REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1863

Allan Kardec

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REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1863



Janvier

Etude sur les possédés de Morzine

Les causes de l'obsession et les moyens de la combattre

Deuxième article

Dans notre précédent article[1], nous avons exposé la manière dont s'exerce l'action des Esprits sur l'homme, action pour ainsi dire matérielle. Sa cause est tout entière dans le périsprit, principe non seulement de tous les phénomènes spirites proprement dits, mais d'une foule d'effets moraux, physiologiques et pathologiques incompris avant la connaissance de cet agent, dont la découverte, si l'on peut s'exprimer ainsi, ouvrira des horizons nouveaux à la science quand celle-ci voudra bien reconnaître l'existence du monde invisible.

Le périsprit, comme on l'a vu, joue un rôle important dans tous les phénomènes de la vie ; il est la source d'une multitude d'affections dont le scalpel cherche en vain la cause dans l'altération des organes, et contre lesquelles la thérapeutique est impuissante. Par son expansion, s'expliquent encore les réactions d'individu à individu, les attractions et les répulsions instinctives, l'action magnétique etc. Chez l'Esprit libre, c'est-à-dire désincarné, il remplace le corps matériel ; c'est l'agent sensitif, l'organe à l'aide duquel il agit. Par la nature fluidique et expansive du périsprit, l'Esprit atteint l'individu sur lequel il veut agir, l'entoure, l'enveloppe, le pénètre et le magnétise. L'homme vivant au milieu du monde invisible est incessamment soumis à ces influences comme à celles de l'atmosphère qu'il respire, et cette influence se traduit par des effets moraux et physiologiques dont il ne se rend pas compte, et qu'il attribue souvent à des causes toutes contraires. Cette influence diffère naturellement selon les qualités bonnes ou mauvaises de l'Esprit, ainsi que nous l'avons expliqué dans notre précédent article. Celui-ci est-il bon et bienveillant, l'influence, ou si l'on veut l'impression, est agréable, salutaire : c'est comme les caresses d'une tendre mère qui enlace son enfant dans ses bras ; est-il mauvais et malveillant, elle est dure, pénible, anxieuse et parfois malfaisante : elle n'embrasse pas, elle étreint. Nous vivons dans cet océan fluidique, incessamment en butte à des courants contraires, que nous attirons, que nous repoussons, ou auxquels nous nous abandonnons selon nos qualités personnelles, mais au milieu desquels l'homme conserve toujours son libre arbitre, attribut essentiel de sa nature, en vertu duquel il peut toujours choisir sa route.

Ceci, comme on le voit, est tout à fait indépendant de la faculté médianimique telle qu'on la conçoit vulgairement. L'action du monde invisible, étant dans l'ordre des choses naturelles, s'exerce sur l'homme, abstraction faite de toute connaissance spirite ; on y est soumis comme on l'est à l'influence de l'électricité atmosphérique sans savoir la physique, comme on est malade sans savoir la médecine. Or, de même que la physique nous apprend la cause de certains phénomènes, et celle de la médecine, la cause de certaines maladies, l'étude de la science spirite nous apprend la cause des phénomènes dus aux influences occultes du monde invisible, et nous explique ce qui, sans cela, nous paraissait inexplicable. La médiumnité est le moyen direct d'observation ; le médium — qu'on nous passe cette comparaison — est l'instrument de laboratoire par lequel l'action du monde invisible se traduit d'une manière patente ; et, par la facilité qu'il nous donne de répéter les expériences, il nous permet d'étudier le mode et les diverses nuances de cette action ; c'est de cette étude et de ces observations qu'est née la science spirite.

Tout individu qui subit d'une manière quelconque l'influence des Esprits est, par cela même, médium, et c'est à ce titre qu'on peut dire que tout le monde est médium ; mais c'est par la médiumnité effective, consciente et facultative qu'on est arrivé à constater l'existence du monde invisible, et par la diversité des manifestations obtenues ou provoquées qu'on a pu s'éclairer sur la qualité des êtres qui le composent, et sur le rôle qu'ils jouent dans la nature ; le médium a fait pour le monde invisible ce que le microscope a fait pour le monde des infiniment petits.

C'est donc une nouvelle force, une nouvelle puissance, une nouvelle loi, en un mot, qui nous est révélée. Il est vraiment inconcevable que l'incrédulité en repousse même l'idée, parce que cette idée suppose en nous une âme, un principe intelligent survivant au corps. S'il s'agissait de la découverte d'une substance matérielle et inintelligente, ils l'accepteraient sans difficulté ; mais une action intelligente en dehors de l'homme, c'est pour eux de la superstition. Si, de l'observation des faits qui se produisent par la médiumnité, on remonte aux faits généraux, on peut, par la similitude des effets, conclure à la similitude des causes ; or, c'est en constatant l'analogie des phénomènes de Morzine avec ceux que la médiumnité met tous les jours sous nos yeux, que la participation d'Esprits malfaisants nous paraît évidente dans cette circonstance, et elle ne le sera pas moins pour ceux qui auront médité sur les nombreux cas isolés rapportés dans la Revue Spirite. Toute la différence est dans le caractère épidémique de l'affection ; mais l'histoire rapporte plus d'un fait semblable, parmi lesquels figurent ceux des religieuses de Loudun, des convulsionnaires de Saint-Médard, des camisards des Cévennes et des possédés du temps du Christ ; ces derniers surtout ont une analogie frappante avec ceux de Morzine ; et une chose digne de remarque, c'est que partout où ces phénomènes se sont produits, l'idée qu'ils étaient dus à des Esprits a été la pensée dominante et comme intuitive chez ceux qui en étaient affectés.

Si l'on veut bien se reporter à notre premier article, à la théorie de l'obsession contenue dans le Livre des Médiums, et aux faits relatés dans la Revue, on verra que l'action des mauvais Esprits sur les individus dont ils s'emparent, présente des nuances extrêmement variées d'intensité et de durée selon le degré de malignité et de perversité de l'Esprit, et aussi selon l'état moral de la personne qui leur donne un accès plus ou moins facile. Cette action n'est souvent que temporaire et accidentelle, plus malicieuse et désagréable que dangereuse, comme dans le fait que nous avons relaté dans notre précédent article. Le fait suivant appartient à cette catégorie.

M. Indermühle, de Berne, membre de la Société Spirite de Paris, nous a raconté que, dans sa propriété de Zimmerwald, son fermier, homme d'une force herculéenne, se sentit une nuit saisir par un individu qui le secouait vigoureusement. C'était un cauchemar, dira-t-on ; non, car cet homme était si bien éveillé qu'il se leva et lutta quelque temps contre celui qui l'étreignait ; lorsqu'il se sentit libre, il prit son sabre accroché à côté de son lit, et se mit à sabrer dans l'ombre, mais sans rien atteindre. Il alluma sa chandelle, chercha partout et ne trouva personne ; la porte était parfaitement close. A peine recouché, le jardinier, qui était dans la chambre à côté, se mit à appeler au secours en se débattant et en criant qu'on l'étranglait. Le fermier court chez son voisin, mais, comme chez lui, on ne trouve personne. Une servante qui couchait dans le même bâtiment avait entendu tout ce tapage. Tous ces gens effrayés vinrent le lendemain rendre compte à M. Indermühle de ce qui s'était passé. Celui-ci, après s'être enquis de tous les détails et s'être assuré qu'aucun étranger n'avait pu s'introduire dans les chambres, fut d'autant plus porté à croire à un mauvais tour de quelque Esprit, que depuis quelque temps des manifestations physiques non équivoques et de diverse nature se produisaient dans sa propre maison. Il tranquillisa ses gens et leur dit d'observer avec soin ce qui se passerait, si pareille chose se renouvelait. Comme il est médium, ainsi que sa femme, il évoqua l'Esprit perturbateur, qui convint du fait, et s'excusa en disant : « Je voulais vous parler, parce que je suis malheureux et que j'ai besoin de vos prières ; depuis longtemps je fais tout ce que je peux pour appeler votre attention ; je frappe chez vous ; je vous ai même tiré par l'oreille (M. Indermühle se rappela la chose) : rien n'y a fait. Alors j'ai pensé qu'en faisant la scène de la nuit dernière, vous songeriez à m'appeler ; vous l'avez fait, je suis content ; mais je vous assure que je n'avais aucune mauvaise intention. Promettez-moi de m'appeler quelquefois et de prier pour moi. » M. Indermühle lui fit une verte semonce, renouvela l'entretien, lui fit de la morale qu'il écoutait avec plaisir, pria pour lui, dit à ses gens d'en faire autant, ce qu'ils firent en gens pieux qu'ils sont, et depuis lors tout est resté dans l'ordre.

Malheureusement tous ne sont pas d'aussi bonne composition ; celui-ci n'était pas mauvais ; mais il en est dont l'action est tenace, permanente, et peut même avoir des conséquences fâcheuses pour la santé de l'individu, nous dirons plus : pour ses facultés intellectuelles, si l'Esprit parvient à subjuguer sa victime au point de neutraliser son libre arbitre, et de la contraindre à dire et à faire des extravagances. Tel est le cas de la folie obsessionnelle, bien différente dans ses causes, sinon dans ses effets, de la folie pathologique.

Nous avons vu, dans notre voyage, le jeune obsédé dont il est parlé dans la Revue de janvier 1861 sous le titre de l'Esprit frappeur de l'Aube, et nous avons acquis de la bouche du père et de témoins oculaires la confirmation de tous les faits. Ce jeune homme a présentement seize ans ; il est frais, grand, parfaitement constitué, et cependant il se plaint de maux d'estomac et de faiblesse dans les membres, ce qui, dit-il, l'empêche de travailler. A le voir on peut croire aisément que la paresse est sa principale maladie, ce qui n'ôte rien à la réalité des phénomènes qui se sont produits depuis cinq ans, et qui rappellent, à beaucoup d'égards, ceux de Bergzabern (Revue : mai, juin et juillet 1858). Il n'en est pas ainsi de sa santé morale ; étant enfant il était très intelligent et apprenait à l'école avec facilité ; depuis lors ses facultés ont sensiblement faibli. Il est bon d'ajouter que ce n'est que depuis peu que lui et ses parents ont connaissance du Spiritisme, et encore par ouï-dire et très superficiellement, car ils n'ont jamais rien lu ; auparavant, jamais ils n'en avaient entendu parler ; on ne saurait donc y voir une cause provocatrice. Les phénomènes matériels ont à peu près cessé, ou du moins sont plus rares aujourd'hui, mais l'état moral est le même, ce qui est d'autant plus fâcheux pour les parents qu'ils ne vivent que de leur travail. On connaît l'influence de la prière en pareil cas ; mais comme on ne peut rien attendre de l'enfant sous ce rapport, il faudrait le concours des parents ; ils sont bien persuadés que leur fils est sous une mauvaise influence occulte, mais leur croyance ne va guère au-delà, et leur foi religieuse est des plus faibles. Nous dîmes au père qu'il faudrait prier, mais prier sérieusement et avec ferveur. « C'est ce qu'on m'a déjà dit, a-t-il répondu ; j'ai prié quelquefois, mais ça n'a rien fait. Si je savais qu'en priant une bonne fois pendant vingt-quatre heures et que ça soit fini, je le ferais bien encore. » On voit par-là de quelle manière on peut être secondé dans cette circonstance par ceux qui y sont le plus intéressés.

Voici la contre-partie de ce fait, et une preuve de l'efficacité de la prière quand elle est faite avec le cœur et non avec les lèvres.

Une jeune femme, contrariée dans ses inclinations, avait été unie à un homme avec lequel elle ne pouvait sympathiser. Le chagrin qu'elle en conçut amena un dérangement dans ses facultés mentales ; sous l'empire d'une idée fixe elle perdit la raison, et l'on fut obligé de la séquestrer. Cette dame n'avait jamais entendu parler du Spiritisme ; si elle s'en fût occupée, on n'aurait pas manqué de dire que les Esprits lui avaient tourné la tête. Le mal provenait donc d'une cause morale accidentelle toute personnelle, et, en pareil cas, on conçoit que les remèdes ordinaires ne pouvaient être d'aucun secours ; comme il n'y avait aucune obsession apparente, on pouvait douter également de l'efficacité de la prière.

Un membre de la Société Spirite de Paris, ami de la famille, crut devoir interroger à son sujet un Esprit supérieur, qui répondit : « L'idée fixe de cette dame, par sa cause même, attire autour d'elle une foule d'Esprits mauvais qui l'enveloppent de leur fluide, l'entretiennent dans ses idées, et empêchent les bonnes influences d'arriver à elle. Les Esprits de cette nature abondent toujours dans les milieux semblables à celui où elle se trouve, et sont souvent un obstacle à la guérison des malades. Cependant vous pouvez la guérir, mais il faut pour cela une puissance morale capable de vaincre la résistance, et cette puissance n'est pas donnée à un seul. Que cinq ou six Spirites sincères se réunissent tous les jours, pendant quelques instants, et prient avec ferveur Dieu et les bons Esprits de l'assister ; que votre ardente prière soit en même temps une magnétisation mentale ; vous n'avez pas, pour cela, besoin d'être auprès d'elle, au contraire ; par la pensée, vous pouvez porter sur elle un courant fluidique salutaire dont la puissance sera en raison de votre intention et augmentée par le nombre ; par ce moyen, vous pourrez neutraliser le mauvais fluide qui l'environne. Faites cela ; ayez foi et confiance en Dieu, et espérez. »

Six personnes se dévouèrent à cette œuvre de charité, et ne faillirent pas un seul jour, pendant un mois, à la mission qu'elles avaient acceptée. Au bout de quelques jours la malade était sensiblement plus calme ; quinze jours après, l'amélioration était manifeste, et aujourd'hui cette femme est rentrée chez elle dans un état parfaitement normal, ignorant encore, ainsi que son mari, d'où lui est venue sa guérison.

Le mode d'action est ici clairement indiqué, et nous ne saurions rien ajouter de plus précis à l'explication donnée par l'Esprit. La prière n'a donc pas seulement l'effet d'appeler sur le patient un secours étranger, mais celui d'exercer une action magnétique. Que ne pourrait donc pas le magnétisme secondé par la prière ! Malheureusement, certains magnétiseurs font trop, à l'exemple de beaucoup de médecins, abstraction de l'élément spirituel ; ils ne voient que l'action mécanique, et se privent ainsi d'un puissant auxiliaire. Nous espérons que les vrais Spirites verront dans ce fait une preuve de plus du bien qu'ils peuvent faire dans une pareille circonstance.

Une question d'une grande importance se présente naturellement ici : L'exercice de la médiumnité peut-il provoquer le dérangement de la santé et des facultés mentales ?

Il est à remarquer que cette question ainsi formulée est celle que posent la plupart des antagonistes du Spiritisme, ou, pour mieux dire, au lieu d'une question, ils formulent le principe en axiome en affirmant que la médiumnité pousse à la folie ; nous parlons de la folie réelle et non de celle, plus burlesque que sérieuse, dont on gratifie les adeptes. On concevrait cette question de la part de celui qui croirait à l'existence des Esprits et à l'action qu'ils peuvent exercer, parce que, pour eux, c'est quelque chose de réel ; mais pour ceux qui n'y croient pas, la question est un non-sens, car, s'il n'y a rien, ce rien ne peut pas produire quelque chose. Cette thèse n'étant pas soutenable, ils se retranchent sur les dangers de la surexcitation cérébrale que, selon eux, peut causer la seule croyance aux Esprits. Nous ne reviendrons pas sur ce point déjà traité, mais nous demanderons si l'on a fait le dénombrement de tous les cerveaux tournés par la peur du diable et les effrayants tableaux des tortures de l'enfer et de la damnation éternelle, et s'il est plus malsain de croire qu'on a près de soi des Esprits bons et bienveillants, ses parents, ses amis et son ange gardien, que le démon.

La question formulée de la manière suivante est plus rationnelle et plus sérieuse, dès lors qu'on admet l'existence et l'action des Esprits : L'exercice de la médiumnité peut-il provoquer chez un individu l'invasion de mauvais Esprits et ses conséquences ?

Nous n'avons jamais dissimulé les écueils que l'on rencontre dans la médiumnité, c'est pourquoi nous avons multiplié les instructions à ce sujet dans le Livre des Médiums, et nous n'avons cessé d'en recommander l'étude préalable avant de se livrer à la pratique ; aussi, depuis la publication de ce livre, le nombre des obsédés a sensiblement et notoirement diminué, parce qu'il épargne une expérience que les novices n'acquièrent souvent qu'à leurs dépens. Nous le disons encore, oui, sans expérience, la médiumnité a des inconvénients dont le moindre serait d'être mystifié par des Esprits trompeurs ou légers ; faire du Spiritisme expérimental sans étude, c'est vouloir faire des manipulations chimiques sans savoir la chimie.

Les exemples si nombreux de personnes obsédées et subjuguées de la manière la plus fâcheuse, sans avoir jamais entendu parler de Spiritisme, prouvent surabondamment que l'exercice de la médiumnité n'a pas le privilège d'attirer les mauvais Esprits ; bien plus, l'expérience prouve que c'est un moyen de les écarter, en permettant de les reconnaître. Toutefois, comme il y en a souvent qui rôdent autour de nous, il peut arriver que, trouvant une occasion de se manifester, ils en profitent, s'ils rencontrent dans le médium une prédisposition physique ou morale qui le rende accessible à leur influence ; or, cette prédisposition tient à l'individu et à des causes personnelles antérieures, et ce n'est pas la médiumnité qui la fait naître ; on peut dire que l'exercice de la faculté est une occasion et non une cause ; mais si quelques individus sont dans ce cas, on en voit d'autres qui offrent aux mauvais Esprits une résistance insurmontable, et auxquels ces derniers ne s'adressent pas. Nous parlons des Esprits réellement mauvais et malfaisants, les seuls vraiment dangereux, et non des Esprits légers et moqueurs qui se glissent partout.

La présomption de se croire invulnérable contre les mauvais Esprits a plus d'une fois été punie d'une manière cruelle, car on ne les brave jamais impunément par l'orgueil ; l'orgueil est la porte qui leur donne l'accès le plus facile, parce que nul n'offre moins de résistance que l'orgueilleux quand on le prend par son côté faible. Avant de s'adresser aux Esprits, il convient donc de se cuirasser contre l'atteinte des mauvais, comme lorsqu'on marche sur un terrain où l'on craint la morsure des serpents. On y parvient d'abord par l'étude préalable qui indique la route et les précautions à prendre, puis par la prière ; mais il faut bien se pénétrer de vérité que le seul préservatif est en soi, dans sa propre force, et jamais dans les choses extérieures, et qu'il n'y a ni talismans, ni amulettes, ni paroles sacramentelles, ni formules sacrées ou profanes qui puissent avoir la moindre efficacité si l'on ne possède pas en soi les qualités nécessaires ; c'est donc ces qualités qu'il faut s'efforcer d'acquérir.

Si l'on était bien pénétré du but essentiel et sérieux du Spiritisme, si l'on se préparait toujours à l'exercice de la médiumnité par un appel fervent à son ange gardien et à ses Esprits protecteurs, si l'on s'étudiait soi-même en s'efforçant de se purifier de ses imperfections, les cas d'obsessions médianimiques seraient encore plus rares ; malheureusement, beaucoup n'y voient que le fait des manifestations ; non contents des preuves morales qui surabondent autour d'eux, ils veulent à tout prix se donner la satisfaction de communiquer eux-mêmes avec les Esprits, en poussant au développement d'une faculté qui souvent n'existe pas en eux, guidés en cela plus souvent par la curiosité que par le désir sincère de s'améliorer. Il en résulte qu'au lieu de s'envelopper d'une atmosphère fluidique salutaire, de se couvrir des ailes protectrices de leurs anges gardiens, de chercher à dompter leurs faiblesses morales, ils ouvrent à deux battants la porte aux Esprits obsesseurs qui les eussent peut-être tourmentés d'une autre façon et dans un autre temps, mais qui profitent de l'occasion qui leur est offerte. Que dire alors de ceux qui se font un jeu des manifestations et n'y voient qu'un sujet de distraction ou de curiosité, ou qui n'y cherchent que les moyens de satisfaire leur ambition, leur cupidité ou des intérêts matériels ? C'est dans ce sens qu'on peut dire que l'exercice de la médiumnité peut provoquer l'invasion des mauvais Esprits. Oui, il est dangereux de jouer avec ces choses-là. Que de personnes lisent le Livre des Médiums uniquement pour savoir comment on s'y prend, parce que la recette ou le procédé est la chose qui les intéresse le plus ! Quant au côté moral de la question, c'est l'accessoire. Il ne faut donc pas imputer au Spiritisme ce qui est le fait de leur imprudence.

Revenons aux possédés de Morzine. Ce qu'un Esprit peut faire sur un individu, plusieurs Esprits peuvent le faire sur plusieurs individus simultanément, et donner à l'obsession un caractère épidémique. Une nuée de mauvais Esprits peut faire invasion dans une localité, et s'y manifester de diverses manières. C'est une épidémie de ce genre qui sévissait en Judée du temps du Christ, et, à notre avis, c'est une épidémie semblable qui a sévi à Morzine.

C'est ce que nous chercherons à établir dans un prochain article, où nous ferons ressortir les caractères essentiellement obsessionnels de cette affection. Nous analyserons les mémoires des médecins qui l'ont observée, entre autres celui du docteur Constant, ainsi que les moyens curatifs employés soit par la médecine, soit par la voie des exorcismes.



[1] Voy. décembre 1862.



Les serviteurs - Histoire d'un domestique

Le fait rapporté dans le numéro précédent, sous le titre de la Loge et le Salon (décembre 1862, page 377) nous en rappelle un qui nous est en quelque sorte personnel. Dans un voyage que nous fîmes il y a deux ans, nous vîmes, dans une famille de haut rang, un tout jeune domestique dont la figure intelligente et fine nous frappa par son air de distinction ; rien, dans ses manières, ne sentait la bassesse ; son empressement pour le service de ses maîtres n'avait rien de cette obséquiosité servile propre aux gens de cette condition. L'année suivante étant retourné dans cette famille, nous n'y vîmes plus ce garçon et nous demandâmes si on l'avait renvoyé. « Non, nous fût-il répondu ; il était allé passer quelques jours dans son pays, et il y est mort. Nous le regrettons beaucoup, car c'était un excellent sujet, et qui avait des sentiments vraiment au-dessus de sa position. Il nous était très attaché, et nous a donné des preuves du plus grand dévouement. »

Plus tard la pensée nous vint d'évoquer ce jeune homme, et voici ce qu'il nous dit :

Dans mon avant-dernière incarnation, j'étais, comme on le dit sur terre, d'une très bonne famille, mais ruinée par les prodigalités de mon père. Je suis resté orphelin très jeune et sans ressources. M. de G… a été mon bienfaiteur ; il m'a élevé comme son fils, et m'a fait donner une belle éducation dont j'ai tiré un peu trop de vanité. J'ai voulu, dans ma dernière existence, expier mon orgueil en naissant dans une condition servile, et j'y ai trouvé l'occasion de prouver mon dévouement à mon bienfaiteur. Je lui ai même sauvé la vie sans qu'il s'en soit jamais douté. C'était en même temps une épreuve dont je suis sorti à mon avantage, puisque j'ai eu assez de force pour ne pas me laisser corrompre par le contact d'un entourage presque toujours vicieux ; malgré les mauvais exemples, je suis resté pur, et j'en remercie Dieu, car j'en suis récompensé par le bonheur dont je jouis.

D. Dans quelles circonstances avez-vous sauvé la vie à M. de G… ? — R. Dans une promenade à cheval où je le suivais seul, j'aperçus un gros arbre qui tombait de son côté et qu'il ne voyait pas ; je l'appelle en poussant un cri terrible ; il se retourne vivement, et pendant ce temps l'arbre tombe à ses pieds ; sans le mouvement que j'ai provoqué, il était écrasé.

Remarque. — M. de G…, auquel le fait fut rapporté, se l'est parfaitement rappelé.

D. Pourquoi êtes-vous mort si jeune? — R. Dieu avait jugé mon épreuve suffisante.

D. Comment avez-vous pu profiter de cette épreuve, puisque vous n'aviez pas souvenir de votre précédente existence et de la cause qui avait motivé cette épreuve ? — R. Dans mon humble position, il me restait un instinct d'orgueil que j'ai été assez heureux de pouvoir maîtriser, ce qui a fait que l'épreuve m'a été profitable, sans cela j'aurais encore à recommencer. Mon Esprit se souvenait dans ses moments de liberté, et il m'en restait au réveil un désir intuitif de résister à mes tendances que je sentais être mauvaises. J'ai eu plus de mérite à lutter ainsi que si je m'étais clairement souvenu du passé. Le souvenir de mon ancienne position aurait exalté mon orgueil et m'aurait troublé, tandis que je n'ai eu à combattre que les entraînements de ma nouvelle position.

D. Vous aviez reçu une brillante éducation, à quoi cela vous a-t-il servi dans votre dernière existence, puisque vous ne vous souveniez pas des connaissances que vous aviez acquises ? — R. Ces connaissances auraient été inutiles, un contre-sens même dans ma nouvelle position ; elles sont restées latentes, et aujourd'hui je les retrouve. Cependant elles ne m'ont pas été inutiles, car elles ont développé mon intelligence ; j'avais instinctivement le goût des choses élevées, ce qui m'inspirait de la répulsion pour les exemples bas et ignobles que j'avais sous les yeux ; sans cette éducation je n'aurais été qu'un valet.

D. Les exemples des serviteurs dévoués à leurs maîtres jusqu'à l'abnégation, ont-ils pour cause des relations antérieures ? — R. N'en doutez pas ; c'est du moins le cas le plus ordinaire. Ces serviteurs sont quelquefois des membres même de la famille, ou, comme moi, des obligés qui payent une dette de reconnaissance, et que leur dévouement aide à s'avancer. Vous ne savez pas tous les effets de sympathie et d'antipathie que ces relations antérieures produisent dans le monde. Non, la mort n'interrompt pas ces relations qui se perpétuent souvent de siècle en siècle.

D. Pourquoi ces exemples de dévouement de serviteurs sont-ils si rares aujourd'hui? — R. Il faut en accuser l'esprit d'égoïsme et d'orgueil de votre siècle, développé par l'incrédulité et les idées matérialistes. La foi vraie sen va par la cupidité et le désir du gain, et avec elle les dévouements. Le Spiritisme, en ramenant les hommes au sentiment du vrai, fera renaître les vertus oubliées.

Remarque. — Rien ne peut mieux que cet exemple faire ressortir le bienfait de l'oubli des existences antérieures. Si M. de G… s'était souvenu de ce qu'avait été son jeune domestique, il eût été très gêné avec lui, et ne l'aurait même pas gardé dans cette condition ; il aurait ainsi entravé l'épreuve qui a été profitable à tous les deux.

Boïeldieu à la millième representation de la Dame Blanche

Les stances suivantes, de M. Méry, ont été récitées à la millième représentation de la Dame Blanche, au théâtre de l'Opéra-Comique, le 16 décembre 1862 :



A BOÏELDIEU !

Gloire à l'œuvre ou partout chante la mélodie.

Œuvre de Boïeldieu, mille fois applaudie,

Et comme aux jours passés, si jeune aux jours présents !

Paris la voit encor dans une salle pleine,

La Dame d'Avenel, la dame châtelaine !

Centenaire dix fois, après trente-six ans !

C'est que Scribe a donné tout ce que le poète

Peut inventer de mieux pour la lyre interprète,

Et le maître inspiré prodigua, tour à tour,

Le charme que les mots n'ont jamais su décrire :

L'accent qui fait rêver, l'accent qui fait sourire,

La gaîté de l'esprit, l'extase de l'amour !

C'est que tous ces accords dont la grâce suprême

Eclate dans la voix, l'orchestre, le poème,

L'art savant de sa nuit ne les a pas couverts ;

Car Boïeldieu, c'est là sa plus belle victoire,

Rend tout public artiste et parle à l'auditoire

Cette langue du cœur que comprend l'univers !

Puis avec quel bonheur le grand maître varie

Les accents inspirés par sa muse chérie !

Quel fleuve d'or tombé de son luth souverain !

Que de rayons venus de la brume écossaise !

Par cette œuvre, surtout, la musique française

N'a rien à redouter des Alpes ou du Rhin !

C'est à nous de fêter ce noble millésime,

Qui semble élever l'œuvre à sa plus haute cime ;

Et puis… connaissons-nous les secrets du trépas ?…

Qui sait ? peut-être ici plane sous cette voûte

Un ombre qui, ce soir, joyeuse nous écoute,

Un auditeur de plus que nous ne voyons pas !

Tous les Spirites ont remarqué cette dernière stance, qui ne saurait mieux répondre à leur pensée, ni mieux exprimer la présence au milieu de nous de l'Esprit de ceux qui ont quitté leur dépouille mortelle. Pour les matérialistes, c'est un simple jeu de l'imagination du poète ; car, selon eux, de l'homme de génie dont on célébrait la mémoire il ne reste rien, et les paroles qu'on lui adressait se perdaient dans le vide sans trouver un écho ; les souvenirs et les regrets qu'il a laissés sont nuls pour lui ; bien plus, sa vaste intelligence est elle-même un hasard de la nature et de son organisation. Où serait alors son mérite ? Il n'en aurait pas plus à avoir composé ses chefs-d'œuvre que n'en ont les orgues de Barbarie qui les exécutent. Cette pensée n'a-t-elle pas quelque chose de glacial, disons plus, de profondément immoral ? Et n'est-il pas triste de voir des hommes de talent et de science les préconiser dans leurs écrits, et l'enseigner à la jeunesse des écoles du haut de la chaire, en cherchant en lui prouver que le néant seul nous attend, et que, par conséquent, celui qui a pu ou su se soustraire à la justice humaine n'a plus rien à redouter ? Cette idée, on ne saurait trop le répéter, est éminemment subversive de l'ordre social, et les peuples subissent tôt ou tard les terribles conséquences de sa prédominance par le déchaînement des passions ; car autant vaudrait leur dire : Vous pouvez faire impunément tout ce que vous voudrez, pourvu que vous soyez les plus forts. Cette idée pourtant, il faut en convenir à la louange de l'humanité, rencontre un sentiment de répulsion dans les masses. Nous demandons l'effet que le poète aurait produit sur le publie si, au lieu de cette image si vraie, si saisissante et si consolante de la présence de l'Esprit de Boïeldieu au milieu de ce nombreux auditoire, heureux des suffrages donnés à son œuvre, il fût venu dire : De l'homme que nous regrettons, il ne reste que ce qui a été mis dans la tombe et qui se détruit tous les jours ; encore quelques années, et sa poussière même n'existera plus ; mais de son être pensant il ne reste rien ; il est rentré dans le néant d'où il était sorti ; il ne nous voit plus, ne nous entend plus. Et vous, son fils ici présent, qui vénérez sa mémoire, vos regrets ne le touchent plus ; c'est en vain que vous rappelez dans vos ardentes prières : il ne peut venir, car il n'existe plus ; la tombe s'est fermée sur lui pour toujours ; c'est en vain que vous espérez le revoir en quittant la terre, car vous aussi vous rentrerez comme lui dans le néant ; c'est en vain que vous lui demandez son appui et ses conseils : il vous a laissé seul et bien seul ; vous croyez qu'il continue à s'occuper de vous, qu'il est à vos côtés, qu'il est ici, au milieu de nous ? Illusion d'un esprit faible. Vous êtes médium, dites-vous, et vous croyez qu'il peut se manifester à vous ! Superstition renouvelée du moyen âge ; effet de votre imagination qui se reflète dans vos écrits.

Nous le demandons, qu'aurait dit l'auditoire à un pareil tableau? C'est pourtant là l'idéal de l'incrédulité.

En entendant ces vers, quelques-uns des assistants se sont dit sans doute : « Jolie idée ! cela fait de l'effet ; » mais d'autres, et le plus grand nombre, auront dit : « Douce et consolante pensée ! elle réchauffe le cœur ! Cependant, auront-ils pu ajouter, si l'âme de Boïeldieu est ici présente, comment y est-elle ? Sous quelle forme ? Est-ce une flamme, une étincelle, une vapeur, un souffle ? Comment voit-elle et entend-elle? » C'est précisément cette incertitude sur l'état de l'âme qui fait naître le doute ; or, cette incertitude, le Spiritisme vient la dissiper en disant : Boïeldieu, en mourant, n'a quitté que sa lourde et grossière enveloppe ; mais son âme a conservé son enveloppe fluidique indestructible ; et désormais, délivré de l'entrave qui le retenait au sol, il peut s'élever et franchir l'espace. Il est ici, sous sa forme humaine mais aérienne, et si le voile qui le dérobe à la vue pouvait être levé, on verrait Boïeldieu, allant et venant ou planant sur la foule, et avec lui des milliers d'Esprits aux corps éthérés, venant s'associer à son triomphe.

Or, si l'Esprit de Boïeldieu est là, c'est qu'il s'intéresse à ce qui s'y passe, c'est qu'il s'associe aux pensées des assistants ; pourquoi donc ne ferait-il pas connaître sa propre pensée s'il en a le pouvoir ? C'est ce pouvoir que constate et qu'explique le Spiritisme. Son enveloppe fluidique, tout invisible et éthérée qu'elle est, n'en est pas moins une sorte de matière ; de son vivant, elle servait d'intermédiaire entre son âme et son corps ; c'est par elle qu'elle transmettait sa volonté à laquelle obéissait le corps, et par elle que l'âme recevait les sensations éprouvées par le corps ; c'est, en un mot, le trait d'union entre l'Esprit et la matière proprement dite. Aujourd'hui qu'il est débarrassé de son enveloppe corporelle, en s'associant, par sympathie, à un autre Esprit incarné, il peut, en quelque sorte, lui emprunter momentanément son corps pour exprimer sa pensée par la parole ou l'écriture, autrement dit par voie médianimique, c'est-à-dire par intermédiaire.

Ainsi, de la survivance de l'âme à l'idée qu'elle peut être au milieu de nous, il n'y a qu'un pas ; de cette idée à la possibilité de se communiquer, la distance n'est pas grande ; le tout est de se rendre compte de la manière dont s'opère le phénomène. On voit donc que la doctrine spirite, en donnant comme une vérité les rapports du monde visible et du monde invisible, n'avance pas une chose aussi excentrique que quelques-uns veulent bien le dire, et la solidarité qu'elle prouve exister entre ces deux mondes est la porte qui ouvre les horizons de l'avenir.

Les stances de M. Méry ayant été lues à la Société Spirite de Paris, dans la séance du 19 décembre 1862, madame Costel obtint, à la suite de cette séance, la communication suivante de l'Esprit de Boïeldieu :

« Je suis heureux de pouvoir manifester ma reconnaissance à ceux qui, en célébrant le vieux musicien, n'ont pas oublié l'homme. Un poète, — les poètes sont devins, — a senti le souffle de mon âme, encore éprise d'harmonie. La musique résonnait dans ses vers éclatants d'inspiration, mais dans lesquels vibrait aussi une note émue qui faisait planer au-dessus des vivants l'ombre heureuse de celui qu'on fêtait.

Oui, j'assistais à cette fête commémorative de mon talent humain, et au-dessus des instruments j'entendais une voix, plus mélodieuse que la mélodie terrestre, qui chantait la mort dépouillée de son antique terreur, et apparaissant, non plus comme une sombre divinité de l'Erèbe, mais comme la brillante étoile de l'espérance et de la résurrection.

La voix chantait aussi l'union des Esprits avec leurs frères incarnés ; doux mystère ! fécond accouplement qui complète l'homme, et lui rend les âmes qu'il demandait en vain du silence du tombeau.

Le poète, précurseur des temps, est béni par Dieu. Alouette matinale, il célèbre l'aurore des idées longtemps avant qu'elles n'aient paru à l'horizon. Mais voici que la révélation sacrée se répand comme une bénédiction sur tous, et tous, comme le poète aimé, vous sentez autour de vous la présence de ceux que votre souvenir évoque. »

Boieldieu.

Lettre sur le Spiritisme Extraite du Renard, journal hebdomadaire de Bordeaux, du 1er novembre 1862

A M. le Rédacteur en chef du Renard.

Monsieur le Rédacteur,

Si le sujet que j'aborde ici ne vous paraît ni trop rebattu, ni trop longuement traité, je vous prie d'insérer cette lettre dans le plus prochain numéro de votre estimable journal :

Quelques mots sur le Spiritisme : C'est une question si controversée et qui occupe aujourd'hui tant d'esprits que tout ce que peut écrire, sur ce sujet, un homme loyal et sérieusement convaincu ne peut paraître, à personne, ni oiseux ni ridicule.

Je ne veux imposer mes convictions à qui que ce soit ; je n'ai ni l'âge, ni l'expérience, ni l'intelligence nécessaires pour faire un Mentor ; je veux dire seulement à tous ceux qui, ne connaissant de cette théorie que le nom, sont disposés à accueillir le Spiritisme par des railleries ou un dédain systématique : Faites comme j'ai fait ; essayez d'abord de vous instruire, et vous aurez ensuite le droit d'être dédaigneux ou railleurs.

Il y a un mois, monsieur le rédacteur, j'avais à peine une idée vague du Spiritisme ; je savais seulement que cette découverte ou cette utopie, pour laquelle un mot nouveau avait été inventé, reposait sur des faits (vrais ou faux), tellement surnaturels qu'ils étaient rejetés d'avance par tous les hommes qui ne croient à rien de ce qui les étonne, qui ne suivent jamais un progrès qu'à la remorque de tout leur siècle, et qui, nouveaux Saint-Thomas, ne sont persuadés que quand ils ont touché. Comme eux, je l'avoue, j'étais tout disposé à rire de cette théorie et de ses adeptes ; mais avant de rire, je voulus savoir de quoi je riais, et je me fis présenter dans une société de Spirites, chez M. E. B. Soit dit en passant, M. B., qui m'a paru un esprit droit, sérieux et éclairé, est plein d'une conviction assez forte pour arrêter le sourire sur les lèvres d'un mauvais plaisant ; car, quoi qu'on en dise, une conviction solide impose toujours.

A la fin de la première séance, je ne riais plus, mais je doutais encore, et ce que je ressentais surtout, c'était un extrême désir de m'instruire, une impatience fébrile d'assister à de nouvelles épreuves.

C'est ce que j'ai fait hier, monsieur le rédacteur, et je ne doute plus maintenant. Sans parler de quelques communications personnelles qui m'ont été faites sur des choses ignorées aussi bien du médium que de tous les membres de la Société, j'ai vu des faits, selon moi irrécusables.

Sans faire ici, vous comprendrez pourquoi, aucune réflexion sur le degré d'instruction ou d'intelligence du médium, je déclare qu'il est impossible à tout autre qu'à un Bossuet ou à un Pascal de répondre immédiatement, d'une manière aussi nette que possible, avec une vitesse pour ainsi dire mécanique, et dans un style concis, élégant et correct, plusieurs pages sur des questions telles que celle-ci : « Comment on peut concilier le libre arbitre avec la prescience divine, » c'est-à-dire sur les problèmes les plus ardus de la métaphysique.

Voilà ce que j'ai vu, monsieur le rédacteur, et bien d'autres choses encore que je n'ajouterai pas sur cette lettre, déjà trop longue ; j'écris ceci, je le répète, afin d'inspirer, si je le puis, à quelques-uns de vos lecteurs, le désir de s'instruire ; peut-être ensuite seront-ils convaincus comme moi.

Tibulle Lang

Ancien élève de l'Ecole polytechnique.


Quelques mots sur le Spiritisme - Extrait de l'Écho de Sétif, Algérie, du 9 novembre 1862

Depuis quelque temps déjà, le monde s'agite, frissonne et cherche ; le monde a l'âme en peine, il a de très grands besoins.

Admettons que le Spiritisme n'existe pas, que tout ce qu'on en dit soit le résultat de l'erreur, de l'hallucination de quelques esprits malades ; mais n'est-ce rien que de voir six millions d'hommes atteints de la même maladie en sept à huit ans?

Pour moi, j'y vois beaucoup de choses : j'y vois le pressentiment de grands événements, parce que dans tous les temps, à la veille d'époques marquantes, le monde a toujours été inquiet, turbulent même, sans se rendre compte de son malaise. Ce qu'il y a de certain aujourd'hui, c'est qu'après avoir traversé une époque de matérialisme effrayant, il éprouve le besoin d'une croyance spiritualiste raisonnée ; il veut croire avec connaissance de cause, si je puis m'exprimer ainsi. Voilà les causes de sa maladie, si nous admettons qu'il y ait maladie.

Dire qu'il n'y a rien au fond de ce mouvement, c'est être téméraire.

Un écrivain, que je n'ai pas l'honneur de connaître, vient de donner un article, profondément pensé, dans l'Écho de Sétif du 18 septembre dernier. Il confesse lui-même qu'il ne connaît pas le Spiritisme. Il recherche s'il est possible, s'il peut exister, et ses recherches l'ont amené à conclure que le Spiritisme n'est pas impossible.

Quoi qu'il en soit, les Spirites ont le droit de se réjouir aujourd'hui, puisque des hommes d'élite veulent bien consacrer une partie de leurs études à la recherche de ce que les uns appellent une vérité et les autres une erreur.

En ce qui me concerne, je puis attester un fait : c'est que j'ai vu des choses que l'on ne peut pas croire sans les avoir vues.

Il y a une partie très éclairée de la société qui ne nie pas précisément le fait, mais elle prétend que les communications que l'on obtient viennent directement de l'enfer. C'est ce que je ne puis admettre en présence de communications comme celle-ci : « Croyez en Dieu créateur et organisateur des sphères, aimez Dieu créateur et protecteur des âmes…

Galilée. »



Le diable n'a pas dû parler toujours comme cela ; car, s'il en était ainsi, les hommes lui auraient fait une réputation qu'il n'aurait pas méritée. Et s'il est vrai qu'il ait manqué de respect envers Dieu, avouons qu'il a bien mis de l'eau dans son vin.

Moi aussi j'ai été incrédule, je ne pouvais pas me persuader que Dieu permettrait jamais à notre Esprit de communiquer à notre insu avec l'Esprit d'une personne vivante ; cependant il a bien fallu me rendre à l'évidence. J'ai pensé, et un dormeur m'a répondu clairement, catégoriquement ; aucun son, aucun frémissement ne s'est produit dans mon cerveau. L'Esprit du dormeur a donc correspondu avec le mien à mon insu ! Voilà ce que j'atteste.

Avant cette découverte, je pensais que Dieu avait mis une barrière infranchissable entre le monde matériel et le monde spirituel. Je me suis trompé, voilà tout. Et il semble que plus j'étais incrédule, plus Dieu ait voulu me détromper en mettant sous mes yeux des faits extraordinaires et patents.

J'ai voulu écrire moi-même, afin de n'être pas mystifié par un tiers ; ma main n'a jamais fait le moindre mouvement. J'ai mis la plume dans la main d'un enfant de quatorze ans, il s'est endormi sans que je le désirasse. Voyant cela, je me suis retiré dans mon jardin, avec la conviction que cette prétendue vérité n'était qu'un rêve ; mais en rentrant dans ma maison je remarquai que l'enfant avait écrit. Je m'approchai pour lire, et je vis à ma très grande surprise que l'enfant avait répondu à toutes mes pensées. Protestant toujours, malgré ce fait et voulant dérouter le dormeur, je fis mentalement une question sur l'histoire ancienne. Sans hésiter, le dormeur y répondit catégoriquement.

Arrêtons-nous ici, et présentons en peu de mots quelques observations.

Supposons qu'il n'y ait pas eu l'intervention des Esprits d'un autre monde, toujours est-il que l'Esprit du dormeur et le mien étaient en parfaite correspondance. Voilà donc un fait, suivant moi, qui mérite qu'on l'étudie. Mais il y a des hommes si savants qu'ils n'ont plus rien à étudier et qui préfèrent me dire que je suis un fou.

Un fou, soit, mais plus tard nous verrons bien celui ou ceux qui seront dans l'erreur.

Si j'avais articulé une seule parole, si j'avais fait le moindre signe, je ne me serais pas rendu ; mais je n'ai pas bougé, je n'ai pas parlé : que dis-je, je n'ai pas respiré !

Eh bien ! y a-t-il un savant qui veuille causer avec moi sans dire une parole ou sans m'écrire ? y en a-t-il un qui veuille traduire ma pensée sans me connaître, sans m'avoir vu ? Et ce qui est plus fort, ne puis-je pas le tromper même en lui parlant, et cela, sans qu'il s'en doute ? Ceci ne pouvait pas se faire avec le médium en question. J'ai essayé maintes fois, je n'ai pas réussi.

Si vous le permettez, je vous donnerai dans la suite quelques-unes des communications que j'ai obtenues.

C***.

Réponse à une question sur le Spiritisme au point de vue religieux

La question suivante nous a été adressée par une personne de Bordeaux, que nous n'avons pas l'honneur de connaître, et à laquelle nous avons cru devoir répondre par la Revue, pour l'instruction de tous :

« J'ai lu dans un de vos ouvrages : « Le Spiritisme ne s'adresse pas à ceux qui ont une foi religieuse quelconque, dans le but de les en détourner, et à qui cette foi suffit à leur raison et à leur conscience, mais à la nombreuse catégorie des incertains et des incrédules, etc. »

Eh ! pourquoi pas ? Le Spiritisme, qui est la vérité, ne devrait-il pas s'adresser à tout le monde? à tous ceux qui sont dans l'erreur ? Or, ceux qui croient à une religion quelconque, protestante, juive, catholique ou toute autre, ne sont-ils pas dans l'erreur ? Ils y sont indubitablement, puisque les diverses religions professées aujourd'hui donnent comme des vérités incontestables et nous font une obligation de croire à des choses complètement fausses, ou tout au moins à des choses qui peuvent venir de sources vraies, mais tout à fait mal interprétées. S'il est prouvé que les peines ne sont que temporaires, — et Dieu sait si c'est une légère erreur de confondre le temporaire avec l'éternel, — que le feu de l'enfer est une fiction, et qu'au lieu d'une création en six jours il s'agit de millions de siècles, etc. ; si tout cela est prouvé, dis-je, partant de ce principe que la vérité est une, les croyances auxquelles a donné lieu l'interprétation si fausse de ces dogmes ne sont ni plus ni moins que fausses, car une chose est ou n'est pas ; il n'y a pas de milieu.

Pourquoi donc le Spiritisme ne s'adresserait-il pas tout aussi bien à ceux qui croient à des absurdités, pour les en dissuader, qu'à ceux qui ne croient à rien ou qui doutent? etc. »



Nous saisissons l'occasion de la lettre dont nous avons extrait les passages ci-dessus, pour rappeler une fois de plus le but essentiel du Spiritisme, sur lequel l'auteur de cette lettre ne paraît pas complètement édifié.

Par les preuves patentes qu'il donne de l'existence de l'âme et de la vie future, bases de toutes les religions, il est la négation du matérialisme, et s'adresse, par conséquent, à ceux qui nient ou qui doutent. Il est bien évident que celui qui ne croit ni à Dieu ni à son âme, n'est ni catholique, ni juif, ni protestant, quelle que soit la religion dans laquelle il est né, car il ne serait même ni mahométan ni bouddhiste ; or, par l'évidence des faits, il est amené à croire à la vie future avec toutes ses conséquences morales ; libre à lui d'adopter ensuite le culte qui conviendra le mieux à sa raison ou à sa conscience ; mais là s'arrête le rôle du Spiritisme ; il fait faire les trois quarts du chemin ; il fait franchir le pas le plus difficile, celui de l'incrédulité, c'est aux autres à faire le reste.

Mais, pourra dire l'auteur de la lettre, si aucun culte ne me convient ? Eh bien ! Alors, restez ce que vous êtes ; le Spiritisme n'y peut rien ; il ne se charge pas de vous faire embrasser un culte de force, ni de discuter pour vous la valeur intrinsèque des dogmes de chacun : il laisse cela à votre conscience. Si ce que le Spiritisme donne ne vous suffit pas, cherchez, parmi toutes les philosophies qui existent, une doctrine qui satisfasse mieux vos aspirations.

Les incrédules et les douteurs forment une catégorie immensément nombreuse, et quand le Spiritisme dit qu'il ne s'adresse pas à ceux qui ont une foi quelconque et à qui cette foi suffit, il entend qu'il ne s'impose à personne et ne violente aucune conscience. En s'adressant aux incrédules, il arrive à les convaincre par les moyens qui lui sont propres, par les raisonnements qu'il sait avoir accès sur leur raison, puisque les autres ont été impuissants ; en un mot, il a sa méthode avec laquelle il obtient tous les jours d'assez beaux résultats ; mais il n'a point de doctrine secrète ; il ne dit pas aux uns : ouvrez vos oreilles, et aux autres : fermez-les ; il parle à tout le monde par ses écrits, et chacun est libre d'adopter ou de rejeter sa manière d'envisager les choses. Par cette manière, il fait des croyants fervents de ceux qui étaient incrédules ; c'est tout ce qu'il veut. A celui donc qui dirait : « J'ai ma foi et n'en veux pas changer ; je crois à l'éternité absolue des peines, aux flammes de l'enfer et aux démons ; je persiste même à croire que c'est le soleil qui tourne parce que la Bible le dit, et je crois que mon salut est à ce prix, » le Spiritisme répond : « Gardez vos croyances, puisqu'elles vous conviennent ; nul ne cherche à vous en imposer d'autres ; je ne m'adresse pas à vous, puisque vous ne voulez pas de moi ; » et en cela il est fidèle à son principe de respecter la liberté de conscience. S'il en est qui croient être dans l'erreur, ils sont libres de regarder la lumière, qui luit pour tout le monde ; ceux qui croient être dans le vrai sont libres de détourner les yeux.

Encore une fois, le Spiritisme a un but dont il ne veut pas et ne doit pas s'écarter ; il sait la route qui doit l'y conduire, et il la suivra sans se laisser dévoyer par les suggestions des impatients : chaque chose vient en son temps, et vouloir aller trop vite, c'est souvent reculer au lieu d'avancer.

Deux mots encore à l'auteur de la lettre : Il nous paraît avoir fait une fausse application de ce principe que la vérité est une, en concluant de ce que certains dogmes, comme ceux des peines futures et de la création, ont reçu une interprétation erronée, tout doit être faux dans la religion. Ne voyons-nous pas tous les jours les sciences positives elles-mêmes reconnaître certaines erreurs de détail, sans que, pour cela, la science soit radicalement fausse? L'Église ne s'est-elle pas mise d'accord avec la science sur certaines croyances dont elle faisait jadis des articles de foi ? Ne reconnaît-elle pas aujourd'hui la loi du mouvement de la terre et celle des périodes géologiques de la création, qu'elle avait condamnées comme des hérésies ? Quant aux flammes de l'enfer, toute la haute théologie est d'accord pour reconnaître que c'est une figure, et qu'il faut entendre par-là un feu moral et non un feu matériel. Sur plusieurs autres points, les doctrines sont aussi moins absolues qu'autrefois ; d'où l'on peut conclure qu'un jour, cédant à l'évidence des faits et des preuves matérielles, elle comprendra la nécessité d'une interprétation, en harmonie avec les lois de la nature, de quelques points encore controversés ; car nulle croyance ne saurait valablement ni rationnellement prévaloir contre ces lois. Dieu ne peut se contredire en établissant des dogmes contraires à ses lois éternelles et immuables, et l'homme ne peut prétendre se mettre au-dessus de Dieu en décrétant la nullité de ces lois. Or, l'Église, qui a compris cette vérité pour certaines choses, la comprendra également pour les autres, notamment en ce qui concerne le Spiritisme, fondé de tous points sur les lois de la nature, encore mal comprises, mais que l'on comprend mieux chaque jour.

Il ne faut donc pas se hâter de rejeter un tout, parce que certaines parties sont obscures ou défectueuses, et nous croyons utile, à ce propos, de se rappeler la fable de : La Guenon, le Singe et la Noix.



Identité d'un Esprit incarné

Notre collègue M. Delanne, étant en voyage, nous transmet le récit suivant de l'évocation qu'il a faite de l'Esprit de sa femme, vivante, restée à Paris.

… Le 11 décembre dernier, étant à Lille, j'évoquai l'Esprit de ma femme à onze heures et demie du soir ; elle m'apprit qu'une de ses parentes était, par hasard, couchée avec elle. Ce fait me laissa des doutes, ne le croyant pas possible, lorsque deux jours après je reçus d'elle une lettre constatant la réalité de la chose. Je vous envoie notre entretien, quoiqu'il n'ait rien de particulier, mais parce qu'il offre une preuve évidente d'identité.

1. Demande. Es-tu là, chère amie ? — Réponse. Oui, mon gros. (C'est son terme favori.)

2. Vois-tu les objets qui m'entourent ? — R. Je les vois bien. Je suis heureuse d'être vers toi. J'espère que tu es bien enveloppé ! (Il était onze heures et demie ; j'arrivais d'Arras ; pas de feu dans la chambre ; j'étais enveloppé de mon manteau de voyage et je n'avais même pas ôté mon cache-nez.)

3. Es-tu contente d'être venue sans ton corps ? — R. Oui, mon ami ; je t'en remercie. J'ai mon corps fluidique, mon périsprit.

4. Est-ce toi qui me fais écrire, et où te tiens-tu ? — R. Vers toi ; certainement ta main a encore bien du mal à marcher.

5. Es-tu bien endormie ? — R. Non, pas encore très bien.

6. Ton corps te retient-il ? - R. Oui, je le sens qui me retient. Mon corps est un peu malade, mais mon Esprit ne souffre pas.

7. As-tu eu dans la journée l'intuition que je t'évoquerais ce soir ? — R. Non, et pourtant je ne puis définir ce qui me disait que je te verrais. (A ce moment j'eus une quinte de toux.) Tu tousses toujours, ami ; soigne-toi donc un peu.

8. Peux-tu voir mon périsprit ? — R. Non, je ne puis distinguer que ton corps matériel.

9. Te sens-tu plus libre et mieux qu'avec ton corps ? — R. Oui, car je ne souffre plus. (Dans une lettre postérieure j'appris qu'effectivement elle avait été indisposée.)

10. Vois-tu des Esprits autour de moi ? — R. Non ; je désire pourtant bien les voir.

11. T'effrayes-tu d'être seule à la maison ? — R. Adèle est avec moi. (Cette personne, une de nos parentes, ne couche jamais à la maison ; nous ne la voyons que très rarement.)

12. Comment se fait-il qu'Adèle soit avec toi ? Est-elle couchée avec toi ? — R. Oui, par hasard.

13. C'est bien toi, ma chère femme, qui me parles ? — R. Oui, ami ; c'est bien moi.

14. Vois-tu bien clair ici? — R. Oui, tout rayonne mieux que ta faible lumière. (Je n'avais qu'une bougie dans une grande chambre.)

15. Te communiques-tu à moi par intuition ou mécaniquement ? — R. Je frappe plus particulièrement sur ton cerveau qui est propre à recevoir plus facilement, mais malgré cela je dirige ta main en même temps.

16. Comment peux-tu voir que mon cerveau est apte à recevoir les communications spirites ? — R. C'est par le développement que tes organes ont acquis depuis peu, ce qui prouve qu'il a fallu… (A ce moment minuit sonne et l'Esprit s'arrête.)

17. Entends-tu les sons de la pendule ? — R. Oui, mais je reste saisie de ce son inaccoutumé ; il est pareil à la musique céleste que j'ai entendue dans le rêve que je t'ai raconté. (En effet, quelque temps avant mon départ elle avait eu un rêve délicieux dans lequel elle avait entendu une harmonie sans pareille. A ce moment, je ne pensais assurément pas à ce rêve que j'avais totalement oublié ; ce ne pouvait donc être le reflet de ma pensée ; car, comme personne autre n'en avait connaissance, et que j'étais seul à ce moment, je vis dans cette révélation spontanée une nouvelle preuve de l'identité de l'Esprit de ma femme. L'Esprit achève spontanément la phrase commencée plus haut.)

… Beaucoup de puissance en si peu de temps.

18. Veux-tu que j'évoque mon ange gardien pour contrôler ton identité ? Cela te gênera-t-il ? — R. Tu peux le faire.

19. (A mon ange gardien.) Est-ce bien l'Esprit de ma femme qui vient de me parler? — R. C'est ta femme qui te parle et qui est satisfaite de te voir.

20. (A ma femme.) As-tu vu mon ange gardien ? — R. Oui, il est resplendissant de lumière ; il n'a fait qu'apparaître et disparaître.

21. T'a-t-il vue lui-même ? — R. Oui, il m'a regardée avec des yeux d'une céleste clémence ; et moi, toute confuse, je me suis prosternée.

Adieu, mon gros, je me sens forcée de te quitter.

Remarque. Si ce contrôle se fût borné à la réponse de l'ange gardien, il eût été tout à fait insuffisant, car il aurait fallu contrôler à son tour l'identité de l'ange gardien, dont un Esprit trompeur aurait parfaitement pu usurper le nom. Il n'y a rien dans sa simple affirmation qui révèle sa qualité. En pareil cas, il est toujours préférable de faire contrôler par un médium étranger qui ne serait pas sous la même influence ; invoquer soi-même un Esprit pour en contrôler un autre n'offre pas toujours une garantie suffisante, surtout si l'on en demande la permission à celui que l'on suspecte. Dans la circonstance dont il s'agit, nous en trouvons une dans la description que l'Esprit donne de l'ange gardien ; un Esprit trompeur n'aurait pu prendre cet aspect céleste ; on reconnaît d'ailleurs, dans toutes ses réponses, un caractère de vérité que ne saurait simuler la supercherie.

Séance du lendemain soir

22. Es-tu là ? — R. Oui ; je vais te dire ce qui te préoccupe ; c'est Adèle. Eh bien ! oui ; elle a couché réellement avec moi, je te le jure.

23. Ton corps va-t-il mieux? — R. Oui ; ce n'était rien.

24. Vois-tu des Esprits vers toi, aujourd'hui? — R. Je ne vois rien encore, mais je pressens quelqu'un, car je suis tout inquiète d'être seule.

25. Prie, ma bonne amie, et tu seras peut-être mieux. — R. Oui, c'est ce que je vais faire. Dis avec moi : « Mon Dieu, grand et juste, veuillez nous bénir, et nous absoudre de nos iniquités ; faites grâce à vos enfants qui vous aiment ; daignez les inspirer de vos vertus, et accordez-leur la grâce insigne d'être un jour comptés parmi vos élus. Que la douleur terrestre ne leur paraisse rien en comparaison du bonheur que vous réservez à ceux qui vous aiment sincèrement. Absolvez-nous, Seigneur, et continuez-nous vos bienfaits par l'intercession toute divine de la pure et angélique sainte Marie, mère des pécheurs et la miséricorde incarnée. »

Remarque. Cette prière improvisée par l'Esprit est d'une touchante simplicité. M. Delanne ne connaissait le fait concernant Adèle que par ce que lui en avait dit l'Esprit de sa femme, et c'est ce fait qui lui inspirait des doutes ; ayant écrit à celle-ci à ce sujet, il reçut la réponse suivante :

« … Adèle est bien venue hier soir, par hasard ; je l'ai engagée à rester, non par peur, j'en ris, mais pour l'avoir avec moi ; tu vois bien qu'elle est restée couchée avec moi. J'ai été troublée un peu ces deux nuits dernières ; j'ai éprouvé une espèce de malaise dont je ne me rendais pas compte parfaitement ; c'était comme une force invincible qui me forçait à dormir ; j'étais comme anéantie ; mais je suis si heureuse d'être allée vers toi !… »

La barbarie dans la civilisation

Horrible supplice d'un Nègre

Une lettre de New-York, adressée, en date du 5 novembre, à la Gazette des Tribunaux, contient les détails suivants d'une horrible tragédie qui a eu lieu à Dalton, dans le comté de Caroline (Maryland) :

« On avait arrêté dernièrement un jeune nègre sous l'accusation d'attentat à la pudeur sur la personne d'une petite fille blanche. De graves soupçons pesaient sur lui. L'enfant objet de ses criminelles violences déclarait le reconnaître parfaitement. L'accusé avait été enfermé dans la prison de Dalton. Il y était à peine depuis quelques heures, qu'une foule nombreuse, poussant des cris de colère et de vengeance, demandait qu'on lui livrât le malheureux nègre.

Les représentants de l'ordre et de l'autorité, voyant qu'il leur serait impossible de défendre de vive force leur prisonnier contre cette foule irritée, cherchèrent en vain, par les plus pressants discours, à la calmer. Des sifflets accueillirent leurs paroles en faveur de la loi et de la justice régulière.

Le peuple, dont le nombre allait sans cesse grossissant, commença à jeter des pierres contre la prison. Quelques coups de revolver furent déchargés sur les agents de l'autorité, mais aucune balle ne les atteignit. Comprenant que la résistance était impossible de leur part, ils ouvrirent les portes de la prison. La foule, après avoir jeté un immense hourra en signe de satisfaction, s'y précipite avec fureur. Elle s'empare du prisonnier et le traîne, au milieu des cris de colère des assistants et des supplications de la victime, au milieu de la principale place du village.

Un jury est immédiatement nommé. Après avoir examiné, pour la forme, les faits du procès, il déclare l'accusé coupable, et le condamne à être pendu sans retard. On attache aussitôt une corde à un arbre et, cela fait, on procède à l'exécution. Le nègre, pendant que son corps se débattait dans les convulsions de l'agonie, était en butte aux insultes et aux violences des spectateurs. Plusieurs coups de pistolet furent tirés sur lui et contribuèrent à augmenter les tortures de sa mort.

La foule, ivre de colère et de vengeance, n'attendit pas que le corps fût complètement immobile pour le détacher de la corde. Elle promena son ignoble trophée dans les rues de Dalton. Hommes et femmes, les enfants eux-mêmes applaudissaient aux outrages prodigués au cadavre du jeune nègre.

Mais là ne devait pas s'arrêter la fureur du peuple. Après avoir parcouru le village de Dalton dans tous les sens, il s'est rendu devant une église de noirs. Un immense bûcher y fut élevé, et après avoir coupé et mutilé le cadavre, la foule jeta, au milieu des manifestations de joie les plus bruyantes, les membres et les fragments de chair dans les flammes. »

Ce récit a donné lieu à la question suivante proposée dans la Société Spirite de Paris, le 28 novembre 1862 :

« On comprend que des exemples de férocité isolés et individuels se rencontrent chez les peuples civilisés ; le Spiritisme en donne l'explication en disant qu'ils proviennent d'Esprits inférieurs, en quelque sorte fourvoyés dans une société plus avancée ; mais alors ces individus ont, pendant toute leur vie, révélé la bassesse de leurs instincts. Ce que l'on comprend plus difficilement, c'est qu'une population tout entière qui a donné des preuves de la supériorité de son intelligence, et même en d'autres circonstances de sentiments d'humanité, qui professe une religion de douceur et de paix, puisse être prise d'un tel vertige sanguinaire, et se repaître avec une rage sauvage des tortures d'une victime. Il y a là un problème moral sur lequel nous prierons les Esprits de vouloir bien nous donner une instruction. »


Société spirite de Paris, 28 novembre 1862. - Médium, M. A. de B…

Le sang versé dans les contrées renommées jusqu'à ce jour par leurs tendances vers le progrès humain, est une pluie de malédiction, et le courroux du Dieu juste ne saurait tarder plus longtemps de s'appesantir sur le séjour où s'accomplissent aussi fréquemment des abominations semblables à celle dont vous venez d'entendre la lecture. En vain veut-on se dissimuler à soi-même les conséquences qu'elles entraînent forcément ; en vain veut-on atténuer la portée du crime ; s'il est affreux par lui-même, il ne l'est pas moins par l'intention qui l'a fait commettre avec d'aussi horribles raffinements, avec un acharnement si bestial. L'intérêt ! l'intérêt humain ! les jouissances sensuelles, les satisfactions de l'orgueil et de la vanité en ont été là encore le mobile comme en toute autre occasion, et les mêmes causes feront naître des effets semblables, causes, à leur tour, des effets de la colère céleste, dont sont menacées tant d'iniquités. Croyez-vous qu'il n'y ait de progrès réel que celui de l'industrie, de toutes les ressources et de tous les arts qui tendent à amortir les rigueurs de la vie matérielle et à accroître les jouissances dont on veut se rassasier ? Non ; là n'est pas uniquement le progrès nécessaire à l'élévation des Esprits, qui ne sont humains que temporairement, et ne doivent attacher aux choses humaines que l'intérêt secondaire qu'elles méritent. Le perfectionnement du cœur, des lumières de la conscience ; la diffusion du sentiment de solidarité universelle des êtres, de celui de la fraternité entre les humains, sont les seules marques authentiques qui distinguent un peuple dans la marche du progrès général. A ces seuls caractères se reconnaît une nation comme la plus avancée. Mais celles qui nourrissent encore dans leur sein des sentiments d'orgueil exclusif, et ne voient telle portion de l'humanité que comme une race servile faite pour obéir et souffrir, celles-là éprouveront, n'en doutez pas, le néant de leurs prétentions et le poids de la vengeance du Ciel.

Ton père, V. de B.



Dissertations spirites

Les approches de l'hiver Société spirite de Paris, 27 décembre 1862. - Médium, M. Leymarie

Mes bons amis, quand le froid arrive et que tout manque chez de braves gens, pourquoi ne viendrais-je pas, moi, votre ancien condisciple, vous rappeler notre mot d'ordre, le mot de charité ? Donnez, donnez tout ce que votre cœur peut donner, en paroles, en consolations, en soins bienveillants. L'amour de Dieu est en vous, si vous savez, en Spirites fervents, remplir le mandat qu'il vous a délégué.

Aux instants libres, lorsque le travail vous laisse le repos, cherchez celui qui souffre moralement ou corporellement ; à l'un donnez cette force qui console et grandit l'esprit, à l'autre donnez ce qui sustente et fait taire, soit les appréhensions de la mère dont les bras sont inoccupés, soit la plainte de l'enfant qui demande du pain.

Les frimas sont venus, une brise froide roule la poussière : à bientôt la neige. C'est l'heure où vous devez marcher et chercher. Combien de pauvres honteux se cachent et gémissent en secret, surtout le pauvre en habit noir qui a toutes les aspirations et manque des premiers besoins. Pour celui-là, mes amis, agissez sagement ; que votre main soulage et guérisse, mais aussi puisse la voix du cœur présenter délicatement l'obole qui peut péniblement blesser l'amour-propre de l'homme bien élevé. Il faut, je le répète, donner, mais savoir bien donner ; Dieu, le dispensateur de tout, cache ses trésors, ses épis, ses fleurs et ses fruits, et pourtant ses dons, qui ont secrètement et laborieusement germé dans la sève du tronc et de la tige, nous arrivent sans que nous sentions la main qui les a dispensés. Faites comme Dieu, imitez-le, et vous serez bénis.

Oh ! Que c'est bon et beau d'être utile et charitable, de savoir se relever en relevant les autres, d'oublier les égoïstes petits besoins de la vie pour pratiquer la plus noble attribution de l'humanité, celle qui fait de nous les véritables fils du Créateur !

Et quel enseignement pour les vôtres ! Vos enfants vous imitent ; votre exemple porte ses fruits, car toute branche bien greffée, c'est l'abondance. L'avenir spirituel de la famille dépend toujours de la forme que vous donnez à toutes vos actions.

Je vous le dis, et ne saurai jamais assez le répéter, vous gagnez spirituellement si vous donnez et consolez ; car Dieu vous donnera et vous consolera dans son royaume qui n'est pas de ce monde. Dans celui-ci, la famille qui honore et bénit son chef intelligent dans cette parcelle de royauté que Dieu lui a laissée est une atténuation de toutes les douleurs qui accompagnent la vie.

Adieu, mes amis, soyez tout amour, toute charité.

Sanson.


La loi du progrès - Lyon, 17 septembre 1862. – Médium, M. Émile V…

Nota. — Cette communication a été obtenue dans la séance générale présidée par M. Allan Kardec.

Il semble, si on considère l'humanité à son état primitif et à son état présent, lorsque sa première apparition sur la terre marquait son point de départ, et maintenant qu'elle a parcouru une partie du chemin qui mène à la perfection, il semble, dis-je, que tout bien, tout progrès, toute philosophie enfin, ne puisse naître que de ce qui lui est contraire.

En effet, toute formation est le produit d'une réaction, de même que tout effet est engendré par une cause. Tous les phénomènes moraux, toutes les formations intelligentes, sont dus à une perturbation momentanée de l'intelligence même. Seulement, dans l'intelligence, on doit considérer deux principes : l'un immuable, essentiellement bon, éternel comme tout ce qui est infini ; l'autre temporaire, momentané et qui n'est que l'agent employé pour produire la réaction d'où sort chaque fois la progression des hommes.

Le progrès embrasse l'univers pendant l'éternité, et il n'est jamais plus répandu que lorsqu'il se concentre en un point quelconque. Vous ne pouvez envisager d'un seul regard l'immensité qui vit, par conséquent qui progresse ; mais regardez autour de vous ; qu'y voyez-vous ?

A certaines époques, on peut dire à des moments prévus, désignés, il surgit un homme qui ouvre une voie nouvelle, qui escarpe les rochers arides dont est toujours semé le monde connu de l'intelligence. Cet homme est souvent le dernier d'entre les humbles, d'entre les petits, et cependant il pénètre dans les hautes sphères de l'inconnu. Il s'arme de courage, car il lui en faut pour lutter corps à corps avec les préjugés, avec les usages reçus ; il lui en faut pour vaincre les obstacles que la mauvaise foi sème sous ses pas, car tant qu'il reste des préjugés à renverser, il reste des abus et des intéressés aux abus ; il lui en faut, parce qu'il doit lutter en même temps contre les besoins matériels de sa personnalité, et sa victoire, dans ce cas, est la meilleure preuve de sa mission et de sa prédestination.

Arrivé à ce point où la lumière s'échappe assez forte du cercle dont il est le centre, tous les regards se portent sur lui ; il s'assimile tout le principe intelligent et bon ; il reforme, régénère le principe contraire, malgré les préjugés, malgré la mauvaise foi, malgré les besoins, il arrive à son but, il fait franchir un degré à l'humanité, il fait connaître ce qui n'était pas connu.

Ce fait s'est répété bien des fois déjà, et se répétera bien des fois encore avant que la terre ait acquis le degré de perfection qui convient à sa nature. Mais autant de fois qu'il sera nécessaire, Dieu fournira la semence et le laboureur. Ce laboureur, c'est chaque homme en particulier, comme chacun des génies qui l'illustrent par une science souvent surhumaine. En tout temps il y a eu de ces centres de lumière, de ces points de ralliement, et le devoir de tous est de s'approcher, d'aider et de protéger les apôtres de la vérité. C'est ce que le Spiritisme vient dire encore.

Hâtez-vous donc, vous tous qui êtes frères par la charité ; hâtez-vous, et le bonheur promis à la perfection vous sera bien plus tôt accordé.

Esprit protecteur.


Bibliographie - La Pluralité des mondes habités

Etude où l'on expose les conditions d'habitabilité des terres célestes discutées au point de vue de l'astronomie et de la physiologie ; par Camille Flammarion, calculateur à l'Observatoire impérial de Paris, attaché au Bureau des longitudes, etc.[1]

Quoiqu'il ne soit pas question de Spiritisme dans cet ouvrage, le sujet est de ceux qui rentrent dans le cadre de nos observations et des principes de la doctrine, et nos lecteurs nous sauront gré de l'avoir signalé à leur attention, persuadé d'avance du puissant intérêt qu'ils apporteront à cette lecture doublement attachante par la forme et par le fond. Ils y trouveront confirmée par la science une des révélations capitales faites par les Esprits. M. Flammarion est un des membres de la Société spirite de Paris, et son nom figure comme médium dans les remarquables dissertations signées Galilée, et que nous avons publiées en septembre dernier sous le titre d'Etudes uranographiques. A ce double titre nous sommes heureux de lui donner une mention spéciale, qui sera ratifiée, nous n'en doutons nullement.

L'auteur s'est attaché à recueillir tous les éléments de nature à appuyer l'opinion de la pluralité des mondes habités, en même temps qu'il combat l'opinion contraire, et, après l'avoir lu, on se demande comment il est possible de mettre en doute cette question. Ajoutons que les considérations de l'ordre scientifique le plus élevé n'excluent ni la grâce ni la poésie du style. On peut en juger par le passage suivant où il parle de l'intuition que la plupart des hommes, en contemplation devant la voûte céleste, ont de l'habitabilité des mondes :

« … Mais l'admiration qu'excite en nous la scène la plus émouvante du spectacle de la nature se transforme bientôt en un sentiment indescriptible de tristesse, parce que nous sommes étrangers à ces mondes où règne une solitude apparente, et qui ne peuvent faire naître l'impression immédiate par laquelle la vie nous rattache à la Terre. Nous sentons en nous le besoin de peupler ces globes en apparence oubliés par la vie, et sur ces plages éternellement désertes et silencieuses nous cherchons des regards qui répondent aux nôtres. Tel un hardi navigateur explora longtemps en rêve les déserts de l'Océan, cherchant la terre qui lui était révélée, perçant de ses regards d'aigle les plus vastes distances, et franchissant audacieusement les limites du monde connu, pour s'égarer enfin dans les plaines immenses où le Nouveau-Monde était assis depuis des périodes séculaires. Son rêve se réalisa. Que le nôtre se dégage du mystère qui l'enveloppe encore, et, sur le vaisseau de la pensée, nous monterons aux cieux y chercher d'autres terres. »

L'ouvrage est divisé en trois parties ; dans la première, intitulée Etude historique, l'auteur passe en revue l'innombrable série des savants et philosophes anciens et modernes, religieux ou profanes, qui ont professé la doctrine de la pluralité des mondes, depuis Orphée jusqu'à Herschel et au savant Laplace.

« La plupart des sectes grecques, dit-il, l'enseignèrent, soit ouvertement à tous leurs disciples indistinctement, soit en secret aux initiés de la philosophie. Si les poésies attribuées à Orphée sont bien de lui, on le peut compter pour le premier qui ait enseigné la pluralité des mondes. Elle est implicitement renfermée dans les vers orphiques, où il est dit que chaque étoile est un monde, et notamment dans ces paroles conservées par Proclus : « Dieu bâtit une terre immense que les immortels appellent Séléné, et que les hommes appellent Lune, dans laquelle s'élèvent un grand nombre d'habitations, de montagnes et de cités. »

Le premier des Grecs qui porta le nom de philosophe, Pythagore, enseignait en public l'immobilité de la Terre et le mouvement des astres autour d'elle comme centre unique de la création, tandis qu'il déclarait aux adeptes avancés de sa doctrine sa croyance au mouvement de la Terre comme planète et à la pluralité des mondes. Plus tard, Démocrite, Héraclite et Métrodore de Chio, les plus illustres de ses disciples, propagèrent du haut de la chaire l'opinion de leur maître, qui devint celle de tous les pythagoriciens et de la plupart des philosophes grecs. Philolaüs, Nicétas, Héraclides, furent des plus ardents défenseurs de cette croyance ; ce dernier alla même jusqu'à prétendre que chaque étoile est un monde qui a, comme le nôtre, une terre, une atmosphère et une immense étendue de matière éthérée. »

Plus loin il ajoute :

« L'action bienfaisante du Soleil, dit Laplace, fait éclore les animaux et les plantes qui couvrent la terre, et l'analogie nous porte à croire qu'elle produit de semblables effets sur les autres planètes ; car il n'est pas naturel de penser que la matière dont nous voyons la fécondité se développer de tant de façons, soit stérile sur une aussi grosse planète que Jupiter qui, comme le globe terrestre, a ses jours, ses nuits et ses années, et sur lequel les observations indiquent des changements qui supposent des forces très actives… L'homme, fait pour la température dont il jouit sur la Terre, ne pourrait pas, selon toute apparence, vivre sur les autres planètes. Mais ne doit-il pas y avoir une infinité d'organisations relatives aux diverses températures des globes et des univers ? Si la seule différence des éléments et des climats met tant de variétés dans les productions terrestres, combien plus doivent différer celles des planètes et des satellites ! »

La seconde partie est consacrée à l'étude astronomique de la constitution des divers globes célestes, d'après les données les plus positives de la science, et de laquelle il résulte que la Terre n'est, ni par sa position, ni par son volume, ni par les éléments dont elle se compose, dans une situation exceptionnelle qui ait pu lui valoir le privilège d'être habitée à l'exclusion de tant d'autres mondes plus favorisés à plusieurs égards. La première partie est de l'érudition, la seconde est de la science.

La troisième partie traite la question au point de vue physiologique. Les observations astronomiques faisant connaître le mouvement des saisons, les fluctuations de l'atmosphère, et la variabilité de la température dans la plupart des mondes qui composent notre tourbillon solaire, il en ressort que la Terre est dans une des conditions les moins avantageuses, un de ceux dont les habitants doivent éprouver le plus de vicissitudes, et où la vie doit être le plus pénible ; d'où l'auteur conclut qu'il n'est pas rationnel d'admettre que Dieu ait réservé, pour l'habitation de l'homme un des mondes les moins favorisés, tandis que ceux qui sont les mieux doués seraient condamnés à n'abriter aucun être vivant. Tout ceci est établi, non sur une idée systématique, mais sur des données positives pour lesquelles toutes les sciences ont été mises à contribution : astronomie, physique, chimie, météorologie, géologie, zoologie, physiologie, mécanique, etc.

« Mais, ajoute-t-il, de toutes les planètes, la plus favorisée sous tous les rapports est le magnifique Jupiter, dont les saisons, à peine distinctes, ont encore l'avantage de durer douze fois plus que les nôtres. Ce géant planétaire semble planer dans les cieux comme un défi aux faibles habitants de la Terre, en leur faisant entrevoir les tableaux pompeux d'une longue et douce existence.

Pour nous, qui sommes attachés au boulet terrestre par des chaînes qu'il ne nous est pas donné de rompre, nous voyons s'éteindre successivement nos jours avec le temps rapide qui les consume, avec les capricieuses périodes qui les partagent, avec ces saisons disparates dont l'antagonisme se perpétue dans l'inégalité continuelle du jour et de la nuit et dans l'inconstance de la température. »

Après un éloquent tableau des luttes que l'homme a à soutenir contre la nature pour pourvoir à sa subsistance, des révolutions géologiques qui bouleversent la surface du globe et menacent de l'anéantir, il ajoute : « A la suite de telles considérations, peut-on prétendre encore que ce globe soit, même pour l'homme, le meilleur des mondes possibles, et que bien d'autres corps célestes ne puissent lui être infiniment supérieurs, et réunir mieux que lui les conditions favorables au développement et à la longue durée de l'existence humaine ? »

Puis, conduisant le lecteur à travers les mondes dans l'infini de l'espace, il lui fait voir un panorama d'une telle immensité, que l'on ne peut s'empêcher de trouver ridicule et indigne de la puissance de Dieu la supposition qu'entre tant de milliards, notre petit globe, inconnu d'une grande partie même de notre système planétaire, soit la seule terre habitée, et l'on s'identifie à la pensée de l'auteur quand il dit en terminant :

« Ah ! si notre vue était assez perçante pour découvrir, là où nous ne distinguons que des points brillants sur le fond noir du ciel, les soleils resplendissants qui gravitent dans l'étendue, et les mondes habités qui les suivent dans leurs cours ; s'il nous était donné d'embrasser sous un coup d'œil général ces myriades de systèmes solidaires, et si, nous avançant avec la vitesse de la lumière, nous traversions pendant des siècles de siècles ce nombre illimité de soleils et de sphères sans jamais rencontrer nul terme à cette immensité prodigieuse où Dieu fit germer les mondes et les êtres, retournant nos regards en arrière, mais ne sachant plus dans quel point de l'infini retrouver ce grain de poussière que l'on nomme la Terre, nous nous arrêterions fascinés et confondus par un tel spectacle, et unissant notre voix au concert de la nature universelle, nous dirions du fond de notre âme : Dieu puissant ! que nous étions insensés de croire qu'il n'y avait rien au-delà de la Terre, et que notre pauvre séjour avait seul le privilège de refléter ta grandeur et ta puissance ! »

Nous terminerons à notre tour par une remarque, c'est qu'en voyant la somme d'idées contenue dans ce petit ouvrage, on s'étonne qu'un jeune homme, d'un âge où d'autres sont encore sur les bancs de l'école, ait eu le temps de se les approprier, et à plus forte raison de les approfondir ; c'est pour nous la preuve évidente que son Esprit n'en est pas à son début, ou qu'à son insu il a été assisté par un autre Esprit.





[1] Brochure grand in-8. Prix : 2 fr. ; par la poste, 2 fr. 10 ; chez Bachelier, imprimeur-libraire de l'Observatoire, 55, quai des Grands-Augustins.



Souscription en faveur des ouvriers de Rouen

Une souscription est ouverte, au bureau de la Revue Spirite, 59, rue et passage Sainte-Anne, au profit des ouvriers rouennais, aux souffrances desquels nul ne saurait rester indifférent. Déjà plusieurs groupes et sociétés spirites nous ont envoyé le produit de leurs cotisations ; nous invitons ceux qui seraient dans l'intention d'y concourir de hâter leur envoi, car l'hiver est là ! La liste en sera publiée. (Voir ci-dessus, page 26, la communication de M. Sanson.)


