconnaîtrez en moi qu'un des Esprits de l'ordre de Saint-Louis. »





[1] Un vol. in-12. Prix : 2 fr. 50 ; par la poste : 2 fr. 80.





Dissertations spirites

La clef du ciel

Société de Montreuil-sur-Mer, 5 janvier 1865

Quand on considère que tout vient de Dieu et retourne à Dieu, il est impossible de ne pas apercevoir, dans la généralité des créations divines, le lien qui les relie entre elles et les assujettit à un travail de commun avancement, en même temps qu'à un travail d'avancement particulier ; comme aussi on ne peut méconnaître que la loi de solidarité qui en résulte, ne nous oblige à des sacrifices gratuits de toutes sortes les uns envers les autres. Il est à remarquer d'ailleurs que Dieu nous a montré en tout une première application par lui-même des principes primordiaux qu'il a établis. Ainsi, pour la solidarité, on trouve ce principe exprimé dans la sensibilité dont nous avons été doués, sensibilité qui nous porte à compatir aux maux d'autrui, à les prendre en pitié et à les soulager.

Ce n'est pas tout ; les prophètes et le divin Messie Jésus nous ont donné l'exemple d'une seconde application du principe de solidarité, d'abord en consacrant par des cérémonies symboliques, et plus souvent par l'autorité de leurs enseignements, l'amour de l'homme pour l'homme ; puis en proclamant comme un devoir nécessaire et rigoureux la pratique de la charité, qui est l'expression de la solidarité. La charité est l'acte de notre soumission à la loi de Dieu ; c'est le signe de notre grandeur morale ; c'est la clef du ciel. Aussi, c'est de la charité que je veux vous entretenir. Je ne l'envisagerai que sous un seul côté : le côté matériel, et la raison en est simple : c'est le côté qui plaît le moins à l'homme.

Pas plus les chrétiens que les Spirites, personne n'a désavoué le principe, ou mieux, la loi de la solidarité ; mais on a cherché à en éluder les conséquences, et pour cela on a invoqué mille prétextes. J'en citerai quelques-uns.

Les choses de l'esprit ou du cœur, a-t-on dit, ayant un prix infiniment supérieur à celui des choses matérielles, il s'ensuit que consoler l'affliction, ou par de bonnes paroles ou par de sages conseils, vaut aussi infiniment mieux que de la consoler par des secours matériels. Assurément, messieurs, vous avez raison si l'affliction dont vous parlez a une cause morale, si elle prend sa raison dans une blessure du cœur ; mais si c'est la faim, si c'est le froid, si c'est la maladie, si, en un mot, ce sont des causes matérielles qui l'ont provoquée, vos douces paroles suffiront-elles à l'adoucir ? vos bons conseils, vos sages avis parviendront-ils à la guérir ? Vous me permettrez d'en douter. Si Dieu, en vous plaçant sur la terre, eût omis de pourvoir à la nourriture de votre corps, en eussiez-vous retrouvé l'équivalent dans les secours spirituels qu'il vous accorde ? Mais Dieu n'est pas l'homme, Dieu est la sagesse éternelle et la bonté infinie ; il vous a imposé un corps de boue, mais il a pourvu aux besoins de ce corps en fertilisant vos champs et en fécondant les trésors de la terre ; aux secours spirituels qui s'adressaient à votre âme, il a joint les secours matériels que réclamait votre corps. Dès lors, et parce que l'égoïsme a peut-être dépouillé le pauvre de sa part d'héritage terrestre, de quel droit vous croiriez-vous quittes envers lui ? Parce que la justice humaine l'a rayé du nombre des usufruitiers aux biens temporels, pourquoi votre charité ne trouverait-elle pas une justice plus équitable à lui rendre ?

Un illustre penseur de ce siècle ne craignait pas de s'exprimer ainsi dans sa mémorable profession de foi : « Chaque abeille a droit à la portion de miel nécessaire à sa subsistance, et si, parmi les hommes, il en est qui manquent de ce nécessaire, c'est que la justice et la charité ont disparu d'au milieu d'eux. » Tout excessif que puisse vous paraître ce langage, il n'en contient pas moins une grande vérité, vérité inaccessible peut-être à l'entendement de beaucoup d'entre vous, mais évidente pour nous, Esprits qui, plus frappés des effets parce que nous les embrassons dans leur ensemble, voyons aussi les causes qui les produisent.

