Le Livre des Esprits

Allan Kardec

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LIVRE PREMIER — LES CAUSES PREMIÈRES



Chapitre premier — Dieu



Dieu et l'infini

1. Qu'est-ce que Dieu ?

« Dieu est l'intelligence suprême, cause première de toutes choses[1]. »


[1] Le texte placé entre guillemets à la suite des questions est la réponse même donnée par les Esprits. On a distingué par un autre caractère les remarques et développements ajoutés par l'auteur, lorsqu'il y aurait eu possibilité de les confondre avec le texte de la réponse. Quand ils forment des chapitres entiers, la confusion n'étant pas possible, on a conservé le caractère ordinaire.

2. Que doit-on entendre par l'infini ?

« Ce qui n'a ni commencement ni fin : l'inconnu ; tout ce qui est inconnu est infini. »

3. Pourrait-on dire que Dieu c'est l'infini ?

« Définition incomplète. Pauvreté de la langue des hommes qui est insuffisante pour définir les choses qui sont au-dessus de leur intelligence. »



Dieu est infini dans ses perfections, mais l'infini est une abstraction ; dire que Dieu est l'infini, c'est prendre l'attribut pour la chose même, et définir une chose qui n'est pas connue par une chose qui ne l'est pas davantage.




Preuves de l'existence de Dieu

4. Où peut-on trouver la preuve de l'existence de Dieu ?

« Dans un axiome que vous appliquez à vos sciences : il n'y a pas d'effet sans cause. Cherchez la cause de tout ce qui n'est pas l'oeuvre de l'homme, et votre raison vous répondra. »



Pour croire en Dieu, il suffit de jeter les yeux sur les oeuvres de la création. L'univers existe, il a donc une cause. Douter de l'existence de Dieu, serait nier que tout effet a une cause, et avancer que rien a pu faire quelque chose.

5. Quelle conséquence peut-on tirer du sentiment intuitif que tous les hommes portent en eux-mêmes de l'existence de Dieu ?

« Que Dieu existe ; car d'où lui viendrait ce sentiment s'il ne reposait sur rien ? C'est encore une suite du principe qu'il n'y a pas d'effet sans cause. »

6. Le sentiment intime que nous avons en nous-mêmes de l'existence de Dieu ne serait-il pas le fait de l'éducation et le produit d'idées acquises ?

« Si cela était, pourquoi vos sauvages auraient-ils ce sentiment ? »



Si le sentiment de l'existence d'un être suprême n'était que le produit d'un enseignement, il ne serait pas universel, et n'existerait, comme les notions des sciences, que chez ceux qui auraient pu recevoir cet enseignement.

7. Pourrait-on trouver la cause première de la formation des choses dans les propriétés intimes de la matière ?

« Mais alors, quelle serait la cause de ces propriétés ? Il faut toujours une cause première. »



Attribuer la formation première des choses aux propriétés intimes de la matière serait prendre l'effet pour la cause, car ces propriétés sont elles-mêmes un effet qui doit avoir une cause.

8. Que penser de l'opinion qui attribue la formation première à une combinaison fortuite de la matière, autrement dit au hasard ?

« Autre absurdité ! Quel homme de bon sens peut regarder le hasard comme un être intelligent ? Et puis, qu'est-ce que le hasard ? Rien. »



L'harmonie qui règle les ressorts de l'univers décèle des combinaisons et des vues déterminées, et, par cela même, révèle la puissance intelligente. Attribuer la formation première au hasard serait un non-sens, car le hasard est aveugle et ne peut produire les effets de l'intelligence. Un hasard intelligent ne serait plus le hasard.

9. Où voit-on dans la cause première une intelligence suprême et supérieure à toutes les intelligences ?

« Vous avez un proverbe qui dit ceci : A l'oeuvre, on reconnaît l'ouvrier. Eh bien ! Regardez l'oeuvre et cherchez l'ouvrier. C'est l'orgueil qui engendre l'incrédulité. L'homme orgueilleux ne veut rien au-dessus de lui, c'est pourquoi il s'appelle esprit fort. Pauvre être, qu'un souffle de Dieu peut abattre ! »



On juge la puissance d'une intelligence par ses oeuvres ; nul être humain ne pouvant créer ce que produit la nature, la cause première est donc une intelligence supérieure à l'humanité.

Quels que soient les prodiges accomplis par l'intelligence humaine, cette intelligence a elle-même une cause, et plus ce qu'elle accomplit est grand, plus la cause première doit être grande. C'est cette intelligence qui est la cause première de toutes choses, quel que soit le nom sous lequel l'homme l'a désignée.




Attributs de la Divinité

10. L'homme peut-il comprendre la nature intime de Dieu ?

« Non ; c'est un sens qui lui manque. »
11. Sera-t-il un jour donné à l'homme de comprendre le mystère de la Divinité ?

« Quand son esprit ne sera plus obscurci par la matière et que, par sa perfection, il se sera rapproché de lui, alors il le verra et il le comprendra. »



L'infériorité des facultés de l'homme ne lui permet pas de comprendre la nature intime de Dieu. Dans l'enfance de l'humanité, l'homme le confond souvent avec la créature dont il lui attribue les imperfections ; mais à mesure que le sens moral se développe en lui, sa pensée pénètre mieux le fond des choses, et il s'en fait une idée plus juste et plus conforme à la saine raison, quoique toujours incomplète.

12. Si nous ne pouvons comprendre la nature intime de Dieu, pouvons-nous avoir une idée de quelques-unes de ses perfections ?

« Oui, de quelques-unes. L'homme les comprend mieux à mesure qu'il s'élève au-dessus de la matière ; il les entrevoit par la pensée. »

13. Lorsque nous disons que Dieu est éternel, infini, immuable, immatériel, unique, tout-puissant, souverainement juste et bon, n'avons-nous pas une idée complète de ses attributs ?