Allan Kardec




Février

Etude sur les possédés de Morzine

Les causes de l'obsession et les moyens de la combattre

Troisième article. (1)


L'étude des phénomènes de Morzine n'offrira pour ainsi dire aucune difficulté quand on se sera bien pénétré des faits particuliers que nous avons cités, et des considérations qu'une étude attentive a permis d'en déduire. Il nous suffira de les relater pour que chacun en trouve soi-même l'application par analogie. Les deux faits suivants nous aideront encore à mettre le lecteur sur la voie. Le premier nous est transmis par M. le docteur Chaigneau, membre honoraire de la Société de Paris, président de la Société spirite de Saint-Jean d'Angély.

« Une famille s'occupait d'évocations avec une ardeur effrénée, poussée qu'elle était par un Esprit qui nous fut signalé comme très dangereux ; c'était un de leurs parents, décédé après une vie peu honorable, terminée par plusieurs années d'aliénation mentale. Sous un nom d'emprunt, par des épreuves mécaniques surprenantes, de belles promesses et des conseils d'une moralité sans reproches, il était parvenu à fasciner tellement ces gens trop crédules, qu'il les soumettait à ses exigences et les contraignait aux actes les plus excentriques. Ne pouvant plus satisfaire tous ses désirs, ils nous demandèrent conseil, et nous eûmes beaucoup de peine à les dissuader, et à leur prouver qu'ils avaient affaire à un Esprit de la pire espèce. Nous y parvînmes cependant, et nous pûmes obtenir d'eux que, pour quelque temps du moins, ils s'abstiendraient. De ce moment l'obsession prit un autre caractère : l'Esprit s'emparait complètement du plus jeune enfant, âgé de quatorze ans, le réduisait à l'état de catalepsie, et, par sa bouche, sollicitait encore des entretiens, donnait des ordres, proférait des menaces. Nous avons conseillé le mutisme le plus absolu ; il fut rigoureusement observé. Les parents se livraient à la prière et venaient chercher l'un de nous pour les assister ; le recueillement et la force de volonté nous en ont toujours rendus maîtres en peu de minutes.

Aujourd'hui tout est à peu près cessé. Nous espérons que, dans la maison, l'ordre succédera au désordre. Loin de se dégoûter du Spiritisme, on y croit plus que jamais, mais on y croit plus sérieusement ; on en comprend maintenant le but et les conséquences morales. Tous comprennent qu'ils ont reçu une leçon ; quelques-uns une punition, peut-être méritée. »

Cet exemple prouve une fois de plus l'inconvénient de se livrer aux évocations sans connaissance de cause et sans but sérieux. Grâce aux conseils de l'expérience que ces personnes ont bien voulu écouter, elles ont pu se débarrasser d'un ennemi peut-être redoutable.

Il en ressort un autre enseignement non moins important. Aux yeux de gens étrangers à la science spirite, ce jeune garçon eût passé pour fou ; on n'aurait pas manqué de lui appliquer un traitement en conséquence, qui eût peut-être développé une folie réelle ; par les soins d'un médecin spirite, le mal, attaqué dans sa véritable cause, n'a eu aucune suite.

Il n'en a pas été de même dans le fait suivant. Un monsieur de notre connaissance, qui habite une ville de province assez réfractaire aux idées spirites, fut pris subitement d'une sorte de délire dans lequel il dit des choses absurdes. Comme il s'occupait de Spiritisme, tout naturellement il parla des Esprits. Son entourage effrayé, sans approfondir la chose, n'eut rien de plus pressé que d'appeler des médecins, qui le déclarèrent atteint de folie, à la grande satisfaction des ennemis du Spiritisme, et l'on parlait déjà de le mettre dans une maison de santé. Ce que nous avons appris des circonstances de cet événement prouve que ce monsieur s'est trouvé sous l'empire d'une subjugation subite momentanée, favorisée peut-être par certaines dispositions physiques. C'est la pensée qui lui vint ; il nous en écrivit, et nous lui répondîmes dans ce sens ; malheureusement notre lettre ne lui parvint pas à temps, et il n'en eut connaissance que beaucoup plus tard. « Il est très fâcheux, nous dit-il depuis, que je n'aie pas reçu votre consolante lettre ; à ce moment elle m'eût fait un bien immense en me confirmant dans la pensée que j'étais le jouet d'une obsession, ce qui m'eût tranquillisé ; tandis que j'entendais si souvent répéter autour de moi que j'étais fou, que je finis par le croire ; cette idée me torturait au point que si cela eût continué, je ne sais ce qui serait arrivé. » — Un Esprit consulté à ce sujet répondit : « Ce monsieur n'est point fou ; mais, à la manière dont on s'y prend, il pourrait le devenir ; bien plus, on pourrait le tuer. Le remède à son mal est dans le Spiritisme même, et on le prend à contre-sens. » — Dem. Pourrait-on agir sur lui d'ici ? — Rép. — Oui, sans doute ; vous pouvez lui faire du bien, mais votre action est paralysée par le mauvais vouloir de ceux qui l'entourent.

Des cas analogues se sont présentés à toutes les époques, et l'on a enfermé plus d'un fou qui ne l'était pas du tout.

Un observateur expérimenté sur ces matières peut seul les apprécier, et comme il se trouve aujourd'hui beaucoup de médecins spirites, il est utile d'avoir recours à eux en pareille circonstance. L'obsession sera un jour rangée parmi les causes pathologiques, comme l'est aujourd'hui l'action des animalcules microscopiques dont on ne soupçonnait pas l'existence avant l'invention du microscope ; mais alors on reconnaîtra que ce n'est ni par les douches ni par les saignées qu'on peut les guérir. Le médecin qui n'admet et ne cherche que les causes purement matérielles, est aussi impropre à comprendre et à traiter ces sortes d'affections qu'un aveugle l'est de discerner les couleurs.

Le second fait nous est rapporté par un de nos correspondants de Boulogne-sur-Mer.

« La femme d'un marin de cette ville, âgée de quarante-cinq ans, est depuis quinze ans sous l'empire d'une triste subjugation. Presque chaque nuit, sans même en excepter ses moments de grossesse, vers le milieu de la nuit, elle est réveillée, et aussitôt elle est prise de tremblements dans les membres, comme s'ils étaient agités par une pile galvanique, elle a l'estomac étreint comme dans un cercle de fer, et brûlé comme par un fer rouge ; le cerveau est dans un état d'exaltation furieuse, et elle se sent jetée hors de son lit, puis, quelquefois, à moitié habillée, elle est poussée hors de sa maison et forcée de courir la campagne ; elle marche sans savoir où elle va pendant deux ou trois heures, et ce n'est que quand elle peut s'arrêter qu'elle reconnaît l'endroit où elle se trouve. Elle ne peut prier Dieu, et, dès qu'elle se met à genoux pour le faire, ses idées sont de suite traversées par des choses bizarres et parfois même sales. Elle ne peut entrer dans aucune église ; elle en a bonne envie et un grand désir ; mais, lorsqu'elle arrive à la porte, elle sent comme une barrière qui l'arrête. Quatre hommes ont cherché à la faire entrer dans l'église des Rédemptoristes, et n'ont pu y parvenir ; elle criait qu'on la tuait, qu'on lui écrasait la poitrine.

Pour se soustraire à cette terrible position, cette pauvre femme a essayé plusieurs fois de s'ôter la vie sans pouvoir y parvenir. Elle a pris du café dans lequel elle avait fait infuser des allumettes chimiques ; elle a bu de l'eau de javelle, et en a été quitte pour des souffrances ; elle s'est jetée deux fois à l'eau, et chaque fois elle a surnagé à la surface jusqu'à ce qu'on soit venu la secourir. Hors les moments de crise dont j'ai parlé, cette femme a tout son bon sens, et encore, dans ces moments elle a parfaitement conscience de ce qu'elle fait, et de la force extérieure qui agit sur elle. Tout son voisinage dit qu'elle a été frappée par un maléfice ou un sort. »

Le fait de subjugation ne saurait être mieux caractérisé que dans ces phénomènes qui, bien certainement, ne peuvent être l'œuvre que d'un Esprit de la pire espèce. Dira-t-on que c'est le Spiritisme qui l'a attiré vers elle, ou qui lui a troublé le cerveau ? Mais il y a quinze ans il n'en était pas question ; et d'ailleurs, cette femme n'est point folle, et ce qu'elle éprouve n'est pas une illusion.

La médecine ordinaire ne verra dans ces symptômes qu'une de ces affections auxquelles elle donne le nom de névrose, et dont la cause est encore pour elle un mystère. Cette affection est réelle, mais à tout effet il y a une cause ; or, quelle est la cause première ? Là est le problème sur la voie duquel peut mettre le Spiritisme en démontrant un nouvel agent dans le périsprit, et l'action du monde invisible sur le monde visible. Nous ne généralisons point, et reconnaissons que, dans certains cas, la cause peut être purement matérielle, mais il en est d'autres où l'intervention d'une intelligence occulte est évidente, puisqu'en combattant cette intelligence on arrête le mal, tandis qu'en n'attaquant que la cause matérielle présumée, on ne produit rien.

Il y a un trait caractéristique chez les Esprits pervers, c'est leur aversion pour tout ce qui tient à la religion. La plupart des médiums, non obsédés, qui ont eu des communications d'Esprits mauvais, ont maintes fois vu ceux-ci blasphémer contre les choses les plus sacrées, se rire de la prière ou la repousser, s'irriter même quand on leur parle de Dieu. Chez le médium subjugué, l'Esprit, empruntant en quelque sorte le corps d'un tiers pour agir, exprime ses pensées, non plus par l'écriture, mais par les gestes et les paroles qu'il provoque chez le médium ; or, comme tout phénomène spirite ne peut se produire sans une aptitude médianimique, on peut dire que la femme dont on vient de parler est un médium spontané, inconscient et involontaire. L'impossibilité où elle s'est trouvée de prier et d'entrer à l'église vient de la répulsion de l'Esprit qui s'en est emparé, sachant que la prière est un moyen de lui faire lâcher prise. Au lieu d'une personne, supposez-en, dans une même localité, dix, vingt, trente et plus en cet état, et vous aurez la reproduction de ce qui s'est passé à Morzine.

N'est-ce pas là une preuve évidente que ce sont des démons ? diront certaines personnes. Nommons-les démons, si cela peut vous faire plaisir : ce nom ne saurait les calomnier. Mais ne voyez-vous pas tous les jours des hommes qui ne valent pas mieux, et qu'à bon droit on pourrait appeler des démons incarnés ? N'y en a-t-il pas qui blasphèment et qui renient Dieu ? qui semblent faire le mal avec délices ? qui se repaissent de la vue des souffrances de leurs semblables ? Pourquoi voudriez-vous qu'une fois dans le monde des Esprits, ils fussent subitement transformés ? Ceux que vous appelez démons, nous les appelons mauvais Esprits, et nous vous concédons toute la perversité qu'il vous plaira de leur attribuer ; toutefois la différence est que, selon vous, les démons sont des anges déchus, c'est-à-dire des êtres parfaits devenus mauvais, et à tout jamais voués au mal et à la souffrance ; selon nous ce sont des êtres appartenant à l'humanité primitive, sorte de sauvages encore arriérés, mais à qui l'avenir n'est point fermé, et qui s'amélioreront à mesure que le sens moral se développera en eux, dans la suite de leurs existences successives, ce qui nous paraît plus conforme à la loi du progrès et à la justice de Dieu. Nous avons de plus pour nous l'expérience qui prouve la possibilité d'améliorer et d'amener au repentir les Esprits du plus bas étage, et ceux qu'on range dans la catégorie des démons.

Voyons une phase spéciale de ces Esprits, et dont l'étude est d'une haute importance pour le sujet qui nous occupe.

On sait que les Esprits inférieurs sont encore sous l'influence de la matière, et qu'on trouve parmi eux tous les vices et toutes les passions de l'humanité ; passions qu'ils emportent en quittant la terre, et qu'ils rapportent en se réincarnant, quand ils ne se sont pas amendés, ce qui produit les hommes pervers. L'expérience prouve qu'il y en a de sensuels, à divers degrés, d'orduriers, de lascifs, se plaisant dans les mauvais lieux, poussant et excitant à l'orgie et à la débauche dont ils repaissent leur vue. Nous demanderons à quelle catégorie d'Esprits ont pu appartenir après leur mort des êtres tels que les Tibère, les Néron, les Claude, les Messaline, les Galigula, les Héliogabale, etc. ? Quel genre d'obsession ils ont pu faire éprouver, et s'il est nécessaire pour expliquer ces obsessions de recourir à des êtres spéciaux que Dieu aurait créés tout exprès pour pousser l'homme au mal ? Il est certains genres d'obsessions qui ne peuvent laisser de doutes sur la qualitédes Esprits qui les produisent ; ce sont des obsessions de ce genre qui ont donné lieu à la fable des incubes et des succubes à laquelle croyait fermement saint Augustin. Nous pourrions citer plus d'un exemple récent à l'appui de cette assertion. Quand on étudie les diverses impressions corporelles et les attouchements sensibles que produisent parfois certains Esprits ; quand on connaît les goûts et les tendances de quelques-uns d'entre eux ; et, si d'un autre côté on examine le caractère de certains phénomènes hystériques, on se demande s'ils ne joueraient pas un rôle dans cette affection, comme ils en jouent un dans la folie obsessionnelle ? Nous l'avons vue plus d'une fois accompagnée des symptômes les moins équivoques de la subjugation.

Voyons maintenant ce qui s'est passé à Morzine, et disons d'abord quelques mots du pays, ce qui n'est pas sans importance. Morzine est une commune du Chablais, dans la Haute-Savoie, située à huit lieues de Thonon, à l'extrémité de la vallée de la Drance, sur les confins du Valais, en Suisse, dont elle n'est séparée que par une montagne. Sa population, d'environ 2 500 âmes, comprend, outre le village principal, plusieurs hameaux disséminés sur les hauteurs environnantes. Elle est entourée et dominée de tous côtés par de très hautes montagnes dépendantes de la chaîne des Alpes, mais pour la plupart boisées et cultivées jusqu'à des hauteurs considérables. Du reste on n'y voit nulle part de neiges ni de glaces perpétuelles, et, d'après ce qu'on nous a dit, la neige y serait même moins persistante que dans le Jura.

M. le docteur Constant, envoyé en 1861 par le gouvernement français pour étudier la maladie, y a séjourné trois mois. Il fait du pays et des habitants un tableau peu flatteur. Venu avec l'idée que le mal était un effet purement physique, il n'a cherché que des causes physiques ; sa préoccupation même le portait à s'appesantir sur ce qui pouvait corroborer son opinion, et cette idée lui a probablement fait voir les hommes et les choses sous un jour défavorable. Selon lui, la maladie est une affection nerveuse dont la source première est dans la constitution des habitants, débilitée par l'insalubrité des habitations, l'insuffisance et la mauvaise qualité de la nourriture, et dont la cause immédiate est dans l'état hystérique de la plupart des malades du sexe féminin. Sans contester l'existence de cette affection, il est bon de remarquer que, si le mal a sévi en grande partie sur les femmes, des hommes aussi en ont été atteints, ainsi que des femmes d'un âge avancé. On ne saurait donc voir dans l'hystérie une cause exclusive ; et d'ailleurs quelle est la cause de l'hystérie ?

Nous n'avons fait qu'un court séjour à Morzine, mais nous devons dire que nos observations et les renseignements que nous avons recueillis auprès de personnes notables, d'un médecin du pays et des autorités locales, diffèrent quelque peu de celles de M. Constant. Le village principal est généralement bien bâti ; les maisons des hameaux circonvoisins ne sont certes pas des hôtels, mais elles n'ont pas l'aspect misérable qu'on voit dans maintes campagnes de la France, en Bretagne, par exemple, où le paysan loge dans de véritables huttes. La population ne nous a semblé ni étiolée, ni rachitique, ni surtout goitreuse comme le dit M. Constant ; nous avons vu quelques goitres rudimentaires, mais pas un seul goitre prononcé, comme on en voit chez toutes les femmes de la Maurienne. Les idiots et les crétins y sont rares, quoi qu'en dise aussi M. Constant, tandis que sur l'autre versant de la montagne, dans le Valais, ils sont excessivement nombreux. Quant à la nourriture, le pays produit au-delà de la consommation des habitants ; s'il n'y a pas partout de l'aisance, il n'y a pas non plus de misère proprement dite, ni surtout cette hideuse misère qu'on rencontre dans d'autres contrées ; il en est où les gens de la campagne sont infiniment plus mal nourris ; un fait caractéristique, c'est que nous n'avons pas vu un seul mendiant nous tendre la main pour demander l'aumône. Le pays même offre d'importantes ressources par ses bois et ses carrières, mais qui restent improductives par l'impossibilité des transports ; la difficulté dans les communications est la plaie du pays, qui sans cela serait un des plus riches de la contrée. On peut juger de cette difficulté par ce fait que le courrier de Thonon ne peut aller que jusqu'à deux lieues de cette ville ; au-delà, ce n'est plus une route, mais un chemin qui, alternativement monte à pic à travers les forêts, et redescend au bord de la Drance, torrent furieux dans les grandes eaux, qui roule à travers des masses énormes de rochers de granit précipités dans son lit du haut des montagnes, au fond d'une gorge étroite. Pendant plusieurs lieues c'est l'image du chaos. Ce passage franchi, la vallée prend un aspect riant jusqu'à Morzine où elle finit ; mais l'impossibilité d'y arriver facilement en éloigne les voyageurs, de sorte que le pays n'est guère visité que par les chasseurs assez robustes pour escalader les rochers. Depuis l'annexion les chemins ont été améliorés ; auparavant ils n'étaient praticables qu'aux chevaux ; on dit que le gouvernement fait étudier le prolongement de la route de Thonon jusqu'à Morzine en longeant la rivière ; c'est un travail difficile, mais qui transformera le pays, en permettant l'exportation de ses produits.

Tel est l'aspect général de la contrée qui n'offre, du reste, aucune cause d'insalubrité. En admettant que le principal village de Morzine, situé au fond de la vallée et au bord de la rivière, soit humide, ce que nous n'avons pas remarqué, il est à considérer que la majeure partie des malades appartient aux hameaux circonvoisins situés sur les hauteurs, et, par conséquent, dans des positions aérées et très salubres.

Si la maladie tenait, comme le prétend M. Constant, à des causes locales, à la constitution des habitants, à leurs habitudes et à leur genre de vie, ces causes permanentes devraient produire des effets permanents, et le mal serait endémique, comme les fièvres intermittentes de la Camargue et des marais Pontins. Si le crétinisme et le goitre sont endémiques dans la vallée du Rhône, et non dans celle de la Drance qui lui est limitrophe, c'est que dans l'une il y une cause locale permanente qui n'existe pas dans l'autre.

Si ce qu'on appelle la possession de Morzine n'est que temporaire, c'est qu'elle tient à une cause accidentelle. M. Constant dit que ses observations ne lui ont révélé aucune cause surnaturelle ; mais lui, qui ne croit qu'à des causes matérielles, est-il apte à juger des effets qui résulteraient de l'action d'une puissance extra-matérielle ? a-t-il étudié les effets de cette puissance ? Sait-il en quoi ils consistent? à quels symptômes on peut les reconnaître ? Non, et dès lors il se les figure tout autres qu'ils ne sont, croyant sans doute qu'ils consistent en miracles et en apparitions fantastiques. Ces symptômes, il les a vus, il les a décrits dans son mémoire, mais n'admettant pas de cause occulte, il l'a cherchée ailleurs, dans le monde matériel, où il ne l'a pas trouvée. Les malades se disaient tourmentés par des êtres invisibles, mais comme il n'a vu ni lutins ni farfadets, il en a conclu que les malades étaient fous, et ce qui le confirmait dans cette idée, c'est que ces malades disaient parfois des choses notoirement absurdes, même aux yeux du plus ferme croyant aux Esprits ; mais pour lui tout devait être absurde. Il devrait pourtant savoir, lui médecin, qu'au milieu même des divagations de la folie, il se trouve parfois des révélations de la vérité. Ces malheureux, dit-il, et les habitants en général, sont imbus d'idées superstitieuses ; mais qu'y a-t-il là d'étonnant dans une population rurale, ignorante et isolée au milieu des montagnes ? Quoi encore de plus naturel que ces gens, terrifiés par ces phénomènes étranges, les aient amplifiés? Et parce qu'à leurs récits il s'est mêlé des faits et des appréciations ridicules, partant de son point de vue, il en a conclu que tout devait être ridicule, sans compter qu'aux yeux de quiconque n'admet pas l'action du monde invisible, tous les effets résultant de cette action sont relégués parmi les croyances superstitieuses. A l'appui de cette dernière thèse il insiste beaucoup sur un fait raconté dans le temps par les journaux, sur le récit sans doute de quelque imagination effrayée, exaltée ou malade, et selon lequel certains malades grimpaient avec l'agilité des chats sur des arbres de quarante mètres, marchaient sur les branches sans les faire plier, se posaient sur la cime flexible les pieds en l'air, et redescendaient ainsi la tête en bas sans se faire aucun mal. Il discute longuement pour prouver l'impossibilité de la chose, et démontrer que, selon la direction du rayon visuel, l'arbre signalé ne pouvait être aperçu des maisons d'où l'on disait avoir vu le fait. Tant de peine était inutile, car dans le pays on nous a dit que le fait n'était pas vrai, et se réduisait à un jeune garçon qui, en effet, avait grimpé sur un arbre d'une taille ordinaire, mais sans faire aucun tour d'équilibriste.

M. Constant décrit ainsi qu'il suit l'historique et les effets de la maladie.

La suite au prochain numéro


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(1) Voy. les numéros de décembre 1862 et janvier (863.

Sermons contre le Spiritisme

Une lettre de Lyon, en date du 7 décembre 1862, contient le passage suivant, qu'un témoin oculaire et auriculaire nous a confirmé de vive voix :

« Nous avons eu ici l'évêque du Texas, en Amérique, qui a prêché, mardi dernier, 2 décembre, à huit heures du soir, dans l'église Saint-Nizier, devant un auditoire de près de deux mille personnes, parmi lesquelles se trouvaient un grand nombre de Spirites. Hélas ! il ne paraît pas fort instruit dans notre doctrine ; on en peut juger par ce court aperçu :

Les Spirites n'admettent pas l'enfer ni les prières dans les églises ; ils s'enferment dans leurs chambres, et là ils prient, Dieu sait quelles prières !… Il n'y a que deux catégories d'Esprits : les parfaits et les voleurs ; les assassins et les canailles… Je viens de l'Amérique, où ces infamies ont commencé ; eh bien ! je puis vous assurer que depuis deux ans on ne s'en occupe plus du tout dans ce pays. On m'a dit qu'ici, dans cette ville de Lyon, si renommée par sa piété, il y avait beaucoup de Spirites ; cela ne peut pas être ; je ne le crois pas. Je suis bien sûr, chers frères et chères sœurs, qu'il n'y a pas parmi vous un seul médium, ni une seule médium, parce que, voyez-vous, les Spirites n'admettent ni mariage, ni baptême, et tous les Spirites sont séparés d'avec leurs femmes, etc., etc…

Ces quelques phrases peuvent donner une idée du reste. Qu'aurait dit l'orateur s'il avait su que près du quart de ses auditeurs était composé de Spirites? Quant à son éloquence, je ne puis dire qu'une chose, c'est que, par moments, elle ressemblait à de la frénésie ; il semblait perdre le fil de ses idées et ne savait ce qu'il voulait dire ; si je ne craignais de me servir d'un terme irrévérencieux, je dirais qu'il pataugeait. Je crois vraiment qu'il était poussé par quelques Esprits à dire toutes ces absurdités, et d'une telle manière que, je vous assure, on ne se serait pas douté être dans un lieu saint ; aussi tout le monde riait. Quelques-uns de ses partisans sont sortis les premiers pour juger de l'effet qu'avait produit le sermon, mais ils n'ont pas dû être fort satisfaits, car, une fois dehors, chacun de rire et de dire sa pensée ; plusieurs même de ses amis déploraient les écarts auxquels il s'est livré, et comprenaient que le but était complètement manqué. En effet, il ne pouvait mieux faire pour recruter des adeptes, et c'est ce qui a eu lieu séance tenante. Une dame, qui se trouvait à côté d'une très bonne Spirite de ma connaissance, lui dit : « Mais qu'est-ce donc que ce Spiritisme et ces médiums dont on parle tant, et contre lesquels ces messieurs sont si furieux ? » La chose lui ayant été expliquée : « Oh ! dit-elle, en arrivant chez moi, je vais me procurer les livres et j'essayerai d'écrire. »

Je puis vous assurer que si les Spirites sont si nombreux à Lyon, c'est grâce à quelques sermons dans le genre de celui-ci. Vous vous rappelez qu'il y a trois ans, alors que l'on ne comptait ici que quelques centaines de Spirites, je vous écrivis, à la suite d'une prédication furibonde contre la doctrine, et qui produisit un excellent effet. « Encore quelques sermons comme celui-ci, et dans un an le nombre des adeptes sera décuplé. » Eh bien ! aujourd'hui il est centuplé, grâce aussi aux ignobles et mensongères attaques de quelques organes de la presse. Tout le monde, jusqu'au simple ouvrier qui, sous son grossier vêtement, a plus de bon sens qu'on ne croit, s'est dit qu'on n'attaque pas avec tant de fureur une chose qui n'en vaut pas la peine, c'est pourquoi on a voulu voir par soi-même, et quand on a reconnu la fausseté de certaines assertions, qui dénotaient l'ignorance ou la malveillance, la critique a perdu tout crédit, et, au lieu d'éloigner du Spiritisme, elle lui a conquis des partisans. Il en sera de même, nous l'espérons bien, du sermon de monseigneur du Texas, dont la plus grande maladresse a été de dire que « tous les Spirites sont séparés de leurs femmes, » quand nous avons ici, sous nos yeux, de nombreux exemples de ménages jadis divisés, et où le Spiritisme a ramené l'union et la concorde. Chacun se dit naturellement que puisque les adversaires du Spiritisme lui attribuent des enseignements et des résultats dont la fausseté est démontrée par les faits et la lecture des livres qui disent tout le contraire, rien ne prouve la vérité des autres critiques. Je crois que si les Spirites lyonnais n'eussent craint de manquer de respect à monseigneur du Texas, ils lui auraient voté une adresse de remerciements. Mais le Spiritisme nous rend charitables, même envers nos ennemis. »

Une autre lettre d'un témoin oculaire contient le passage suivant :

« L'orateur de Saint-Nizier est parti de cette donnée que le Spiritisme avait fait son temps aux Etats-Unis, et qu'on n'en parlait plus depuis deux ans. C'était donc, selon lui, une affaire de mode ; ces phénomènes étaient sans consistance, et ne valaient pas la peine d'être étudiés ; il avait cherché à voir et n'avait rien vu. Toutefois, il signalait la nouvelle doctrine comme attentatoire aux liens de famille, à la propriété, à la constitution de la société, et la dénonçait comme telle aux autorités compétentes.

Les adversaires s'attendaient à un effet plus saisissant, et non à une simple négation débitée d'une manière assez ridicule ; car ils n'ignorent pas ce qui se passe dans la cité, la marche du progrès et la nature des manifestations. Aussi la question est-elle revenue, dimanche 14, à Saint-Jean, et cette fois un peu mieux traitée.

L'orateur de Saint-Nizier avait nié les phénomènes ; celui de Saint-Jean les a reconnus, affirmés : On entend, a-t-il dit, des coups dans les murs ; dans l'air, des voix mystérieuses ; on a réellement affaire à des Esprits, mais quels Esprits ? Ils ne peuvent être bons, car les bons sont dociles et soumis aux ordres de Dieu, qui a défendu lui-même l'évocation des Esprits ; donc ceux qui viennent ne peuvent être que mauvais.

On comptait bien trois mille personnes à Saint-Jean ; dans le nombre, trois cents au moins iront à la découverte.

Ce qui contribuera certainement à faire réfléchir les gens honnêtes ou intelligents qui composaient l'auditoire, ce sont les assertions singulières de l'orateur, — je dis singulières par politesse. — « Le Spiritisme, a-t-il dit, vient détruire la famille, avilir la femme, prêcher le suicide, l'adultère et l'avortement, préconiser le communisme, dissoudre la société. » Puis il a invité les paroissiens qui auraient par hasard des livres spirites à les apporter à ces messieurs, qui les brûleraient, comme saint Paul le fit à Ephèse à l'égard des ouvrages hérétiques.

Je ne sais si ces messieurs trouveront beaucoup de personnes assez zélées pour aller dévaliser, l'argent à la main, les boutiques de nos libraires. Quelques Spirites étaient furieux ; la plupart se réjouissaient, parce qu'ils comprenaient que c'était une bonne journée.

Ainsi, du haut de la seconde chaire de France on vient de proclamer que les phénomènes spirites sont vrais ; toute la question se réduit donc à savoir si ce sont de bons ou de mauvais Esprits, et s'il n'y a qu'aux mauvais que Dieu permet de venir. »

L'orateur de Saint-Jean affirme qu'ils ne peuvent être que mauvais ; en voici un autre qui modifie quelque peu la solution. On nous écrit d'Angoulême que le jeudi 5 décembre dernier un prédicateur s'est exprimé ainsi dans son sermon : « Nous savions tous que l'on pouvait évoquer les Esprits, et cela depuis longtemps ; mais l'Eglise seule doit le faire ; il n'est pas permis aux autres hommes d'essayer de correspondre avec eux par des moyens physiques ; pour moi, c'est une hérésie. » L'effet produit a été tout le contraire de ce que l'on attendait. »

Il est donc bien évident que les bons et les mauvais peuvent se communiquer, car si les mauvais seuls avaient ce pouvoir, il n'est pas probable que l'Eglise se réservât le privilège de les appeler.

Nous doutons que deux sermons, prêchés à Bordeaux en octobre dernier, aient mieux servi la cause de nos antagonistes. Voici l'analyse qui en a été faite par un auditeur ; les Spirites pourront voir si, sous ce travestissement, ils reconnaissent leur doctrine, et si les arguments qu'on leur oppose sont de nature à ébranler leur foi. Quant à nous, nous répétons ce que nous avons déjà dit ailleurs : Tant qu'on n'attaquera pas le Spiritisme avec de meilleures armes, il n'aura rien à craindre.

Je regretterai toujours, dit le narrateur, de n'avoir pas entendu le premier de ces sermons, qui a eu lieu à la chapelle Margaux, le 15 octobre dernier, si mes renseignements sont justes. Selon ce que des témoins dignes de foi m'ont rapporté, la thèse développée a été celle-ci :

« Les Esprits peuvent se communiquer aux hommes. Les bons se communiquent à l'Eglise seulement. Tous ceux qui se manifestent en dehors de l'Eglise sont mauvais, car hors de l'Eglise point de salut. — Les médiums sont des malheureux qui ont fait pacte avec le diable et en obtiennent, pour prix de leur âme, qu'ils lui ont vendue, des manifestations de toutes sortes, fussent-elles extraordinaires pour ne pas dire miraculeuses. » — Je passe sous silence d'autres citations plus étranges encore ; ne les ayant pas entendues moi-même, je craindrais qu'on eut exagéré.

Le dimanche suivant, 19 octobre, j'eus le bonheur d'assister au second sermon. Je m'informai du nom du prédicateur ; il me fut répondu que c'était le père Lapeyre, de la compagnie de Jésus.

Le Père Lapeyre fait la critique du Livre des Esprits, et certes, il fallait une fameuse dose de bonne volonté pour reconnaître cet admirable ouvrage dans les théories dépourvues de bon sens que le prédicateur prétendait y avoir trouvées. Je me bornerai à vous signaler les points qui m'ont le plus frappé, préférant rester au-dessous de la vérité plutôt que d'attribuer à notre adversaire ce qu'il n'aurait pas dit, ou ce que j'aurais mal compris.

Selon le Père Lapeyre, « le Livre des Esprits prêche le communisme, le partage des biens, le divorce, l'égalité entre tous les hommes et surtout entre l'homme et la femme, l'égalité entre l'homme et son Dieu, car l'homme, poussé par cet orgueil qui a perdu les anges, n'aspire à rien moins qu'à devenir semblable à Jésus-Christ ; il entraîne les hommes dans le matérialisme et les plaisirs sensuels, car le travail de perfectionnement peut se faire sans le concours de Dieu, malgré lui-même, par l'effet de cette force qui veut que tout se perfectionne graduellement ; il préconise la métempsycose, cette folie des Anciens, etc. »

Passant ensuite à la rapidité avec laquelle les idées nouvelles se propagent, il constate avec effroi combien le diable qui les a dictées est habile et rusé, combien il a su les façonner avec art, de manière à les faire vibrer avec force dans les cœurs pervertis des enfants de ce siècle d'incrédulité et d'hérésies. « Ce siècle, s'écrie-t-il, il aime tant la liberté ! et on vient lui offrir le libre examen, le libre arbitre, la liberté de conscience ! Ce siècle, il aime tant l'égalité ! et on lui a montré l'homme à la hauteur de Dieu ! Il aime tant la lumière ! et d'un seul trait de plume on déchire le voile qui cachait les saints mystères ! »

Puis il a attaqué la question des peines éternelles, et il a eu sur ce sujet, palpitant d'émotions, de magnifiques mouvements oratoires : « Le croiriez-vous, mes très chers frères ; croiriez-vous jusqu'où est allée l'impudence de ces philosophes nouveaux, qui croient faire crouler sous le poids des sophismes la sainte religion du Christ ! Eh bien, les malheureux ! ils disent qu'il n'y a point d'enfer ! ils disent qu'il n'y a point de purgatoire ! Pour eux plus de relations bénies qui relient les vivants aux âmes de ceux qu'ils ont perdus ! Plus de saint sacrifice de la messe ! Et pourquoi le célébreraient-ils ? ces âmes ne se purifieront-elles pas d'elles-mêmes et sans travail aucun, par l'efficacité de cette force irrésistible qui sans cesse les attire vers la perfection ?

Et savez-vous quelles sont les autorités qui viennent proclamer ces doctrines impies, marquées au front du signe ineffaçable de cet enfer qu'elles voudraient anéantir ? Ah ! mes frères, ce sont les plus solides colonnes de l'Église : les saint Paul, les saint Augustin, les saint Louis, les saint Vincent de Paul, les Bossuet, les Fénelon, les Lamennais, et, tous ces hommes d'élite, de saints hommes qui ont, durant leur vie, combattu pour l'établissement des vérités inébranlables, sur lesquelles l'Église a bâti ses fondements, et qui viennent déclarer aujourd'hui que leur Esprit, dégagé de la matière, étant plus clairvoyant, ils se sont aperçus que leurs opinions étaient erronées, et que c'est tout le contraire qu'il faut croire.

Le prédicateur, passant ensuite à la question que l'auteur de la Lettre d'un catholique adresse à un Esprit pour savoir si, en pratiquant le Spiritisme, il est hérétique, ajoute :

Voici la réponse, mes frères ; elle est curieuse, et ce qui est le plus curieux encore, ce qui nous montre de la manière la plus évidente que le diable, malgré ses ruses et son habileté, laisse toujours percer le bout de l'oreille, c'est le nom même de l'Esprit qui a donné cette réponse ; je vous le dirai tout à l'heure.

Suit la citation de cette réponse qui se termine ainsi : « Es-tu d'accord avec l'Église sur toutes les vérités qui te raffermissent dans le bien, qui augmentent dans ton âme l'amour de Dieu et le dévouement à tes frères ? Oui ; eh bien ! tu es catholique. » Puis il ajoute : « Signé… Zénon !… Zénon ! un philosophe grec, un païen, un idolâtre qui, du fond de l'enfer où il brûle depuis vingt siècles, vient nous dire que l'on peut être catholique et ne pas croire à cet enfer qui le torture, et qui attend tous ceux qui, comme lui, ne seront pas morts humbles et soumis dans le giron de la sainte Église… Mais, insensés et aveugles que vous êtes ! avec toute votre philosophie, n'auriez-vous que cette preuve, cette seule preuve que la doctrine que vous proclamez émane du démon, qu'elle serait mille fois suffisante !

Après de longs développements sur cette question et sur le privilège exclusif qu'a l'Église de chasser les démons, il ajoute :

« Pauvres insensés, qui vous amusez à parler aux Esprits et prétendez exercer sur eux quelque influence ! ne craignez-vous donc pas que, comme celui dont parle saint Luc, ces Esprits frappeurs, tapageurs, — et ils sont bien nommés, mes très chers frères, — ne vous demandent aussi : Et vous, qui êtes-vous? Qui êtes-vous pour venir nous troubler? Croyez-vous impunément nous soumettre à vos caprices sacrilèges? et que, saisissant les chaises et les tables que vous faites tourner, ils ne s'emparent de vous, comme ils s'emparèrent des fils de Sceva, et ne vous maltraitent tellement que vous ne soyez forcés de vous enfuir nus et blessés, et reconnaissant, mais trop tard, toute l'abomination qu'il y a à jouer ainsi avec les morts.

Devant ces faits si patents et qui parlent si haut, que nous reste-t-il à faire ? Qu'avons-nous à dire ? Ah ! très chers frères ! gardez-vous avec soin de la contagion ! Repoussez avec horreur toutes les tentatives que les méchants ne manqueront pas de faire auprès de vous pour vous entraîner avec eux dans l'abîme ! Mais, hélas ! il est déjà bien tard pour faire de telles recommandations ; déjà le mal a fait de rapides progrès. Ces livres infâmes dictés par le prince des ténèbres, afin d'attirer dans son royaume une foule de pauvres ignorants, se sont tellement répandus que si, comme jadis à Ephèse, on supputait le prix de ceux qui circulent dans Bordeaux, on dépasserait, j'en suis sûr, la somme énorme de cinquante mille deniers d'argent (170 000 francs de notre monnaie ; rappel d'une citation faite dans une autre partie de son sermon) ; et je ne serais pas étonné que parmi les nombreux fidèles qui m'écoutent, il y en ait quelques-uns qui déjà se soient laissé entraîner à les lire. A ceux-là, nous ne pouvons dire que ceci : Vite ! approchez du tribunal de la pénitence ; vite ! venez ouvrir vos cœurs à vos guides spirituels. Pleins de douceur et de bonté, et suivant en tout point le magnanime exemple de saint Paul, nous nous empresserons de vous donner l'absolution. Mais, comme lui, nous ne vous la donnerons qu'à la condition expresse de nous apporter ces livres de magie qui ont failli vous perdre. Et de ces livres, très chers frères, qu'en ferons-nous? oui, qu'en ferons-nous? Comme saint Paul, nous en ferons un grand tas sur la place publique, et, comme lui, nous y mettrons nous-mêmes le feu. »

Nous ne ferons qu'une courte observation sur ce sermon, c'est que l'auteur s'est trompé de date, et que peut-être, nouvel Epiménide, a-t-il dormi depuis le quatorzième siècle. Un autre fait qui en ressort, c'est la constatation du rapide développement du Spiritisme. Les adversaires d'une autre école le constatent aussi avec désespoir, tant est grand leur amour pour la raison humaine. On lit dans le Moniteur de la Moselle, du 7 novembre 1862 : « Le Spiritisme fait de dangereux progrès. Il envahit le grand, le petit, le moyen et le demi-monde. Des magistrats, des médecins, des gens sérieux donnent aussi dans ce travers. » Nous trouvons cette assertion répétée dans la plupart des critiques actuelles ; c'est qu'en présence d'un fait aussi patent, il faudrait revenir du fond du Texas pour avancer devant un auditoire où se trouvent plus de mille Spirites que depuis deux ans on ne s'en occupe plus. Alors, pourquoi tant de colère si le Spiritisme est mort et enterré ? Le P. Lapeyre au moins ne se fait pas illusion ; sa frayeur même lui exagère l'étendue de ce prétendu mal, puisqu'il évalue à un chiffre fabuleux la valeur des livres spirites répandus dans Bordeaux seul ; dans tous les cas, c'est reconnaître une bien grande puissance à l'idée. Quoi qu'il en soit, en présence de toutes ces affirmations, personne ne nous taxera d'exagération, quand nous parlons des rapides progrès de la doctrine ; que les uns les attribuent à la puissance du diable, luttant avec avantage contre Dieu, les autres à un accès de folie qui envahit toutes les classes de la société, de telle sorte que le cercle des gens sensés va tous les jours se rétrécissant, et n'aura bientôt plus de place que pour quelques individus ; que les uns et les autres déplorent cet état de choses chacun à leur point de vue, et se demandent : « Où allons-nous ? grand Dieu ! » libre à eux ; il n'en ressort pas moins ce fait que le Spiritisme passe par-dessus toutes les barrières qu'on lui oppose ; donc, si c'est une folie, bientôt il n'y aura plus que des fous sur la terre : on connaît le proverbe ; si c'est l'œuvre du diable, bientôt il n'y aura plus que des damnés, et si ceux qui parlent au nom de Dieu ne peuvent l'arrêter, c'est que le diable est plus fort que Dieu. Les Spirites sont plus respectueux que cela envers la Divinité ; ils n'admettent pas qu'il y ait un être pouvant lutter avec elle de puissance à puissance, et surtout l'emporter sur elle ; autrement les rôles seraient changés, et le diable deviendrait le véritable maître de l'univers. Les Spirites disent que Dieu étant souverain sans partage, rien n'arrive dans le monde sans sa permission ; donc, si le Spiritisme se répand avec la rapidité de l'éclair, quoi qu'on fasse pour l'arrêter, il faut y voir un effet de la volonté de Dieu ; or Dieu, étant souverainement juste et bon, ne peut vouloir la perte de ses créatures, ni les faire tenter, avec la certitude, en vertu de sa prescience, qu'elles succomberont, pour les précipiter dans les tourments éternels. Aujourd'hui, le dilemme est posé ; il est soumis à la conscience de tous ; l'avenir se charge de la conclusion.

Si nous faisons ces citations, c'est pour montrer à quels arguments les adversaires du Spiritisme en sont réduits pour l'attaquer ; il faut en effet être bien au dépourvu de bonnes raisons pour avoir recours à une calomnie comme celle qui le représente prêchant la désunion des familles, l'adultère, l'avortement, le communisme, le renversement de l'ordre social. Avons-nous besoin de réfuter de semblables assertions ? Non, car il suffit de renvoyer à l'étude de la doctrine, à la lecture de ce qu'elle enseigne, et c'est ce que l'on fait de tous côtés. Qui pourra croire que nous prêchons le communisme après les instructions que nous donnons sur ce sujet dans le discours rapporté in extenso dans la relation de notre voyage en 1862 ? Qui pourra voir une excitation à l'anarchie dans les paroles suivantes, qui se trouvent dans la même brochure, page 58 : « En tout état de cause, les Spirites doivent être les premiers à donner l'exemple de la soumission aux lois, dans le cas où ils en seraient requis. »

Avancer de pareilles choses dans un pays lointain, où le Spiritisme serait inconnu, où il n'y aurait aucun moyen de contrôle, cela pourrait produire quelque effet ; mais les affirmer du haut de la chaire de vérité, au milieu d'une population spirite qui y donne incessamment un démenti par ses enseignements et son exemple, c'est de la maladresse, et l'on ne peut s'empêcher de dire qu'il faut être pris d'un singulier vertige pour se faire illusion à ce point, et ne pas comprendre que parler ainsi, c'est servir la cause du Spiritisme.

On aurait tort cependant de croire que c'est l'opinion de tous les membres du clergé ; il en est beaucoup, au contraire, qui ne la partagent pas, et nous en connaissons bon nombre qui déplorent ces écarts, plus nuisibles à la religion qu'à la doctrine spirite. Ce sont donc des opinions individuelles qui ne peuvent faire loi ; et ce qui prouve que ce sont des appréciations personnelles, c'est la contradiction qui existe entre eux. Ainsi, tandis que l'un déclare que tous les Esprits qui se manifestent sont nécessairement mauvais, puisqu'ils désobéissent à Dieu en se communiquant, un autre reconnaît qu'il y en a de bons et de mauvais, mais que les bons seuls vont à l'église, et les mauvais au vulgaire. L'un accuse le Spiritisme d'avilir la femme, un autre lui reproche de l'élever au niveau des droits de l'homme ; l'un prétend qu'il « entraîne les hommes dans le matérialisme et les plaisirs sensuels ; » et un autre, M. le curé Marouzeau, reconnaît qu'il détruit le matérialisme.

M. l'abbé Marouzeau, dans sa brochure, s'exprime, ainsi : « Vraiment, à entendre les partisans des communications d'outre-tombe, ce serait un parti pris de la part du clergé de combattre quand même le Spiritisme. Pourquoi donc supposer aux prêtres si peu d'intelligence et de bon sens, un entêtement stupide? Pourquoi croire que l'Église qui, dans tous les temps, a donné tant de preuves de prudence, de sagesse et de haute intelligence pour discerner le vrai du faux, soit incapable aujourd'hui de comprendre l'intérêt de ses enfants ? Pourquoi la condamner sans l'entendre ? Si elle refuse de reconnaître votre bannière, c'est que votre drapeau n'est pas le sien ; il a des couleurs qui lui sont essentiellement hostiles ; c'est qu'à coté du bien que vous faites en combattant le hideux matérialisme, elle voit un danger réel pour les âmes et la société. » Et ailleurs : « Concluons de tout cela que le Spiritisme doit se borner à combattre le matérialisme, à donner à l'homme des preuves palpables de son immortalité au moyen des manifestations d'outre-tombe bien constatées. »

De tout ceci, il ressort un fait capital, c'est que tous ces messieurs sont d'accord sur la réalité des manifestations ; seulement chacun les apprécie à sa manière. Les nier, en effet, serait nier la vérité des Ecritures, et les faits mêmes sur lesquels s'appuient la plupart des dogmes. Quant à la manière d'envisager la chose, on peut dès à présent constater dans quel sens se fait l'unité et se prononce l'opinion publique qui a aussi son veto. Il en ressort encore cet autre fait, c'est que la doctrine spirite remue profondément les masses ; que tandis que les uns voient en elle un fantôme effrayant, d'autres y voient l'ange de la consolation et de la délivrance, et une nouvelle ère de progrès moral pour l'humanité.

Puisque nous citons la brochure de M. l'abbé Marouzeau, on nous demandera peut-être pourquoi nous n'y avons pas encore répondu, puisqu'elle nous était personnellement adressée. On a pu en voir le motif dans la relation de notre voyage, à propos des réfutations. Quand nous traitons une question, nous le faisons à un point de vue général, abstraction des personnes qui ne sont à nos yeux que des individualités s'effaçant devant les questions de principes. Nous parlerons de M. Marouzeau à l'occasion, ainsi que de quelques autres quand nous examinerons l'ensemble des objections ; pour cela il était utile d'attendre que chacun eût dit son mot, gros ou petit, — on en a vu ci-dessus quelques-uns d'assez gros, — pour apprécier la force de l'opposition. Des réponses spéciales et individuelles eussent été prématurées et sans cesse à recommencer. La brochure de M. Marouzeau était un coup de fusil ; nous lui demandons pardon de le placer au rang des simples tirailleurs, mais sa modestie chrétienne ne s'en offensera pas. Prévenu d'une levée de boucliers, il nous a paru convenable de laisser décharger toutes les armes, même la grosse artillerie qui, comme on le voit, vient de donner, afin de juger sa portée ; or, jusqu'à présent, nous n'avons pas à nous plaindre des vides qu'elle a faits dans nos rangs, puisque, au contraire, ses coups ont ricoché contre elle. D'un autre coté il n'était pas moins utile de laisser la situation se dessiner, et l'on conviendra que, depuis deux ans, l'état des choses, loin d'empirer pour nous, vient chaque jour nous prêter une nouvelle force. Nous répondrons donc quand nous le jugerons à propos ; jusqu'à présent il n'y a pas eu de temps perdu, puisque nous avons sans cesse gagné du terrain sans cela, et que nos adversaires se chargent eux-mêmes de rendre notre tâche plus facile. Nous n'avons donc qu'à les laisser faire.

Sur la folie spirite Réponse à M. Burlet de Lyon

Le feuilleton de la Presse du 8 janvier 1863 contient l'article suivant, tiré du Salut public de Lyon, et que la Gironde de Bordeaux s'est empressée de reproduire, croyant y trouver une bonne fortune contre le Spiritisme :

SCIENCES.

« M. Philibert Burlet, interne des hôpitaux de Lyon, a lu récemment à la Société des sciences médicales de cette ville un intéressant travail sur le Spiritisme considéré comme cause d'aliénation mentale. En présence de l'épidémie qui sévit en ce moment sur la société française, il ne sera sans doute pas dépourvu d'utilité de signaler les faits contenus dans le mémoire de M. Burlet.

L'auteur a décrit avec soin six cas de folie, dite aiguë, observés par lui-même à l'hôpital de l'Antiquaille, et dans lesquels on suit sans aucune difficulté la relation directe entre l'aliénation mentale et les pratiques spirites. M. le docteur Carrier, dit-il, a eu pour sa part l'occasion, et depuis peu de temps, de traiter et de voir guérir, dans son service, trois femmes que le Spiritisme avait rendues folles. Au reste, il n'est pas un seul médecin, s'occupant spécialement d'aliénation mentale, qui n'ait eu à observer en plus ou en moins grand nombre des cas analogues, sans parler, bien entendu, des troubles intellectuels ou affectifs qui, sans aller jusqu'au point que l'on est convenu d'appeler la folie, ne laissent pas que d'altérer la raison et de rendre le commerce de ceux qui les présentent désagréable et bizarre. Cette influence de la prétendue doctrine spirite est aujourd'hui bien démontrée par la science. Les observations qui l'établissent se compteraient par milliers, « Si, dit M. Burlet, dans les autres parties de la France, les cas de folie causés par la doctrine des médiums sont aussi fréquents que dans le département que nous habitons, et il n'y a pas de raison pour qu'il n'en soit pas ainsi, il nous semble hors de doute que le Spiritisme peut prendre place au rang des causes les plus fécondes d'aliénation mentale. » En terminant, l'auteur exhorte les pères et mères de famille, les chefs d'atelier, etc., à veiller à ce que leurs enfants ou leurs employés ne se rendent jamais dans « ces réunions spirites appelées des groupes, et dans lesquelles, ajoute-t-il, le péril pour la raison n'est certainement pas le seul à craindre.

Il est donc d'une incontestable utilité de donner de la publicité aux faits de ce genre consciencieusement recueillis, comme ceux de l'interne des hôpitaux de Lyon. Non pas qu'il y ait la moindre chance pour qu'ils agissent sur les individus frappés déjà par l'épidémie ; le caractère de leur folie est précisément la forte conviction d'être seuls en possession de la vérité. Dans leur humilité, ils se croient le don de communiquer avec les Esprits, et ils traitent d'orgueilleuse la science qui ose douter de leur puissance. Victimes de l'hallucination qui les possède, leur prémisse admise, ils raisonnent ensuite avec une logique irréprochable, qui ne fait que les affermir dans leur aberration. Mais on peut conserver l'espoir d'agir sur les intelligences encore saines qui seraient tentées de s'exposer aux séductions du Spiritisme, en leur signalant le danger, et les garantir ainsi contre ce danger. Il est bon de savoir que les pratiques spirites et la fréquentation des médiums, — qui sont de véritables hallucinés, — est nécessairement malsaine pour la raison. Les seuls caractères fortement trempés peuvent y résister. Les autres y laissent toujours une partie, petite ou grande, de leur bon sens.

A. Sanson. »



Cet article peut faire le pendant des sermons relatés dans l'article précédent ; on peut y voir, sinon une communauté d'origine, du moins une intention identique : celle de soulever l'opinion contre le Spiritisme par des moyens où percent la même bonne foi ou la même ignorance des choses. Remarquez la gradation qu'ont suivie les attaques depuis le fameux et maladroit article de la Gazette de Lyon (voir la Revue spirite du mois d'octobre 1860, page 254) ; ce n'était alors qu'une plate raillerie où les ouvriers de cette ville étaient bafoués, ridiculisés, et leurs métiers comparés à des potences. N'était-ce pas en effet une maladresse insigne que de déverser le mépris sur les travailleurs et les instruments qui font la prospérité d'une ville comme Lyon ? Depuis lors l'agression a pris un autre caractère : voyant l'impuissance du ridicule, et ne pouvant s'empêcher de constater le terrain que gagnent chaque jour les idées spirites, elle le prend sur un ton plus lamentable ; c'est au nom de l'humanité, en présence de l'épidémie qui sévit en ce moment sur la société française, qu'elle vient signaler les dangers de cette prétendue doctrine qui rend le commerce de ceux qui la professent désagréable et bizarre. Compliment peu flatteur pour les dames de tous rangs, voire même les princesses, qui croient aux Esprits. Il nous semble pourtant que les personnes violentes et irascibles devenues douces et bonnes par le Spiritisme ne font pas preuve d'un trop mauvais caractère et sont moins désagréables qu'auparavant, et que parmi les non-spirites on ne rencontre pas que des gens aimables et bienveillants. Bien que l'on voie de nombreuses familles où le Spiritisme a ramené la paix et l'union, c'est au nom de leur intérêt que l'on adjure les ouvriers de ne point se rendre dans « ces réunions appelées groupes, où ils peuvent perdre leur raison, et bien d'autres choses, » trouvant sans doute qu'ils la conserveraient bien mieux en allant au cabaret qu'en restant chez eux.

Le persiflage n'ayant pas réussi, voilà maintenant que les adversaires appellent la science à leur aide ; non plus la science railleuse représentée par le muscle craqueur de M. Jobert (de Lamballe) (voir la Revue spirite de juin 1859, page 141), mais la science sérieuse, condamnant le Spiritisme aussi gravement qu'elle a condamné jadis l'application de la vapeur à la marine, et tant d'autres utopies que l'on a eu plus tard la faiblesse de prendre pour des vérités. Et quel est son représentant dans cette grave question ? Est-ce l'Institut de France ? Non, c'est M. Philibert Burlet, interne des hôpitaux de Lyon, c'est-à-dire étudiant en médecine, qui fait ses premières armes en lançant un mémoire contre le Spiritisme. Il a parlé, et de par lui et M. Sanson (de la Presse), la science a rendu son arrêt, arrêt qui, probablement, ne sera pas plus sans appel que celui des docteurs qui condamnèrent la théorie d'Harvey sur la circulation du sang et lancèrent contre son auteur « des libelles et des diatribes plus ou moins virulentes et grossières. » (Dictionnaire des origines.) Soit dit entre parenthèse, un travail curieux à faire serait une monographie des erreurs des savants.

M. Burlet a observé, dit-il, six cas de folie aiguë produite par le Spiritisme ; mais comme c'est peu sur une population de 300 000 âmes, dont le dixième au moins est spirite, il a soin d'ajouter « qu'on les compterait par milliers si, dans les autres parties de la France, les cas de folie causés par la doctrine des médiums sont aussi fréquents que dans le département que nous habitons, et il n'y a pas de raison pour qu'il n'en soit pas ainsi. »

Avec le système des suppositions on va fort loin, comme on le voit. Eh bien ! nous allons plus loin que lui, et nous dirons, non par hypothèse, mais par affirmation, que, dans un temps donné, on ne comptera des fous que parmi les Spirites. En effet, la folie est une des infirmités de l'espèce humaine ; mille causes accidentelles peuvent la produire, et la preuve en est, c'est qu'il y a eu des fous avant qu'il ne fût question de Spiritisme, et que tous les fous ne sont pas Spirites. M. Burlet nous concédera bien ce point. De tout temps il y a donc eu des fous, et il y en aura toujours ; donc si tous les habitants de Lyon étaient Spirites, on ne trouverait de fous que parmi les Spirites, absolument comme dans un pays tout catholique, il n'y a de fous que parmi les catholiques. En observant la marche de la doctrine depuis quelques années, on pourrait, jusqu'à un certain point, prévoir le temps qu'il faut pour cela. Mais ne parlons que du présent.

Les fous parlent de ce qui les préoccupe ; il est bien certain que celui qui n'aurait jamais entendu parler du Spiritisme, n'en parlera pas, tandis que, dans le cas contraire, il en parlera comme il le ferait de religion, d'amour, etc. Quelle que soit la cause de la folie, le nombre des fous parlant des Esprits augmentera donc naturellement avec le nombre des adeptes. La question est de savoir si le Spiritisme est une cause efficiente de folie. M. Burlet l'affirme du haut de son autorité d'interne en disant que : « Cette influence est aujourd'hui bien démontrée par la science. » De là, criant au feu, il fait appel aux rigueurs de l'autorité, comme si une autorité quelconque pouvait empêcher le cours d'une idée, et sans songer que les idées ne sont jamais plus propagées que sous l'empire de la persécution. Prend-il donc son opinion et celle de quelques hommes qui pensent comme lui pour les arrêts de la science ? Il paraît ignorer que le Spiritisme compte dans ses rangs un très grand nombre de médecins distingués, que beaucoup de groupes et sociétés sont présidés par des médecins qui, eux aussi, sont des hommes de science, et qui prennent des conclusions toutes contraires aux siennes. Qui donc a raison de lui ou des autres ? Dans ce conflit entre l'affirmation et la négation, qui est-ce qui prononcera en dernier ressort ? Le temps, l'opinion, la conscience de la majorité, et la science elle-même qui se rendra à l'évidence, comme elle s'y est rendue en d'autres circonstances.

Nous dirons à M. Burlet : il est contraire aux plus simples préceptes de la logique de déduire une conséquence générale de quelques faits isolés, et à laquelle d'autres faits peuvent donner un démenti. Pour appuyer votre thèse, il faudrait un autre travail que celui que vous avez fait. Vous avez, dites-vous, observé six cas ; je vous crois sur parole ; mais qu'est-ce que cela prouve ? Vous en auriez observé le double ou le triple, que cela ne prouverait pas davantage, si le total des fous n'a pas dépassé la moyenne. Supposons cette moyenne de 1000 pour prendre un nombre rond ; les causes habituelles de folie étant toujours les mêmes, si le Spiritisme peut la provoquer, c'est une cause de plus ajoutée à toutes les autres, et qui doit augmenter le chiffre de la moyenne. Si depuis l'introduction des idées spirites, cette moyenne, de 1000 se trouvait portée à 1200, par exemple, et que cette différence fût précisément celle des cas de folie spirite, la question changerait de face, mais tant qu'il ne sera pas prouvé que, sous l'influence du Spiritisme, la moyenne des aliénés a augmenté, l'étalage que l'on fait de quelques cas isolés ne prouve rien, sinon l'intention de jeter du discrédit sur les idées spirites, et d'effrayer l'opinion.

Dans l'état actuel des choses, il reste même à connaître la valeur des cas isolés que l'on met en avant, et de savoir si tout aliéné qui parle des Esprits doit sa folie au Spiritisme, et pour cela il faudrait un juge impartial et désintéressé. Supposons que M. Burlet devienne fou, ce qui peut lui arriver tout comme à un autre ; — qui sait même? plutôt qu'à un autre, peut-être ; — y aurait-il rien d'étonnant à ce que, préoccupé de l'idée qu'il a combattue, il en parlât dans sa démence ? Faudrait-il en conclure que c'est la croyance aux Esprits qui l'aura rendu fou ? Nous pourrions citer plusieurs cas, dont on fait grand bruit, et où il a été prouvé, ou que les individus s'étaient peu ou point occupés de Spiritisme, ou avaient eu des attaques de folie caractérisée bien antérieures. A cela il faut ajouter les cas d'obsession et de subjugation que l'on confond avec la folie, et que l'on traite comme tels au grand préjudice de la santé des personnes qui en sont affectées, ainsi que nous l'avons expliqué dans nos articles sur Morzine. Ce sont les seuls qu'on pourrait, au premier abord, attribuer au Spiritisme, bien qu'il soit prouvé qu'ils se rencontrent en grand nombre chez les individus qui y sont le plus étrangers, et que, par l'ignorance de la cause, on traite à contre-sens.

Il est vraiment curieux de voir certains adversaires qui ne croient ni aux Esprits, ni à leurs manifestations, prétendre que le Spiritisme soit une cause de folie. Si les Esprits n'existent pas, ou s'ils ne peuvent se communiquer aux hommes, toutes ces croyances sont des chimères qui n'ont rien de réel. Nous demandons alors comment rien peut produire quelque chose ? C'est l'idée, diront-ils ; cette idée est fausse ; or tout homme qui professe une idée fausse déraisonne. Quelle est donc cette idée si funeste à la raison ? la voici : Nous avons une âme qui vit après la mort du corps ; cette âme conserve ses affections de la vie terrestre, et elle peut se communiquer aux vivants. Selon eux, il est plus sain de croire au néant après la mort ; ou bien, ce qui revient au même, que l'âme perdant son individualité se confond dans le tout universel, comme les gouttes d'eau dans l'Océan. Il est de fait qu'avec cette dernière idée on n'a plus besoin de s'inquiéter du sort de ses proches, et que l'on n'a qu'à songer à soi, à bien boire, à bien manger en cette vie, ce qui est tout profit pour l'égoïsme. Si la croyance contraire est une cause de folie, pourquoi y a-t-il tant de fous parmi les gens qui ne croient à rien ? C'est, direz-vous, que cette cause n'est pas la seule. D'accord ; mais alors pourquoi voudriez-vous que ces causes ne pussent frapper un Spirite tout comme un autre ; et pourquoi prétendriez-vous rendre le Spiritisme responsable d'une fièvre chaude ou d'un coup de soleil ? Vous engagez l'autorité à sévir contre les idées spirites parce que, selon vous, elles détraquent le cerveau ; mais que n'appelez-vous aussi la vigilance de l'autorité sur les autres causes ? Dans votre sollicitude pour la raison humaine, dont vous vous faites le type, avez-vous fait le relevé des innombrables cas de folie produits par les désespoirs d'amour ? Que n'engagez-vous l'autorité à proscrire le sentiment amoureux ? Il est avéré que toutes les révolutions sont marquées par une recrudescence notable dans les affections mentales ; c'est donc là une cause efficiente bien manifeste, puisqu'elle augmente le chiffre de la moyenne ; que ne conseillez-vous aux gouvernements d'interdire les révolutions comme chose malsaine ? Puisque M. Burlet a fait le relevé énorme de six cas de folie soi-disant spirite, sur une population de 300000 âmes, nous engageons les médecins spirites à faire celui de tous les cas de folie, d'épilepsie et autres afflictions causées par la peur du diable, l'effrayant tableau des tortures éternelles de l'enfer, et l'ascétisme des réclusions claustrales.

Loin d'admettre le Spiritisme comme une cause d'accroissement dans la folie, nous disons que c'est une cause atténuante qui doit diminuer le nombre des cas produits par les causes ordinaires. En effet, parmi ces causes, il faut placer en première ligne les chagrins de toute nature, les déceptions, les affections contrariées, les revers de fortune, les ambitions déçues. L'effet de ces causes est en raison de l'impressionnabilité de l'individu, si l'on avait un moyen d'atténuer cette impressionnabilité, ce serait sans contredit le meilleur préservatif ; eh bien ! ce moyen est dans le Spiritisme qui amortit le contrecoup moral, qui fait prendre avec résignation les vicissitudes de la vie ; tel qui se serait suicidé pour un revers, puise dans la croyance spirite une force morale qui lui fait prendre son mal en patience ; non seulement il ne se tuera pas, mais en présence de la plus grande adversité, il conservera sa froide raison, parce qu'il a une foi inaltérable en l'avenir. Lui donnerez-vous ce calme avec la perspective du néant ? Non, car il n'entrevoit aucune compensation, et s'il n'a pas à manger, il pourra vous manger. La faim est une terrible conseillère pour celui qui croit que tout finit avec la vie ; eh bien ! le Spiritisme fait endurer même la faim, car il fait voir, comprendre et attendre la vie qui suit la mort du corps ; voilà sa folie.

La manière dont le vrai Spirite envisage les choses de ce monde et de l'autre, le porte à dompter en lui les plus violentes passions, même la colère et la vengeance. Après l'article insultant de la Gazette de Lyon, que nous avons rappelé plus haut, un groupe d'une douzaine d'ouvriers nous dit : « Si nous n'étions pas Spirites, nous irions donner une volée à l'auteur pour lui apprendre à vivre, et si nous étions en révolution, nous mettrions le feu à la boutique de son journal ; mais nous sommes Spirites ; nous le plaignons et nous prions Dieu de lui pardonner. » Que dites-vous de cette folie, M. Burlet ? En pareil cas qu'eussiez-vous préféré, d'avoir affaire à des fous de cette espèce, ou à des hommes ne craignant rien ? Songez qu'aujourd'hui il y en a plus de vingt mille à Lyon. Vous prétendez servir les intérêts de l'humanité, et vous ne comprenez pas les vôtres ! Priez Dieu qu'un jour vous n'ayez pas à regretter que tous les hommes ne soient pas Spirites ; c'est à quoi vous et les vôtres travaillez de toutes vos forces. En semant l'incrédulité, vous sapez les fondements de l'ordre social ; vous poussez à l'anarchie, aux réactions sanglantes ; nous, nous travaillons à donner la foi à ceux qui ne croient à rien ; à répandre une croyance qui rend les hommes meilleurs les uns pour les autres, qui leur apprend à pardonner à leurs ennemis, à se regarder comme frères sans distinction de races, de castes, de sectes, de couleur, d'opinion politique ou religieuse ; une croyance en un mot qui fait naître le véritable sentiment de la charité, de la fraternité et des devoirs sociaux. Demandez à tous les chefs militaires qui ont des subordonnés spirites sous leurs ordres, quels sont ceux qu'ils conduisent avec le plus de facilité, qui observent le mieux la discipline sans l'emploi de la rigueur ? Demandez aux magistrats, aux agents de l'autorité qui ont des administrés spirites dans les rangs inférieurs de la société, quels sont ceux chez lesquels il y a le plus d'ordre et de tranquillité ; sur lesquels la loi a le moins à sévir ; où il y a le moins de tumulte à apaiser, de désordres à réprimer ?

Dans une ville du Midi, un commissaire de police nous disait : « Depuis que le Spiritisme s'est répandu dans ma circonscription, j'ai dix fois moins de mal qu'auparavant. » Demandez enfin aux médecins spirites quels sont les malades chez lesquels ils rencontrent le moins d'affections causées par les excès de tous genres ? Voilà une statistique un peu plus concluante, je crois, que vos six cas d'aliénation mentale. Si de tels résultats sont une folie, je me fais gloire de la propager. Où ces résultats sont-ils puisés ? Dans les livres que quelques-uns voudraient jeter aux flammes ; dans les groupes que vous recommandez aux ouvriers de fuir. Que voit-on dans ces groupes, que vous dépeignez comme le tombeau de la raison ? Des hommes, des femmes, des enfants qui écoutent avec recueillement une douce et consolante morale, au lieu d'aller au cabaret perdre leur argent et leur santé ou faire du tapage sur la place publique ; qui en sortent avec l'amour de leurs semblables dans le cœur, au lieu de la haine et de la vengeance.

Voici de la part de l'auteur de l'article précité un singulier aveu : Victimes de l'hallucination qui les possède, leur prémisse admise, ils raisonnent ensuite avec une logique irréprochable qui ne fait que les affermir dans leur aberration. Singulière folie en vérité, que celle qui raisonne avec une logique irréprochable ! Or, quelle est cette prémisse ? nous l'avons dit tout à l'heure : L'âme survit au corps, conserve son individualité et ses affections, et peut se communiquer aux vivants. Qu'est-ce qui peut prouver la vérité d'une prémisse, si ce n'est la logique irréprochable des déductions? Qui dit irréprochable, dit inattaquable, irréfutable ; donc, si les déductions d'une prémisse sont inattaquables, c'est qu'elles satisfont à tout, qu'on ne peut rien y opposer ; donc, si ces déductions sont vraies, c'est que la prémisse est vraie, parce que la vérité ne peut avoir pour principe une erreur. D'un principe faux, on peut sans doute déduire des conséquences en apparence logiques, mais ce n'est qu'une logique apparente, autrement dit des sophismes, et non une logique irréprochable, car elle laissera toujours une porte ouverte à la réfutation. La vraie logique est celle qui satisfait pleinement la raison : elle ne peut être contestée ; la fausse logique n'est qu'un faux raisonnement toujours contestable. Ce qui caractérise les déductions de notre prémisse, c'est d'abord qu'elles sont basées sur l'observation des faits ; en second lieu qu'elles expliquent d'une manière rationnelle ce qui, sans cela, est inexplicable. A notre prémisse substituez la négation, et vous vous heurtez à chaque pas contre des difficultés insolubles. La théorie spirite, disons-nous, est basée sur des faits, mais sur des milliers de faits, se reproduisant tous les jours, et observés par des millions de personnes ; la vôtre sur une demi-douzaine observés par vous. Voilà une prémisse dont chacun peut tirer la conclusion.





Cercle spirite de Tours Discours prononcé par le président dans la séance d'installation

Mardi, 12 novembre 1862.

« Messieurs,

Je dois tout d'abord remercier les Esprits protecteurs de notre petite société naissante d'avoir bien voulu me désigner à vous pour la présidence ; je tâcherai de justifier ce choix, qui m'honore, en veillant scrupuleusement à ce que les travaux de nos réunions aient toujours un caractère sérieux et moral, but que nous ne devrons jamais perdre de vue, sous peine de nous exposer à bien des déceptions.

Que venons-nous chercher ici, messieurs, loin du bruit des affaires mondaines ? La science de nos destinées. Oui, tous tant que nous sommes dans cette modeste enceinte qui s'agrandira, qui s'élèvera, je l'espère, par la grandeur et la hauteur du but que nous poursuivons, nous cédons au désir bien naturel de déchirer le voile épais qui cache aux pauvres humains le redoutable mystère de la mort, et de savoir s'il est vrai, comme l'enseigne une fausse science, et comme le croient, hélas ! tant de malheureux Esprits égarés, que la tombe ferme le livre des destinées de l'homme.

Je sais bien que Dieu a placé dans le cœur de chacun un flambeau destiné à éclairer ses pas à travers les rudes sentiers de la vie : la raison ; et une balance propre à peser toutes choses selon leur exacte valeur : la justice ; mais quand la vive et pure lumière de ce flambeau directeur, de plus en plus affaiblie par le souffle impur des passions perverties, est sur le point de s'éteindre ; quand cette
balance de la justice a été faussée par l'erreur et le mensonge ; quand le chancre du matérialisme, après avoir tout envahi, jusqu'aux religions, menace de tout dévorer, il faut bien que le Juge suprême vienne enfin, par des prodiges de sa toute-puissance, par des manifestations insolites, capable de frapper violemment l'attention, redresser les voies de l'humanité et la retirer de l'abîme.

Au point de dégradation morale où sont tombées les sociétés modernes, sous l'influence des fausses et pernicieuses doctrines tolérées, sinon encouragées, par ceux-là mêmes qui ont mission spéciale de les réprimer ; au milieu de cet indifférentisme général pour tout ce qui n'est pas matière, de ce sensualisme outré, exclusif, de cette fureur, inconnue jusqu'à nous, d'enrichissement à tout prix, de ce culte effréné du veau d'or, de cette passion désordonnée du lucre, qui engendre l'égoïsme, glace tous les cœurs en faussant toutes les intelligences, et tend à la dissolution des liens sociaux, les communications d'outre-tombe peuvent être considérées comme une révélation divine, devenue nécessaire au rappel à l'ordre, de la part de la Providence qui ne peut pas laisser périr sans secours sa créature de prédilection. Et, à la rapidité avec laquelle se répandent sur tous les points du globe les enseignements de la doctrine spirite, il est facile de prévoir que l'heure approche où l'humanité, après un temps d'arrêt, va franchir une nouvelle étape, subir une nouvelle phase de développement dans sa progression intermittente à travers les siècles.

Quant à nous, messieurs, remercions la Providence d'avoir daigné nous choisir pour répandre et faire fructifier sur ce petit coin de terre la semence spirite, et coopérer ainsi, dans la mesure de nos forces, à la grande oeuvre de régénération morale qui se prépare.

Je m'occupe en ce moment, à propos d'une question médicale, quelques-uns d'entre vous le savent, d'un travail philosophique important où j'essaye d'expliquer rationnellement les phénomènes physiologiques du Spiritisme, et de les rattacher à la philosophie générale. Avant de publier ce travail, essentiellement anti-matérialiste, qui n'est guère du reste encore qu'une ébauche, je me propose de vous le communiquer pour prendre votre avis sur l'opportunité de soumettre à l'approbation des Esprits élevés qui veulent bien nous assister, les principaux points de doctrine qu'il renferme. Nous pourrions trouver là, d'ailleurs, toutes préparées et méthodiquement disposées d'avance, la plupart des questions qui doivent faire le sujet de nos entretiens Spirites.

« Il ne faut jamais perdre de vue, Messieurs, le but essentiel du Spiritisme, qui est la destruction du matérialisme par la preuve expérimentale de la survivance de l'âme humaine. Si les morts répondent à notre appel, s'ils viennent se mettre en communication avec nous, c'est qu'évidemment ils ne sont pas tout à fait morts ; c'est que le dernier râle de l'agonie n'a pas marqué pour eux le terme définitif de leur existence. Tous les sermons du monde ne valent pas à cet égard un argument comme celui-là.

C'est pourquoi il est de notre devoir, à nous croyants, de répandre la lumière autour de nous et de ne pas la tenir enfermée sous le boisseau, c'est-à-dire, dans cette étroite enceinte qui doit, au contraire, devenir par notre zèle un foyer rayonnant. Est-ce à dire que nous devions convier tout le monde à nos réunions, accueillir le premier venu qui manifeste la curiosité de nous voir à l'œuvre, comme s'il s'agissait de voir opérer un prestidigitateur ? Ce serait maladroitement exposer aux chances du ridicule la chose la plus sérieuse du monde et nous compromettre en même temps nous-mêmes. Mais toutes les fois qu'une personne dont nous n'aurons aucun motif de suspecter la bonne foi, et qui aura puisé dans la lecture des ouvrages spéciaux des notions sur le Spiritisme, désirera se rendre témoin des faits, nous devrons adhérer à sa demande, seulement il sera bon de réglementer ces sortes d'admissions, et de n'admettre à nos séances aucune personne étrangère sans que la société, consultée, ait émis préalablement son avis à cet égard.

Messieurs, lorsqu'il y a deux ans à peine nous constations avec un de nos sociétaires, chez un ami commun, les phénomènes spirites de l'ordre mécanique et de l'ordre intellectuel les plus étonnants, malgré l'évidence des faits dont nous étions témoins, malgré notre conviction profonde que ces manifestations extraordinaires se passaient en dehors des lois naturelles connues, nous osions à peine en faire timidement part à nos connaissances intimes, tant nous craignions que l'on mit en doute l'intégrité de notre raison. Le Livre des Esprits, alors à peu près inconnu à Tours, n'en était encore qu'à sa première ou, tout au plus, à sa deuxième édition, à cette époque, en un mot, il n'avait guère franchi les limites de la capitale. Eh bien, voyez donc quel immense progrès dans l'espace de trois ans ! Aujourd'hui le Spiritisme a pénétré partout, a des adeptes dans tous les rangs de la société ; des réunions, des groupes plus ou moins nombreux s'organisent dans toutes les villes, grandes ou petites, en attendant le tour des villages ; aujourd'hui les ouvrages spirites sont étalés chez tous les libraires, qui ont de la peine à satisfaire aux demandes de leur clientèle, avide de s'initier aux grands mystères des évocations ; aujourd'hui, enfin le Spiritisme vulgarisé, connu de tous à un titre quelconque, n'est plus un épouvantail, un signe de réprobation ou de dédain, et nous pouvons hardiment, sans crainte de passer pour fous, avouer le but de nos réunions ; nous pouvons défier la raillerie et le sarcasme et dire aux persifleurs : « Avant de nous tourner en ridicule, veuillez du moins nous compter, sinon nous peser. »

Quant à l'anathème d'un parti, nous apprécions trop sa faible portée pour nous en inquiéter. Ils disent que nous avons pactisé avec le diable, soit ; mais alors il faut convenir que les diables ne sont pas tous de trop mauvais diables. Notre vrai crime, à leurs yeux, c'est notre prétention, assurément fort légitime, de communiquer avec Dieu et ses saints sans leur intermédiaire obligé. Prouvons-leur que, grâce aux enseignements de ceux qu'ils appellent Démons, nous comprenons la morale sublime de l'Évangile, qui se résume dans l'amour de Dieu et de ses semblables, dans la charité universelle. Embrassons l'humanité tout entière, sans distinction de culte, de race, d'origine, et, à plus forte raison, de famille, de fortune et de condition sociale. Qu'ils sachent bien que notre Dieu, à nous Spirites, n'est pas un tyran cruel et vengeur qui punit un instant d'égarement par des tortures éternelles, mais un père bon et miséricordieux qui veille sur ses enfants égarés avec une sollicitude incessante, et cherche à les rapprocher de lui par une série d'épreuves destinées à les laver de toutes leurs souillures. N'est-il pas écrit : que Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais sa conversion ?

Au surplus, nous nous réservons expressément, ici comme partout, les droits imprescriptibles de la raison qui doit tout dominer, tout juger en dernier ressort. Nous ne disons pas aux récalcitrants, en les conduisant, au pied du bûcher : Crois ou meurs, mais crois si la raison le veut.

Encore un mot pour terminer, messieurs, car je ne voudrais pas abuser de votre attention. L'institution de notre société n'ayant, ne pouvant avoir d'autre but que notre instruction et notre amélioration morale, nous devons écarter avec le plus grand soin de nos séances toute question se rattachant d'une manière directe ou indirecte, soit aux personnes, soit à la politique, soit aux intérêts matériels. Etude de l'homme par rapport à ses destinées futures, tel est notre programme, et nous ne devrons jamais nous en départir. »

Chauvet, docteur médecin.



Ce discours est suivi de la communication ci-après, obtenue spontanément par l'un des médiums de la société :

« Mes amis, le but de votre société est de vous instruire et de ramener l'homme égaré à la lumière depuis si longtemps obscurcie par les ténèbres qui règnent dans ce siècle. Vous ne devez pas regarder cette institution comme venant vous instruire sur des questions de droit ou de science ; elle vient tout simplement vous disposer à entrer dans la nouvelle voie de régénération que vous devez parcourir sans crainte, en mettant votre confiance dans les instructions que vous recevrez. Vous ne devez rien craindre, car Dieu veille sur l'homme qui fait le bien, et ne l'abandonne pas.

Je vous ai entendus discuter à propos d'un article du règlement sur l'admission des personnes étrangères à votre société. Écoutez un peu les conseils d'un ami, ou plutôt d'un frère qui vous parle, non de bouche mais de cœur, non matériellement mais spirituellement ; car, croyez-le, quand je franchis pour venir à vous tous les degrés des Esprits impurs, cet espace à parcourir ne me paraît pas pénible si je vois votre cœur animé des sentiments du bien.

Lorsqu'une personne étrangère demandera à assister à vos séances, avant de l'admettre, faites-la venir en particulier dans votre cabinet, et, dans la conversation, sondez ses sentiments et voyez si elle est instruite dans la nouvelle doctrine. Si vous découvrez en elle le désir du bien et non une simple curiosité ; si elle vient animée d'intentions sérieuses, alors vous pourrez sans crainte l'admettre, mais repoussez quiconque ne viendrait qu'avec la pensée de troubler vos séances et de mépriser vos enseignements. Songez aussi que les espions se glissent partout : Jésus en a bien eu.

Si quelqu'un se présente en se disant Spirite ou médium, ne le recevez pas sans savoir à qui vous avez affaire. Vous n'ignorez pas qu'il existe des médiums pleins de frivolité et d'orgueil, et qui, par cela même, n'attirent que des Esprits légers. On l'a dit souvent : qui se ressemble s'assemble. Un vrai Spirite ne doit avoir d'autre sentiment que le bien et la charité, sans cela il ne peut être assisté par des Esprits sages.

Sans doute la perte d'un médium peut faire un vide parmi vous, mais il ne faut pas croire pour cela que vous n'aurez plus d'instructions de notre part, car nous serons toujours prêts à venir vous assister dans vos travaux autant que Dieu le permettra. Si un bon médium vous est enlevé, c'est que Dieu sans doute le destine à une autre mission, qu'il croit plus utile. Qui sait ce qui l'attend ? Il est de ces choses que l'homme ne peut comprendre, et qu'il lui faut cependant accepter.

La route que vous allez parcourir, mes amis, est rude à gravir, mais, avec l'aide de vos frères, qui sont au-dessus de vous, vous y parviendrez.

Une autre fois, je l'espère, nous vous instruirons sur des questions plus graves. »

Signé : Fénelon.





Variété - Guérison par un Esprit

Nous avons reçu plusieurs lettres qui constatent l'heureuse application que l'on a faite du remède indiqué dans la Revue spirite de novembre 1862, page 335 (voir aussi l'erratum du mois de décembre), et dont la recette a été donnée par un Esprit. Un officier de cavalerie nous a dit que le pharmacien de son régiment a eu soin d'en préparer pour les cas très fréquents des accidents causés par les coups de pieds des chevaux. Nous savons que d'autres pharmaciens ont fait de même dans certaines villes.

A propos de l'origine de ce remède, un de nos abonnés d'Eure-et-Loir nous transmet le fait suivant, qui est à sa connaissance personnelle.


« Autheusel, 6 novembre 1862.