Ah ! dit celui-ci, nul plus que moi ne gémit sur les peines et les privations cruelles du véritable pauvre, du pauvre dont le travail, insuffisant à l'entretien de sa famille, ne lui ramène, en échange de ses fatigues, ni la joie de nourrir les siens, ni l'espérance de les laisser heureux ; mais je me ferais un cas de conscience d'encourager, par d'aveugles libéralités, la paresse ou l'inconduite en haillons. Du reste, je tiens la charité comme indispensable au salut de l'homme ; seulement l'impossibilité de découvrir les besoins réels parmi tant de besoins simulés justifie, ce me semble, mon abstention.

L'impossibilité de découvrir les besoins réels, telle est, mon ami, votre justification. Voyez pourtant, cette justification ne sera jamais sanctionnée par votre conscience, et je n'en veux d'autre preuve que l'aveu que vous me faites ; car, du droit qu'aurait le véritable pauvre à votre aumône, – et vous lui reconnaissez ce droit, – de ce droit, dis-je, découle pour vous le devoir de le chercher. Le cherchez-vous ? L'impossibilité vous arrête. Comment donc ! la charité n'a pas de limites, elle est infinie comme Dieu dont elle émane, et n'admet aucune impossibilité ! Oui, quelque chose vous arrête : c'est l'égoïsme, et Dieu, qui sonde les cœurs et les reins, Dieu le découvrira facilement sous les fallacieux prétextes dont vous le voilez. Vous pouvez tromper le monde, vous parviendrez aussi à tromper momentanément votre conscience, mais vous ne tromperez jamais Dieu. Dans cent ans, dans mille ans, vous apparaîtrez de nouveau sur la terre ; vous y vivrez, sans doute, dépouillés de votre opulence présente et courbés sous le poids de l'indigence ; eh bien ! je vous le déclare, vous recevrez du riche le dédain et l'indifférence que, riches vous-mêmes, vous aurez montrés jadis pour le pauvre. Noblesse oblige, dit-on ; solidarité oblige davantage encore. Qui se soustrait à cette loi en perd tous les bénéfices. C'est pourquoi vous, qui aurez gardé le fond égoïste de votre nature, subirez, à votre tour, les mépris de l'égoïsme.

Écoutez ces accents de Rousseau :

« Pour moi, dit-il, je sais que tous les pauvres sont mes frères et que je ne puis, sans une inexcusable dureté, leur refuser le faible secours qu'ils me demandent. La plupart sont des vagabonds, j'en conviens ; mais je connais trop les peines de la vie pour ignorer par combien de malheurs l'honnête homme peut se trouver réduit à leur sort. Et comment pourrais-je être sûr que l'inconnu qui vient implorer, au nom de Dieu, mon assistance, n'est pas peut-être cet honnête homme prêt à périr de misère et que mon refus va réduire au désespoir ? Quand l'aumône qu'on leur donne ne serait pas pour eux un secours réel, c'est au moins un témoignage qu'on prend part à leurs peines, un adoucissement à la dureté du refus, une sorte de salutation qu'on leur rend. »

C'est un enfant de Genève, messieurs, qui parle de la sorte ; c'est un philosophe abreuvé aux sources sèches du dix-huitième siècle qui craint de méconnaître l'honnête homme d'entre les inconnus qui lui tendent la main et qui donne à tous. Il donne à tous parce que tous sont ses frères : il le sait ! En savez-vous moins que lui, messieurs ? Je n'ose le croire.

Mais dans quelle mesure devez-vous donner, ou plutôt, quelle est dans vos biens la part qui vous appartient et la part qui appartient aux pauvres ? Votre part, messieurs, c'est le nécessaire, rien que le nécessaire, et encore ne faut-il pas que vous l'exagériez. En vain vous vous prévaudrez de votre position, des charges qui y sont afférentes, des obligations de luxe qu'elle exige ; tout cela regarde le monde, et si vous voulez vivre pour le monde, vous n'avancerez qu'avec le monde, vous n'irez pas plus vite que le monde. En vain encore, vous allèguerez, pour justifier vos habitudes de mollesse, un travail auquel ne se livre pas le pauvre, et qui, pratiqué chez vous et par vous, vous rend bénéficiaires d'une plus grande aisance ; en vain vous allèguerez cela, parce que tout homme est tenu au travail, ou pour lui, ou pour les autres, parce que l'incurie de son voisin ne l'absoudrait pas du délaissement où il l'aurait abandonné.

De votre patrimoine, comme de votre travail, il ne vous est permis de retirer qu'une chose à votre profit : le nécessaire, le reste revient aux pauvres. Voilà la loi. Que cette loi comporte, en certains cas et dans des circonstances données, des tempéraments, je ne le nie pas, mais devant la lumière, devant la vérité, devant la justice divine, elle n'en comporte plus.