« A votre point de vue, oui, parce que vous croyez tout embrasser ; mais sachez bien qu'il est des choses au-dessus de l'intelligence de l'homme le plus intelligent, et pour lesquelles votre langage, borné à vos idées et à vos sensations, n'a point d'expressions. La raison vous dit, en effet, que Dieu doit avoir ces perfections au suprême degré, car s'il en avait une seule de moins, ou bien qui ne fût pas à un degré infini, il ne serait pas supérieur à tout et, par conséquent, ne serait pas Dieu. Pour être au-dessus de toutes choses, Dieu ne doit subir aucune vicissitude et n'avoir aucune des imperfections que l'imagination peut concevoir. »



Dieu est éternel ; s'il avait eu un commencement il serait sorti du néant, ou bien il aurait été créé lui-même par un être antérieur. C'est ainsi que de proche en proche nous remontons à l'infini et à l'éternité.

Il est immuable ; s'il était sujet à des changements, les lois qui régissent l'univers n'auraient aucune stabilité.

Il est immatériel ; c'est-à-dire que sa nature diffère de tout ce que nous appelons matière, autrement il ne serait pas immuable, car il serait sujet aux transformations de la matière.

Il est unique ; s'il y avait plusieurs Dieux, il n'y aurait ni unité de vues, ni unité de puissance dans l'ordonnance de l'univers.

Il est tout-puissant ; parce qu'il est unique. S'il n'avait pas la souveraine puissance, il y aurait quelque chose de plus puissant ou d'aussi puissant que lui ; il n'eût pas fait toutes choses, et celles qu'il n'aurait pas faites seraient l'oeuvre d'un autre Dieu.

Il est souverainement juste et bon. La sagesse providentielle des lois divines se révèle dans les plus petites choses comme dans les plus grandes, et cette sagesse ne permet de douter ni de sa justice, ni de sa bonté.




Panthéisme

14. Dieu est-il un être distinct, ou bien serait-il, selon l'opinion de quelques-uns, la résultante de toutes les forces et de toutes les intelligences de l'univers réunies ?

« S'il en était ainsi, Dieu ne serait pas, car il serait l'effet et non la cause ; il ne peut être à la fois l'un et l'autre. »

« Dieu existe, vous n'en pouvez douter, c'est l'essentiel ; croyez-moi, n'allez pas au-delà ; ne vous égarez pas dans un labyrinthe d'où vous ne pourriez sortir ; cela ne vous rendrait pas meilleurs, mais peut-être un peu plus orgueilleux, parce que vous croiriez savoir, et qu'en réalité vous ne sauriez rien. Laissez donc de côté tous ces systèmes ; vous avez assez de choses qui vous touchent plus directement, à commencer par vous-mêmes ; étudiez vos propres imperfections afin de vous en débarrasser, cela vous sera plus utile que de vouloir pénétrer ce qui est impénétrable. »

15. Que penser de l'opinion d'après laquelle tous les corps de la nature, tous les êtres, tous les globes de l'univers seraient des parties de la Divinité et constitueraient, par leur ensemble, la Divinité elle-même ; autrement dit de la doctrine panthéiste ?

« L'homme ne pouvant se faire Dieu, veut tout au moins être une partie de Dieu. »

16. Ceux qui professent cette doctrine prétendent y trouver la démonstration de quelques-uns des attributs de Dieu : Les mondes étant infinis, Dieu est, par cela même, infini ; le vide ou néant n'étant nulle part, Dieu est partout ; Dieu étant partout, puisque tout est partie intégrante de Dieu, il donne à tous les phénomènes de la nature une raison d'être intelligente. Que peut-on opposer à ce raisonnement ?

« La raison ; réfléchissez mûrement, et il ne vous sera pas difficile d'en reconnaître l'absurdité. »



Cette doctrine fait de Dieu un être matériel qui, bien que doué d'une intelligence suprême, serait en grand ce que nous sommes en petit. Or, la matière se transformant sans cesse, s'il en était ainsi Dieu n'aurait aucune stabilité ; il serait sujet à toutes les vicissitudes, à tous les besoins même de l'humanité ; il manquerait d'un des attributs essentiels de la Divinité : l'immuabilité. Les propriétés de la matière ne peuvent s'allier à l'idée de Dieu sans le rabaisser dans notre pensée, et toutes les subtilités du sophisme ne parviendront pas à résoudre le problème de sa nature intime. Nous ne savons pas tout ce qu'il est, mais nous savons ce qu'il ne peut pas ne pas être, et ce système est en contradiction avec ses propriétés les plus essentielles ; il confond le créateur avec la créature, absolument comme si l'on voulait qu'une machine ingénieuse fût une partie intégrante du mécanicien qui l'a conçue.

L'intelligence de Dieu se révèle dans ses oeuvres comme celle d'un peintre dans son tableau ; mais les oeuvres de Dieu ne sont pas plus Dieu lui-même que le tableau n'est le peintre qui l'a conçu et exécuté.





Chapitre II — Elements generaux de L'univers



Connaissance du principe des choses

17. Est-il donné à l'homme de connaître le principe des choses ?

« Non, Dieu ne permet pas que tout soit révélé à l'homme ici-bas. »
18. L'homme pénétrera-t-il un jour le mystère des choses qui lui sont cachées ?

« Le voile se lève pour lui à mesure qu'il s'épure ; mais pour comprendre certaines choses, il lui faut des facultés qu'il ne possède pas encore. »

19. L'homme ne peut-il pas, par les investigations de la science, pénétrer quelques-uns des secrets de la nature ?

« La science lui a été donnée pour son avancement en toutes choses, mais il ne peut dépasser les limites fixées par Dieu. »



Plus il est donné à l'homme de pénétrer avant dans ces mystères, plus son admiration doit être grande pour la puissance et la sagesse du Créateur ; mais, soit par orgueil, soit par faiblesse, son intelligence même le rend souvent le jouet de l'illusion ; il entasse systèmes sur systèmes, et chaque jour lui montre combien d'erreurs il a prises pour des vérités, et combien de vérités il a repoussées comme des erreurs. Ce sont autant de déceptions pour son orgueil.

20. En dehors des investigations de la science, est-il donné à l'homme de recevoir des communications d'un ordre plus élevé sur ce qui échappe au témoignage de ses sens ?

« Oui, si Dieu le juge utile, il peut révéler ce que la science ne peut apprendre. »



C'est par ces communications que l'homme puise, dans certaines limites, la connaissance de son passé et de sa destinée future.