Un homme de peine, nommé Paquine, qui habite une commune des environs, vint me voir il y a un mois, armé de deux béquilles. Etonné de le voir ainsi, je m'enquis de l'accident qui lui était arrivé. Il me répondit que, depuis quelque temps ses jambes étaient enflées prodigieusement et couvertes d'ulcères, et qu'aucun remède n'y faisait. Cet homme est Spirite et quelque peu médium. Je lui dis qu'il fallait s'adresser aux Esprits bons et le faire avec ferveur. Le jour de la Toussaint, je le vis reparaître à la messe avec un simple bâton. Le lendemain il vint me voir et me raconta ce qui suit :

— Monsieur, me dit-il, depuis que vous m'avez recommandé d'employer les bons Esprits pour obtenir ma guérison, je n'ai pas manqué chaque soir et souvent dans la journée de les invoquer et de leur représenter combien mon mal me portait préjudice pour gagner ma vie. Il y avait à peine cinq ou six jours que je priais ainsi lorsqu'une nuit, étant assoupi, je vis un homme tout blanc apparaître au milieu de ma chambre. Il s'avança vers mon dressoir, y prit un pot dans lequel il y avait de la graisse dont je me servais pour tempérer les douleurs que me causaient mes jambes. Il me montra ce pot, puis ayant pris du tabac que je conservais dans un papier, il me le montra également. Ensuite il fut chercher une petite fiole d'extrait de Saturne, puis une bouteille d'essence de térébenthine, et, me montrant le tout, il me fit signe qu'il fallait en faire un mélange ; m'indiqua la dose en en versant devant moi dans le pot ; puis m'ayant fait des signes d'amitié, il disparut. Le lendemain, je fis ce que l'Esprit m'avait prescrit, et de ce moment mes jambes entrèrent dans une excellente voie de guérison. Il ne me reste plus aujourd'hui qu'une enflure au pied qui disparaît petit à petit par l'efficacité de ce remède, et j'espère bientôt être quitte de tout mal.

Voilà, messieurs, un fait qui pourrait presque être classé au nombre des guérisons miraculeuses, je crois qu'il faudrait pousser loin l'esprit de parti pour n'y voir qu'un fait démoniaque.

En examinant la vulgarité et presque toujours la simplicité des remèdes indiqués par les Esprits en général, je me suis demandé si l'on ne pourrait pas en conclure que le remède en lui-même n'est qu'une simple formule, et que c'est l'influence fluidique de l'Esprit qui opère la guérison. Cette question pourrait, je crois, être étudiée.

L. de Tarragon. »

Cette dernière question ne nous paraît pas douteuse, lorsque l'on connaît surtout les propriétés que l'action magnétique peut donner aux substances les plus bénignes, à l'eau par exemple ; or, comme les Esprits magnétisent aussi, ils peuvent certainement donner à certaines substances des propriétés curatives selon les circonstances. Si le Spiritisme nous révèle tout un monde d'êtres pensant et agissant, il nous révèle aussi des forces matérielles inconnues et que la science mettra un jour à profit.


Dissertations spirites - Paix aux hommes de bonne volonté

Poitiers. Réunion préparatoire d'ouvriers spirites ; médium, M. X…

Mes chers amis, la vie est courte ; grand est ce qui la précède, grand est ce qui la suit ; rien n'est que par la volonté de Dieu ; rien n'est, en conséquence, que légitime et de haute justice. Votre misère, lorsqu'elle vous étreint, est un mal mérité, une punition, n'en doutez pas, de vos fautes antérieures. Envisagez-la bravement, et levez les yeux en haut avec résignation : la bénédiction et le soulagement descendront. Vos chagrins, parfois, sont l'épreuve demandée par votre Esprit lui-même, par votre Esprit désireux d'arriver promptement au but final, toujours entrevu à l'état non incarné.

Au moment où le monde s'agite et souffre, où les sociétés, en quête de ce qui est le vrai, se tordent dans un enfantement laborieux, Dieu permet que le Spiritisme, c'est-à-dire un rayon de l'éternelle vérité, descende des hautes régions et vous éclaire. Notre but est de vous montrer la voie, mais de vous laisser votre liberté, c'est-à-dire le mérite et le démérite de vos actions. Écoutez-nous donc, et soyez certains que votre bonheur est pour nous une vive préoccupation. Si vous saviez combien vos mauvaises actions nous affligent ! combien vos efforts vers la loi de Dieu nous remplissent de joie ! Le Seigneur nous a dit : « Serviteurs de mon empire, apôtres dévoués de ma loi, à tous portez ma parole ; à tous expliquez que la vie éternelle sera à ceux qui pratiquent l'Évangile ; à tous les hommes faites entendre que le bien, le beau, le grand, marchepieds de mon éternité, sont renfermés dans ce mot : Amour. » Le Seigneur nous a dit : « Légers Esprits, courez à tous : aux plus malheureux et aux plus heureux ; du roi à l'artisan ; du pharisien à celui que brûle l'ardente foi. » Et nous allons de tous côtés, et nous crions au malheureux : Résignation ; à l'heureux Charité, humilité ; aux rois : Amour des peuples ; à l'artisan : Respect de la loi !

Mes amis, le jour où l'on fera mieux que nous écouter, c'est-à-dire le jour où l'on pratiquera nos préceptes, plus d'égoïsme, plus de jalousie ; partant de là plus de misères, plus de ce luxe qui est le ver rongeur des sociétés et les ébranle ; plus de ces erreurs morales qui troublent les consciences ; plus de révolutions, plus de sang ! plus ce triste préjugé qui a fait croire longtemps aux familles princières que les peuples étaient leur chose et qu'elles étaient d'un autre sang que les peuples, plus rien que le bonheur ! Vos gouvernements seront bons, parce que le gouvernant et le gouverné auront profité du Spiritisme. Les sciences et les arts, portés sur les ailes de la divine charité, s'élèveront à une hauteur dont vous ne vous doutez pas ; votre climat assaini par les travaux agricoles ; vos récoltes devenues plus abondantes ; ces mots si profonds d'égalité et de fraternité enfin interprétés sans que nul songe à dépouiller celui qui possède, réaliseront, je vous l'affirme, les promesses de votre Dieu.

« Paix, a dit son Christ, aux hommes de bonne volonté ! » Vous n'avez pas eu la paix, parce que vous n'avez pas eu la bonne volonté. La bonne volonté, et pour les pauvres et pour les riches, s'appellera charité. Il y a charité morale, comme il y a charité matérielle, et vous ne l'avez pas eue ; et le pauvre a été aussi coupable que le riche !

Entendez-moi bien : Croyez et aimez ! aimez : il sera beaucoup pardonné à celui qui a beaucoup aimé. Croyez : la foi soulève les montagnes. Prudence et douceur dans l'apostolat nouveau : votre meilleure prédication sera le bon exemple. Plaignez les aveugles : ceux qui ne veulent pas regarder la lumière. Plaignez, ne blâmez pas ! Priez, mes amis, et la bénédiction de Dieu sera avec vos âmes. Le flambeau de vie rayonne ; à tous les coins de l'horizon s'allument les phares ; la tempête va secouer et peut-être briser les barques ! Mais le nocher qui, sur la lame furieuse, regardera toujours le phare, abordera au rivage, et le Seigneur lui dira : « Paix aux hommes de bonne volonté ; sois béni, toi qui as aimé ; sois heureux, puisque tu as travaillé au bonheur d'autrui. Mon fils, à chacun selon ses œuvres ! »

F. D.,
ancien magistrat.



Poésie spirite - Le Malade et son Médecin

Conte dédié à M. le rédacteur du Renard, de Bordeaux, par l'Esprit frappeur de Carcassonne.

« C'est à n'y plus tenir, docteur ; c'est par trop fort,

S'écriait l'autre jour un sieur de Rochefort !

Tâtez-moi donc le pouls, docteur, j'en suis malade ;

Le globe tout entier est pris d'une toquade.

Il faut croire que Dieu ne sait plus son métier ;

Il baisse… et je maudis le globe tout entier.

Et d'abord la vapeur… Est-ce ainsi qu'on chemine?

Qu'est devenu le temps de ma douce berline?

Ce temps où, sans danger de nous casser le cou,

Nous partions de Paris vingt pour Sceaux en coucou ?

L'on parle de progrès !… Docteur, c'est ridicule !

Lancée à fond de train, la planète recule ;

Quel horrible chaos !… Un câble, un fil de fer,

De Calais à Pékin babille dans la mer.

Un tailleur sans aiguille a l'audace de coudre ;

De l'eau on fait du feu ; du coton de la poudre ;

Un rapin, pour pinceaux n'ayant qu'un appareil,

Vous vendra des portraits fabriqués au soleil !

Gloire, gloire au passé ! Dans ce siècle frivole

L'égalité rugit ; le peuple a la parole !

D'écrire en plein Bordeaux, Sabò s'est avisé !

Vous le voyez, docteur, tout est bouleversé.

Des jongleurs je saurai découvrir la ficelle ;

J'aviserai, morbleu ! le chef de l'Etincelle ;

C'est là que, sabre en main, un crâne nous défend,

Ce n'est pas tout, docteur, ô scandale ! on prétend

Que, du bon La Fontaine empruntant la formule,

Un vrai mort, un Esprit, nous donne la férule. »

— Ici, de Rochefort cracha, puis il reprit :

« Docteur, de bonne foi, croyez-vous à l'Esprit ?

— Bah ! lui dit le docteur ! faisant le bon apôtre,

L'Esprit ?… je n'y crois pas, très cher… pas même au vôtre. »

Nota. Ce conte, sur le mérite duquel nous laissons juges nos lecteurs, a été obtenu spontanément par la typtologie, commettant d'autres charmantes poésies du même médium, à propos d'un spirituel article de M. Aug. Bez, inséré dans le Renard, qui veut bien ouvrir ses colonnes aux adeptes du Spiritisme. L'Etincelle est un autre journal de Bordeaux, rédigé par M. de Rattier, et qui lance contre le Spiritisme force flammèches dans le but de l'incendier, mais qui, jusqu'à présent, n'a réussi qu'à produire une illumination semblable à celles de ces étincelles des feux d'artifice qui s'éteignent avant d'avoir touché la terre. Quant à M. de Rochefort, il trouvera sans doute cette poésie malsaine.

Souscription rouennaise

Versements faits au bureau de la Revue fpirile, au 27 janvier 1863 :

Société spirite de Paris : 423 fr. — Le prince de Géorgie, 20 fr. ; MM. Aumont, libr., 5 fr.; Courtois, 2 fr.; Dolé, dessina- teur-lith., 5fr.; Roger, 20 fr. ; Yvose, 10 fr.; madame Hilaire, 20 fr. 505 fr. 00

Sociétés et groupes spiritea : de Sens, 60 fr. 05; d'Orléans, 40 fr.; de Marennes, 34 fr. 50; de Saint-Malo, 15fr.—MM. Bodin, (de Cognac), 20 fr.; Borreau (de Niort), 3 fr. ; Bitaubé (de Blaye), 5 fr.; Bourges, lieut. (de Provins), 10 fr. ; Blin, cap. (de Mar seille), 20 fr.; Lausat(deCondom), 5fr.; Viseur (d'Orthez), lOfr.; Saint-Martin, arqueb. (de Maubourguet), 5 fr. ; Petitjean, tail leur, et son ouvrier (de Joinville H.-M.), 7 fr. ; Auzanneau (de Neuvic), 10 fr.; Lafage (de Tarbes), 5 fr. ; Jouffroy (de Gaillon), 6 fr.; Noël (de Bone), 10 fr. ; D... (Guelma), 2 fr. 50; N... (île de Ré), 9 fr. — De Poitiers : M. Barbault de la Motte, anc. magistrat, 100 fr. ; Madame Barbault de la Motte, 100 fr.; M. Frothier, sculpteur, 20 fr. ; M. Bonvalet, ouvrier, 10 fr. — Société Spirite de Montreuil- sur-Mer, 74 fr 497 05

Spirites et colonie française de Barcelone [Espagne] : MM. Henri de Vincio, François Nerici, Ernest Lalaux, Ed. Hardy, Désiré Maigrin, Maurice Lachâtre, mademoiselle Marie Garette, 100 fr. — MM. Achon, Ziegler, Ed. Bettiz, G. Sins, J.-C. Carpentier, Hol- der, Muller, J. Arto, Devenel, 80 fr.; mademoiselle Nérici, 5 fr. ; MM. Rovira, père et fils, 2 fr. 60 c. ; Louis Borel, chapelier, 5 fr. ; Simonnet, batteur d'or, 10 fr. ; mademoiselle Caroline Vignes, 10 fr. ; madame Guizy, 20 fr. ; MM. Guizy, 30 fr. ; E. B., 5 fr.; Emprin, commissionnaire, 10 fr. ; Marius Brunos, bottier, 5 fr. ; Leconte, frères, 25 fr. ; Hardy, père, 6 f.; Flocon, voyageur de commerce, 5 fr. ; Bonsignori, bijoutier, 1 fr.; Louis Pintrau, fon deur, 1 fr. ; Canals et C", nég., 15 fr. ; Cousseau et C", tapissiers, 10 fr.; Tasimez Bion, 1 fr.; Subernie, 1 fr.; Dupont, 2fr.; Paul, frères, fabricants, 50 fr.; Garcerie, nouveautés, lOfr. ; mesdames Curel, modes, 10 fr.; Antoinette Fournols, couturière, 10 fr. ; MM. Emile Cousoles, bandagiste, 5 fr. ; J. Hugon, 10 fr. ; Louis Verdereau, nouveautés, 20 fr. ; Torri, chapelier, 5 fr. ; Joseph Faur, 1 fr. ; A. C , 5 fr.; Gustave Fouquel, 1 fr. ; Lavallée, 5 fr. ; Fournier, 3 fr. 75; J.-J. Maumus, 3 fr. ; Thiébault, 2 fr. . . . 489 35

Total 1491 fr. 40

La souscription reste ouverte.

ALLAN KARDEC.





Mars

La lutte entre le Passé et l'Avenir

Une véritable croisade a lieu en ce moment contre le Spiritisme, ainsi que cela nous avait été annoncé ; de divers côtés on nous signale des écrits, des discours et même des actes de violence et d'intolérance ; tous les Spirites doivent s'en réjouir, car c'est la preuve évidente que le Spiritisme n'est pas une chimère. Ferait-on tant de tapage pour une mouche qui vole ?

Ce qui excite surtout cette grande colère, c'est la prodigieuse rapidité avec laquelle l'idée nouvelle se propage malgré tout ce qu'on a fait pour l'arrêter. Aussi nos adversaires, forcés par l'évidence de reconnaître que ce progrès envahit les rangs les plus éclairés de la société et même les hommes de science, sont-ils réduits à déplorer cet entraînement fatal qui conduit la société tout entière aux Petites-Maisons. La raillerie a épuisé son arsenal de quolibets et de sarcasmes, et cette arme qu'on dit si terrible, n'a pu mettre les rieurs de son côté, preuve qu'il n'y a pas matière à rire. Il n'est pas moins évident qu'elle n'a pas enlevé un seul partisan à la doctrine, loin de là, puisqu'ils ont augmenté à vue d'œil. La raison en est bien si triple : on a promptement reconnu tout ce qu'il y a de profondément religieux dans cette doctrine qui touche aux cordes les plus sensibles du cœur, qui élève l'âme vers l'infini, qui fait reconnaître Dieu à ceux qui l'avaient méconnu ; elle a arraché tant d'hommes au désespoir, calmé tant de douleurs, cicatrisé tant de blessures morales, que les sottes et plates plaisanteries déversées sur elle ont inspiré plus de dégoût que de sympathie. Les railleurs se sont en vain battus les flancs pour faire rire à ses dépens : il est des choses dont instinctivement on sent qu'on ne peut rire sans profanation.

Toutefois, si quelques personnes, ne connaissant la doctrine que par les facéties des mauvais plaisants, avaient pu croire qu'il ne s'agissait que d'un rêve creux, de l'élucubration d'un cerveau endommagé, ce qui se passe est bien fait pour les désabuser. En entendant tant de déclamations furibondes, elles doivent se dire que c'est plus sérieux qu'elles ne pensaient.

La population peut se partager en trois classes : les croyants, les incrédules et les indifférents. Si le nombre des croyants a centuplé depuis quelques années, ce ne peut être qu'aux dépens des deux autres catégories. Mais les Esprits qui dirigent le mouvement ont trouvé que les choses n'allaient point encore assez vite. Il y a encore, se sont-ils dit, beaucoup de gens qui n'ont pas entendu parler du Spiritisme, dans les campagnes surtout ; il est temps que la doctrine y pénètre ; il faut en outre réveiller les indifférents engourdis. La raillerie a fait son office de propagande involontaire, mais elle a tiré toutes les flèches de son carquois, et les traits qu'elle décoche encore sont émoussés ; c'est un feu trop pâle maintenant. Il faut quelque chose de plus vigoureux, qui fasse plus de bruit que le cliquetis des feuilletons, qui retentisse jusque dans les solitudes ; il faut que le dernier village entende parler du Spiritisme. Quand l'artillerie tonnera, chacun se demandera : Qu'y a-t-il ? et voudra voir.

Lorsque nous eûmes fait la petite brochure : Le Spiritisme à sa plus simple expression, nous demandâmes à nos guides spirituels quel effet elle produirait. Il nous fut répondu : Elle produira un effet auquel tu ne t'attends pas, c'est-à-dire que tes adversaires seront furieux de voir une publication destinée, par son extrême bon marché, à être répandue en masse et à pénétrer partout. Il t'a été annoncé un grand déploiement d'hostilités, ta brochure en sera le signal. Ne t'en préoccupe pas, tu connais la fin. Ils se fâchent en raison de la difficulté de réfuter tes arguments. – Puisqu'il en est ainsi, dîmes-nous, cette brochure, qui devait être vendue 25 centimes, sera donnée pour deux sous. L'événement a justifié ces prévisions, et nous nous en félicitons.

Tout ce qui se passe d'ailleurs a été prévu et devait être pour le bien de la cause. Quand vous verrez quelque grande manifestation hostile, loin de vous en effrayer, réjouissez-vous-en, car il a été dit : le grondement de la foudre sera le signal de l'approche des temps prédits. Priez alors, mes frères ; priez surtout pour vos ennemis, car ils seront pris d'un véritable vertige. Mais tout n'est pas encore accompli ; la flamme du bûcher de Barcelone n'a pas monté assez haut. Si elle se renouvelle quelque part, gardez-vous de l'éteindre, car plus elle s'élèvera, plus, semblable à un phare, elle sera vue de loin, et restera dans le souvenir des âges. Laissez donc faire, et nulle part n'opposez la violence à la violence ; souvenez-vous que Christ a dit à Pierre de remettre son épée dans le fourreau. N'imitez pas les sectes qui se sont entre-déchirées au nom d'un Dieu de paix, que chacune appelait en aide à ses fureurs. La vérité ne se prouve point par les persécutions, mais par le raisonnement ; les persécutions ont de tout temps été l'arme des mauvaises causes, et de ceux qui prennent le triomphe de la force brutale pour celui de la raison. La persécution est un mauvais moyen de persuasion ; elle peut momentanément abattre le plus faible, le convaincre, jamais ; car, même dans la détresse où on l'aura plongé, il s'écriera, comme Galilée dans sa prison : e pur si move ! Avoir recours à la persécution, c'est prouver que l'on compte peu sur la puissance de sa logique. N'usez donc jamais de représailles : à la violence opposez la douceur et une inaltérable tranquillité ; rendez à vos ennemis le bien pour le mal ; par là vous donnerez un démenti à leurs calomnies, et les forcerez de reconnaître que vos croyances sont meilleures qu'ils ne le disent.

La calomnie ! direz-vous ; peut-on voir de sang-froid notre doctrine indignement travestie par des mensonges ? accusée de dire ce qu'elle ne dit pas, d'enseigner le contraire de ce qu'elle enseigne, de produire le mal tandis qu'elle ne produit que le bien ? L'autorité même de ceux qui tiennent un tel langage ne peut-elle fausser l'opinion, retarder le progrès du Spiritisme ?

Incontestablement c'est là leur but ; l'atteindront-ils ? c'est une autre question, et nous n'hésitons pas à dire qu'ils arrivent à un résultat tout contraire : celui de discréditer eux et leur cause. La calomnie est sans contredit une arme dangereuse et perfide, mais elle est à deux tranchants et blesse toujours celui qui s'en sert. Avoir recours au mensonge pour se défendre, c'est la plus forte preuve qu'on n'a point de bonnes raisons à donner, car si l'on en avait, on ne manquerait pas de les faire valoir. Dites qu'une chose est mauvaise, si telle est votre opinion ; criez-le sur les toits, si bon semble, c'est au public de juger si vous êtes dans le faux ou dans le vrai ; mais la travestir pour appuyer votre sentiment, la dénaturer, est indigne de tout homme qui se respecte. Dans les comptes rendus des oeuvres dramatiques et littéraires, on voit souvent des appréciations très opposées ; un critique loue à outrance ce qu'un autre bafoue : c'est leur droit ; mais que penserait-on de celui qui, pour soutenir son blâme, ferait dire à l'auteur ce qu'il ne dit pas, lui prêterait de mauvais vers pour prouver que sa poésie est détestable ?

Il en est ainsi des détracteurs du Spiritisme : par leurs calomnies ils montrent la faiblesse de leur propre cause et la discréditent en faisant voir à quelles pitoyables extrémités ils sont obligés d'avoir recours pour la soutenir. De quel poids peut être une opinion fondée sur des erreurs manifestes ? De deux choses l'une, ou ces erreurs sont volontaires, et alors on voit la mauvaise foi ; ou elles sont involontaires, et l'auteur prouve son inconséquence en parlant de ce qu'il ne sait pas ; dans l'un et l'autre cas il perd tout droit à la confiance.

Le Spiritisme n'est point une doctrine qui marche dans l'ombre ; il est connu, ses principes sont formulés d'une manière claire, précise, et sans ambiguïté. La calomnie ne saurait donc l'atteindre ; il suffit, pour la convaincre d'imposture, de dire : lisez et voyez. Sans doute il est utile de la démasquer ; mais il faut le faire avec calme, sans aigreur ni récrimination, en se bornant à opposer, sans discours superflus, ce qui est à ce qui n'est pas ; laissez à vos adversaires la colère et les injures, gardez pour vous le rôle de la force véritable : celui de la dignité et de la modération.

Du reste, il ne faut pas s'exagérer les conséquences de ces calomnies, qui portent avec elles l'antidote de leur venin, et sont en définitive plus avantageuses que nuisibles. Elles provoquent forcément l'examen des hommes sérieux qui veulent juger les choses par eux-mêmes, et y sont excités en raison de l'importance qu'on y donne ; or, le Spiritisme, loin de redouter l'examen, le provoque, et ne se plaint que d'une chose, c'est que tant de gens en parlent comme les aveugles des couleurs ; mais grâce aux soins que nos adversaires prennent de le faire connaître, cet inconvénient n'existera bientôt plus, et c'est tout ce que nous demandons. La calomnie qui ressort de cet examen le grandit au lieu de l'abaisser.

Spirites, ne vous plaignez donc pas de ces travestissements ; ils n'enlèveront aucune des qualités du Spiritisme ; ils les feront au contraire ressortir avec plus d'éclat par le contraste, et tourneront à la confusion des calomniateurs. Ces mensonges peuvent certainement avoir pour effet immédiat d'abuser quelques personnes, et même de les détourner ; mais qu'est-ce que cela ? Que sont quelques individus auprès des masses ? Vous savez vous-mêmes combien le nombre en est peu considérable. Quelle influence cela peut-il avoir sur l'avenir ? Cet avenir vous est assuré : les faits accomplis vous en répondent, et chaque jour vous apporte la preuve de l'inutilité des attaques de nos adversaires. La doctrine du Christ n'a-t-elle pas été calomniée, qualifiée de subversive et d'impie? Lui-même n'a-t-il pas été traité de fourbe et d'imposteur ? S'en est-il ému ? Non, parce qu'il savait que ses ennemis passeraient et que sa doctrine resterait. Ainsi en sera-t-il du Spiritisme. Singulière coïncidence ! Il n'est autre que le rappel à la pure loi du Christ, et on l'attaque avec les mêmes armes ! Mais ses détracteurs passeront ; c'est une nécessité à laquelle nul ne peut se soustraire. La génération actuelle s'éteint tous les jours, et avec elle s'en vont les hommes imbus des préjugés d'un autre temps ; celle qui s'élève est nourrie des idées nouvelles, et vous savez d'ailleurs qu'elle se compose d'Esprits plus avancés qui doivent faire régner enfin la loi de Dieu sur la terre. Regardez donc les choses de plus haut ; ne les voyez pas au point de vue rétréci du présent, mais étendez vos regards vers l'avenir et dites-vous : L'avenir est à nous ; que nous importe le présent ! que nous font les questions de personnes ! les personnes passent, les institutions restent. Songez que nous sommes dans un moment de transition ; que nous assistons à la lutte entre le passé qui se débat et tire en arrière, et l'avenir qui naît, et tire en avant. Qui l'emportera? Le passé est vieux et caduc, – nous parlons des idées, – tandis que l'avenir est jeune, et marche à la conquête du progrès qui est dans les lois de Dieu. Les hommes du passé s'en vont ; ceux de l'avenir arrivent ; sachons donc attendre avec confiance, et félicitons-nous d'être les premiers pionniers chargés de défricher le terrain. Si nous avons la peine, nous aurons le salaire. Travaillons donc, non par une propagande furibonde et irréfléchie, mais avec la patience et la persévérance du laboureur qui sait le temps qu'il lui faut pour atteindre la moisson. Semons l'idée, mais ne compromettons pas la récolte par un ensemencement intempestif et par notre impatience, en devançant la saison propre pour chaque chose. Cultivons surtout les plantes fertiles qui ne demandent qu'à produire ; elles sont assez nombreuses pour occuper tous nos instants, sans user nos forces contre des rocs inamovibles que Dieu se charge d'ébranler ou de déraciner quand il en sera temps, car s'il a la puissance d'élever les montagnes, il a celle de les abaisser. Quittons la figure, et disons nettement qu'il est des résistances qu'il serait superflu de chercher à vaincre, et qui s'obstinent plus par amour-propre ou par intérêt que par conviction ; ce serait perdre son temps que de chercher à les amener à soi ; elles ne cèderont que devant la force de l'opinion. Recrutons les adeptes parmi les gens de bonne volonté, qui ne font pas défaut ; augmentons la phalange de tous ceux qui, las du doute et effrayés du néant matérialiste, ne demandent qu'à croire, et bientôt le nombre en sera tel que les autres finiront par se rendre à l'évidence. Déjà ce résultat se manifeste, et attendez-vous, avant peu, à voir dans vos rangs ceux que vous n'y attendiez que les derniers.

Les faux frères et les amis maladroits

Ainsi que nous l'avons démontré dans notre précédent article, rien ne saurait prévaloir contre la destinée providentielle du Spiritisme. De même que nul ne peut empêcher la chute de ce qui, dans les décrets divins : hommes, peuples ou choses, doit tomber, nul ne peut arrêter la marche de ce qui doit aller en avant. Cette vérité, par rapport au Spiritisme, ressort des faits accomplis, et bien plus encore d'un autre point capital. Si le Spiritisme était une simple théorie, un système, il pourrait être combattu par un autre système, mais il repose sur une loi de nature, tout aussi bien que le mouvement de la terre. L'existence des Esprits est inhérente à l'espèce humaine ; on ne peut donc faire qu'ils ne soient pas, et l'on ne peut pas plus leur interdire de se manifester qu'on ne peut empêcher l'homme de marcher. Ils n'ont besoin pour cela d'aucune permission, et se rient de toutes les défenses, car il ne faut pas perdre de vue qu'outre les manifestations médianimiques proprement dites, il y a les manifestations naturelles et spontanées, qui se sont produites dans tous les temps et se produisent tous les jours chez une foule de gens qui n'ont jamais entendu parler des Esprits. Qui pourrait donc s'opposer au développement d'une loi de nature ? Cette loi étant l'œuvre de Dieu, s'insurger contre elle, c'est se révolter contre Dieu. Ces considérations expliquent l'inutilité des attaques dirigées contre le Spiritisme. Ce que les Spirites ont à faire en présence de ces agressions, c'est de continuer paisiblement leurs travaux, sans forfanterie, avec le calme et la confiance que donne la certitude d'arriver au but.

Toutefois, si rien ne peut arrêter la marche générale, il est des circonstances qui peuvent y apporter des entraves partielles, comme un petit barrage peut ralentir le cours d'un fleuve sans l'empêcher de couler. De ce nombre sont les démarches inconsidérées de certains adeptes plus zélés que prudents, qui ne calculent pas assez la portée de leurs actes ou de leurs paroles ; par là ils produisent sur les personnes non encore initiées à la doctrine une impression défavorable, bien plus propre à les éloigner que les diatribes des adversaires. Le Spiritisme est sans doute très répandu, mais il le serait encore plus si tous les adeptes avaient toujours écouté les conseils de la prudence, et su se tenir dans une sage réserve. Il faut sans doute leur tenir compte de l'intention, mais il est certain que plus d'un a justifié le proverbe : Mieux vaut un ennemi avoué qu'un ami maladroit. Le pire de cela, c'est de fournir des armes aux adversaires qui savent habilement exploiter une maladresse. Nous ne saurions donc trop recommander aux Spirites de réfléchir mûrement avant d'agir ; en pareil cas la prudence commande de ne pas s'en rapporter à son opinion personnelle. Aujourd'hui que de tous côtés se forment des groupes ou sociétés, rien n'est plus simple que de se concerter avant d'agir. Le vrai Spirite, n'ayant en vue que le bien de la chose, sait faire abnégation d'amour-propre ; croire à sa propre infaillibilité, refuser de se rendre à l'avis de la majorité, et persister dans une voie qu'on démontre mauvaise et compromettante, n'est pas le fait d'un vrai Spirite ; ce serait faire preuve d'orgueil si ce n'était le fait d'une obsession.

Parmi les maladresses, il faut placer en première ligne les publications intempestives ou excentriques, parce que ce sont les faits qui ont le plus de retentissement. Aucun Spirite n'ignore que les Esprits sont loin d'avoir la souveraine science ; beaucoup d'entre eux en savent moins que certains hommes, et, comme certains hommes aussi, n'en ont pas moins la prétention de tout savoir. Ils ont sur toutes choses leur opinion personnelle qui peut être juste ou fausse ; or, comme les hommes encore, ce sont généralement ceux qui ont les idées les plus fausses qui sont les plus entêtés. Ces faux savants parlent de tout, échafaudent des systèmes, créent des utopies, ou dictent les choses les plus excentriques, et sont heureux de trouver des interprètes complaisants et crédules qui acceptent leurs élucubrations les yeux fermés. Ces sortes de publications ont de très graves inconvénients, car le médium abusé lui-même, séduit le plus souvent par un nom apocryphe, les donne comme des choses sérieuses dont la critique s'empare avec empressement pour dénigrer le Spiritisme, tandis qu'avec moins de présomption, il lui eût suffi de prendre conseil de ses collègues pour être éclairé. Il est assez rare que, dans ce cas, le médium ne cède pas à l'injonction d'un Esprit qui veut, hélas ! encore comme certains hommes, à toute force être imprimé ; avec plus d'expérience, il saurait que les Esprits vraiment supérieurs conseillent, mais ne s'imposent ni ne flattent jamais, et que toute prescription impérieuse est un signe suspect.

Lorsque le Spiritisme sera complètement assis et connu, les publications de cette nature n'auront pas plus d'inconvénients que les mauvais traités de science n'en ont de nos jours ; mais au début, nous le répétons, elles ont un côté très fâcheux. On ne saurait donc, en fait de publicité, apporter trop de circonspection, ni calculer avec trop de soin l'effet qui peut être produit sur le lecteur. En résumé, c'est une grave erreur de se croire obligé de publier tout ce que dictent les Esprits, puisque, s'il y en a de bons et d'éclairés, il y en a de mauvais et d'ignorants ; il importe de faire un choix très rigoureux de leurs communications, et d'élaguer tout ce qui est inutile, insignifiant, faux ou de nature à produire une mauvaise impression. Il faut semer, sans doute, mais semer de la bonne graine et en temps opportun.

Passons à un sujet plus grave encore, les faux frères. Les adversaires du Spiritisme, quelques-uns du moins, car il peut y en avoir de bonne foi, ne sont pas, comme on le sait, tous scrupuleux sur le choix des moyens ; tout est pour eux de bonne guerre, et quand on ne peut prendre une citadelle d'assaut, on la mine en dessous. A défaut de bonnes raisons, qui sont les armes loyales, on les voit tous les jours déverser sur le Spiritisme le mensonge et la calomnie. La calomnie est odieuse, ils le savent bien, et le mensonge peut être démenti, aussi cherchent-ils des faits pour se justifier ; mais comment trouver des faits compromettants chez des gens sérieux, si ce n'est en les produisant soi-même ou par des affiliés ? Le danger n'est pas dans les attaques à force ouverte ; il n'est ni dans les persécutions, ni même dans la calomnie, ainsi que nous l'avons vu ; mais il est dans les menées occultes employées pour discréditer et ruiner le Spiritisme par lui-même. Réussiront-ils? C'est ce que nous examinerons tout à l'heure.

Nous avons déjà appelé l'attention sur cette manœuvre dans la relation de notre voyage en 1862 (page 45), parce que, sur notre route, nous avons reçu trois baisers de Judas dont nous n'avons pas été dupe, quoique nous n'en ayons rien manifesté ; du reste nous en avions été prévenu avant notre départ, ainsi que des pièges qui nous seraient tendus. Mais nous avons gardé l'œil sur eux, certain qu'un jour ils montreraient le bout de l'oreille, car il est aussi difficile à un faux Spirite de contrefaire toujours le vrai Spirite, qu'à un mauvais Esprit de simuler un Esprit supérieur ; ni l'un ni l'autre ne peuvent soutenir longtemps leur rôle.

De plusieurs localités on nous signale des individus, hommes ou femmes, aux antécédents et aux accointances suspectes, dont le zèle apparent pour le Spiritisme n'inspire qu'une très médiocre confiance, et nous ne sommes pas surpris d'y rencontrer les trois Judas dont nous avons parlé : il y en a dans le bas et dans le haut de l'échelle. De leur part c'est souvent plus que du zèle ; c'est de l'enthousiasme, une admiration fanatique. Selon eux leur dévouement va jusqu'au sacrifice de leurs intérêts, et malgré cela ils n'attirent aucune sympathie : un fluide malsain semble les entourer ; leur présence dans les réunions y jette un manteau de glace. Ajoutons qu'il en est dont les moyens d'existence deviennent un problème, en province surtout où tout le monde se connaît.

Ce qui caractérise principalement ces prétendus adeptes, c'est leur tendance à faire sortir le Spiritisme des voies de la prudence et de la modération par leur ardent désir du triomphe de la vérité ; à pousser aux publications excentriques, à s'extasier d'admiration devant les communications apocryphes les plus ridicules, et qu'ils ont soin de répandre ; à provoquer, dans les réunions, des sujets compromettants sur la politique et la religion, toujours pour le triomphe de la vérité qu'il ne faut pas tenir sous le boisseau ; leurs éloges sur les hommes et les choses sont des coups d'encensoir à casser cinquante visages : ce sont les Fiers-à-bras du Spiritisme. D'autres sont plus doucereux et plus patelins ; sous leur regard oblique et avec des paroles mielleuses, ils soufflent la discorde tout en prêchant l'union ; ils jettent adroitement sur le tapis des questions irritantes ou blessantes, des sujets de nature à provoquer des dissidences ; ils excitent une jalousie de prépondérance entre les différents groupes, et seraient enchantés de les voir se jeter la pierre, et, à la faveur de quelques divergences d'opinion sur certaines questions de forme ou de fond, le plus souvent provoquées, élever drapeau contre drapeau.

Quelques-uns font, à leur dire, une effrayante consommation de livres spirites, dont les libraires ne s'aperçoivent guère, et une propagande à outrance ; mais, par l'effet du hasard, le choix de leurs adeptes est malheureux ; une fatalité les porte à s'adresser de préférence à des gens exaltés, aux idées obtuses, ou qui ont déjà donné des signes d'aberration ; puis, un cas échéant qu'ils déplorent en le criant partout, on constate que ces gens s'occupaient de Spiritisme, dont la plupart du temps ils n'ont pas compris le premier mot. Aux livres spirites que ces apôtres zélés distribuent généreusement, ils ajoutent souvent, non des critiques, ce serait maladroit, mais des livres de magie et de sorcellerie, ou des écrits politiques peu orthodoxes, ou des diatribes ignobles contre la religion, afin que, toujours un cas quelconque échéant, fortuit ou non, on puisse, dans une vérification, confondre le tout ensemble.

Comme il est plus commode d'avoir les choses sous la main, pour avoir des compères dociles, ce qu'on ne trouve pas partout, il en est qui organisent ou font organiser des réunions où l'on s'occupe de préférence de ce dont précisément le Spiritisme recommande de ne pas s'occuper, et où l'on a soin d'attirer des étrangers qui ne sont pas toujours des amis ; là le sacré et le profane sont indignement confondus ; les noms les plus vénérés sont mêlés aux pratiques les plus ridicules de la magie noire, avec accompagnement de signes et mots cabalistiques, talismans, trépieds sibyllins et autres accessoires ; quelques-uns y ajoutent, comme complément, et parfois comme produit lucratif, la cartomancie, la chiromancie, le marc de café, le somnambulisme payé, etc. ; des Esprits complaisants, qui y trouvent des interprètes non moins complaisants, prédisent l'avenir, disent la bonne aventure, découvrent les trésors cachés et les oncles d'Amérique, indiquent au besoin le cours de la Bourse et les numéros gagnants de la loterie ; puis, un beau jour, la justice intervient, ou bien on lit dans un journal le compte rendu d'une séance de Spiritisme auquel l'auteur a assisté et raconte ce qu'il a vu, de ses propres yeux vu.

Essayerez-vous de ramener tous ces gens-là à des idées plus saines ? Ce serait peine perdue, et l'on comprend pourquoi : la raison et le côté sérieux de la doctrine ne sont pas leur affaire ; c'est ce qui les chagrine le plus ; leur dire qu'ils nuisent à la cause, qu'ils donnent des armes à ses ennemis, c'est les flatter ; leur but étant de la discréditer en ayant l'air de la défendre. Instruments, ils ne craignent ni de compromettre les autres en les poussant sous le coup de la loi, ni de s'y placer eux-mêmes, parce qu'ils savent y trouver compensation.

Leur rôle n'est pas toujours identique ; il varie selon leur position sociale, leurs aptitudes, la nature de leurs relations et l'élément qui les fait agir ; mais le but est toujours le même. Tous n'emploient pas des moyens aussi grossiers, mais qui n'en sont pas moins perfides. Lisez certaines publications soi-disant sympathiques à l'idée, même en apparence défensive de l'idée, pesez-en toutes les pensées, et voyez si parfois à côté d'une approbation placée en guise de couverture et d'étiquette, vous ne découvrez pas, jetée comme par hasard, une pensée insidieuse, une insinuation à double sens, un fait rapporté d'une manière ambiguë et pouvant s'interpréter dans un sens défavorable. Dans le nombre il en est de moins gazées, et qui, sous le manteau du Spiritisme, sont évidemment faites en vue de susciter des divisions parmi les adeptes.

On nous demandera, sans doute, si toutes les turpitudes dont nous venons de parler sont invariablement le fait de manœuvres occultes, ou une comédie jouée dans un but intéressé, et si elles ne peuvent être aussi celui d'un mouvement spontané ; en un mot, si tous les Spirites sont des hommes de bon sens et incapables de se tromper ?

Prétendre que tous les Spirites sont infaillibles serait aussi absurde que la prétention de nos adversaires d'avoir seuls le privilège de la raison. Mais s'il en est qui se trompent, c'est donc qu'ils se méprennent sur le sens et le but de la doctrine ; dans ce cas, leur opinion ne peut faire loi, et il est illogique ou déloyal, selon l'intention, de prendre l'idée individuelle pour l'idée générale, et d'exploiter une exception. Il en serait de même si l'on prenait les aberrations de quelques savants pour les règles de la science. A ceux-là nous dirons : Si vous voulez savoir de quel côté est la présomption de vérité, étudiez les principes admis par l'immense majorité, si ce n'est encore l'unanimité absolue des Spirites du monde entier.

Les croyants de bonne foi peuvent donc se tromper, et nous ne leur faisons pas un crime de ne pas penser comme nous ; si, parmi les turpitudes rapportées ci-dessus, il en était qui fussent le fait d'une opinion personnelle, on ne pourrait y voir que des écarts isolés, regrettables, dont il serait injuste de faire retomber la responsabilité sur la doctrine qui les répudie hautement ; mais si nous disons qu'elles peuvent être le résultat de manœuvres intéressées, c'est que notre tableau est pris sur modèles. Or, comme c'est la seule chose que le Spiritisme ait véritablement à craindre pour le moment, nous invitons tous les adeptes sincères à se tenir sur leurs gardes en évitant les pièges qu'on pourrait leur tendre. A cet effet, ils ne sauraient être trop circonspects sur les éléments à introduire dans leurs réunions, ni repousser avec trop de soin toutes les suggestions qui tendraient à en dénaturer le caractère essentiellement moral. En y maintenant l'ordre, la dignité et la gravité qui conviennent à des hommes sérieux s'occupant d'une chose sérieuse, ils en fermeront l'accès aux malintentionnés qui s'en retireront quand ils reconnaîtront n'y avoir rien à faire. Par les mêmes motifs, ils doivent décliner toute solidarité, avec les réunions formées en dehors des conditions prescrites par la saine raison et les vrais principes de la doctrine, s'ils ne peuvent les ramener dans la bonne voie.

Comme on le voit, il y a certainement une grande différence entre les faux frères et les amis maladroits, mais, sans le vouloir, le résultat peut être le même : discréditer la doctrine. La nuance qui les sépare n'est souvent que dans l'intention, ce qui fait qu'on pourrait quelquefois les confondre, et, en les voyant servir les intérêts du parti adverse, supposer qu'ils ont été gagnés par lui. La circonspection est donc, en ce moment surtout, plus nécessaire que jamais, car il ne faut pas oublier que paroles actions ou écrits inconsidérés sont exploités, et que les adversaires sont enchantés de pouvoir dire que cela vient des Spirites.

Dans cet état de choses, on comprend quelles armes la spéculation, en raison des abus auxquels elle peut donner lieu, peut offrir aux détracteurs pour appuyer leur accusation de jonglerie. Ce peut donc, dans certains cas, être un piège tendu dont il faut se défier. Or, comme il n'y a pas de jonglerie philanthropique, l'abnégation et le désintéressement absolus des médiums enlèvent aux détracteurs un de leurs plus puissants moyens de dénigrement en coupant court à toute discussion sur ce sujet.

Pousser la défiance à l'excès serait un tort grave, sans doute, mais dans un temps de lutte, et quand on connaît la tactique de l'ennemi, la prudence devient une nécessité qui n'exclut, du reste, ni la modération, ni l'observation des convenances dont on ne doit jamais se départir. On ne saurait d'ailleurs se méprendre sur le caractère du vrai Spirite ; il y a chez lui une franchise d'allures qui défie toute suspicion, quand surtout elle est corroborée par la pratique des principes de la doctrine. Que l'on élève drapeau contre drapeau, comme cherchent à le faire nos antagonistes, l'avenir de chacun est subordonné à la somme de consolation et de satisfaction morale qu'ils apportent ; un système ne peut prévaloir sur un autre qu'à la condition d'être plus logique, ce dont l'opinion publique est le souverain juge ; dans tous les cas la violence, les injures et l'acrimonie sont de mauvais antécédents et une recommandation plus mauvaise encore.

Reste à examiner les conséquences de cet état de choses. Ces menées peuvent sans contredit apporter momentanément quelques perturbations partielles, c'est pourquoi il faut les déjouer autant que possible mais elles ne sauraient préjudicier à l'avenir ; d'abord parce qu'elles n'auront qu'un temps, puisqu'elles sont une manœuvre d'opposition qui tombera par la force des choses ; en second lieu que, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, on n'ôtera jamais à la doctrine son caractère distinctif, sa philosophie rationnelle ni sa morale consolante. On aura beau la torturer et la travestir, faire parler les Esprits à son gré, ou recueillir des communications apocryphes pour jeter des contradictions à la traverse, on ne fera pas prévaloir un enseignement isolé, fût-il vrai et non supposé, contre celui qui est donné de toutes parts. Le Spiritisme se distingue de toutes les autres philosophies en ce qu'il n'est pas le produit de la conception d'un seul homme, mais d'un enseignement que chacun peut recevoir sur tous les points du globe, et tel est la consécration qu'a reçue le Livre des Esprits. Ce livre, écrit sans équivoque possible et à la portée de toutes les intelligences, sera toujours l'expression claire et exacte de la doctrine, et la transmettra intacte à ceux qui viendront après nous. Les colères qu'il excite sont un indice du rôle qu'il est appelé à jouer, et de la difficulté de lui opposer quelque chose de plus sérieux. Ce qui a fait le rapide succès de la doctrine spirite, ce sont les consolations et les espérances qu'elle donne ; tout système qui, par la négation des principes fondamentaux, tendrait à détruire la source même de ces consolations, ne saurait être accueilli avec plus de faveur.

Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes, comme nous l'avons dit, au moment de la transition, et que nulle transition ne s'opère sans conflit. Qu'on ne s'étonne donc pas de voir s'agiter les passions en jeu, les ambitions compromises, les prétentions déçues, et chacun essayer de ressaisir ce qu'il voit lui échapper en se cramponnant au passé ; mais peu à peu tout cela s'éteint, la fièvre se calme, les hommes passent, et les idées nouvelles restent. Spirites, élevez-vous par la pensée, portez vos regards à vingt ans en avant, et le présent ne vous inquiétera pas.



Mort de M. Guillaume Renaud de Lyon

Le dimanche 1er février ont eu lieu, à Lyon, les obsèques de M. Guillaume Renaud, ancien officier, médaillé de Sainte-Hélène, l'un des plus anciens et des plus fervents Spirites de cette ville, très connu parmi ses frères en croyance. Quoiqu'il professât, sur quelques points de forme que nous avons combattus, et peu importants du reste et qui ne touchaient pas au fond de la doctrine, des idées particulières qui n'étaient pas partagées par tous, il n'en était pas moins généralement aimé et estimé à cause de la bonté de son caractère et de ses éminentes qualités morales, et si nous avions été à Lyon à ce moment nous eussions été heureux de jeter quelques fleurs sur sa tombe. Qu'il reçoive ici, ainsi que sa famille et ses amis particuliers, ce témoignage de notre affectueux souvenir.

M. Renaud, homme simple et modeste, n'était guère connu hors de Lyon, et pourtant sa mort a retenti jusque dans un village de la Haute-Saône, où elle a été racontée en chaire, le dimanche 8 février, de la manière suivante :

Le vicaire de la paroisse, entretenant ses paroissiens des horreurs du Spiritisme, ajouta que « le chef des Spirites de Lyon était mort depuis trois ou quatre jours ; qu'il avait refusé les sacrements ; qu'il n'y avait eu à son enterrement que deux ou trois Spirites, sans parents ni prêtres ; que si le chef des Spirites (faisant allusion à M. Allan Kardec) venait à mourir, il le plaindrait s'il faisait comme celui de Lyon. Puis il conclut en disant qu'il ne niait rien de cette doctrine, qu'il n'affirmait rien, si ce n'est que c'est le démon qui agit contre la volonté de Dieu. »

Si nous voulions relever toutes les faussetés que l'on débite sur le Spiritisme pour essayer de donner le change sur son but et son caractère, nous en remplirions notre Revue. Comme cela ne nous inquiète guère, nous laissons dire, nous bornant à recueillir les notes qu'on nous adresse pour les utiliser ultérieurement, s'il y a lieu, dans l'histoire du Spiritisme. Dans les circonstances dont nous venons de parler, il s'agit d'un fait matériel sur lequel M. le vicaire a sans doute été mal informé, car nous ne voulons pas supposer qu'il ait voulu sciemment induire en erreur. Il eût sans doute mieux fait de mettre moins d'empressement et d'attendre des renseignements plus exacts.

Nous ajouterons que, dans cette commune, on fit, il y a peu de temps, à propos de la mort d'un des habitants, répandre le bruit – quelque mauvais plaisant sans doute – que la société des Frères frappeurs, composée de sept à huit individus de la commune, voulait faire ressusciter les morts en leur mettant sur le front, des emplâtres, faits avec une pommade préparée par la Société spirite de Paris ; que cette société des Frères frappeurs allait visiter toutes les nuits le cimetière pour faire revivre les morts. Les femmes et les jeunes gens du quartier furent effrayés au point de ne plus oser sortir de leur maison dans la crainte de rencontrer le défunt.

Il n'en fallait pas davantage pour impressionner fâcheusement quelque cerveau faible ou maladif, et si un accident fût arrivé, on se serait empressé de le mettre sur le compte du Spiritisme.

Revenons à M. Renaud. Pendant sa maladie d'inutiles efforts furent tentés pour lui faire faire une abjuration authentique de ses croyances spirites. Néanmoins, un vénérable prêtre le confessa et lui donna l'absolution. Il est vrai qu'après cela on voulut retirer le billet de confession et que l'absolution fut déclarée nulle par le clergé de Saint-Jean comme ayant été donnée inconsidérément ; c'est un cas de conscience que nous ne nous chargeons pas de résoudre. D'où cette réflexion très juste, faite dans le public, que celui qui reçoit l'absolution avant de mourir ne peut savoir si elle est valable ou non, puisque avec les meilleures intentions un prêtre peut la donner d'une manière inconsidérée. Le clergé se refusa donc obstinément à recevoir le corps à l'église, M. Renaud n'ayant voulu rétracter aucune des convictions qui lui avaient donné tant de consolations et fait supporter avec résignation les épreuves de la vie.

Par un sentiment de convenance que l'on appréciera, et en raison des personnes que nous serions forcé de désigner, nous passons sous silence les regrettables manœuvres qui furent tentées, les mensonges qui furent débités pour provoquer au désordre en cette circonstance. Nous nous bornerons à dire qu'elles furent complètement déjouées par le bon sens et la prudence des Spirites, qui ont reçu à ce sujet des preuves de la bienveillance de l'autorité. Des recommandations avaient été faites par tous les chefs de groupes de ne répondre à aucune provocation.

Sur le refus du clergé d'accorder les prières de l'Eglise, le corps fut porté directement de la maison au cimetière, suivi de près de mille personnes, parmi lesquelles se trouvaient une cinquantaine de femmes et de jeunes filles, ce qui n'est pas dans les habitudes de Lyon. Sur la tombe une prière de circonstance a été lue par un des assistants et écoutée par tout le monde, la tête découverte, dans un religieux recueillement. La foule silencieuse s'est ensuite retirée, et tout s'est terminé, comme cela avait commencé, avec l'ordre le plus parfait.

Comme contraste nous dirons que notre ancien collègue, M. Sanson, a reçu tous les sacrements avant de mourir ; qu'il a été porté à l'église, et accompagné par un prêtre au cimetière, bien qu'il eût préalablement déclaré d'une manière formelle qu'il était Spirite et ne renierait aucune de ses convictions. « Si pourtant, lui dit le prêtre, je mettais cette condition à mon absolution, que feriez-vous? – J'en serais fâché, répondit M. Sanson, mais je persisterais, car votre absolution ne vaudrait rien. – Comment cela ? Vous ne croyez donc pas à l'efficacité de l'absolution ? – Si, mais je ne crois pas à la vertu d'une absolution reçue par hypocrisie. Ecoutez-moi : le Spiritisme n'est pas seulement pour moi une croyance, un article de foi, c'est un fait aussi patent que la vie. Comment voulez-vous que je nie un fait qui m'est démontré comme le jour qui nous éclaire, à qui je dois la guérison miraculeuse de ma jambe ? Si je le faisais, ce serait des lèvres et non de cœur ; je serais parjure : vous donneriez donc l'absolution à un parjure ; je dis qu'elle ne vaudrait rien, parce que vous la donneriez à la forme et non au fond. Voilà pourquoi je préférerais m'en passer. – Mon fils, reprit le prêtre, vous êtes plus chrétien que beaucoup de ceux qui disent l'être. »

Nous tenons ces paroles de M. Sanson lui-même.

Des circonstances semblables à celles de M. Renaud pouvant se représenter, là ou ailleurs, nous espérons que tous les Spirites suivront l'exemple de ceux de Lyon, et qu'en aucun cas ils ne se départiront de la modération qui est une conséquence des principes de la doctrine, et la meilleure réponse à faire à ses détracteurs qui ne cherchent que des prétextes pour motiver leurs attaques.

M. Renaud, évoqué dans le groupe central de Lyon, trente-six heures après sa mort, donna la communication suivante :

« Je suis encore un peu embarrassé pour me communiquer, et, bien que je trouve ici des visages amis et des cœurs sympathiques, je me sens presque honteux, ou, pour mieux dire, ma pensée est un peu jeune. Oh ! madame B…, quelle différence et que de changements dans ma position ! Merci bien pour votre constante affection ; merci, madame V…, pour vos bonnes visites, pour votre accueil.

Vous me demandez et vous voulez savoir ce qui m'est arrivé depuis hier. J'ai commencé à me détacher de mon corps vers le matin ; il me semblait que je m'évaporais ; je sentais mon sang se figer dans mes veines, et je croyais que j'allais m'évanouir ; peu à peu, j'ai perdu la perception des idées et je me suis endormi avec une certaine douleur compressive ; puis, je me suis éveillé, et alors j'ai vu tout autour de moi des Esprits qui m'entouraient, qui me fêtaient ; là j'ai eu un peu de confusion : je ne distinguais pas bien les morts et les vivants ; les larmes et les joies ont un peu troublé ma tête, et de tous côtés je m'entendais appeler, comme on m'appelle encore en ce moment. Oui, grâce aux vrais amis qui m'ont protégé, évoqué et encouragé dans ce dur passage, car il y a souffrance dans ce détachement, et ce n'est pas sans une douleur assez vive que l'Esprit quitte le corps, je comprends le cri d'arrivée, je m'explique le soupir du départ. J'ai déjà été évoqué plusieurs fois, et puis je suis fatigué comme un voyageur qui a passé la nuit.

Avant de partir, voulez-vous me permettre de revenir et de vous serrer la main à tous ?

G. Renaud. »

M. Renaud a été évoqué à la Société de Paris ; le défaut d'espace nous oblige à en ajourner la publication.

Réponse de la Société spirite de Paris sur les questions religieuses Extrait du procès-verbal de la séance du 13 février 1863
Il est donné communication d'une lettre adressée de Tonnay-Charente (Charente-Inférieure), à M. Allan Kardec, contenant les réponses dictées à un médium de cette ville sur les questions les plus délicates des dogmes de l'Église. Ces questions, adressées à l'Esprit de Jésus, fils de Dieu, évoqué à cet effet, sont les suivantes :

1° L'enfer est-il éternel ?

2° Veuillez mettre à la portée de mon intelligence l'explication que je vous ai demandée sur la cène qui a précédé votre Passion ?

3° Pourquoi votre Passion s'est-elle accomplie ?

4° Que dois-je penser de la communion ? Etes-vous dans l'hostie, mon Jésus?

5° Le pouvoir temporel, qu'a-t-il de commun avec le pouvoir spirituel pour n'en pouvoir être séparé ?

6° Qu'est-ce que l'amour a de si précieux pour être dans le cœur de tous les hommes ?

7° Qu'est-ce que l'histoire sacrée, et qui l'a faite ?

8° Que veut-on dire par ces paroles : histoire sacrée ?

L'auteur de la lettre demande que la Société se prononce en séance solennelle sur la valeur des réponses qu'il a obtenues, et sur l'authenticité du nom de l'Esprit qui les a données.

Le comité, après avoir examiné la question, propose la résolution suivante, dont il est donné lecture à la Société, qui l'approuve chaleureusement, à l'unanimité, et en demande l'insertion dans la Revue spirite pour l'instruction de tout le monde, et afin que l'on comprenne l'inutilité d'adresser à l'avenir des questions sur de pareils sujets.

Si l'auteur se fût borné à la première question, il suffirait de le renvoyer au Livre des Esprits, où elle est traitée. Du reste, la question est mal posée ; on ne sait s'il entend l'éternité d'un lieu d'expiation, ou celle des peines infligées à chaque individu.

Décision prise par la Société spirite de Paris sur les questions proposées par M. …, de Tonnay Charente, dans sa séance du 13 février 1863.

La Société spirite de Paris, après avoir pris connaissance de la lettre de M. …, et des questions sur lesquelles il désire qu'elle se prononce dans une séance solennelle, croit devoir rappeler à l'auteur de cette lettre que le but essentiel du Spiritisme est la destruction des idées matérialistes, et l'amélioration morale de l'homme ; qu'il ne s'occupe nullement de discuter les dogmes particuliers de chaque culte, laissant leur appréciation à la conscience de chacun ; que ce serait méconnaître ce but que d'en faire l'instrument d'une controverse religieuse dont l'effet serait de perpétuer un antagonisme qu'il tend à faire disparaître, en appelant tous les hommes sous le drapeau de la charité, et en les amenant à ne voir dans leurs semblables que des frères quelles que soient leurs croyances. S'il est, dans certaines religions des dogmes controversables, il faut laisser au temps et au progrès des lumières le soin de leur épuration ; le danger des erreurs qu'ils pourraient renfermer disparaîtra à mesure que les hommes feront du principe de la charité la base de leur conduite. Le devoir des vrais Spirites, de ceux qui comprennent le but providentiel de la doctrine, est donc, avant tout, de s'attacher à combattre l'incrédulité et l'égoïsme, qui sont les véritables plaies de l'humanité, et à faire prévaloir, autant par l'exemple que par la théorie, le sentiment de la charité, qui doit être la base de toute religion rationnelle, et servir de guide dans les réformes sociales ; les questions de fond doivent passer avant les questions de formes ; or, les questions de fond sont celles qui ont pour objet de rendre les hommes meilleurs, attendu que tout progrès social ou autre ne peut être que la conséquence de l'amélioration des masses ; c'est à cela que tend le Spiritisme, et par là il prépare les voies à tous les genres de progrès moraux. Vouloir agir autrement, c'est commencer un édifice par le faîte avant d'en asseoir les fondements ; c'est semer sur un terrain avant de l'avoir défriché.

Comme application des principes ci-dessus, la Société spirite de Paris s'est interdit par son règlement toutes les questions de controverses religieuses, de politique et d'économie sociale, et elle ne cèdera à aucune incitation qui tendrait à la faire dévier de cette ligne de conduite.

Par ces motifs, elle ne saurait émettre ni officiellement, ni officieusement d'opinions sur la valeur des réponses dictées au médium de M. …, ces réponses étant essentiellement dogmatiques, et même politiques, et encore moins en faire l'objet d'une discussion solennelle, ainsi que le demande l'auteur de la lettre.

Quant au livre devant traiter ces questions, et dont la publication est prescrite par l'Esprit qui l'a dicté, la Société n'hésite pas à déclarer qu'elle regarderait cette publication comme inopportune et dangereuse, en ce qu'elle ne pourrait que fournir des armes aux ennemis du Spiritisme ; elle croirait, en conséquence, de son devoir de la désavouer, comme elle désavoue toute publication propre à fausser l'opinion sur le but et les tendances de la doctrine.

En ce qui concerne la nature de l'Esprit qui a dicté ces communications, la Société croit devoir rappeler que le nom que prend un Esprit n'est jamais une garantie de son identité ; qu'on ne saurait voir une preuve de sa supériorité dans quelques idées justes qu'il émettrait, si avec ces idées il s'en trouve de fausses. Les Esprits vraiment supérieurs sont logiques et conséquents dans tout ce qu'ils disent ; or, ce n'est pas le cas de celui dont il s'agit ; sa prétention de croire que ce livre doit avoir pour conséquence d'engager le gouvernement à modifier certaines parties de sa politique, suffirait pour faire douter de son élévation et encore mieux du nom qu'il prend, parce que cela n'est pas rationnel. Son insuffisance ressort encore de deux autres faits non moins caractéristiques.

Le premier est qu'il est complètement faux que M. Allan Kardec ait reçu mission, ainsi que le prétend l'Esprit, d'examiner et de faire publier le livre dont il s'agit ; s'il a mission de l'examiner, ce ne peut être que pour en faire sentir les inconvénients et en combattre la publication.

Le second fait est dans la manière dont l'Esprit exalte la mission du médium, ce que ne font jamais les bons Esprits, et ce que font, au contraire, ceux qui veulent s'imposer en captant la confiance par quelques belles paroles, à l'aide desquelles ils espèrent faire passer le reste.

En résumé, il demeure évident pour la Société que le nom dont se pare l'Esprit, qui dit être le Christ, est apocryphe ; elle croit devoir engager l'auteur de la lettre ainsi que son médium à ne pas se faire illusion sur ces communications, et à se renfermer dans le but essentiel du Spiritisme.

François-Simon Louvet, du Havre

La communication suivante a été donnée spontanément dans une réunion spirite, au Havre, le 12 février 1863 :

« Auriez-vous pitié d'un pauvre misérable qui souffre depuis si longtemps de si cruelles tortures ! Oh ! le vide… l'espace… je tombe, je tombe, au secours ! Mon Dieu, j'ai eu une si misérable vie !… J'étais un pauvre diable, je souffrais souvent la faim dans mes vieux jours ; c'est pour cela que je m'étais mis à boire et j'avais honte et dégoût de tout… J'ai voulu mourir et je me suis jeté… Oh ! mon Dieu, quel moment !… Pourquoi donc désirer d'en finir quand j'étais si près du terme ? Priez ! pour que je ne voie plus toujours un vide au-dessous de moi… Je vais me briser sur ces pierres. Je vous en conjure, vous qui avez connaissance des misères de ceux qui ne sont plus ici-bas, je m'adresse à vous, quoique vous ne me connaissiez pas, parce que je souffre tant… Pourquoi vouloir avoir des preuves ? Je souffre, n'est-ce pas assez ? Si j'avais faim au lieu de cette souffrance plus terrible, mais invisible pour vous, vous n'hésiteriez pas à me soulager en me donnant un morceau de pain. Je vous demande de prier pour moi. Je ne puis rester davantage. Demandez à un de ces heureux qui sont ici, et vous saurez qui j'étais. Priez pour moi. »

François-Simon Louvet.



Aussitôt, à la suite de cette communication, l'Esprit protecteur du médium dit : « Celui qui vient de s'adresser à toi, mon enfant, est un pauvre malheureux qui avait une épreuve de misère sur la terre, mais le dégoût l'a pris, le courage lui a failli, et l'infortuné, au lieu de regarder en haut ainsi qu'il aurait dû le faire, s'est adonné à l'ivrognerie, est descendu aux dernières limites du désespoir, et a mis un terme à sa triste épreuve en se jetant de la tour de François Ier, le 22 juillet 1857. Ayez pitié de sa pauvre âme, qui n'est pas avancée, mais qui a cependant assez de connaissance de la vie future pour souffrir et désirer une nouvelle épreuve. Priez Dieu de lui accorder cette grâce, et vous ferez une bonne œuvre. Je suis heureux de vous voir réunis, mes chers enfants ; je suis avec vous lorsque vous vous réunissez ainsi. Je suis toujours prêt à vous donner mes enseignements ; si un bon Esprit ne pouvait se communiquer à vous par manque de rapports physiques, je serais son intermédiaire ; mais vous êtes entourés de bons Esprits, et je les laisse vous instruire. Persévérez dans la voie du Seigneur et vous serez bénis. Prenez patience dans les épreuves, ne vous rebutez pas de faire le bien par l'ingratitude des hommes. Bientôt les hommes seront meilleurs et les temps en sont proches. Adieu, mes bien aimés, je vous suis en tous vos chagrins comme dans vos joies. La paix soit sur vous. »

Ton Esprit protecteur.



Des recherches ayant été faites, on trouva dans le Journal du Havre du 23 juillet 1857 l'article suivant, dont voici la substance :

« Hier à quatre heures, les promeneurs de la jetée ont été douloureusement impressionnés par un affreux accident : un homme s'est élancé de la tour et est venu se briser sur les pierres. C'est un vieux haleur, que ses penchants à l'ivrognerie ont conduit au suicide. Il se nomme François-Victor-Simon Louvet. Son corps a été transporté chez une de ses filles, rue de la Corderie, et il était âgé de soixante-sept ans. »

Remarque. Un incrédule, à qui ce fait médianimique était rapporté comme preuve de la réalité des communications d'outre-tombe, répondit : « Mais qui sait si le médium n'avait pas connaissance du Journal du Havre, et s'il n'a pas bâti son roman sur cette anecdote ? » La supercherie, comme on le voit, est toujours le dernier retranchement des négateurs quand ils ne peuvent se rendre compte d'un fait dont l'évidence matérielle ne peut être révoquée en doute ; avec eux, il ne suffit même pas de leur montrer qu'on n'a rien dans les mains, rien dans les poches, car, disent-ils, les escamoteurs en font autant, et cependant ils défient la perspicacité de l'observateur.

A cela, nous demanderons à notre tour quel intérêt pouvait avoir le médium à jouer la comédie ? On ne peut même pas ici supposer un intérêt d'amour-propre dans une chose qui se passe dans l'intimité de la famille, alors qu'on ne tromperait que soi-même et les siens. D'ailleurs, lorsqu'on veut s'amuser, on ne prend pas des sujets de cette nature, fort peu récréatifs, et il n'est pas admissible qu'une jeune femme pieuse mêle le nom de Dieu à une grossière plaisanterie. Le désintéressement absolu et l'honorabilité de la personne sont les meilleures garanties de sincérité et la réponse la plus péremptoire à faire en pareil cas.

Nous ferons en outre remarquer le châtiment infligé à ce suicidé. Depuis tantôt six ans qu'il est mort, il se voit toujours tombant de la tour et allant se briser sur les pierres ; il s'épouvante du vide qu'il a devant lui ; et cela depuis six ans ! Combien cela durera-t-il ? il n'en sait rien, et cette incertitude augmente ses angoisses. Cela ne vaut-il pas l'enfer et ses flammes ? Qui nous a révélé ces châtiments ? les avons-nous inventés ? Non ; ce sont ceux mêmes qui les endurent qui viennent les décrire, comme d'autres décrivent leurs joies.

Entretiens d'outre-tombe - Clara Rivier. Société spirite de Paris, 23 Janvier 1863. – Médium, M. Leymarie

M. J… médecin à …, (Gard), nous transmet le fait suivant :

« Une famille de laboureurs, mes voisins de campagne, avaient une jeune fille de dix ans, nommée Clara, complètement infirme depuis quatre ans. Pendant toute sa vie elle n'a jamais fait entendre une seule plainte, ni donné un seul signe d'impatience ; quoique dépourvue d'instruction, elle consolait sa famille affligée en l'entretenant de la vie future et du bonheur qu'elle devait y trouver. Elle est morte en septembre 1862, après quatre jours de tortures et de convulsions, pendant lesquelles elle n'a pas cessé de prier Dieu. « Je ne crains pas la mort, disait-elle puisqu'une vie de bonheur m'est réservée après. » Elle disait à son père, qui pleurait : « Console-toi ; je reviendrai te visiter ; mon heure est proche, je le sens ; mais quand elle arrivera, je le saurai et te préviendrai d'avance. » En effet, lorsque le moment fatal fut sur le point de s'accomplir, elle appela tous les siens en disant : « Je n'ai plus que cinq minutes à vivre ; donnez-moi vos mains. » Et elle expira comme elle l'avait annoncé.

Depuis lors, un Esprit frappeur est venu visiter la maison des époux Rivier, où il bouleverse tout ; il frappe la table, comme s'il avait une massue ; il agite les draperies et les rideaux, remue la vaisselle et joue aux boules dans les greniers. Cet Esprit apparaît sous la forme de Clara à la jeune sœur de celle-ci, qui n'a que cinq ans. D'après cette enfant, sa sœur lui a souvent parlé, et ce qui exclut tout sentiment d'incertitude à cet égard, c'est que les apparitions lui font pousser des cris de joie, ou des lamentations si l'on ne fait pas de suite ce qu'elle désire, c'est-à-dire éteindre le feu et toutes les lumières dans la chambre où a lieu la vision, pendant laquelle l'enfant ne cesse de dire : « Mais voyez donc comme Clara est jolie ! »

« Le père Rivier désirant savoir ce que voulait Clara, celle-ci demanda qu'on lui rendit les cheveux qu'on lui avait coupés, selon l'usage du pays ; mais, bien que les parents aient satisfait à ce désir en portant ses cheveux sur sa tombe, l'Esprit a continué ses visites et son tapage, dont j'ai été témoin moi-même, au point que les voisins et les amis s'en sont émus. J'ai alors fait la morale aux parents en leur demandant s'ils n'avaient rien à se reprocher envers quelqu'un, ou commis quelque action déloyale ; qu'il était probable que l'Esprit les tourmenterait tant qu'ils n'auraient pas réparés leurs fautes, et que je leur conseillais d'y aviser sérieusement.

Pendant une absence de dix jours que j'ai été forcé de faire, l'obsession a pris un caractère plus violent, au point que Rivier a eu à subir des luttes corps à corps et a été renversé sur le sol. La frayeur s'est emparée de ces malheureux, et ils sont allés consulter un médium qui leur a conseillé de faire une aumône générale à tous les pauvres du pays, aumône qui a duré deux jours. Je vous en ferai connaître le résultat ; en attendant, je serai bien heureux de recevoir vos conseils à ce sujet. »



1. Évocation de Clara Rivier. – R. Je suis près de vous, disposée à répondre.

2. D'où vous venaient, quoique si jeune et sans instruction, les idées élevées que vous exprimiez sur la vie future avant votre mort ? – R. Du peu de temps que j'avais à passer sur votre globe et de ma précédente incarnation. J'étais médium lorsque je quittai la terre, et j'étais médium en revenant parmi vous. C'était une prédestination ; je sentais et je voyais ce que je disais.

3. Comment se fait-il qu'une enfant de votre âge n'ait poussé aucune plainte pendant quatre années de souffrances ? – R. Parce que la souffrance physique était maîtrisée par une puissance plus grande, celle de mon ange gardien, que je voyais continuellement près de moi ; il savait alléger tout ce que je ressentais ; il rendait ma volonté plus forte que la douleur.

4. Comment avez-vous été prévenue de l'instant de votre mort ? – R. Mon ange gardien me le disait ; jamais il ne m'a trompée.

5. Vous avez dit à votre père : « Console-toi, je viendrai te visiter. » Comment se fait-il qu'animée d'aussi bons sentiments pour vos parents, vous veniez les tourmenter après votre mort, en faisant du tapage chez eux ? – R. J'ai sans doute une épreuve, ou plutôt une mission à remplir. Si je viens revoir mes parents, croyez-vous que ce soit pour rien ? Ces bruits, ce trouble, ces luttes amenées par ma présence sont un avertissement. Je suis aidée par d'autres Esprits dont la turbulence a une portée, comme j'ai la mienne en apparaissant à ma sœur. Grâce à nous, bien des convictions vont naître. Mes parents avaient une épreuve à subir ; elle cessera bientôt, mais seulement après avoir porté la conviction dans une foule d'esprits.

6. Ainsi ce n'est pas vous personnellement qui causez ce trouble ? – R. Je suis aidée par d'autres Esprits qui servent à l'épreuve réservée à mes chers parents.

7. Comment se fait-il que votre sœur vous ait reconnue, si ce n'est pas vous qui produisez ces manifestations ? – R. Ma sœur n'a vu que moi. Elle possède maintenant une seconde vue, et ce n'est pas la dernière fois que ma présence viendra la consoler et l'encourager.

8. L'aumône générale qui a été conseillée à vos parents aura-t-elle pour effet de faire cesser cette obsession ? – R. L'obsession finira quand le temps voulu pour cela sera arrivé ; mais, croyez-le, la prière et la foi donnent une grande force pour maîtriser l'obsession ; l'aumône est elle-même une prière ; elle sert à consoler, et par là nous aide à porter la conviction dans bien des cœurs ; c'est par la foi que nous devons relever et sauver toute une population ; qu'importe si les ennemis du Spiritisme crient au démon ! Ce cri a de tout temps poussé à le connaître, et pour un qui fléchit, il y en a cent que la curiosité entraîne à étudier. L'obsession et la subjugation sont, il est vrai, des épreuves pour celui qui en est l'objet, mais en même temps c'est une route ouverte aux convictions nouvelles. Ces faits forcent à parler des Esprits, dont on ne peut nier l'existence en voyant ce qu'ils font.



Remarque. Il parait évident que, dans cette circonstance, l'aumône conseillée aux époux Rivier était à la fois une épreuve pour eux, plus ou moins profitable selon la manière dont elle aura été faite, et un moyen d'appeler l'attention d'un plus grand nombre de personnes sur ces phénomènes. C'est un moyen de prouver que le Spiritisme n'est pas l'œuvre du démon puisqu'il conseille le bien et la charité pour combattre ce qu'on appelle les démons. Que peuvent les adversaires du Spiritisme contre des manifestations de ce genre? On peut défendre de s'occuper des Esprits, mais on ne peut empêcher les Esprits de venir, et la preuve en est, c'est que ces manifestations se produisent dans les maisons même où l'on ne cherche certes pas à les provoquer, et qui, par leur réputation de sainteté, sembleraient devoir les défier, si c'était le diable. Contre des faits il n'y a ni opposition ni négation qui puissent prévaloir : d'où il faut conclure que le Spiritisme doit suivre son cours.



9. Pourquoi, si jeune, avez-vous été affligée de tant d'infirmités ? – R. J'avais des fautes antérieures à expier ; j'avais mésusé de la santé et de la position brillante dont je jouissais dans ma précédente incarnation ; alors Dieu m'a dit : « Tu as joui grandement, démesurément, tu souffriras de même ; tu étais orgueilleuse, tu seras humble ; tu étais fière de ta beauté et tu seras brisée ; au lieu de la vanité tu t'efforceras d'acquérir la charité et la bonté. » J'ai fait selon la volonté de Dieu, et mon ange gardien m'a aidée.

10. Voudriez-vous faire dire quelque chose à vos parents ? – R. A la demande d'un médium, mes parents ont fait beaucoup de charité ; ils ont eu raison de ne pas toujours prier des lèvres : il faut le faire de la main et du cœur. Donner à ceux qui souffrent, c'est prier, c'est être Spirite.

Dieu a donné à toutes les âmes le libre arbitre, c'est-à-dire la faculté de progresser ; à toutes il a donné la même aspiration, et c'est pour cela que la robe de bure touche de plus près la robe brochée d'or qu'on ne le pense généralement. Aussi, rapprochez les distances par la charité ; introduisez le pauvre chez vous, encouragez-le, relevez-le, ne l'humiliez pas. Si l'on savait pratiquer partout cette grande loi de la conscience, on n'aurait pas, à des époques déterminées, ces grandes misères qui déshonorent les peuples civilisés, et que Dieu envoie pour les châtier et pour leur ouvrir les yeux.

Chers parents, priez Dieu ; aimez-vous ; pratiquez la loi du Christ : ne pas faire aux autres ce que vous ne voudriez pas qui vous fût fait ; implorez Dieu qui vous éprouve, en vous montrant que sa volonté est sainte et grande comme lui. Sachez, en prévision de l'avenir, vous armer de courage et de persévérance, car vous êtes appelés encore à souffrir ; il faut savoir mériter une bonne position dans un monde meilleur, où la compréhension de la justice divine devient la punition des mauvais Esprits.

Je serai toujours près de vous, chers parents. Adieu, ou plutôt au revoir. Ayez la résignation, la charité, l'amour de vos semblables, et vous serez heureux un jour.

Clara.



Remarques. – C'est une belle pensée que celle-ci : « La robe de bure touche de plus près qu'on ne croit à la robe brochée d'or. » C'est une allusion aux Esprits qui, d'une existence à l'autre, passent d'une position brillante à une position humble ou misérable, car souvent ils expient dans un milieu infime l'abus qu'ils ont fait des dons que Dieu leur avait accordés. C'est une justice que tout le monde comprend.

Une autre pensée, non moins profonde, est celle qui attribue les calamités des peuples à l'infraction à la loi de Dieu, car Dieu châtie les peuples comme il châtie les individus. Il est certain que s'ils pratiquaient la loi de charité, il n'y aurait ni guerres, ni grandes misères. C'est à la pratique de cette loi que conduit le spiritisme ; serait-ce donc pour cela qu'il rencontre des ennemis si acharnés ? Les paroles de cette jeune fille à ses parents, sont-elles celles d'un démon ?

Photographie des Esprits

Le Courrier du Bas-Rhin du samedi 3 janvier 1863 (partie allemande) contient l'article suivant, sous le titre de Photographie spectrale :

« Les Américains, qui nous devancent en bien des choses, nous surpassent certainement dans l'art de la photographie et l'évocation des Esprits. A Boston, non seulement aujourd'hui les défunts sont appelés par des médiums, mais ils sont encore photographiés. On doit cette découverte merveilleuse à un sieur William Mumler, de Boston.

Il y a quelque temps, c'est lui-même qui le raconte, j'essayais dans mon laboratoire un nouvel appareil de photographie en faisant ma propre photographie ; soudain, je sentis une certaine pression s'exercer sur mon bras droit, et une lassitude générale dans tout le corps. Mais qui décrirait mon étonnement lorsque je vis mon portrait reproduit, et que je trouvai à sa droite l'image d'une deuxième personne, qui n'était autre que ma cousine défunte ? La ressemblance du portrait, au dire de ceux qui connaissaient cette dame, ne laisse rien à désirer.

La suite en est que M. Mumler, depuis cette époque, ne donne plus à ses clients, non seulement que des séances spiritualistes, mais exécute encore pour eux les photographies des défunts évoqués. Elles sont ordinairement un peu ternes et nuageuses, et les traits assez difficiles à reconnaître, ce qui n'empêche pas les habitants de Boston, éclairés, de les déclarer vraies, authentiques. Qui regarderait de si près pour des images spectrales ! »

Une pareille découverte, si elle était réelle, aurait assurément des conséquences immenses, et serait un des faits de manifestations les plus remarquables ; nous engageons toutefois à l'accueillir avec une prudente réserve ; les Américains qui, au dire de l'auteur, nous surpassent en tant de choses, nous ont appris qu'ils nous distancent aussi de beaucoup dans l'invention des canards.

Pour quiconque connaît les propriétés du périsprit, la chose, au premier abord, ne paraît pas matériellement impossible ; on voit surgir tant de choses extraordinaires qu'il ne faudrait s'étonner de rien. Les Esprits nous ont annoncé des manifestations d'un nouvel ordre, plus surprenantes encore que celles qu'on a vues ; celle-ci serait incontestablement de ce nombre ; mais, encore une fois, jusqu'à constatation plus authentique qu'un récit de journal, il est prudent de rester dans le doute. Si la chose est vraie, elle se vulgarisera ; en attendant, il faut se garder de donner créance à tous les récits merveilleux que les ennemis même du Spiritisme se plaisent à répandre pour le rendre ridicule ainsi que ceux qui les acceptent trop facilement. Il faut, en outre, y regarder à plus de deux fois avant d'attribuer aux Esprits tous les phénomènes insolites qu'on ne peut expliquer ; un examen attentif y montre, le plus souvent, une cause toute matérielle qu'on n'avait pas aperçue. C'est une recommandation expresse que nous faisons dans le Livre des Médiums.

A l'appui de ce que nous venons de dire, et à propos de la photographie spirite, nous citerons l'article suivant tiré de la Patrie du 23 février 1863. Il ne peut que mettre en garde contre les jugements précipités.

« Un jeune lord, qui porte un des noms les plus anciens et les plus illustres de la chambre haute, et dont le goût passionné pour la photographie vaut de grands et d'heureux succès à cet art qui, peut-être, est encore une science plutôt qu'un art, un jeune lord, dis-je, venait de perdre sa sœur qu'il aimait d'une extrême tendresse. Frappé au cœur et jeté dans le profond découragement que trop souvent produit le chagrin, il laissa là ses appareils photographiques, quitta l'Angleterre, fit un long voyage sur le continent, et ne rentra dans sa résidence presque royale du Lancashire qu'après une absence de près de quatre ans.

Son désespoir, comme il arrive d'ordinaire, était passé de l'état aigu à l'état chronique, c'est-à-dire que, sans avoir perdu de son intensité, il avait perdu de sa violence, et qu'il se transformait peu à peu en une morne résignation.

Quand ceux qui souffrent cherchent des consolations, ils s'adressent d'abord à Dieu, et ensuite au travail. Le jeune lord reprit donc peu à peu le chemin de son laboratoire, et revint à ses appareils de photographie.

Par une sorte de transaction avec sa douleur, la première image qu'il songea à faire dessiner par la lumière fut l'intérieur de la chapelle où reposait la dépouille mortelle de sa sœur. Le négatif obtenu, il rentra dans son laboratoire, fit subir à la plaque de verre les préparations ordinaires, et exposa le cliché à la lumière pour en obtenir une épreuve.

En jetant les yeux sur cette épreuve, il faillit tomber évanoui. L'intérieur de la chapelle était venu avec une grande netteté de dessin, mais la tête de la jeune miss défunte apparaissait vaguement dans la partie la moins éclairée de la photographie. On distinguait parfaitement ses traits doux et charmants, et même les longues draperies de ses vêtements ; cependant, à travers ces draperies les moindres détails de la chapelle s'accusaient nettement.