Et la famille, que deviendra-t-elle ? Sommes-nous quittes envers elle dès que nous avons secouru ce qu'on appelle les pauvres ? Non, évidemment, messieurs, car, du moment où vous reconnaissez la nécessité de vous dépouiller pour les pauvres, il s'agit de faire un choix et d'établir une hiérarchie. Or, vos femmes et vos enfants sont vos premiers pauvres ; sur eux donc, vous devez déverser votre première aumône. Veillez à l'avenir de vos enfants ; soyez soucieux de leur préparer des jours calmes et tranquilles au milieu de cette vallée de larmes ; laissez-leur même en dépôt un léger héritage qui leur permette de continuer le bien que vous aurez commencé : ceci est légitime. Mais ne leur enseignez jamais à vivre égoïstement, et à regarder comme leur ce qui est à tous. Avant et après eux, les auteurs de vos jours, ceux qui vous ont nourris et gardés, ceux qui ont protégé vos premiers pas et guidé votre adolescence, votre père et votre mère, ont droit à votre sollicitude. Puis, viennent les âmes que Dieu vous a données dans vos frères suivant la chair ; puis vos amis de cœur ; puis tous les pauvres, à commencer par les plus misérables.

Vous le voyez, je vous accorde des tempéraments, et j'établis une hiérarchie conforme aux instincts de votre cœur. Prenez garde toutefois, de trop favoriser les uns à l'exclusion des autres. C'est par le partage équitable de vos bienfaits que vous montrerez votre sagesse, et c'est par ce partage équitable encore que vous accomplirez la loi de Dieu à l'égard de vos frères, qui est la loi de solidarité.

« La justice, dit Lamennais, c'est la vie ; la charité, c'est aussi la vie, mais une plus belle et plus douce vie. »

Oui, la charité est une belle et douce vie, c'est la vie des saints, c'est la clef du ciel.

Lacordaire.

La Foi

(Groupe spirite de Douai, 7 juin 1865.)

La foi plane sur la terre, cherchant un gîte où s'abriter, cherchant un cœur à éclairer ! Où ira-t-elle ?… Elle entrera d'abord dans l'âme de l'homme primitif et s'imposera ; elle mettra un voile momentané sur la raison commençant à se développer et chancelante dans les ténèbres de l'esprit. Elle le conduira à travers les âges de simplicité et se fera maîtresse par les révélations ; mais, le raisonnement n'étant pas encore assez mûr pour discerner ce qui est juste de ce qui est faux, pour juger ce qui vient de Dieu, elle entraînera l'homme hors du droit chemin, en le prenant par la main et lui mettant un bandeau sur la vue. Beaucoup d'égarements, telle doit être la devise de la foi aveugle, qui pourtant a eu pendant longtemps son utilité et sa raison d'être.

Cette vertu disparaît lorsque l'âme, pressentant qu'elle peut voir par ses propres yeux, l'écarte et ne veut plus marcher qu'avec sa raison. Celle-ci l'aide à se défaire des croyances fausses qu'elle avait adoptées sans examen ; en cela elle est bonne ; mais l'homme, rencontrant sur sa route bien des mystères et des vérités obscures, veut les percer et se fourvoie. Son jugement ne peut le suivre ; il veut aller trop vite et la progression en tout doit être insensible. Il n'a donc plus la foi qu'il a repoussée ; il n'a plus la raison qu'il a voulu dépasser. Il fait alors comme les papillons téméraires, il se brûle les ailes à la lumière et se perd dans des égarements impossibles. De là est sortie la mauvaise philosophie, qui, en cherchant trop, a fait tout crouler et n'a rien remplacé.

C'était là le moment de la transformation ; l'homme n'était plus croyant aveugle, il n'était pas encore croyant raisonnant la croyance : c'était la crise universelle si bien représentée par l'état de la chrysalide.

A force de chercher dans la nuit, la clarté jaillit, et beaucoup d'âmes égarées, retrouvant à peine la lumière obscurcie par tant de détours inutiles, et reprenant pour guides leurs conducteurs éternels : la foi et la raison, les font marcher de front devant elles, afin que leurs deux lueurs réunies les empêchent de se perdre une seconde fois. Elles font asseoir la foi sur les bases solides de la raison, aidée elle-même par l'inspiration.

C'est votre époque, mes amis ; suivez la route, Dieu est au bout.

Demeure.


Avis

Les séances de la Société Spirite, de Paris, seront suspendues, comme les années précédentes, du 1er août au 1er octobre.


Allan Kardec

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