Esprit et matière

21. La matière est-elle de toute éternité comme Dieu, ou bien a-t-elle été créée par lui dans un temps quelconque ?

« Dieu seul le sait. Cependant, il est une chose que votre raison doit vous indiquer, c'est que Dieu, type d'amour et de charité, n'a jamais été inactif. Quelque éloigné que vous puissiez vous représenter le début de son action, pouvez-vous le comprendre une seconde dans l'oisiveté ? »

22. On définit généralement la matière : ce qui a de l'étendue ; ce qui peut faire impression sur nos sens ; ce qui est impénétrable ; ces définitions sont-elles exactes ?

« A votre point de vue, cela est exact parce que vous ne parlez que d'après ce que vous connaissez ; mais la matière existe à des états qui vous sont inconnus ; elle peut être, par exemple, tellement éthérée et subtile, qu'elle ne fasse aucune impression sur vos sens ; cependant c'est toujours de la matière, mais pour vous ce n'en serait pas. »

- Quelle définition pouvez-vous donner de la matière ?

« La matière est le lien qui enchaîne l'esprit ; c'est l'instrument qui le sert et sur lequel, en même temps, il exerce son action. »



A ce point de vue, on peut dire que la matière est l'agent, l'intermédiaire à l'aide duquel et sur lequel agit l'esprit.

23. Qu'est-ce que l'esprit ?

« Le principe intelligent de l'univers. »

- Quelle est la nature intime de l'esprit ?

« L'esprit n'est pas facile à analyser dans votre langage. Pour vous, ce n'est rien, parce que l'esprit n'est pas une chose palpable ; mais pour nous c'est quelque chose. Sachez-le bien, rien c'est le néant, et le néant n'existe pas. »

24. L'esprit est-il synonyme d'intelligence ?

« L'intelligence est un attribut essentiel de l'esprit ; mais l'un et l'autre se confondent dans un principe commun, de sorte que pour vous c'est une même chose. »

25. L'esprit est-il indépendant de la matière, ou n'en est-il qu'une propriété, comme les couleurs sont des propriétés de la lumière et le son une propriété de l'air ?

« L'un et l'autre sont distincts ; mais il faut l'union et de l'esprit et de la matière pour intelligenter la matière. »

- Cette union est-elle également nécessaire pour la manifestation de l'esprit ? (Nous entendons ici par esprit le principe de l'intelligence, abstraction faite des individualités désignées sous ce nom).

« Elle est nécessaire pour vous, parce que vous n'êtes pas organisés pour percevoir l'esprit sans la matière ; vos sens ne sont pas faits pour cela. »

26. Peut-on concevoir l'esprit sans la matière et la matière sans l'esprit ?

« On le peut, sans doute, par la pensée. »

27. Il y aurait ainsi deux éléments généraux de l'univers : la matière et l'esprit ?

« Oui, et par-dessus tout cela Dieu, le créateur, le père de toutes choses ; ces trois choses sont le principe de tout ce qui existe, la trinité universelle. Mais, à l'élément matériel, il faut ajouter le fluide universel qui joue le rôle d'intermédiaire entre l'esprit et la matière proprement dite, trop grossière pour que l'esprit puisse avoir une action sur elle. Quoique, à un certain point de vue, on puisse le ranger dans l'élément matériel, il se distingue par des propriétés spéciales ; s'il était matière positivement, il n'y aurait pas de raison pour que l'Esprit ne le fût pas aussi. Il est placé entre l'esprit et la matière ; il est fluide, comme la matière est matière, susceptible, par ses innombrables combinaisons avec celle-ci, et sous l'action de l'esprit, de produire l'infinie variété des choses dont vous ne connaissez qu'une faible partie. Ce fluide universel, ou primitif, ou élémentaire, étant l'agent qu'emploie l'esprit, est le principe sans lequel la matière serait en état perpétuel de division et n'acquerrait jamais les propriétés que lui donne la pesanteur. »

- Ce fluide serait-il celui que nous désignons sous le nom d'électricité ?

« Nous avons dit qu'il est susceptible d'innombrables combinaisons ; ce que vous appelez fluide électrique, fluide magnétique, sont des modifications du fluide universel, qui n'est, à proprement parler, qu'une matière plus parfaite, plus subtile, et que l'on peut regarder comme indépendante. »

28. Puisque l'esprit est lui-même quelque chose, ne serait-il pas plus exact et moins sujet à confusion de désigner ces deux éléments généraux par les mots : matière inerte et matière intelligente ?

« Les mots nous importent peu ; c'est à vous de formuler votre langage de manière à vous entendre. Vos disputes viennent presque toujours de ce que vous ne vous entendez pas sur les mots, parce que votre langage est incomplet pour les choses qui ne frappent pas vos sens. »

Un fait patent domine toutes les hypothèses : nous voyons de la matière qui n'est pas intelligente ; nous voyons un principe intelligent indépendant de la matière. L'origine et la connexion de ces deux choses nous sont inconnues. Qu'elles aient ou non une source commune, des points de contact nécessaires ; que l'intelligence ait son existence propre, ou qu'elle soit une propriété, un effet ; qu'elle soit même, selon l'opinion de quelques-uns, une émanation de la Divinité, c'est ce que nous ignorons ; elles nous apparaissent distinctes, c'est pourquoi nous les admettons comme formant deux principes constituants de l'univers. Nous voyons au-dessus de tout cela une intelligence qui domine toutes les autres, qui les gouverne toutes, qui s'en distingue par des attributs essentiels : c'est cette intelligence suprême que l'on appelle Dieu.




Propriétés de la matière

29. La pondérabilité est-elle un attribut essentiel de la matière ?

« De la matière telle que vous l'entendez, oui ; mais non de la matière considérée comme fluide universel. La matière éthérée et subtile qui forme ce fluide est impondérable pour vous, et ce n'en est pas moins le principe de votre matière pesante. »



La pesanteur est une propriété relative ; en dehors des sphères d'attraction des mondes, il n'y a pas de poids, de même qu'il n'y a ni haut ni bas.