Le premier mouvement du lord fut de croire à une apparition, mais bientôt il sourit tristement en secouant la tête. En effet, il se rappelait que quelques années auparavant, sur cette même plaque de verre, il avait fait un portrait photographique de sa sœur. Ce portrait, n'ayant point réussi, il l'avait effacé, et sans doute mal effacé, puisque ses contours vagues se confondaient aujourd'hui avec la nouvelle image imposée sur la plaque.

En Angleterre, quelques artistes exploitent cette application bizarre de la photographie ; ils fabriquent et vendent des images doubles dont les bizarres accouplements produisent des effets étranges ou plaisants. On nous a montré entre autres un château en ruines au-dessous duquel transparaissaient son parc, ses façades et ses tourelles, tels qu'ils devaient exister avant sa destruction.

On fait encore des portraits de vieillards, à travers desquels on leur figure telle qu'elle était au plus beau temps de la jeunesse. »





Variétés

L'Akhbar, journal d'Alger, du 10 février 1863, contient l'article suivant :

« Mgr l'évêque d'Alger vient de publier, pour le carême de 1863, une instruction pastorale où il est question du Spiritisme, ce sujet fort à l'ordre du jour, sur lequel le clergé d'Afrique avait gardé jusqu'ici le silence. Voici les passages qui y sont relatifs ;

« C'est le démon qui dicte à des philosophes renommés ces doctrines malsaines de deux principes égaux, le bien et le mal, gouvernant avec la même autorité, mais dans un sens opposé : l'esprit et la matière ; du matérialisme qui rapporte tout au corps et ne connaît plus rien après la tombe ; du scepticisme, qui doute de tout ; du fatalisme, qui excuse tout, en niant la liberté et la responsabilité humaine ; de la métempsycose, de la magie et de l'évocation des Esprits, tristes et honteux systèmes que des intelligences dévoyées cherchent à faire revivre de nos jours… (Page 21.)

Quelle histoire lamentable ne ferait-on pas des entreprises diaboliques, à dater du cénacle, en partant de la synagogue et des jongleries de Simon le magicien, pour arriver, à travers les persécutions, les schismes, les hérésies et les incrédulités de toute nature, au Spiritisme de nos jours, si sottement renouvelé d'un paganisme antérieur à Moïse et par lui justement flétri comme une abomination devant Dieu. » (Page 24.)

Ceux qui aiment à entendre les deux parties, dans toute question en litige, ont entière facilité de le faire, car le Spiritisme théorique et pratique est amplement expliqué dans le Livre des Esprits et le Livre des Médiums, deux ouvrages qui se trouvent dans toutes les librairies d'Alger. Si l'on veut même pousser ses études plus loin, on peut ajouter à cette petite bibliothèque la Revue spirite, par Allan Kardec. C'est, il nous semble, le meilleur moyen de s'assurer si le Spiritisme est, en effet, une œuvre du démon ; ou si, au contraire, c'est une révélation sous une forme nouvelle, comme le prétendent ses adeptes. »

Ariel.



M. Home est venu à Paris, où il n'est resté que peu de jours. On nous demande de divers côtés des renseignements sur les phénomènes extraordinaires qu'il aurait produits devant d'augustes personnages, et dont quelques journaux ont parlé vaguement. Ces choses s'étant passées dans l'intimité, il ne nous appartient pas de révéler ce qui n'a aucun caractère officiel, et encore moins d'y mêler certains noms. Nous dirons seulement que les détracteurs ont exploité cette circonstance, comme beaucoup d'autres, pour essayer de jeter le ridicule sur le Spiritisme par des récits absurdes, sans respect ni pour les personnes, ni pour les choses. Nous ajouterons que le séjour de M. Home à Paris, aussi bien que la qualité des maisons où il a été reçu, est un démenti formel donné aux infâmes calomnies d'après lesquelles il aurait été expulsé de Paris, comme dans le temps, pendant une absence qu'il fit, on avait fait courir le bruit qu'il était enfermé à Mazas pour causes graves, alors qu'il était tranquillement à Naples pour sa santé. Calomnie ! toujours la calomnie ! Il est bien temps que les Esprits viennent en purger la terre.

Nous renvoyons nos lecteurs aux articles détaillés que nous avons publiés sur M. Home et ses manifestations dans les numéros de février, mars et avril 1858 de la Revue spirite.



Un article publié dans le Monde illustré sur les soi-disant médiums américains, M. et madame Girroodd, a également motivé plusieurs demandes de renseignements. Nous n'avons rien à ajouter à ce que nous avons dit à ce sujet dans la Revue spirite de 1862, numéro de février, page 52, sinon que nous avons vu par nous-même, et qu'on voit chez Robert Houdin des choses non moins inexplicables quand on ne connaît pas la ficelle. Aucun Spirite ou magnétiseur, connaissant les conditions normales dans lesquelles se produisent les phénomènes, ne peut prendre ces choses au sérieux, ni perdre son temps à les discuter sérieusement.

Certains adversaires maladroits ont voulu exploiter ces tours d'adresse contre les phénomènes Spirites, en disant que, puisqu'ils peuvent être imités, c'est qu'ils n'existent pas, et que tous les médiums, à commencer par M. Home, sont d'habiles prestidigitateurs. Ils ne font pas attention qu'ils donnent à l'incrédulité des armes contre eux-mêmes, puisqu'on pourrait retourner l'argument contre la plupart des miracles. Sans relever ce qu'il y a d'illogique dans cette conclusion, et sans discuter à nouveau ces phénomènes, nous dirons simplement qu'il y a entre les prestidigitateurs et les médiums la différence du gain au désintéressement, de l'imitation à la réalité, de la fleur artificielle à la fleur naturelle. Nous ne pouvons pas plus empêcher un escamoteur de se dire médium que de se dire physicien. Nous n'avons à prendre la défense d'aucune exploitation de ce genre, et nous la livrons à la critique.





Poésies spirites

Pourquoi se plaindre? (Groupe spirite de Pau. – Médium, M. T…)

Dieu créa l'homme actif, intelligent et libre,

Et le fit l'artisan de son propre destin.

Il ouvrit devant lui deux routes qu'il peut suivre :

L'une va vers le mal et l'autre vers le bien.

La première des deux est douce en apparence ;

Pour la suivre, il ne faut aucun pénible effort :

Sans étude ni soins, vivre dans l'indolence,

A ses instincts brutaux laisser un libre essor,

Voilà tout ce qu'il faut. – La seconde, au contraire,

Veut de constants efforts, un travail soutenu,

Et les soins vigilants, et la recherche austère,

La raison dégagée et l'instinct contenu.

L'homme, libre en son choix, peut prendre la première,

Croupir dans l'ignorance et l'immoralité ;

Préférer au devoir la passion grossière,

A la raison, l'instinct et la brutalité.

Ou bien il peut, prêtant une oreille docile

A la voix qui lui dit : « Tu fus fait pour grandir,

Pour progresser et non pour rester immobile, »

Dans la seconde entrer plein d'un noble désir.

Selon qu'il se décide il voit sa destinée

Sombre se dérouler sous son oeil éperdu,

Ou bien lui souriant comme la fiancée

Sourit à l'homme heureux à qui son cœur est dû.

Si vous faites le mal, vous pourrez en ce monde

La richesse acquérir, les titres, les honneurs ;

Mais le calme de l'âme, et cette joie profonde

Qui naît des saints désirs et réjouit les cœurs

S'enfuiront pour toujours ; et du remords, poignante,

Vous poursuivra la voix au milieu des festins,

Mêlant pour les troubler sa note discordante

A vos chants de triomphe, à vos joyeux refrains.

Puis, quand aura sonné pour vous l'heure fatale,

Quand l'Esprit dégagé du corps qui l'enfermait

Rentrera de nouveau dans la sphère morale

Où la vérité luit et l'erreur disparaît,

Où le sophisme impur, la lâche hypocrisie

Ne trouvent point d'accès, où tout est lumineux,

Fantôme accusateur, votre coupable vie

Surgira devant vous pour vous suivre en tous lieux.

Vos crimes deviendront vos bourreaux, et vous, riche,

Vous vous sentirez nu ; puissant, abandonné ;

Vous fuirez effaré, tremblant comme la biche

Fuit devant le chasseur à sa perte acharné.

Peut-être qu'ivre alors d'orgueil et de souffrance,

Vers Dieu vous pousserez un cri blasphémateur,

L'accusant de vos maux ; mais votre conscience

Puissante élèvera cet autre cri vengeur :

« Cesse de blasphémer, homme, dans ta démence.

Quand Dieu te créa libre, actif, intelligent,

Pour toi seul dans le monde il borna sa puissance,

Et de ton propre sort il te fit l'artisan.

Ta volonté suffit pour transformer en joie

Le mal que tu ressens. Contemple, radieux,

Celui qui du devoir suivit la sainte voie,

Qui lutta, qui vainquit, et qui conquit les cieux.

Pour prix du même effort, la même récompense

T'attend. – Pourquoi te plaindre alors ? Ravise-toi.

De ce Dieu juste et bon implore l'assistance ;

Travaille, lutte, prie, et le ciel est à toi. »


Un Esprit protecteur.


Remarque. – Nous passons condamnation sur quelques irrégularités de versification en faveur des pensées.

La mère et l'enfant (Société spirite de Bordeaux, 6 juillet 1862. – Médium, M. Ricard.)

Dans un Berceau reposait un bel ange

Tout rose et blanc, qu'en chantant on berçait ;

Sa jeune mère, au doux regard d'Archange,

Ivre d'amour sur cet enfant veillait !…

Oh ! qu'il est beau ce fils de mes tendresses !…

Dors, cher enfant, ta mère est près de toi…

A ton réveil tes premières caresses

Et tes baisers, ami, seront pour moi !…

Oh ! qu'il est beau !… Mon Dieu, prenez ma vie

Si vous devez m'enlever cet enfant…

Gardez-le-moi, Seigneur, je vous en prie !…

Déjà sa bouche a murmuré : Maman ! ! !…

Ce mot si doux… ce mot que l'on épie,

Comme au printemps un rayon de soleil…

Ce mot d'amour dont la douce harmonie

Quand on l'entend nous fait rêver du ciel !…

Oh ! de ses bras quand je suis entourée ;

Quand sur mon sein je sens battre son cœur,

Je suis heureuse, et mon âme enivrée

De vos élus partage le bonheur…

C'est tout pour moi… Cet enfant, c'est mon rêve !

Vivre pour lui… toute en lui, c'est mon sort.

De mon amour la vivifiante sève

De ce berceau doit écarter la mort ! ! !…

Bientôt, mon Dieu, soutenu par sa mère

Je le verrai former ses premiers pas !…

Oh ! jour heureux… qu'impatiente, j'espère…

Je crains toujours que tu n'arrives pas !

Et puis encor, dans ma douce espérance,

Je le vois grand, honoré, vertueux,

Ayant gardé de sa timide enfance

La pureté qui doit le rendre heureux.

Oh ! qu'il est beau !… Mon Dieu, prenez ma vie

Si le malheur doit frapper cet enfant !

A mon amour, laissez-le, je vous prie,

Déjà sa bouche a murmuré : Maman ! !…

Mais il est froid… et sa lèvre est pâlie !

Réveille-toi, cher enfant de mon cœur !

Viens sur le sein qui te donna la vie…

Il est glacé… Je frissonne et j'ai peur ! !

Ah ! c'en est fait ! il a cessé de vivre !

Malheur sur moi ! car je n'ai plus d'enfant !

Dieu sans pitié… de rage je suis ivre…

Vous n'êtes pas un Dieu juste et puissant !

Que vous a fait cet ange d'innocence

Pour le ravir sitôt à mon amour ?…

J'abjure ici toute sainte croyance…

Et sous vos yeux vais mourir à mon tour…



Mère !… c'est moi !… c'est mon âme envolée

Que l'Éternel renvoie auprès de toi.

Maudis, ma mère, une rage insensée ;

Reviens à Dieu… je t'apporte la Foi !…

Incline-toi devant l'arrêt du Maître.

Mère coupable, en un passé lointain…

Tu fis mourir l'enfant que tu fis naître :

Dieu te punit !… courbe-toi sous sa main !

Tiens, prends ce livre ; il calmera ta peine.

Ce livre saint… dicté par les Esprits,

Si tu le lis… ô mère, sois certaine

Qu'un jour au ciel tu reverras ton fils ! ! !


Ton ange gardien.



La souscription reste ouverte.

Souscription rouennaise.
Montant des souscriptions versées au bureau de la Revue spirite, et publiées dans le numéro de février. .... 1 491 fr. 40 c.

NOUVEAUX VERSEMENTS JUSQU'AU 28 FÉVRIER :

Société spirite de Paris (elle était portée sur la liste de fé vrier pour 423 fr., et sur celle-ci pour 317 fr.; total 740 fr.) 317

Sociétés et groupes spirites divers. —Montreuil-sur-Mer, 74 fr. (portée sur la liste de février, mais non comprise dans l'addition, par erreur.) —Mescher-sur-Girond, 32 fr. 50 c. Carmaux (Tarn), 20 fr. — Monterai et Saint-Gemme (Tarn), 40 fr.—Chauny (Aisne), 40 fr.— Metz, 50 fr.— Bordeaux (so ciété et groupes Roux et Petit), 70 fr. —Albi (Tarn), 20 fr. — Tours, 103 fr. 30 c. - Angoulême, 18 fr 467 80

Divers abonnés (Paris). —MM. L..., 5 fr.; Hobach, 40 fr. ; Nant etBreul (Passy), 100 fr.; Doit, 1 fr. ; Aumont. libraire (2e versement), 5fr.; Dufaux, 5 fr.; Mazaroz, 20 fr.; Quey- ras, 3fr.; X..., 25 fr.; docteur Houat, 20 fr.; Dufilleul, offi ciers de cuirassiers , 10 fr.; X... (Saint-Junien), 1 fr.; L. D..., 2 fr.; X..., 5 fr.; Moreau, pharmacien (Niort), 10 fr.; Blin, capitaine (Marseille), 10 fr. (figure sur la liste de février pour 20 fr. au lieu de 10 fr., qui ont seuls été comptés dans l'ad dition); J. L... (Digne), 3 fr.; docteur Reignier (Thionville), 7 fr. 50 c.; madame Wilson Klein (grand-duché de Bade), 20 fr.; B... (Saint-Jean d'Angely),2 fr.; A. .. (Versailles), 1 f.; Y... (Versailles), 2 fr.; S... (Dole), 2 fr.; Mariner, officier d'état-major (Orléans), 10 fr.; Gevers (Anvers), 10 fr. C. Babin (de Champblanc, par Cognac), 40 fr 369 50

Spiriles et français de Barcelone (Espagne).— MM. Jaune Ricart et fils, 52 fr. 50 c.; Micolier, 5 fr. ; Luis Nuty, 5 fr. ; Jean Regembat, 5 fr.; Alex. Wigle, photographe, 5 fr. ; Ch. Soujol, 2fr. 60c.;X..., 1 fr. 25 c 76 35

(Avec la somme de 489 fr. 35 c. portée sur la liste de fé vrier, cela fait, pour Barcelone, un total de 565 fr. 70 c.)

Total 2722 05

Errata. — Sur la liste de février, au lieu de Lausat (de Condom), lisez Loubat. — Aulieu de Frothier (de Poitiers), lisez Frottier. —Au lieu deBodin (de Cognac), lisez Babin.

La souscription reste ouverte.

Sur le montant de cette somme, la Revue spiritf a versé le 6 février, à la souscription ouverte par l'Opinion nationale, 2216 fr. 40 c., suivant la note insérée dans la quatorzième liste publiée par ce journal, le 1 5 février.

Nous ferons remarquer que la plupart des groupes et sociétés ont versé à la souscription ouverte dans leur localité. On nous envoie entre autres, de Lyon, la liste suivante des souscriptions recueillies dans différentes réunions spirites.

Groupe Desprêle, cours Charlemagne, 57 fr. 95 c. ; id. des Travailleurs, 93 fr. 30 c.; id. Viret, 26 fr.; id. delà Croix-Rousse, 31 fr. 10 c.; id. Roussel, 48 fr. 30 c.; id. Central, 123 fr.; réunion privée, 15 fr. 25 c.; autre id. 32 fr. 50 c.; autre id. (Edoux), 22 fr.; souscriptions isolées, 316 fr. 50 c.— Total, 765fr. 90 c.

La Société de Saint-Jean d'Angely a versé à la souscription ouverte à la sous-préfecture, 100 fr.

ALLANKARDEC




Avril

Étude sur les possédés de Morzines
Les causes de l'obsession et les moyens de la combattre.
Quatrième article

Dans une seconde édition de sa brochure sur l'épidémie de Morzines[1], M. le docteur Constant répond à M. de Mirville qui a critiqué son scepticisme à l'endroit des démons, et lui reproche de n'avoir pas été sur les lieux. « Il s'est arrêté, dit-il, à Thonon, non certes qu'il ait eu peur des diables, mais du chemin, et ne se croit pas moins l'homme le mieux renseigné. Il me reproche encore, ainsi qu'à un autre médecin, d'être parti de Paris avec une opinion toute faite ; je puis à bon droit, s'il veut bien me le permettre, lui renvoyer ce reproche : nous serons alors ex æquo sur ce point. »

Nous ne savons si M. de Mirville y serait allé avec le parti irrévocablement pris de ne voir aucune affection physique chez les malades de Morzines, mais il est bien évident que M. Constant y est allé avec celui de n'y voir aucune cause occulte. Le parti pris, dans un sens quelconque, est la plus mauvaise condition pour un observateur, car alors il voit tout et rapporte tout à son point de vue, négligeant ce qui peut y être contraire ; ce n'est certes pas le moyen d'arriver à la vérité. L'opinion bien arrêtée de M. Constant touchant la négation des causes occultes ressort de ce qu'il repousse à priori comme erronées toute observation et toute conclusion qui s'écarte de sa manière de voir, dans les comptes rendus faits avant le sien. Ainsi, tandis que M. Constant insiste avec force sur la constitution débile, lymphatique et rachitique des habitants, l'insalubrité du pays, la mauvaise qualité et l'insuffisance de la nourriture, M. Arthaud, médecin en chef des aliénés de Lyon, qui fut envoyé à Morzine, dit dans son rapport : « que la constitution des habitants est bonne, que les scrofules sont rares ; malgré toutes ses recherches, il n'a pu découvrir qu'un seul cas d'épilepsie et un d'imbécillité. » Mais, réplique M. Constant, « M. Arthaud n'a passé que très peu de jours dans ce pays, il n'a dû voir qu'une trop faible partie de la population, et il est très difficile d'obtenir des renseignements sur les familles. »

Un autre rapport s'exprime ainsi sur le même sujet :

« Nous soussignés…, déclarons qu'ayant entendu parler des faits extraordinaires présentés comme des possessions de démons qui avaient lieu à Morzines, nous nous sommes transportés dans cette paroisse où nous sommes arrivés le 30 septembre dernier (1857), pour être témoins de ce qui s'y passe et pour examiner tout cela avec maturité et prudence, en nous éclairant par tous les moyens que fournit la présence sur les lieux, à l'effet de pouvoir former un jugement raisonnable en pareille matière.

1o Nous avons vu huit enfants qui sont délivrés et cinq qui sont en état de crise ; la plus jeune de ces enfants a dix ans et la plus âgée vingt-deux.

2o D'après tout ce qu'on nous a dit et ce que nous avons pu observer, ces enfants sont dans l'état de santé le plus parfait ; elles font tous les ouvrages et les travaux que demande leur position, de sorte qu'on ne voit pour les autres habitudes et les occupations aucune différence entre elles et les autres enfants de la montagne.

3o Nous avons vu ces enfants, les enfants non guéries, dans les moments lucides ; or, nous pouvons assurer que rien n'a pu être observé en elles, soit en fait d'idiotisme, soit en fait de prédispositions aux crises actuelles, par des travers de caractère ou par un esprit exalté. Nous appliquons la même observation à celles qui sont guéries. Toutes les personnes que nous avons consultées sur les antécédents et les premières années de ces enfants, nous ont assuré que ces filles étaient, sous le rapport de l'intelligence, dans le plus parfait état.

4o Le plus grand nombre de ces enfants appartient à des familles qui sont dans une honnête aisance de fortune.

5o Nous assurons qu'elles appartiennent à des familles qui jouissent d'une bonne réputation, et qu'il y en a parmi elles dont la vertu et la piété sont exemplaires. »

Nous donnerons tout à l'heure la suite de ce rapport concernant certains faits. Nous voulions simplement constater que tout le monde n'a pas vu les choses sous des couleurs aussi noires que M. Constant qui représente les habitants comme étant dans la dernière misère, et de plus entêtés, processifs et menteurs, quoique bons dans le fond, et surtout pieux, ou plutôt dévots. Or, qui a raison de M. Constant seul, ou de plusieurs autres non moins honorables qui certifient avoir bien observé ? Nous n'hésitons pas, pour notre compte, à nous ranger de l'avis de ces derniers, d'après ce que nous avons vu, et d'après ce que nous ont dit plusieurs autorités médicales et administratives du pays, et à maintenir l'opinion émise dans nos précédents articles.

Pour nous, la cause première n'est donc ni dans la constitution ni dans le régime hygiénique des habitants, car, ainsi que nous l'avons fait observer, il y a maintes contrées, à commencer par le Valais limitrophe, où les conditions de toute nature, morales et autres, sont infiniment plus défavorables, et où, cependant, cette maladie n'a point sévi. Nous la verrons tout à l'heure circonscrite, non à la vallée, mais dans les limites de la seule commune de Morzines. Si, comme l'affirme M. Constant, la cause est inhérente à la localité, au genre de vie et a l'infériorité morale des habitants, nous demandons encore pourquoi l'effet est épidémique au lieu d'être endémique comme le goitre et le crétinisme dans le Valais ? Pourquoi les épidémies du même genre dont parle l'histoire se sont produites dans des maisons religieuses où l'on ne manquait de rien, et qui se trouvaient dans les meilleures conditions de salubrité ?

Voici du reste le tableau que M. Constant fait du caractère des Morzinois.

« Un séjour prolongé, des visites successives et journalières dans chaque maison à peu près, m'ont permis d'arriver à d'autres constatations.

Les habitants de Morzine sont doux, honnêtes et d'une grande piété ; il serait peut-être plus vrai de dire d'une grande dévotion.

Ils sont entêtés et renoncent difficilement à une idée qu'ils ont adoptée, ce qui, à bien d'autres inconvénients, ajoute celui de les rendre processifs : autre source de gêne et de misère, car les conciliations sont rares ; mais ce n'est que par exceptions bien éloignées que la justice criminelle trouve chez eux des justiciables.

Ils ont un air grave et sérieux qui semble un reflet de l'âpre nature qui les entoure, et qui leur imprime une sorte de cachet particulier qui les ferait prendre pour les membres d'une vaste communauté religieuse ; leur existence en effet diffère peu de celle d'un couvent.

Ils seraient intelligents, si leur jugement n'était obscurci par une foule de croyances absurdes ou exagérées, par un entraînement invincible vers le merveilleux, que leur ont légué les siècles passés et dont n'a pas su les guérir le siècle présent.

Tous aiment les contes, les histoires impossibles ; bien que foncièrement honnêtes, il en est qui mentent avec un aplomb imperturbable pour soutenir ce qu'ils ont avancé en ce genre. Si bien qu'ils finissent, j'en suis persuadé, par mentir de bonne foi, par croire à leurs propres mensonges sans cesser de croire à ceux des autres. Pour être juste, il faut dire que le plus grand nombre ne ment même pas, on ne fait que raconter inexactement ce qu'on a vu. »

A nos yeux, la cause est indépendante des conditions physiques des hommes et des choses. Si nous formulons cette opinion, ce n'est pas un parti pris de voir partout l'action des Esprits, car nul n'admet leur intervention avec plus de circonspection que nous, mais par l'analogie que nous remarquons entre certains effets et ceux qui nous sont démontrés être le résultat évident d'une cause occulte. Mais, encore une fois, comment admettre cette cause quand on ne croit pas à l'existence des Esprits ? Comment admettre, avec Raspail, les affections occasionnées par les animalcules microscopiques, si l'on nie l'existence de ces animaux, parce qu'on ne les a pas vus ? Avant l'invention du microscope, Raspail eût passé pour un fou de voir partout des bêtes ; aujourd'hui qu'on est bien plus éclairé, on ne voit pas les Esprits ; il ne manque cependant à beaucoup, pour cela, que de mettre des lunettes.

Nous ne nions pas qu'il y ait, dans l'affection dont il s'agit, des effets pathologiques, parce que l'expérience nous en montre souvent en pareil cas, mais nous disons qu'ils sont consécutifs et non causatifs. Qu'un médecin spirite ait été envoyé à Morzines, il y aurait vu ce que d'autres n'ont pas vu, sans négliger pour cela les faits physiologiques.

Après avoir parlé de M. de Mirville qui, dit-il, s'est arrêté en route, M. Constant ajoute :

« M. Allan Kardec a fait le voyage complet. Dans les numéros de décembre 1862 et janvier 1863 de sa Revue Spirite, il a déjà publié deux articles, mais ce ne sont que des préliminaires ; l'examen des faits viendra avec le numéro de février. En attendant, il nous avertit que l'épidémie de Morzines est semblable à celle qui sévissait en Judée du temps du Christ. C'est bien possible.

Au risque d'encourir le blâme de quelques lecteurs qui trouveront que j'eusse probablement mieux fait de ne pas parler des Spirites, j'engage vivement ceux qui voudront bien lire cette brochure, à lire le même sujet dans les auteurs que je viens de citer.

Il ne faudrait pas cependant se méprendre sur le but de mon invitation ; plus il y aura de lecteurs sérieux des œuvres du Spiritisme, et plus tôt il sera fait justice complète d'une croyance, d'une science, dit-on, sur laquelle je pourrais peut-être risquer une opinion, après avoir tant de fois constaté un de ses résultats : le contingent assez remarquable qu'elle fournit, chaque année, à la population de nos asiles d'aliénés. »

On peut voir par là avec quelles idées M. Constant est allé à Morzines. Nous ne chercherons certes pas à l'amener à notre opinion, nous lui dirons seulement que le résultat de la lecture des ouvrages spirites est démontré par l'expérience tout autre qu'il ne l'espère, puisque cette lecture, au lieu de faire prompte justice de cette prétendue science, en multiplie les adeptes chaque année par milliers ; qu'on les compte aujourd'hui dans le monde entier par cinq ou six millions, dont le dixième environ en France seulement. S'il objectait que ce sont tous des sots et des ignorants, nous lui demanderions pourquoi cette doctrine compte au nombre de ses plus fermes partisans un si grand nombre de médecins dans tous les pays, ce qu'atteste notre correspondance, le nombre des médecins abonnés à la Revue, et de ceux qui président ou font partie des groupes et sociétés spirites, sans parler du nombre non moins grand des adeptes appartenant à des positions sociales où l'on n'arrive que par l'intelligence et l'instruction. Ceci est un fait matériel qu'il n'est au pouvoir de personne de nier ; or, comme tout effet a une cause, la cause de cet effet c'est que le Spiritisme ne semble pas à tout le monde aussi absurde qu'il plaît à quelques-uns de le dire. – C'est malheureusement vrai, s'écrient les adversaires de la doctrine ; aussi n'avons-nous plus qu'à nous voiler la face sur le sort de l'humanité qui marche à sa décadence.

Reste la question de folie, aujourd'hui le loup-garou à l'aide duquel on cherche à effrayer les populations, qui ne s'en émeuvent guère, comme on peut le voir. Quand ce moyen sera épuisé, on en imaginera sans doute un autre ; en attendant, nous renvoyons à l'article publié dans le numéro de février 1863, sous le titre de : la Folie Spirite, page 51.

Les premiers symptômes de l'épidémie de Morzines se sont déclarés au mois de mars 1857, sur deux petites filles d'une dizaine d'années ; au mois de novembre suivant, le nombre des malades était de vingt-sept, et en 1861 il atteignit le chiffre maximum de cent vingt.

Si nous rendions compte des faits d'après ce que nous avons vu, on pourrait dire que nous n'avons vu que ce que nous avons voulu voir ; d'ailleurs, nous sommes arrivé au déclin de la maladie, et nous n'y sommes point resté assez longtemps pour tout observer. En citant les observations des autres, on ne nous accusera pas de ne voir que par nos yeux.

Nous empruntons au rapport dont nous avons donné ci-dessus un extrait, les observations suivantes :

« Ces enfants parlent la langue française pendant leurs crises avec une facilité étonnante, même celles qui, hors de là, n'en savent que quelques mots.

Ces enfants, une fois dans leurs crises, perdent complètement toute réserve envers qui que ce soit ; elles perdent aussi complètement toute affection de famille.

La réponse est toujours si prompte et si facile, qu'on dirait qu'elle vient au-devant de l'interrogation ; cette réponse est toujours ad rem, excepté quand le parleur répond par des bêtises, par des insultes ou un refus affecté.

Pendant la crise, le pouls reste calme, et, dans la plus grande fureur, le personnage a l'air de se posséder, comme quelqu'un qui appellerait la colère à son commandement, sans ressembler aux personnes exaltées ou prises d'un accès de fièvre.

Nous avons remarqué pendant les crises une insolence inouïe qui passe toute expression, dans des enfants qui, hors de là, sont douces et timides.

Pendant la crise, il y a dans toutes ces enfants un caractère d'impiété permanent porté au delà de toutes les limites, dirigé contre tout ce qui rappelle Dieu, les mystères de la religion, Marie, les saints, les sacrements, la prière, etc. ; le caractère dominant de ces moments affreux, c'est la haine de Dieu et de tout ce qui s'y rapporte.

Il nous est bien constaté que ces enfants révèlent des choses qui arrivent au loin, ainsi que des faits passés dont elles n'avaient aucune connaissance ; elles ont aussi révélé à plusieurs personnes leurs pensées.

Elles annoncent quelquefois le commencement, la durée et la fin des crises, ce qu'elles feront plus tard et ce qu'elles ne feront pas.

Nous savons qu'elles ont donné des réponses exactes à des questions adressées en langues à elles inconnues, allemand, latin, etc.

Ces enfants ont, dans l'état de crise, une force qui n'est pas proportionnée à leur âge, puisqu'il faut trois ou quatre hommes pour tenir, pendant les exorcismes, des petites filles de dix ans.

Il est à remarquer que, pendant la crise, les enfants ne se font aucun mal, ni par les contorsions qui semblent de nature à disloquer leurs membres, ni par les chutes qu'elles font, ni par les coups qu'elles se donnent en frappant avec violence.

Il y a toujours invariablement dans leurs réponses, la distinction de plusieurs personnages : la fille et lui, le démon et le damné.

Hors de la crise, ces enfants n'ont aucun souvenir de ce quelles ont dit ou de ce qu'elles ont fait ; soit que la crise ait duré même toute une journée, soit qu'elles aient fait des ouvrages prolongés ou des commissions données dans l'état de crise.

Pour conclure nous dirons :

Que notre impression à nous est que tout cela est surnaturel, dans la cause et dans les effets ; d'après les règles de la saine logique, et d'après tout ce que la théologie, l'histoire ecclésiastique et l'Evangile nous enseignent et nous racontent,

Nous déclarons que, selon nous, il y a une véritable possession du démon.

En foi de quoi,

Signé : ***.

Morzines, 5 octobre 1857. »



Voici comment M. Constant décrit l'état de crise des malades, d'après ses propres observations :

« Au milieu du calme le plus complet, rarement la nuit, il survient tout à coup des bâillements, des pandiculations, quelques tressaillements, de petits mouvements saccadés et d'aspect choréique dans les bras ; peu à peu, et dans un très court espace de temps, comme par l'effet de décharges successives, ces mouvements deviennent plus rapides, ensuite plus amples, et ne paraissent bientôt plus qu'une exagération des mouvements physiologiques ; la pupille se dilate et se resserre tour à tour, et les yeux participent aux mouvements généraux.

A ce moment, les malades, dont l'aspect avait d'abord paru exprimer la frayeur, entrent dans un état de fureur qui va toujours croissant, comme si l'idée qui les domine produisait deux effets presque simultanés : de la dépression et de l'excitation tout aussitôt.

Elles frappent sur les meubles avec force et vivacité, commencent à parler, ou plutôt à vociférer ; ce qu'elles disent toutes à peu près, quand on ne les surexcite pas par des questions, se réduit à ces mots indéfiniment répétés : « S… nom ! s… ch… gne ! s… rouge ! » (Elles appellent rouges ceux à la piété desquels elles ne croient pas.) Quelques-unes ajoutent des jurements.

Si près d'elles ne se trouve aucun spectateur étranger ; s'il ne leur est pas fait de questions, elles répètent sans cesse la même chose sans rien ajouter ; si c'est le contraire, elles répondent à ce que dit le spectateur, et même aux pensées qu'elles lui prêtent, aux objections qu'elles prévoient, mais sans s'écarter de leur idée dominante, en y rapportant tout ce qu'elles disent. Ainsi c'est souvent : Ah ! tu crois, b… d'incrédule, que nous sommes folles, que nous n'avons qu'un mal d'imagination ! Nous sommes des damnées, s… n… de D… ! Nous sommes des diables de l'enfer ! »

Et comme c'est toujours un diable qui parle par leur bouche, le prétendu diable raconte quelquefois ce qu'il faisait sur la terre, ce qu'il a fait depuis en enfer, etc.

Devant moi elles ajoutaient invariablement :

Ce ne sont pas tes s… médecins qui nous guériront ! Nous nous f… bien de tes médecines ! Tu peux bien les faire prendre à la fille, elles la tourmenteront, elles la feront souffrir ; mais à nous, elles ne nous feront rien, car nous sommes des diables ! Ce sont de saints prêtres, des évêques qu'il nous faut, etc. »

Ce qui ne les empêche point d'insulter les prêtres quand il s'en présente, sous prétexte qu'ils ne sont pas assez saints pour avoir action sur les démons. Devant le maire, des magistrats, c'était toujours la même idée, mais avec d'autres paroles.

A mesure qu'elles parlent, toujours avec la même véhémence, toute leur physionomie n'a d'autre caractère que celui de la fureur. Quelquefois le cou se gonfle, la face s'injecte ; chez d'autres, elle pâlit, tout comme il arrive aux personnes ordinaires qui, selon leur constitution, rougissent ou pâlissent pendant un violent accès de colère ; les lèvres sont souvent souillées de salive, ce qui a fait dire que les malades écumaient.

Les mouvements, bornés d'abord aux parties supérieures, gagnent successivement le tronc et les membres intérieurs ; la respiration devient haletante ; les malades redoublent de fureur, deviennent agressives, déplacent les meubles et lancent chaises, tabourets, tout ce qui leur tombe sous la main, sur les assistants ; se précipitent sur eux pour les frapper, aussi bien leurs parents que les étrangers ; se jettent à terre, toujours continuant les même cris ; se roulent, frappent les mains sur le sol, se frappent elles-mêmes sur la poitrine, le ventre, sur la partie antérieure du cou, et cherchent à arracher quelque chose qui semble les gêner en ce point. Elles se tournent et se retournent d'un bond ; j'en ai vu deux qui, se relevant comme par la détente d'un ressort, se renversaient en arrière, de telle façon que leur tête reposait sur le sol en même temps que leurs pieds.

Cette crise dure plus ou moins, dix, vingt minutes, une demi-heure, selon la cause qui l'a provoquée. Si c'est la présence d'un étranger, d'un prêtre surtout, il est très rare qu'elle finisse avant que la personne se soit éloignée ; dans ce cas les mouvements convulsifs ne sont cependant pas continus ; après avoir été très violents, ils s'affaiblissent et s'arrêtent pour recommencer immédiatement, comme si la force nerveuse épuisée prenait un moment de repos pour se réparer.

Pendant la crise, le pouls, les battements du cœur, ne sont nullement accélérés, c'est même le plus ordinairement le contraire : le pouls se concentre, devient petit, lent, et les extrémités se refroidissent ; malgré la violence de l'agitation, les coups furieux frappés de tous côtés, les mains restent glacées.

Contrairement à ce qui s'est vu souvent dans des cas analogues, aucune idée érotique ne se mêle ou ne paraît s'ajouter à l'idée démoniaque ; j'ai même été frappé de cette particularité, parce qu'elle est commune à toutes les malades : aucune ne dit le moindre mot ou ne fait le moindre geste obscène : dans leurs mouvements les plus désordonnés, jamais elles ne se découvrent, et si leurs vêtements se relèvent un peu quand elles se roulent à terre, il est très rare qu'elles ne les rabattent presque aussitôt.

Il ne paraît point qu'il y ait ici lésion de la sensibilité génitale ; aussi il n'a jamais été question d'incubes, de succubes ou de scènes du sabbat ; toutes les malades appartiennent, comme démonomanes, au second des quatre groupes indiqués par M. Macario ; quelques-unes entendent la voix des diables, beaucoup plus généralement ils parlent par leur bouche.

Après le grand désordre, les mouvements deviennent peu à peu moins rapides ; quelques gaz s'échappent par la bouche, et la crise est finie. La malade regarde autour d'elle d'un air un peu étonné, arrange ses cheveux, ramasse et replace son bonnet, boit quelques gorgées d'eau, et reprend son ouvrage, si elle en tenait un quand la crise a commencé ; presque toutes disent n'éprouver aucune lassitude et ne pas se souvenir de ce qu'elles ont dit ou fait.

Cette dernière assertion n'est pas toujours sincère ; j'en ai surpris quelques-unes se souvenant très bien, seulement elles ajoutaient : « Je sais bien qu'il (le diable) a dit ou fait telle chose, mais ce n'est pas moi ; si ma bouche a parlé, si mes mains ont frappé, c'était lui qui les faisait parler et frapper ; j'aurais bien voulu rester tranquille, mais il est plus fort que moi. »

Cette description est celle de l'état le plus fréquent ; mais entre les extrêmes, il existe plusieurs degrés, depuis la malade qui n'a que des crises de douleurs gastralgiques, jusqu'à celle qui arrive au dernier paroxysme de la fureur. Cette réserve faite, je n'ai trouvé, sur toutes les malades que j'ai visitées, de différences dignes d'être notées que chez quelques-unes seulement.

L'une, la nommée Jeanne Br…, quarante-huit ans, non mariée, très vieille hystérique, sent des bêtes qui ne sont autres que des diables qui lui courent sur la figure et la piquent.

La femme Nicolas B…, âgée-de trente-huit ans, malade depuis trois ans, aboie pendant ses crises ; elle attribue sa maladie à un verre de vin qu'elle a bu en compagnie d'un de ceux qui donnent le mal.

Jeanne G…, âgée de trente-sept ans, non mariée, est celle dont les crises diffèrent le plus. Elle n'a point de ces mouvements cloniques généraux qui se voient chez toutes les autres, et elle ne parle presque jamais. Dès qu'elle sent venir sa crise, elle va s'asseoir et se met à balancer la tête d'arrière en avant ; les mouvements, lents et peu étendus d'abord, vont toujours s'accélérant, et finissent par faire parcourir à la tête, avec une incroyable rapidité, un arc de cercle de plus en plus étendu, jusqu'à ce qu'elle vienne alternativement et régulièrement frapper le dos et la poitrine. Par intervalles le mouvement s'arrête un instant, et les muscles contractés maintiennent la tête fixée dans la position où elle se trouvait au moment du temps d'arrêt, sans qu'il soit possible, même avec des efforts, de la redresser ou de la fléchir.

Victoire V…, âgée de vingt ans, devint malade l'une des premières, à l'âge de seize ans. Son père raconte ainsi ce qu'elle a éprouvé :

Elle n'avait jamais rien ressenti, quand le mal la prit un jour à la messe ; pendant les deux ou trois premiers jours, elle ne faisait que sauter un peu. Un jour elle m'apportait mon dîner à la cure où je travaillais, l'Angélus sonna comme elle arrivait sur le pont ; elle se mit aussitôt à sauter, et se jeta par terre en criant et en gesticulant, jurant après le sonneur. Le curé de Montriond se trouva là par hasard, elle l'injuria, l'appela s… ch… de Montriond. M. le curé de Morzines vint aussi près d'elle au moment où la crise finissait, mais elle recommença aussitôt, parce qu'il lui fit un signe de croix sur le front. On l'avait exorcisée souvent, mais voyant que rien ne la guérissait, pas plus les exorcismes qu'autre chose, je la conduisis à Genève chez M. Lafontaine (le magnétiseur) ; elle y est restée un mois, et est revenue bien guérie : elle a été tranquille près de trois ans.

Il y a six semaines elle a été reprise, mais elle n'avait plus de crise ; elle ne voulait voir personne et s'enfermait à la maison ; elle ne mangeait que quand j'avais quelque chose de bon à lui donner, autrement elle ne pouvait avaler. Elle ne pouvait se tenir sur ses jambes, ni à peine remuer les bras ; j'ai essayé plusieurs fois de la mettre debout, mais elle ne se sentait pas, et tombait dès que je ne la tenais plus. Je me suis décidé à la reconduire chez M. Lafontaine ; je ne savais comment l'emmener ; elle me dit : « Quand je serai sur la commune de Montriond, je marcherai bien. » Aidé d'un de mes voisins, nous l'avons portée plutôt qu'elle n'a marché jusqu'à Montriond. Mais aussitôt de l'autre côté du pont, elle a marché toute seule et ne se plaignit plus que d'un goût horrible dans la bouche. Après deux séances chez M. Lafontaine, elle était mieux, et maintenant elle est placée comme domestique. »

Il a été généralement remarqué, dit M. Constant, que dès qu'elles sont hors de la commune, les malades n'ont que très rarement des crises.

Un jour, le maire, qui m'accompagnait, fut surpris par une malade et violemment frappé avec une pierre au visage ; presque au même instant une autre malade se précipitait sur lui, armée d'un gros morceau de bois, pour le frapper aussi ; voyant venir celle-ci, il lui présenta le bout aigu de son bâton ferré, la menaçant de l'en percer si elle avançait ; elle s'arrêta, laissa tomber son morceau de bois et se contenta de dire des injures.

Malgré les courses, les sauts, les mouvements violents et désordonnés des malades, malgré les coups qu'elles se donnent, leurs terreurs ou leurs divagations, on ne cite point de tentative de suicide ou d'accident grave arrivé à aucune d'entre elles ; elles ne perdent donc point toute conscience, l'instinct de conservation au moins subsiste.

Si, au commencement d'une crise, une femme tient son enfant dans ses bras, il arrive souvent qu'un diable moins méchant que celui qui va la travailler lui dise : « Laisse cet enfant, il (l'autre diable) lui ferait du mal. » Il en est de même quelquefois quand elles tiennent un couteau ou tout autre instrument susceptible d'occasionner une blessure.

Les hommes ont subi comme les femmes l'influence de la croyance qui les déprime tous à divers degrés, mais chez eux les effets ont été moindres et assez différents. Il en est en effet qui ressentent absolument les mêmes douleurs que les femmes ; comme elles, ils ont des suffocations, éprouvent un sentiment de strangulation et accusent la sensation de la boule hystérique, mais aucun n'est allé jusqu'aux convulsions ; et s'il y a eu quelques rares exemples d'accidents convulsifs, ils peuvent presque toujours être attribués à un état morbide antérieur et différent. L'unique représentant du sexe masculin qui paraisse avoir eu réellement des crises de la même nature que celles des filles, est le jeune T… Ce sont généralement les jeunes filles de quinze à vingt-cinq ans qui ont été atteintes ; dans l'autre sexe, au contraire, à l'exception de cet enfant T…, ce ne sont à peu près, dans la mesure que je viens de dire, que des hommes d'un âge mûr, auxquels les vicissitudes de la vie ont bien pu apporter d'autres préoccupations préexistantes, ou à ajouter à celles causées par la maladie. »

Après avoir discuté la plupart des faits extraordinaires racontés au sujet des malades de Morzines, et essayé de prouver l'état de dégénérescence physique et morale des habitants par suite d'affections héréditaires, M. Constant ajoute :

Il faut donc se tenir pour bien assuré que tout ce qui s'est dit à Morzines, une fois ramené à la vérité, se trouve considérablement réduit ; chacun a fait son conte et a voulu surpasser les autres conteurs. Ces exagérations se retrouvent dans toutes les relations des épidémies de ce genre. Quand bien même quelques faits seraient réels de tous points et échapperaient à toute interprétation, serait-ce un motif pour leur chercher une explication au delà des lois naturelles ? Autant vaudrait dire que tous les agents dont le mode d'action reste à découvrir, tout ce qui échappe à notre analyse est nécessairement surnaturel.

Tout ce qui s'est vu à Morzines, tout ce qui s'est raconté surtout, pourra bien, pour quelques personnes, rester le signe manifeste d'une possession, mais c'est aussi très certainement celui de cette maladie complexe qui a reçu le nom d'hystéro-démonomanie.

En résumé, on vient de voir un pays dont le climat est rude et la température très variable, où l'hystérie a été de tout temps réputée endémique ; une population dont la nourriture, toujours la même pour tous, plus pauvres ou moins pauvres, et toujours mauvaise, est composée d'aliments souvent altérés, qui peuvent provoquer et provoquent des dérangements dans les fonctions des organes de la nutrition, et par là des névroses particulières ; une population d'une constitution peu robuste et spéciale, souvent entachée de prédispositions héréditaires ; ignorante et vivant dans un isolement à peu près complet ; très pieuse, mais d'une piété qui a pour base la crainte plus que l'espérance ; très superstitieuse, et dont la superstition, cette plaie que saint Thomas appelait un vice opposé à la religion par excès, a été plus caressée que combattue ; bercée par des contes de sorcellerie qui sont, en dehors des cérémonies de l'Église, la seule distraction que n'a pu empêcher une sévérité religieuse exagérée ; d'une imagination vive, très impressionnable, qui aurait besoin de quelque aliment, et qui n'en a d'autre que ces mêmes cérémonies. »

Il nous reste à examiner les rapports qui peuvent exister entre les phénomènes décrits ci-dessus, et ceux qui se produisent dans les cas d'obsessions et de subjugations bien constatés, ce que chacun aura déjà sans doute remarqué, l'effet des moyens curatifs employés, les causes de l'inefficacité des exorcismes et les conditions dans lesquelles ils peuvent être utiles. C'est ce que nous ferons dans un prochain et dernier article.

En attendant, nous dirons avec M. Constant, qu'il n'est nul besoin d'aller chercher dans le surnaturel l'explication des effets inconnus ; nous sommes parfaitement d'accord avec lui sur ce point. Pour nous, les phénomènes spirites n'ont rien de surnaturel ; ils nous révèlent une des lois, une des forces de la nature que l'on ne connaissait pas et qui produit des effets jusqu'alors inexpliqués. Cette loi, qui ressort des faits et de I'observation, est-elle donc plus déraisonnable parce qu'elle a pour promoteurs des êtres intelligents plutôt que des bêtes ou la matière brute ? Est-il donc si insensé de croire à des intelligences actives au delà de la tombe, quand surtout elles se manifestent d'une manière ostensible ? La connaissance de cette loi, en ramenant certains effets à leur cause véritable, simple et naturelle, est le meilleur antidote des idées superstitieuses.





[1] Brochure in-8°, chez Adrien Delahaye, place de l'Ecole-de-Médecine. – Prix : 2 fr.



Résultat de la lecture des ouvrages spirites

Lettres de MM. Michel de Lyon, et D… d'Albi

Comme réponse à l'opinion de M. le docteur Constant touchant l'effet que doit produire la lecture des ouvrages spirites, nous publions ci-après deux lettres entre des milliers de même nature qui nous sont adressées. Son avis, comme on l'a pu voir dans l'article précédent, est que cet effet doit être inévitablement de faire prompte justice de la prétendue science du Spiritisme, et c'est à ce titre qu'il en recommande la lecture. Or, voici plus de six ans qu'on lit ces ouvrages, et, chose fâcheuse pour sa perspicacité, justice n'a point encore été faite !



Albi, 6 mars 1863.

Monsieur Allan Kardec,

Je sais que je ne dois pas abuser de votre temps précieux ; aussi je me prive du bonheur de m'entretenir longuement avec vous. Je vous dirai que je regrette amèrement de ne pas avoir connu plus tôt votre admirable doctrine, car je sens que j'aurais été un tout autre homme, et cependant je ne suis pas médium, ni ne cherche pas à le devenir encore, ayant de graves ennuis qui m'obsèdent sans cesse. J'ai un passé déplorable d'insouciance ; je suis venu jusqu'à l'âge de quarante-neuf ans sans savoir une seule prière ; depuis que je vous ai lu, je prie le soir toujours, quelquefois le matin, et surtout pour mes ennemis. Votre doctrine m'a sauvé de beaucoup de choses, et me fait supporter les revers avec résignation.

Combien je vous serais reconnaissant, cher monsieur, si vous voulez bien prier quelquefois pour moi !

Veuillez agréer, etc. D…


Lyon, le 9 mars 1863.

Mon cher maître,

Je dois commencer en vous demandant doublement pardon, d'abord, pour avoir différé si longtemps l'accomplissement d'un devoir de cette nature ; et ensuite, pour la liberté que je prends, sans avoir l'honneur d'être connu de vous, de vous entretenir de choses qui me sont en quelque sorte entièrement personnelles.

Cette considération m'oblige à être aussi bref que possible pour ne point abuser de votre bonté, ni vous faire perdre pour moi seul un temps que vous pourriez plus utilement employer pour le bien général.



Depuis six mois que j'ai le bonheur d'être initié à la doctrine spirite, j'ai senti naître en moi un vif sentiment de reconnaissance. Ce sentiment n'est, du reste, qu'une conséquence bien naturelle de la croyance au Spiritisme ; et, puisqu'il a sa raison d'être, il doit également se manifester. Selon moi, il doit se diviser en trois parts dont la première à Dieu, que chaque jour tout vrai Spirite doit remercier de cette nouvelle preuve de miséricorde infinie ; la seconde appartient de droit au Spiritisme lui-même, c'est-à-dire aux bons Esprits et à leurs sublimes enseignements ; et enfin la troisième est acquise à celui qui nous guide dans la nouvelle voie et que nous sommes heureux de reconnaître pour notre maître vénéré.

La reconnaissance spirite ainsi comprise, impose donc trois devoirs bien distincts : envers Dieu, les bons Esprits et le propagateur de leurs enseignements. J'ai l'espoir de m'acquitter envers Dieu en lui demandant pardon de mes erreurs passées, et en continuant à le prier chaque jour ; j'essayerai de payer ma dette au Spiritisme en répandant autour de moi, autant que cela est en mon faible pouvoir, les bienfaits de l'instruction spirite ; et le but de cette lettre est de vous témoigner, monsieur, le vif désir que j'éprouvais de m'acquitter envers vous, ce que je m'accuse de faire si tardivement. Je fais donc appel à votre charité, et vous prie d'agréer cet hommage sincère d'une reconnaissance sans bornes.

M'associant de cœur à ceux qui m'ont précédé, je viens vous dire : Merci à vous qui nous avez tirés de l'erreur en faisant rayonner sur nous le flambeau de la vérité ; merci à vous qui nous avez fait connaître les moyens d'arriver au vrai bonheur par la pratique du bien ; merci à vous qui n'avez pas craint d'entrer le premier dans la lutte.

L'avènement du Spiritisme au dix-neuvième siècle, à une époque où l'égoïsme et le matérialisme semblent se partager l'empire du monde, est un fait trop important et trop extraordinaire pour ne pas provoquer l'admiration ou l'étonnement des personnes sérieuses et des esprits observateurs. Ce fait reste complètement inexplicable pour ceux qui refusent de reconnaître l'intervention divine dans la marche des grands événements qui s'accomplissent parmi nous et souvent malgré nous.

Mais, un fait non moins surprenant, c'est qu'il se soit trouvé à cette même époque d'incrédulité un homme assez croyant, assez hardi, pour sortir de la foule, pour abandonner le courant et annoncer une doctrine qui devait le mettre en désaccord avec le plus grand nombre, son but étant de combattre et de renverser les préjugés, les abus et les erreurs de la foule, et enfin de prêcher la foi aux matérialistes, la charité aux égoïstes, la modération aux fanatiques, la vérité à tous.

Ce fait aujourd'hui est accompli ; donc il n'était pas impossible ; mais, pour l'accomplir, il fallait un courage que la foi seule peut donner. Voilà ce qui cause notre admiration.

Un semblable dévouement, mon cher maître, ne pouvait pas rester infructueux ; aussi, dès à présent, vous pouvez commencer à recevoir la récompense de vos labeurs en contemplant le triomphe de la doctrine que vous avez enseignée.

Sans vous préoccuper du nombre et de la force de vos adversaires, vous êtes descendu seul dans l'arène, et vous n'avez opposé aux railleries injurieuses qu'une inaltérable sérénité, aux attaques et aux ca1omnies que la modération ; aussi, en peu de temps le Spiritisme s'est propagé dans toutes les parties du monde ; ses adeptes se comptent aujourd'hui par millions, et, chose plus satisfaisante encore, se recrutent à tous les degrés de l'échelle sociale. Riches et pauvres, ignorants et savants, libres penseurs et puritains, tous ont répondu à l'appel du Spiritisme, et chaque classe s'est empressée de fournir son contingent dans cette grande croisade de l'intelligence… Lutte sublime ! où le vaincu est fier de proclamer sa défaite, et plus fier encore de pouvoir combattre sous le drapeau des vainqueurs.

Cette victoire ne fait pas seulement honneur à celui qui l'a remportée, elle atteste aussi la justesse de la cause, c'est-à-dire la supériorité de la doctrine spirite sur toutes celles qui l'ont devancée, et par conséquent, son origine toute divine. Pour l'adepte fervent, ce fait ne peut être révoqué en doute, et le Spiritisme ne peut pas être l'œuvre de quelques cerveaux en démence, comme ses détracteurs ont essayé de le démontrer. Il est impossible que le Spiritisme soit une œuvre humaine ; il doit être et il est, en effet, une révélation divine. S'il n'en était pas ainsi, il aurait déjà succombé et il serait demeuré impuissant devant l'indifférence et le matérialisme.

Toute science humaine est systématique dans son essence, et par cela même sujette à erreur ; c'est pourquoi elle ne peut être admise que par un petit nombre d'individus qui, par ignorance ou par calcul, en propagent les croyances erronées qui tombent d'elles-mêmes après quelque temps d'épreuve. Le temps et la raison ont toujours fait justice des doctrines abusives et dénuées de fondement. Nulle science, nulle doctrine ne peut prétendre à la stabilité si elle ne possède, dans son ensemble comme dans ses moindres détails, cette émanation pure et divine que nous avons nommée la vérité ; car la vérité est seule immuable comme le Créateur qui en est la source.

Nous en trouvons un exemple bien consolant dans les divines paroles du Christ, que le saint Evangile, malgré sa longue et aventureuse pérégrination, nous a transmises aussi suaves, aussi pures qu'elles l'étaient en tombant de la bouche du divin Rénovateur.

Après dix-huit siècles d'existence, la doctrine du Christ nous paraît tout aussi lumineuse qu'au temps de sa naissance. Malgré les fausses interprétations des uns, les persécutions des autres, quoique peu pratiquée de nos jours, elle n'en est pas moins restée fortement enracinée dans le souvenir des hommes. La doctrine du Christ est donc une base inébranlable contre laquelle les passions humaines viennent sans cesse se briser. Comme la vague impuissante se brise sur le rocher, les tempêtes de l'erreur s'épuisent en vains efforts contre ce phare de la vérité. Le Spiritisme étant la confirmation, le complément de cette doctrine, il est donc juste de dire qu'il deviendra un monument indestructible, puisqu'il a Dieu pour principe et la vérité pour base.

De même que nous sommes heureux de prédire sa longue destinée, nous entrevoyons avec bonheur le moment où il deviendra la croyance universelle. Ce moment ne saurait être bien éloigné, car les hommes ne sauraient tarder à comprendre qu'il n'est pas de bonheur possible ici-bas sans la fraternité. Ils comprendront aussi que le mot vertu ne doit pas seulement errer sur les lèvres, mais qu'il doit se graver profondément dans les cœurs ; ils comprendront enfin que celui qui prend à tâche de prêcher la morale doit avant tout, doit surtout, la prêcher par l'exemple.

Je m'arrête, mon cher maître, la grandeur du sujet m'entraîne à des hauteurs où il m'est impossible de me maintenir. Des mains plus habiles que la mienne ont déjà dépeint sous de vives couleurs ce touchant tableau, que ma plume ignorante essaye en vain d'esquisser. Pardonnez-moi, je vous prie, de vous avoir si longuement entretenu de mes propres sentiments ; mais j'éprouvais un désir invincible de m'épancher dans le sein même de celui qui avait rendu le calme à mon âme, en remplaçant le doute qui la torturait depuis quinze ans, par une certitude consolatrice !

J'ai été tour à tour catholique fervent, fataliste, matérialiste, philosophe résigné ; mais, j'en rends grâce à Dieu, je ne fus jamais athée. Je maugréais contre la Providence sans cependant jamais nier Dieu. Les flammes de l'enfer s'étaient éteintes depuis longtemps pour moi, et pourtant mon Esprit n'était pas tranquille sur son avenir. Les jouissances célestes préconisées par l'Église n'avaient pas assez d'attraits pour m'exhorter à la vertu, et pourtant ma conscience approuvait bien rarement ma conduite. J'étais dans un doute continuel. M'appropriant cette pensée d'un grand philosophe : « La conscience a été donnée à l'homme pour le vexer, » j'en étais arrivé à cette conclusion, que l'homme doit éviter avec soin tout ce qui peut le brouiller avec sa conscience. Ainsi, j'aurais évité de commettre quelque grande faute, parce que ma conscience s'y opposait ; j'aurais accompli quelques bonnes œuvres pour ressentir la satisfaction qu'elles procurent ; mais je n'entrevoyais rien au-delà. La nature m'avait tiré du néant, la mort devait me rendre au néant ! Cette pensée me plongeait souvent dans une tristesse profonde, mais j'avais beau consulter, beau chercher, rien ne pouvait me donner le mot de l'énigme. Les disproportions sociales me choquaient, et je me demandais souvent pourquoi j'étais né au bas de l'échelle où je me trouvais si mal placé. A cela, ne pouvant répondre, je disais : Le hasard.

Une considération d'un autre genre me faisait prendre le néant en horreur ! A quoi bon s'instruire ? Pour briller dans un salon ?… il faut de la fortune ; pour devenir un poète, un grand écrivain ?… il faut un talent naturel. Mais pour moi, simple artisan, destiné peut-être à mourir sur l'établi auquel je suis attaché par la nécessité de gagner mon pain de chaque jour… à quoi bon m'instruire ?… Je ne sais presque rien et c'est beaucoup de trop ; puisque mon savoir ne me sert à rien pendant ma vie et qu'il doit s'éteindre en mourant. Cette pensée s'est présentée bien souvent à mon esprit ; j'en étais arrivé à maudire cette instruction que l'on donne gratis au fils de l'ouvrier. Cette instruction, quoique bien exiguë, bien incomplète, me semblait superflue et elle me paraissait non seulement nuisible au bonheur du pauvre, mais incompatible avec les exigences de sa condition. C'était, selon moi, une calamité de plus pour le pauvre, puisqu'elle lui faisait comprendre l'importance du mal sans lui en indiquer le remède. Il est facile de s'expliquer les souffrances morales d'un homme qui, sentant battre un noble cœur dans sa poitrine, est obligé de courber son intelligence sous la volonté d'un individu dont une poignée d'écus souvent mal acquis fait quelquefois tout le mérite et tout le savoir.

C'est alors qu'il faut faire appel à la philosophie ; et en regardant au haut de l'échelle on se dit : L'argent ne fait pas le bonheur ; puis, en regardant en bas, on aperçoit des gens dans une position inférieure à la sienne, et on ajoute : Prenons patience, il y en a de plus à plaindre que nous. Mais si cette philosophie donne quelquefois la résignation, elle ne produit jamais le bonheur.

J'étais dans cette situation lorsque le Spiritisme est venu me tirer du bourbier d'épreuves et d'incertitudes où je m'enfonçais de plus en plus malgré tous les efforts que je faisais pour en sortir.

Pendant deux ans j'entendis parler de Spiritisme sans y apporter une attention sérieuse ; je croyais, d'après le dire de ses adversaires, qu'une jonglerie nouvelle s'était glissée parmi les autres. Mais, fatigué enfin d'entendre parler d'une chose dont je ne connaissais réellement que le nom, je résolus de m'instruire. Je me procurai donc le Livre des Esprits et celui des Médiums. Je lus ou plutôt je dévorai ces deux ouvrages avec une avidité et une satisfaction qu'il m'est impossible de définir. Quelle fut ma surprise, en jetant les yeux sur les premières pages, de voir qu'il s'agissait de philosophie morale et religieuse, quand je m'attendais à lire un traité de magie accompagné de récits merveilleux ! Bientôt la surprise fit place à la conviction et à la reconnaissance. Lorsque j'eus achevé ma lecture, je m'aperçus avec bonheur que j'étais Spirite depuis longtemps. Je remerciai Dieu qui m'accordait cette insigne faveur. Désormais je pourrai prier sans craindre que mes prières se perdent dans l'espace, et je supporterai avec joie les tribulations de cette courte existence, sachant que ma misère actuelle n'est qu'une juste conséquence d'un passé coupable ou une période d'épreuve pour atteindre un avenir meilleur. Plus de doute ! la justice et la logique nous dévoilent la vérité ; et nous acclamons avec bonheur cette bienfaitrice de l'humanité.

Il est presque inutile de vous dire, mon cher maître, combien était grand mon désir de devenir médium ; aussi ai-je étudié avec une grande persévérance. Après quelques jours d'observation, je reconnus que j'étais médium intuitif ; mon désir n'était accompli qu'à demi, puisque je désirais vivement devenir médium mécanique.

La médiumnité intuitive laisse longtemps du doute dans l'esprit de celui qui la possède. J'ai dû, pour dissiper tous mes scrupules à cet égard, assister à quelques séances de Spiritisme, afin de pouvoir établir une comparaison entre ma médiumnité et celle des autres médiums. C'est alors que je compris la justesse de votre recommandation qui prescrit de lire avant de voir, si l'on veut être convaincu ; car, je peux vous le dire franchement, je ne vis rien de convaincant pour un incrédule. J'aurais beaucoup donné alors pour pouvoir être admis au nombre de ceux que la Providence a placés sous la direction immédiate de notre chef bien-aimé, parce que je pensais que les preuves devaient être plus palpables, plus fréquentes dans la société que vous présidez. Néanmoins je ne m'en tins pas là, et j'invitai plusieurs médiums écrivains, voyants et dessinateurs à se réunir à moi pour travailler en commun. C'est alors que j'eus le bonheur d'être témoin des faits les plus surprenants et d'obtenir les preuves les plus évidentes de la bonté et de la vérité du Spiritisme. Pour la seconde fois j'étais convaincu !

Je joins à cette lettre déjà bien longue quelques-unes de mes communications ; je serais heureux, mon cher maître, s'il vous était possible d'y jeter un coup d'œil et d'en juger la valeur. Au point de vue moral, je les crois irréprochables ; mais au point de vue littéraire… n'étant pas apte à les juger moi-même, je m'abstiens de toute appréciation. Si, contre mon attente, vous trouviez quelques fragments assez passables pour être livrés à la publicité, je vous prie d'en disposer à votre convenance, et ce serait pour moi un bien grand bonheur d'avoir apporté ma petite pierre à la construction du grand édifice.

J'attacherais un bien grand prix à une réponse de votre main, mon cher maître, mais je n'ose la solliciter, sachant l'impossibilité matérielle où vous êtes de répondre à toutes les lettres qui vous sont adressées. Je termine en vous priant de me pardonner cette extrême liberté, espérant que vous voudrez bien croire à la sincérité de celui qui a l'honneur de se dire un de vos plus fervents admirateurs et votre très humble serviteur.

Michel,

Rue Bouteille, 25, à Lyon.

Les sermons se suivent et ne se ressemblent pas

On nous écrit de Chauny, 7 mars 1863 :


« Monsieur,

Je viens essayer de vous donner l'analyse d'un sermon qui nous a été prêché hier par M. l'abbé X…, étranger à notre paroisse. Ce prêtre, qui est, du reste, un très bon prédicateur, nous a expliqué, autant qu'il est possible de le faire, ce qu'est Dieu et ce que sont les Esprits. Il ne devait pas ignorer qu'il avait un très grand nombre de Spirites dans son auditoire, aussi avons-nous éprouvé une bien vive satisfaction d'entendre parler des Esprits et de leurs rapports avec les vivants.

Je ne m'explique pas autrement, a-t-il dit, tous les faits miraculeux, toutes les visions, tous les pressentiments, que par le contact de ceux qui nous sont chers et qui nous ont précédés dans la tombe ; et si je ne craignais de soulever un voile trop mystérieux, ou de vous parler de choses qui ne seraient pas comprises par tous, je m'étendrais bien longuement sur ce sujet. Je me sens inspiré, et, obéissant à la voix de ma conscience, je ne saurais trop vous engager à garder bon souvenir de mes paroles : Croire en ce Dieu de qui tous les Esprits émanent, et en qui nous devons tous nous réunir un jour.

Ce sermon, monsieur, dit un avec un accent de douceur, de bienveillance et de conviction, allait au cœur bien mieux que les discours furieux où l'on cherche en vain la charité prêchée par le Christ ; il était à la portée de toutes les intelligences ; aussi tous l'ont compris et sont sortis réconfortés, au lieu d'être découragés et attristés par les tableaux de l'enfer et des peines éternelles, et tant d'autres sujets en contradiction avec la saine raison.

Agréez, etc.
V… »



Ce sermon, Dieu merci, n'est pas le seul de ce genre ; on nous en signale plusieurs autres dans le même sens, plus ou moins accentués, qui ont été prêchés à Paris et dans les départements ; et, chose bizarre, dans un sens diamétralement opposé, prêchés le même jour dans la même ville, et presque à la même heure. Cela n'a rien de surprenant, parce qu'il y a beaucoup d'ecclésiastiques éclairés qui comprennent que la religion ne peut que perdre de son autorité à s'inscrire en faux contre l'irrésistible marche des choses, et que, comme toutes les institutions, elle doit suivre le progrès des idées, sous peine de recevoir plus tard le démenti des faits accomplis. Or, quant au Spiritisme, il est impossible que beaucoup de ces messieurs n'aient pas été à même de se convaincre par eux-mêmes de la réalité des choses ; nous en connaissons personnellement plus d'un dans ce cas. L'un d'eux nous disait un jour : « On peut m'interdire de parler en faveur du Spiritisme, mais m'obliger à parler contre ma conviction, à dire que tout cela est l'œuvre du démon, quand j'ai la preuve matérielle du contraire, c'est ce que je ne ferai jamais. »

De cette divergence d'opinion, il ressort un fait capital, c'est que la doctrine exclusive du diable est une opinion individuelle qui devra nécessairement fléchir devant l'expérience et l'opinion générale. Que quelques-uns persistent dans leur idée jusque in extremis, c'est possible, mais ils passeront, et avec eux leurs paroles.



Suicide faussement attribué au Spiritisme

L'ardeur des adversaires à recueillir et surtout à dénaturer les faits qu'ils croient pouvoir compromettre le Spiritisme est vraiment incroyable ; c'est au point qu'il n'y aura bientôt plus un accident quelconque dont on ne le rende responsable.

Un fait regrettable s'est passé dernièrement à Tours et ne pouvait manquer d'être exploité par la critique, c'est le suicide de deux individus que l'on s'est efforcé d'attribuer au Spiritisme.

Le journal le Monde (ancien Univers religieux), et d'après lui plusieurs journaux, ont publié sur ce sujet un article dont nous extrayons les passages suivants :

« Deux époux fort avancés en âge, M. et madame ***, encore bien portants et jouissant d'un revenu qui leur permettait de vivre à l'aise, se livraient depuis bientôt deux ans aux opérations du Spiritisme. Presque chaque soir se réunissaient chez eux un certain nombre d'ouvriers, hommes et femmes, et des jeunes gens des deux sexes, devant lesquels nos deux Spirites faisaient leurs évocations, du moins ils prétendaient en faire.

Nous ne parlerons pas des questions de toute espèce dont on demandait la solution aux Esprits dans cette maison. Ceux qui connaissent ces deux personnes de vieille date et leurs sentiments sur la religion n'ont jamais été surpris des scènes qui pouvaient se produire chez elles. Etrangères à toute idée chrétienne, elles s'étaient jetées dans la magie, où elles passaient pour des maîtres habiles et consommés.

L'un et l'autre étaient convaincus depuis peu de temps que les Esprits les engageaient vivement à quitter la terre, afin de jouir dans un autre monde, le monde supra-terrestre, d'une plus grande somme de bonheur. Ne doutant pas en effet qu'il en serait ainsi, ils ont, avec le plus grand sang-froid, consommé un double suicide qui fait aujourd'hui un grand scandale dans la ville de Tours.

Ainsi c'est aujourd'hui le suicide que l'on a à constater comme résultat du Spiritisme et de sa doctrine ; hier c'étaient des cas de folie, sans parler des désordres domestiques et des autres désordres auxquels le Spiritisme a si souvent donné occasion. Cela ne suffit-il pas pour faire comprendre aux hommes qui ne veulent pas écouter la voix de la religion à quels dangers ils s'exposent en se livrant à ces ténébreuses et stupides pratiques ? »

Remarquons d'abord que si ces deux individus prétendaient faire des évocations, c'est qu'ils n'en faisaient pas de réelles ; qu'ils abusaient les autres ou s'abusaient eux-mêmes ; donc, s'ils ne faisaient pas des évocations réelles c'était une chimère, et les Esprits ne peuvent leur avoir donné de mauvais conseils.

Etaient-ils Spirites, c'est-à-dire Spirites de cœur ou de nom ? L'article constate qu'ils étaient étrangers à toute idée chrétienne ; de plus, qu'ils passaient pour maîtres habiles et consommés en fait de magie ; or, il est constant que le Spiritisme est inséparable des idées religieuses et surtout chrétiennes ; que la négation de celles-ci est la négation du Spiritisme ; qu'il condamne les pratiques de la magie, avec lesquelles il n'a rien de commun ; qu'il dénonce comme superstitieuse la croyance à la vertu des talismans, formules, signes cabalistiques et paroles sacramentelles ; donc ces personnes n'étaient pas Spirites, puisqu'elles étaient en contradiction avec les principes du Spiritisme. Pour rendre hommage à la vérité, nous dirons que, des renseignements pris, il résulte que ces personnes ne s'occupaient point de magie, et qu'on a sans doute voulu profiter de la circonstance pour accoler ce nom au Spiritisme.

L'article dit en outre que, chez eux, on faisait aux Esprits des questions de toute espèce. Le Spiritisme dit expressément qu'on ne peut adresser aux Esprits toutes sortes de questions ; qu'ils viennent pour nous instruire et nous rendre meilleurs, et non pour s'occuper des intérêts matériels ; que s'est se méprendre sur le but des manifestations que d'y voir un moyen de connaître l'avenir, de découvrir des trésors ou des héritages, de faire des inventions et des découvertes scientifiques pour s'illustrer ou s'enrichir sans travail ; en un mot, que les Esprits ne viennent pas dire la bonne aventure ; donc en faisant aux Esprits des questions de toute sorte, ce qui est très réel, ces individus prouvaient leur ignorance du but même du Spiritisme.

L'article ne dit pas qu'ils en fissent métier, et en effet cela n'était pas, autrement nous rappellerions ce qui a été dit cent fois au sujet de cette exploitation et de ses conséquences, dont le Spiritisme sérieux ne peut assumer la responsabilité légale ou autre, pas plus qu'il n'assume celle des excentricités de ceux qui ne le comprennent pas ; il ne prend la défense d'aucun des abus qui pourraient se commettre en son nom, par ceux qui en prendraient la forme ou le masque sans s'en assimiler les principes.

Une autre preuve que ces individus ignoraient un des points fondamentaux de la doctrine spirite, c'est que le Spiritisme prouve, non par une simple théorie morale, mais par des exemples nombreux et terribles, que le suicide est sévèrement puni ; que celui qui croit échapper aux misères de la vie par une mort volontaire anticipée sur les desseins de Dieu, tombe dans un état bien plus malheureux. Le Spirite sait donc, à n'en pouvoir douter, que, par le suicide, on échange un état mauvais passager contre un pire qui peut durer longtemps ; c'est ce qu'auraient su ces individus s'ils avaient connu le Spiritisme. L'auteur de l'article, en avançant que cette doctrine conduit au suicide, a donc parlé lui-même d'une chose qu'il ne connaissait pas.

Nous ne sommes nullement surpris du résultat produit par le bruit qu'on a fait de cet événement. En le présentant comme une conséquence de la doctrine spirite, on a piqué la curiosité, et chacun a voulu connaître par soi-même cette doctrine, sauf à la repousser si elle était telle qu'on la représentait ; or, on a reconnu qu'elle disait tout le contraire de ce qu'on lui faisait dire ; elle ne peut donc que gagner à être connue, ce dont nos adversaires semblent se charger avec une ardeur dont nous ne pouvons que leur savoir gré, sauf toutefois de l'intention. Si par leurs diatribes ils produisent une petite perturbation locale et momentanée, elle ne tarde pas à être suivie d'une recrudescence dans le nombre des adeptes ; c'est ce que l'on voit partout.

« Si donc, nous écrit-on de Tours, ces individus ont cru devoir mêler les Esprits à leur fatale résolution et à leurs excentricités bien connues, il est évident qu'ils n'ont rien compris au Spiritisme, et qu'on n'en peut tirer aucune conclusion contre la doctrine ; autrement il faudrait rendre les doctrines les plus sérieuses et les plus sacrées responsables des abus, des crimes même commis en leur nom par de pauvres insensés ou des fanatiques. La femme F… prétendait être médium, mais tous ceux qui l'ont entendue causer n'ont jamais pu la prendre au sérieux. Les idées très connues, l'exagération et les excentricités des deux époux et surtout de la femme, leur ont fait impitoyablement fermer les portes du cercle spirite de Tours, où ils n'ont pas été admis à une seule séance. »

Le journal précité n'a pas été mieux renseigné sur les véritables causes de ce suicide. Nous les puisons dans les pièces authentiques déposées chez un notaire de Tours, ainsi que dans une lettre qui nous est écrite à ce sujet par M. X…, avoué de cette ville.

Les époux F…, âgés, la femme de soixante-deux ans et le mari de quatre-vingts, loin d'être dans l'aisance, ont été poussés au suicide par la perspective de la misère seule. Ils avaient amassé une petite fortune dans un commerce de rouenneries à la Nouvelle-Orléans ; ruinés par des faillites, ils vinrent à Nantes, puis à Tours avec quelques débris de leur naufrage. Une rente viagère de 480 fr., qui était leur principale ressource, leur manqua en 1856 par suite d'une nouvelle faillite. Par trois fois déjà, et bien avant qu'il fût question du Spiritisme, ils avaient tenté de se suicider. Dans ces derniers temps, poursuivis par d'anciens créanciers, un procès malheureux avait achevé de les ruiner et de leur faire perdre le courage et la raison.

La lettre suivante, écrite par la femme F… avant sa mort, et qui se trouve au nombre des pièces ci-dessus relatées, et signées par le président du tribunal, ne varietur, en fait connaître le véritable motif. Nous la transcrivons textuellement avec l'orthographe originale :

« Monsieur et madame B…, avant de me rendre au ciel, je veux m'entendre avec vous une dernière fois, veuillez accepter mes dernier adieux, j'espère bien cependant que nous reverons, comme je parts avant vous, je vais retenir votre place pourquand le moment viendra, je veux vous faire part de notre projet, depuis nos adversités nous avons nourrit dans notre cœur, un chagrin qui n'a pu s'effacer, c'est plus qu'un ennuie, tout me devient à charge, j'ai constamment le cœur plein d'amertume, il faut que je vous dise que depuis six ans que l'affaire de notre maison rien n'est encore fini, il faudra peut-être rapporter encore deux mille francs comme nous voyons que nous n'en pourons sortir qu'avec de grandes privations qu'il faut toujours recommencer sans voir la fin, il faut en finir, maintenant nous sommes vieux les forces commencent à nous abandonner, le courage manque, la partie n'est plus égale, il faut en finir et nous arrêtons à détermination. Je vous prie bien d'agréer mes souhaits bien sincères. Fe F… »

Aujourd'hui, l'on sait à Tours à quoi s'en tenir sur les véritables causes de cet événement, et le bruit que l'on a fait à ce sujet tourne au profit du Spiritisme, car, dit notre correspondant, on en parle partout, on veut savoir au juste ce qu'il en est, et depuis ce moment les libraires de la ville ont vendu plus de livres spirites qu'ils n'avaient encore fait.

Il est vraiment curieux de voir le ton lamentable de quelques-uns, la colère furibonde de quelques autres, et au milieu de tout cela le Spiritisme poursuivre sa marche ascendante comme un soldat qui monte à l'assaut sans s'inquiéter de la mitraille. Les adversaires voyant la raillerie impuissante, après avoir dit que c'était un feu follet, disent maintenant que c'est un chien enragé.

Variétés

On lit dans le Siècle du 23 mars 1862 :

Les époux C…, demeurant rue Notre-Dame de Nazareth, avaient deux enfants, un petit garçon de quinze mois, et une petite fille de cinq ans qu'on ne voyait jamais, car personne ne pénétrait chez eux. Une fois seulement on l'avait aperçue attachée sous les aisselles et suspendue à une porte, et souvent on entendait des gémissements sortir de leur logement. Le bruit courut qu'elle était l'objet d'odieux traitements. Le commissaire de police se rendit chez eux et dut employer la force pour s'y introduire.

Un spectacle affreux s'offrit aux personnes qui entrèrent. La pauvre petite était sans chemise ni bas, couverte seulement d'une petite robe d'indienne d'une saleté repoussante. La chair des pieds avait fini par adhérer au cuir des souliers. Elle était assise sur un petit pot de nuit, adossée contre une caisse et maintenue par des cordes qui passaient dans les poignées de la caisse. Il résulte de l'enquête qu'elle était dans cette position depuis plusieurs mois, ce qui avait produit une hernie du rectum ; que les parents se levaient la nuit pour tourmenter leur victime ; ils l'éveillaient en la frappant, la femme avec des pincettes et le manche d'un plumeau, le mari avec une corde. Sur les remontrances du commissaire, le mari répondit : « Monsieur, je suis très religieux ; ma fille faisait mal ses prières, voilà pourquoi j'ai voulu la corriger. »

Que dirait l'auteur de l'article cité plus haut à propos des suicidés de Tours, si l'on imputait à la religion cette barbarie de gens qui se disent très religieux ? l'acte de cette mère qui tua ses cinq enfants pour les envoyer plus tôt au ciel ? celui de cette jeune servante qui, prenant à la lettre la maxime du Christ : « Si votre main droite vous scandalise, coupez votre main droite, » se coupa la main à coups de hache ? Il répondrait qu'il ne suffit pas de se dire religieux, mais qu'il faut l'être dans la bonne acception ; qu'il ne faut pas tirer une conséquence générale d'un fait isolé. Nous sommes de cet avis, et nous lui renvoyons cette réponse au sujet de ses imputations contre le Spiritisme, à propos des gens qui n'en prennent que le nom.

Les Esprits et le Spiritisme, par M. Flammarion. Extrait de la Revue française

Sous ce titre, M. Flammarion, l'auteur de la brochure sur la Pluralité des mondes habités, dont nous avons rendu compte dans notre numéro de janvier dernier, vient de publier dans la Revue française du mois de février 1863[1], un premier et très intéressant article dont nous donnons ci-après le début. Ce travail, qui lui a été demandé par la direction de ce journal, recueil littéraire important et très répandu, est un exposé de l'histoire et des principes du Spiritisme. Son étendue lui donne presque l'importance d'un ouvrage spécial, ce premier article n'ayant pas moins de vingt-trois pages grand in-8°. L'auteur a cru devoir faire, jusqu'à un certain point, abstraction de son opinion personnelle sur la question, et rester sur un terrain en quelque sorte neutre, en se renfermant dans un exposé impartial des faits, de manière à laisser au lecteur toute liberté d'appréciation. Il débute ainsi :

« Dans un siècle où la métaphysique est tombée de son haut piédestal, où l'idée religieuse a voulu se délivrer de tout dogme et de tout culte spécial, où la philosophie elle-même a changé son mode de raisonnement pour se rattacher au positivisme de la science expérimentale, une doctrine spiritualiste est venue s'offrir aux hommes, et ils l'ont reçue ; elle leur a proposé un symbole de croyance, et ils l'ont adopté ; elle leur a montré une nouvelle voie qui mène à des régions inexplorées, et ils s'y sont engagés, et voilà que cette doctrine, basée sur les manifestations des êtres invisibles, s'est élevée, à peine sortie du berceau, au-dessus des affections ordinaires de la vie, et s'est propagée universellement parmi les peuples de l'ancien et du nouveau monde. Qu'est-ce donc que ce souffle puissant sous l'impulsion duquel tant de têtes pensantes ont regardé le même point du ciel ?

Vaine utopie ou science réelle, leurre fantastique ou vérité profonde, l'événement est là sous nos yeux, et nous montre l'étendard du Spiritisme ralliant autour de lui des champions en grand nombre, comptant aujourd'hui ses défenseurs par millions. Et ce nombre prodigieux s'est formé dans l'espace restreint de dix années.

Nous avons donc un événement nouveau sous les yeux : c'est un fait incontestable. Or, quelle que soit d'ailleurs la frivolité ou l'importance de cet événement, il ne sera pas inutile de l'étudier en lui-même, afin de savoir s'il a droit de naissance parmi les enfants du progrès, si sa marche est parallèle au mouvement des idées progressives, ou s'il ne tendrait pas, comme quelques-uns le prétendent, à nous faire rétrograder vers des croyances surannées peu dignes d'être remises en honneur.

Et comme pour raisonner sur un sujet quelconque il importe avant tout de le bien connaître, afin de ne pas s'exposer à des appréciations erronées, nous allons successivement examiner sur quels faits le Spiritisme repose, sur quelle base on a construit la théorie de son enseignement et en quoi consiste sommairement cette science. Observons qu'il s'agit ici de faits et non point de systèmes spéculatifs, d'opinions hasardées ; car, quel que soit le merveilleux de la question qui nous occupe, le Spiritisme n'en est pas moins basé purement et simplement sur l'observation des faits. S'il en était autrement, s'il ne s'agissait que d'une nouvelle secte de religion, d'une nouvelle école de philosophie, nous tenons pour certain que cet événement perdrait beaucoup de son importance, et que les hommes sérieux de l'époque présente, disciples pour la plupart de la méthode baconienne, n'auraient point passé leur temps à l'examen d'une question de pure théorie. Assez d'utopies se sont inscrites sur le livre de la faiblesse humaine, pour que l'on ne cherche plus à recueillir les rêveries que des cerveaux exaltés conçoivent et font proclamer chaque jour.

Or nous allons, franchement et sans arrière-pensée, aborder cette science doctrinaire, de laquelle on a dit beaucoup de bien et beaucoup de mal, peut-être sans l'avoir assez étudiée. Dans cet exposé nous commencerons à l'origine de son histoire moderne, ‑ car le Spiritisme a son histoire ancienne, ‑ et nous ferons connaître les phénomènes successifs qui l'ont définitivement établie ; suivant l'ordre naturel des choses, nous examinerons l'effet avant de remonter à la cause. »

Suit l'historique des premières manifestations en Amérique, leur introduction en Europe, leur conversion en doctrine philosophique.




[1] Revue française, rue d'Amsterdam, 35. – 20 fr. par an. – Chaque livraison mensuelle de 120 pages, 2 fr.





Dissertations spirites

Carte de visite de M. Jobard

Société spirite de Paris, 9 janvier 1863. ‑ Médium, M. d'Ambel

Aujourd'hui, je viens vous rendre ma visite de bonne confraternité et en même temps vous présenter un vieux camarade de collège dont nos légions éthérées viennent de s'enrichir ; accueillez-le donc comme un nouveau et zélé partisan de la vérité nouvelle. Si de son vivant il ne fut pas un Spirite authentique, on peut affirmer qu'il ne se prononça jamais ouvertement contre nos croyances ; je dirai même que dans le fond de sa conscience il y voyait pour l'avenir la sauvegarde de toutes les religions. Plus d'une fois dans sa vie il eut l'insigne bonheur de ressentir l'illumination intérieure qui lui montrait le chemin de la vérité quand l'incertitude était sur le point d'envahir son âme ; aussi, quand nous échangeâmes, il y a à peine quelques heures, nos fraternelles poignées de main, me dit-il avec son doux sourire : Ami, vous aviez raison !

S'il ne s'est pas prêté au développement de nos idées, c'est que l'intuition médianimique qui agissait sur lui lui donnait à entendre que l'heure ni le moment n'étaient venus, et qu'il y aurait eu danger à le faire au milieu des graves complications de son ministère et parmi un troupeau aussi difficile à diriger que le sien.

Aujourd'hui, qu'il est délivré des soucis de la vie terrestre, il est on ne peut plus heureux d'assister à une de vos séances ; car déjà depuis longtemps il avait cette ambition de venir s'asseoir au milieu de vous. Bien souvent il a eu l'envie de visiter notre cher président, pour lequel il avait une estime toute particulière, en appréciant combien ses livres et ses enseignements ramenaient d'âmes, sinon dans le sein de l'Église, du moins à la croyance et au respect de Dieu et à la certitude de l'immortalité. Cependant je dois le dire, lorsque je fus le visiter, tout en me recevant avec l'effusion d'un ancien condisciple, il avait opposé à mon zèle, peut-être exagéré, de le convertir, la fameuse raison d'Etat, devant laquelle je dus m'incliner. Néanmoins, en me reconduisant il me dit ces paroles sympathiques : Si non e vero e bene trovato !

Maintenant qu'il est venu se joindre à nos phalanges, et que les mêmes scrupules ne le retiennent plus, il fait des vœux pour le succès de notre œuvre, et envisage avec bonheur l'avenir qu'elle promet à l'humanité ; il contemple avec une joie ineffable la terre promise aux nouvelles générations, ou plutôt aux vieilles générations qui ont déjà tant lutté, et prévoit l'heure bénie où ses successeurs arboreront résolument ce nouveau drapeau de la foi gallicane : le Spiritisme !

Quoi qu'il en soit, mon cher président et mes bien-aimés confrères, j'ai eu l'honneur de recevoir aux portes de la vie ce vénérable ami, et je suis fier de le présenter au milieu de vous ; il me charge de vous assurer de toutes ses sympathies et de vous dire qu'il suivra avec beaucoup d'intérêt vos travaux et vos études. Au bonheur d'être son interprète auprès de vous je joins celui de vous présenter les félicitations d'une légion de grands Esprits qui suivent assidûment vos séances ; je vous apporte donc en mon nom et au leur le tribut de notre estime et les vœux que nous formons pour le succès de la grande cause.

Allons ! avant peu la terre ne comptera plus parmi ses habitants que quelques rares humanimaux. Je serre la main d'Allan Kardec au nom de tous vos amis d'outre-tombe, au nombre desquels je vous prie de me compter comme un des plus dévoués.

Jobard.


Soyes sivères pour vous et indulgentes pour vos frères. - 1re Homélie

Société spirite de Paris, 9 janvier 1863. ‑ Médium, M. d'Ambel


C'est la première fois que je viens m'entretenir avec vous, mes chers enfants ; j'aurais voulu choisir un médium plus sympathique aux sentiments qui ont été le mobile de toute ma vie terrestre et plus apte à me prêter un concours religieux ; mais puisque saint Augustin s'est depuis longtemps emparé du médium dont les matériaux cérébraux m'eussent été plus utiles, et vers lequel je me sentais porté, je m'adresse à vous par celui dont mon excellent condisciple Jobard s'est servi pour me présenter au milieu de votre philosophique société. J'aurai donc beaucoup de peine à exprimer, aujourd'hui, ce que je veux vous dire : d'abord, en raison de la difficulté que j'éprouve à manipuler la matière médiane, n'ayant point encore l'habitude de cette propriété de mon être désincarné ; et ensuite de celle que j'ai à faire jaillir mes idées d'un cerveau qui ne les admet pas toutes. Cela dit, j'aborde mon sujet.

Un spirituel bossu de l'antiquité disait que les hommes de son temps portaient une double besace, dont la poche de derrière contenait leurs défauts et leurs imperfections, tandis que la poche de devant recevait tous les défauts d'autrui ; c'est ce que plus tard l'Evangile rappela par l'allégorie de la paille et de la poutre dans l'œil. Mon Dieu ! mes enfants, il serait bien temps que les sacs de la besace changeassent de place ; et il appartient aux Spirites sincères d'opérer cette modification en portant devant eux la poche qui contient leurs propres imperfections, afin que les ayant continuellement sous les yeux, ils arrivent à s'en corriger, et celle qui contient les défauts d'autrui de l'autre côté, afin de ne plus y attacher une volonté jalouse et railleuse. Ah ! comme il sera digne de la doctrine que vous confessez et qui doit régénérer l'humanité de voir ses adeptes sincères et convaincus agir avec cette charité qu'ils proclament et qui leur commande de ne plus s'apercevoir de la paille qui gêne la vue de leur frère, et de s'occuper au contraire avec ardeur à se débarrasser de la poutre qui les aveugle eux-mêmes. Hélas ! mes chers enfants, cette poutre est formée par le faisceau de vos tendances égoïstes, de vos mauvais penchants et de vos fautes accumulées pour lesquels jusqu'à présent vous avez, comme tous les hommes, professé une tolérance paternelle beaucoup trop grande pendant que la plupart du temps vous n'aviez qu'intolérance et sévérité pour les faiblesses de votre prochain. Je voudrais tellement vous voir tous délivrés de cette infirmité morale du reste des hommes, ô mes chers Spirites, que je vous convie de toutes mes forces à entrer dans la voie que je vous indique. Je sais bien que déjà beaucoup de vos côtés véniels se sont modifiés dans le sens de la vérité ; mais je vois encore tant de mollesse et tant d'indécision chez vous pour le bien absolu, que la distance qui vous sépare du troupeau des pécheurs endurcis et des matérialistes n'est pas si grande que le torrent ne puisse vous emporter encore. Ah ! il vous reste une rude étape à parcourir pour atteindre à la hauteur de la sainte et consolante doctrine que les Esprits mes frères vous révèlent déjà depuis plusieurs années.

Dans la vie militante dont, grâce en soit rendue au Seigneur, je viens de sortir, j'ai vu tant de mensonges s'affirmer comme des vérités, tant de vices s'afficher comme des vertus, que je suis heureux d'avoir quitté un milieu où presque toujours l'hypocrisie revêtait de son manteau les tristesses et les misères morales qui m'entouraient ; et je ne puis que vous féliciter de voir que vos rangs ne s'ouvrent pas facilement pour les séides de cette hypocrisie mensongère.

Mes amis, ne vous laissez jamais prendre aux paroles dorées ; voyez et sondez les actes avant d'ouvrir vos rangs à ceux qui sollicitent cet honneur, parce que beaucoup de faux frères chercheront à se mêler à vous afin d'apporter le trouble et de semer sourdement la division. Ma conscience me commande de vous éclairer, et je le fais dans toute la sincérité de mon cœur, sans me préoccuper de personne ; vous êtes avertis : agissez en conséquence désormais. Mais pour finir comme j'ai commencé, je vous prie en grâce, mes bien chers enfants, de vous occuper sérieusement de vous-mêmes, d'expulser de vos cœurs tous les germes impurs qui peuvent encore y être restés attachés, de vous réformer petit à petit, mais sans relâche, selon la saine morale spirite, et d'être enfin aussi sévères pour vous que vous devez être indulgents pour les faiblesses de vos frères.

Si cette première homélie laisse quelque chose à désirer par la forme, ne vous en prenez qu'à mon inexpérience de la médianimité ; je ferai mieux la première fois qu'il me sera permis de me communiquer dans votre milieu où je remercie mon ami Jobard de m'avoir patronné. Adieu, mes enfants, je vous bénis.


François-Nicolas Madeleine.


Fête de Noël

Société spirite de Tours, 24 décembre 1862. ‑ Médium, M. N…

C'est ce soir que, dans le monde chrétien, on fête la Nativité de l'Enfant Jésus ; mais vous, mes frères, vous devez aussi vous réjouir et fêter la naissance de la nouvelle doctrine spirite. Vous la verrez grandir comme cet enfant ; elle viendra, comme lui, éclairer les hommes et leur montrer le chemin qu'ils doivent parcourir. Bientôt vous verrez les rois, comme les mages, venir eux-mêmes demander à cette doctrine des secours qu'ils ne trouvent plus dans les anciennes idées. Ils ne vous apporteront plus l'encens et la myrrhe, mais ils se prosterneront de cœur devant les idées nouvelles du Spiritisme. Ne voyez-vous pas déjà briller l'étoile qui doit les guider ? Courage donc, mes frères ; courage, et bientôt vous pourrez avec le monde entier célébrer la grande fête de la régénération de l'humanité.

Mes frères, vous avez longtemps renfermé dans votre cœur le germe de cette doctrine ; mais aujourd'hui voilà qu'il apparaît au grand jour avec l'appui d'un tuteur solidement planté et qui ne laissera pas fléchir ses faibles branches ; avec ce soutien providentiel, il grandira de jour en jour et deviendra l'arbre de la création divine. De cet arbre vous récolterez des fruits que vous ne conserverez pas pour vous seuls, mais pour vos frères qui auront faim et soif de la foi sacrée. Oh ! alors, présentez-leur ce fruit, et criez-leur du fond de votre cœur : « Venez, venez partager avec nous ce qui nourrit notre esprit et allégit nos douleurs physiques et morales. »

Mais n'oubliez pas, mes frères, que Dieu vous a fait lever le premier germe ; que ce germe a crû, et qu'il est devenu déjà un arbre propre à rapporter son fruit. Il vous restera quelque chose à utiliser, ce
sont ces tiges que vous pourrez transplanter ; mais auparavant, voyez si le terrain auquel vous confiez ce germe ne cache pas sous sa couche apparente quelque ver rongeur qui pourrait dévorer ce que vous a confié le Maître.

Signé : Saint Louis.


Clôture de la souscription rouennaise

Clôture de la souscription rouennaise.

Montant de la liste publiée dans le numéro de mars. . . 2722 fr. 05c.

M .V Fourrier (Versailles), 10 f.; M .Lux (Dole), 2 f. 50; Madame D... (Paris), b h.; M. C. L... (Paris), 30 fr.; M. Blin, cap. (Marseille), 15 fr.; M. Derivis, pour le deuxième groupe spirito d'Albi, 16 fr. ; M. Berger (Cahors), 2 fr.; M. Cuvier (Ambroise), 14 fr.; M. V... (Bayonne), 10 fr., M. L. D... (Versailles), 2 fr.; Ma dame Borreau (Niort), 2 fr.; M. D... (Paris), 3 fr. . . . 111 50 )

Total. .... 2833fr. 55c.


Aux lecteurs de la REVUE

Les circonstances nous ont forcé, depuis quelque temps, de donner plus de développement aux articles de fond et de restreindre les communications spiriles, par la nécessité de certaines réfutations d'ac tualité. Nous allons bientôt pouvoir rétablir l'équilibre.

Nous tâchons assurément de mettre autant de variété que possible dans notre journal pour satisfaire tous les goûts et un peu toutes les prétentions, mais il est des choses qui passent avant tout; nous sommes heureux de voir que nous sommes généralement compris, et qu'on nous tient compte des complications de travail résultant de la lutte à soutenir et de l'extension incessante de la doctrine, étant au centre où aboutissent toutes les ramifications et les innombrables fils de ce réseau qui embrasse aujourd'hui le monde entier. Grâce à Dieu, nos efforts sont couronnés de succès» et, comme compensation à nos fatigues, les satisfactions morales ne nous font pas défaut.

ALLAN KARDEC.




Mai

Les causes de l'obsession et les moyens de la combattre.

Cinquième et dernier article[1]



Ainsi qu'on a pu le remarquer, M. Constant est arrivé à Morzines avec l'idée que la cause du mal était purement physique ; il pouvait avoir raison, car il serait absurde de supposer à priori une influence occulte à tout effet dont la cause est inconnue. Selon lui, cette cause est tout entière dans les conditions hygiéniques, climatériques et physiologiques des habitants. Nous sommes loin de prétendre qu'il aurait dû venir avec une opinion contraire tout arrêtée, ce qui n'eût pas été plus logique ; nous disons simplement qu'avec son idée préconçue il n'a vu que ce qui pouvait s'y rapporter, tandis que s'il eût été dans ses opinions d'admettre seulement la possibilité d'une autre cause, il aurait vu autre chose.

Quand une cause est réelle, elle doit pouvoir expliquer tous les effets qu'elle produit ; si certains effets viennent la contredire, c'est qu'elle est fausse ou qu'elle n'est pas unique, et alors il faut en chercher une autre. C'est incontestablement la marche la plus logique ; et la justice, dans ses investigations pour la recherche de la criminalité, ne procède pas autrement. S'il s'agit de constater un crime, arrive-t-elle avec l'idée qu'il a dû être commis de telle ou telle manière, par tel moyen ou telle personne ? Non ; elle observe les plus petites circonstances, et, remontant des effets aux causes, elle écarte celles qui sont inconciliables avec les effets observés, et, de déduction en déduction, il est rare qu'elle n'arrive pas à la constatation de la vérité. Il en est de même dans les sciences ; lorsqu'une difficulté reste insoluble, le plus sage est de suspendre son jugement. Toute hypothèse est permise alors pour essayer de la résoudre ; mais si celte hypothèse ne résout pas tous les cas de la difficulté, c'est qu'elle est fausse : elle n'a le caractère d'une vérité absolue que si elle donne raison à tout. C'est ainsi qu'en Spiritisme, par exemple, toute constatation matérielle à part, en remontant des effets aux causes, on arrive au principe de la pluralité des existences, comme conséquence inévitable, parce que seul il explique clairement ce qu'aucun autre n'a pu expliquer.

En appliquant cette méthode aux faits de Morzines, il est aisé de voir que la cause unique admise par M. Constant est loin de tout expliquer. Il constate, par exemple, que les crises cessent généralement dès que les malades sont hors du territoire de la commune. Si donc le mal tient à la constitution lymphatique et à la mauvaise nourriture des habitants, comment cette cause cesse-t-elle d'agir quand ils ont franchi le pont qui les sépare de la commune voisine ? Si les crises nerveuses n'étaient accompagnées d'aucun autre symptôme, nul doute qu'on pût, selon toute apparence, les attribuer à un état constitutionnel, mais il est des phénomènes que cet état seul ne saurait expliquer.

Le Spiritisme nous offre ici une comparaison frappante. Au début des manifestations, lorsqu'on vit les tables tourner, frapper, se dresser, se soulever dans l'espace sans point d'appui, la première pensée fut que ce pouvait être par l'action de l'électricité, du magnétisme, ou d'un fluide inconnu ; cette supposition n'avait rien de déraisonnable, au contraire : elle offrait toute probabilité. Mais lorsqu'on vit ces mêmes mouvements donner des signes d'intelligence, manifester une volonté propre, spontanée et indépendante, la première hypothèse ne pouvant résoudre cette phase du phénomène, dut être abandonnée, et il fallut bien reconnaître dans un effet intelligent une cause intelligente. Quelle était cette intelligence ? C'est encore par la voie de l'expérimentation qu'on y est arrivé, et non par un système préconçu.

Citons un autre exemple. Lorsque Newton, observant la chute des corps, remarqua qu'ils tombaient tous dans la même direction, il en chercha la cause et fit une hypothèse ; cette hypothèse, résolvant tous les cas du même genre, devint la loi de gravitation universelle, loi purement mécanique, parce que tous les effets étaient mécaniques. Mais supposons qu'en voyant tomber une pomme, celle-ci eût obéi à sa volonté ; qu'à son commandement, au lieu de descendre elle eût monté, fût allée à droite ou à gauche, se fût arrêtée ou mise en mouvement ; qu'elle eût, par un signe quelconque, répondu à sa pensée, il eût bien été forcé de reconnaître autre chose qu'une loi mécanique, c'est-à-dire que la pomme n'étant pas intelligente par elle-même, elle devait obéir à une intelligence. Ainsi en a-t-il été des tables tournantes ; ainsi en est-il des malades de Morzine.

Pour ne parler que des faits observés par M. Constant lui-même, nous demanderons comment une mauvaise nourriture et un tempérament lymphatique peuvent produire l'antipathie religieuse chez des gens naturellement religieux et même dévots ? Si c'était un fait isolé, ce pourrait être une exception, mais on reconnaît qu'il est général et que c'est un des caractères de la maladie là et ailleurs ; voilà un effet, cherchez-en la cause ; vous ne la connaissez pas ? soit ; avouez-le, mais ne dites pas qu'il tient à ce que les habitants mangent des pommes de terre et du pain noir, ni à leur ignorance et à l'étroitesse de leur intelligence, car on vous opposera le même effet chez des gens qui vivent dans l'abondance et ont reçu de l'instruction. S'il suffisait du confortable pour guérir de l'impiété, on s'étonnerait de trouver tant d'impies et de blasphémateurs parmi les gens qui ne se refusent rien.

Le régime hygiénique expliquera-t-il mieux cet autre fait non moins caractéristique et général du sentiment de la dualité qui se traduit d'une manière non équivoque dans le langage des malades ? Certainement non. C'est toujours un tiers qui parle ; toujours une distinction entre lui et la fille, fait constant chez les individus dans le même cas, à quelque classe de la société qu'ils appartiennent. Les remèdes sont inefficaces par une bonne raison, c'est qu'ils sont bons, comme ce tiers le dit, pour la fille, c'est-à-dire pour l'être corporel, mais non pour l'autre, celui qu'on ne voit pas, et qui pourtant la fait agir, la contraint, la subjugue, la terrasse, et se sert de ses membres pour frapper et de sa bouche pour parler. Il dit n'avoir rien vu qui justifie l'idée de la possession, mais les faits étaient devant ses yeux, il les cite lui-même. Peuvent-ils s'expliquer par la cause qu'il leur attribue ? Non ; donc cette cause n'est pas la véritable ; il voyait des effets moraux, il fallait chercher une cause morale.

Un autre médecin, le docteur Chiara, qui, lui aussi, a visité Morzines, et a publié son appréciation[2], constate les mêmes phénomènes et les mêmes symptômes que M. Constant ; mais pour lui, comme pour ce dernier, les Esprits malins sont dans l'imagination des malades. Nous trouvons dans sa relation le fait suivant, à propos d'une malade :

« L'accès commence par un hoquet et des mouvements de déglutition, par la flexion et le redressement alternatifs de la tête sur le tronc ; puis après plusieurs contorsions qui donnent à sa figure si douce une expression effrayante : «S… médecin, s'écrie-t-elle, je suis le diable…, tu veux me faire sortir de la fille, je ne te crains pas… viens !… il y a quatre ans que je la possède : elle est à moi, j'y resterai. ‑ Que fais-tu dans cette fille ? ‑ Je la tourmente. ‑ Et pourquoi, malheureux, tourmentes-tu une personne qui ne t'a fait aucun mal ? ‑ Parce qu'on m'y a mis pour la tourmenter ? ‑ Tu es un scélérat. » Ici je m'arrête, abasourdi par une avalanche d'injures et d'imprécations. »

En parlant d'une autre malade, il dit :

« Après quelques instants d'une scène muette, d'une pantomime plus ou moins expressive, notre possédée se met à pousser des jurons horribles. Écumante de rage, elle nous injurie tous avec une fureur sans pareille. Mais, disons-le tout de suite, ce n'est pas la fille qui s'exprime ainsi, c'est le diable qui la possède et qui, se servant de son organe, parle en son nom propre. Quant à notre énergumène, elle n'est qu'un instrument passif chez qui la notion du moi est entièrement abolie. Si on l'interpelle directement, elle reste muette : Belzébuth seul répondra.

Enfin, après trois minutes environ, ce drame effrayant cesse tout à coup comme par enchantement. La fille B… reprend l'air le plus calme, le plus naturel du monde, comme si rien ne se fût passé. Elle tricotait avant, la voilà qui tricote après, sans qu'elle paraisse avoir interrompu son travail. Je l'interroge ; elle me répond n'éprouver aucune fatigue, et ne se souvient de rien. Je lui parle des injures qu'elle nous a dites : elle les ignore ; mais elle paraît en être contrariée et nous fait ses excuses.

Chez toutes ces malades, la sensibilité générale est complètement abolie. On a beau les pincer, les piquer, les brûler, elles ne ressentent rien. A l'une d'elles je fis un pli à la peau que je traversai de part en part avec une aiguille ordinaire ; le sang coula, mais elle ne sentit rien.

A Morzines j'ai encore vu plusieurs de ces malades hors l'état de crise ; c'étaient des jeunes filles, grosses et fraîches, jouissant de la plénitude de leurs facultés physiques et morales. A les voir, il était impossible de supposer chez elle l'existence de la moindre affection. »

Ceci contraste avec l'état rachitique, malingre et souffreteux que M. Constant a cru remarquer. Quant au phénomène de l'insensibilité pendant les crises, ce n'est pas, comme on a pu le voir, le seul rapprochement que ces faits présentent avec l'état cataleptique, le somnambulisme et la double vue.

De toutes ses observations, le docteur Chiara conclut à cette définition du mal :

« C'est un ensemble morbide, formé de différents symptômes, pris un peu dans tout le cadre pathologique des maladies nerveuses et mentales ; en un mot, c'est une affection sui generis, à laquelle je conserverai, attachant peu d'importance aux dénominations, le nom d'hystéro-démonie qu'on lui a déjà donné. »

C'est le cas de dire : « Que celui qui a des oreilles entende. » C'est un mal particulier, formé de différentes parties, et qui a sa source un peu partout. Autant valait dire tout net : « C'est un mal que je ne comprends pas. » C'est un mal sui generis ; nous sommes d'accord ; mais quel est ce genre auquel vous ne savez même quel nom donner ?

Nous pourrions prouver l'insuffisance d'une cause purement matérielle pour expliquer le mal de Morzines, par bien d'autres rapprochements, mais que nos lecteurs feront eux-mêmes. Qu'ils veuillent donc se reporter à nos précédents articles sur le même sujet, à ce que nous disons de la manière dont s'opère l'action des Esprits obsesseurs, des phénomènes qui résultent de cette action, et l'analogie en ressortira avec la dernière évidence. Si, pour les Morzinois, le tiers intervenant est le diable, c'est qu'on leur a dit que c'était le diable, et qu'ils ne connaissent que cela. On sait d'ailleurs que certains Esprits de bas étage s'amusent à prendre des noms infernaux pour effrayer. A ce nom, substituez dans leur bouche le mot Esprit, ou mieux mauvais Esprits, et vous aurez la reproduction identique de toutes les scènes d'obsession et de subjugation que nous avons rapportées. Il est incontestable que, dans un pays où dominerait l'idée du Spiritisme, une épidémie pareille survenant, les malades se diraient sollicités par de mauvais Esprits, et alors ils passeraient aux yeux de certaines gens pour des fous ; ils disent que c'est le diable : c'est une affection nerveuse. C'est ce qui serait arrivé à Morzines si la connaissance du Spiritisme y eût précédé l'invasion de ces Esprits, et c'est alors que ses adversaires auraient crié haro ! sur lui ; mais la Providence n'a pas voulu leur donner cette satisfaction passagère ; elle a voulu au contraire prouver leur impuissance à combattre le mal par les moyens ordinaires.

En fin de compte, on a eu recours à l'éloignement des malades que l'on a dirigés sur les hôpitaux de Thonon, Chambéry, Lyon, Mâcon, etc. Le moyen était bon ; car, quand ils furent tous transportés, on put se flatter de dire qu'il n'y en avait plus dans le pays. Cette mesure pouvait être fondée sur un fait observé, celui de la cessation des crises hors de la commune, mais elle paraît l'avoir été sur une autre considération : l'isolement des malades. Du reste, l'opinion de M. Constant est catégorique ; il dit : « Il devrait y avoir une sorte de lazaret où l'on pourrait enfouir, aussitôt qu'ils se montrent, les désordres moraux et nerveux dont la propriété contagieuse est établie, a dit mon ancien ami le docteur Bouchut. En attendant mieux, ce lazaret est tout trouvé, c'est l'asile d'aliénés ; c'est le seul lieu vraiment convenable pour le traitement rationnel et complet des malades qui m'occupent, soit que l'on admette que leur maladie est bien une forme, une variété de l'aliénation, et quand bien même encore on ne voudrait pas qu'elles fussent, à aucun titre, prises pour des aliénées ; il faut produire sur elles un certain degré d'intimidation, occuper leur esprit de manière à laisser le moins de temps possible à leurs préoccupations par d'autres préoccupations ; les soustraire absolument à toute influence religieuse irréfléchie et non mesurée, aux conversations, avis ou observations susceptibles d'entretenir leur erreur, qu'il faut au contraire combattre tous les jours ; leur donner un régime approprié ; les obliger enfin à se soumettre aux prescriptions qu'il pourrait être utile d'associer à un traitement purement moral et avoir les moyens d'exécution. Où trouver réunies toutes ces conditions nécessaires, essentielles, ailleurs que dans un asile ? On a craint pour ces malades le contact avec de vraies aliénées ; ce contact eût été moins fâcheux qu'on ne l'a pensé, et il eût été facile, après tout, de consacrer provisoirement un quartier aux seules malades de Morzines. Si leur agglomération avait eu quelques inconvénients, on aurait pu trouver des compensations dans la réunion elle-même, et je reste convaincu que le nom d'asile, de maison de fous, eût peut-être seul amené plus d'une guérison, et qu'il se fût rencontré peu de diables qu'une douche n'eût mis en fuite. »

Nous sommes loin de partager l'optimisme de M. Constant sur l'innocuité du contact des aliénés et l'efficacité des douches en pareil cas ; nous sommes persuadé, au contraire, qu'un tel régime peut produire une folie véritable là où il n'y a qu'une folie apparente ; or, remarquez bien qu'en dehors des crises, les malades ont tout leur bon sens et sont sains de corps et d'esprit ; il n'y a donc chez eux qu'un trouble passager qui n'a aucun des caractères de la folie proprement dite. Leur cerveau, nécessairement affaibli par les secousses fréquentes qu'il éprouve, serait encore plus facilement impressionné par la vue des fous et par l'idée seule d'être avec des fous. M. Constant attribue le développement et l'entretien de la maladie à l'imitation, à l'influence des conversations que les malades ont entre eux, et il conseille de les mettre avec des fous ou de les parquer dans un quartier d'hôpital ! N'est-ce pas une contradiction évidente, et est-ce là ce qu'il entend par traitement moral ?

Selon nous, le mal est dû à une tout autre cause et doit requérir des moyens curatifs tout différents. Il a sa source dans la réaction incessante qui existe entre le monde visible et le monde invisible qui nous entoure et au milieu duquel nous vivons, c'est-à-dire entre les hommes et les Esprits, qui ne sont autres que les âmes de ceux qui ont vécu et parmi lesquels il y en a de bons et de mauvais. Cette réaction est une des forces, une des lois de la nature, et produit une foule de phénomènes psychologiques, physiologiques et moraux incompris, parce que la cause était inconnue ; le Spiritisme nous fait connaître cette loi, et dès lors que des effets sont soumis à une loi de la nature, ils n'ont rien de surnaturel. Vivant au milieu de ce monde, qui n'est point aussi immatériel qu'on se le figure, puisque ces êtres, quoique invisibles, ont des corps fluidiques semblables aux nôtres, nous en ressentons l'influence ; celle des bons Esprits est salutaire et bienfaisante, celle des mauvais est pernicieuse comme le contact des gens pervers dans la société.

Nous disons donc qu'à Morzines, une nuée de ces êtres invisibles malfaisants s'est momentanément abattue sur cette localité, comme cela a eu lieu en beaucoup d'autres, et ce n'est ni avec des douches, ni avec une nourriture succulente qu'on les chassera. Les uns les appellent diables ou démons ; nous les appelons simplement mauvais Esprits ou Esprits inférieurs, ce qui n'implique point une meilleure qualité, mais ce qui est très différent pour les conséquences, attendu que l'idée attachée aux démons est celle d'êtres à part, en dehors de l'humanité, et perpétuellement voués au mal, tandis qu'ils ne sont autres que les âmes d'hommes qui ont été mauvais sur la terre, mais qui finiront par s'améliorer un jour ; en venant dans cette localité, ils font, comme Esprits, ce qu'ils auraient fait s'ils y fussent venus de leur vivant, c'est-à-dire le mal que ferait une bande de malfaiteurs. Il faut donc les chasser comme on chasserait une troupe d'ennemis.

Il est dans la nature de ces Esprits d'être antipathiques à la religion, parce qu'ils en redoutent la puissance, comme les criminels sont antipathiques à la loi et aux juges qui les condamnent, et ils expriment ces sentiments par la bouche de leurs victimes, véritables médiums inconscients qui sont strictement dans le vrai quand ils disent n'être que des échos ; le patient est réduit à un état passif ; il est dans la situation d'un homme terrassé par un ennemi plus fort, qui le contraint à faire sa volonté ; le moi de l'Esprit étranger neutralise momentanément le moi personnel ; il y a subjugation obsessionnelle et non possession.

Quelle absurdité ! diront certains docteurs. Absurdité, tant que vous voudrez, mais qui n'en est pas moins aujourd'hui tenue pour une vérité par un grand nombre de médecins. Un temps viendra, moins éloigné qu'on ne pense, où, l'action du monde invisible étant généralement reconnue, l'influence des mauvais Esprits sera rangée parmi les causes pathologiques ; il sera tenu compte du rôle important que joue le périsprit dans la physiologie, et une nouvelle voie de guérison sera ouverte pour une foule de maladies réputées incurables.

S'il en est ainsi, dira-t-on, d'où vient l'inutilité des exorcismes ? Cela prouve une chose, c'est que les exorcismes tels qu'ils sont pratiqués ne valent pas mieux que les médecines, et cela parce que leur efficacité n'est pas dans l'acte extérieur, dans la vertu des paroles et des signes, mais dans l'ascendant moral exercé sur les mauvais Esprits. Les malades ne disaient-ils pas : « Ce ne sont pas des remèdes qu'il nous faut, mais de saints prêtres ; » et ils insultaient ceux-ci disant qu'ils n'étaient pas assez saints pour avoir action sur les démons. Etait-ce la nourriture de pommes de terre qui les faisait parler ainsi ? Non, mais bien l'intuition de la vérité. L'inefficacité de l'exorcisme en pareil cas est constatée par l'expérience ; et pourquoi cela ? parce qu'il consiste dans des cérémonies et des formules dont se rient les mauvais Esprits, tandis qu'ils cèdent à l'ascendant moral qui leur impose ; ils voient qu'on veut les maîtriser par des moyens impuissants, et ils veulent se montrer les plus forts ; ils sont comme le cheval ombrageux qui jette par terre le cavalier inhabile, tandis qu'il plie quand il a trouvé son maître.

« Dans une de ces cérémonies, dit le docteur Chiara, il y eut dans l'église où l'on avait réuni tous les malades un affreux tumulte. Toutes ces femmes tombèrent en crise simultanément, renversant, brisant les bancs de l'église et se roulant par terre, pêle-mêle avec les enfants et les hommes, qui s'efforçaient vainement de les contenir. Elles profèrent des jurements effroyables, inouïs ; interpellent le prêtre dans les termes les plus injurieux. »

Les cérémonies publiques d'exorcisme cessèrent de ce moment, mais on alla exorciser à domicile, à toute heure du jour et de la nuit, ce qui ne produisit pas de meilleurs résultats, et y fit définitivement renoncer.

Nous avons cité plusieurs exemples de la puissance morale en pareil cas, et quand nous n'en aurions pas eu maintes preuves sous les yeux, il suffirait de rappeler celle qu'exerçait le Christ qui, pour chasser les démons, n'avait qu'à leur commander de se retirer. Comparez, dans l'Evangile, les possédés de son temps avec ceux de nos jours, et vous verrez une frappante similitude. Jésus les guérissait par des miracles, direz-vous ; soit, mais voici un fait que vous appellerez d'autant moins miraculeux qu'il s'est passé chez les schismatiques.

M. A…, de Moscou, qui n'avait point lu notre relation, nous racontait, il y a peu de jours, que dans ses propriétés les habitants d'un village furent atteints d'un mal en tout semblable à celui de Morzines ; mêmes crises, mêmes convulsions, mêmes blasphèmes, mêmes injures contre les prêtres, mêmes effets de l'exorcisme, même impuissance de la science médicale. Un de ses oncles, M. R…, de Moscou, puissant magnétiseur, homme de bien par excellence, très pieux par le cœur, étant venu visiter ces malheureux, arrêtait les convulsions les plus violentes par la seule imposition des mains qu'il accompagnait toujours d'une fervente prière. En réitérant cet acte il finit par les guérir presque tous radicalement.

Cet exemple n'est pas le seul ; comment l'expliquer, si ce n'est par l'influence magnétique secondée par la prière, remède dont usent peu nos matérialistes, parce qu'il ne se trouve ni dans le codex ni dans nos pharmacies ? remède puissant cependant quand il part du cœur et non des lèvres, et qu'il s'appuie sur une foi vive et un ardent désir de faire le bien. En décrivant l'obsession dans nos premiers articles, nous avons expliqué l'action fluidique qui s'exerce en cette circonstance, et nous en concluons, par analogie, que c'eût été un puissant auxiliaire à Morzines.

Quoi qu'il en soit, le mal paraît arrivé à son terme, les conditions du pays restant cependant les mêmes. Pourquoi cela ? c'est ce qu'il nous est pas encore permis de dire ; mais, comme on le reconnaîtra plus tard, il aura, plus qu'on ne pense, servi la cause du Spiritisme, ne fût-ce qu'à prouver, par un grand exemple, que ceux qui ne le connaissent pas ne sont pas préservés de l'action des mauvais Esprits, et l'impuissance des moyens ordinaires employés pour les chasser.

Nous terminerons en rassurant certains habitants du pays sur la prétendue influence que quelques-uns d'entre eux auraient pu exercer en donnant le mal, comme ils le disent ; la croyance aux jeteurs de sorts doit être reléguée parmi les croyances superstitieuses. Qu'ils soient pieux de cœur, et que ceux qui sont chargés de les conduire s'efforcent de les élever moralement, c'est le plus sûr moyen de neutraliser l'influence des mauvais Esprits, et de prévenir le retour de ce qui s'est passé. Les mauvais Esprits ne s'adressent qu'à ceux qu'ils savent pouvoir maîtriser, et non à ceux que la supériorité morale, nous ne disons pas intellectuelle, cuirasse contre leurs atteintes.

Ici se présente une objection toute naturelle qu'il est utile de prévenir. On se demandera peut-être pourquoi tous ceux qui font le mal ne sont pas atteints de possession ? A cela nous répondrons qu'en faisant le mal, ils subissent d'une autre manière la pernicieuse influence des mauvais Esprits dont ils écoutent les conseils, et ils en seront punis avec d'autant plus de sévérité qu'ils agissent avec plus de connaissance de cause. Ne croyez à la vertu d'aucun talisman, d'aucune amulette, d'aucun signe, d'aucune parole pour écarter les mauvais Esprits ; la pureté du cœur et de l'intention, l'amour de Dieu et de son prochain, voilà le meilleur talisman, parce qu'il leur ôte tout empire sur nos âmes.

Voici la communication qu'a donnée sur ce sujet l'Esprit de saint Louis, guide spirituel de la Société spirite de Paris :

« Les possédés de Morzines sont réellement sous l'influence des mauvais Esprits attirés dans cette contrée par des causes que vous connaîtrez un jour, ou, mieux, que vous reconnaîtrez un jour vous-mêmes. La connaissance du Spiritisme y fera prédominer la bonne influence sur la mauvaise ; c'est-à-dire que les Esprits guérisseurs et consolateurs, attirés par les fluides sympathiques, remplaceront la maligne et cruelle influence qui désole cette population. Le Spiritisme est appelé à rendre de grands services ; il sera le guérisseur de ces maux dont on ne connaissait pas la cause auparavant, et devant lesquels la science demeure impuissante ; il sondera les plaies morales, et leur prodiguera le baume réparateur ; en rendant les hommes meilleurs, il écartera d'eux les mauvais Esprits attirés par les vices de l'humanité. Si tous les hommes étaient bons, les mauvais Esprits s'en éloigneraient, parce qu'ils sauraient ne pouvoir les induire au mal. La présence des hommes de bien les fait fuir, celle des hommes vicieux les attire, tandis que c'est le contraire pour les bons Esprits. Soyez donc bons si vous voulez n'avoir que de bons Esprits autour de vous. » (Médium, Madame Costel.)





[1] Voir les numéros de décembre 1862, janvier, février, avril 1863. Voir aussi, sur le même sujet, le n° d'avril 1862, p. 109.


[2] Les Diables de Morzines, chez Mégret, quai de l'Hôpital, 51, à Lyon.



On nous signale de différents points de nouvelles prédications contre le Spiritisme, toutes dans le même esprit que celles dont nous avons parlé, et comme ce n'est toujours que la variante d'une même pensée, en termes plus ou moins choisis, nous croyons superflu d'en donner l'analyse ; nous nous bornons à relever certains passages que nous faisons suivre de quelques réflexions.

« Mes frères, c'est un chrétien qui parle à des chrétiens, et comme tels nous avons le droit de nous étonner de voir le Spiritisme croître parmi nous. Qu'est-ce que le Spiritisme, je vous le demande, si ce n'est un assemblage d'horreurs que la folie seule peut justifier ? »

A cela nous n'avons rien à répondre, si ce n'est que toutes les prédications faites dans cette cité n'ont pu arrêter l'accroissement du Spiritisme, ainsi que le constate l'orateur ; donc les arguments qu'on lui oppose ont moins d'empire que les siens ; donc, si les prédications viennent de Dieu, et le Spiritisme du diable, c'est que le diable est plus puissant que Dieu. Rien n'est brutal comme un fait ; or, le fait de propagation du Spiritisme par suite même des prédications est notoire, donc, c'est qu'on trouve les arguments qu'il donne plus convaincants que ceux de ses adversaires. C'est un tissu d'horreurs, soit ; mais convenez que si ces mêmes Esprits venaient abonder dans toutes vos idées, au lieu de démons vous en feriez des saints, et, loin de condamner les évocations, vous les encourageriez.

« Notre siècle ne respecte plus rien ; la cendre des tombeaux n'est pas même épargnée, puisque des insensés osent appeler les morts pour s'entretenir avec eux. C'est pourtant ainsi, et voilà où en est arrivé ce prétendu siècle de lumières : causer avec des revenants. »

Causer avec les morts n'est pas le fait de ce siècle, puisque l'histoire de tous les peuples prouve qu'on l'a fait de tout temps ; la seule différence est qu'on le fait partout aujourd'hui et sans les accessoires superstitieux dont on entourait jadis les évocations ; qu'on le fait avec un sentiment plus religieux et plus respectueux. De l'un des deux : ou la chose est possible ou elle ne l'est pas ; si elle ne l'est pas, c'est une croyance illusoire, comme celle de croire à la fatalité du vendredi, à l'influence du sel renversé ; nous ne voyons donc pas qu'il y ait là tant d'horreurs, et que l'on manque de respect en causant avec des gens qui ne sont pas là ; si les morts viennent causer avec nous, ce ne peut être qu'avec la permission de Dieu, à moins de prétendre qu'ils viennent sans sa permission ou contre sa volonté, ce qui impliquerait que Dieu ne s'en occupe pas, ou que les évocateurs sont plus puissants que Dieu. Mais remarquez les contradictions : d'un côté vous dites que le diable seul se communique, et d'un autre qu'on trouble la cendre des morts en les appelant ; si c'est le diable, ce ne sont pas les morts, donc on ne les trouble pas et on ne leur manque pas de respect ; si ce sont les morts, donc ce n'est pas le diable. Il faudrait au moins vous accorder sur ce point capital. En admettant que ce soient les morts, nous reconnaissons qu'il y aurait profanation à les appeler légèrement, pour des causes futiles, et surtout d'en faire un métier lucratif, toutes choses que nous condamnons, n'assumant pas plus la responsabilité de ceux qui s'écartent des principes du Spiritisme sérieux, que vous n'assumez celle des faux dévots qui n'ont de la religion que le masque, qui prêchent ce qu'ils ne pratiquent pas, ou qui spéculent sur les choses saintes. Certes des évocations faites dans les conditions burlesques supposées par un éloquent orateur que nous citons plus loin seraient un sacrilège, mais, Dieu merci, nous n'en sommes pas là, et nous ne croyons pas que celle de M. Viennois, également rapportée ci-après, soit dans ce cas.

« J'ai été moi-même témoin de ces faits, et j'ai entendu prêcher la morale, la charité, il est vrai ; mais sur quoi s'appuient cette morale, cette charité ? Hélas ! sur rien, car peut-on appeler morale une doctrine qui nie les peines éternelles ? »

Si cette morale conduit à faire le bien sans la crainte des peines éternelles, elle n'en a que plus de mérite. Autrefois on croyait impossible de maintenir les écoliers sans la crainte de la férule ; en étaient-ils meilleurs ? Non ; aujourd'hui on ne s'en sert plus et ils ne sont pas pires, au contraire ; donc le régime actuel est préférable. On juge la bonté d'un moyen par ses effets. D'ailleurs, à qui s'adresse cette morale ? à ceux précisément qui ne croient pas aux peines éternelles, et à qui nous donnons un frein qu'ils acceptent, tandis que vous ne leur en donnez point, puisqu'ils n'acceptent pas le vôtre. Empêchons-nous de croire à la damnation absolue ceux à qui cela convient ? Pas le moins du monde. Encore une fois nous ne nous adressons pas à ceux qui ont la foi et à qui cette foi suffit, mais à ceux qui n'en ont point ou qui doutent. Aimeriez-vous mieux qu'ils restassent dans l'incrédulité absolue ? ce serait peu charitable. Avez-vous peur qu'on ne vous enlève des brebis ? c'est que vous n'avez pas grande confiance dans la puissance de vos moyens pour les retenir ; c'est que vous avez peur qu'elles ne soient attirées par l'herbe tendre du pardon et de la miséricorde divine. Croyez-vous donc que celles qui flottent incertaines préfèreront les charbons de l'enfer ? D'un autre côté, qui doit être plus convaincu des peines éternelles que ceux qui sont nourris dans le sein de l'Eglise ? Or, dites pourquoi cette perspective n'a pas arrêté tous les scandales, toutes les atrocités, toutes les prévarications aux lois divines et humaines dont fourmille l'histoire et qui se reproduisent incessamment de nos jours ? Sont-ce des crimes, oui ou non ? Si donc ceux qui font profession de cette croyance ne sont pas arrêtés, comment voulez-vous que le soient ceux qui n'y croient pas ? Non, il faut à l'homme éclairé de nos jours un autre frein, celui qu'admet sa raison ; or, la croyance aux peines éternelles, utile peut-être à une autre époque, a fait son temps ; elle s'éteint tous les jours, et vous aurez beau faire, vous ne donnerez pas plus la vie à ce cadavre que vous ne ferez revivre les us et coutumes et les idées du moyen âge. Si l'Église catholique croit sa sûreté compromise par la disparition de cette croyance, il faut la plaindre de reposer sur une base si fragile, car, si elle a un ver rongeur, c'est le dogme des peines éternelles.

Aussi, j'en appelle à la moralité de toutes les âmes honnêtes ; j'en appelle aux magistrats, car ils sont responsables de tout le mal qu'une semblable hérésie attire sur nos têtes. »

Nous ne savions pas qu'en France les magistrats fussent chargés de poursuivre les hérésies, puisque parmi eux, s'il y a des catholiques, il y aussi des protestants et des juifs, hérétiques qui seraient ainsi chargés de se poursuivre eux-mêmes et de se condamner ; qu'il y en a parmi les fonctionnaires du plus haut rang.

Oui, les Spirites, je ne crains pas de le déclarer ici hautement, ne sont pas seulement passibles de la police correctionnelle, de la Cour impériale, mais, entendez-le bien, il sont encore passibles de la Cour d'assises, car ce sont des faussaires ; ils signent des communications de noms honorables que n'auraient certes pas signées, de leur vivant, ceux que l'on fait si bien causer aujourd'hui. »

Les Spirites sont vraiment bien heureux que Confucius, Socrate, Platon, saint Augustin, saint Vincent de Paul, Fénelon, etc., ne puissent venir leur intenter des procès pour crimes de faux en écriture privée. Mais, j'y songe : ils auraient une planche de salut précisément dans les Cours d'assises dont ils sont justiciables ; car là ce sont les jurés qui prononcent selon leur conscience ; or, parmi eux il y a aussi des protestants et des juifs ; il y a même, chose abominable, des philosophes, des incrédules, d'affreux libres penseurs, qui, vu nos détestables lois modernes, se trouvent partout ; donc, si l'on nous accuse de faire dire à saint Augustin quelque chose d'hétérodoxe, nous trouverons toujours des jurés pour nous acquitter. O perversité du siècle ! dire que de nos jours Voltaire, Diderot, Luther, Calvin, Jean Huss, Arius, auraient été jurés par droit de naissance, qu'ils auraient pu être juges, préfets, ministres de la justice et même des cultes ! Les voyez-vous, ces gibiers de l'enfer, se prononcer sur une question d'hérésie ! car, pour condamner la signature de Fénelon mise au bas d'une communication soi-disant hérétique, il faut juger la question d'orthodoxie, et qui sera compétent dans le jury ?

Et pourtant, une chose serait si facile pour interdire de semblables forfaits ! Que faudrait-il faire ? la moindre des choses ; et même sans leur faire l'honneur de l'écharpe du commissaire, vous pouvez mettre un sergent de ville à l'entrée de chaque groupe pour dire : on ne passe pas. Je vous dépeins le mal, je vous décris le remède, rien de plus, rien de moins, car je leur fais grâce de l'inquisition. »

Merci beaucoup, mais il n'y a pas grand mérite à offrir ce qu'on n'a pas, et, malheureusement pour vous, vous n'avez pas l'inquisition, sans quoi il est douteux que vous nous en fissiez grâce. Que ne dites-vous donc aux magistrats d'interdire l'entrée des temples juifs et protestants où l'on prêche publiquement des dogmes qui ne sont pas les vôtres ? Quant aux Spirites, ils n'ont ni temples, ni prêtres, mais ils ont des groupes, ce qui pour vous est la même chose, à l'entrée desquels il suffit de mettre un sergent de ville pour que tout soit dit ; c'est bien simple, en effet ; mais vous oubliez que les Esprits forcent toutes les consignes et entrent partout sans demander la permission, même chez vous, car vous en avez à vos côtés qui vous écoutent, sans que vous vous en doutiez, et, qui plus est, parlent à vos oreilles ; rappelez bien vos souvenirs et vous verrez que vous avez eu plus d'une manifestation sans la chercher.

Vous paraissez ignorer une chose qu'il est bon que vous sachiez. Les groupes spirites ne sont nullement nécessaires ; ce sont de simples réunions où sont heureux de se rencontrer des gens qui pensent de même ; et la preuve en est, c'est qu'il y a aujourd'hui en France plus de six cent mille Spirites dont les quatre-vingt-dix-neuf centièmes ne font partie d'aucun groupe et n'y ont jamais mis le pied ; que dans une foule de villes il n'y en a point ; que ni les groupes ni les sociétés n'ouvrent leurs portes au public pour prêcher leurs doctrines aux passants ; que le Spiritisme se prêche de lui-même et par la force des choses, parce qu'il répond à un besoin de l'époque ; que ces idées sont dans l'air et s'aspirent par tous les pores de l'intelligence ; que la contagion est dans l'exemple de ceux qui sont heureux de ces croyances et que l'on rencontre partout, dans le monde, sans aller les chercher dans les groupes. Ainsi, ce ne sont pas les groupes qui font de la propagande, puisqu'ils n'appellent pas le premier venu ; elle se fait de proche en proche, d'individu à individu ; donc, admettons l'interdiction de toutes les réunions, les Spirites en seraient quittes pour rester chez eux et se réunir en famille, ainsi que cela se fait dans des milliers d'endroits sans que le Spiritisme en souffre, bien au contraire, puisque nous avons toujours blâmé les grandes assemblées comme plus nuisibles qu'utiles, l'intimité étant reconnue la condition la plus favorable aux manifestations. Interdirez-vous les réunions de famille ? Mettrez-vous un sergent de ville à la porte d'un salon pour surveiller ce qui se passe au coin du feu ? On ne le fait pas en Espagne ; on ne le fait pas à Rome, où il y a plus de spirites et de médiums que vous ne le pensez. Il ne manquerait plus que cela pour faire grandir encore l'importance du Spiritisme.

Admettons maintenant l'interdiction légale des groupes, savez-vous ce que feraient ces Spirites que vous accusez de semer le désordre ? Ils diraient : « Respectons la loi ; dura lex, sed lex ; donnons l'exemple, et montrons que si nous prêchons l'union, la paix et la concorde, ce n'est pas pour nous transformer en fauteurs de trouble. Les sociétés organisées ne sont pas une condition nécessaire pour l'existence du Spiritisme ; il n'y a entre elles aucune solidarité matérielle qui puisse être brisée par leur suppression ; ce que les Esprits y enseignent, ils l'enseigneront tout aussi bien dans le tête-à-tête ; car le Spiritisme a ce privilège inouï d'avoir partout son foyer d'enseignement ; son signe de ralliement est l'amour de Dieu et du prochain, et pour le mettre en pratique il n'a pas besoin de réunions officielles, il l'étend sur ses ennemis comme sur ses amis. » Tout le monde peut-il en dire autant, et l'autorité n'a-t-elle pas trouvé plus d'une fois de la résistance là où elle aurait dû trouver le plus de soumission ? Si les Spirites étaient des gens aussi turbulents et aussi pervertis que vous le prétendez, pourquoi est-ce dans les centres où ils sont le plus nombreux que les fonctionnaires chargés du maintien de l'ordre ont le moins de peine, ce qui faisait dire à l'un d'eux que si tous ses administrés étaient Spirites, il pourrait fermer son bureau ? Pourquoi est-ce parmi les militaires spirites qu'il y a le moins de peines disciplinaires ?

Et puis, vous ne songez pas qu'il y a maintenant des Spirites partout, du haut en bas de l'échelle sociale ; qu'il y a des réunions et des médiums jusque chez ceux dont vous invoquez l'appui contre nous. Vous voyez donc que votre moyen est insuffisant ; il faut en chercher un autre. ‑ Nous avons les foudres de la chaire. ‑ C'est bien, et vous en usez largement, mais ne voyez-vous pas que partout où l'on fulmine, le nombre des Spirites augmente ? ‑ Nous avons les censures de l'Église et l'excommunication. ‑ C'est mieux, mais vous frappez encore dans le vide ; encore une fois, le Spiritisme ne s'adresse ni à vous ni à ceux qui sont avec vous ; il ne va pas les chercher et leur dire : quittez votre religion et suivez-moi, vous êtes damnés si vous ne le faites pas ; non, il est plus tolérant que cela, et laisse à chacun sa liberté de conscience. Il s'adresse, ainsi que nous l'avons dit, à la masse innombrable des incrédules, des douteurs et des indifférents ; ceux-là ne sont pas avec vous, et vos censures ne peuvent pas les atteindre. Ils revenaient à vous, vous les repoussez, c'est tout simplement maladroit. Si quelques-uns des vôtres les suivent, c'est que vos arguments ne sont pas assez forts pour les retenir, et ce n'est pas avec la rigueur que vous y parviendrez. Le Spiritisme plaît parce qu'il ne s'impose pas et s'accepte par la volonté et le libre examen ; en cela il est de notre époque ; il plaît par sa douceur, par les consolations qu'il procure dans les adversités, par l'inébranlable foi qu'il donne dans l'avenir, dans la bonté et la miséricorde de Dieu ; de plus, il s'appuie sur des faits patents, matériels, irrécusables, qui bravent toute dénégation ; voilà le secret de sa propagation si rapide ; que lui opposez-vous ? Toujours la damnation éternelle, mauvais moyen par le temps qui court ; puis le travestissement de ses doctrines ; vous l'accusez de prêcher l'avortement, l'adultère et tous les crimes ; à qui pensez-vous en imposer ? ce n'est pas aux Spirites, assurément ; à ceux qui ne le connaissent pas ? Mais dans le nombre beaucoup veulent savoir ce qu'il en est de cette abominable doctrine ; ils lisent, et voyant qu'elle dit tout le contraire de ce qu'on lui fait dire, ils vous laissent pour le suivre, et cela sans qu'il aille les chercher.

La position, je le sais, est embarrassante ; car vous vous dites : Si nous parlons contre le Spiritisme, nous lui recrutons des partisans ; si nous nous taisons, il marche tout seul. Que faire alors ? Jadis on disait : Laissez passer la justice du roi ; maintenait il faut dire : Laissons passer la justice de Dieu.

(La suite au prochain numéro.)


M. Philibert Viennois

Société spirite de Paris, 20 mars 1863. ‑ Médium, M. Leymarie

1. Évocation.

R. Je suis près de vous.

2. Vous vous étiez promis, avec Madame V…, que celui des deux qui resterait s'adresserait à moi pour faire évoquer le premier parti. Madame V… m'a fait part de ce vœu, et je me fais un plaisir d'y accéder. Je sais que vous étiez un fervent Spirite, et de plus doué des qualités du cœur ; ces circonstances ne peuvent que nous donner le désir de nous entretenir avec vous.

R. Je puis donc t'écrire et me rapprocher de toi pour t'exprimer tout ce que mon Esprit ressent de bienveillant à ton égard. Merci pour tout le bonheur que tu m'as donné, chère épouse, toi qui m'as fait aimer la croyance, sainte règle de mes derniers jours près de toi. Je suis bien heureux de recueillir aujourd'hui tous les biens qui nous étaient promis par la foi vénérée qui nous affirme une autre vie que celle de la terre. Je suis en possession d'une puissance inconnue aux hommes ; l'immensité nous appartient ; je puis mieux comprendre, mieux t'aimer ; mes sensations ne sont plus obscures, et ce qu'il y a de divin en nous est d'une simplicité extrême, car tout ce qui est grand est simple ; la grandeur est le véritable élément de l'Esprit.

Je suis toujours près de toi ; désormais tu seras heureuse, parce que je t'entourerai de mon fluide qui te fortifiera, si cela est nécessaire ; je veux que tu sois toujours courageuse, bonne et surtout Spirite ; avec ces trois éléments, tu béniras Dieu de m'avoir appelé vers lui, car je t'attends, persuadé que, grâce au Spiritisme, Dieu te réserve une bonne place parmi nous.

3. Soyez assez bon, je vous prie, pour nous décrire votre passage dans le monde des Esprits, vos impressions et l'influence de vos connaissances spirites sur votre élévation ?

R. La mort, que j'attendais, n'était pas une peine pour moi, mais plutôt un détachement complet de la matière. Ce que je voyais, c'était une nouvelle vie ; l'avenir divin, cette heure désirée, est venu avec calme. Je regrettais, il est vrai, la présence de ma compagne, que je ne pouvais laisser sans douleur : c'est le dernier anneau de la chaîne qui unit l'Esprit à la matière ; une fois rompu, j'ai peu souffert du passage de la vie à la mort ; mon Esprit a emporté les prières de ma bien-aimée. Toutes les impressions se sont éteintes pour me réveiller dans notre domaine à nous, Spirites. Le voyage est un sommeil pour le juste ; le déchirement est naturel ; mais, au premier réveil, quel étonnement ! comme tout est nouveau, splendide, merveilleux ! Ceux que j'aimais et d'autres Esprits, amis de mes incarnations précédentes, m'ont accueilli et ouvert les portes de l'existence vraie, dans ce parc sans limites appelé le ciel. Mes impressions, vous ne pouvez les comprendre, et je ne saurais les exprimer ; j'essayerai de vous les communiquer une autre fois.

4. Au reçu de la lettre de Madame V…, je lui ai adressé une prière de circonstance. Veuillez me dire ce que vous en pensez ?

R. Merci de votre bienveillance, monsieur Kardec ; vous ne pouviez mieux faire. Ceux qui pleurent les absents ont besoin de l'Esprit de Dieu, mais aussi de l'appui d'autres Esprits bienveillants, et les Esprits doivent l'être. Votre prière a ému bien des Esprits légers et incrédules qui sont les témoins invisibles de vos séances (cette prière avait été lue à la Société à la suite de l'évocation) ; vos bonnes paroles serviront à leur avancement. Vous rendez souvent à notre monde le bien que vous en recevez. Ne point dédaigner le conseil d'un plus petit que soi, c'est reconnaître ce lien intime créé par Dieu entre toutes les créatures.

5. Je voulais vous prier de me donner une communication pour Madame V…, mais je vois que vous avez devancé ma pensée.

R. A votre première demande j'ai répondu à ma femme quand j'aurais du répondre à la Société spirite ; veuillez me le pardonner, car je remplissais une promesse. Je sais que, par la persuasion, vous amenez à vous ceux qui demandent à être consolés ; causer avec les absents d'un autre monde sera le plus grand bonheur de ceux qui ne sacrifient pas tout à l'or et à la jouissance. Dites, je vous prie, à ma femme que ma présence ne lui manquera jamais. Nous travaillerons ensemble à son avancement spirite. Envoyez-lui ma communication ; je voudrais lui dire tant de bonnes paroles que les expressions me manquent ; qu'elle aime toujours notre famille, afin que, par son exemple, celle-ci puisse devenir Spirite et croire à la vie éternelle, qui est la vie de Dieu.

Viennois.

Nous croyons devoir publier la prière dont il a été parlé ci-dessus, et qui nous a été donnée par les Esprits pour les circonstances analogues.




Préface. ‑ Qu'elle est affreuse l'idée du néant ! qu'ils sont à plaindre ceux qui croient que la voix de l'ami qui pleure son ami se perd dans le vide et ne trouve aucun écho pour lui répondre ! Ils n'ont jamais connu les pures et saintes affections, ceux qui pensent que tout meurt avec le corps ; que le génie qui a éclairé le monde de sa vaste intelligence est un jeu de la matière qui s'éteint à tout jamais comme un souffle ; que de l'être le plus cher, d'un père, d'une mère ou d'un enfant adorés, il ne reste qu'un peu de poussière que le temps dissipe sans retour !

Comment un homme de cœur peut-il rester froid à cette pensée ? Comment l'idée d'un anéantissement absolu ne le glace-t-elle pas d'effroi, et ne lui fait-elle pas au moins désirer qu'il n'en soit pas ainsi ? Si jusqu'à ce jour sa raison n'a pas suffi pour lever ses doutes, voilà que le Spiritisme vient dissiper toute incertitude sur l'avenir par les preuves matérielles qu'il donne de la survivance de l'âme et de l'existence des êtres d'outre-tombe ; aussi partout ces preuves sont-elles accueillies avec joie ; la confiance renaît, car l'homme sait désormais que la vie terrestre n'est qu'un court passage qui conduit à une vie meilleure ; que ses travaux d'ici-bas ne sont pas perdus pour lui, et que les plus saintes affections ne sont pas brisées sans espoir.

Prière. ‑ Dieu tout-puissant, daignez accueillir favorablement la prière que je vous adresse pour l'Esprit de N…, faites-lui entrevoir vos divines clartés et rendez-lui facile le chemin de la félicité éternelle. Permettez que les bons Esprits lui portent mes paroles et ma pensée.

Toi qui m'étais cher en ce monde, entends ma voix qui t'appelle pour te donner un nouveau gage de mon affection. Dieu a voulu que tu fusses délivré le premier ; je ne saurais m'en plaindre sans égoïsme, car ce serait regretter pour toi les peines et les souffrances de la vie. J'attends donc avec résignation le moment de notre réunion dans le monde plus heureux où tu m'as précédé.

Je sais que notre séparation n'est que momentanée, et que, si longue quelle puisse me paraître, la durée s'efface devant l'éternité de bonheur que Dieu promet à ses élus. Que sa bonté me préserve de rien faire qui puisse retarder cet instant désiré, et qu'il m'épargne ainsi la douleur de ne pas te retrouver au sortir de ma captivité terrestre.

Oh ! qu'elle est douce et consolante la certitude qu'il n'y a entre nous qu'un voile matériel qui te dérobe à ma vue ! que tu peux être là à mes côtés, me voir et m'entendre comme autrefois, et mieux encore qu'autrefois ; que tu ne m'oublies pas plus que je ne t'oublie moi-même ; que nos pensées ne cessent pas de se confondre, et que la tienne me suit et me soutient toujours !



Histoire d'un baudet

Dans un sermon prêché dernièrement contre le Spiritisme, car le mot d'ordre est donné sur toute la ligne de lui courir sus, ainsi que sur ses partisans, l'orateur, voulant lui porter un coup de massue, raconta l'anecdote suivante :

« Il y trois semaines, une dame perd son mari. Un médium se présente pour lui proposer une conversation avec le défunt, et peut-être jouira-t-elle de sa vue. La vision n'a pas lieu, mais le défunt explique à sa femme, par la main du médium, qu'il n'a pas été jugé digne d'entrer dans le séjour des bienheureux, et qu'il s'est vu obligé de se réincarner immédiatement, pour expier de gros péchés. Devinez où ? A un kilomètre de là, chez un meunier, et dans la personne d'un baudet roué de coups. Jugez de la douleur de la pauvre dame, qui court chez le meunier, embrasse l'humble animal et propose son achat. Le meunier fut dur en l'affaire, mais enfin il céda contre un gros sac, et maître Aliboron occupe depuis quinze jours un appartement particulier chez la dame, entouré de plus de soins que jamais son pareil en ait éprouvés depuis qu'il plut à Dieu de créer cette race estimable. »

Nous doutons que l'auditoire ait été bien convaincu par cette historiette ; mais, ce que nous tenons de témoins auriculaires, c'est que la majeure partie a trouvé qu'elle serait mieux à sa place dans un feuilleton facétieux que dans la chaire, pour le fond et pour le choix des expressions. L'orateur ignorait sans doute que le Spiritisme enseigne sans équivoque, que l'âme ou Esprit ne peut animer le corps d'un animal. (Livre des Esprits, n°s 118, 612 et 613.)

Ce qui nous étonne plus encore, c'est le ridicule jeté sur la douleur en général, à l'aide d'un conte fait à plaisir et dans des termes qui ne brillent pas par la dignité. C'est, en outre, de voir un prêtre traiter aussi cavalièrement l'œuvre de Dieu par ces mots peu révérencieux : « Depuis qu'il plut à Dieu de créer cette race estimable. » Le sujet est d'autant plus mal choisi pour faire de l'esprit, qu'on pourrait objecter que tout est respectable dans les œuvres de Dieu, et que Jésus ne se crut pas déshonoré d'entrer à Jérusalem monté sur un des individus de cette race.

Qu'on mette en parallèle le burlesque tableau de la douleur de cette prétendue veuve avec celui de la veuve véritable dont nous avons donné ci-dessus le récit, et qu'on dise celui des deux qui est le plus édifiant, le plus empreint d'un véritable sentiment religieux et de respect pour la Divinité ; celui enfin qui serait mieux placé dans la chaire de vérité.

Admettons le fait que vous racontez, monsieur le prédicateur, c'est-à-dire non pas l'incarnation dans un âne, mais la crédulité de la veuve à cette incarnation, comme châtiment, que lui auriez-vous donné en place ? Les flammes éternelles de l'enfer, perspective encore moins consolante, car cette femme veuve eût sans doute répondu : « J'aime encore mieux savoir mon mari dans le corps d'un âne que brûlé pendant l'éternité. » Supposez maintenant qu'elle eût eu à choisir entre votre tableau de tortures sans fin et celui que nous donne plus haut l'Esprit de M. Viennois, croyez-vous qu'elle eût hésité ? Consciencieusement vous ne le pensez pas, car, pour votre propre compte, vous ne balanceriez pas.



Un de nos correspondants nous écrit d'une ville du Midi :

« Je viens aujourd'hui vous fournir une nouvelle preuve que la croisade dont je vous ai parlé se traduit sous mille formes. J'assistais hier à une réunion où l'on discutait chaudement pour et contre le Spiritisme. Un des assistants avança le fait suivant : « Les expériences de M. Allan Kardec ne sont pas meilleures que celles dont nous parlions tout à l'heure. M. Kardec se garde bien de raconter dans sa Revue toutes les mystifications et les tribulations qu'il essuie. Savez-vous, par exemple, que l'année dernière, au mois de septembre, dans une réunion d'environ trente personnes qui eut lieu chez ce même M. Kardec, tous les assistants furent rossés à coups de bâton par les Esprits. J'étais à Paris à cette époque, et je tiens ce détail d'une personne qui venait d'assister à cette réunion et qui me montra sur son épaule la place meurtrie par un coup violent qu'elle avait reçu. Je n'ai pas vu le bâton, me dit-elle, mais j'ai senti le coup. Je n'ai pas besoin de vous dire que je tiens à être éclairé sur ce point, et que je vous serai très reconnaissant des explications que vous aurez la bonté de me donner, etc. »

Nous n'aurions pas entretenu nos lecteurs d'un fait aussi insignifiant, s'il ne nous avait fourni le sujet d'une instruction qui peut avoir son utilité en ce moment, car nous n'en finirions pas, s'il nous fallait relever tous les contes absurdes que l'on débite.

Réponse. ‑ Mon cher monsieur, le fait dont vous me parlez est dans les choses possibles, et il y en a plus d'un exemple ; dire qu'il s'en est passé un chez moi, c'est donc reconnaître explicitement la manifestation des Esprits ; toutefois, la forme du récit dénote une intention dont je ne puis savoir beaucoup de gré à l'auteur ; ce peut être un croyant, mais assurément il n'est pas bienveillant et oublie la base de la morale spirite : la charité. Si le fait rapporté avait eu lieu, ainsi que le prétend la personne si bien informée, je n'aurais eu garde de le passer sous silence, car ce serait un fait capital qu'on ne pourrait révoquer en doute, puisqu'il aurait eu, comme on le dit, trente témoins emportant sur leurs épaules la preuve de l'existence des Esprits. Malheureusement pour votre narrateur, il n'y a pas un mot de vrai dans ce récit ; je lui donne donc un démenti formel, ainsi qu'à celui qui affirme avoir assisté à la séance, et les mets l'un et l'autre au défi de venir soutenir leur assertion devant la Société de Paris, comme ils le font à deux cents lieues.

Les faiseurs de contes ne pensent pas à tout et se prennent à leur propre piège ; c'est ce qui a lieu dans cette circonstance, car il y a, pour le fait si positivement affirmé par un témoin soi-disant oculaire, une impossibilité matérielle, c'est que la société suspend ses séances du 15 août au 1er octobre ; que, parti de Paris à la fin du mois d'août, je ne suis rentré que le 20 octobre ; que, par conséquent, dans le mois de septembre j'étais en plein voyage ; c'est donc, comme vous le voyez, un alibi des plus authentiques.

Si donc la personne en question portait sur ses épaules la marque des coups du bâton, puisqu'il n'y a point eu de réunion chez moi, c'est qu'elle les a reçus autre part, et que, ne voulant pas dire où ni comment, elle a trouvé plaisant d'en accuser les Esprits, ce qui était moins compromettant et coupait court à toute explication.

Vous faites en vérité trop d'honneur, mon cher monsieur, à ce petit conte ridicule, de le ranger parmi les actes de croisade contre le Spiritisme ; il y en a tant de cette nature qu'il faudrait n'avoir rien autre chose à faire pour se donner la peine de les relever. L'hostilité se traduit par des actes plus sérieux, et qui pourtant ne sont pas plus inquiétants. Vous prenez les diatribes de nos adversaires trop à cœur ; songez donc que plus ils se démènent pour combattre le Spiritisme, plus ils prouvent son importance ; si ce n'était qu'un mythe ou un rêve creux, ils ne s'en inquièteraient pas autant ; ce qui les rend si furieux et si acharnés contre lui, c'est de le voir avancer contre vent et marée, et de sentir se rétrécir de plus en plus le cercle dans lequel ils se meuvent.

Laissez donc les mauvais plaisants inventer des contes à dormir debout, et d'autres jeter le venin de la calomnie, car de pareils moyens sont la preuve de leur impuissance à l'attaquer par de bonnes raisons. Le Spiritisme n'a rien à en redouter, au contraire ; ce sont les ombres qui en font ressortir l'éclat ; les menteurs en sont pour leurs frais d'invention, et les calomniateurs pour la honte qui en rejaillit sur eux. Le Spiritisme a le sort de toutes les vérités nouvelles qui soulèvent les passions des gens dont elles peuvent froisser les idées ou les intérêts ; or, voyez si toutes les grandes vérités qui ont été combattues avec le plus d'acharnement n'ont pas surmonté tous les obstacles qu'on leur a opposés, si une seule a succombé sous les attaques de ses ennemis ; les idées nouvelles qui n'ont brillé que d'un éclat passager sont tombées par elles-mêmes, et parce qu'elles n'avaient pas en elles la vitalité que donne seule la vérité ; ce sont celles qui ont été le moins attaquées, tandis que celles qui ont prévalu l'ont été avec plus de violence.

Ne pensez pas que la guerre dirigée contre le Spiritisme soit arrivée à son apogée ; non, et il faut encore que certaines choses s'accomplissent pour dessiller les yeux des plus aveugles. Je ne puis ni ne dois en dire davantage pour le moment, car je ne dois pas entraver la marche nécessaire des événements ; mais je vous dis en attendant : Quand vous entendrez des déclamations furibondes, quand vous verrez des actes d'hostilité matériels, de quelque part qu'ils viennent, loin de vous en émouvoir, applaudissez-y d'autant plus qu'ils pourront avoir plus de retentissement, c'est un des signes annoncés du prochain triomphe. Quant aux vrais Spirites, ils doivent se distinguer par la modération, et laisser à leurs antagonistes le triste privilège des injures et des personnalités qui ne prouvent rien, sinon un manque de savoir-vivre d'abord, et la pénurie de bonnes raisons ensuite.

Quelques mots encore, je vous prie, pour profiter de l'occasion, sur la conduite à tenir à l'égard des adversaires. Autant il est du devoir de tout bon Spirite d'éclairer ceux qui, de bonne foi, cherchent à l'être, autant il est inutile de discuter avec des antagonistes de mauvaise foi ou de parti pris, qui souvent même sont plus convaincus qu'ils ne le paraissent, mais ne veulent pas l'avouer ; avec ceux-ci toute polémique est oiseuse, parce qu'elle est sans but et ne peut avoir pour résultat de leur faire changer d'opinion. Assez de gens de bonne volonté nous réclament, pour ne pas perdre notre temps avec les autres.

Telle est la ligne de conduite que j'ai de tout temps conseillée, et telle est celle que j'ai invariablement suivie moi-même, m'étant toujours abstenu de céder aux provocations qui m'ont été faites de descendre dans l'arène de la controverse. Si parfois je relève certaines attaques et certaines assertions erronées, c'est pour montrer que ce n'est pas la possibilité de répondre qui manque, et donner aux Spirites des moyens de réfutation au besoin. Il en est d'ailleurs que je réserve pour plus tard ; n'ayant aucune impatience, j'observe tout avec calme et sang-froid ; j'attends avec confiance que le moment opportun soit venu, car je sais qu'il viendra, laissant les adversaires s'engager dans une voie sans issue pour eux. La mesure de leurs agressions n'est pas comblée, et il faut qu'elle le soit ; le présent prépare l'avenir. Il n'est jusqu'ici aucune objection sérieuse qui ne se trouve réfutée dans mes écrits ; je ne puis donc qu'y renvoyer pour ne pas me répéter sans cesse avec tous ceux à qui il plaît de parler de ce dont ils ne savent pas le premier mot. Toute discussion devient superflue avec des gens qui n'ont pas lu, ou, s'ils l'ont fait, prennent, de dessein prémédité, le contre-pied de ce qui est dit.

Les questions de personnes s'effacent devant la grandeur du but et l'ensemble du mouvement irrésistible qui s'opère dans les idées ; peu importe donc que tel ou tel soit contre le Spiritisme, quand on sait qu'il n'est au pouvoir de qui que ce soit d'empêcher les faits de s'accomplir ; c'est ce que l'expérience confirme chaque jour.

Je dis donc à tous les Spirites : continuez à semer l'idée ; répandez-la par la douceur et la persuasion, et laissez à nos antagonistes le monopole de la violence et de l'acrimonie auxquelles on n'a recours que lorsqu'on ne se sent pas assez fort par le raisonnement.

Votre tout dévoué,

A. K.





Beaucoup de communications nous ont été adressées de différents groupes, soit pour nous demander notre avis et nous mettre à même de juger de leurs tendances, soit, de la part de quelques-uns, avec l'espoir de les voir paraître dans la Revue ; toutes nous ont été remises avec faculté d'en disposer comme nous l'entendrions pour le bien la chose. Nous en avons fait l'examen et la classification, et l'on s'étonnera pas de l'impossibilité où nous avons été de les insérer toutes, quand on saura qu'outre celles que nous avons publiées il y en a plus de trois mille six cents qui, à elles seules, auraient absorbé cinq années complètes de la Revue, sans compter un certain nombre de manuscrits plus ou moins volumineux dont nous parlerons tout à l'heure. Le compte rendu de cet examen nous fournira le sujet de quelques réflexions dont chacun pourra faire son profit.

Dans le nombre, nous en avons trouvé de notoirement mauvaises pour le fond et pour la forme, produits évidents d'Esprits ignorants, obsesseurs ou mystificateurs, et qui jurent avec les noms plus ou moins pompeux dont elles sont revêtues ; les publier, c'eût été donner des armes fondées à la critique. Une circonstance digne de remarque, c'est que la presque totalité des communications de cette catégorie émane d'individus isolés et non de groupes. La fascination pouvait seule les faire prendre au sérieux et empêcher d'en voir le côté ridicule. L'isolement, comme on le sait, favorise la fascination, tandis que les réunions trouvent un contrôle dans la pluralité des avis.

Toutefois, nous reconnaissons avec plaisir que les communications de cette nature forment, dans la masse, une petite minorité ; la plupart des autres renferment de bonnes pensées et d'excellents conseils, mais, il ne s'ensuit pas qu'elles soient toutes bonnes à être publiées, et cela par les motifs que nous allons exposer.

Les bons Esprits enseignent à peu près la même chose partout, parce que partout il y a les mêmes vices à réformer et les même vertus à prêcher ; c'est là un des caractères distinctifs du Spiritisme ; la différence n'est souvent que dans le plus ou le moins de correction et d'élégance du style. Pour apprécier les communications, eu égard à la publicité, il ne faut pas les voir à son point de vue, mais à celui du public. Nous concevons la satisfaction qu'on éprouve à obtenir quelque chose de bon, surtout en commençant, mais, outre que certaines personnes peuvent se faire illusion sur le mérite intrinsèque, on ne songe pas qu'en cent autres endroits on obtient des choses pareilles, et que ce qui est d'un puissant intérêt individuel peut être de la banalité pour la masse.

Il faut considérer, en outre, que depuis quelque temps les communications ont acquis sous tous les rapports des proportions et des qualités qui laissent bien loin en arrière celles qu'on obtenait il y a quelques années ; ce qu'on admirait alors paraît pâle et mesquin auprès de ce qu'on obtient aujourd'hui. Dans la plupart des centres vraiment sérieux, l'enseignement des Esprits a grandi avec l'intelligence du Spiritisme. Puisque partout on reçoit des instructions à peu près identiques, leur publication ne peut intéresser qu'à la condition de présenter des qualités saillantes comme forme ou comme portée instructive, ce serait donc se faire illusion de croire que tout recueil doit trouver des lecteurs nombreux et enthousiastes. Jadis le plus petit entretien spirite était une nouveauté qui attirait l'attention ; aujourd'hui que les Spirites et les médiums ne se comptent plus, ce qui était une rareté est un fait presque banal passé en habitude, et qui a été distancé par l'ampleur et la portée des communications actuelles, comme les devoirs de l'écolier le sont par le travail de l'adulte.

Nous avons sous les yeux la collection d'un journal publié dans le principe des manifestations sous le titre de la Table parlante, titre caractéristique de l'époque ; ce journal a eu, dit-on, de quinze à dix-huit cents abonnés, chiffre énorme pour le temps ; il contenait une multitude de petites conversations familières et de faits médianimiques qui avaient alors un puissant attrait de curiosité. Nous y avons inutilement cherché quelque chose à reproduire dans notre Revue ; tout ce que nous y aurions puisé serait aujourd'hui puéril et sans intérêt. Si ce journal n'eût pas cessé de paraître, par des circonstances indépendantes du sujet, il n'aurait pu vivre qu'à la condition de se mettre au niveau du progrès de la science, et, s'il reparaissait maintenant dans les mêmes conditions, il n'aurait pas cinquante abonnés. Les Spirites sont immensément plus nombreux qu'alors, c'est vrai ; mais ils sont plus éclairés et veulent un enseignement plus substantiel.

Si les communications n'émanaient que d'un seul centre, nul doute que les lecteurs se multiplieraient en raison du nombre des adeptes ; mais il ne faut pas perdre de vue que les foyers qui les produisent se comptent par milliers, et que partout où l'on obtient des choses supérieures, on ne peut s'intéresser à ce qui est faible ou médiocre.

Ce que nous disons n'est pas pour décourager de faire des publications, loin de là, mais pour montrer la nécessité d'un choix rigoureux, condition sine qua non de succès ; les Esprits en élevant leur enseignement nous ont rendus difficiles et même exigeants. Les publications locales peuvent avoir une immense utilité sous un double rapport, celui de répandre dans les masses l'enseignement donné dans l'intimité, puis celui de montrer la concordance qui existe dans cet enseignement sur différents points ; nous y applaudirons toujours, et nous les encouragerons toutes les fois qu'elles seront faites dans de bonnes conditions.

Il convient d'abord d'en écarter tout ce qui, étant d'un intérêt privé, n'intéresse que celui que cela concerne ; puis, tout ce qui est vulgaire pour le style et les pensées, ou puéril par le sujet ; une chose peut être excellente en elle-même, très bonne pour en faire son instruction personnelle, mais ce qui doit être livré au public exige des conditions spéciales ; malheureusement l'homme est enclin à se figurer que tout ce qui lui plaît doit plaire aux autres ; le plus habile peut se tromper, le tout est de se tromper le moins possible. Il est des Esprits qui se plaisent à entretenir cette illusion chez certains médiums ; c'est pourquoi nous ne saurions trop recommander à ces derniers de ne point s'en rapporter à leur propre jugement, et c'est en cela que les groupes sont utiles, par la multiplicité des avis qu'ils permettent de recueillir ; celui qui, dans ce cas, récuserait l'opinion de la majorité, se croyant plus de lumières que tous, prouverait surabondamment la mauvaise influence sous laquelle il se trouve.