30. La matière est-elle formée d'un seul ou de plusieurs éléments ?

« Un seul élément primitif. Les corps que vous regardez comme des corps simples ne sont pas de véritables éléments, mais des transformations de la matière primitive. »

31. D'où viennent les différentes propriétés de la matière ?

« Ce sont des modifications que les molécules élémentaires subissent par leur union et dans certaines circonstances. »

32. D'après cela, les saveurs, les odeurs, les couleurs, le son, les qualités vénéneuses ou salutaires des corps, ne seraient que les modifications d'une seule et même substance primitive ?

« Oui, sans doute, et qui n'existent que par la disposition des organes destinés à les percevoir. »



Ce principe est démontré par le fait que tout le monde ne perçoit pas les qualités des corps de la même manière : l'un trouve une chose agréable au goût, un autre la trouve mauvaise ; les uns voient bleu ce que d'autres voient rouge ; ce qui est un poison pour les uns est inoffensif ou salutaire pour d'autres.

33. La même matière élémentaire est-elle susceptible de recevoir toutes les modifications et d'acquérir toutes les propriétés ?

« Oui, et c'est ce que l'on doit entendre quand nous disons que tout est dans tout[1]. »



L'oxygène, l'hydrogène, l'azote, le carbone et tous les corps que nous regardons comme simples ne sont que des modifications d'une substance primitive. Dans l'impossibilité où nous sommes jusqu'à présent de remonter autrement que par la pensée à cette matière première, ces corps sont pour nous de véritables éléments, et nous pouvons, sans que cela tire à conséquence, les considérer comme tels jusqu'à nouvel ordre.



- Cette théorie semble donner raison à l'opinion de ceux qui n'admettent dans la matière que deux propriétés essentielles : la force et le mouvement, et qui pensent que toutes les autres propriétés ne sont que des effets secondaires variant selon l'intensité de la force et la direction du mouvement ?

« Cette opinion est exacte. Il faut ajouter aussi selon la disposition des molécules, comme tu le vois, par exemple, dans un corps opaque qui peut devenir transparent, et réciproquement. »

34. Les molécules ont-elles une forme déterminée ?

« Sans doute, les molécules ont une forme, mais qui n'est pas appréciable pour vous. »

- Cette forme est-elle constante ou variable ?

« Constante pour les molécules élémentaires primitives, mais variable pour les molécules secondaires qui ne sont elles-mêmes que des agglomérations des premières ; car ce que vous appelez molécule est encore loin de la molécule élémentaire. »




Espace universel

35. L'espace universel est-il infini ou limité ?

« Infini. Suppose-lui des bornes, qu'y aurait-il au-delà ? Cela confond ta raison, je le sais bien, et pourtant ta raison te dit qu'il n'en peut être autrement. Il en est de même de l'infini en toutes choses ; ce n'est pas dans votre petite sphère que vous pouvez le comprendre. »



Si l'on suppose une limite à l'espace, quelque éloignée que la pensée puisse la concevoir, la raison dit qu'au-delà de cette limite il y a quelque chose, et ainsi de proche en proche jusqu'à l'infini ; car ce quelque chose, fût-il le vide absolu, serait encore de l'espace.

36. Le vide absolu existe-t-il quelque part dans l'espace universel ?

« Non, rien n'est vide ; ce qui est vide pour toi est occupé par une matière qui échappe à tes sens et à tes instruments. »






Chapitre III — Création



Formation des mondes

L'univers comprend l'infinité des mondes que nous voyons et ceux que nous ne voyons pas, tous les êtres animés et inanimés, tous les astres qui se meuvent dans l'espace ainsi que les fluides qui le remplissent.

37. L'univers a-t-il été créé, ou bien est-il de toute éternité comme Dieu ?

« Sans doute, il n'a pu se faire tout seul, et s'il était de toute éternité comme Dieu, il ne pourrait pas être l'oeuvre de Dieu. »

La raison nous dit que l'univers n'a pu se faire lui-même, et que, ne pouvant être l'oeuvre du hasard, il doit être l'oeuvre de Dieu.

38. Comment Dieu a-t-il créé l'univers ?

« Pour me servir d'une expression : sa Volonté. Rien ne peint mieux cette volonté toute puissante que ces belles paroles de la Genèse : Dieu dit : Que la lumière soit, et la lumière fut. »

39. Pouvons-nous connaître le mode de la formation des mondes ?

« Tout ce que l'on peut dire, et ce que vous pouvez comprendre, c'est que les mondes se forment par la condensation de la matière disséminée dans l'espace. »

40. Les comètes seraient-elles, comme on le pense maintenant, un commencement de condensation de la matière et des mondes en voie de formation ?

« Cela est exact ; mais ce qui est absurde, c'est de croire à leur influence. Je veux dire cette influence qu'on leur attribue vulgairement ; car tous les corps célestes ont leur part d'influence dans certains phénomènes physiques. »

41. Un monde complètement formé peut-il disparaître, et la matière qui le compose disséminée de nouveau dans l'espace ?

« Oui, Dieu renouvelle les mondes comme il renouvelle les êtres vivants. »

42. Pouvons-nous connaître la durée de la formation des mondes : de la terre, par exemple ?

« Je ne peux pas te le dire, car le Créateur seul le sait, et bien fou qui prétendrait le savoir ou connaître le nombre des siècles de cette formation. »




Formation des êtres vivants


43. Quand la terre a-t-elle commencé à être peuplée ?

« Au commencement tout était chaos ; les éléments étaient confondus. Peu à peu, chaque chose a pris sa place ; alors ont paru les êtres vivants appropriés à l'état du globe. »

44. D'où sont venus les êtres vivants sur la terre ?

« La terre en renfermait les germes qui attendaient le moment favorable pour se développer. Les principes organiques se rassemblèrent dès que cessa la force qui les tenait écartés, et ils formèrent les germes de tous les êtres vivants. Les germes restèrent à l'état latent et inerte, comme la chrysalide et les graines des plantes, jusqu'au moment propice pour l'éclosion de chaque espèce ; alors les êtres de chaque espèce se rassemblèrent et se multiplièrent. »

45. Où étaient les éléments organiques avant la formation de la terre ?

« Ils se trouvaient, pour ainsi dire, à l'état de fluide dans l'espace, au milieu des Esprits, ou dans d'autres planètes, attendant la création de la terre pour commencer une nouvelle existence sur un globe nouveau. »