Faisant application de ces principes d'éclectisme aux communications qui nous sont adressées, nous dirons que, sur trois mille six cents, il y en a plus de trois mille d'une moralité irréprochable et excellentes comme fond, mais que sur ce nombre il n'y en a pas trois cents pour la publicité, et à peine cent d'un mérite hors ligne. Ces communications nous étant venues d'un grand nombre de points différents, nous en inférons que cette proportion doit être à peu près générale. On peut juger par là de la nécessité de ne pas publier inconsidérément tout ce qui vient des Esprits, si l'on veut atteindre le but qu'on se propose, aussi bien sous le rapport matériel que sous celui de l'effet moral et de l'opinion que les indifférents peuvent se faire du Spiritisme.

Il nous reste à dire quelques mots des manuscrits ou travaux de longue haleine qui nous sont adressés, parmi lesquels, sur trente nous n'en trouvons guère que cinq ou six ayant une valeur réelle. Dans le monde invisible comme sur terre les écrivains ne manquent pas, mais les bons écrivains sont rares ; tel Esprit est apte à dicter une bonne communication isolée, à donner un excellent conseil privé, qui est incapable de produire un travail d'ensemble complet pouvant supporter l'examen, quelles que soient d'ailleurs ses prétentions, et le nom dont il lui plaît de s'affubler n'est pas une garantie ; plus ce nom est élevé, plus il oblige ; or, il est plus aisé de prendre un nom que de le justifier ; c'est pourquoi, à côté de quelques bonnes pensées, on trouve souvent les idées les plus excentriques et les traces les moins équivoques de la plus profonde ignorance. Ces dans ces sortes de travaux médianimiques que nous avons remarqué le plus de signes d'obsession, dont un des plus fréquents est l'injonction de la part de l'Esprit de les faire imprimer, et plus d'un pense à tort que cette recommandation suffit pour trouver un éditeur empressé de s'en charger.

C'est en pareil cas surtout qu'un examen scrupuleux est nécessaire, si l'on ne veut s'exposer à faire une école à ses dépens ; c'est de plus le meilleur moyen d'écarter les Esprits présomptueux et faux savants qui se retirent forcément quand ils ne trouvent pas des instruments dociles à qui ils puissent faire accepter leurs paroles comme des articles de foi. L'immixtion de ces Esprits dans les communications est, c'est un fait connu, le plus grand écueil du Spiritisme. On ne saurait donc s'entourer de trop de précautions pour éviter les publications regrettables ; mieux vaut, en pareil cas, pécher par excès de prudence, dans l'intérêt de la cause.

En résumé, en publiant des communications dignes d'intérêt on fait une chose utile ; en publiant celles qui sont faibles, insignifiantes ou mauvaises, on fait plus de mal que de bien. Une considération non moins importante est celle de l'opportunité ; il en est dont la publication serait intempestive, et par cela même nuisible : chaque chose doit venir en son temps ; plusieurs de celles qui nous sont adressées sont dans ce cas, et quoique très bonnes doivent être ajournées ; quant aux autres, elles trouveront leur place selon les circonstances et leur objet.

Les Esprits incrédules et matérialistes

Société spirite de Paris, 27 mars 1863.

Demande. – Dans l'évocation de M. Viennois faite dans la dernière séance on trouve cette phrase : « Votre prière a ému bien des Esprits légers et incrédules. » Comment des Esprits peuvent-ils être incrédules ? Le milieu où ils se trouvent n'est-il pas pour eux la négation de l'incrédulité ?

Nous prions les Esprits qui voudront bien se communiquer de traiter cette question, s'ils le jugent à propos.

Réponse (médium, M. d'Ambel). – L'explication que vous me demandez n'est-elle pas écrite tout au long dans vos ouvrages ? Vous me demandez pourquoi les Esprits incrédules ont été émus ? Mais n'avez-vous pas dit vous-même que les Esprits qui se trouvaient dans l'erraticité y étaient entrés avec leurs aptitudes, leurs connaissances et leur manière de voir passées ? Mon Dieu ! je suis encore bien novice pour résoudre à votre satisfaction les questions épineuses de doctrine ; je puis néanmoins par expérience, pour ainsi dire fraîchement acquise, répondre aux questions de faits. On croit généralement, dans le monde que vous habitez, que la mort vient tout à coup modifier les opinions de ceux qui s'en vont, et que le bandeau de l'incrédulité est violemment arraché à ceux qui niaient Dieu sur la terre : là est l'erreur, car la punition commence justement, pour ceux-là, en demeurant dans la même incertitude relativement au Maître de toutes choses, et à conserver leur doute de la terre. Non, croyez-moi, la vue obscurcie de l'intelligence humaine n'aperçoit pas instantanément la lumière ; on procède dans l'erraticité avec au moins autant de prudence que sur la terre, et l'on ne projette pas les rayons de la lumière électrique sur les yeux de ceux qui sont malades de la vue afin de les guérir.

Le passage de la vie terrestre à la vie spirituelle offre, cela est certain, une période de confusion et de trouble pour la plupart de ceux qui se désincarnent ; mais il en est quelques-uns, de leur vivant déjà détachés des biens de la terre, qui accomplissent cette transition aussi facilement qu'une colombe qui s'élève dans l'air. Il est facile de vous rendre compte de cette différence en examinant les habitudes des voyageurs qui s'embarquent pour traverser les océans ; pour quelques-uns le voyage est une partie de plaisir, pour le plus grand nombre c'est une souffrance vulgaire, mais accablante, qui durera jusqu'au moment du débarquement. Eh bien ! il en est pour ainsi dire de même pour voyager de la terre au monde des Esprits. Quelques-uns se dégagent rapidement, sans souffrance et sans trouble, tandis que d'autres sont soumis au mal de la traversée éthéréenne ; mais il arrive ceci : c'est que de même que les voyageurs qui touchent terre au sortir du vaisseau retrouvent leur aplomb et leur santé, de même l'Esprit qui a franchi tous les obstacles de la mort finit par se trouver, comme à son point de départ, avec la conscience nette et claire de son individualité.

Il est donc certain, mon cher monsieur Kardec, que les incrédules et les matérialistes absolus conservent leur opinion par delà la tombe jusqu'à l'heure où la raison ou la grâce aura réveillé dans leur cœur la pensée vraie qui s'y trouve enfouie. De là cette diffusion d'idées dans les manifestations et cette divergence dans les communications des Esprits d'outre-tombe ; de là quelques dictées encore entachées d'athéisme ou de panthéisme.

Permettez-moi, en finissant, de revenir à des questions qui me sont personnelles. Je vous remercie de m'avoir fait évoquer ; cela m'a aidé à me reconnaître ; je vous remercie aussi des consolations que vous avez adressées à ma femme, et je vous prie de lui continuer vos bonnes exhortations, afin de la soutenir dans les épreuves qui l'attendent. Quant à moi, je serai toujours près d'elle et l'inspirerai.

Viennois.



Demande. – On comprend l'incrédulité chez certains Esprits, mais on ne comprendrait pas le matérialisme, puisque leur état est une protestation contre le règne absolu de la matière et le néant après la mort.

Réponse (médium, M. d'Ambel). – Un mot seulement : tous les corps solides ou fluidiques appartiennent à la substance matérielle ; ceci est bien démontré. Or, ceux qui de leur vivant n'admettaient qu'un principe dans la nature, la matière, n'aperçoivent souvent encore après leur mort que ce principe unique, absolu. Si vous réfléchissez aux pensées qui les dominèrent toute leur vie, vous les trouverez certes, encore aujourd'hui, sous l'entière subjugation de ces mêmes pensées. Jadis, ils se considéraient comme des corps solides ; aujourd'hui ils se regardent comme des corps fluidiques, voilà tout. Remarquez bien, je vous prie, qu'ils s'aperçoivent sous une forme nettement circonscrite, toute vaporeuse qu'elle est, et identique à celle qu'ils avaient sur terre à l'état solide ou humain. De telle sorte qu'ils ne voient dans leur nouvel état qu'une transformation de leur être à laquelle ils n'avaient pas songé ; mais ils restent convaincus que c'est un acheminement vers la fin à laquelle ils arriveront, quand ils seront suffisamment dégagés, pour s'effacer dans le grand tout universel. Il n'y a rien de si opiniâtre qu'un savant, et ils persistent à penser que cette fin, pour être retardée, n'en est pas moins inévitable.

Une des conditions de leur aveuglement moral est de les enserrer plus violemment dans les liens de la matérialité et conséquemment de les empêcher de s'éloigner des régions terrestres ou similaires à la terre ; et de même que la très grande majorité des incarnés emprisonnés dans la chair ne peuvent apercevoir les formes vaporeuses des Esprits qui les environnent, de même l'opacité de l'enveloppe des matérialistes leur interdit de contempler les entités spirituelles qui se meuvent si belles et si rayonnantes dans les hautes sphères de l'empire céleste.

Eraste.



Autre (médium, M. A. Didier). – Le doute est la cause des peines et bien souvent des fautes de ce monde ; la connaissance, au contraire, du Spiritualisme cause les peines et les fautes des Esprits.

Où serait le châtiment si les Esprits ne connaissaient pas leurs erreurs par la conséquence qui est la réalité pénitencière de l'autre vie ? Où serait leur châtiment si leur cœur et leur âme ne sentaient pas toute l'erreur du scepticisme terrestre et le néant de la matière ? L'Esprit voit l'Esprit comme la chair voit la chair ; l'erreur de l'Esprit n'est pas l'erreur de la chair et l'homme matérialiste qui a douté ici-bas ne doute plus là-haut.

Le supplice des matérialistes est de regretter les joies et les satisfactions terrestres, eux qui ne peuvent encore ni comprendre ni sentir les joies et les perfections de l'âme ; et voyez l'abaissement moral de ces Esprits qui vivent complètement dans la stérilité morale et physique, de regretter ces biens qui ont fait momentanément leur joie et qui font actuellement leur supplice.

Maintenant, il est vrai que sans être matérialiste par l'assouvissement de ses passions terrestres, on peut l'être plus dans les idées et dans l'esprit que dans les actes de la vie. C'est ce qu'on appelle les libres penseurs et ceux qui n'osent approfondir les causes de leur existence. Ceux-là, dans l'autre monde sont punis de même ; ils nagent dans la vérité, mais ils n'en sont pas pénétrés ; leur orgueil abaissé les fait souffrir, et ils regrettent ces jours terrestres où, du moins, ils avaient la liberté de douter.

Lamennais.



Remarque. – Cette appréciation semble au premier abord en contradiction avec celle d'Eraste ; celui-ci admet que certains Esprits peuvent conserver les idées matérialistes, tandis que Lamennais pense que ces idées ne sont que le regret des jouissances matérielles, mais que ces Esprits sont parfaitement éclairés sur leur état spirituel. Les faits semblent venir à l'appui de l'opinion d'Eraste ; puisque nous voyons des Esprits qui, longtemps même après leur mort, se croient encore vivants, vaquent ou croient vaquer à leurs occupations terrestres, c'est donc qu'ils se font complètement illusion sur leur position et ne se rendent aucun compte de leur état spirituel. Dès lors qu'ils ne croient pas être morts, il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'ils eussent conservé l'idée du néant après la mort qui pour eux n'est pas encore venue. C'est sans doute dans ce sens qu'a voulu parler Eraste.

Réponse. – Ils ont évidemment l'idée du néant, mais ce n'est qu'une affaire de temps. Il arrive un moment où là-haut le voile se déchire, et où les idées matérialistes sont inacceptables. La réponse d'Eraste porte sur des faits particuliers et momentanés ; je ne parlais, moi, que des faits généraux et définitifs.

Lamennais.



Remarque. – La divergence n'était qu'apparente et ne provenait que du point de vue sous lequel chacun envisageait la question. Il est bien évident qu'un Esprit ne peut rester perpétuellement matérialiste ; on demandait simplement si cette idée était nécessairement détruite aussitôt après la mort ; or, les deux Esprits sont d'accord sur ce point, et se prononcent pour la négative. Ajoutons que la persistance du doute sur l'avenir est un châtiment pour l'Esprit incrédule ; c'est pour lui une torture d'autant plus poignante qu'il n'a pas les préoccupations terrestres pour y faire diversion.

Les publications spirites se multiplient, et, comme nous l'avons dit, nos encouragements sont acquis à toutes celles qui peuvent servir utilement la cause que nous défendons. Ce sont autant de voix qui s'élèvent et servent à répandre l'idée sous différentes formes. Si nous n'avons pas donné notre opinion sur certains ouvrages plus ou moins importants traitant de matières analogues, c'est que, par la crainte qu'on n'y vît un sentiment de partialité, nous avons préféré laisser l'opinion se former d'elle-même ; or, nous voyons que celle de la majorité a confirmé la nôtre. Par notre position, nous devons être sobre d'appréciations de ce genre, quand surtout l'approbation ne peut être absolue ; en restant neutre, on ne nous accusera pas d'avoir exercé une pression défavorable, et si le succès ne répond pas à l'attente, on ne pourra s'en prendre à nous.

Parmi les publications récentes que nous sommes heureux de recommander sans restriction, nous rappellerons notamment les deux petites brochures annoncées dans notre dernier numéro sous les titres de : le Spiritisme sans les Esprits, et la Vérité sur le Spiritisme expérimental dans les groupes, par un Spirite théoricien, sur lesquelles nous maintenons l'opinion que nous avons émise en disant que, dans un cadre très restreint, l'auteur avait su résumer les véritables principes du Spiritisme avec une remarquable précision et dans un style attachant. Dans celle qui est relative aux groupes, les curieux et les incrédules trouveront une excellente leçon sur la manière dont il convient d'observer ce qui se passe dans les groupes sérieux. – Prix : 50 centimes chacune ; 60 centimes par la poste. – Chez Dentu, Palais-Royal.



Nous ne pouvons omettre non plus le journal la Vérité, publié à Lyon sous la direction de M. Edoux, et que nous avons également annoncé. Le défaut d'espace nous force à nous borner à dire que c'est un nouveau champion qui paraît être regardé de travers dans le camp adverse. Il a signalé ses débuts par plusieurs articles d'une haute portée, signés Philotéthès, parmi lesquels on remarque ceux qui ont pour titre : le Fondement du Spiritisme ; le Périsprit devant les traditions ; le Périsprit devant la philosophie et l'histoire, etc. Ils dénotent une plume exercée, s'appuyant sur une logique rigoureuse et qui peut, en persévérant dans cette voie, tailler de la besogne à nos antagonistes, tout en restant dans la ligne de modération qui paraît être la devise de ce journal comme la nôtre ; c'est par la logique qu'il faut combattre, et non par les personnalités, l'injure et les représailles.



Allan Kardec



Bordeaux aura bientôt aussi sa Revue spéciale, que nous serons heureux d'aider de nos conseils, puisqu'on veut bien nous les demander. Si, comme nous n'en doutons pas, elle suit la voie de la sagesse et de la prudence, elle ne pourra manquer d'avoir l'appui de tous les vrais Spirites, de ceux qui voient l'intérêt de la chose avant les questions de personnes, d'intérêt ou d'amour-propre ; c'est à ceux-ci, on le sait, que nos sympathies sont acquises. L'abnégation de la personnalité, le désintéressement moral et matériel, la pratique de la loi d'amour et de charité, seront toujours les signes distinctifs de ceux pour qui le Spiritisme n'est pas seulement une croyance stérile en cette vie et en l'autre, mais une foi féconde.

Le Courrier de la Moselle, journal de Metz, du 11 avril 1863, contient un excellent et remarquable article, signé : Un Spirite de Metz, réfutant les cas de folie attribués au Spiritisme. Nous aimons à voir les Spirites qui entrent dans la lice, opposer la froide et sévère logique des faits aux diatribes de leurs adversaires. Nous en citerons plusieurs fragments, que le défaut d'espace nous force de renvoyer au prochain numéro.






Juin

Des questions ayant plusieurs fois été soulevées sur le principe de la non rétrogradation des Esprits, principe diversement interprété, nous allons essayer de les résoudre. Le Spiritisme veut être clair pour tout le monde, et ne laisser à ses futurs enfants aucun sujet de querelles de mots, c'est pourquoi tous les points susceptibles d'interprétation seront successivement élucidés.

Les Esprits ne rétrogradent pas, en ce sens qu'ils ne perdent rien du progrès accompli ; ils peuvent rester momentanément stationnaires ; mais de bons, ils ne peuvent devenir méchants, ni de savants ignorants. Tel est le principe général, qui ne s'applique qu'à l'état moral, et non à la situation matérielle, qui de bonne peut devenir mauvaise si l'Esprit l'a mérité.

Citons une comparaison. Supposons un homme du monde, instruit, mais coupable d'un crime qui le conduit aux galères ; certes, il y a pour lui une bien grande déchéance comme position sociale et comme bien-être matériel ; à l'estime et à la considération ont succédé le mépris et l'abjection ; et pourtant il n'a rien perdu quant au développement de l'intelligence ; il portera au bagne ses facultés, ses talents, ses connaissances ; c'est un homme déchu, et c'est ainsi qu'il faut entendre les Esprits déchus. Dieu peut donc, au bout d'un certain temps d'épreuve, retirer d'un monde où ils n'auront pas progressé moralement ceux qui l'auront méconnu, qui auront été rebelles à ses lois, pour les envoyer expier leurs erreurs et leur endurcissement dans un monde inférieur, parmi des êtres encore moins avancés ; là ils seront ce qu'ils étaient avant, moralement et intellectuellement, mais dans une condition rendue infiniment plus pénible par la nature même du globe, et surtout par le milieu dans lequel ils se trouveront ; ils seront en un mot dans la position d'un homme civilisé forcé de vivre parmi les sauvages, ou d'un homme bien élevé condamné à la société des forçats. Ils ont perdu leur position, leurs avantages, mais ils n'ont pas rétrogradé vers leur état primitif ; d'hommes adultes ils ne sont pas redevenus enfants ; voilà ce qu'il faut entendre par la non rétrogradation. N'ayant pas mis le temps à profit, c'est pour eux un travail à recommencer ; Dieu, dans sa bonté, ne veut pas les laisser plus longtemps parmi les bons dont ils troublent la paix ; c'est pourquoi il les envoie parmi des hommes qu'ils auront pour mission de faire avancer en leur communiquant ce qu'ils savent ; par ce travail ils pourront avancer eux-mêmes et se racheter tout en expiant leurs fautes passées, comme l'esclave qui amasse peu à peu de quoi acheter un jour sa liberté ; mais, comme l'esclave, beaucoup n'amassent que de l'argent au lieu d'amasser des vertus qui seules peuvent payer leur rançon.

Telle a été jusqu'à ce jour la situation de notre terre, monde d'expiation et d'épreuve, où la race adamique, race intelligente, fut exilée parmi les races primitives inférieures qui l'habitaient avant elle. Telle est la raison pour laquelle il y a tant d'amertumes ici-bas, amertumes que sont loin de ressentir au même degré les peuples sauvages. Il y a certainement rétrogradation de l'Esprit en ce sens qu'il recule son avancement, mais non au point de vue de ses acquisitions, en raison desquelles et du développement de son intelligence, sa déchéance sociale lui est plus pénible ; c'est ainsi que l'homme du monde souffre plus dans un milieu abject que celui qui a toujours vécu dans la fange.

Selon un système qui a quelque chose de spécieux au premier abord, les Esprits n'auraient point été créés pour être incarnés, et l'incarnation ne serait que le résultat de leur faute. Ce système tombe par cette seule considération que si aucun Esprit n'avait failli, il n'y aurait point d'hommes sur la terre ni sur les autres mondes ; or, comme la présence de l'homme est nécessaire pour l'amélioration matérielle des mondes ; qu'il concourt par son intelligence et son activité à l'œuvre générale, il est un des rouages essentiels de la création. Dieu ne pouvait subordonner l'accomplissement de cette partie de son œuvre à la chute éventuelle de ses créatures, à moins qu'il ne comptât pour cela sur un nombre toujours suffisant de coupables pour alimenter d'ouvriers les mondes créés et à créer. Le bon sens repousse une telle pensée.

L'incarnation est donc une nécessité pour l'Esprit qui, tout en accomplissant sa mission providentielle, travaille à son propre avancement par l'activité et l'intelligence qu'il lui faut déployer pour pourvoir à sa vie et à son bien-être ; mais l'incarnation devient une punition quand l'Esprit, n'ayant pas fait ce qu'il doit, est contraint de recommencer sa tâche et multiplie ses existences corporelles pénibles par sa propre faute. Un écolier n'arrive à prendre ses grades qu'après avoir passé par la filière de toutes les classes ; ces classes sont-elles une punition ? Non : elles sont une nécessité, une condition indispensable de son avancement ; mais si, par sa paresse, il est obligé de les doubler, là est la punition ; pouvoir en passer quelques-unes est un mérite. Ce qui est donc vrai, c'est que l'incarnation sur la terre est une punition pour beaucoup de ceux qui l'habitent, parce qu'ils auraient pu l'éviter, tandis qu'ils l'ont peut-être doublée, triplée, centuplée par leur faute, retardant ainsi leur entrée dans les mondes meilleurs. Ce qui est faux, c'est d'admettre en principe l'incarnation comme un châtiment.

Une autre question souvent agitée est celle-ci : L'Esprit étant créé simple et ignorant avec liberté de faire le bien ou le mal, n'y a-t-il pas déchéance morale pour celui qui prend la mauvaise route, puisqu'il arrive à faire le mal qu'il ne faisait pas auparavant ?

Cette proposition n'est pas plus soutenable que la précédente. Il n'y a déchéance que dans le passage d'un état relativement bon à un état pire ; or, l'Esprit créé simple et ignorant est, à son origine, dans un état de nullité morale et intellectuelle comme l'enfant qui vient de naître ; s'il n'a pas fait de mal, il n'a pas non plus fait de bien ; il n'est ni heureux ni malheureux ; il agit sans conscience et sans responsabilité ; puisqu'il n'a rien, il ne peut rien perdre, et ne peut non plus rétrograder ; sa responsabilité ne commence que du moment où se développe en lui le libre arbitre ; son état primitif n'est donc point un état d'innocence intelligente et raisonnée ; par conséquent le mal qu'il fait plus tard en enfreignant les lois de Dieu, en abusant des facultés qui lui ont été données, n'est pas un retour du bien au mal, mais la conséquence de la mauvaise voie où il s'est engagé.

Ceci nous conduit à une autre question. Néron, par exemple, peut-il, en tant que Néron, avoir fait plus de mal que dans sa précédente incarnation ? A cela nous répondons oui, ce qui n'implique pas que dans l'existence où il aurait fait moins de mal il fût meilleur. D'abord ce mal peut changer de forme sans être pire ou moins mal ; la position de Néron, comme empereur, l'ayant mis en évidence, ce qu'il a fait a été plus remarqué ; dans une existence obscure il a pu commettre des actes tout aussi répréhensibles, quoique sur une moins grande échelle, et qui ont passé inaperçus ; comme souverain il a pu faire brûler une ville ; comme simple particulier, il a pu brûler une maison et faire périr une famille ; tel assassin vulgaire qui tue quelques voyageurs pour les dépouiller, s'il était sur un trône, serait un tyran sanguinaire, faisant en grand ce que sa position ne lui permet de faire qu'en petit.

Prenant la question à un autre point de vue, nous dirons qu'un homme peut faire plus de mal dans une existence que dans la précédente, montrer des vices qu'il n'avait pas, sans que cela implique une dégénérescence morale ; ce sont souvent les occasions qui manquent pour faire le mal, quand le principe existe à l'état latent ; vienne l'occasion, et les mauvais instincts se montrent à nu. La vie ordinaire nous en offre de nombreux exemples : tel homme que l'on avait cru bon, déploie tout à coup des vices qu'on ne soupçonnait pas, et l'on s'en étonne ; c'est tout simplement ou qu'il a su dissimuler, ou qu'une cause a provoqué le développement d'un mauvais germe. Il est bien certain que celui en qui les bons sentiments sont fortement enracinés n'a pas même la pensée du mal ; quand cette pensée existe, c'est que le germe existe : il n'y manque souvent que l'exécution.

Puis, comme nous l'avons dit, le mal, quoique sous différentes formes, n'en est pas moins le mal. Le même principe vicieux peut être la source d'une foule d'actes divers provenant d'une même cause ; l'orgueil, par exemple, peut faire commettre un grand nombre de fautes auxquelles on est exposé tant que le principe radical n'est pas extirpé. Un homme peut donc, dans une existence, avoir des défauts qu'il n'aurait pas manifestés dans une autre, et qui ne sont que des conséquences variées d'un même principe vicieux. Néron est pour nous un monstre, parce qu'il a commis des atrocités ; mais croit-on que ces hommes perfides, hypocrites, véritables vipères qui sèment le poison de la calomnie, dépouillent les familles par l'astuce et les abus de confiance, qui couvrent leurs turpitudes du masque de la vertu pour arriver plus sûrement à leurs fins et recevoir des éloges alors qu'ils méritent l'exécration, croit-on, disons-nous, qu'ils valent mieux que Néron ? Assurément non ; être réincarnés dans un Néron ne serait pas pour eux une déchéance, mais une occasion de se montrer sous une nouvelle face ; comme tels ils étaleront les vices qu'ils cachaient ; ils oseront faire par la force ce qu'ils faisaient par la ruse, voilà toute la différence. Mais cette nouvelle épreuve n'en rendra le châtiment que plus terrible, si, au lieu de profiter des moyens qui leur sont donnés de réparer, ils s'en servent pour le mal. Et cependant, chaque existence, quelque mauvaise qu'elle soit, est une occasion de progrès pour l'Esprit ; il développe son intelligence, acquiert de l'expérience et des connaissances qui, plus tard, l'aideront à progresser moralement.


Toute idée nouvelle a nécessairement contre elle tous ceux dont elle froisse les opinions et les intérêts. Quelques-uns croient ceux de l'Eglise compromis, – nous ne le pensons pas, mais notre opinion ne fait pas loi, – c'est pourquoi on nous attaque en son nom avec une fureur à laquelle il ne manque que les grandes exécutions du moyen âge. Les sermons, les instructions pastorales lancent la foudre sur toute la ligne ; les brochures et les articles de journaux pleuvent comme la grêle, pour la plupart avec un cynisme d'expressions fort peu évangélique. C'est chez plusieurs une rage qui tient de la frénésie. Pourquoi donc ce déploiement de forces et tant de colères ? Parce que nous disons que Dieu pardonne au repentir et que les peines ne seront éternelles que pour ceux qui ne se repentiront jamais ; et parce que nous proclamons la clémence et la bonté de Dieu, nous sommes des hérétiques voués à l'exécration, et la société est perdue ; on nous signale comme des perturbateurs ; on somme l'autorité de nous poursuivre au nom de la morale et de l'ordre public ; on lui dit qu'elle ne fait pas son devoir en nous laissant tranquilles !

Un intéressant problème se présente ici. On se demande pourquoi ce déchaînement contre le Spiritisme, plutôt que contre tant d'autres théories philosophiques ou religieuses bien moins orthodoxes ? L'Eglise a-t-elle fulminé contre le matérialisme qui nie tout, comme elle le fait contre le Spiritisme qui se borne à l'interprétation de quelques dogmes ? Ces dogmes et bien d'autres n'ont-ils pas été maintes fois niés, discutés, controversés dans une foule d'écrits qu'elle laisse passer inaperçus ? Les principes fondamentaux de la foi : Dieu, l'âme et l'immortalité, n'ont-ils pas été publiquement attaqués sans qu'elle s'en soit émue ? Jamais le saint-simonisme, le fouriérisme, l'Eglise même de l'abbé Chatel n'ont soulevé tant de colères, sans parler d'autres sectes moins connues, telles que les fusionnistes, dont le chef vient de mourir, qui ont un culte, leur journal, et n'admettent pas la divinité du Christ ; les catholiques apostoliques qui ne reconnaissent pas le pape, qui ont leurs prêtres et évêques mariés, leurs églises à Paris et en province où l'on fait des baptêmes, des mariages et des enterrements. Pourquoi donc le Spiritisme, qui n'a ni culte ni église, et dont les prêtres ne sont que dans l'imagination, soulève-t-il tant d'animosités ? Chose bizarre ! le parti religieux et le parti matérialiste, qui sont la négation l'un de l'autre, se donnent la main pour nous pulvériser, c'est leur mot. L'esprit humain présente vraiment de singulières bizarreries quand il est aveuglé par la passion, et l'histoire du Spiritisme aura de plaisantes choses à enregistrer.

La réponse est tout entière dans cette conclusion de la brochure du R. P. Nampon[1] : « En général rien n'est plus abject, plus dégradé, plus vide de fond et d'attrait dans la forme que ces publications-là, dont le succès fabuleux est un des symptômes les plus alarmants de notre époque. Détruisez-les donc, vous n'y perdrez rien. Avec l'argent qu'on a dépensé à Lyon pour ces inepties, on eût facilement fondé quelques places de plus dans nos hospices d'aliénés, encombrés depuis l'invasion du Spiritisme. Et que ferons-nous de ces brochures malsaines ? Nous ferons d'elles ce que le grand apôtre en fit à Ephèse ; et par là nous conserverons au milieu de nous l'empire de la raison et de la foi, et nous préserverons les victimes de ces lamentables illusions d'une foule de déceptions dans la vie présente et des flammes de l'éternité malheureuse. »

Ce succès fabuleux, voilà ce qui confond nos adversaires ; ils ne peuvent comprendre l'inutilité de tout ce qu'ils font pour enrayer cette idée qui glisse sous leurs embûches, se redresse sous leurs coups, et poursuit sa marche ascendante sans prendre souci des pierres qu'on lui jette. Ceci est un fait acquis, et constaté maintes fois par les adversaires de l'une et de l'autre catégorie, dans leurs prédications et dans leurs publications ; tous déplorent le progrès inouï de cette épidémie qui attaque même les hommes de science, les médecins et les magistrats. Il faut en vérité revenir du Texas pour dire que le Spiritisme est mort et qu'on n'en parle plus. (Voir la Revue de février 1863, page 41.)

Pour réussir, que faisons-nous ? Allons-nous prêcher le Spiritisme sur les places ? Convoquons-nous le public à nos réunions ? Avons-nous nos missionnaires de propagande ? Avons-nous l'appui de la presse ? Avons-nous enfin tous les moyens d'action ostensibles et secrets que vous possédez et dont vous usez si largement ? Non ; pour recruter des partisans nous nous donnons mille fois moins de peine que vous n'en prenez pour les détourner. Nous nous contentons de dire : « Lisez, et si cela vous convient, revenez à nous » ; nous faisons plus, nous disons : lisez le pour et le contre et comparez. Nous répondons à vos attaques sans fiel, sans animosité, sans aigreur, parce que nous n'avons point de colères ; loin de nous plaindre des vôtres, nous y applaudissons, parce qu'elles servent notre cause. Voici entre des milliers une preuve de la force persuasive des arguments de nos adversaires. Un monsieur qui vient d'écrire à la Société de Paris pour demander à en faire partie, commence ainsi sa lettre : « La lecture de la Question du surnaturel, les morts et les vivants du P. Matignon, de la Question des Esprits de M. de Mirville, de l'Esprit frappeur du docteur Bronson, et enfin de différents articles contre le Spiritisme, n'ont fait que me rallier plus complètement à la doctrine du Livre des Esprits, et m'ont donné le plus vif désir de faire partie de la Société Spirite de Paris pour pouvoir continuer l'étude du Spiritisme d'une manière plus suivie et plus fructueuse. »

La passion aveugle parfois au point de faire commettre de singulières inconséquences. Dans le passage cité plus haut, le R. P. Nampon dit que : « Rien n'est plus vide d'attrait que ces publications dont le succès fabuleux, etc. » Il ne s'aperçoit pas que ces deux propositions se détruisent l'une par l'autre ; une chose sans attrait ne saurait avoir un succès quelconque, car elle ne peut avoir de succès qu'à la condition d'avoir de l'attrait ; à plus forte raison quand ce succès est fabuleux.

Il ajoute qu'avec l'argent dépensé à Lyon pour ces inepties, on eût facilement fondé quelques places de plus dans les hospices d'aliénés de cette ville, encombrés depuis l'invasion du Spiritisme. Il aurait fallu, il est vrai, fonder trente à quarante mille places, à Lyon seulement, puisque tous les Spirites sont des fous. D'un autre côté, puisque ce sont des inepties, cela n'a aucune valeur ; pourquoi donc leur faire les honneurs de tant de sermons, de mandements, de brochures ? A cette question d'emploi d'argent nous savons qu'à Lyon beaucoup de gens, mal pensants sans doute, se sont dit qu'avec les deux millions fournis par cette ville au denier de Saint-Pierre, on aurait pu donner du pain à bien des ouvriers malheureux pendant l'hiver, tandis que la lecture des livres spirites leur a donné le courage et la résignation pour supporter leur misère sans se révolter.

Le P. Nampon n'est pas heureux dans ses citations. Dans un passage du Livre des Esprits, il nous fait dire : « Il y a autant de distance entre l'âme de la bête et l'âme de l'homme, qu'entre l'âme de l'homme et l'âme de Dieu. (N° 597.) Nous avons mis : qu'entre l'âme de l'homme et Dieu, ce qui est fort différent ; l'âme de Dieu implique une sorte d'assimilation entre Dieu et les créatures corporelles. On conçoit l'omission d'un mot par inadvertance ou faute typographique ; mais on n'en ajoute pas sans intention ; pourquoi cette addition qui dénature le sens de la pensée, si ce n'est pour nous donner une couleur matérialiste aux yeux de ceux qui se contenteront de lire la citation, sans la vérifier dans l'original ? Un livre qui a paru peu avant le Livre des Esprits, et qui contient toute une théorie théogonique et cosmogonique, fait de Dieu un être bien autrement matériel, puisqu'il en fait un composé de tous les globes de l'univers, molécules de l'être universel qui a un estomac, mange et digère, et dont les hommes sont les mauvais produits de sa digestion ; et cependant pas un mot n'a été dit pour le combattre : toutes les colères se sont concentrées sur le Livre des Esprits : serait-ce donc parce qu'en six ans il est arrivé à la dixième édition, et qu'il est répandu dans tous les pays du monde ?

On ne se contente pas de critiquer, mais on tronque et dénature les maximes pour ajouter à l'horreur que doit inspirer cette abominable doctrine, et nous mettre en contradiction avec nous-même. C'est ainsi que le P. Nampon, citant une phrase de l'introduction du Livre des Esprits, page xxxiii, dit : « Certaines personnes, dites-vous vous-même, en s'adonnant à ces études ont perdu la raison. » Nous avons ainsi l'air de reconnaître que le Spiritisme conduit à la folie ; tandis qu'en lisant tout le paragraphe XV l'accusation tombe précisément sur ceux qui la lancent. C'est ainsi qu'en prenant des lambeaux de phrase d'un auteur on pourrait « le faire pendre » ; les auteurs les plus sacrés eux-mêmes n'échapperaient pas à cette dissection. C'est avec ce système que certains critiques espèrent donner le change sur les tendances du Spiritisme, et faire croire qu'il préconise l'avortement, l'adultère, le suicide, alors qu'il en démontre péremptoirement la criminalité et les funestes conséquences pour l'avenir.

Le P. Nampon va même jusqu'à s'emparer des citations faites dans le but de réfuter certaines idées : « L'auteur, dit-il, appelle quelquefois Jésus-Christ Homme-Dieu ; mais ailleurs (Livre des Médiums, page 368), dans un dialogue avec un médium qui, prenant le nom de Jésus, lui disait : « Je ne suis pas Dieu, mais je suis son fils, » il réplique aussitôt : « Vous êtes donc Jésus ? » Si, ajoute le P. Nampon, Jésus est appelé Fils de Dieu, c'est donc dans un sens arien, et sans être pour cela consubstantiel au Père. »

D'abord, ce n'est point un médium qui se disait Jésus, mais bien un Esprit, ce qui est fort différent, et la citation est précisément faite pour montrer la fourberie de certains Esprits, et tenir les médiums en garde contre leurs subterfuges. Vous prétendez que le Spiritisme nie la divinité du Christ ; où avez-vous vu cette proposition formulée en principe ? C'est dites-vous, la conséquence de toute la doctrine. Ah ! si nous entrons sur le terrain des interprétations, nous pourrons aller plus loin que vous ne voulez. Si nous disions, par exemple, que le Christ n'était pas arrivé à la perfection, qu'il a eu besoin des épreuves de la vie corporelle pour progresser ; que sa passion lui a été nécessaire pour monter en gloire, vous auriez raison, parce que nous en ferions, non pas même un pur Esprit, envoyé sur la terre avec une mission divine, mais un simple mortel, à qui la souffrance était nécessaire pour progresser lui-même. Où trouvez-vous que nous ayons dit cela ? Eh bien, ce que nous n'avons jamais dit, ce que nous ne dirons jamais, c'est vous qui le dites.

Nous avons vu dernièrement, dans le parloir d'une maison religieuse de Paris, l'inscription suivante, imprimée en gros caractères et affichée pour l'instruction de tous : « Il a fallu que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire, et ce n'est qu'après avoir bu à longs traits dans le torrent de la tribulation et de la souffrance qu'il a été élevé au plus haut des cieux. » (Psaume 109, v. 8.) C'est le commentaire de ce verset dont le texte est : « Il boira dans le chemin l'eau du torrent, et c'est par là qu'il élèvera sa tête (De torrente in via bibet : propterea exultabit caput). » Si donc « il a fallu que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire ; s'il n'a pu être élevé au plus haut des cieux que par les tribulations et la souffrance, » c'est qu'auparavant il n'était ni dans la gloire ni au plus haut des cieux, donc il n'était pas Dieu ; ses souffrances n'étaient donc pas au profit de l'humanité seule, puisqu'elles étaient nécessaires à son propre avancement. Dire que le Christ avait besoin de souffrir pour s'élever, c'est dire qu'il n'était pas parfait avant sa venue ; nous ne connaissons pas de protestation plus énergique contre sa divinité. Si tel est le sens de ce verset du psaume que l'on chante à vêpres, tous les dimanches on chante la non-divinité du Christ.

Avec le système des interprétations on va fort loin, disons-nous ; si nous voulions citer celles de quelques conciles sur cet autre verset : « Le Seigneur est à votre droite, il brisera les rois au jour de sa colère, » il serait facile de prouver qu'on en a tiré la justification du régicide.

« La vie future, dit encore le P. Nampon, change entièrement de face (avec le Spiritisme). L'immortalité de l'âme se réduit à une permanence matérielle, sans identité morale, sans conscience du passé. »

C'est une erreur ; le Spiritisme n'a jamais dit que l'âme fût sans conscience du passé ; elle en perd momentanément le souvenir pendant la vie corporelle, mais « lorsque l'Esprit rentre dans sa vie primitive (la vie spirite), tout son passé se déroule devant lui ; il voit les fautes qu'il a commises et qui sont cause de sa souffrance, et ce qui aurait pu l'empêcher de les commettre ; il comprend que la position qui lui est donnée est juste, et cherche alors l'existence qui pourrait réparer celle qui vient de s'écouler. » (Livre des Esprits, n° 393.) Puisqu'il y a souvenir du passé, conscience du moi, il y a donc identité morale ; puisque la vie spirituelle est la vie normale de l'Esprit, que les existences corporelles ne sont que des points dans la vie spirite, l'immortalité ne se réduit pas à une permanence matérielle ; le Spiritisme, comme on le voit, dit tout le contraire. En le dénaturant ainsi, le P. Nampon n'a pas pour excuse l'ignorance, car ses citations prouvent qu'il a lu, mais il a le tort de faire des citations tronquées, et de lui faire dire tout le contraire de ce qu'il dit.

Le Spiritisme est accusé, par quelques-uns, d'être fondé par le plus grossier matérialisme, parce qu'il admet le périsprit, qui a des propriétés matérielles. C'est encore une fausse conséquence tirée d'un principe incomplètement rapporté. Le Spiritisme n'a jamais confondu l'âme avec le périsprit, qui n'est qu'une enveloppe, comme le corps en est une autre. Eût-elle dix enveloppes, cela n'ôterait rien à son essence immatérielle. Il n'en est pas de même de la doctrine adoptée par le concile de Vienne en Dauphiné, dans sa seconde session, le 3 avril 1312. Selon cette doctrine « l'autorité de l'Eglise ordonne de croire que l'âme n'est que la forme substantielle du corps ; qu'il n'y a point d'idées innées, et déclare hérétiques ceux qui nieraient la matérialité de l'âme. » Raoul Fornier, professeur en droit, enseigne positivement la même chose dans ses discours académiques sur l'origine de l'âme, imprimés à Paris en 1619, avec approbation et des éloges de plusieurs docteurs en théologie.

Il est probable que le concile, se fondant sur les faits nombreux de manifestations spirites visibles et tangibles rapportés dans les Ecritures, manifestations qui ne peuvent être que matérielles, puisqu'elles frappent les sens, a confondu l'âme avec son enveloppe fluidique ou périsprit, dont le Spiritisme nous démontre la distinction. Sa doctrine est donc moins matérialiste que celle du concile.

« Mais abordons sans hésiter l'homme de France qui est le plus avancé dans ces études. Pour constater l'identité de l'Esprit qui parle, il faut, dit M. Allan Kardec, étudier son langage. Eh bien ! soit. Nous connaissons par leurs écrits authentiques la pensée certaine et, par conséquent, le langage de saint Jean, de saint Paul, de saint Augustin, de Fénelon, etc., comment donc osez-vous attribuer dans vos livres à ces grands génies des pensées et des sentiments tout contraires à ceux qui resteront à jamais consignés dans leurs ouvrages ? »

Ainsi vous admettez que ces personnages n'ont pu se tromper en rien ; que tout ce qu'ils ont écrit est l'expression de la vérité ; que s'ils revenaient aujourd'hui corporellement ils devraient enseigner tout ce qu'ils ont enseigné jadis ; que revenant en Esprit, ils ne doivent renier aucune de leurs paroles. Cependant saint Augustin regardait comme une hérésie la croyance à la rondeur de la terre et aux antipodes. Il soutenait l'existence des incubes et des succubes, et croyait à la procréation par le commerce des hommes avec les Esprits. Croyez-vous qu'il ne puisse, à cet égard, penser, comme Esprit, autrement qu'il ne pensait comme homme, et qu'il professerait ces doctrines aujourd'hui ? Si ses idées ont dû se modifier sur certains points, elles ont pu le faire sur d'autres. S'il s'est trompé, lui, génie incontestablement supérieur, pourquoi ne vous tromperiez-vous pas vous-même, et faut-il, par respect pour l'orthodoxie, lui dénier le droit, disons mieux, le mérite de rétracter ses erreurs ?

« Vous attribuez à saint Louis cette sentence ridicule, surtout dans sa bouche, contre l'éternité des peines : Supposer des Esprits inguérissables, c'est nier la loi du progrès. » (Livre des Esprits, n° 1007.)

Ce n'est point ainsi qu'elle est formulée. A cette question : Y a-t-il des Esprits qui ne se repentent jamais ? saint Louis a répondu : « Il y en a dont le repentir est très tardif, mais prétendre qu'ils ne s'amélioreront jamais, ce serait nier la loi du progrès et dire que l'enfant ne peut devenir adulte. » La première forme pourrait sembler ridicule ; pourquoi donc toujours tronquer et dénaturer les phrases ? Qui pense-t-on abuser ? ceux qui ne liront que ces commentaires inexacts ? Mais le nombre en est bien petit auprès de ceux qui veulent connaître à fond les choses sur lesquelles vous appelez vous-même l'attention ; or, la comparaison ne peut être que favorable au Spiritisme.

Nota. Pour l'édification de tout le monde, nous recommandons la lecture de la brochure intitulée : Du Spiritisme, par le R. P. Nampon, de la Compagnie de Jésus, chez Girard et Josserand, Lyon, place Bellecour, n° 30 ; Paris, rue Cassette, n° 5, en priant de vouloir bien lire dans le Livre des Esprits et le Livre des Médiums les textes complets, cités en abrégés ou altérés dans la brochure ci-dessus.



[1] Discours prêché dans l'église primatiale de Saint-Jean-Baptiste, en présence de Son Éminence le cardinal Archevêque de Lyon, les 14 et 21 décembre 1862, par le R. P. Nampon, de la Compagnie de Jésus, prédicateur de l'Avent.



Sous ce titre, un ancien officier retraité, ex-représentant du peuple à l'Assemblée Constituante en 1848, a publié à Alger une brochure dans laquelle, cherchant à prouver que le but du Spiritisme est une gigantesque spéculation, il établit des calculs d'où il résulte pour nous des revenus fabuleux qui laissent bien loin derrière eux les millions dont nous a si généreusement gratifié un certain abbé de Lyon (V. la Revue de juin 1862, page 179). Pour mettre nos lecteurs à même d'apprécier cet intéressant inventaire, nous le citons textuellement, ainsi que les conclusions de l'auteur. Cet extrait donnera une idée de ce que peut être le reste de la brochure au point de vue de l'appréciation du Spiritisme.

« Sans nous arrêter à analyser tous les articles concernant en apparence les épreuves du néophytisme et la discipline de la Société, nous appellerons l'attention du lecteur sur les articles 15 et 16. Tout est là.

Il y verra que, sous le prétexte de subvenir aux dépenses de la Société, chaque membre titulaire paye : 1° une entrée de 10 fr. ; 2° une cotisation annuelle de 24 fr., et que chaque associé libre paye une cotisation de 20 fr. par an.

Les cotisations se payent intégralement pour l'année, c'est-à-dire d'avance : M. Allan Kardec prend ses précautions contre les désertions.

Or, par l'engouement qu'on remarque partout pour le Spiritisme, nous croyons être modeste en ne comptant pour Paris que 3 000 associés, tant titulaires que libres. Les cotisations rapportent donc, par an, 63 000 fr., sans compter les entrées qui ont servi à monter l'affaire.

Nous ne compterons que pour mémoire les bénéfices faits sur la vente des Livres des Esprits et des Médiums. Ils doivent cependant être considérables, car nous ne connaissons guère d'ouvrage qui ait eu une plus grande vogue, vogue fondée sur l'insatiable désir qui pousse l'homme à percer le mystère de la vie à venir.

Mais, dans ce qui précède, nous n'avons pas encore montré la source la plus abondante des profits. Il existe une revue mensuelle spirite, publiée par M. Allan Kardec, recueil indigeste qui dépasse de loin les légendes merveilleuses de l'antiquité et du moyen âge, et dont l'abonnement est de 10 fr. par an pour Paris ; 12 et 14 fr. pour la province et l'étranger.

Or, quel est celui des nombreux adeptes du Spiritisme qui, faute de 10 fr. par an (environ 90 centimes par mois), se priverait de sa part d'apparitions, d'évocations, de manifestations d'Esprits et de légendes ? On ne peut donc compter, en France et à l'étranger, moins de 30 000 abonnés à la Revue, produisant un total annuel de300 000 fr.

Lesquels, ajoutés aux 63 000 fr. de cotisation 63 000 donnent un total de 363 000 fr.

Les frais à déduire sont :

1° Le loyer de la salle des séances de la Société, les gages des secrétaires, du trésorier, des garçons de salle et de bon nombre de médiums. Nous croyons être au-dessus de la réalité en portant ces frais à 40 000 fr.

Le prix de revient de la Revue : Un numéro de 32 pages ne coûte pas plus de 20 centimes ; les 12 numéros de l'année reviendront à 2 fr. 40 c. qui, répétés 30 000 fois, donnent un chiffre de 72 000 - Total des frais112 000 fr.


Retranchant ces frais des 363 000 fr., reste pour M. Allan Kardec un bénéfice annuel net de 250 000 fr., sans compter celui de la vente des Livres des Esprits et des Médiums.

Au train dont marche l'épidémie, la moitié de la France sera bientôt spirite, si cela n'est déjà fait, et comme on ne peut être bon Spirite si l'on n'est au moins associé libre et abonné à la Revue, il y a probabilité que sur 20 millions d'habitants dont se compose cette moitié, il y aura 5 millions d'associés et autant d'abonnés à la Revue ; conséquemment, le revenu des présidents et vice-présidents des sociétés spirites sera de 100 millions par an, et celui de M. Allan Kardec, propriétaire de la Revue et souverain pontife, 38 millions.

Si le Spiritisme gagne l'autre moitié de la France, ce revenu sera doublé, et, si l'Europe se laisse infester, ce ne sera plus par millions qu'il faudra compter, mais bien par milliards.

Eh bien, naïfs Spirites ! Que pensez-vous de cette spéculation basée sur votre simplicité ? Eussiez-vous jamais cru que, du jeu des tables tournantes, il pût sortir de pareils trésors, et êtes-vous édifiés maintenant sur l'ardeur que mettent à fonder des sociétés les propagateurs de la doctrine ?

N'a-t-on pas raison de dire que la sottise humaine est une mine inépuisable à exploiter ?

Examinons maintenant les moyens mis en pratique par M. Allan Kardec, et son habileté comme spéculateur sera la seule chose qu'on ne pourra révoquer en doute.

Il comprend que, dans la vogue universelle des tables tournantes, se trouve toute faite, et sans bourse délier, la chose la plus difficile à se procurer, la publicité.

Or, dans de telles circonstances, promettre, au moyen des tables tournantes, de dévoiler les mystères de l'avenir et de la vie future, c'était s'adresser à une immense clientèle, avide de ces mystères et conséquemment toute disposée à écouter ses révélations. Ensuite, pensant que les cultes existants peuvent lui ravir bon nombre d'adeptes, il proclame leur déchéance. On lit dans la brochure : Le Spiritisme à sa plus simple expression (p. 15) : « Au point de vue religieux, le Spiritisme a pour base les vérités fondamentales de toutes les religions : Dieu, l'âme, l'immortalité, les peines et les récompenses futures ; mais il est indépendant de tout culte particulier. »

Cette doctrine, bien faite pour séduire le nombre toujours croissant des hommes qui ne veulent plus supporter aucune hiérarchie sociale, ne pouvait manquer son effet.

( Rem. Il y en a donc beaucoup, selon vous, à qui le joug de la religion est insupportable ! )

Ce qui nous surprend étrangement, c'est qu'en autorisant la prédication du Spiritisme, le gouvernement n'ait pas vu que cette audacieuse tentative contient en germe l'abolition possible de sa propre autorité ; car enfin, lorsque l'épidémie aura encore grandi, n'est-il pas possible que, sur l'injonction des Esprits, l'abolition d'une autorité qui peut menacer l'existence du Spiritisme soit décrétée ?

On pouvait sans danger permettre les sociétés spirites ; mais, n'était-il pas sage d'en interdire les publications ?

La secte eût été renfermée dans l'enceinte des salles des séances et n'eût probablement jamais dépassé la portée des représentations de Conus ou de Robert-Houdin.

Mais la loi est athée, a dit la philosophie moderne, et c'est en vertu de ce paradoxe qu'un homme a pu proclamer la déchéance de l'autorité de l'Église.

Cet exemple, soit dit en passant, démontrerait, aux yeux les moins clairvoyants, la sagesse des législateurs de l'antiquité qui ne croyaient pas que l'ordre matériel pût coexister avec le désordre moral et qui avaient si intimement lié, dans leurs codes, les lois civiles et les lois religieuses.

S'il était au pouvoir de l'humanité de détruire les créations spirituelles de Dieu, le premier effet du Spiritisme serait d'arracher l'Espérance du cœur de l'homme.

Qu'espérerait l'homme ici-bas, s'il acquérait la conviction (nous ne disons pas la preuve) qu'après la mort, il aura à sa disposition et indéfiniment plusieurs existences corporelles ?

Ce dogme, qui n'est autre chose que la métempsycose renouvelée de Pythagore, n'est-il pas de nature à affaiblir en lui le sentiment du devoir et à lui faire dire ici-bas : A plus tard les affaires sérieuses ? La Charité, si fortement recommandée par le Christ et par l'Eglise, et dont le Spiritisme affecte lui-même de faire la pierre angulaire de son édifice, n'en reçoit-elle pas une mortelle atteinte ?

Un autre effet du Spiritisme est de transformer la Foi, qui est un acte de libre arbitre et de volonté, en une aveugle crédulité.

Ainsi, pour faire réussir la spéculation du Spiritisme ou des tables tournantes, M. Allan Kardec prêche une doctrine dont la tendance est la destruction de la Foi, de l'Espérance et de la Charité.

Cependant que le monde chrétien se rassure, le Spiritisme ne prévaudra pas contre l'Eglise. « On reconnaîtra toute la valeur d'un principe religieux (comme dit Mgr l'évêque d'Alger, dans sa lettre du 13 février 1863, aux curés de son diocèse), car il suffit à lui seul pour vaincre tous les tâtonnements, toutes les oppositions et toutes les résistances. »

Mais y a-t-il de vrais Spirites ? – Nous le nierons tant qu'un homme sentira que l'Espérance n'est pas éteinte dans son cœur.

Qu'y a-t-il donc dans le Spiritisme ? Rien autre chose qu'un spéculateur et des dupes. Et du jour où l'autorité temporelle comprendra sa solidarité avec l'autorité morale et se bornera seulement à interdire les publications spirites, cette immorale spéculation tombera pour ne plus se relever. »

Le journal d'Alger, l'Akhbar, du 28 mars 1863, dans un article aussi bienveillant que la brochure, reproduisant une partie de ces arguments, conclut qu'il est bien et dûment prouvé, par des calculs authentiques, que le Spiritisme nous donne actuellement un revenu positif de 250 000 fr. par an. L'auteur de la brochure voit les choses plus largement encore, puisque ses prévisions le portent d'ici à peu d'années à 38 millions, c'est-à-dire à un chiffre supérieur à la liste civile des plus riches souverains de l'Europe. Nous ne prendrons certainement pas la peine de combattre des calculs qui se réfutent par leur exagération même, mais qui prouvent une chose, c'est l'effroi que cause aux adversaires la rapide propagation du Spiritisme, au point de leur faire dire les plus grandes inconséquences.

Admettons en effet, pour un instant, la réalité des chiffres de l'auteur, ne serait-ce pas la plus énergique protestation contre les idées actuelles, qui crouleraient dans le monde entier devant l'idée émise par un seul homme, inconnu il y a six ans à peine ? N'est-ce pas reconnaître l'irrésistible puissance de cette idée ? Elle tend, dites-vous, à supplanter la religion, et pour le prouver, vous la présentez adoptée avant peu par vingt millions, puis par quarante millions d'habitants dans la France seule ; puis vous vous écriez : « Non, la religion ne peut périr. » Mais si vos prévisions se réalisent, que restera-t-il pour la religion ? Faisons aussi une petite statistique de chiffres d'après l'auteur : En France, 36 millions d'habitants ; Spirites, 40 millions ; reste pour les catholiques 0 moins 4 millions ; puisque, selon vous, on ne peut être catholique et Spirite. Si l'Eglise est aussi facilement renversée par un individu à l'aide d'une idée saugrenue, n'est-ce pas reconnaître qu'elle repose sur une base bien fragile ? Dire qu'elle peut être compromise par une absurdité, c'est faire une mince éloge de la puissance de ses arguments et livrer le secret de sa propre faiblesse. Où donc alors est sa base inébranlable ? Nous souhaitons à l'Eglise un défenseur plus fort et surtout plus logique que l'auteur de la brochure. Rien n'est dangereux comme un imprudent ami.

On ne pense pas à tout : l'auteur n'a pas songé qu'en voulant nous dénigrer il exalte notre importance, et le moyen qu'il emploie va juste contre son but. L'argent étant le dieu de notre époque, celui qui en possède le plus ne manque pas de courtisans attirés par l'espoir de la curée. Les milliards dont il nous gratifie, loin d'éloigner de nous, mettraient les princes mêmes à nos pieds. Que dirait l'auteur si, puisque nous n'avons point d'enfants, nous le faisions notre légataire de quelques dizaines de millions ? En trouverait-il la source mauvaise ? Ce serait bien capable de lui faire dire que le Spiritisme est bon à quelque chose.

Selon lui, une des sources de nos immenses revenus est la Société de Paris qu'il suppose avoir au moins 3000 membres. Nous pourrions lui demander d'abord de quel droit il vient s'immiscer dans les affaires privées ; mais nous passons là-dessus. Puisqu'il se pique de tant d'exactitude, et il en faut quand on veut prouver par des chiffres, s'il se fût donné la peine de lire seulement le compte rendu de la Société, publié dans la Revue de juin 1862, il aurait pu se faire une idée plus vraie de ses ressources, et de ce qu'il appelle le budget du Spiritisme.

En puisant ses renseignements ailleurs que dans son imagination, il aurait su que la Société ; rangée officiellement parmi les sociétés scientifiques, n'est ni une confrérie ni une congrégation, mais une simple réunion de personnes s'occupant de l'étude d'une science nouvelle qu'elle approfondit ; que loin de viser au nombre, qui serait plus nuisible qu'utile à ses travaux, elle le restreint plutôt qu'elle ne l'augmente, par la difficulté des admissions ; qu'au lieu de 3000 membres, elle n'en a jamais eu cent ; qu'elle ne rétribue aucun de ses fonctionnaires, ni présidents, vice-présidents ou secrétaires ; qu'elle n'emploie aucun médium payé, et s'est toujours élevée contre l'exploitation de la faculté médianimique ; qu'elle n'a jamais perçu un centime sur ses visiteurs qu'elle admet toujours en très petit nombre, n'ouvrant jamais ses portes au public ; qu'en dehors des membres reçus, aucun Spirite n'est son tributaire ; que les membres honoraires ne payent aucune cotisation ; qu'il n'existe entre elle et les autres sociétés spirites aucune affiliation, ni aucune solidarité matérielle ; que le produit des cotisations ne passe jamais par les mains du président ; que toute dépense, quelque minime qu'elle soit, ne peut être faite sans l'avis du comité ; enfin que son budget de 1862 s'est soldé par un encaisse de 429 fr. 40 cent.

Ce maigre résultat infirme-t-il l'importance croissante du Spiritisme ? Non, au contraire, car il prouve que la Société de Paris n'est une spéculation pour personne. Et quand l'auteur cherche à exciter l'animosité contre nous, en disant aux adeptes qu'ils se ruinent à notre profit, ils répondront tout simplement que c'est une calomnie, parce qu'on ne leur demande rien, et qu'ils ne payent rien. Pourrait-on en dire autant de tout le monde, et ne pourrait-on renvoyer à d'autres l'argument de l'auteur par des chiffres plus authentiques que les siens ? Quant aux trente mille abonnés de la Revue, nous nous les souhaitons. « Calomniez, calomniez, a dit un auteur, il en reste toujours quelque chose. » Oui, certainement, il en reste toujours quelque chose qui, tôt ou tard, retombe sur le calomniateur.

Injures, calomnies, inventions manifestes, jusqu'à l'immixtion dans la vie privée, en vue de jeter la déconsidération sur un individu et sur une classe nombreuse d'individus, cette brochure, qui a dépassé de beaucoup toutes les diatribes publiées jusqu'à ce jour, a toutes les conditions requises pour être déférée à la justice. Nous ne l'avons point fait, malgré les sollicitations qui nous ont été adressées à ce sujet, parce que c'est une bonne fortune pour le Spiritisme, et nous ne voudrions pas, au prix de plus grandes injures encore, qu'elle n'eût pas été publiée. Nos adversaires ne pouvaient rien faire de mieux pour se discréditer eux-mêmes, en montrant à quels tristes expédients ils en sont réduits pour nous attaquer, et jusqu'à quel point le succès des idées nouvelles les épouvante, nous pourrions dire leur fait perdre la tête.

L'effet de cette brochure a été de provoquer un immense éclat de rire chez tous ceux qui nous connaissent, et ils sont nombreux ; quant à ceux qui ne nous connaissent pas, elle a dû leur inspirer un vif désir de connaître ce Nabab improvisé qui récolte les millions plus facilement qu'on ne récolte les gros sous, et n'a qu'à lancer une idée pour y rallier la population de tout un empire ; or comme, selon l'auteur, il ne rallie que les sots, il en résulte que cet empire n'est composé que de sots du haut en bas de l'échelle. L'histoire de l'humanité n'offre aucun exemple d'un pareil phénomène. L'auteur eût été payé pour ce résultat qu'il n'eût pas mieux réussi ; nous n'avons donc pas à nous en plaindre[1].







[1] On nous écrit d'Algérie, nous le donnons sous toute réserve, que l'auteur de la brochure a fait partie d'un groupe spirite ; que son zèle pour la cause l'avait fait nommer président ; mais que plus tard, n'ayant pas voulu renoncer à certains projets désapprouvés par les autres membres, il avait été rayé de la liste.



Nous reproduisons textuellement la lettre suivante, qui nous a été adressée de Bordeaux le 7 mai 1863.

« Cher maître,

Le 22 avril dernier, je recevais de M. T. Jaubert, vice-président du tribunal civil de Carcassonne, président honoraire de la Société Spirite de Bordeaux, une lettre qui m'informait que l'Académie des Jeux Floraux de Toulouse avait rendu son jugement sur le mérite des pièces de poésie admises au concours de 1863. Soixante-huit concurrents se sont présentés pour la fable ; deux fables ont été remarquées : l'une a obtenu le premier prix (la Primevère) ; l'autre a été mentionnée avec éloge au procès-verbal. Or, ces deux pièces, me dit M. Jaubert, appartiennent toutes deux à son Esprit familier.

Comme ce fait était capital pour le Spiritisme, j'ai voulu moi-même en être le témoin, et me suis, à cet effet, rendu à Toulouse avec une députation de la Société Spirite de Bordeaux, pour assister au couronnement de l'Esprit frappeur de Carcassonne. Nous assistâmes donc à la séance solennelle des prix, et après la lecture de la fable couronnée, nous avons mêlé nos applaudissements à ceux du public toulousain, et avons vu, par les suffrages et les honneurs qu'elle a recueillis des honorables membres de l'académie, crouler sous ces bravos l'hydre du matérialisme et surgir à sa place le dogme saint et consolant de l'immortalité de l'âme.

Nous ne sommes auprès de vous, cher maître, que les interprètes de notre honorable président, M. Jaubert. Il nous a chargé de vous faire part de cet heureux événement, sachant comme nous que nul ne pourra avec autant de sagesse en déduire les conséquences pour le rendre utile à la cause que nous sommes fiers de servir sous votre paternelle direction.

Nous saisissons avec empressement cette occasion pour témoigner notre reconnaissance à l'excellent et honorable M. Jaubert pour l'accueil cordial et sympathique qu'il a fait à la députation de la Société de Bordeaux. Ces témoignages d'amitié sont précieux pour nous, et ils nous encourageront à marcher avec persévérance dans la voie pénible et laborieuse de l'apostolat, sans nous arrêter aux obstacles que nous pourrions y rencontrer. M. Jaubert est un de ces hommes qui peuvent servir d'exemple aux autres ; c'est un vrai Spirite, simple, modeste et bon, plein de dignité et d'abnégation ; calme et grave comme tout ce qui est grand ; sans orgueil et sans enthousiasme, qualités essentielles à tout homme qui se fait l'apôtre d'une doctrine, et qui attache son nom aux courageuses professions de foi qu'il envoie aux faibles et aux timides.

Nous regardons le triomphe de l'Esprit au Capitole toulousain comme une victoire pour notre sainte et sublime doctrine. Dieu veut arrêter les sourires de l'ironie et de l'incrédulité ; c'est pour cela, sans doute, qu'il a permis que le savant aréopage couronnât l'âme d'un mort. Que le 3 mai soit donc gravé en lettres d'or dans les fastes de l'histoire du Spiritisme ; il cimente le premier chaînon de la solidarité fraternelle qui unit les vivants aux morts : révélation splendide et sublime qui réchauffe et vivifie les âmes du rayonnement de la foi.

Pour tous les Spirites qui assistaient à cette solennité, que la fête était belle ! Dégageant leurs pensées du monde matériel, ils voyaient dans la salle des Jeux Floraux voltiger çà et là des groupes de bons Esprits qui se félicitaient de cette victoire obtenue par un de leurs frères, et, rayonnant sur tous, l'Esprit de Clémence Isaure, la fondatrice de ces nouveaux jeux Olympiques, tenant dans ses mains une flexible couronne pour la déposer au moment du triomphe sur le front de l'Esprit lauréat.

S'il est dans la vie des moments d'amertume, il y a aussi des moments d'ineffable bonheur ; c'est vous dire que le 3 mai 1863 à Toulouse j'ai eu, ou plutôt nous avons eu un de ces moments qui font oublier les tribulations de la vie terrestre.

Recevez, cher maître, etc. « Sabò. »

C'est en effet un événement grave que celui qui vient de se passer à Toulouse, et chacun concevra l'émotion des Spirites sincères qui assistaient à cette solennité, car ils en comprenaient les conséquences, émotion rendue en termes si simples et si touchants dans la lettre qu'on vient de lire ; c'est l'expression de la vérité sans forfanterie, ni jactance, ni vaines bravades.

Quelques personnes pourraient s'étonner que M. Jaubert n'ait pas confondu les adversaires du Spiritisme en proclamant séance tenante, et devant la foule assemblée, la véritable origine des fables couronnées. S'il ne l'a pas fait, la raison en est bien simple : c'est que M. Jaubert est un homme modeste qui ne cherche point le bruit, et qui par-dessus tout a du savoir-vivre. Or, parmi les juges il s'en trouvait probablement qui ne partageaient pas ses opinions touchant les Esprits ; c'eût donc été leur jeter publiquement à la face une sorte de défi, un démenti, procédé indigne d'un galant homme, nous disons plus, d'un vrai Spirite qui respecte toutes les opinions, même celles qui ne sont pas les siennes. Qu'eût produit cet éclat ? Des protestations de la part de quelques assistants, du scandale peut-être. Le Spiritisme y aurait-il gagné ? Non, il aurait compromis sa dignité. M. Jaubert, ainsi que les nombreux Spirites qui assistaient à la cérémonie, ont donc fait preuve d'une haute sagesse en s'abstenant de toute démonstration publique ; c'était une marque de déférence et de respect soit envers l'académie, soit envers l'assemblée ; ils ont prouvé une fois de plus, en cette circonstance, que les Spirites savent conserver le calme dans le succès comme ils savent le conserver devant les injures de leurs adversaires, et que ce n'est pas de leur part qu'on doit attendre l'excitation au désordre. Le fait n'y perd rien de son importance, car avant peu il sera connu et acclamé dans cent pays différents.

Les négateurs de bonne ou de mauvaise foi, car il y en a des uns des autres, diront sans doute que rien ne prouve l'origine de ces fables, et que le lauréat, pour servir les intérêts du Spiritisme, pourrait avoir attribué aux Esprits les produits de son propre talent. A cela il est une réponse bien simple, c'est l'honorabilité notoire du caractère de M. Jaubert qui défie toute suspicion d'avoir joué une comédie indigne de sa gravité et de sa position. Quand les adversaires nous opposent les charlatans qui simulent les phénomènes spirites sur les tréteaux, nous leur répondons que le Spiritisme vrai n'a rien de commun avec eux, pas plus que la vraie science n'a de rapport avec prestidigitateurs qui s'intitulent physiciens ; c'est à ceux qui veulent se donner la peine d'étudier d'en faire la différence ; tant pis pour le jugement de ceux qui parlent de ce qu'ils ne connaissent pas.

La question de loyauté ne pouvant être mise en doute, reste à voir si M. Jaubert est poète, et s'il n'aurait pas, de bonne foi, pris pour l'œuvre des Esprits, ce qui serait la sienne. Nous ignorons s'il est poète ; mais eût-il le talent de Racine, le moyen par lequel il obtient ses fables spirites ne peut laisser l'ombre d'un doute à cet égard ; il est notoire que toutes celles qu'il a obtenues l'ont été par la typtologie, c'est-à-dire par le langage alphabétique des coups frappés, et que la plupart ont eu de nombreux témoins non moins dignes de foi que lui ; or, pour quiconque connaît ce mode d'obtention, il est évident que son imagination ne saurait exercer la moindre influence. L'authenticité de l'origine est donc incontestable, et l'Académie de Toulouse pourrait s'en assurer en assistant à une expérience.

Nous donnons ci-après les deux fables qui ont obtenu son suffrage

Un lion parcourait ses immenses domaines,

Par un noble orgueil dominé ;

Sans colère, croquant ses sujets par douzaines ;

Bon prince, au demeurant, quand il avait dîné !

Il ne marchait pas seul ; autour de sa crinière

Se groupaient empressés loups, tigres, léopards,

Panthères, sangliers ; on dit que les renards

Prudemment restaient en arrière.

Or, le monarque, un certain jour,

Comme suit harangua les manants et la cour :

« Illustres compagnons, vrais soutiens de ma gloire,

Quadrupèdes soumis à ma noble mâchoire,

Pour m'entendre, vous tous accourus en ce lieu,

Ecoutez : Je suis roi par la grâce de Dieu !

Je pourrais… Mais pourquoi songer à ma puissance ? »

Puis, le lion, avec aisance,

Comme n'eût pas mieux fait un puissant avocat

Doublé d'un procureur à fertile cervelle,

Parla de ses devoirs, des charges de l'Etat,

Des bergers, de leurs chiens, de la charte nouvelle,

Du mal que trop souvent de lui disent les sots ;

Et toujours plus ému termina par ces mots :

« J'ai quitté mon palais tout exprès pour vous plaire ;

Exposez vos griefs ; je pèserai l'affaire.

Taureaux, moutons, chevreuils, comptez sur ma bonté.

J'attends ; expliquez-vous en toute liberté.

Eh quoi ! dans cette vaste enceinte,

Pas un seul malheureux ! pas une seule plainte !… »

Un vieux corbeau l'interrompit,

Et libre dans l'air répondit :

« Tu les crois satisfaits ; leur silence te touche,

Grand roi !… c'est la terreur qui leur ferme la bouche. »

Orné d'un casque à mèche et plein de bienveillance,

Un disciple de feu Vatel,

Dans la cour de son vaste hôtel,

A ses chiens donnait audience.

« A vous, leur disait-il, j'ai bien voulu songer ;

Je vous aime et je vous destine,

Tout frais sortant de ma cuisine,

Cet os, ce bel os à ronger !

Mais un seul l'obtiendra de ma faveur insigne ;

Je suis juste, et j'entends le donner au plus digne.

Le concours est ouvert ; faites valoir vos droits. »

Un barbet, renommé parmi les plus adroits,

D'une troupe canine autrefois premier rôle,

A l'instant salua, risqua la cabriole,

Promena sur la foule un oeil triomphateur,

Aboya, fit le mort, sauta pour l'empereur.

Un dogue s'écria : « Qu'importe ta souplesse !

Sur toute la maison, moi je veille sans cesse.

Maître, n'oubliez pas qu'un voleur imprudent

L'an passé tomba sous ma dent. »

Un caniche disait : « Vaillamment, sans reproche,

Depuis bientôt dix ans je tourne votre broche ;

Pour vous, depuis dix ans, muni d'un petit sac,

Au plus voisin débit j'achète le tabac. »

– « J'aime, hurla Tayaut, la fanfare sonore ;

En chasse me vit-on dans les rangs des traînards ?

Vous me devez au moins cent lièvres, vingt renards ;

Je suis sobre, soumis ; jamais je ne dévore

La perdrix trouvée au lacet. »

Enfin, qui rongea l'os ? Ce fut un vieux basset !

Comme l'eût fait jadis un député du centre,

Comme sans plus rougir on le fera demain,

Devant le marmiton se traînant à plat ventre,

Il lui lécha les pieds et… fit ouvrir sa main.

Bassets de grands seigneurs, héros de réfectoire,

Vils flatteurs, voilà votre histoire.

Si l'on persistait à croire à l'influence des connaissances personnelles du médium dans la production des vers couronnés par l'Académie de Toulouse, il ne saurait en être ainsi pour les choses qu'il lui est matériellement impossible de connaître. Le fait suivant, entre mille, est une réponse péremptoire à cette objection. Nous le puisons dans une seconde lettre de M. Sabô.

« Le 4 mai, dit-il, la députation de Bordeaux étant partie, je restai un jour de plus à Toulouse, et dans une visite que je fis à M. Jaubert, il me proposa une expérimentation que j'acceptai avec grand plaisir, ne l'ayant jamais vu opérer. Une tourde table à quatre pieds se trouvait dans sa chambre, nous nous plaçâmes vis-à-vis l'un de l'autre, et après diverses évolutions de la table qui obéissait à son commandement, celle-ci ayant repris sa position normale, il me pria d'évoquer mentalement un Esprit. Voici les questions posées par lui et les réponses faites par l'Esprit.

Dem. Voudriez-vous nous faire connaître votre sexe ? – Rép. Féminin. (C'était vrai.)

D. A quel âge avez-vous quitté la terre ? – R. A vingt-deux ans. (C'était encore vrai.)

D. Quel est votre prénom ?

Lorsque l'Esprit eut montré six lettres formant Félici, M. Jaubert crut deviner, et ajouta : « Ce doit être Félicie ou Félicité. » Sans répondre à son observation, je le priai de continuer. L'Esprit indiqua un a. J'étais très ému, et le médium craignait une mystification. Rassuré à ce sujet, lui ayant dit que le nom était bien Félicia, il continua.

D. A quel degré de parenté étiez-vous liée avec M. Sabô ? – R. J'étais sa femme.

Pour le coup, M. Jaubert se croyait bel et bien mystifié, puisqu'il savait que ma femme était encore de ce monde. Je ne vous le dissimule pas, j'étais très heureux : je venais de palper, si je puis m'exprimer ainsi, l'âme de ma chère Félicia. J'expliquai alors à M. Jaubert, ce qu'il ignorait, que j'étais veuf et remarié depuis quelques mois seulement à la sœur de l'Esprit qui venait de nous donner une preuve si irrécusable de la manifestation de l'âme. Il était aussi heureux que moi de ce résultat, quoique, m'a-t-il dit, il obtienne des faits de cette nature devant lesquels l'incrédulité la plus absolue devra se rendre bon gré mal gré. A qui me dira : « C'est impossible, » je répondrai avec M. Jaubert : « Cela est. Incrédules ! cherchez de bonne foi et vous trouverez. »

A notre tour, nous dirons à ces messieurs qu'ils ont trop bonne opinion des incrédules absolus en croyant qu'ils se rendront à l'évidence ; il en est qui sont nés incrédules et mourront incrédules, non qu'ils ne puissent croire, mais parce qu'ils ne veulent pas croire ; or, il n'y a de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Un savant officiel disait dernièrement à un de nos amis qui lui parlait de ces phénomènes : « Je ne croirai jamais qu'une table puisse se mouvoir et se soulever autrement que par l'impulsion des muscles de l'opérateur. – Mais si vous voyiez une table se maintenir dans l'espace sans contact et sans point d'appui, qu'en diriez-vous ? – Je n'y croirais pas davantage, parce que je sais que c'est impossible. »

Croyez donc bien que tous les Esprits frappeurs de Carcassonne et du monde entier ne parviendront jamais à vaincre ces incrédulités absolues et de parti pris. Ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de les laisser tranquilles ; quand, sur mille personnes, neuf cent quatre-vingt-dix croiront, ce qui ne tardera pas, que feront les dix autres ? Ils diront encore, comme aujourd'hui, qu'ils ont seuls du bon sens, et qu'il faut enfermer avec les fous les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la population. Laissons-leur donc cette innocente satisfaction, et poursuivons notre chemin sans nous inquiéter des traînards.

Ce mot, « je sais que c'est impossible, » nous rappelle l'anecdote suivante : Un ambassadeur hollandais s'entretenant avec le roi de Siam des particularités de la Hollande, dont ce prince s'informait, lui dit entre autres choses que, dans son pays, l'eau se durcissait quelquefois si fort pendant la saison la plus froide de l'année, que les hommes marchaient dessus, et que cette eau ainsi durcie porterait des éléphants, s'il y en avait. Sur quoi le roi répondit : « Monsieur l'ambassadeur, j'ai cru jusqu'ici les choses extraordinaires que vous m'avez racontées, parce que je vous prenais pour un homme d'honneur et de probité ; mais présentement, je suis assuré que vous mentez. » N'est-ce pas l'équivalent du « je sais que c'est impossible » ?

Le fait relaté ci-dessus, diront certains négateurs, ne prouve rien, parce que si le médium ignorait la chose, M. Sabô la connaissait parfaitement ; c'est donc sa pensée qui s'est reproduite. Ainsi, ce serait la pensée de celui qui n'était pas médium qui se serait réfléchie dans la table, l'aurait agitée d'une manière intelligente pour lui faire frapper les coups indicateurs des lettres formulant sa pensée, et cela sans sa volonté, sans la participation de ses mains ? Singulière propriété de la pensée ! Ce phénomène seul, en admettant votre théorie, ne serait-il pas prodigieux et digne de la plus sérieuse attention ? Pourquoi donc le dédaigner ? Vous vous absorbez sur la composition d'un grain de poussière, vous calculez avec soin les proportions de ses éléments, et vous n'avez que des dédains pour une manifestation aussi étrange de la pensée ! Qu'un nouveau rayon du spectre solaire se sépare, aussitôt vous étudiez ses propriétés, son action chimique, vous calculez son angle de réflexion, son pouvoir réfringent ; un rayon de la pensée s'isole, agite la matière, se réfléchit comme la lumière et cela n'éveille pas votre attention ! « A quoi bon nous en occuper ? dites-vous ; ce n'est que la pensée ! »

Mais comment expliquerez-vous, avec cette théorie, les faits si nombreux de révélations, soit par la typtologie, soit par l'écriture, de choses complètement ignorées de tous les assistants, et dont l'exactitude a été constatée, entre autres celui de Simon Louvet, rapporté dans la Revue de mars 1863, page 87 ? De la pensée de qui cette communication pouvait-elle être le reflet, puisqu'il a fallu recourir à un journal de six ans antérieur pour la vérifier ? Est-il plus simple d'admettre que ce soit la pensée du journaliste que celle de l'Esprit de Simon Louvet lui-même ? Vous avez donc bien peur d'être forcés de convenir que l'âme survit au corps ! et l'idée d'être anéanti après la mort vous sourit donc bien plus que celle de revivre dans des conditions plus heureuses, et de retrouver dans le monde des Esprits les affections que vous aurez laissées sur la terre ! Si vous vous complaisez dans la douce quiétude de finir pour toujours au fond de la fosse, et de vous endormir au sein de la pourriture de votre corps, quel tort vous font ceux qui croient le contraire, et pourquoi les poursuivre comme les ennemis du genre humain ? A raison de votre croyance vous cherchez à leur faire du mal ; à raison de la leur ils ne vous en faut point, alors que sans cela ils se fussent peut-être vengés de vos injures ; là est la condamnation des conséquences sociales de vos doctrines.

Nous ne refusons pas de croire, disent quelques-uns d'entre vous, mais nous ne pouvons rien voir ; on nous refuse même l'entrée des réunions où nous pourrions nous convaincre, et où l'on n'admet que des gens convaincus. On vous refuse l'entrée des réunions par une raison bien simple : c'est que vous ne voulez pas faire ce qu'il faut pour vous éclairer ni suivre la voie qui vous est indiquée ; c'est que vous venez dans les réunions, non pour étudier froidement et sérieusement, mais avec un sentiment hostile, avec la pensée d'y faire prévaloir vos idées préconçues, et que la plupart du temps vous y portez le trouble ; que sans respect pour le caractère privé, quoique non secret, des réunions, vous cherchez à y pénétrer par la ruse pour satisfaire une inutile curiosité, y chercher des thèmes à vos sarcasmes, et souvent pour dénaturer ensuite ce que vous y aurez vu ; tels sont les motifs de votre exclusion qui ne saurait jamais être trop rigoureuse, puisque vous y seriez nuisibles aux uns, et sans utilité pour vous. Ceux qui voudront consciencieusement s'instruire doivent le prouver par une bonne volonté patiente et persévérante, et les moyens ne leur manqueront pas ; mais on ne saurait voir cette bonne volonté dans le désir de soumettre la chose à leurs exigences, au lieu de se soumettre eux-mêmes aux exigences de la chose. Cela dit, laissons les négateurs en repos en attendant que l'heure où ils pourront voir la lumière soit venue.

La première réponse faite par l'Esprit de Félicia pourrait, à certaines personnes, sembler une contradiction ; elle dit qu'elle est du sexe féminin, et l'on sait que les Esprits n'ont pas de sexe. Ils n'ont pas de sexe, c'est vrai, mais on sait que pour se faire reconnaître ils se présentent sous la forme que nous leur avons connue de leur vivant. Pour son ancien mari, Félicia est toujours une femme ; elle ne pouvait donc se présenter à lui sous un autre aspect qui eût troublé son souvenir. Il y a plus : lorsque celui-ci entrera dans le monde des Esprits, il la retrouvera ce qu'elle était sur la terre, autrement il ne la reconnaîtrait pas ; mais peu à peu les caractères purement physiques s'effacent, pour ne laisser subsister que les caractères essentiellement moraux. C'est ainsi qu'une mère retrouve son enfant en bas âge, quoiqu'en réalité ce ne soit plus un enfant. Ajoutons encore que les caractères matériels sont d'autant plus persistants que les Esprits sont moins dématérialisés, c'est-à-dire moins élevés dans la hiérarchie des êtres ; en s'épurant, les traces de la matérialité disparaissent à mesure que la pensée se dégage de la matière ; c'est pourquoi les Esprits inférieurs, encore attachés à la terre, sont, dans le monde invisible, à peu près ce qu'ils y étaient de leur vivant, avec les mêmes goûts et les mêmes penchants.

Nous ferons sur ce chapitre une dernière observation, c'est sur la qualification de frappeur donnée, à tort selon nous, à l'Esprit qui communique à M. Jaubert. Cette qualification ne convient, comme nous l'avons dit ailleurs, qu'aux Esprits qu'on peut dire frappeurs de profession, et qui appartiennent toujours, par le peu d'élévation de leurs idées et de leurs connaissances, aux catégories inférieures. Il ne saurait en être ainsi de celui-ci, qui prouve à la fois la supériorité de ses qualités morales et intellectuelles. La typtologie n'est pas pour lui un amusement ; c'est un moyen de transmission de pensée dont il se sert faute d'avoir trouvé en son médium la faculté nécessaire à l'emploi d'un autre mode. Son but est sérieux, tandis que celui des Esprits frappeurs proprement dits est presque toujours futile, si même il n'est malveillant. La qualification d'Esprit frappeur pouvant être prise en mauvaise part, nous préférerions celle d'Esprit typteur, terme qui se rapporte au langage de la typtologie.

Poésie par Madame Raoul de Navery

Lue à la Société spirite de Paris, le 27 mars 1863.



Remarque. ‑ Quoiqu'il ne soit pas dans nos habitudes de publier des poésies qui ne sont pas des produits médianimiques constatés, nos lecteurs nous sauront gré, sans doute, de faire exception pour le morceau suivant, inspiration pour ainsi dire spontanée d'une personne qui, il y a peu de temps encore, reléguait les croyances spirites parmi les utopies.



Quand la main de la Mort, multipliant ses coups,

Semait jadis le deuil, le vide autour de nous,

Le seul mot consolant qui frappât notre oreille

Etait : « Si dans la tombe un être aimé sommeille,

L'âme, s'affranchissant de la prison du corps,

D'une lourde enveloppe a brisé les ressorts ;

Maintenant, retournée à sa source première,

Elle jouit de Dieu, sa force et sa lumière ;

Vous la retrouverez, et confondrez un jour

Avec l'amour terrestre un immortel amour ! »

Aujourd'hui ce n'est pas l'espérance lointaine

Qui jette sur nos maux sa lueur incertaine ;

Ce n'est plus l'avenir qui nous rendra nos morts :

Ils sont là, près de nous, secondant nos efforts,

Attentifs à nos vœux, souffrant de nos souffrances ;

Messagers apportant de saintes espérances,

Ils répondent d'en haut à nos secrets pensers ;

Leurs mains pressent nos mains, leur bouche a des baisers ;

Plus consolants, plus doux, du sein d'une autre sphère,

Ils joignent à l'amour la grandeur du mystère.

Quand nous les évoquons, invisibles essaims,

Ils soufflent la clarté, la chaleur dans nos seins ;

Ils viennent ! et pour nous tout change, se colore ;

De mondes inconnus nous pressentons l'aurore ;

Un reflet sidéral illumine nos fronts,

Et courbés, à genoux, muets nous adorons

La majesté du Dieu qui par eux se révèle.

Réponds ! t'offensons-nous, ô Sagesse éternelle !

Quand saintement hardis nous déchirons des mains

Le voile qui bornait le regard des humains ?

Allons-nous, sectateurs d'un esprit indocile

Lacérer les feuillets divins de l'Évangile ?

Non ! Hommes convaincus, hommes au vaillant cœur,

Nous faisons après lui ce que fit le Seigneur :

Nous croyons : ‑ Nous pouvons opérer des miracles,

Faire de nos foyers autant d'autres cénacles,

Appeler cet Esprit dont les langues de feu

Changeaient d'obscurs pêcheurs en apôtres de Dieu.

Des quatre coins du ciel, soufflez, ô vents célestes !

Chassez autour de nous les ténèbres funestes ;

Répandez vos clartés, ô candélabre d'or,

Qui de l'arche sacrée éclairiez le trésor !

Foudres du Sinaï ! buisson d'Horeb en flammes !

Esprits puissants des forts, des prophètes, des femmes,

Esprit, souffle furtif que Job sentit passer

Sur le poil de sa chair jusqu'à le hérisser ;

Vous tous qui, consumant des âmes exaltées,

Fîtes tant de martyrs des foules ameutées,

Lorsque le moyen âge, aidé du tourmenteur,

Enfanta tout sanglant le moine inquisiteur ;

Venez ! nous avons soif d'enseignements étranges ;

De l'enfance à jamais nous rejetons les langes ;

Il nous faut d'autres mots et d'autres vérités

Que celles des discours qu'on nous a répétés.

Nous marchons en avant des foules indolentes,

Et si la Vérité, de ses torches ardentes

Nous dévore, et de nous daigne faire un martyr ;

Nous mourrons souriant et sans la démentir.

Précédons notre temps ; cherchons comme les Mages

Le Dieu caché qui doit recevoir nos hommages.

Nous le savons, plus d'un dira parlant de nous :

« Ces poètes rêveurs sont devenus des fous ! »

Eh bien ! soit ! car ce nom dont notre orgueil se raille,

A Jésus fut donné lorsque la valetaille

Eut souffleté sa joue, et sur ses vêtements

Jeté, sublime emblème, une robe aux plis blancs.

Paul l'a dit : « La folie, alors, c'est la sagesse ! »

Sans nous décourager, cherchons, fouillons sans cesse ;

Demandons au trépas ses secrets tout-puissants,

Dépouillons notre esprit des entraves des sens ;

Du monde que pour nous Dieu dévoile les règles,

Et qu'il nous change ainsi qu'il rajeunit les aigles !

Soutenus par sa Droite, et forts de son pouvoir,

Nous ouvrirons à tous les sources du savoir.

Un jour viendra, – je crois que son aube est prochaine, –

Où, lasse de pleurer, la multitude humaine,

Sachant que nous avons pour la soif de nos cœurs

L'onde qui désaltère au lieu du feu des pleurs,

Viendra nous répéter dans une immense plainte :

« Donnez-nous la lumière et l'espérance sainte ;

Mettez de votre main l'onction de vertu

Qui relève le front vers la terre abattu.

A nos yeux aveuglés par la poussière immonde,

Faites luire soudain une clarté féconde.

Prononcez l'Ephpheta mystérieux du Christ !

Transfigurez la chair asservie à l'esprit !

Placez-nous, nous vivants, au milieu des cohortes

Des apparitions et des figures mortes !

Les sépulcres, hélas ! ne sont pas les tombeaux,

Mais bien les cœurs mauvais, mal blanchis à la chaux.

Les morts nous apprendront comment nous devons vivre

Pour obtenir qu'en Dieu nous puissions nous survivre ! »

Et nous, qui du Seigneur recevons le bienfait

D'habiter sur la terre un centre plus parfait,

Nous ouvrirons les bras à l'adepte docile,

Au nom du Spiritisme ! au nom de l'Évangile !

Raoul de Navery.





Dissertations spirites

Ce qui s'oppose souvent à ce que vous vous corrigiez d'un défaut, d'un vice, c'est assurément parce que vous ne vous apercevez même pas que vous l'avez. Tandis que vous voyez les moindres défauts de votre voisin, de votre frère, vous ne vous doutez même pas que vous avez les mêmes défauts, peut-être cent fois plus grands que les siens. Ceci n'est qu'une suite de l'orgueil qui vous porte, comme tous les êtres imparfaits, à ne trouver rien de bien qu'en vous. Vous devriez vous considérer un peu comme si ce n'était point vous. Figurez-vous, par exemple, que ce que vous avez fait à votre frère, c'est votre frère qui vous l'a fait ; mettez-vous à sa place, que feriez-vous ? Répondez sans arrière-pensée, car je crois que vous voulez la vérité. En faisant cela je suis sûr que vous vous trouverez souvent des défauts que vous n'aperceviez pas auparavant. Soyez franc avec vous-même ; faites un peu connaissance avec votre caractère, mais ne le gâtez pas, car les enfants que l'on gâte deviennent souvent bien mauvais, et ceux qui les ont gâtés sont les premiers à en ressentir les effets. Retournez un peu la besace où sont placés vos défauts et ceux d'autrui ; mettez les vôtres par-devant et ceux d'autrui par derrière, et regardez bien si cela ne vous fait pas baisser la tête, quand vous aurez cette charge-là, par-devant.

La Fontaine.

Dieu, en créant les âmes, n'a point mis de différence entre elles. Que cette égalité de droits entre les âmes serve de principe à l'amitié, qui n'est autre chose que l'unité dans les tendances et dans les sentiments. La véritable amitié n'existe que chez les hommes vertueux qui se réunissent sous la protection du Tout-Puissant pour s'encourager réciproquement dans l'accomplissement de leurs devoirs. Tout cœur vraiment chrétien possède le sentiment de l'amitié ; au contraire, cette vertu trouve dans l'égoïsme des âmes vicieuses la pierre d'achoppement qui, semblable à la semence tombée sur la roche aride, la rend inféconde pour le bien.

Entourez votre âme du rempart protecteur d'une prière pleine de foi, afin que l'ennemi, soit intérieur, soit extérieur, ne puisse y pénétrer.

La prière élève l'esprit de l'homme vers Dieu, le dégage de toutes les inquiétudes terrestres, le transporte dans un état de tranquillité, de paix, que le monde ne pourrait lui offrir. Plus la prière est confiante et fervente, mieux elle est écoutée et plus elle est agréable à Dieu. Quand l'âme de l'homme, entièrement pénétrée d'un saint zèle, s'élance vers les cieux dans l'intime et ardente prière, alors les ennemis intérieurs, c'est-à-dire les passions de l'homme, et les ennemis extérieurs c'est-à-dire les vices du monde, sont impuissants à forcer les remparts qui la protègent. Hommes, priez Dieu en toute confiance, du fond du cœur, avec foi et vérité !

Tu me demandes quel sera l'avenir du Spiritisme, et quelle place il tiendra dans le monde. Il ne tiendra pas une place seulement, il remplira le monde entier. Le Spiritisme est dans l'air, dans l'espace, dans la nature. C'est la clef de voûte de l'édifice social ; tu peux présager de son avenir par son passé, par son présent. Le Spiritisme est l'œuvre de Dieu ; vous, hommes, vous lui avez donné un nom, Dieu vous en a donné la pensée quand le temps est venu ; car le Spiritisme est la loi immuable du Créateur. Dès que l'homme a eu l'intelligence, Dieu lui a inspiré le Spiritisme, et d'époque en époque, il a envoyé sur terre des Esprits avancés qui ont essayé sur les natures corporelles l'influence du Spiritisme. Si ces hommes n'ont pas réussi, c'est que l'intelligence humaine n'était pas assez perfectionnée ; mais ces hommes n'en ont pas moins implanté l'idée, et ont laissé derrière eux leurs noms et leurs actes comme on place un poteau indicateur sur une route, afin que le voyageur puisse retrouver son chemin. Regarde en arrière et tu verras combien de fois déjà Dieu a essayé de l'influence spirite comme amélioration morale.

Il y a dix-huit siècles, qu'était le christianisme si ce n'était du Spiritisme ? Le nom seul est différent, mais la pensée est la même. Seulement l'homme, avec son libre arbitre, a dénaturé l'œuvre de Dieu. La nature a été prépondérante et l'erreur est venue s'implanter sur cette prépondérance. Depuis, le Spiritisme a fait des efforts pour germer ; mais le terrain était inculte et la semence s'est brisée et a frappé au front les semeurs que Dieu avait chargés de la répandre. Avec le temps l'intelligence s'est accrue, le champ a pu être défriché, car l'époque approche où ce terrain doit être de nouveau ensemencé ; le Spiritisme se répand, chacun l'admet ; les plus incrédules même le comprennent, et s'ils ne l'avouent pas, s'ils ferment les yeux, c'est que la lumière éblouissante du Spiritisme les aveugle ; mais Dieu protège son œuvre, il la soutient de son puissant regard, il l'encourage, et bientôt tous les peuples seront Spirites, car c'est là l'universalité de toutes les croyances.

Le Spiritisme est le grand niveleur qui s'avance pour aplanir toutes les hérésies ; il est conduit par la sympathie, il est suivi par la concorde, l'amour, la fraternité ; il s'avance sans secousse, sans révolution ; il ne vient rien détruire, rien renverser dans l'organisation sociale, il vient tout renouer. Ne vois pas là une contradiction : les hommes, devenus meilleurs, rêveront des lois meilleures ; le maître, comprenant que l'ouvrier est de même essence que lui, introduira dans ses transactions commerciales des lois plus douces, plus sages ; les rapports sociaux eux-mêmes se transformeront tout naturellement entre la fortune et la médiocrité ; l'Esprit ne pouvant pas se constituer en majorat, le Spirite sentira qu'il y a autre chose de plus important pour lui que la richesse ; il se détachera de cette pensée d'entasser qui engendre la cupidité, et certainement encore le pauvre profitera de cet amoindrissent de l'égoïsme. Te dire qu'il n'y aura pas de rebelles à ces idées, que tous grandiront universellement fécondés par le flot du Spiritisme, non ; il y aura encore des réfractaires, des anges déchus ; car les hommes ont leur libre arbitre, et, bien que les conseils ne leur manquent pas, beaucoup ne voyant qu'à leur point de vue, que restreint l'horizon de la cupidité, ne voudront pas se rendre à l'évidence. Malheur à ceux-là ! Plaignez-les, éclairez-les ; car vous n'êtes pas leur juge, et Dieu seul est le maître de blâmer leur conduite.

Par l'avenir que je te montre pour le Spiritisme, tu peux juger de l'influence qu'il exercera sur les masses. Comment êtes-vous organisés, moralement parlant ? avez-vous fait une statistique de vos défauts et de vos qualités ? Les hommes légers et neutres peuplent une bonne partie de votre terre ; les bienveillants ont-ils la majorité ? c'est douteux ; mais parmi les neutres, c'est-à-dire parmi ceux qui ont un pied dans la balance du bien et l'autre dans la balance du mal, beaucoup peuvent mettre les deux pieds dans ce plateau de bienveillance, qui est le premier échelon conduisant rapidement aux régions plus avancées. Il y a encore sur le globe une partie d'êtres mauvais, mais elle tend à s'amoindrir chaque jour. Quand les hommes seront bien imbus de cette pensée : que la peine du talion est la loi immuable que Dieu leur inflige, loi bien plus terrible que vos plus terribles lois terrestres, bien plus effrayante et plus logique que les flammes éternelles de l'enfer auxquelles ils ne croient plus, ils auront peur de cette réciprocité de peines, et ils regarderont à deux fois avant de commettre un acte blâmable. Quand, par la manifestation spirite, le criminel pourra pronostiquer le sort qui l'attend, il reculera devant la pensée du crime, car il saura que Dieu voit tout et que le crime, restât-il impuni sur terre, il lui faudra payer un jour chèrement cette impunité. Alors tous ces forfaits odieux, qui viennent de temps à autre apporter leur marque indélébile au front de l'humanité, disparaîtront pour faire place à une concorde, une fraternité qui vous est prêchée depuis bien des siècles ; votre législation s'adoucira en raison de l'amélioration morale, et l'esclavage et la peine de mort ne resteront plus dans vos lois que semblables au souvenir des tortures de l'inquisition. L'homme, ainsi régénéré pourra s'occuper davantage de ses progrès intellectuels ; l'égoïsme n'existant plus, les découvertes scientifiques, qui demandent souvent le concours de plusieurs intelligences, se développeront rapidement, chacun se disant : « Qu'importe celui qui produit le bien, pourvu que le bien se produise ! » Car, en effet, qui arrête souvent vos savants dans leur marche ascendante vers les progrès, si ce n'est la personnalité, l'ambition d'attacher son nom à son œuvre ? Voilà quel est l'avenir et l'influence du Spiritisme sur les peuples de la terre.

Un philosophe de l'autre monde


Nous avons dit dans notre dernier numéro, en parlant du journal la Vérité de Lyon, que Bordeaux aurait bientôt aussi sa Revue Spirite ; nous avons vu une épreuve de cette publication, qui portera le titre de : la Ruche Spirite bordelaise, Revue de l'enseignement des Esprits, et promet un nouvel organe sérieux pour la défense et la propagation du Spiritisme. Les directeurs, avant bien voulu nous demander nos conseils, nous les avons formulés dans une lettre qu'ils ont cru devoir placer en tête de leur premier numéro, déclarant vouloir suivre en tous points la bannière de la Société de Paris. Nous sommes heureux d'une adhésion qui ne peut que resserrer, par la communion des idées, les liens d'union entre tous les Spirites sincèrement dévoués à la cause commune, sans arrière-pensée personnelle.

La Ruche Spirite bordelaise paraît, le 1er et le 15 de chaque mois, par cahiers de 16 pages grand in-8°, à partir du 1er juin 1863. Prix 6 francs par an pour la France et l'Algérie. Bureau à Bordeaux, 44, rue des Trois-Conils.



Allan Kardec




Juillet

Sans rappeler ici les innombrables phénomènes qui ressortent du Spiritisme expérimental, et prouvent, avec la dernière évidence, l'indépendance de l'Esprit et de la matière, nous appellerons l'attention sur un fait vulgaire dont on n'a pas, que nous sachions, tiré toutes les conséquences, et qui, cependant, est de nature à frapper tout observateur sérieux ; nous voulons parler de ce qui se passe dans le somnambulisme naturel ou artificiel, dans les étranges facultés qui se développent chez les cataleptiques, dans le phénomène non moins étrange de la double vue, aujourd'hui parfaitement avéré, même par les incrédules, mais dont ils n'ont point cherché la cause, quoique la chose en valût bien la peine. La lettre suivante, que nous adresse un honorable médecin du Tarn, prouve par quel enchaînement d'idées un homme qui réfléchit peut passer de l'incrédulité à la croyance à l'aide du seul raisonnement et de l'observation faite de bonne foi.

« Monsieur,

Confondu dans la masse des douteurs et des incrédules, la lecture du Livre des Esprits a produit sur moi une bien vive sensation. La douce satisfaction qui m'est restée de cette lecture m'a fait naître le désir bien naturel de croire sans nulle restriction à tous les enseignements donnés, dans ce livre, par les Esprits. Pour parvenir à ce but, j'aurais d'abord voulu constater par moi-même la réalité des communications ; j'ai donc travaillé à devenir médium, mais je n'ai pas réussi, et je me suis ainsi vu arrêté dans mes recherches. Lassé de vivre dans mon incertitude, j'ai dû prendre la résolution de m'en rapporter aux observations d'autrui, mais comme je ne suis pas d'un naturel facile à persuader, je sentais le besoin de les connaître pour pouvoir juger de leur réalité. Après avoir parcouru les quatre premières années de la Revue spirite, et avoir surtout remarqué avec quelles précautions les nombreux faits y sont rapportés, que les manifestations des Esprits et leurs communications se trouvent toujours constatées par des personnes honorables, désintéressées et dignes de foi, on ne peut plus conserver aucun doute sur leur authenticité.

Mais une fois les communications admises, j'avais encore à me faire une idée du degré de confiance qu'on devait accorder aux révélations, et surtout à celles qui constituent la base de la philosophie spirite. Dans cette appréciation, les flammes de l'enfer ne pouvaient guère m'arrêter, à moins de nier la bonté infinie de Dieu ; la différence des religions ne portait guère non plus obstacle à ma logique, attendu qu'en semant du bien, le plus simple bon sens dit assez qu'on ne peut en récolter du mal. Mais il me restait le point capital de la réincarnation. Le somnambulisme m'a été, à ce sujet, d'un puissant secours, et, s'il ne résout pas entièrement la question, il la rend, selon moi, si probable, qu'il faudrait une assez forte dose de mauvais vouloir pour ne pas l'admettre. Et d'abord, si l'existence de l'âme n'était pas déjà assez démontrée par les manifestations et les communications des Esprits, elle serait clairement prouvée par la vision à distance et à travers les corps opaques, qui ne peut être expliquée que par son intermédiaire. Ensuite, après avoir fait la part des facultés de l'âme dégagée de la matière, telles que la vue à distance, la communication des pensées, etc., le somnambulisme nous fait découvrir chez le sujet des connaissances bien plus étendues que celles que possède le même sujet à l'état de veille. Il résulte de ce fait que l'âme doit être plus ancienne que le corps, puisque, créée en même temps que lui, elle ne pourrait avoir des connaissances autres que celles qu'elle aurait acquises durant l'existence de ce dernier.

Mais après avoir constaté que l'âme est plus ancienne que le corps, on n'éprouve plus aucune répugnance à lui accorder d'autres incarnations, car si l'existence actuelle n'est pas le commencement, rien ne prouve qu'elle soit la dernière ; elles deviennent au contraire fort naturelles et même indispensables. Il y a plus : le somnambule, à l'état de veille, n'a généralement aucun souvenir de ce qu'il a dit ou fait pendant son sommeil ; mais pendant son sommeil il retrouve sans difficulté tout ce qu'il a fait, non seulement pendant les sommeils précédents, mais encore pendant l'état de veille. N'est-ce pas là le tableau exact de l'existence de l'âme dans ses nombreux états errants et incarnés avec ses souvenirs et ses oublis ?

Enfant du peuple, mon instruction, extrêmement médiocre et acquise par moi-même, remonte à peine au tiers de mon âge qui est de quarante-deux ans, aussi il me semble qu'une plume tant soit peu expérimentée ferait ressortir bien plus clairement de ce sujet les vérités que j'ai essayé d'y découvrir. Cependant, pour aussi imparfaits que soient ces divers rapprochements, ils ont suffi à déterminer ma conviction, et je m'estimerais heureux si vous les jugiez dignes de pouvoir exercer la même influence sur d'autres.

Quoique ma conviction soit de date fort récente, elle a commencé à porter ses fruits, et, indépendamment des heureuses modifications qu'elle a déjà apportées dans mes manières d'être, elle est pour moi la source de bien douces consolations. Ces heureux changements sont uniquement dus à la connaissance de vos ouvrages ; aussi je vous prie, monsieur, de daigner agréer l'éternelle reconnaissance de celui qui désire à l'avenir être compté au nombre de vos plus fervents adeptes.

G… »



La vue à distance, les impressions que ressent le somnambule selon le milieu qu'il va visiter, prouvent qu'une partie de son être est transportée ; or, puisque ce n'est pas son corps matériel, visible, qui n'a pas changé de place, ce ne peut être que le corps fluidique, invisible et sensitif. N'est-ce pas le fait le plus patent de la double existence corporelle et spirituelle ? Mais sans parler de cette singulière faculté qui n'est pas générale, il suffit d'observer ce qui se passe chez les somnambules les plus vulgaires ; la dualité se manifeste d'une manière non moins évidente, ainsi que le fait remarquer notre correspondant, dans le phénomène de l'oubli au réveil. Il n'est personne qui, ayant observé les effets magnétiques, n'ait été à même de constater l'instantanéité à de cet oubli. Un somnambule parle, sa conversation est parfaitement suivie et rationnelle ; on le réveille subitement, au milieu d'une phrase, d'un mot même qu'il ne peut achever, puis, si on lui demande ce qu'il vient de dire, si on lui rappelle le mot commencé, il répond qu'il n'a rien dit. Si la pensée était le produit de la matière cérébrale, pourquoi cet oubli, puisque cette matière est toujours là, et toujours la même ? pourquoi un instant suffit-il pour changer le cours des idées ? Mais ce qui est plus caractéristique encore, c'est le ressouvenir parfait, dans un nouveau sommeil, de ce qui s'est dit et fait dans un sommeil précédent, quelquefois à un an d'intervalle. Ce fait seul prouverait qu'à côté de la vie du corps il y a la vie de l'âme, et que l'âme peut agir et penser d'une manière indépendante. Si elle peut manifester cette indépendance pendant la vie du corps dont elle subit toujours plus ou moins les entraves, à plus forte raison le peut-elle quand elle jouit de toute sa liberté.

Les conséquences que notre correspondant tire de ces phénomènes pour prouver l'antériorité de l'âme et la pluralité des existences sont parfaitement logiques. Les phénomènes somnambuliques, comme tant d'autres, semblent amenés par la Providence pour nous mettre sur la voie du mystère de la pensée. La science, pourtant, ne daigne pas les regarder ; pour les voir, elle ne détournera pas les yeux d'un polype, d'un champignon ou d'un filet nerveux. Il est vrai que l'âme ne se montre pas à la pointe du scalpel, ni sous la loupe ; mais comme on juge la cause par les effets, les effets de l'âme sont à chaque instant sous vos yeux et vous ne les regardez pas ; vous feriez cent lieues pour observer un phénomène astronomique sans utilité pratique, tandis que vous n'avez que des sarcasmes et du dédain quand il s'agit des phénomènes de l'âme qui sont à votre portée, et qui intéressent toute l'humanité dans son présent et dans son avenir.

Si la science officielle renonce difficilement à ses préjugés, il serait injuste d'en faire tomber la responsabilité sur tous les savants ; il se manifeste parmi eux un mouvement de bon augure à l'égard des idées nouvelles ; les adhésions individuelles et tacites sont nombreuses, mais plus que d'autres, peut-être, ils craignent encore de se mettre en évidence ; il suffira que quelques sommités lèvent le drapeau, pour faire taire les scrupules des autres, imposer silence aux mauvais plaisants et faire réfléchir les agresseurs intéressés ; c'est ce qu'on ne peut tarder à voir.





Comme réponse à certaines calomnies que les adversaires du Spiritisme se plaisent à déverser contre la Société, nous croyons devoir publier les demandes d'admission formulées dans les deux lettres ci-après que nous faisons suivre de quelques remarques.

A monsieur le président de la Société des Etudes spirites de Paris.

« Monsieur,

Me serait-il permis d'aspirer à être admis comme membre de l'honorable Société que vous présidez ?

J'ai eu le bonheur aussi de connaître le Spiritisme, et d'éprouver dans toute sa plénitude son influence bienfaisante. J'étais en proie depuis longtemps à la souffrance physique, et conséquemment à la souffrance morale qui en découle naturellement quand la pensée ne voit pour compensation que le doute et l'incertitude. Le Livre des Esprits est entré chez moi comme le sauveur dont la main bienfaisante nous retire de l'abîme, comme le médecin qui guérit instantanément.

J'ai lu, j'ai compris ; et aussitôt la souffrance morale a fait place à un immense bonheur, devant lequel s'est tue la souffrance physique, car, dès lors, celle-ci ne m'est plus apparue que comme un effet de la volonté et de la sagesse divines, qui ne nous envoient des maux que pour notre plus grand bien.

Déjà, sous l'influence de cette croyance bienfaisante, mon état physique s'est sensiblement amélioré, et j'espère que Dieu complètera son œuvre, car si je désire aujourd'hui le retour à la santé, ce n'est plus, comme autrefois, pour jouir de la vie, mais pour la consacrer uniquement au bien, c'est-à-dire pour l'employer exclusivement à marcher vers l'avenir, en travaillant avec ardeur, et par tous les moyens en mon pouvoir, au bien de mes semblables, et particulièrement en me vouant à la propagation de la sublime doctrine que Dieu, dans sa bonté infinie, envoie à la pauvre humanité pour la régénérer.

Gloire soit donc rendue à Dieu pour la divine lumière que, dans sa miséricorde, il a daigné envoyer à ses aveugles créatures ! Et grâces vous soient rendues, à vous, monsieur, qu'il a choisi pour leur apporter le flambeau sacré !

Si vous daignez, monsieur, accueillir ma demande, je vous serai profondément reconnaissant de la transmettre à vos honorables collègues. Je n'ai pas l'honneur d'être connu de vous personnellement, mon état de santé m'a toujours empêché de vous visiter ; mais mon ami M. Canu est votre collègue, il voudra bien répondre pour moi.

Veuillez agréer, monsieur et cher maître, l'assurance de mes sentiments respectueux et de mon sincère dévouement.

Hermann Hobach. »



« Monsieur et vénéré maître,

Confiant en votre bienveillance, je viens vous adresser une prière qui, si elle était exaucée, me comblerait de joie. J'ai déjà eu l'honneur de vous écrire, il y a quelque temps, dans le double but de vous exprimer les sentiments pour ainsi dire nouveaux qu'avait fait naître en moi la lecture sérieuse du Livre des Esprits, et d'obéir au devoir sacré de remercier l'homme vénéré qui tend une main secourable au courage chancelant des faibles de ce monde, au nombre desquels je me trouvais il y a bien peu de temps encore, par l'ignorance de ces principes sublimes qui désignent enfin à l'homme une tâche à remplir selon ses forces et ses facultés.

Vous fîtes à cette lettre une réponse pleine d'aménité, et par laquelle vous m'invitiez à venir, comme auditeur, assister aux séances générales de la Société. Ces séances et la lecture du Livre des Médiums ne firent que me donner de plus en plus la force et le courage, et m'inspirèrent le désir de faire partie d'une société fondée sur ces mêmes principes qui venaient d'écarter le trouble, la diffusion, le chaos, qui présidaient à toutes mes actions ; j'en étais venu à supposer que le mot de l'énigme de l'existence devait être bien insignifiant, car mon esprit ne m'avait pas encore fait comprendre que, hors du monde matériel qui m'entourait, était un monde spirituel, marchant concurremment avec le nôtre vers l'amélioration.

« J'affirme donc de nouveau, monsieur, heureux si je pouvais l'affirmer devant le monde entier des incrédules et des sceptiques, que la doctrine spirite a fait en moi un changement tellement radical dans ma manière d'être, que ce changement pourrait certes, sans exagération, être qualifié de miracle, en ce que, me dessillant les yeux sur tout le bien que l'on peut faire et que l'on ne fait pas, j'aperçus d'abord un but à notre vie actuelle, et ensuite, qu'accablé de défauts de toute espèce, je vis enfin que la Providence ne nous avait pas laissé manquer de besogne, et que l'Esprit n'avait pas trop d'une existence pour se perfectionner en travaillant à dominer d'abord son corps, pour pouvoir ensuite se dominer lui-même.

Si vous jugez convenable, monsieur, de me recevoir, quoique bien jeune encore, comme un des membres de la Société spirite, je vous prie de vouloir bien présenter ma requête au conseil, et lui affirmer que l'honneur que me ferait la Société en me recevant dans son sein serait apprécié par moi avec le sentiment de la plus entière reconnaissance.

Veuillez recevoir, monsieur, l'assurance de ma profonde vénération.

Paul Albert. »



Si de telles lettres honorent leurs auteurs, elles honorent aussi la Société à laquelle elles sont adressées, et qui voit avec bonheur ceux qui demandent à en faire partie animés par de tels sentiments. C'est une preuve qu'ils comprennent le but exclusivement moral que la Société se propose, puisqu'ils ne sont pas mus par une vaine curiosité, qu'il n'entrerait point, d'ailleurs, dans nos vues de satisfaire. La Société n'accueille que les gens sérieux, et des lettres comme celles qui viennent d'être rapportées en indiquent le véritable caractère. C'est parmi les adeptes de cette catégorie qu'elle est heureuse de se recruter, et c'est la meilleure réponse qu'elle puisse faire aux détracteurs du Spiritisme qui s'efforcent de la présenter, ainsi que ses sœurs des départements et de l'étranger qui marchent sous le même drapeau, comme des foyers dangereux pour la raison et l'ordre public, ou comme une vaste spéculation. Plût à Dieu que le monde n'eût pas d'autres sources de perturbation !

Le Spiritisme moderne, comme nous l'avons dit, aura son histoire, qui sera celle des phases qu'il aura parcourues, de ses luttes et de ses succès, de ses défenseurs, de ses martyrs et de ses adversaires, car il faut que la postérité sache de quelles armes on s'est servi pour l'attaquer ; il faut surtout qu'elle connaisse les hommes de cœur qui se sont dévoués à sa cause avec une entière abnégation, un complet désintéressement matériel et moral, afin qu'elle puisse leur payer un juste tribut de reconnaissance. C'est une grande joie pour nous quand il nous est donné d'inscrire un nouveau nom glorieux par sa modestie, son courage et ses vertus, sur ces annales où sont confondus le prince et l'artisan, le riche et le pauvre, les hommes de tous les pays et de toutes les religions, car pour le bien il n'est qu'une seule caste, une seule secte, une seule nationalité et un seul drapeau : celui de la fraternité universelle.

La Société spirite de Paris, la première qui fut fondée et officiellement reconnue, celle qui, on peut le dire, a donné l'impulsion, et sous l'égide de laquelle se sont formés tant d'autres groupes et sociétés, qui est devenue par la force des choses, et tout restreint que soit le nombre de ses membres, le centre du mouvement spirite, puisque ses principes sont ceux de la presque universalité des adeptes, cette Société, disons-nous, aura aussi ses annales pour l'instruction de ceux auxquels nous préparons la voie, et pour la confusion de ses calomniateurs.

Ce n'est pas seulement au loin que la calomnie jette son venin, c'est à nos portes mêmes. Dernièrement, une personne nous dit que, depuis longtemps, elle avait le plus grand désir d'assister à quelques séances de la Société, mais qu'elle en avait été retenue parce qu'on lui avait affirmé qu'il fallait payer dix francs. Sa surprise fut grande, et nous pouvons dire sa joie, quand nous lui dîmes que ce bruit était le fait de la malveillance ; que depuis que la Société existe, jamais un auditeur n'a payé un centime ; qu'il n'est imposé aucune obligation pécuniaire sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, ni comme abonnement à la Revue spirite, ni comme achat de livres ; qu'aucun de nos médiums n'est rétribué, tous, sans exception, donnant leur concours par pur dévouement pour la cause ; que les membres titulaires et associés participent seuls aux frais matériels, mais que les membres correspondants et honoraires ne supportent même aucune charge, la Société se bornant à subvenir à ses dépenses courantes, restreintes autant que possible, et n'amassant point de capital ; que le Spiritisme est une chose toute morale, qui ne peut, pas plus que les choses saintes, être l'objet d'une exploitation que nous avons toujours répudiée verbalement et par écrit ; qu'ainsi il ne peut y avoir qu'une malveillance insigne capable de prêter à la Société de pareilles idées.

Nous ajouterons que l'auteur de ce renseignement officieux a dit avoir payé ses dix francs, ce qui prouve qu'il ne se rendait point innocemment l'écho d'un faux bruit. La Société spirite de Paris, par sa position même et par le rôle qu'elle remplit, ne peut manquer d'avoir plus tard un certain retentissement ; il est donc nécessaire, pour nos frères des temps à venir, que son but et ses tendances ne soient pas dénaturés par les manœuvres de la malveillance, et, pour cela, il ne suffit pas de quelques réfutations individuelles qui n'ont d'effet que pour le présent et se perdent dans la foule ; les rétractations que l'on obtient ne sont qu'une satisfaction momentanée dont le souvenir est bientôt passé ; il faut un monument spécial, authentique et durable, et ce monument se fera en temps utile ; en attendant, laissons nos adversaires se discréditer eux-mêmes par le mensonge : la postérité les jugera.

« Monsieur,

Les adversaires du Spiritisme viennent d'imaginer, pour le combattre, une nouvelle tactique ; elle consiste à faire paraître sur le théâtre des spectres et fantômes impalpables que l'on représente comme étant ceux du Spiritisme ; ces apparitions ont lieu tous les soirs à la salle Robin, boulevard du Temple. J'ai assisté, hier, à la deuxième représentation, et ce n'est pas sans étonnement que j'ai entendu M. Robin dire à ses spectateurs : qu'il s'était proposé, par ces expériences, de combattre l'étrange croyance de certaines personnes qui s'imaginent que les Esprits font mouvoir des mains ou tourner des tables.

Je n'ai jamais compris, monsieur, pour mon compte, l'analogie qu'il peut y avoir entre ces imitations créées par la physique amusante et les manifestations spirites qui sont dans les lois de la nature ; aussi de telles manœuvres ne sont guère à craindre pour les adeptes du Spiritisme ; cependant, comme il ne faut pas laisser surprendre la bonne foi du public, j'ai dû vous informer de ces faits, afin que vous leur consacriez un article spécial dans la Revue, si vous le jugez convenable ; et comme j'ai l'habitude d'agir, non dans l'ombre, mais au grand jour, je vous autorise à faire de ma lettre tel usage qu'il vous plaira.

Recevez, etc.

Simond, étudiant en droit à Paris. »



Depuis quelque temps on parle d'une pièce fantastique que l'on monte au théâtre du Châtelet, et où l'on doit, par un procédé nouveau et secret, faire apparaître sur la scène des ombres-fantômes impalpables. Il paraît que le secret a été éventé, puisque M. Robin l'exploite en ce moment. Comme nous ne l'avons pas vu, nous ne pouvons rien dire sur le mérite de l'imitation ; nous souhaitons pour lui qu'elle soit moins grossière que celle qu'avaient imaginée M. et Mme Girroodd, Américains du Canada (quelques-uns traduisent : Girod de Saint-Flour), pour simuler la transmission de pensée à travers les murailles, et qui devait tuer sans retour les médiums et les somnambules ; nous souhaitons surtout que son invention ne lui joue pas le même mauvais tour qu'à eux. Quoi qu'il en soit, M. Simond a parfaitement raison de penser que de telles manœuvres ne sont nullement à craindre, car, de ce qu'on peut imiter une chose, il ne s'ensuit pas que la chose n'existe pas ; les faux diamants n'ôtent rien à la valeur des diamants fins ; les fleurs artificielles n'empêchent pas qu'il y ait des fleurs naturelles. Prétendre prouver que certains phénomènes n'existent pas parce qu'on peut les imiter, serait absolument comme si celui qui fabrique du vin de Champagne avec de la poudre d'eau de Seltz prétendait prouver par là que le champagne et l'aï n'existent que dans l'imagination. Jamais imitation ne fut plus ingénieuse, plus adroite et plus spirituelle que celle de la double vue par Robert Houdin, et cependant cela n'a nullement discrédité le somnambulisme, au contraire, parce qu'après avoir vu la peinture, on a voulu voir l'original.

M. et Mme Girroodd avaient la prétention de tuer les médiums en faisant passer tous les phénomènes spirites pour des tours d'escamotage ; or, comme ces phénomènes sont le cauchemar de certaines personnes, ils avaient recueilli les adhésions, étalées dans leurs prospectus, de plusieurs prêtres et évêques spiritophobes, enchantés de ce coup de massue donné au Spiritisme ; mais, dans leur joie, ces messieurs n'avaient pas réfléchi que les phénomènes spirites viennent démontrer la possibilité des faits miraculeux ; que prouver, si c'était possible, que ces phénomènes ne sont que des tours d'adresse, c'est prouver qu'il peut en être de même des miracles ; que, par conséquent, discréditer les uns c'était discréditer les autres. On ne songe jamais à tout. Les tours de M. Girroodd étant quelque peu usés, ces messieurs feront-ils maintenant cause commune avec M. Robin pour ses apparitions ?

L'Indépendance belge, qui n'aime pas le Spiritisme, nous ne savons trop pourquoi, puisqu'il ne lui a point fait de mal, en parlant de ce nouveau truc scénique dans un numéro de juin, s'écriait : « Voilà la religion de M. Allan Kardec coulée à fond ; comment le Spiritisme va-t-il se relever de là ? » Remarquez que cette dernière question a maintes fois été posée par tous ceux qui ont prétendu lui donner des coups d'assommoir, sans en excepter M. l'abbé Marouzeau, et qu'il ne s'en porte pas plus mal. Nous dirons à l'Indépendance que c'est prouver une ignorance complète de la base même du Spiritisme de croire qu'il repose sur des apparitions, et que les lui ôter, c'est lui ôter l'âme. Si le fait des apparitions était officiellement controuvé, la religion en souffrirait plus que le Spiritisme, puisque les trois quarts des miracles les plus importants n'ont pas d'autre fondement. L'art scénique est l'art de l'imitation par excellence depuis le poulet de carton jusqu'aux plus sublimes vertus, et il ne s'ensuit pas qu'on ne doive croire ni aux poulets véritables ni aux vertus. Ce nouveau genre de spectacle, par son étrangeté, va piquer la curiosité publique, et sera répété sur tous les théâtres, parce qu'il fera gagner de l'argent ; il fera parler du Spiritisme plus encore peut-être que les sermons, précisément à cause de l'analogie que les journaux vont s'efforcer d'établir. Il faut bien se persuader que tout ce qui tend à en préoccuper l'opinion, pousse forcément à l'examen, ne serait-ce que par curiosité, et c'est de cet examen que sortent les adeptes. Les sermons le représentent sous un aspect sérieux et terrible, comme un monstre envahissant le monde et menaçant l'Eglise jusque dans ses fondements ; les théâtres vont s'adresser à la foule des curieux, de sorte que ceux qui ne fréquentent pas les sermons en entendront parler au théâtre, et ceux qui ne fréquentent pas les théâtres en entendront parler au sermon ; il y en a, comme on voit, pour tout le monde. C'est vraiment une chose admirable de voir par quels moyens les puissances occultes qui dirigent ce mouvement arrivent à le faire pénétrer partout en se servant de ceux mêmes qui veulent le renverser. Il est bien certain que, sans les sermons d'un côté et les facéties des journaux de l'autre, la population spirite serait aujourd'hui dix fois moins nombreuse qu'elle ne l'est.

Nous disons donc que ces imitations, même en les supposant aussi parfaites que possible, ne peuvent porter aucun préjudice ; nous disons même qu'elles sont utiles. En effet, voilà M. Robin qui, à l'aide d'un procédé quelconque, produit devant les spectateurs des choses étonnantes, qu'il affirme être les mêmes que celles du Spiritisme et que produisent les médiums ; or, parmi les assistants, plus d'un se dira : « Puisque avec le Spiritisme on peut faire la même chose, étudions le Spiritisme, apprenons à être médium, nous pourrons voir chez nous tant que nous voudrons, et sans payer, ce qu'on voit ici. » Dans le nombre beaucoup reconnaîtront le côté sérieux de la question, et c'est ainsi que, sans le vouloir, on sert ceux auxquels on veut nuire.

Ce que craignent les gens sérieux, c'est que ces jongleries ne trompent certaines personnes sur le véritable caractère du Spiritisme. Là, sans doute, est le mauvais côté, mais l'inconvénient est sans importance, parce que le nombre de ceux qui se laisseraient abuser est trop minime ; ceux même qui diraient : « Ce n'est que cela ! » auront tôt ou tard l'occasion de reconnaître que c'est autre chose ; et, en attendant, l'idée se répand, on se familiarise avec le mot qui, sous le manteau burlesque, pénètre partout ; on le prononce sans défiance, et quand le mot est quelque part, la chose est bien près d'y être.

Que ceci soit une manœuvre des adversaires du Spiritisme, ou simplement une combinaison personnelle pour forcer la recette, il faut convenir que c'est maladroit ; il y aurait plus d'adresse de la part de MM. Robin et consorts à dénier toute parité avec le Spiritisme ou le magnétisme ; parce que, en proclamant cette parité, c'est reconnaître une concurrence, – nous parlons à leur point de vue commercial, – c'est donner l'envie de voir cette concurrence, et avouer qu'on peut se passer d'eux.

Puisque nous sommes sur le chapitre des maladresses, en voici une comme il y en a déjà eu tant ; nous regrettons de la faire figurer à côté de celle de MM. Robin et Girroodd, mais c'est l'analogie du résultat qui nous y force. Du reste, puisque des dignitaires de l'Église n'ont pas cru au-dessous d'eux de patronner un prestidigitateur contre le Spiritisme, ils ne pourront se scandaliser de trouver un sermon dans ce chapitre.

Un de nos correspondants nous écrit de Bordeaux :

« Cher maître, je viens de recevoir une lettre de ma sœur, qui habite la petite ville de B… ; elle se désespérait de ne trouver personne avec qui elle pût s'entretenir du Spiritisme, lorsque les adversaires de notre chère doctrine sont venus la tirer d'embarras. Quelques personnes en ayant vaguement entendu parler ont cru devoir s'adresser aux Carmes pour s'enquérir de ce que c'était ; ceux-ci, non contents de les en détourner, prêchèrent quatre sermons sur ce sujet, dont voici les principales conclusions :

Les médiums sont possédés du démon ; ils n'agissent que dans un but d'intérêt, et ne se servent de leur pouvoir que pour faire retrouver les trésors cachés ou les objets précieux qui sont perdus, mais, au contact d'une sainte relique, vous les voyez se roidir et se tordre dans d'affreuses convulsions.

Les temps prédits par les évangiles sont arrivés ; les médiums ne sont autres que les faux prophètes annoncés par le Christ ; bientôt ils auront pour chef l'Antéchrist. Ils feront des miracles et des prodiges étonnants ; par ce moyen ils gagneront à leur cause les trois quarts de la population du globe, ce qui sera le signe de la fin des temps, car Jésus descendra sur une nuée céleste et, d'un seul souffle, les précipitera dans les flammes éternelles. »

Il en est résulté que toute la ville a été mise en émoi ; partout on parle du Spiritisme ; on ne se contente pas de l'explication du prêtre, on veut en savoir davantage, et ma sœur, qui ne voyait personne, a des jours où elle reçoit plus de trente visites ; elle renvoie toujours au Livre des Esprits qui avant peu sera entre toutes les mains, et beaucoup de ceux qui l'ont déjà se disent que cela ne ressemble pas du tout au tableau qu'en a fait le prédicateur, qu'il y est même dit tout le contraire ; aussi comptons-nous maintenant plusieurs adeptes sérieux, grâce à ces sermons sans lesquels le Spiritisme n'eût pas pénétré de longtemps dans ces contrées reculées. »

N'avions-nous pas raison de dire que c'est encore une maladresse, et aurions-nous raison d'en vouloir à des adversaires qui travaillent si bien pour nous ? Mais ce n'est pas la dernière ; nous attendons la plus grande de toutes, qui couronnera l'œuvre. Depuis un an ils en commettent une bien grave que nous nous gardons de relever, parce qu'il faut qu'elle aille jusqu'au bout, mais dont on verra un jour les conséquences. Il y a deux ans environ, nous demandions à un de nos guides spirituels par quel moyen le Spiritisme pourrait pénétrer dans les campagnes. Il nous fut répondu : « Par les curés. – Dem. Sera-ce volontairement ou involontairement de leur part ? – R. Involontairement d'abord ; volontairement plus tard. Avant peu ils feront une propagande dont vous ne pouvez prévoir la portée. Ne vous inquiétez de rien et laissez faire : les Esprits veillent et savent ce qu'il faut. »

La première partie de la prédiction, comme on le voit, s'accomplit on ne peut mieux. Au reste, toutes les phases par où a passé le Spiritisme nous ont été annoncées, et toutes celles qu'il doit parcourir encore jusqu'à son établissement définitif nous le sont également, et chaque jour vérifie l'évènement.

C'est en vain qu'on cherche à dissuader du Spiritisme en le présentant sous des couleurs effrayantes. L'effet, comme on le voit, est tout autre que celui qu'on attend ; pour dix personnes détournées, il y en a cent de ralliées. Cela prouve qu'il a, par lui-même, un irrésistible attrait, sans parler de celui du fruit défendu. Ceci nous remet en mémoire la petite anecdote suivante :

Un propriétaire fit un jour venir chez lui un tonneau d'excellent vin ; mais, comme il craignait l'infidélité de ses serviteurs, il y mit cette étiquette en gros caractères : Affreux vinaigre. Or, le tonneau laissant échapper quelques gouttes, l'un d'eux eut la curiosité d'y goûter du bout du doigt, et trouva que le vinaigre était bon. On se le dit de proche en proche, si bien que, chacun venant y puiser, au bout de quelque temps le tonneau se trouva vide. Comme le propriétaire donnait à ses gens de la piquette pour boisson, ils se disaient entre eux : « Cela ne vaut pas l'affreux vinaigre. »

On aura beau dire que le Spiritisme est du vinaigre, on ne fera pas que ceux qui y goûteront ne le trouvent doux ; or, ceux qui en auront goûté le diront aux autres, et tous voudront en boire.

Le président de la Société spirite de Constantinople, membre honoraire de la Société spirite de Paris, nous écrit ce qui suit, à la date du 22 mai dernier :

« Cher monsieur Allan-Kardec et frère spirite,

Il y a longtemps déjà que je me propose de vous donner de mes nouvelles, mais ne croyez pas, pour cela, qu'il y ait chômage dans la propagande spirite ; au contraire, il y a plutôt plus d'activité que jamais. Partout, croyez-le, dans ce pays tout fanatisé et tout enrégimenté dans les sectes, le Spiritisme rencontre des obstacles qui n'existent peut-être nulle part, mais les racines sont si vivaces et si productives, que malgré tout elles pénètrent peu à peu et finiront par donner naissance à des rejetons vigoureux qu'aucune puissance humaine ne pourra abattre. Déjà Constantinople compte de nombreux adeptes au Spiritisme et, je puis vous l'affirmer, dans les classes les plus élevées de la Société ; seulement j'ai remarqué que chacun se tient encore chez soi de peur de se compromettre.

Permettez-moi de vous citer un fait qui se passe ici, et qui dénote jusqu'à quel point le Spiritisme s'y inculque : c'est que plusieurs libraires qui ont fait venir des ouvrages spirites, notamment le Livre des Esprits et celui des Médiums, les ont vendus immédiatement, et à qui ? nous l'ignorons, nous Spirites connus et avoués aux yeux de tous. Nous avons la certitude de ce fait sur lequel j'appelle votre attention, car lorsque quelques-uns d'entre nous veulent acheter vos ouvrages, le libraire leur répond : « J'en ai reçu, et je les ai vendus immédiatement. » Nous nous demandons qui accapare ces ouvrages presque aussitôt leur déballage, et cela au point que ceux des nôtres qui veulent s'en procurer n'en trouvent plus ?

Voici maintenant une autre nouvelle qui ne vous intéressera sans doute pas moins.

Notre ami et frère spirite Paul Lambardo, médium dessinateur dont je vous ai envoyé quelques fleurs, a exécuté une peinture à l'aquarelle représentant un beau bouquet de fleurs parmi lesquelles les amateurs remarquent surtout un dahlia ponceau velouté d'un effet magnifique ; toutes les autres fleurs, roses, oeillets, tulipes, lis, camélias, pâquerettes, pavots, bluets, pensées, etc., sont d'un fini et d'un naturel parfaits. Je l'ai poussé à présenter ce tableau à l'Exposition nationale ottomane, ouverte en ce moment, et le tableau y a été admis avec cette inscription :


Dessin médianimique exécuté par M. Paul Lambardo, de Constantinople, auquel les arts du dessin et de la peinture sont complètement inconnus.

A l'heure qu'il est, le tableau figure d'une manière remarquable au palais de l'Exposition, à droite de la place réservée aux tableaux et gravures. Le prix en a été fixé à 20 livres turques ou 460 francs. Remarquez qu'il s'agit d'un fait que des milliers de personnes peuvent constater authentiquement.

Je reçois des lettres de différents points d'Europe, d'Asie et d'Afrique, mais je suis sobre de réponses, sinon pour encourager l'étude sérieuse et approfondie de notre grande et belle science ; puis je renvoie toujours à vos excellents ouvrages les Livres des Esprits et des Médiums.

Nous avons toujours des réunions pour les expériences physiques et pour les études psychologiques ; quoique les premières nous fatiguent presque toujours, nous ne pouvons les abandonner complètement, par la raison qu'elles servent à convaincre certains incrédules qui veulent voir et toucher.

Présentez, je vous prie, à la Société spirite de Paris, les respectueux et fraternels compliments de nos frères spirites de Constantinople, et en particulier de celui qui se dit aussi votre tout dévoué frère spirite.

Repos jeune, avocat. »



Le fait significatif de l'exposition du tableau de M. Lambardo à Constantinople, quoique admis ostensiblement présenté comme produit médianimique, est le pendant des fables spirites couronnées aux Jeux Floraux de Toulouse. On a dit quelque part que si l'Académie de Toulouse eût connu l'origine de ces fables, elle les aurait repoussées ; c'est lui faire la plus grossière injure ; c'est oublier, en outre, que les sujets envoyés à ces sortes de concours ne doivent porter aucune signature, ni aucun signe pouvant révéler l'auteur, sous peine d'exclusion ; M. Jaubert ne pouvait donc pas plus mettre celle d'un Esprit que la sienne, ni même dire qu'elles venaient d'un Esprit, car c'eût été violer la loi du concours, qui veut le secret le plus absolu. C'est la réponse à ceux qui accusent M. Jaubert d'avoir usé de supercherie en gardant le silence sur la provenance de ces fables. Quoi qu'il en soit, aux deux extrémités de l'Europe une sanction officielle est donnée à des produits d'outre-tombe.

De pareils faits suffiraient pour démontrer l'irrésistible puissance du Spiritisme, si, d'ailleurs, elle n'était rendue évidente par tout ce qui se passe sous nos yeux depuis quelques années, et par l'inutilité des efforts que l'on fait pour le combattre. Et pourquoi ces efforts sont-ils inutiles ? Parce que, comme nous l'avons dit, il a un caractère qui le distingue de toutes les doctrines philosophiques, c'est de n'avoir pas un foyer unique, de ne dépendre de la vie d'aucun homme ; son foyer est partout, sur la terre et dans l'espace, et si on le gêne d'un côté, il sort de l'autre ; parce que, comme le dit la Société spirite de Palerme, il s'affirme et par des faits que chacun peut expérimenter, et par une théorie qui a ses racines dans le sens intime de chacun. Pour l'étouffer, il ne faudrait pas comprimer un point du globe, un village, une ville, une contrée même, mais le globe entier ; et encore ne serait-ce qu'un arrêt momentané, car la génération qui s'élève porte en elle l'intuition des idées nouvelles qu'elle fera tôt ou tard prévaloir. Voyez ce qui se passe dans une contrée voisine où l'on met sur ces idées un couvercle de plomb, et où cependant elles s'échappent par toutes les fissures

Nous sommes heureux d'avoir à signaler l'apparition d'un nouvel organe du Spiritisme à Palerme en Sicile, publié en langue italienne sous le titre de : Le Spiritisme, journal de psychologie expérimentale. La multiplication des journaux spéciaux sur cette matière est un indice non équivoque du terrain que gagnent les idées nouvelles en dépit, ou plutôt en raison même des attaques dont elles sont l'objet ; ces idées, qui se sont en peu d'années implantées dans toutes les parties du monde, comptent en Italie de nombreux et sérieux représentants ; c'est que, dans cette patrie de l'intelligence comme partout, quiconque en sonde la portée, comprend qu'elles renferment les éléments de tous progrès, qu'elles sont le drapeau sous lequel s'abriteront un jour tous les peuples, et qu'elles seules résolvent les redoutables problèmes de l'avenir, de manière à satisfaire la raison. Notre concours sympathique est naturellement acquis à toutes les publications de cette nature, propres à seconder nos efforts dans la grande et laborieuse tâche que nous avons entreprise.

La lettre suivante, accompagnant l'envoi de ce journal, nous annonce en même temps la constitution d'une Société spirite à Palerme, sous le titre de Societa spiritista di Palermo.

« Monsieur,

Une nouvelle Société spirite vient d'être constituée ici, à Palerme, sous la présidence de M. le chevalier Joseph Vassal lo Paleologo ; elle a déjà son organe de publicité : Le Spiritisme, ou Journal de psychologie expérimentale, dont les deux premières livraisons viennent de paraître. Veuillez bien en agréer un exemplaire que je me permets de vous offrir, comme à celui qui a si bien mérité de l'humanité pour le progrès des idées morales sous l'impulsion providentielle du Spiritisme.

Veuillez agréer, etc.

Signé : Paolo Morello,

Professeur d'histoire et de philosophie à l'Université de Palerme. »



Chaque numéro du journal commence par la citation de quelques aphorismes, en forme d'épigraphe, tirés du Livre des Esprits ou de celui des Médiums, comme, par exemple :

« Si le Spiritisme est une erreur, il tombera de lui-même ; si c'est une vérité, toutes les diatribes du monde ne le feront pas devenir un mensonge. »

C'est une erreur de croire qu'il suffise à certaines catégories d'incrédules de voir des phénomènes extraordinaires pour être convaincus ; ceux qui n'admettent pas l'âme ou l'Esprit dans l'homme ne peuvent l'admettre hors de l'homme ; c'est pourquoi niant la cause, ils nient l'effet. »

Les réunions frivoles ont un grave inconvénient pour les novices qui y assistent, en ce qu'elles leur donnent une fausse idée du Spiritisme. »

Nous ajoutons : et qui, sans être frivoles, ne sont point tenues avec l'ordre et la dignité convenables.

Le premier numéro contient un exposé de principes, en forme de manifeste, dont nous extrayons les passages suivants :

Toute science repose sur deux points : les faits et la théorie ; or, d'après ce que nous avons lu et vu, nous sommes en état d'affirmer que le Spiritisme possède les matériaux et les qualités d'une science ; parce que, d'une part, il s'affirme par des faits qui lui sont propres et qui résultent de l'observation et de l'expérience, absolument comme dans toute autre science expérimentale ; et d'autre part il s'affirme par sa théorie déduite logiquement de l'observation des faits.

Le Spiritisme, considéré au point de vue des faits ou de la théorie, n'est pas sorti du cerveau humain, mais il découle de la nature même des choses. La création des intelligences étant donnée, ainsi que l'existence spirituelle, ce qui a reçu le nom de Spiritisme se présente comme une nécessité dont, dans les conditions actuelles de la science et de l'humanité, on peut être témoin plutôt que juge ; nécessité d'où résulte un fait complexe qui demande à être étudié sérieusement avant de pouvoir être jugé. Libre à chacun de ne pas l'étudier si cela ne lui plaît pas, mais cela ne donne à personne le droit de railler ceux qui l'étudient.

« La société fondatrice de ce journal n'entend émettre ni une croyance, ni une doctrine à elle ; comme dans sa conviction rien n'appartient moins à l'invention humaine que le Spiritisme, elle se propose d'exposer la doctrine spirite, et nullement de l'imposer. D'ailleurs, elle se réserve une entière liberté d'examen et la plus complète indépendance de conscience dans l'appréciation des faits, sans se laisser influencer par l'opinion de quelque individu ou de quelque corps que ce soit ; ce dont elle se rend responsable devant sa propre conscience, devant Dieu et devant les hommes, c'est de la sincérité des faits. »



La communication suivante, signée Le Dante, extraite du deuxième numéro, témoigne de la nature des enseignements qui sont donnés à cette société.



Nul ne peut devenir bon médium s'il ne parvient à se dépouiller des vices qui dégradent l'humanité. Tous ces vices ont leur origine dans l'égoïsme, et comme la négation de l'égoïsme c'est l'amour, toute vertu se résume dans ce mot : Charité.

La charité enseignée par ce précepte : Quod tibi non vis, etc. Dieu ne l'a pas seulement gravée d'une manière indélébile dans le cœur de l'homme, mais il l'a sanctionnée par son propre fait en nous donnant son Fils pour modèle de charité et d'abnégation. Si elle doit être le guide de chacun dans quelque condition sociale que ce soit, elle est surtout la condition sine quâ non de tout bon médium.

Tout homme peut devenir médium, mais la question n'est pas d'être médium, il s'agit d'être bon médium, ce qui dépend des qualités morales. Les Esprits, il est vrai, se communiquent aux hommes dans toutes les conditions, mais avec la mission de les perfectionner si leurs qualités sont bonnes ; et ils opèrent ce perfectionnement en les soumettant aux plus dures épreuves pour les purifier, épreuves que l'homme de bien subit sans démentir le sentiment moral de sa conscience et sans se laisser détourner de la bonne voie par la tentation. A ceux dont les qualités sont mauvaises, les Esprits se communiquent pour les guider par la main et les amener à une conduite plus conforme à la raison et plus en harmonie avec le but vers lequel doit tendre tout homme persuadé que son existence en ce monde n'est autre chose qu'une expiation. Lorsqu'il y a mélange de bien et de mal, les Esprits provoquent l'amélioration par des moyens intermédiaires.

Beaucoup seront abandonnés par leurs Esprits, parce qu'ils ne voudront pas comprendre que la charité est le seul moyen d'avancer. Et alors, malheur à celui qui n'aura pas voulu écouter la voix de la vérité ! Dieu pardonne à l'ignorance, mais non à celui qui fait le mal sciemment. Le but de notre mission est votre amélioration morale, et votre devoir est également de vous améliorer ; mais n'espérez d'amélioration d'aucune sorte sans la charité.

Extrait des travaux de la Société spirite de Paris

Un jeune homme de vingt-trois ans, M. A…, de Paris, qui n'est initié au Spiritisme que depuis deux mois, en a saisi la portée avec une telle rapidité que, sans avoir rien vu, il l'a accepté avec toutes ses conséquences morales. Cela n'est pas étonnant, dira-t-on, de la part d'un jeune homme, et cela ne prouve qu'une chose : de la légèreté et un enthousiasme irréfléchi. Soit ; mais poursuivons. Ce jeune homme irréfléchi avait, comme il en est convenu lui-même, un assez grand nombre de défauts, dont le plus saillant était une irrésistible disposition à la colère depuis son enfance ; pour la moindre contrariété, pour les causes les plus futiles, quand il rentrait chez lui et ne trouvait pas immédiatement ce qu'il voulait, qu'une chose n'était pas à sa place habituelle, que ce qu'il avait demandé n'était pas prêt à la minute, il entrait dans des fureurs à tout briser ; c'était au point qu'un jour, dans le paroxysme de la colère, s'emportant contre sa mère, il lui dit : « Va-t'en, ou je te tue ! » Puis, épuisé par cette surexcitation, il tombait sans connaissance. Ajoutons que ni les conseils de ses parents, ni les exhortations de la religion n'avaient pu vaincre ce caractère indomptable, compensé du reste par une haute intelligence, une instruction soignée et les plus nobles sentiments.

Effet d'un tempérament bilioso-sanguino-nerveux, dira-t-on ; résultat de l'organisme ; par conséquent, entraînement irrésistible. Il résulte de ce système que si, dans ses égarements, il eût commis un meurtre, il eût été parfaitement excusable, parce que c'eût été le fait d'un excédant de bile. Il en résulte encore qu'à moins de modifier le tempérament, de changer l'état normal du foie et des nerfs, ce jeune homme était prédestiné à toutes les funestes conséquences de la colère.

– Connaissez-vous un remède à un tel état pathologique ? – Non, aucun, si ce n'est l'âge peut-être qui, à la longue, peut calmer l'abondance des sécrétions morbides. – Eh bien ! ce que ne peut la science, le Spiritisme l'a fait, non à la longue et par suite d'un effort continu, mais instantanément ; quelques jours ont suffi pour faire de ce jeune homme un être doux et patient. La certitude acquise de la vie future, la connaissance du but de la vie terrestre, le sentiment de la dignité de l'homme révélé par le libre arbitre qui le met au-dessus de la brute, la responsabilité qui en découle, la pensée que la plupart des maux terrestres sont la conséquence de nos actes, toutes ces idées, puisées dans une étude sérieuse du Spiritisme, ont produit dans son cerveau une révolution soudaine ; il lui sembla qu'un voile était levé de dessus ses yeux ; la vie lui apparut sous une toute autre face ; certain alors qu'il y avait en lui un être intelligent indépendant de la matière, il se dit : « Cet être doit avoir une volonté, tandis que la matière n'en a pas ; donc, il doit pouvoir dominer la matière. » De là cet autre raisonnement : « Le résultat de ma colère a été de me rendre malade et malheureux, et elle ne me fait pas avoir ce qui me manque ; donc elle est inutile, puisque je n'en suis pas plus avancé ; elle me produit du mal et ne me donne aucun bien en compensation ; bien plus, elle pourrait me pousser à des actes répréhensibles, criminels peut-être. » – Il a voulu vaincre, et il a vaincu. Depuis lors, mille occasions se sont présentées qui, auparavant, l'eussent mis en fureur, et devant lesquelles il est resté impassible et indifférent, à la grande stupéfaction de sa mère. Il sentait son sang bouillonner et monter au cerveau, et, par sa volonté, il le refoulait et le forçait à descendre.

Un miracle n'eût pas fait mieux ; mais le Spiritisme en a fait bien d'autres, que notre Revue ne suffirait pas pour enregistrer, si nous voulions rapporter tous ceux qui sont à notre connaissance personnelle en fait de réformes morales des habitudes les plus invétérées. Nous citons celui-ci comme un exemple remarquable du pouvoir de la volonté, et, en outre, parce qu'il soulève un problème important que le Spiritisme seul peut résoudre.

M. A… nous demandait, à ce sujet, si son Esprit était responsable de ses emportements, ou s'il ne faisait que subir l'influence de la matière. Voici notre réponse :

Votre Esprit est tellement responsable que, lorsque vous l'avez sérieusement voulu, vous avez arrêté le mouvement sanguin. Donc, si vous l'aviez voulu plus tôt, les accès auraient cessé plus tôt, et vous n'auriez pas menacé votre mère. En outre, qui est-ce qui se met en colère ? Est-ce le corps ou l'Esprit ? Si les accès fussent venus sans motif, on pourrait croire qu'ils étaient provoqués par l'afflux sanguin ; mais, futile ou non, ils avaient pour cause une contrariété ; or, il est évident que ce n'était pas le corps qui était contrarié, mais bien l'Esprit, trop susceptible ; l'Esprit contrarié réagissait sur un système organique irritable, qui fût resté en repos s'il n'eût été provoqué. Prenons une comparaison. Vous avez un cheval fougueux ; si vous savez le gouverner, il se soumet ; si vous le maltraitez, il s'emporte et vous jette par terre ; à qui la faute ? à vous, ou au cheval ?

Pour moi, il demeure évident que votre Esprit est naturellement irascible ; mais comme chacun apporte avec soi son péché originel, c'est-à-dire un reste de ses anciens penchants, il n'est pas moins évident que, dans votre existence précédente, vous avez dû être un homme d'une extrême violence que vous avez probablement payée fort cher, peut-être de votre vie. Dans l'erraticité, vos autres bonnes qualités vous ont aidé à comprendre vos torts ; vous avez pris la résolution de vous vaincre, et pour cela de lutter dans une nouvelle existence ; mais si vous eussiez choisi un corps mou et lymphatique, votre Esprit, ne rencontrant aucune difficulté, n'aurait rien gagné, c'eût été à recommencer pour vous ; c'est pourquoi vous avez choisi un corps bilieux, pour avoir le mérite de la lutte. Maintenant la victoire est remportée ; vous avez terrassé un ennemi de votre repos, et rien ne peut entraver le libre exercice de vos bonnes qualités. Quant à la facilité avec laquelle vous avez accepté et compris le Spiritisme, elle s'explique par la même cause : vous étiez Spirite depuis longtemps ; cette croyance était innée en vous, et le matérialisme n'a été qu'un résultat de la fausse direction donnée à vos idées. L'idée spirite, étouffée d'abord, est demeurée à l'état latent, et il a suffi d'une étincelle pour la réveiller ; bénissez donc la Providence qui a permis que cette étincelle arrivât de bonne heure pour arrêter un penchant qui vous eût peut-être causé d'amers regrets, tandis qu'il vous reste une longue carrière à parcourir dans la voie du bien.

Toutes les philosophies se sont heurtées contre ces mystères de la vie humaine qui paraissaient insondables jusqu'à ce que le Spiritisme y eût apporté son flambeau. En présence de tels faits, peut-on se demander encore à quoi il sert, et n'est-on pas en droit de bien augurer de l'avenir moral de l'humanité quand il sera compris et pratiqué par tout le monde.

« Monsieur le curé,

Vous vous étonnez que depuis deux ans je n'aie pas répondu à votre brochure contre le Spiritisme ; vous êtes dans l'erreur, car depuis son apparition j'ai traité dans maints articles de ma Revue la plupart des questions que vous soulevez. Je sais bien que vous auriez désiré une réponse personnelle, une contre-brochure ; que j'eusse pris vos arguments un à un pour vous donner le plaisir de la réplique ; or, j'ai eu l'irréparable tort de ne pas même vous nommer, mais votre modestie, j'en suis sûr, ne m'en a pas fait un crime. Je répare aujourd'hui cette omission, mais ne croyez pas que ce soit pour entamer avec vous une polémique, non, je me borne à quelques simples réflexions et à vous expliquer mes motifs.

Je vous dirai d'abord que si je n'ai pas répondu directement à votre brochure, c'est que vous m'aviez annoncé qu'elle devait nous enterrer tout vifs ; j'ai donc voulu attendre l'évènement, et je constate avec plaisir que nous ne sommes point morts ; que même le Spiritisme est quelque peu plus vivace qu'auparavant ; que le nombre des sociétés se multiplie dans tous les pays ; que partout où l'on a prêché contre lui le nombre des adeptes s'est accru ; que cet accroissement est en raison de la violence des attaques ; ce ne sont pas des hypothèses, mais des faits authentiques que, dans ma position et par l'étendue de mes relations, je suis mieux que qui que ce soit à même de vérifier. Je constate en outre que les indigents auxquels des prêtres zélés ont défendu de recevoir les bons de pain donnés par des Spirites charitables, parce que c'était le pain du diable, ne sont pas morts pour en avoir mangé ; que les boulangers auxquels on avait dit de ne pas les recevoir, parce que le diable les leur enlèverait, n'en ont pas perdu un seul ; que les industriels auxquels, toujours par zèle évangélique, on a voulu couper les vivres en leur enlevant leurs pratiques, ont trouvé une compensation dans les nouveaux clients que leur a valus l'accroissement du nombre des adeptes. Vous désapprouvez, je n'en doute pas, cette manière d'attaquer le Spiritisme, mais les faits n'en existent pas moins. Ces moyens, vous en conviendrez, ne sont guère propres à ramener à la religion ceux qui sen écartent ; la peur peut retenir momentanément, mais c'est un lien fragile qui se brise à la première occasion ; les seuls liens solides sont ceux du cœur cimentés par la conviction ; or, la conviction ne s'impose point par la force.

Votre brochure, vous le savez, monsieur le curé, a été suivie d'un grand nombre d'autres ; la vôtre a sur beaucoup un mérite, celui de la parfaite urbanité ; vous voulez nous tuer poliment, et je vous en sais gré ; mais partout les arguments sont les mêmes, énoncés plus ou moins poliment et en français plus ou moins correct ; pour les réfuter toutes, article par article, il aurait fallu me répéter sans cesse, et, franchement, j'ai des choses plus importantes à faire ; cela était d'ailleurs sans utilité, et vous allez le comprendre.

Je suis un homme positif, sans enthousiasme, jugeant tout froidement ; je raisonne d'après les faits et je dis : Puisque les Spirites sont plus nombreux que jamais, malgré la brochure de M. Marouzeau et toutes les autres, malgré tous les sermons et mandements, c'est que les arguments que l'on y fait valoir n'ont pas persuadé les masses, qu'ils ont produit un effet contraire ; or, juger la valeur de la cause par ses effets, je crois que c'est de la logique élémentaire ; dès lors à quoi bon les réfuter ? Puisqu'ils nous servent au lieu de nous nuire, nous devons nous garder d'y mettre obstacle. Je vois les choses à un autre point de vue que vous, monsieur l'abbé ; comme un général qui observe le mouvement de la bataille, je juge la force des coups, non au bruit qu'ils font, mais à l'effet qu'ils produisent ; c'est l'ensemble que je vois, or l'ensemble est satisfaisant, c'est tout ce qu'il faut. Des réponses individuelles seraient donc sans utilité. Lorsque je traite d'une manière générale des questions soulevées par quelque adversaire, ce n'est pas pour le convaincre, je n'y tiens nullement, et encore moins pour le faire renoncer à sa croyance, que je respecte quand elle est sincère, c'est uniquement pour l'instruction des Spirites, et parce que j'y trouve un point à développer ou à éclaircir. Je réfute les principes et non les individus ; les principes restent, et les individus disparaissent ; c'est pour cela que je m'inquiète peu des personnalités qui peut-être demain ne seront plus et dont on ne parlera plus, quelle que soit l'importance qu'elles cherchent à se donner. Je vois l'avenir bien plus que le présent, l'ensemble et les choses importantes plus que les faits isolés et secondaires. Ramener au bien est à nos yeux la véritable conversion. Un homme arraché à ses mauvais penchants et ramené à Dieu et à la charité pour tous par le Spiritisme est pour nous la victoire la plus utile ; c'est celle qui nous cause le plus de joie, et nous remercions Dieu de nous la donner si souvent. Pour nous la victoire la plus honorable ne consiste pas à détacher un individu de tel ou tel culte, de telle ou telle croyance, par la violence ou la peur, mais de le détacher du mal par la persuasion. Nous prisons par-dessus tout les convictions sincères, et non celles qui sont obtenues par la force ou n'ont que les apparences.

C'est ainsi, par exemple, que, dans votre brochure, vous demandez quels miracles le Spiritisme peut invoquer en sa faveur, et que j'y ai répondu dans le numéro de février 1862, page 40, par l'article intitulé : le Spiritisme est-il prouvé par des miracles ? et j'ai du même coup répondu à tous ceux qui ont fait la même question. Vous demandez les miracles du Spiritisme ? mais en est-il un plus grand que sa propagation inouïe, envers et contre tout, malgré les attaques dont il est l'objet, malgré surtout les coups si terribles que vous lui avez portés ? N'est-ce pas là un fait de la volonté de Dieu ? « Non, direz-vous, c'est la volonté du diable. » Alors convenez que la volonté du diable l'emporte sur celle de Dieu, et qu'il est plus fort que l'Eglise, puisque l'Eglise ne peut l'arrêter. Mais ce n'est pas le seul miracle que fait le Spiritisme ; il en fait tous les jours en ramenant à Dieu les incrédules, en convertissant au bien ceux qui sont adonnés au mal, en donnant la force de vaincre les passions mauvaises. Vous lui demandez des miracles ! mais le fait rapporté ci-dessus du jeune A… n'en est-il pas un ? Pourquoi la religion ne l'a-t-elle pas fait et l'a-t-elle laissé faire au Spiritisme, c'est-à-dire au diable ? – Ce n'est pas là ce qu'on appelle un miracle. – Mais l'Eglise ne qualifie-t-elle pas certaines conversions de miraculeuses ? – Oui, mais ce sont les conversions d'hérétiques à la foi catholique. – De sorte que la conversion du mal au bien n'est pas selon vous un miracle ; vous préféreriez un signe matériel : la liquéfaction du sang de saint Janvier, la tête d'une statue qui remue dans une église, une apparition dans le ciel, comme la croix de Migné. Le Spiritisme ne fait point de ces sortes de miracles ; les seuls auxquels il attache un prix infini et dont il se fait gloire, ce sont les transformations morales qu'il opère.

Monsieur l'abbé, le temps me presse et l'espace me manque ; une autre fois je vous dirai encore quelques mots qui pourront vous servir pour le nouvel ouvrage que vous préparez et qui doit anéantir le Spiritisme et les Spirites à tout jamais. Je lui souhaite meilleure chance qu'au premier. Quelques passages de ce numéro pourront peut-être vous éclairer sur les difficultés que vous aurez à surmonter pour réussir.

Recevez etc.

Allan Kardec



Dans un village de Bavière mourut, vers l'année 1850, un vieillard presque centenaire connu sous le nom de père Max. Personne ne connaissait au juste son origine, car il n'avait point de famille. Depuis près d'un demi-siècle, accablé d'infirmités qui le mettaient hors d'état de gagner sa vie par le travail, il n'avait d'autres ressources que la charité publique qu'il dissimulait en allant vendre dans les fermes et les châteaux des almanachs et de menus objets. On lui avait donné le sobriquet de comte Max, et les enfants ne l'appelaient jamais que monsieur le comte, ce dont il souriait sans se formaliser. Pourquoi ce titre ? Nul n'aurait pu le dire ; il était passé en habitude. C'était peut-être à cause de sa physionomie et de ses manières dont la distinction contrastait avec ses haillons. Plusieurs années après sa mort il apparut en songe à la fille du propriétaire d'un des châteaux où il recevait l'hospitalité à l'écurie, car il n'avait point de domicile à lui. Il lui dit : « Merci à vous de vous être souvenue du pauvre Max dans vos prières, car elles ont été entendues du Seigneur. Vous désirez savoir qui je suis, âme charitable qui vous êtes intéressée au malheureux mendiant ; je vais vous satisfaire ; ce sera pour tous une grande instruction. »

Il lui fit alors le récit suivant à peu près en ces termes :

« Il y a un siècle et demi environ j'étais un riche et puissant seigneur de cette contrée, mais vain, orgueilleux et infatué de ma noblesse. Mon immense fortune n'a jamais servi qu'à mes plaisirs, et elle y suffisait à peine, car j'étais joueur, débauché et passais ma vie dans les orgies. Mes vassaux, que je croyais créés à mon usage comme les animaux des fermes, étaient pressurés et maltraités pour subvenir à mes prodigalités. Je restais sourd à leurs plaintes comme à celles de tous les malheureux, et, selon moi, ils devaient s'estimer trop honorés de servir mes caprices. Je suis mort dans un âge peu avancé, épuisé par les excès, mais sans avoir éprouvé aucun malheur véritable ; tout semblait au contraire me sourire, de sorte que j'étais aux yeux de tous un des heureux du monde ; mon rang me valut de somptueuses funérailles ; les viveurs regrettèrent en moi le fastueux seigneur, mais pas une larme ne fut versée sur ma tombe, pas une prière du cœur ne fut adressée à Dieu pour moi, et ma mémoire fut maudite de tous ceux dont j'avais accru la misère. Ah ! qu'elle est terrible la malédiction des malheureux qu'on a faits ! elle n'a pas cessé de retentir à mes oreilles pendant de longues années qui m'ont paru une éternité ! Et à la mort de chacune de mes victimes, c'était une nouvelle figure menaçante ou ironique qui se dressait devant moi et me poursuivait sans relâche, sans que je pusse trouver un coin obscur pour me soustraire à sa vue. Pas un regard ami ! mes anciens compagnons de débauche, malheureux comme moi, me fuyaient et semblaient me dire avec dédain : « Tu ne peux plus payer nos plaisirs. » Oh ! qu'alors j'aurais payé chèrement un instant de repos, un verre d'eau pour étancher la soif brûlante qui me dévorait ! mais je ne possédais plus rien, et tout l'or que j'avais semé à pleines mains sur la terre n'avait pas produit une seule bénédiction ! pas une seule, entendez-vous, mon enfant !

« Enfin, accablé de fatigue, épuisé comme un voyageur harassé qui ne voit pas le terme de sa route, je m'écriai : « Mon Dieu, ayez pitié de moi ! Quand donc finira cette horrible situation ? » Alors une voix, la première que j'entendais depuis que j'avais quitté la terre, me dit : « Quand tu voudras. – Que faut-il faire, grand Dieu ? répondis-je ; dites : je me soumets à tout. – Il faut te repentir ; t'humilier devant ceux que tu as humiliés ; les prier d'intercéder pour toi, car la prière de l'offensé qui pardonne est toujours agréable au Seigneur. » Je m'humiliai, je priai mes vassaux, mes serviteurs qui étaient là devant moi, et dont les figures de plus en plus bienveillantes finirent par disparaître. Ce fut alors pour moi comme une nouvelle vie ; l'espérance remplaça le désespoir et je remerciai Dieu de toutes les forces de mon âme. La voix me dit ensuite : « Prince ! » et je répondis : « Il n'y a ici d'autre prince que le Dieu tout-puissant qui humilie les superbes. Pardonnez-moi, Seigneur, car j'ai péché ; faites de moi le serviteur de mes serviteurs, si telle est votre volonté. »

« Quelques années plus tard je naquis derechef, mais cette fois d'une famille de pauvres villageois. Mes parents moururent que j'étais encore enfant, et je restai seul au monde et sans appui. Je gagnai ma vie comme je pus, tantôt comme manœuvre, tantôt comme garçon de ferme, mais toujours honnêtement, car je croyais en Dieu cette fois. A l'âge de quarante ans, une maladie me rendit perclus de tous mes membres, et il me fallut mendier pendant plus de cinquante ans sur ces mêmes terres dont j'avais été le maître absolu ; recevoir un morceau de pain dans les fermes que j'avais possédées, et où, par une amère dérision, on m'avait surnommé monsieur le comte ; trop heureux souvent de trouver un abri dans l'écurie du château qui avait été le mien. Dans mon sommeil je me plaisais à parcourir ce même château où j'avais trôné en despote ; que de fois, dans mes rêves, je m'y suis revu au milieu de mon ancienne fortune ! Ces visions me laissaient au réveil un indéfinissable sentiment d'amertume et de regrets ; mais jamais une plainte ne s'est échappée de ma bouche ; et quand il a plu à Dieu de me rappeler à lui, je l'ai béni de m'avoir donné le courage de subir sans murmure cette longue et pénible épreuve dont je reçois aujourd'hui la récompense ; et vous, ma fille, je vous bénis d'avoir prié pour moi. »

Remarque. – Nous recommandons ce fait à ceux qui prétendent que les hommes n'auraient plus de frein s'ils n'avaient pas devant eux l'épouvantail des peines éternelles, et nous demandons si la perspective d'un châtiment comme celui du père Max est moins faite pour arrêter dans la voie du mal que celle de tortures sans fin auxquelles on ne croit plus.



Dissertations spirites

Société spirite de paris, 19 juin 1863. – Médium, M. Vézy

Nota. Cette communication a été donnée à propos d'une dame aveugle qui assistait à la séance.