La chimie nous montre les molécules des corps inorganiques s'unissant pour former des cristaux d'une régularité constante, selon chaque espèce, dès qu'ils sont dans les conditions voulues. Le moindre trouble dans ces conditions suffit pour empêcher la réunion des éléments ou, tout au moins, la disposition régulière qui constitue le cristal. Pourquoi n'en serait-il pas de même des éléments organiques ? Nous conservons pendant des années des semences de plantes et d'animaux qui ne se développent qu'à une température donnée et dans un milieu propice ; on a vu des grains de blé germer après plusieurs siècles. Il y a donc dans ces semences un principe latent de vitalité qui n'attend qu'une circonstance favorable pour se développer. Ce qui se passe journellement sous nos yeux ne peut-il avoir existé dès l'origine du globe ? Cette formation des êtres vivants sortant du chaos par la force même de la nature ôte-t-elle quelque chose à la grandeur de Dieu ? Loin de là, elle répond mieux à l'idée que nous nous faisons de sa puissance s'exerçant sur des mondes infinis par des lois éternelles. Cette théorie ne résout pas, il est vrai, la question de l'origine des éléments vitaux ; mais Dieu a ses mystères et a posé des bornes à nos investigations

46. Y a-t-il encore des êtres qui naissent spontanément ?

« Oui, mais le germe primitif existait déjà à l'état latent. Vous êtes tous les jours témoins de ce phénomène. Les tissus de l'homme et des animaux ne renferment-ils pas les germes d'une multitude de vers qui attendent pour éclore la fermentation putride nécessaire à leur existence ? C'est un petit monde qui sommeille et qui se crée. »

47. L'espèce humaine se trouvait-elle parmi les éléments organiques contenus dans le globe terrestre ?

« Oui, et elle est venue en son temps ; c'est ce qui a fait dire que l'homme avait été formé du limon de la terre. »

48. Pouvons-nous connaître l'époque de l'apparition de l'homme et des autres êtres vivants sur la terre ?

« Non, tous vos calculs sont des chimères. »

49. Si le germe de l'espèce humaine se trouvait parmi les éléments organiques du globe, pourquoi ne se forme-t-il pas spontanément des hommes comme à leur origine ?

« Le principe des choses est dans les secrets de Dieu ; cependant on peut dire que les hommes une fois répandus sur la terre ont absorbé en eux les éléments nécessaires à leur formation pour les transmettre selon les lois de la reproduction. Il en est de même des différentes espèces des êtres vivants. »




Peuplement de la terre. Adam

50. L'espèce humaine a-t-elle commencé par un seul homme ?

« Non ; celui que vous appelez Adam ne fut ni le premier, ni le seul qui peupla la Terre. »
51. Pouvons-nous savoir à quelle époque vivait Adam ?

« A peu près celle que vous lui assignez ; environ 4.000 ans avant le Christ. »

L'homme, dont la tradition s'est conservée sous le nom d'Adam, fut un de ceux qui survécurent, dans une contrée, après quelques-uns des grands cataclysmes qui ont à diverses époques bouleversé la surface du globe, et il est devenu la souche d'une des races qui le peuplent aujourd'hui. Les lois de la nature s'opposent à ce que les progrès de l'humanité, constatés longtemps avant le Christ, aient pu s'accomplir en quelques siècles, si l'homme n'était sur la terre que depuis l'époque assignée à l'existence d'Adam. Quelques-uns considèrent, et cela avec plus de raison, Adam comme un mythe ou une allégorie personnifiant les premiers âges du monde.




Diversité des races humaines

52. D'où viennent les différences physiques et morales qui distinguent les variétés de races d'hommes sur la terre ?

« Le climat, la vie et les habitudes. Il en est de même de deux enfants de la même mère qui, élevés loin de l'autre et différemment, ne se ressembleront en rien au moral. »

53. L'homme a-t-il pris naissance sur plusieurs points du globe ?

« Oui, et à diverses époques, et c'est là une des causes de la diversité des races ; puis les hommes, en se dispersant sous différents climats et en s'alliant à d'autres races, ont formé de nouveaux types. »

- Ces différences constituent-elles des espèces distinctes ?

« Certainement non, tous sont de la même famille : les différentes variétés du même fruit l'empêchent-elles d'appartenir à la même espèce ? »

54. Si l'espèce humaine ne procède pas d'un seul, les hommes doivent-ils cesser pour cela de se regarder comme frères ?

« Tous les hommes sont frères en Dieu, parce qu'ils sont animés par l'esprit et qu'ils tendent au même but. Vous voulez toujours prendre les mots à la lettre. »




Pluralité des Mondes

55. Tous les globes qui circulent dans l'espace sont-ils habités ?

« Oui, et l'homme de la terre est loin d'être, comme il le croit, le premier en intelligence, en bonté et en perfection. Il y a pourtant des hommes qui se croient bien forts, qui s'imaginent que ce petit globe a seul le privilège d'avoir des êtres raisonnables. Orgueil et vanité ! Ils croient que Dieu a créé l'univers pour eux seuls.

Dieu a peuplé les mondes d'êtres vivants, qui tous concourent au but final de la Providence. Croire les êtres vivants limités au seul point que nous habitons dans l'univers, serait mettre en doute la sagesse de Dieu qui n'a rien fait d'inutile ; il a dû assigner à ces mondes un but plus sérieux que celui de récréer notre vue. Rien d'ailleurs, ni dans la position, ni dans le volume, ni dans la constitution physique de la terre, ne peut raisonnablement faire supposer qu'elle a seule le privilège d'être habitée à l'exclusion de tant de milliers de mondes semblables.

56. La constitution physique des différents globes est-elle la même ?

« Non ; ils ne se ressemblent nullement. »
57. La constitution physique des mondes n'étant pas la même pour tous, s'ensuit-il pour les êtres qui les habitent une organisation différente ?

« Sans doute, comme chez vous les poissons sont faits pour vivre dans l'eau et les oiseaux dans l'air. »

58. Les mondes qui sont le plus éloignés du soleil sont-ils privés de lumière et de chaleur, puisque le soleil ne se montre à eux que sous l'apparence d'une étoile ?

« Croyez-vous donc qu'il n'y ait pas d'autres sources de lumière et de chaleur que le soleil ; et comptez-vous pour rien l'électricité qui, dans certains mondes, joue un rôle qui vous est inconnu, et bien autrement important que sur la terre ? D'ailleurs, il n'est pas dit que tous les êtres soient de la même matière que vous, et avec des organes conformés comme les vôtres. »

Les conditions d'existence des êtres qui habitent les différents mondes doivent être appropriées au milieu dans lequel ils sont appelés à vivre. Si nous n'avions jamais vu de poissons, nous ne comprendrions pas que des êtres pussent vivre dans l'eau. Il en est ainsi des autres mondes qui renferment sans doute des éléments qui nous sont inconnus. Ne voyons-nous pas, sur la terre, les longues nuits polaires éclairées par l'électricité des aurores boréales ? Y a-t-il rien d'impossible à ce que, dans certains mondes, l'électricité soit plus abondante que sur la terre et y joue un rôle général dont nous ne pouvons comprendre les effets ? Ces mondes peuvent donc renfermer en eux-mêmes les sources de chaleur et de lumière nécessaires à leurs habitants.




Considérations et concordances bibliques touchant la création

59. Les peuples se sont fait des idées très divergentes sur la création, selon le degré de leurs lumières. La raison appuyée sur la science a reconnu l'invraisemblance de certaines théories. Celle qui est donnée par les Esprits confirme l'opinion depuis longtemps admise par les hommes les plus éclairés.

L'objection que l'on peut faire à cette théorie, c'est qu'elle est en contradiction avec le texte des livres sacrés ; mais un examen sérieux fait reconnaître que cette contradiction est plus apparente que réelle, et qu'elle résulte de l'interprétation donnée à un sens souvent allégorique.

La question du premier homme dans la personne d'Adam, comme unique souche de l'humanité, n'est point la seule sur laquelle les croyances religieuses aient dû se modifier. Le mouvement de la terre a paru, à une certaine époque, tellement opposé au texte sacré, qu'il n'est sorte de persécutions dont cette théorie n'ait été le prétexte, et pourtant la terre tourne malgré les anathèmes, et nul aujourd'hui ne pourrait le contester sans faire tort à sa propre raison.

La Bible dit également que le monde fut créé en six jours et en fixe l'époque à environ 4.000 ans avant l'ère chrétienne. Avant cela la terre n'existait pas ; elle a été tirée du néant : le texte est formel ; et voilà que la science positive, la science inexorable vient prouver le contraire. La formation du globe est écrite en caractères imprescriptibles dans le monde fossile, et il est prouvé que les six jours de la création sont autant de périodes, chacune peut-être de plusieurs centaines de milliers d'années. Ceci n'est point un système, une doctrine, une opinion isolée, c'est un fait aussi constant que celui du mouvement de la terre, et que la théologie ne peut se refuser d'admettre, preuve évidente de l'erreur dans laquelle on peut tomber en prenant à la lettre les expressions d'un langage souvent figuré. Faut-il en conclure que la Bible est une erreur ? Non ; mais que les hommes se sont trompés en l'interprétant.

La science, en fouillant les archives de la terre, a reconnu l'ordre dans lequel les différents êtres vivants ont paru à sa surface, et cet ordre est d'accord avec celui qui est indiqué dans la Genèse, avec cette différence que cette oeuvre, au lieu d'être sortie miraculeusement des mains de Dieu en quelques heures, s'est accomplie, toujours par sa volonté, mais selon la loi des forces de la nature, en quelques millions d'années. Dieu en est-il moins grand et moins puissant ? Son oeuvre en est-elle moins sublime pour n'avoir pas le prestige de l'instantanéité ? Evidemment non ; il faudrait se faire de la Divinité une idée bien mesquine pour ne pas reconnaître sa toute-puissance dans les lois éternelles qu'elle a établies pour régir les mondes. La science, loin d'amoindrir l'oeuvre divine, nous la montre sous un aspect plus grandiose et plus conforme aux notions que nous avons de la puissance et de la majesté de Dieu, par cela même qu'elle s'est accomplie sans déroger aux lois de la nature.

La science, d'accord en cela avec Moïse, place l'homme en dernier dans l'ordre de la création des êtres vivants ; mais Moïse place le déluge universel l'an du monde 1654, tandis que la géologie nous montre le grand cataclysme antérieur à l'apparition de l'homme, attendu que, jusqu'à ce jour, on ne trouve dans les couches primitives aucune trace de sa présence, ni de celle des animaux de la même catégorie au point de vue physique ; mais rien ne prouve que cela soit impossible ; plusieurs découvertes ont déjà jeté des doutes à cet égard ; il se peut donc que d'un moment à l'autre on acquière la certitude matérielle de cette antériorité de la race humaine, et alors on reconnaîtra que, sur ce point, comme sur d'autres, le texte biblique est une figure. La question est de savoir si le cataclysme géologique est le même que celui de Noé ; or, la durée nécessaire à la formation des couches fossiles ne permet pas de les confondre, et du moment qu'on aura trouvé les traces de l'existence de l'homme avant la grande catastrophe, il demeurera prouvé, ou qu'Adam n'est pas le premier homme, ou que sa création se perd dans la nuit des temps. Contre l'évidence, il n'y a pas de raisonnements possibles, et il faudra accepter ce fait, comme on a accepté celui du mouvement de la terre et les six périodes de la création.

L'existence de l'homme avant le déluge géologique est, il est vrai, encore hypothétique, mais voici qui l'est moins. En admettant que l'homme ait paru pour la première fois sur la terre 4.000 ans avant le Christ, si 1650 ans plus tard toute la race humaine a été détruite à l'exception d'une seule famille, il en résulte que le peuplement de la terre ne date que de Noé, c'est-à-dire de 2.350 avant notre ère. Or, lorsque les Hébreux émigrèrent en Egypte au dix-huitième siècle, ils trouvèrent ce pays très peuplé et déjà fort avancé en civilisation. L'histoire prouve qu'à cette époque les Indes et d'autres contrées étaient également florissantes, sans même tenir compte de la chronologie de certains peuples qui remonte à une époque bien plus reculée. Il aurait donc fallu que du vingt-quatrième au dix-huitième siècle, c'est-à-dire dans l'espace de 600 ans, non seulement la postérité d'un seul homme eût pu peupler toutes les immenses contrées alors connues, en supposant que les autres ne le fussent pas, mais que, dans ce court intervalle, l'espèce humaine ait pu s'élever de l'ignorance absolue de l'état primitif au plus haut degré du développement intellectuel, ce qui est contraire à toutes les lois anthropologiques.

La diversité des races vient encore à l'appui de cette opinion. Le climat et les habitudes produisent sans doute des modifications dans le caractère physique, mais on connaît jusqu'où peut aller l'influence de ces causes, et l'examen physiologique prouve qu'il y a entre certaines races des différences constitutionnelles plus profondes que celles que peut produire le climat. Le croisement des races produit les types intermédiaires ; il tend à effacer les caractères extrêmes, mais il ne les produit pas : il ne crée que des variétés ; or, pour qu'il y ait eu croisement de races, il fallait qu'il y eût des races distinctes, et comment expliquer leur existence en leur donnant une souche commune et surtout aussi rapprochée ? Comment admettre qu'en quelques siècles certains descendants de Noé se soient transformés au point de produire la race éthiopique, par exemple ; une telle métamorphose n'est pas plus admissible que l'hypothèse d'une souche commune entre le loup et la brebis, l'éléphant et le puceron, l'oiseau et le poisson. Encore une fois, rien ne saurait prévaloir contre l'évidence des faits. Tout s'explique, au contraire, en admettant l'existence de l'homme avant l'époque qui lui est vulgairement assignée ; la diversité des souches ; Adam qui vivait il y a 6.000 ans, comme ayant peuplé une contrée encore inhabitée ; le déluge de Noé comme une catastrophe partielle confondue avec le cataclysme géologique ; en tenant compte enfin de la forme allégorique particulière au style oriental, et que l'on retrouve dans les livres sacrés de tous les peuples. C'est pourquoi il est prudent de ne pas s'inscrire trop légèrement en faux contre les doctrines qui peuvent tôt ou tard, comme tant d'autres, donner un démenti à ceux qui les combattent. Les idées religieuses, loin de perdre, grandissent en marchant avec la science ; c'est le seul moyen de ne pas montrer au scepticisme un côté vulnérable.





Chapitre IV — Principe vital



Etres organiques et inorganiques

Les êtres organiques sont ceux qui ont en eux une source d'activité intime qui leur donne la vie ; ils naissent, croissent, se reproduisent par eux-mêmes et meurent ; ils sont pourvus d'organes spéciaux pour l'accomplissement des différents actes de la vie, et qui sont appropriés à leurs besoins pour leur conservation. Ils comprennent les hommes, les animaux et les plantes. Les êtres inorganiques sont tous ceux qui n'ont ni vitalité, ni mouvements propres, et ne sont formés que par l'agrégation de la matière ; tels sont les minéraux, l'eau, l'air, etc..

60. Est-ce la même force qui unit les éléments de la matière dans les corps organiques et dans les corps inorganiques ?

« Oui, la loi d'attraction est la même pour tous. »

61. Y a-t-il une différence entre la matière des corps organiques et celle des corps inorganiques ?

« C'est toujours la même matière, mais dans les corps organiques elle est animalisée. »

62. Quelle est la cause de l'animalisation de la matière ?

« Son union avec le principe vital. »
63. Le principe vital réside-t-il dans un agent particulier, ou n'est-il qu'une propriété de la matière organisée ; en un mot, est-ce un effet ou une cause ?

« C'est l'un et l'autre. La vie est un effet produit par l'action d'un agent sur la matière ; cet agent, sans la matière, n'est pas la vie, de même que la matière ne peut vivre sans cet agent. Il donne la vie à tous les êtres qui l'absorbent et se l'assimilent. »

64. Nous avons vu que l'esprit et la matière sont deux éléments constitutifs de l'univers, le principe vital en forme-t-il un troisième ?

« C'est sans doute un des éléments nécessaires à la constitution de l'univers, mais il a lui-même sa source dans la matière universelle modifiée ; c'est un élément pour vous, comme l'oxygène et l'hydrogène qui pourtant ne sont pas des éléments primitifs, car tout cela part d'un même principe. »

- Il semble résulter de là que la vitalité n'a pas son principe dans un agent primitif distinct, mais dans une propriété spéciale de la matière universelle, due à certaines modifications.

« C'est la conséquence de ce que nous avons dit. »

65. Le principe vital réside-t-il dans un des corps que nous connaissons ?

« Il a sa source dans le fluide universel ; c'est ce que vous appelez fluide magnétique ou fluide électrique animalisé. Il est l'intermédiaire, le lien entre l'esprit et la matière. »

66. Le principe vital est-il le même pour tous les êtres organiques ?

« Oui, modifié selon les espèces. C'est ce qui leur donne le mouvement et l'activité, et les distingue de la matière inerte ; car le mouvement de la matière n'est pas la vie ; elle reçoit ce mouvement, elle ne le donne pas. »

67. La vitalité est-elle un attribut permanent de l'agent vital, ou bien cette vitalité ne se développe-t-elle que par le jeu des organes ?

« Elle ne se développe qu'avec le corps. N'avons-nous pas dit que cet agent sans la matière n'est pas la vie ? Il faut l'union des deux choses pour produire la vie. »

- Peut-on dire que la vitalité est à l'état latent, lorsque l'agent vital n'est pas uni au corps ?

« Oui, c'est cela. »

L'ensemble des organes constitue une sorte de mécanisme qui reçoit son impulsion de l'activité intime ou principe vital qui existe en eux. Le principe vital est la force motrice des corps organiques. En même temps que l'agent vital donne l'impulsion aux organes, l'action des organes entretient et développe l'activité de l'agent vital, à peu près comme le frottement développe la chaleur.




La vie et la mort

68. Quelle est la cause de la mort chez les êtres organiques ?

« Epuisement des organes. »

- Pourrait-on comparer la mort à la cessation du mouvement dans une machine désorganisée ?

« Oui, si la machine est mal montée, le ressort casse ; si le corps est malade, la vie s'en va. »

69. Pourquoi une lésion du coeur plutôt que celle d'autres organes cause-t-elle la mort ?

« Le coeur est une machine à vie ; mais le coeur n'est pas le seul organe dont la lésion occasionne la mort ; ce n'est qu'un des rouages essentiels. »

70. Que deviennent la matière et le principe vital des êtres organiques à leur mort ?

« La matière inerte se décompose et en forme de nouveaux ; le principe vital retourne à la masse. »

L'être organique étant mort, les éléments dont il est formé subissent de nouvelles combinaisons qui constituent de nouveaux êtres ; ceux-ci puisent à la source universelle le principe de la vie et de l'activité, l'absorbent et se l'assimilent pour le rendre à cette source lorsqu'ils cesseront d'exister.

Les organes sont pour ainsi dire imprégnés de fluide vital. Ce fluide donne à toutes les parties de l'organisme une activité qui en opère le rapprochement dans certaines lésions et rétablit des fonctions momentanément suspendues. Mais lorsque les éléments essentiels au jeu des organes sont détruits, ou trop profondément altérés, le fluide vital est impuissant à leur transmettre le mouvement de la vie, et l'être meurt.

Les organes réagissent plus ou moins nécessairement les uns sur les autres ; c'est de l'harmonie de leur ensemble que résulte leur action réciproque. Lorsqu'une cause quelconque détruit cette harmonie, leurs fonctions s'arrêtent comme le mouvement d'un mécanisme dont les rouages essentiels sont dérangés. Telle une horloge qui s'use avec le temps ou se disloque par accident, et que la force motrice est impuissante à mettre en mouvement.

Nous avons une image plus exacte de la vie et de la mort dans un appareil électrique. Cet appareil recèle l'électricité comme tous les corps de la nature à l'état latent. Les phénomènes électriques ne se manifestent que lorsque le fluide est mis en activité par une cause spéciale : alors on pourrait dire que l'appareil est vivant. La cause d'activité venant à cesser, le phénomène cesse : l'appareil rentre dans l'état d'inertie. Les corps organiques seraient ainsi des sortes de piles ou appareils électriques dans lesquels l'activité du fluide produit le phénomène de la vie : la cessation de cette activité produit la mort.

La quantité de fluide vital n'est point absolue chez tous les êtres organiques ; elle varie selon les espèces, et n'est point constante soit dans le même individu, soit dans les individus de la même espèce. Il en est qui en sont pour ainsi dire saturés, tandis que d'autres en ont à peine une quantité suffisante ; de là pour quelques-uns la vie plus active, plus tenace, et en quelque sorte surabondante.

La quantité de fluide vital s'épuise ; elle peut devenir insuffisante pour l'entretien de la vie si elle n'est renouvelée par l'absorption et l'assimilation des substances qui le recèlent.

Le fluide vital se transmet d'un individu à un autre individu. Celui qui en a le plus peut en donner à celui qui en a le moins et, dans certains cas, rappeler la vie prête à s'éteindre.




Intelligence et instinct

71. L'intelligence est-elle un attribut du principe vital ?

« Non, puisque les plantes vivent et ne pensent pas : elles n'ont que la vie organique. L'intelligence et la matière sont indépendantes, puisqu'un corps peut vivre sans intelligence ; mais l'intelligence ne peut se manifester que par le moyen des organes matériels ; il faut l'union de l'esprit pour intelligenter la matière animalisée. »

L'intelligence est une faculté spéciale propre à certaines classes d'êtres organiques et qui leur donne, avec la pensée, la volonté d'agir, la conscience de leur existence et de leur individualité, ainsi que les moyens d'établir des rapports avec le monde extérieur, et de pourvoir à leurs besoins.

On peut ainsi distinguer : 1° les êtres inanimés formés de matière seule, sans vitalité ni intelligence : ce sont les corps bruts ; 2° les êtres animés non pensants, formés de matière et doués de vitalité, mais dépourvus d'intelligence ; 3° les êtres animés pensants, formés de matière, doués de vitalité et ayant de plus un principe intelligent qui leur donne la faculté de penser.

72. Quelle est la source de l'intelligence ?

« Nous l'avons dit : l'intelligence universelle. »

- Pourrait-on dire que chaque être puise une portion d'intelligence à la source universelle et se l'assimile, comme il puise et s'assimile le principe de la vie matérielle ?

« Ceci n'est qu'une comparaison, mais qui n'est pas exacte, parce que l'intelligence est une faculté propre à chaque être et constitue son individualité morale. Du reste, vous le savez, il est des choses qu'il n'est pas donné à l'homme de pénétrer, et celle-ci est du nombre pour le moment. »

73. L'instinct est-il indépendant de l'intelligence ?

« Non, pas précisément, car c'est une espèce d'intelligence. L'instinct est une intelligence non raisonnée, c'est par là que tous les êtres pourvoient à leurs besoins. »

74. Peut-on assigner une limite entre l'instinct et l'intelligence, c'est-à-dire préciser où finit l'un et où commence l'autre ?

« Non, car ils se confondent souvent ; mais on peut très bien distinguer les actes qui appartiennent à l'instinct et ceux qui appartiennent à l'intelligence. »

75. Est-il exact de dire que les facultés instinctives diminuent à mesure que croissent les facultés intellectuelles ?

« Non, l'instinct existe toujours, mais l'homme le néglige. L'instinct peut aussi mener au bien ; il nous guide presque toujours et, quelquefois, plus sûrement que la raison ; il ne s'égare jamais. »

- Pourquoi la raison n'est-elle pas toujours un guide infaillible ?

« Elle serait infaillible si elle n'était faussée par la mauvaise éducation, l'orgueil et l'égoïsme. L'instinct ne raisonne pas ; la raison laisse le choix et donne à l'homme le libre arbitre. »

L'instinct est une intelligence rudimentaire qui diffère de l'intelligence proprement dite en ce que ses manifestations sont presque toujours spontanées, tandis que celles de l'intelligence sont le résultat d'une combinaison et d'un acte délibéré.

L'instinct varie dans ses manifestations selon les espèces et leurs besoins. Chez les êtres qui ont la conscience et la perception des choses extérieures, il s'allie à l'intelligence, c'est-à-dire à la volonté et à la liberté.



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