Mes bons amis, je ne viens pas souvent parmi vous, mais aujourd'hui me voici ; j'en remercie Dieu et les bons Esprits qui viennent vous aider à marcher dans le nouveau chemin. Vous m'avez appelé, pourquoi ? Est-ce pour me faire imposer les mains sur la pauvre souffrante qui est ici et la guérir ? Et quelle souffrance, bon Dieu ! Elle a perdu la vue, et les ténèbres se font pour elle !… Pauvre enfant ! qu'elle prie et qu'elle espère ! je ne sais point faire de miracle, moi, sans la volonté du bon Dieu ; toutes les guérisons que j'ai pu obtenir et qui vous ont été signalées, ne les attribuez qu'à Celui qui est notre père à tous. Dans vos afflictions, regardez donc toujours le ciel, et dites du fond de votre cœur : « Mon père, guérissez-moi, mais faites que mon âme malade soit guérie avant les infirmités de mon corps ; que ma chair soit châtiée, s'il le faut, pour que mon âme s'élève vers vous avec la blancheur qu'elle avait quand vous l'avez créée ! » Après cette prière, mes bien bons amis, que le bon Dieu entendra toujours, la force et le courage vous seront donnés, et peut-être aussi cette guérison, que vous n'aurez demandée que craintivement, en récompense de votre abnégation charnelle.

Mais puisque je suis ici, dans une assemblée où il s'agit avant tout d'étudier, je vous dirai que ceux qui sont privés de la vue devraient se considérer comme les bienheureux de l'expiation. Rappelez-vous que Christ a dit qu'il fallait arracher votre œil s'il était mauvais, et qu'il valait mieux qu'il fût jeté au feu que d'être la cause de votre damnation. Hélas ! combien en est-il sur votre terre qui maudiront un jour, dans les ténèbres, d'avoir vu la lumière ! Oh ! oui, qu'ils sont heureux ceux-là, qui sont frappés dans l'expiation par la vue ! Leur œil ne leur sera point un sujet de scandale et de chute ; ils peuvent vivre tout entiers de la vie des âmes ; ils peuvent voir plus que vous qui voyez clair… Quand Dieu me permet d'aller ouvrir la paupière à quelques-uns de ces pauvres souffrants et de leur rendre votre lumière, je me dis : « Chère âme, pourquoi ne connaît-elle point toutes les délices de l'Esprit qui vit de contemplation et d'amour ? elle ne demanderait point à voir des images moins pures et moins suaves que celles qu'il lui est donné de voir dans la cécité. »

Oh ! oui, bienheureux l'aveugle qui veut vivre avec Dieu ! plus heureux que vous qui êtes ici, il sent le bonheur, il le touche, il voit les âmes et peut s'élancer avec elles dans les sphères spirites que les prédestinés de votre terre même ne voient point.

L'œil ouvert est toujours prêt à faire faillir l'âme ; l'œil fermé, au contraire, est toujours prêt à la faire monter à Dieu. Croyez-moi bien, mes bons et chers amis, l'aveuglement des yeux est souvent la véritable lumière du cœur, tandis que la vue c'est souvent l'ange ténébreux. qui conduit à la mort.

Et maintenant, quelques mots pour toi, ma pauvre souffrante ; espère et courage ! Si je te disais : « Mon enfant, tes yeux vont s'ouvrir, » comme tu serais joyeuse ! Et qui sait si cette joie ne te perdrait pas ? Aie confiance dans le bon Dieu qui a fait le bonheur et permis la tristesse. Je ferai tout ce qu'il me sera permis pour toi ; mais, à ton tour, prie, et surtout songe à tout ce que je viens de dire.

Avant que je m'éloigne, vous qui êtes ici, recevez ma bénédiction, mes bons amis, je la donne à tous, aux fous, aux sages, aux croyants et aux infidèles de cette assemblée, et qu'elle serve à chacun de vous !

Vianney, curé d'Ars.



Remarque. – Nous demandons si c'est là le langage du démon, et si on offense le curé d'Ars en lui attribuant de telles pensées. Une jeune fille de campagne, sans instruction, somnambule naturelle, voyant très bien les Esprits, était venue à la séance en état de somnambulisme. Elle ne connaissait pas le curé d'Ars, même de nom, et cependant elle le vit à côté du médium et en fit un portrait parfaitement exact.

Société spirite de Paris, médium madame Costel

Le repentir monte vers Dieu ; il lui est plus agréable que la fumée des sacrifices et plus précieux que l'encens répandu aux parvis sacrés. Semblable aux orages qui traversent l'air en le purifiant, le repentir est une souffrance féconde, une force réactive et agissante. Jésus a sanctifié sa vertu, et les larmes de la Madeleine se sont répandues comme une rosée sur les cœurs endurcis qui ignoraient la grâce du pardon. La souveraine vertu a proclamé la puissance du repentir, et les siècles ont répercuté, en l'affaiblissant, la parole du Christ.

L'heure est venue où le Spiritisme doit rajeunir et vivifier l'essence même du christianisme. Effacez donc partout et toujours la cruelle sentence qui dépouille de toute espérance l'âme coupable. Le repentir est une vertu militante, une vertu virile que les Esprits avancés ou les cœurs tendres peuvent seuls ressentir. Le regret momentané et cuisant d'une faute n'emporte pas avec lui l'expiation qui donne la connaissance de la justice de Dieu, justice rigoureuse dans ses conclusions, qui applique la loi du talion à la vie morale et physique de l'homme, et le châtie par la logique des faits qui tous découlent du bon ou du mauvais usage de son libre arbitre.

Aimez ceux qui souffrent, et assistez le repentir qui est l'expression et le signe que Dieu a imprimé à sa créature intelligente pour l'élever et la rapprocher de lui.

Jean, disciple.

Société spirite de Paris. 26 décembre 1862. Médium M. D'Ambel

Nota. Cette communication a été donnée à propos d'un compte rendu fait à la Société sur les nouvelles sociétés Spirites qui se forment de toutes parts en France et à l'étranger.

Le progrès se manifeste d'une manière trop éclatante aujourd'hui dans la croyance aux doctrines régénératrices que nous apportons à votre monde, pour qu'il soit nécessaire de le constater désormais. Aveugle qui ne voit pas la marche triomphante de nos idées ! Lorsque des hommes éminents appartenant aux fonctions les plus libérales, des gens de science et d'études, des médecins, des philosophes, des jurisconsultes se lancent résolument à la recherche de la vérité dans les voies nouvelles ouvertes par le Spiritisme ; quand la classe militante vient y chercher des consolations et des forces nouvelles, qui donc, parmi les humains, se croira assez fort pour opposer une barrière au développement de cette nouvelle science philosophique ? Dernièrement Lamennais disait, dans ce style concis et éloquent auquel il vous a habitués : que l'avenir était au Spiritisme ! J'ai le droit de m'écrier aujourd'hui : N'est-ce pas là un fait accompli ?

En effet, la route devient large ; le ruisseau d'hier s'étale comme un fleuve, et, à partir des vallons traversés, son cours majestueux se rira des maigres écluses et des tardives barricades que quelques riverains attardés essayeront d'établir afin d'entraver sa marche vers le grand océan de l'infini. Pauvres gens ! le courant vous emportera bientôt vous-mêmes et nous vous entendrons bientôt vous écrier, vous aussi : « C'est vrai ! la terre tourne ! »

Si les flots de sang versé dans les Amériques n'appelaient pas l'attention de tous les penseurs sérieux et de tous les amis de la paix, dont le cœur saigne au récit de ces luttes sanglantes et fratricides ; si les nations mal assises ne cherchaient pas en toute contrée à retrouver leur base normale ; si les aspirations de tous, enfin, ne tendaient pas vers une amélioration matérielle et morale depuis si longtemps poursuivie, on pourrait nier l'utilité des cataclysmes moraux annoncés par quelques Esprits initiateurs ; mais tous ces signes caractéristiques sont trop apparents pour que l'on ne reconnaisse pas la nécessité, l'urgence d'un phare nouveau qui puisse sauver encore le monde en danger.

Jadis, lorsque le monde païen, miné par la plus complète démoralisation, vacillait sur sa base, de toutes parts des voix prophétiques annonçaient la venue prochaine d'un rédempteur. Depuis quelques années n'avez-vous pas entendu, ô Spirites ! les mêmes voix prophétiques ? Ah ! je le sais : nul d'entre vous ne l'a oublié. Eh bien ! tenez pour certain que le temps est venu, et crions ensemble, comme autrefois en Judée : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! »

Éraste.

Société spirite de Paris, 19 juin 1863. – Médium, M. Alfred Didier

Les siècles de transition dans l'histoire de l'humanité ressemblent à de vastes plaines semées de monuments mêlés confusément sans harmonie, et l'harmonie la plus pure, la plus juste existe dans le détail et non pas dans l'ensemble. Les siècles abandonnés par la foi, par l'espérance, sont de sombres pages où l'humanité, travaillée par le doute, se mine sourdement dans des civilisations raffinées, pour arriver à une réaction qui le plus souvent les emportait, pour les remplacer par d'autres civilisations. Les chercheurs de la pensée, plus que les savants, approfondissent à notre époque, dans un éclectisme rationnel, ces mystérieux enchaînements de l'histoire, ces ténèbres, cette uniformité jetées comme des brouillards et des nuages épais sur des civilisations naguère vivaces et fertiles. Etrange destinée des peuples ! C'est presque à la naissance du christianisme, c'est dans les villes les plus opulentes, sièges des plus grands évêchés de l'Orient et de l'Occident, que les ravages de la décadence commencent ; c'est au milieu même de la civilisation, de la splendeur intelligente des arts, des sciences, de la littérature et des enseignements sublimes du Christ, que commence la confusion des idées, les dissensions religieuses ; c'est dans le berceau même de l'Eglise romaine, enorgueillie et superbe du sang des martyrs, que l'hérésie, enfantée par les dogmes superstitieux et les hiérarchies ecclésiastiques, se glisse comme un serpent imminent pour mordre au cœur l'humanité et lui infiltrer dans les veines, au milieu des désordres politiques et sociaux, le plus terrible et le plus profond de tous les fléaux : le doute. Cette fois la chute est immense, la langueur religieuse des prêtres, unie aux fanatiques hérésiarques, ôte toute force à la politique, tout amour au pays, et l'Eglise du Christ devient humaine, mais non plus humanitaire. Il est inutile ici, je crois, d'appuyer sur les rapports effrayants de cette époque avec la nôtre ; vivant en même temps avec les traditions du christianisme et avec l'espérance de l'avenir, les mêmes ébranlements secouent notre vieille civilisation, les mêmes idées se partagent, et le même doute tourmente l'humanité, signes précurseurs de la rénovation sociale et morale qui se prépare. Ah ! priez, Spirites, votre époque tourmentée et blasphématrice est une rude époque, que les Esprits viennent instruire et encourager.

Lamennais.

Groupe spirite de Sétif, Algérie

Vous vous étonnez souvent de voir des facultés médianimiques, soit physiques soit morales, qui, selon vous, devraient être la preuve d'un mérite personnel, possédées par des gens que leur caractère moral place au-dessous d'une pareille faveur ; cela tient à la fausse idée que vous vous faites des lois qui régissent ces choses, et que vous voulez considérer comme invariables. Ce qui est invariable, c'est le but, mais les moyens varient à l'infini, pour que votre liberté soit respectée. Tel possède une faculté, et tel en possède une autre ; celui-ci est poussé par l'orgueil, celui-là par la cupidité, un troisième par la fraternité. Dieu emploie les facultés et les passions de chacun, et les utilise dans la sphère de chacun, et du mal même sait faire sortir le bien. Les actes de l'homme, qui vous semblent si importants, ne sont rien pour lui, c'est l'intention qui en fait à ses yeux le mérite ou le démérite. Heureux donc celui qui est guidé par l'amour fraternel. La Providence n'a pas créé le mal : tout a été fait en vue du bien. Le mal n'existe que par l'ignorance de l'homme et par le mauvais usage qu'il fait des passions, des tendances, des instincts qu'il a acquis par son contact avec la matière. Grand Dieu ! quand tu lui auras inspiré la sagesse de savoir prendre en main la direction de ce puissant mobile : la passion, que de maux disparaîtront, que de bien résultera de cette force dont il ne connaît aujourd'hui que le mauvais côté qui est son ouvrage ! Oh ! continuez ardemment votre œuvre, mes amis ; que l'humanité entrevoie enfin la route dans laquelle elle doit mettre le pied pour atteindre au bonheur qu'il lui est donné d'acquérir sur ce globe !

Ne vous étonnez pas si les communications que vous donnent les Esprits élevés, tout en s'appuyant sur la morale du Sauveur, en vous la confirmant et la développant, vous offrent tant de points de contact et de similitude avec les mystères des Anciens ; c'est que les Anciens avaient l'intuition des choses du monde invisible et de ce qui devait arriver, et que plusieurs avaient pour mission de préparer les voies. Observez et étudiez avec soin les communications que vous recevez ; acceptez ce que votre raison ne rejette pas ; repoussez ce qui la choque ; demandez des éclaircissements sur celles qui vous laissent dans le doute. Vous avez là la marche à suivre pour transmettre aux générations futures, sans crainte de les voir dénaturées, les vérités que vous démêlerez sans peine de leur cortège inévitable d'erreurs.

Travaillez, rendez-vous utiles à vos frères et à vous-mêmes ; vous ne pouvez guère prévoir le bonheur que l'avenir vous réserve par la contemplation de votre œuvre.

Saint Augustin.



Remarque. – Cette communication a été obtenue par un jeune homme, médium somnambule illettré. Elle nous est envoyée par M. Dumas, négociant de Sétif, membre de la Société spirite de Paris, qui ajoute que le sujet ne connaissait pas le sens de la plupart des mots, et nous transmet le nom de dix personnes notables qui assistaient à la séance. Les médiums illettrés qui ont des communications au-dessus de leur portée intellectuelle sont très nombreux. On vient de nous montrer une page vraiment remarquable, obtenue, à Lyon, par une femme qui ne sait ni lire ni écrire et ne sait pas un mot de ce qu'elle écrit ; son mari, qui n'est guère plus fort, le déchiffre par intuition séance tenante, mais le lendemain cela lui est impossible ; les autres personnes le lisent sans beaucoup de difficulté. N'est-ce pas là l'application de cette parole du Christ : « Vos femmes et vos filles prophétiseront, et feront des prodiges ? » N'est-ce pas un prodige que d'écrire, peindre, dessiner, faire de la musique et de la poésie quand on ne le sait pas ? Vous demandez des signes matériels ? en voilà. Les incrédules diront-ils que c'est un effet de l'imagination ? Si cela était, il faudrait convenir que ces personnes ont l'imagination dans la main et non dans le cerveau. Encore une fois, une théorie n'est bonne qu'à la condition de rendre raison de tous les faits ; si un seul fait vient la contredire, c'est qu'elle est fausse ou incomplète.





Allan Kardec





Août

Nous venons à notre tour jeter quelques fleurs sur la tombe récemment fermée d'un homme aussi recommandable par son savoir que par ses éminentes qualités morales, et auquel, chose rare, tous les partis s'accordent à rendre justice.

Jean Reynaud, né à Lyon en février 1808, est mort à Paris le 28 juin 1863. Nous ne saurions donner une idée plus juste de son caractère qu'en reproduisant la courte et touchante notice nécrologique que son ami, M. Ernest Legouvé, a publiée dans le Siècle du 30 juin 1863.

« La démocratie, la philosophie, et, je ne crains pas de le dire, la religion, viennent de faire une perte immense : Jean Reynaud est mort hier après une courte maladie. De quelque point de vue que l'on juge ses doctrines, son œuvre, comme sa vie, a été éminemment religieuse ; car sa vie, comme son œuvre, a été une des protestations les plus éloquentes contre le grand fléau qui nous menace : le scepticisme sous toutes ses formes. Nul n'a cru plus énergiquement à la personnalité divine, nul n'a cru plus énergiquement à la personnalité humaine, nul n'a aimé plus ardemment la liberté. Dans ce livre de Terre et Ciel, qui a creusé dès l'abord un sillon si profond, et dont la trace ira se marquant toujours davantage, dans ce livre respire un tel sentiment de l'infini, un tel sentiment de la présence divine, qu'on peut dire que Dieu y palpite à chaque page ! Et comment pourrait-il en être autrement, quand celui qui les a écrites, ces pages, vivait toujours en présence de Dieu ! Nous le savons bien, nous tous qui l'avons connu, aimé, et dont le plus beau titre d'honneur est d'avoir été aimés par un tel homme. C'était une source de vie morale toujours jaillissante ; on ne pouvait pas s'approcher de lui sans être plus affermi dans le bien ; son visage seul était une leçon de droiture, d'honneur, de dévouement ; les âmes déchues se troublaient devant ce clair regard comme devant l'œil même de la justice : et tout cela est parti ! parti, en pleine force, lorsque tant d'utiles paroles, tant de grands exemples pouvaient encore sortir de cette bouche, de ce cœur !… Nous ne pleurons pas Reynaud pour nous seuls, nous le pleurons pour notre pays tout entier.

« E. Legouvé. »

M. Henri Martin, dans le même journal du 16 juillet, a donné sur la vie et les ouvrages de Jean Reynaud des détails plus circonstanciés. « Élevé, dit-il, dans la liberté de la campagne par une mère à l'âme forte et tendre, ce fut là qu'il prit ces habitudes d'intimité avec la nature qui ne le quittèrent jamais, et se forma ces organes robustes avec lesquels, plus tard, il faisait vingt lieues d'une haleine, et passait de glacier en glacier, d'une crête à l'autre des Alpes, sur d'étroites corniches où ne se hasardent point les chasseurs de chamois. Ses études furent rapides et fécondes ; tout en manifestant dès son jeune âge le goût le plus vif pour les lettres et pour toutes les formes du beau, il tourna d'abord ses vues d'avenir vers les sciences, heureuse direction qui devait lui fournir les aliments et les instruments de sa pensée, et faire du savant l'utile serviteur du philosophe. Sorti au premier rang de l'École polytechnique, il était ingénieur des mines en Corse au moment de la révolution de juillet. Il revint à Paris ; le saint-simonisme y venait de faire explosion ; il fut enveloppé dans ce grand et singulier mouvement qui prenait alors tant de jeunes intelligences par l'attrait du dogme de la perfectibilité du genre humain. L'école, cependant, prétendit devenir une église ; Jean Reynaud ne la suivit pas ; il quitta le saint-simonisme pour la démocratie ; il tâcha de reconstituer un groupe et un centre d'action intellectuelle avec les amis qui s'en étaient séparés en même temps que lui. Pierre Leroux, Carnot et lui reprirent des mains de Julien (de Paris) la Revue Encyclopédique ; ce fut là que Pierre Leroux publia son remarquable Essai sur la doctrine du progrès continu, et Jean Reynaud le morceau si frappant de l'Infinité des cieux, germe de son grand livre de Terre et Ciel. Il fonda ensuite avec Pierre Leroux l'Encyclopédie Nouvelle, œuvre immense qui est restée inachevée. Le 24 février enleva le philosophe à ses paisibles travaux pour le jeter dans la politique active. Président de la commission des hautes études scientifiques et littéraires, puis sous-secrétaire d'État au ministère de l'Instruction publique, il élabora avec le ministre Carnot, un de ses plus anciens et de ses plus constants amis, des plans destinés à mettre l'instruction publique au niveau des institutions démocratiques. De l'Instruction publique transféré au Conseil d'État, Jean Reynaud y prit rapidement une autorité qui procédait de son caractère autant que de ses lumières, et, si court qu'y ait été son passage, il y laissa dans la mémoire des hommes spéciaux les plus éminents une impression ineffaçable. »

De tous les écrits de Jean Reynaud, celui qui a le plus contribué à sa popularité, c'est sans contredit son livre de Terre et Ciel, quoique la forme abstraite du langage ne le mette pas à la portée de tout le monde ; mais la profondeur des idées et la logique des déductions l'ont fait apprécier de tous les penseurs sérieux, et ont placé l'auteur au premier rang des philosophes spiritualistes. Cet ouvrage parut à l'Église un danger pour l'orthodoxie de la foi ; il fut en conséquence condamné et mis à l'Index par la cour de Rome, ce qui accrut encore le crédit dont il jouissait déjà et le fit rechercher avec plus d'avidité. A l'époque où parut cet ouvrage, vers 1840, il n'était point encore question des Esprits, et cependant Jean Reynaud semble avoir eu, comme du reste beaucoup d'autres écrivains modernes, l'intuition et le pressentiment du Spiritisme dont il a été un des plus éloquents précurseurs. Comme Charles Fourier il admet le progrès indéfini de l'âme, et, comme conséquence de ce progrès, la nécessité de la pluralité des existences démontrée par les divers états de l'homme sur la terre.

Jean Reynaud n'avait rien vu ; il avait tout puisé dans sa profonde intuition. Le Spiritisme a vu ce que le philosophe n'avait fait que pressentir ; il ajoute ainsi la sanction de l'expérience à la théorie purement spéculative, et l'expérience lui a naturellement fait découvrir des points de détail que l'imagination seule ne pouvait entrevoir, mais qui viennent compléter et corroborer les points fondamentaux. Comme toutes les grandes idées qui ont révolutionné le monde, le Spiritisme n'est point éclos subitement ; il a germé dans plus d'un cerveau, s'est montré, çà et là, petit à petit, comme pour habituer les hommes à cette idée ; une brusque apparition complète eût rencontré une trop vive résistance : elle eût ébloui sans convaincre. Chaque chose d'ailleurs doit venir en son temps, et toute plante doit germer et croître avant d'atteindre son entier développement. Il en est de même en politique ; il n'est aucune révolution qui n'ait été élaborée de longue main, et quiconque, guidé par l'expérience et l'étude du passé, suit attentivement ces préliminaires, peut, presque à coup sûr, sans être prophète, en prévoir le dénouement. C'est ainsi que les principes du Spiritisme moderne se sont montrés partiellement et sous différentes faces à plusieurs époques : au siècle dernier, dans Swedenborg ; au commencement de ce siècle, dans la doctrine des théosophes, qui admettaient clairement les communications entre le monde visible et le monde invisible ; dans Charles Fourier, qui admet le progrès de l'âme par la réincarnation ; dans Jean Reynaud, qui admet le même principe, en sondant l'infini, la science à la main ; il y a une douzaine d'années, dans les manifestations américaines qui ont eu un si grand retentissement et sont venues prouver les rapports matériels entre les morts et les vivants, et, finalement, dans la philosophie spirite, qui a réuni ces divers éléments en corps de doctrine et en a déduit les conséquences morales. Qui eût dit, alors qu'on s'occupait des tables tournantes, que de cet amusement sortirait toute une philosophie ? Quand cette philosophie parut, qui eût dit qu'en quelques années elle ferait le tour du monde et conquerrait des millions d'adhérents ? Aujourd'hui, qui pourrait affirmer qu'elle a dit son dernier mot ? Non certes, elle ne l'a pas dit ; si les bases fondamentales en sont établies, il est encore beaucoup de points de détail à élucider et qui viendront à leur tour ; puis, plus on avance, plus on voit combien sont multiples les intérêts auxquels elle touche, car on peut dire, sans exagération, qu'elle touche à toutes les questions de l'ordre social ; l'avenir seul peut donc en développer toutes les conséquences, ou, pour mieux dire, ces conséquences se dérouleront d'elles-mêmes par la force des choses, parce qu'on trouve dans le Spiritisme ce qu'on a inutilement cherché ailleurs ; par cela même on sera conduit à reconnaître que seul il peut combler le vide moral qui se fait chaque jour autour de l'homme, vide qui menace la société elle-même dans sa base, et dont on commence à s'effrayer. A un moment donné le Spiritisme sera l'ancre de salut ; mais il ne fallait pas attendre ce moment pour jeter la corde de sauvetage, de même qu'on n'attend pas le moment où l'on a besoin de la récolte pour semer. La Providence, dans sa sagesse, prépare les choses de longue main ; c'est pourquoi l'idée mère a eu, comme nous l'avons dit, de nombreux précurseurs qui ont frayé la voie et préparé le terrain à recevoir la semence, les uns dans un sens, les autres dans un autre, et l'on reconnaîtra un jour par quels fils nombreux toutes ces idées partielles se relient à l'idée fondamentale ; or, chacune de ces idées ayant eu ses partisans, il en résulte chez ceux-ci une prédisposition toute naturelle à accepter le complément de l'idée, chacune de ces théories ayant défriché une portion du terrain ; là, sans contredit, est une des causes de cette propagation qui tient du prodige, et dont l'histoire des doctrines philosophiques n'offre aucun exemple ; déjà les adversaires s'étonnent de la résistance qu'il présente à leurs attaques ; plus tard ils devront céder devant la puissance de l'opinion.

Parmi les précurseurs du Spiritisme, il faut encore placer une foule d'écrivains contemporains dont les œuvres sont semées, peut-être à leur insu, d'idées spirites. Il y aurait des volumes à faire si l'on voulait recueillir les innombrables passages où il est fait une allusion plus ou moins directe à la préexistence et à la survivance de l'âme, à sa présence parmi les vivants, à ses manifestations, à ses pérégrinations à travers les mondes progressifs, à la pluralité des existences, etc. En admettant que cela ne soit, de la part de certains auteurs, qu'un jeu de l'imagination, l'idée ne s'en infiltre pas moins dans l'esprit des masses où elle demeure latente jusqu'au moment où elle sera démontrée comme une vérité. Est-il une pensée plus spirite que celle que renferme la lettre de M. Victor Hugo sur la mort de madame Lamartine, et que la plupart des journaux ont acclamée avec enthousiasme, même ceux qui glosent le plus sur la croyance aux Esprits ? Voici cette lettre, qui en dit beaucoup en quelques lignes :



« Hauteville-House, 23 mai.

Cher Lamartine,

Un grand malheur vous frappe ; j'ai besoin de mettre mon cœur près du vôtre. Je vénérais celle que vous aimiez. Votre haut esprit voit au delà de l'horizon ; vous apercevez distinctement la vie future.

Ce n'est pas à vous qu'il est besoin de dire : Espérez. Vous êtes de ceux qui savent et qui attendent.

Elle est toujours votre compagne, invisible, mais présente. Vous avez perdu la femme, mais non l'âme. Cher ami, vivons dans les morts.

Victor Hugo. »



Ce ne sont pas seulement des écrivains isolés qui sèment çà et là quelques idées, c'est la science elle-même qui vient préparer les voies. Le magnétisme a été le premier pas vers la connaissance de l'action périspritale, source de tous les phénomènes spirites ; le somnambulisme a été la première manifestation de l'isolement de l'âme. La phrénologie a prouvé que l'organisme cérébral est un clavier au service du principe intelligent pour l'expression des diverses facultés ; contrairement à l'intention de Gall, son fondateur, qui l'était matérialiste, elle a servi à prouver l'indépendance de l'Esprit et de la matière. L'homéopathie, en prouvant la puissance d'action de la matière spiritualisée, se lie au rôle important que joue le périsprit dans certaines affections ; elle attaque le mal à sa source même qui est en dehors de l'organisme dont l'altération n'est que consécutive. Telle est la raison pour laquelle l'homéopathie triomphe dans une foule de cas où échoue la médecine ordinaire : plus que celle-ci, elle tient compte de l'élément spiritualiste, si prépondérant dans l'économie, ce qui explique la facilité avec laquelle les médecins homéopathes acceptent le Spiritisme, et pourquoi la majeure partie des médecins spirites appartiennent à l'école d'Hahnemann. Il n'est pas enfin jusqu'aux récentes découvertes sur les propriétés de l'électricité qui ne soient venues apporter leur contingent dans la question qui nous occupe en jetant leur part de lumière sur ce qu'on pourrait appeler la physiologie des Esprits.

Nous n'en finirions plus si nous voulions analyser toutes les circonstances, petites ou grandes, qui depuis un demi-siècle sont venues frayer la route à la philosophie nouvelle ; nous verrions les doctrines les plus contradictoires provoquer au développement de l'idée, les évènements politiques eux-mêmes préparer son introduction dans la vie pratique ; mais de toutes ces causes, la plus prépondérante, c'est l'Église qui semble prédestinée à y pousser fatalement.

Tout lui vient en aide, et si l'on connaissait l'innombrable quantité de documents qui nous arrivent de toutes parts ; si l'on pouvait suivre comme nous sommes à même de le faire, cette marche providentielle à travers le monde, favorisée par les événements les moins attendus, et qui, au premier abord, sembleraient y être contraires, on comprendrait mieux encore combien elle est irrésistible, et l'on s'étonnerait moins de notre impassibilité ; c'est que nous voyons tout le monde y travailler, de gré ou de force, volontairement ou involontairement ; c'est que nous voyons le but, et que nous savons quand et comment il sera atteint ; nous voyons l'ensemble qui avance, c'est pourquoi nous nous inquiétons peu de quelques individualités qui vont de travers.

Jean Reynaud fut donc un précurseur du Spiritisme par ses écrits ; lui aussi avait sa mission providentielle et devait creuser un sillon ; il lui sera encore utile après sa mort. Un éminent Esprit a donné l'appréciation suivante sur cet évènement :

« Encore une circonstance qui va tourner au profit du Spiritisme. Jean Reynaud avait accompli ce qu'il devait faire dans cette dernière existence ; on va parler de sa mort, de sa vie, et plus que jamais de ses œuvres ; or, parler de ses œuvres, c'est mettre un pied dans la voie du Spiritisme. Bien des intelligences apprendront notre croyance, en voulant étudier ce philosophe qui fait autorité ; on comparera, et l'on verra que vous n'êtes pas si fous que le prétendent ceux qui rient de vous et de votre foi. Tout ce que fait Dieu est bien fait, croyez-moi. Il sera loué par vos détracteurs eux-mêmes, et vous savez que ce sont eux qui, sans le vouloir, travaillent le plus à vous faire des adeptes. Laissez faire, laissez crier, tout sera selon la volonté de Dieu. Encore un peu de patience, et l'élite des hommes d'intelligence et de savoir se ralliera à vous, et devant certaines adhésions ostensibles, la critique devra baisser la voix. «

Saint Augustin. »


Nota. – Voir ci après, aux dissertations, quelques communications de Jean Reynaud.



Extrait du Voyage en Orient, par M. de Lamartine

« Oh ! pour cela, lui dis-je, c'est une autre question. Nul plus que moi ne souffre et ne gémit du gémissement universel de la nature, des hommes et des sociétés. Nul ne confesse plus haut les énormes abus sociaux, politiques et religieux. Nul ne désire et n'espère davantage une réparation à ces maux intolérables de l'humanité. Nul n'est plus convaincu que ce réparateur ne peut être que divin ! Si vous appelez cela attendre un messie, je l'attends comme vous, et plus que vous je soupire après sa prochaine apparition ; comme vous et plus que vous je vois dans les croyances ébranlées de l'homme, dans le tumulte de ses idées, dans le vide de son cœur, dans la dépravation de son état social, dans les tremblements répétés de ses institutions politiques, tous les symptômes d'un bouleversement, et par conséquent d'un renouvellement prochain et imminent. Je crois que Dieu se montre toujours au moment précis où tout ce qui est humain est insuffisant, où l'homme confesse qu'il ne peut rien pour lui-même. Le monde en est là. Je crois donc à un messie ; je ne vois pas le Christ qui n'a rien de plus à nous donner en sagesse, en vertu et en vérité ; je vois celui que le Christ a annoncé devoir venir après lui : cet Esprit-Saint toujours agissant, toujours assistant l'homme, toujours lui révélant, selon les temps et les besoins, ce qu'il doit faire et savoir. Que cet Esprit divin s'incarne dans un homme ou dans une doctrine, dans un fait ou dans une idée, peu importe, c'est toujours lui, homme ou doctrine, fait ou idée. Je crois en lui, j'espère en lui et je l'attends, et plus que vous, milady, je l'invoque ! Vous voyez donc que nous pouvons nous entendre et que nos étoiles ne sont pas si divergentes que cette conversation a pu vous le faire penser. » (1er vol., page 176.)

« L'imagination de l'homme est plus vraie qu'on ne le pense ; elle ne bâtit pas toujours avec des rêves, mais elle procède par des assimilations instinctives de choses et d'images qui lui donnent des résultats plus sûrs et plus évidents que la science et la logique. Excepté les vallées du Liban, les ruines de Balbek, les rives du Bosphore à Constantinople, et le premier aspect de Damas, du haut de l'Anti-Liban, je n'ai jamais rencontré un lieu, une chose dont la première vue ne fût pour moi comme un souvenir !

Avons-nous vécu deux fois ou mille fois ? Notre mémoire n'est-elle qu'une glace ternie que le souffle de Dieu ravive ? ou bien avons-nous dans notre imagination la puissance de pressentir et de voir avant que nous voyions réellement ? Questions insolubles ! » (1er vol., page 327.)



Remarque. – Dans notre précédent article sur les précurseurs du Spiritisme, nous avons dit qu'on trouve dans maints auteurs les éléments épars de cette doctrine ; les fragments ci-dessus sont trop clairs pour qu'il soit nécessaire d'en faire ressortir l'à-propos.

De ce que des hommes, comme M. Lamartine et autres, émettent, dans leurs écrits, des idées spirites, s'ensuit-il qu'ils adoptent franchement le Spiritisme ? Non ; pour la plupart ils ne l'ont pas étudié, ou s'ils l'ont fait ils n'osent attacher leur nom connu à un nouveau drapeau. Leur conviction, d'ailleurs, n'est que partielle, et l'idée n'est souvent pour eux qu'un éclair qui part d'une intuition vague non formulée, non arrêtée dans leur esprit ; ils peuvent donc reculer devant un ensemble dont certaines parties peuvent les offusquer, les effrayer même ; pour nous, ce n'en est pas moins l'indice du pressentiment de l'idée générale qui germe partiellement dans les cerveaux d'élite, et cela suffit pour prouver à certains adversaires que ces idées ne sont pas aussi dépourvues de sens qu'ils le prétendent, puisqu'elles sont partagées par les hommes mêmes dont ils reconnaissent la supériorité. En réunissant et en coordonnant les idées partielles de chacun, on arriverait certainement à constituer la doctrine spirite complète d'après les hommes les plus éminents et les plus accrédités.

Nous remercions notre abonné de Joinville qui a eu l'obligeance de nous transmettre les deux passages précités, et nous serons toujours très reconnaissant envers les personnes qui voudront bien, comme lui, nous faire part du fruit de leurs lectures.

Nota. – Nous saisissons cette occasion pour remercier la personne qui nous a adressé une brochure intitulée : Dissertation sur le déluge. Cet envoi n'étant accompagné d'aucune lettre, nous ne pouvons la remercier directement. Un coup d'œil jeté sur cette brochure nous a convaincu que le système fort original de l'auteur est en contradiction avec les données les plus vulgaires et les plus positives de la science géologique, qui, quoi qu'il en dise, ont bien leur valeur. Il serait donc facile de réfuter sa théorie par des observations au moins aussi rigoureuses que les siennes.

Par Hippolyte Renaud, ancien élève de l'École polytechnique

La Presse du 27 Juillet 1862 donnait le compte rendu suivant de l'ouvrage ci-dessus indiqué. Il se rattache d'une manière trop directe à la doctrine spirite pour que nos lecteurs ne nous sachent pas gré de le reproduire. Nous aurions pu faire nous-même une analyse de cet ouvrage, mais nous préférons celle d'une personne désintéressée dans la question. Nous nous bornerons à la faire suivre de quelques considérations :

Quoi de plus attachant pour l'esprit, dit le rédacteur, et de plus rafraîchissant pour l'âme que de rencontrer à l'heure présente un homme de foi sincère, naïve et profonde, un homme qui croit et pourtant raisonne, et raisonne sans parti pris pour rechercher le vrai à la lumière de sa conscience ? Tel est M. Renaud. Chez lui les mathématiques et la science n'ont pas tué le sentiment et troublé les sources mystérieuses qui nous rattachent à l'infini par la foi. M. Renaud est un croyant ferme, convaincu, même un excellent chrétien, s'il est d'ailleurs un mauvais catholique, ce dont il ne se défend pas, au contraire.

Sa raison éclairée, non moins que son cœur aimant, lui fait repousser bien loin l'idée d'un Dieu vengeur, jaloux et colère, d'un Dieu qui aurait choisi la colère pour lier la créature à son auteur, d'un Dieu qui punit l'enfant pour la faute de son père, chose inique aux regards de la justice humaine.

Le Dieu de M. Renaud est un Dieu de lumière et d'amour. L'harmonie de son œuvre infinie manifeste sa toute-puissance et sa bonté. L'homme n'est point sa victime, mais son collaborateur pour une part minime mais encore glorieuse et proportionnée à ses forces. Alors pourquoi le mal et comment l'expliquer ? Le mal ne vient pas d'une chute primitive qui aurait changé toutes les conditions de la vie humaine, il a pour cause le non-accomplissement de la loi de Dieu et la désobéissance de l'homme mésusant de son libre arbitre. Nous aurions trouvé plus net que M. Renaud nous dît tout simplement que l'homme commence par l'instinct, que ce n'est que graduellement qu'il a pu développer ses sentiments supérieurs et son intelligence. L'homme espèce, comme tous les êtres vivants, ne peut pas tout à coup se saisir de la plénitude de son être. Il parcourt des évolutions successives et normales. Son enfance sociale est caractérisée par la domination des instincts ; de là son ignorance, sa misère et sa brutalité. A mesure qu'il s'élève dans la vie, il se dégage peu à peu du limon des premiers âges. L'intelligence grandit, les sentiments prennent de la force, il commence à s'humaniser. Plus l'homme comprend, plus il se rallie à la loi, plus il devient religieux, et concourt pour sa part à l'harmonie générale. La souffrance est un avertissement, un stimulant pour se délivrer du mal, pour se retirer de l'ombre et marcher vers la lumière. Plus il va et plus il a horreur du monde de l'instinct, de la lutte, de la violence et de la guerre ; plus il voit et comprend, mieux il aspire au monde de la paix et de l'ordre, à l'empire de la raison, au règne des sentiments élevés, qui sont la dignité et le signe sacré de son espèce.

Il résulte de là que, grâce à la science, à l'industrie, au progrès incessant de la sociabilité, le genre humain tend à se constituer comme le roi, ou, si l'on préfère un terme moins ambitieux, comme le gérant de son globe. Mais après, et en admettant pour un moment cette hypothèse qui, à vrai dire, semble devenir plus certaine chaque jour, mais après, il restera toujours à satisfaire ce désir inassouvi de l'homme, qui ne peut s'arrêter et se borner au présent, quelque magnifique qu'il puisse être ?

Que me fait, après tout, votre bonheur matériel et terrestre, s'il me laisse l'âme vide et altérée ? On se sent saisi d'un souverain ennui et d'un grand dégoût en présence d'un tel bonheur qui dure si peu.

Cela est vrai, répond M. Renaud, et c'est ici qu'il triomphe. Illuminé par la science, sa foi robuste dans les destinées éternelles de l'homme lui montre tout un avenir infini d'activité consciente et de joies paradisiaques.

Au premier éveil de sa pensée, aux premiers tressaillements de son âme, l'homme élève son regard vers le ciel, interroge ses profondeurs infinies et cherche quel peut être son lien avec l'univers qu'il entrevoit. Cette existence terrestre, si courte et souvent si triste, ne lui suffit pas. Il sent qu'il participe de l'infini, et à tout prix il veut y trouver place. L'homme a horreur du néant, comme la nature a horreur du vide. Plutôt que de demeurer sans idéal, il se jettera éperdu dans les croyances les plus étranges. De là tant de conceptions paradisiaques plus ou moins folles, mais qui attestent ce besoin absolu et fondamental de se sentir rattaché à l'infini, assuré de l'immortalité.

On connaît le paradis des bouddhistes, les champs Élysées des Grecs, le paradis des sauvages, avec leurs forêts et leurs prairies giboyeuses, le paradis de Mahomet, avec ses délices matérielles et ses houris sans tache. Le paradis catholique, qui place l'humanité dans un état de béatitude contemplative, infinie, est une conception en rapport avec les époques cruelles où le travail est peine et châtiment, où la souffrance générale est telle que la résignation en ce monde et le repos dans l'autre ont pu paraître la souveraine sagesse et idéal le plus élevé. Mais évidemment cette hypothèse est tout à fait contradictoire avec les notions les plus simples et les plus claires de l'existence. Vivre, c'est être ; être, c'est agir avec toutes les puissances de ses facultés et de son énergie vitale. Vivre, c'est aspirer et se transformer sans cesse.

La métempsycose de Pythagore, tout en respectant l'idée d'activité, est incomplète en ce sens qu'elle borne la transformation à des passages dans des organismes vivant à la surface de la terre, et qu'elle ne tient pas compte de la loi du progrès ascendant qui gouverne toute chose.

Selon. M. Renaud, il n'y a qu'une manière rationnelle d'envisager cette question de l'immortalité. L'auteur repousse d'abord cette conception qui, à la suite d'une station dans le monde visible, lieu d'épreuve, placerait l'homme dans le monde invisible, le Paradis, à l'état de béat contemplatif et plus que désintéressé de ses semblables et de son œuvre terrestre. Quels élus et quels vivants que ces êtres dépouillés de tout désir et de toute aspiration, de toute activité féconde, de tout intérêt pour leur passé et leurs semblables, pour l'univers infini où ils ont travaillé, senti et pensé !…

M. Renaud repousse également cette hypothèse d'une suite indéfinie d'existences soit sur la terre, soit dans d'autres globes. Ce genre d'immortalité possède déjà un grand avantage sur la première conception puisqu'il ouvre à l'activité humaine un champ indéfini. MM. Jean Reynaud, Pierre Leroux, Henri Martin, Lamennais, se rallient plus ou moins à cette idée. Mais il est un point capital qui la ruine par la base, c'est l'absence de la mémoire. Que me fait une immortalité dont je n'ai pas conscience et que Dieu seul connaît ? Pour que mon immortalité soit réelle, il faut que dans une vie différente de ma vie actuelle j'aie le souvenir de mes existences antérieures, j'aie conscience de la continuité et de l'identité de mon être. A cette condition seule, je suis véritablement immortel, participant de l'infini et conscient de ma fonction dans l'univers. Nous ne connaissons notre être que par ses manifestations ; son essence virtuelle nous échappe. En quoi répugnerait-il donc à notre raison d'admettre que notre être, dont nous constatons ici-bas la persistance dans ses modifications incessantes, persistât éternellement ? Seulement, il change de forme et d'organes selon le milieu qu'il traverse dans ses incarnations successives.

C'est ainsi que M. Renaud arrive à exposer sa conception, qui satisfait à cette condition essentielle, conserver la mémoire, et, en outre, est conforme à la justice et à la toute-puissante bonté de Dieu.

Dans l'univers il n'y a pas de vide, pas plus qu'il n'y a de néant. Or, si le monde visible est partout, le monde invisible n'est nulle part, dit justement M. Renaud, à moins qu'il ne soit partout aussi.

Sur cette terre, l'homme a deux états bien distincts. Pendant la veille, il se rappelle généralement tous ses actes et a conscience de lui-même ; pendant le sommeil, il perd la mémoire et la conscience. Pourquoi l'homme n'aurait-il pas conséquemment deux modes d'existences distinctes, toujours liées entre elles, toujours unies à la vie de l'espèce et de la planète ? D'abord, l'existence que nous connaissons ici-bas, puis une autre existence d'un ordre plus élevé où l'individu s'organise et s'incarne au moyen des fluides impondérables, participe d'une façon plus large et plus étendue à la vie de notre tourbillon, conserve alors la mémoire de ses existences antérieures et possède pleine conscience de son rôle et de sa fonction dans l'univers ? L'existence mondaine ou visible est en rapport avec le sommeil, l'existence transmondaine ou éthérée est en analogie avec la veille ?

Dans cette hypothèse, la solidarité du genre humain, dans ses générations présentes et futures, nous apparaît complète et entière. Chacun de nous a vécu, vit et vivra aux différentes époques de la vie de l'espèce sur cette terre, et dans son double mode visible et invisible. Chacun de nous y naît et en sort, selon la loi de nombre, poids et mesures qui préside à l'harmonie des mondes. Nos divers alternats sont comptés comme les jours et les saisons. Chacun de nous renaît sur la terre, prend son rang dans l'espèce et sa fonction dans le travail général, conformément à sa valeur et selon la loi de l'ordre universel. Peut-être chacun de nous passe-t-il par les divers états et fonctions que nous présente l'ensemble de l'espèce. A coup sûr la justice la plus absolue préside à ces transformations, comme l'ordre le plus harmonieux éclate dans l'éternelle création, dans les combinaisons variées qui caractérisent tout organisme et tout être vivant. Nous renaissons à la vie éthérée, et nous sortons sous ces mêmes conditions d'ordre et d'harmonie.

Telle est la conception de M. Renaud, que je ne puis exposer ici avec tout le développement convenable. Il faut recourir à son livre, clair, simple, rapide, où une foi profonde, unie à une raison non moins haute qu'impartiale, tient constamment le lecteur sous le charme d'une théorie aussi consolante qu'elle est religieuse et grandiose. La libre spontanéité de l'homme, sa solidarité intime et incessante avec ses semblables, avec son globe, avec son tourbillon, avec l'univers, son activité de plus en plus progressive, efficace, rayonnante, en harmonie avec les lois divines, une carrière infinie pour son éternelle aspiration, la toute-puissance et la bonté de Dieu justifiées, expliquées et glorifiées, l'amour pour lien entre Dieu et l'homme, voilà ce qui ressort de ce petit livre, le plus complet de tous ceux qui ont été écrits sous l'inspiration de cette grande parole : « Les désirs de l'homme sont les promesses de Dieu. »

E. de Pompéry.

Cet article a donné lieu aux deux lettres suivantes, également publiées dans la Presse des 31 juillet et 5 août 1862.

« Paris, ce 29 juillet 1862.

Au rédacteur,

Monsieur,

Je viens de lire dans la Presse d'hier soir le passage suivant (article de M. de Pompéry sur l'ouvrage de M. Renaud) :

M. Renaud repousse l'hypothèse d'une suite indéfinie d'existences, soit sur la terre, soit dans d'autres globes… Hypothèse à laquelle se rallient plus ou moins MM. Jean Reynaud, Pierre Leroux, Henri Martin, Lamennais… Il est un point capital qui la ruine par la base, c'est l'absence de la mémoire. Que me fait une immortalité dont je n'ai pas conscience, et que Dieu seul connaît ? Pour que mon immortalité soit réelle, il faut que, dans une vie différente de ma vie actuelle, j'aie le souvenir de mes existences antérieures, j'aie conscience de la continuité et de l'identité de mon être. »

M. de Pompéry a raison, à mon avis : une métempsycose indéfinie et sans mémoire n'est pas l'immortalité. Mais, s'il a raison quant aux idées, il a tort quant aux personnes. Des quatre écrivains qu'il cite, un seul a professé la doctrine qu'il combat, c'est M. Pierre Leroux, dans son livre de l'Humanité. Pour mon compte, puisqu'il me faut ci comparaître, quoique sans titre à figurer auprès des trois célèbres philosophes, je dois, dire que je n'ai point d'autre opinion que celle que vient d'exprimer ci-dessus M. de Pompéry.

Quant à M. Jean Reynaud, il a fait de cette opinion le couronnement, en quelque sorte, de son livre de Terre et Ciel, où il présente l'absence de mémoire comme la condition des existences inférieures, et la mémoire retrouvée et conservée pour toujours comme un attribut essentiel de la vie d'en haut.

Je ne crois pas non plus que M. Lamennais, à une époque quelconque de sa carrière, ait aucunement paru incliner à l'idée de la transmigration inconsciente et indéfinie ; elle était fort contraire à toutes ces tendances.

Je vous serai reconnaissant monsieur le rédacteur en chef, de vouloir bien accueillir cette réclamation, et vous prie d'agréer mes sentiments les plus distingués.

Henri Martin. »



Au rédacteur,

« Monsieur,

En rendant compte du livre de M. Renaud, j'ai dit, d'après l'auteur, que MM. Henri Martin, Jean Reynaud, Pierre Leroux et Lamennais ne pouvaient, selon les systèmes adoptés par eux, conserver à l'homme la mémoire dans ses existences ultérieures. Ceci n'implique point qu'il ne fût pas dans la pensée de ces philosophes de conserver à l'homme dans ses existences indéfinies l'identité et la perpétuité de son être au moyen de la mémoire.

La réclamation dé M. Henri Martin serait donc très juste, au point de vue de son intention, je le constate avec plaisir. Reste à savoir maintenant si M. Renaud, discutant les systèmes de ses illustres contradicteurs, n'a pas raison de conclure à leur impuissance. Là est toute la question, dans laquelle je ne puis entrer à cette place. Il faut voir le débat dans le livre de M. Renaud, qui témoigne d'ailleurs la plus haute sympathie pour ces hommes éminents.

Veuillez agréer, etc.

E. de Pompéry. »



Voilà donc un débat sérieusement engagé dans un journal, sans sottes et plates plaisanteries, sur la question de la pluralité des existences, une des bases fondamentales de la doctrine spirite, par des hommes dont la valeur intellectuelle ne saurait être contestée, ce qui prouve qu'elle n'est pas aussi saugrenue qu'il plaît à quelques-uns de le dire. Si l'on veut bien approfondir les idées émises dans l'article de M. de Pompéry, on y trouvera toutes celles de la doctrine spirite sur ce point ; il n'y manque, pour les compléter, que les rapports du monde visible et du monde invisible, dont il n'est pas question. Par la seule force du raisonnement et de l'intuition, ces messieurs, auxquels on aurait pu en ajouter bien d'autres, tels que Charles Fourier et Louis Jourdan, sont arrivés au point culminant du Spiritisme sans avoir passé par la filière intermédiaire. La seule différence entre eux et nous, c'est qu'ils ont trouvé la chose par eux-mêmes, tandis qu'à nous elle a été révélée par les Esprits, et, aux yeux de certaines gens, c'est là son plus grand tort.

Le fait suivant nous est transmis par M. A. Superchi, de Parme, membre honoraire de la Société spirite de Paris.

« Dans notre séance du 23 avril dernier, je fis mettre au médium la main sur le papier sans évoquer aucun Esprit. Aussitôt que sa main commença à se mouvoir, il sentit une force inconnue qui le contraignit à tenir l'index soulevé et roide, dans une position tout à fait anormale ; le doigt était singulièrement refroidi. Ne pouvant me rendre raison d'une semblable étrangeté, j'en demandai l'explication à l'Esprit. Il répondit : « Oublieux que vous êtes, ne vous souvenez-vous pas de celui qui, de son vivant, écrivait de telle façon ? J'ai roidi ce doigt pour vous donner une preuve de notre authenticité et de notre pouvoir. » C'était l'Esprit d'un frère du médium, mort depuis plus de vingt ans à Florence. Il s'était blessé au doigt en cassant une bouteille, tandis qu'il en versait le contenu, de telle sorte que le doigt était resté ankylosé. Ci-joint un dessin représentant la position de la main du médium.

Un autre médium, dépité par une mystification méritée, s'efforçait de prouver que les phénomènes provenaient de notre propre esprit concentré de je ne sais quelle façon. Tout en causant, un jour, il prit machinalement un crayon pour dessiner quelques lignes en jouant ; mais sa main resta immobile malgré tous ses efforts pour s'en servir. A la fin elle se mit en mouvement et écrivit ces mots : « Quand je ne voudrai pas, tu ne pourras jamais rien écrire. » Surpris, mais en même temps blessé dans son amour-propre, il reprit le crayon, en disant qu'il ne voulait pas écrire, et qu'il verrait bien ainsi si ce soi-disant Esprit aurait la puissance de le faire aller. Malgré sa résolution, sa main s'ébranla rapidement et écrivit : « Quand je voudrai, tu ne pourras pas ne pas écrire. »

Dans les deux faits ci-dessus, l'action de l'Esprit sur les organes est, comme on le voit, tout à fait indépendante de la volonté ; on conçoit dès lors qu'elle peut s'exercer spontanément, abstraction faite de toute notion du Spiritisme ; c'est, en effet, ce que prouvent maintes observations ; ici elle a lieu sur un doigt, ailleurs ce sera sur un autre organe, et pourra se traduire par d'autres effets. Cette action, temporaire en cette circonstance, pourrait acquérir une certaine durée et présenter une apparence pathologique qui n'existerait pas en réalité, et contre laquelle la thérapeutique ordinaire serait impuissante.

Ce phénomène, considéré au point de vue des manifestations spirites, offre une preuve remarquable d'identité. L'Esprit, en tant qu'Esprit, n'a incontestablement pas le doigt ankylosé, mais à un médium voyant il se serait présenté avec cette infirmité pour se faire reconnaître ; à celui-ci qui n'était pas voyant, il communique momentanément son infirmité ; c'est encore là une preuve évidente que l'Esprit s'identifie avec le médium et se sert du corps de celui-ci comme il se servait du sien propre. Que cette action soit produite par un Esprit malveillant, qu'elle acquière une certaine durée, qu'elle affecte des formes plus caractérisées et plus excentriques, et l'on aura l'explication de la plupart des cas de subjugation corporelle que l'on prend pour de la folie.

Le fait suivant, d'une nature analogue, nous est rapporté par un membre de la Société de Paris qui en a été témoin dans une ville de province.

« J'ai vu, dit-il, un médium très singulier ; c'est une dame jeune encore qui demande à son Esprit familier de lui paralyser la langue, par exemple, et aussitôt elle ne peut plus parler qu'à la manière d'un muet qui s'efforce de se faire comprendre. A sa prière, il fait adhérer ses mains l'une contre l'autre de telle façon qu'il devient impossible de les disjoindre ; il la cloue sur sa chaise jusqu'à ce qu'elle prie l'Esprit de lui rendre sa liberté. Je priai l'Esprit de l'endormir instantanément, ce qu'il fit : le médium s'endormit pour la première fois, presque de suite, sans le concours de personne. Ce fut dans cet état que je crus reconnaître la nature de cet Esprit, qui me parut obsesseur, car lorsque cette dame souffrait, ou du moins était très agitée pendant son sommeil, si je voulais lui faire quelques passes magnétiques pour la calmer, l'Esprit la faisait me repousser très durement. Je conseillai à cette dame de ne pas répéter trop souvent ces expériences. »

Quant à nous, nous lui conseillons de s'en abstenir totalement, car elles pourraient lui jouer un mauvais tour. Il est évident qu'un bon Esprit ne peut se prêter à de pareilles choses ; en faire un jeu, c'est se mettre volontairement sous une funeste dépendance, moralement et physiquement, et Dieu sait où cela s'arrêterait ; il pourrait en résulter pour elle quelque terrible subjugation corporelle dont il lui serait bien difficile ensuite, sinon impossible, de se débarrasser. C'est déjà bien assez que ces accidents arrivent spontanément, sans y donner lieu en les provoquant à plaisir, et pour satisfaire une vaine curiosité. De telles expériences sont sans aucune utilité pour l'amélioration morale, et peuvent avoir les plus graves inconvénients ; puis on s'en prendrait au Spiritisme, tandis qu'il ne faudrait accuser que l'imprévoyance ou l'orgueil de ceux qui se croient capables de mener à leur gré les mauvais Esprits ; ce n'est jamais impunément qu'on se fait fort de les braver. Nous n'affirmons pas que l'Esprit en question soit foncièrement mauvais, mais ce qui est certain, c'est qu'il ne peut être élevé ni même foncièrement bon, et qu'il est toujours dangereux de se soumettre à une pareille subordination, dont le moindre inconvénient serait la neutralisation du libre arbitre. En donnant accès aux Esprits de cette espèce, on se pénètre de leurs fluides, nécessairement réfractaires aux influences des bons Esprits, qui s'éloignent si on ne s'efforce de les attirer à soi, en cherchant dans le Spiritisme les moyens de s'améliorer. Le périsprit, une fois pénétré par un fluide malfaisant, est comme un vêtement imprégné d'une odeur acre que les plus délicieux parfums ne peuvent faire disparaître.

La revue hebdomadaire du Siècle du 12 juillet 1863 contenait le paragraphe suivant :

« En dehors de ces questions importantes, il en est d'un tout autre ordre et qu'il ne faut pas non plus négliger, entre autres la question si vivante des spectres. Avez-vous vu les spectres ? Depuis une huitaine de jours le spectre est le seul sujet qui égaye un peu la conversation. Aussi chaque théâtre a-t-il ses spectres, spectres d'honnêtes gredins qui ont volé, pillé, assassiné, et qui reviennent, ombres impalpables, se promener à l'heure de minuit dans le cinquième acte d'un drame fortement charpenté. Ce secret du spectre ou, pour parler le langage des coulisses, ce truc, payé, dit-on, si cher à un Anglais, est d'une simplicité tellement élémentaire que tous les théâtres ont eu leurs spectres le même jour, celui-ci renchérissant sur celui-là ; puis du théâtre le spectre a passé au salon, où il fait les beaux soirs des messieurs et des dames, piqués comme d'une tarentule de cette aimable spectromanie. Voilà un divertissement qui arrive à point pour expliquer bien des prodiges, et je veux surtout parler des prodiges du Spiritisme. On a beaucoup parlé de ces Spirites qui évoquent les morts et les montrent en petit comité à des croyants terrifiés ; on peut, à l'aide d'un simple truc, faire la même besogne sans passer pour un grand sorcier. Cette évocation générale des spectres porte un coup funeste au merveilleux, aujourd'hui qu'il est prouvé qu'il n'est pas plus difficile de faire paraître des fantômes que des personnes en chair et en os. Le célèbre M. Home lui-même a déjà dû baisser de soixante et quinze pour cent dans l'estime de ses nombreuses admiratrices.

L'idéal tombe en poudre au toucher du réel. Le réel, c'est le truc.

Edmond Texier. »



Nous avions raison de dire qu'à propos de ce nouveau procédé fantasmagorique, les journaux ne manqueraient pas de parler du Spiritisme ; déjà l'Indépendance belge s'était aussi frotté les mains en s'écriant : Comment les Spirites vont-ils se tirer de là ? Nous dirons simplement à ces messieurs de s'informer comment se porte le Spiritisme. Ce qui ressort le plus clairement de ces articles, c'est, comme toujours, la preuve de l'ignorance la plus absolue du sujet qu'ils attaquent. Il faut en effet n'en pas savoir le premier mot, pour croire que les Spirites se réunissent pour faire apparaître des fantômes ; or, ce qui est le plus singulier, c'est que nous n'en avons jamais vu, pas même ceux des théâtres, quoique, au dire de ces messieurs, nous soyons grandement intéressé dans la question.

M. Robin, le prestidigitateur cité dans notre précédent article du mois de juillet, va plus loin : ce n'est pas seulement l'espiritisme qu'il prétend démolir, c'est la Bible elle-même ; dans son allocution quotidienne à ses spectateurs, il affirme que l'apparition de Samuel à Saül eut lieu par le même procédé que le sien. Nous ne pensions pas que la science de l'optique fût aussi avancée à cette époque, chez les Hébreux, qui ne passaient pas pour très savants. A ce compte-là, c'est sans doute aussi au moyen de quelque truc que Jésus apparut à ses disciples.

Les faux spectres ne produisant pas le résultat espéré, nous verrons sans doute bientôt surgir quelque nouveau stratagème. Ils auront leur temps, comme tout ce qui n'a pour résultat que de satisfaire la curiosité ; ce temps sera peut-être plus court qu'on ne croit, car on se lasse vite de ce qui ne laisse rien dans l'esprit. Les théâtres feront donc bien d'en profiter pendant qu'ils ont le privilège d'attirer la foule par l'attrait de la nouveauté. Leur apparition aura toujours eu l'avantage de faire parler du Spiritisme et d'en répandre l'idée ; c'était un moyen comme un autre d'exciter beaucoup de personnes à s'enquérir de la vérité.

Que dirons-nous du feuilleton de M. Oscar Comettant sur le livre de M. Home, publié dans le Siècle du 15 juillet 1863 ? Rien, sinon que c'est la meilleure des réclames pour faire vendre l'ouvrage, et dont profitera le Spiritisme. Il est utile que de temps en temps il y ait de ces coups de fouet pour réveiller l'attention des indifférents. Si l'article n'est ni spirite, ni spiritualiste, est-il au moins spirituel ? Nous laissons à d'autres le soin de prononcer.

Il y a pourtant quelque chose de bon dans cet article, c'est que l'auteur, à l'exemple de plusieurs de ses confrères, tombe à bras raccourci sur ceux qui font métier de la faculté médianimique ; il blâme avec une juste sévérité les abus qui en résultent, et par là contribue à les discréditer, ce dont le Spiritisme sérieux ne saurait se plaindre, puisque lui-même répudie toute exploitation de ce genre comme indigne du caractère exclusivement moral du Spiritisme, et comme une atteinte au respect que l'on doit aux morts. M. Comettant a le tort de généraliser ce qui serait tout au plus une très rare exception, et surtout d'assimiler les médiums aux jongleurs, aux tireurs de cartes, aux diseurs de bonne aventure, aux saltimbanques, parce qu'il a vu des saltimbanques prendre le nom de médiums, comme on voit des charlatans se dire médecins. Il paraît ignorer qu'il y a des médiums parmi les membres des familles du rang le plus élevé, qu'il y en a même chez certains écrivains renommés, tenus en grande estime par lui et ses amis ; qu'il est de notoriété que madame Émile de Girardin était un excellent médium ; nous serions curieux de savoir s'il oserait leur dire en face qu'ils sont des faiseurs de dupes.

Si ceux qui parlent ainsi s'étaient donné la peine d'étudier avant de parler, ils sauraient que l'exercice de la médiumnité exige un profond recueillement incompatible avec la légèreté de caractère et la cohue des curieux, et qu'on ne doit rien attendre de sérieux dans les réunions publiques. Le Spiritisme désapprouve toute expérience de pure curiosité, faite en vue d'un amusement, parce qu'on ne doit pas s'amuser avec ces choses-là. Les Esprits, c'est-à-dire les âmes de ceux qui ont quitté la terre, de nos parents et de nos amis, ce qui n'a rien de plaisant, viennent nous instruire, nous moraliser, et non pour égayer les oisifs ; ils ne viennent ni prédire l'avenir, ni découvrir les secrets et les trésors cachés ; ils viennent nous apprendre qu'il y a une autre vie, et comment il faut se conduire pour y être heureux, ce qui est peu récréatif pour certaines gens. Si l'on ne croit pas à l'âme et à la survivance de ceux qui nous furent chers, il est toujours déplacé de tourner cette croyance en dérision, ne fût-ce que par respect pour leur mémoire. Le Spiritisme nous apprend encore que les Esprits ne sont aux ordres de personne ; qu'ils viennent quand ils veulent et avec qui ils veulent ; que quiconque prétendrait les avoir à sa disposition et les gouverner à son gré, peut, à bon droit passer pour un ignorant ou un charlatan ; qu'il est illogique autant qu'irrévérencieux d'admettre que les Esprits sérieux soient au caprice du premier venu qui prétend les évoquer à toute heure et à tant la séance pour leur faire jouer un rôle de comparse ; qu'il y a même un sentiment instinctif de répugnance attaché à l'idée que l'âme de l'être que l'on pleure vienne à prix d'argent. D'un autre côté, il est de principe consacré par l'expérience que les Esprits ne se communiquent ni facilement ni volontiers par certains médiums, que parmi ces derniers il en est de tout à fait répulsifs à certains Esprits, ce que l'on comprend facilement quand on connaît la manière dont s'opère la communication, par l'assimilation des fluides. Il peut donc y avoir entre l'Esprit et le médium attraction ou répulsion, selon le degré d'affinité sympathique. La sympathie est fondée sur les similitudes morales et l'affection ; or, quelle sympathie l'Esprit peut-il avoir pour un médium qui ne l'appelle que pour de l'argent ? On dira peut-être que l'Esprit vient pour la personne qui le demande et non pour le médium, qui n'est qu'un instrument. D'accord, mais il n'en faut pas moins chez celui-ci les conditions fluidiques nécessaires, essentiellement modifiées par les sentiments moraux et par les rapports personnels d'Esprit à médium ; c'est pourquoi il n'est pas un médium qui puisse se flatter de communiquer indistinctement avec tous les Esprits, difficulté capitale pour celui qui voudrait les exploiter. Voilà ce que nous apprendrons à M. Comettant, puisqu'il ne le sait pas, et ce qui détruit les assimilations qu'il prétend établir. La médiumnité réelle est une faculté précieuse qui acquiert d'autant plus de valeur qu'elle est employée pour le bien, et qu'elle est exercée religieusement et avec un complet désintéressement moral et matériel. Quant à la médiumnité simulée, ou abusive en quoi que ce soit, nous la livrons à toutes les sévérités de la critique, et c'est ignorer les principes les plus élémentaires du Spiritisme de croire qu'il s'en constitue le défenseur, et que la répression légale d'un abus, si elle avait lieu, fût un échec ; aucune répression ne saurait atteindre les médiums qui ne feront point profession de leur faculté et ne s'écarteront point de la voie morale qui leur est tracée par la doctrine. Les armes que les abus fournissent aux détracteurs, toujours ardents à saisir les occasions de blâme, à les inventer même quand elles n'existent pas, font encore mieux ressortir, aux yeux des Spirites sincères, la nécessité de montrer qu'il n'y a aucune solidarité entre la vraie doctrine et ceux qui la parodient.



Questions et problèmes

Une lettre de Locarno contient le passage suivant :

« … Pour moi le doute serait impossible, puisque j'ai une fille très bon médium, et que mon fils lui-même écrit ; mais, hélas ! il a eu de si cruelles mystifications que son découragement m'a un peu gagné, sans ébranler pourtant notre croyance si pure et si consolante, malgré les chagrins que l'on éprouve quand on se voit trompé par des réponses décevantes. Pourquoi donc Dieu permet-il que ceux qui ont de bonnes intentions soient ainsi trompés par ceux qui devraient les éclairer ?… »

Réponse. – Le monde corporel se déversant dans le monde spirite par la mort, et le monde spirite se déversant dans le monde corporel par l'incarnation, il en résulte que la population normale de l'espace qui environne la terre se compose des Esprits provenant de l'humanité terrestre ; cette humanité, étant une des plus imparfaites, ne peut donner que des produits imparfaits ; c'est la raison pour laquelle les mauvais Esprits pullulent autour d'elle. Par la même raison, dans les mondes plus avancés, dans ceux où le bien règne sans partage, il n'y a que de bons Esprits. Ceci étant admis, on comprendra que l'immixtion si fréquente des mauvais Esprits dans les rapports médianimiques est inhérente à l'infériorité de notre globe ; on y court risque d'être dupe des Esprits trompeurs, comme dans un pays de voleurs on court risque d'être volé. Ne pourrait-on aussi demander pourquoi Dieu permet que les honnêtes gens soient dépouillés par les fripons, victimes de la malveillance, en butte à toutes sortes de misères ? Demandez plutôt pourquoi vous êtes sur cette terre, et il vous sera répondu que c'est parce que vous n'avez pas mérité un meilleur séjour, sauf les Esprits qui y sont en mission ; il faut donc en subir les conséquences et faire ses efforts pour en sortir le plus tôt possible. En attendant il faut s'efforcer de se préserver des atteintes des mauvais Esprits, ce à quoi on n'arrive qu'en leur fermant toutes les issues qui pourraient leur donner accès dans notre âme, en leur imposant par la supériorité morale, le courage, la persévérance et une foi inébranlable dans la protection de Dieu et des bons Esprits, dans l'avenir qui est tout, tandis que le présent n'est rien. Mais comme nul n'est parfait sur terre, nul ne peut se flatter, sans orgueil, d'être à l'abri de leurs malices d'une manière absolue. La pureté des intentions est beaucoup sans doute ; c'est la route qui conduit à la perfection, mais elle n'est pas la perfection, et il peut y avoir encore au fond de l'âme quelque vieux levain ; c'est pourquoi il n'est pas un seul médium qui n'ait été plus ou moins trompé.

La simple raison nous dit que les bons Esprits ne peuvent faire que le bien, autrement ils ne seraient pas bons, et que le mal ne peut venir que des Esprits imparfaits ; donc les mystifications ne peuvent être le fait que d'Esprits légers ou menteurs qui abusent de la crédulité, et souvent exploitent l'orgueil, la vanité ou d'autres passions. Ces mystifications ont pour but de mettre à l'épreuve la persévérance, la fermeté dans la foi, et d'exercer le jugement. Si les bons Esprits les permettent dans certaines occasions, ce n'est pas impuissance de leur part, mais pour nous laisser le mérite de la lutte : l'expérience que l'on acquiert à ses dépens étant la plus profitable ; si le courage fléchit, c'est une preuve de faiblesse qui nous laisse à la merci des mauvais Esprits. Les bons Esprits veillent sur nous, ils nous assistent et nous aident, mais à la condition que nous nous aiderons nous-mêmes. L'homme est sur la terre pour la lutte, il lui faut vaincre pour en sortir, sinon il y reste.

On nous écrit de Saint-Pétersbourg, 1er juillet 1863 :

« … Dans le Livre des Esprits, livre I, chapitre Ier, no 2, j'ai remarqué cette proposition : Tout ce qui est inconnu est infini. Il me semble que beaucoup de choses nous sont inconnues sans pour cela être infinies. Ce mot se trouvant dans toutes les éditions, j'en ai demandé l'explication à mon guide, qui m'a répondu : « Le mot infini est ici une erreur ; il faut indéfini. » Qu'en faut-il penser ?… »

Réponse. Ces deux mots, quoique synonymes par le sens général, ont chacun une acception spéciale. L'Académie les définit ainsi :

Indéfini, dont la fin, les bornes ne sont ou ne peuvent point être déterminées. Temps indéfini Nombre indéfini. Ligne indéfinie. Espace indéfini.

Infini, qui n'a ni commencement ni fin, qui est sans bornes et sans limites. L'espace est infini. Dieu est infini. La miséricorde de Dieu est infinie. Il se dit, par extension, de ce dont on ne peut assigner les bornes, le terme, et, par exagération, tant au sens physique qu'au sens moral, de tout ce qui est très considérable en son genre. Il se dit particulièrement pour innombrable. Une durée infinie. La béatitude infinie des élus. Des astres placés à une distance infinie. Je vous en sais un gré infini. Une infinie variété d'objets. Des peines infinies. Il y a un nombre infini d'auteurs qui ont écrit sur ce sujet.

Il résulte de là que le mot indéfini a un sens plus particulier, et le mot infini un sens plus général ; que le premier se dit plutôt au propre des choses matérielles, et le second des choses abstraites : il est plus vague que l'autre. Le sens plus général du mot infini permet de l'appliquer dans certains cas à ce qui n'est qu'indéfini, tandis que l'inverse ne pourrait avoir lieu. On dit également : une durée infinie et une durée indéfinie ; on ne pourrait pas dire : Dieu est indéfini, sa miséricorde est indéfinie.

A ce point de vue, l'emploi du mot infini dans la phrase précitée n'est donc point abusif, et n'est pas une erreur. Nous disons de plus que le mot indéfini ne rendrait pas la même idée. Du moment qu'une chose est inconnue, elle a pour la pensée le vague de l'infini, sinon absolu, du moins relatif. Par exemple, vous ne savez ce qui vous arrivera demain : votre pensée erre dans l'infini ; ce sont les évènements qui sont indéfinis ; vous ne savez combien il y a d'étoiles : c'est un nombre indéfini, mais c'est aussi l'infini pour l'imagination. Dans le cas dont il s'agit, il convenait donc d'employer le mot qui généralise la pensée de préférence à celui qui lui donnerait un sens restrictif.



M. Cardon, médecin, mort en septembre 1862

(Société de Paris. – Médium, M. Leymarie.)

M. Cardon avait passé une partie de sa vie dans la marine marchande, en qualité de médecin de baleinier, et y avait puisé des habitudes et des idées un peu matérielles ; retiré dans le village de J…, il y exerçait la modeste profession de médecin de campagne. Depuis quelque temps il avait acquis la certitude qu'il était atteint d'une hypertrophie du cœur, et, sachant que cette maladie est incurable, la pensée de la mort le plongeait dans une sombre mélancolie dont rien ne pouvait le distraire. Deux mois d'avance environ, il prédit sa fin à jour fixe ; quand il se vit près de mourir, il réunit sa famille autour de lui pour lui dire un dernier adieu. Sa femme, sa mère, ses trois enfants et d'autres parents étaient rassemblés autour de son lit ; au moment où sa femme essayait de le soulever, il s'affaissa, devint d'un bleu livide, ses yeux se fermèrent et on le crut mort ; sa femme se plaça devant lui pour cacher ce spectacle à ses enfants. Après quelques minutes il rouvrit les yeux ; sa figure, pour ainsi dire illuminée, prit une expression de radieuse béatitude, et il s'écria : « Oh ! mes enfants, que c'est beau ! que c'est sublime ! Oh ! la mort ! quel bienfait ! quelle douce chose ! J'étais mort, et j'ai senti mon âme s'élever bien haut, bien haut ; mais Dieu m'a permis de revenir pour vous dire : « Ne redoutez plus la mort, c'est la délivrance… » Que ne puis-je vous dépeindre la magnificence de ce que j'ai vu et les impressions dont je me suis senti pénétré ! Mais vous ne pourriez le comprendre… Oh ! mes enfants, conduisez-vous toujours de manière à mériter cette ineffable félicité, réservée aux hommes de bien ; vivez selon la charité ; si vous avez quelque chose, donnez-en une partie à ceux qui manquent du nécessaire… Ma chère femme, je te laisse dans une position qui n'est pas heureuse ; on nous doit de l'argent, mais, je t'en conjure, ne tourmente pas ceux qui nous doivent ; s'ils sont dans la gêne, attends qu'ils puissent s'acquitter, et ceux qui ne le pourront pas, fais-en le sacrifice : Dieu t'en récompensera. Toi, mon fils, travaille pour soutenir ta mère ; sois toujours honnête homme et garde-toi de rien faire qui puisse déshonorer notre famille. Prends cette croix qui vient de ma mère ; ne la quitte pas, et qu'elle te rappelle toujours mes derniers conseils… Mes enfants, aidez-vous et soutenez-vous mutuellement ; que la bonne harmonie règne entre vous ; ne soyez ni vains, ni orgueilleux ; pardonnez à vos ennemis, si vous voulez que Dieu vous pardonne… » Puis, ayant fait approcher ses enfants, il étendit ses mains vers eux, et ajouta : « Mes enfants, je vous bénis. » Et ses yeux se fermèrent cette fois pour toujours ; mais sa figure conserva une expression si imposante que, jusqu'au moment où il fut enseveli, une foule nombreuse vint le contempler avec admiration.

Ces intéressants détails nous ayant été transmis par un ami de la famille, nous avons pensé que cette évocation pouvait être instructive pour tous, en même temps qu'elle serait utile à l'Esprit.

1. Évocation. – Rép. Je suis près de vous.

2. On nous a rapporté vos derniers instants qui nous ont ravis d'admiration. Voudriez-vous être assez bon pour nous décrire, mieux que vous ne l'avez fait, ce que vous avez vu dans l'intervalle de ce qu'on pourrait appeler vos deux morts ?

Rép. Ce que j'ai vu, pourriez-vous le comprendre ? Je ne le sais, car je ne pourrais trouver d'expressions capables de rendre compréhensible ce que j'ai pu voir pendant les quelques instants où il m'a été possible de laisser ma dépouille mortelle.

3. Vous rendez-vous compte où vous avez été ? Est-ce loin de la terre, dans une autre planète ou dans l'espace ? – R. L'Esprit ne connaît pas la valeur des distances telles que vous les envisagez. Emporté par je ne sais quel agent merveilleux, j'ai vu la splendeur d'un ciel comme nos
rêves seuls pourraient le réaliser. Cette course à travers l'infini s'est faite si rapidement que je ne puis préciser les instants employés par mon Esprit.

4. Actuellement jouissez-vous du bonheur que vous avez entrevu ? – R. Non ; je voudrais bien pouvoir en jouir, mais Dieu ne peut me récompenser ainsi. Je me suis trop souvent révolté contre les pensées bénies que dictait mon cœur, et la mort me semblait une injustice. Médecin incrédule, j'avais puisé dans l'art de guérir une aversion contre la seconde nature qui est notre mouvement intelligent, divin ; l'immortalité de l'âme était une fiction propre à séduire les natures peu élevées ; néanmoins le vide m'épouvantait, car j'ai maudit bien des fois cet agent mystérieux qui frappe toujours et toujours. La philosophie m'avait égaré sans me faire comprendre toute la grandeur de l'Éternel qui sait répartir la douleur et la joie pour l'enseignement de l'humanité.

5. Lors de votre mort véritable, vous êtes-vous reconnu aussitôt ? – R. Non ; je me suis reconnu pendant la transition que mon Esprit a faite pour parcourir des lieux éthérés, mais après la mort réelle, non ; il a fallu quelques jours pour mon réveil.

Dieu m'avait accordé une grâce ; je vais vous en dire la raison :

Mon incrédulité première n'existait plus ; avant ma mort, j'avais cru, car après avoir scientifiquement sondé la matière grave qui me faisait dépérir, je n'avais, à bout de raisons terrestres, trouvé que la raison divine ; elle m'avait inspiré, consolé, et mon courage était plus fort que la douleur. Je bénissais ce que j'avais maudit ; la fin me paraissait la délivrance. La pensée de Dieu est grande comme le monde ! Oh ! quelle suprême consolation dans la prière qui donne des attendrissements ineffables ; elle est l'élément le plus sûr de notre nature immatérielle ; par elle j'ai compris, j'ai cru fermement, souverainement, et c'est pour cela que Dieu, écoutant mes actions bénies, a bien voulu me récompenser avant de finir mon incarnation.

6. Pourrait-on dire que la première fois vous étiez mort ? – R. Oui et non ; l'Esprit ayant laissé le corps, naturellement la chair s'éteignait ; mais en reprenant possession de ma demeure terrestre, la vie est revenue au corps qui avait subi une transition, un sommeil.

7. A ce moment sentiez-vous les liens qui vous rattachaient à votre corps ? – R. Sans doute ; l'Esprit a un lien difficile à briser, il lui faut le dernier tressaillement de la chair pour rentrer dans sa vie naturelle.

8. Comment se fait-il que lors de votre mort apparente, et pendant quelques minutes, votre Esprit ait pu se dégager instantanément et sans trouble, tandis que la mort réelle a été suivie d'un trouble de plusieurs jours ? Il semble que, dans le premier cas, les liens entre l'âme et le corps subsistant plus que dans le second, le dégagement devrait être plus lent, et c'est le contraire qui a lieu. – Rép. Vous avez souvent fait l'évocation d'un Esprit incarné, vous en avez reçu des réponses réelles ; j'étais dans la position de ces Esprits. Dieu m'appelait, et ses serviteurs m'avaient dit : « Viens… » J'ai obéi, et je remercie Dieu de la grâce spéciale qu'il a bien voulu me faire ; j'ai pu voir l'infini de sa grandeur et m'en rendre compte. Merci à vous qui m'avez, avant la mort réelle, permis d'enseigner aux miens pour qu'ils soient de bonnes et justes incarnations.

9. D'où vous venaient les belles et bonnes paroles que, lors de votre retour à la vie, vous avez adressées à votre famille ? – R. Elles étaient le reflet de ce que j'avais vu et entendu ; les bons Esprits inspiraient ma voix et animaient mon visage.

10. Quelle impression croyez-vous que votre révélation ait faite sur les assistants et sur vos enfants en particulier ? – R. Frappante, profonde ; la mort n'est pas menteuse ; les enfants, quelque ingrats qu'ils puissent être, s'inclinent devant l'incarnation qui s'en va. Si l'on pouvait scruter le cœur de ses enfants, près d'une tombe entrouverte, on ne sentirait battre que des sentiments vrais, touchés profondément par la main secrète des Esprits qui disent à toutes les pensées : Tremblez si vous êtes dans le doute ; la mort c'est la réparation, la justice de Dieu ; et je vous l'assure, malgré les incrédules, mes amis et ma famille croiront aux paroles que ma voix a prononcées avant de mourir. J'étais l'interprète d'un autre monde.

11. Vous avez dit que vous ne jouissiez pas du bonheur que vous avez entrevu ; est-ce que vous êtes malheureux ? – R. Non, puisque je croyais avant de mourir, et cela en mon âme et conscience. La douleur étreint ici-bas, mais elle relève pour l'avenir spirite. Remarquez que Dieu a su me tenir compte de mes prières et de ma croyance absolue en lui ; je suis sur la route de la perfection, et j'arriverai au but qu'il m'a été permis d'entrevoir. Priez, mes amis, pour ce monde invisible qui préside à vos destinées ; cet échange fraternel, c'est de la charité ; c'est un levier puissant qui met en communion les Esprits de tous les mondes.

12. Voudriez-vous adresser quelques paroles à votre femme et à vos enfants ?

Rép. Je prie tous les miens de croire en Dieu puissant, juste, immuable ; en la prière qui console et soulage ; en la charité qui est l'acte le plus pur de l'incarnation humaine ; qu'ils se souviennent qu'on peut donner peu : l'obole du pauvre est la plus méritoire devant Dieu, qui sait qu'un pauvre donne beaucoup en donnant peu ; il faut que le riche donne grandement et souvent pour mériter autant que lui.

L'avenir c'est la charité, la bienveillance dans toutes les actions ; c'est de croire que tous les Esprits sont frères, en ne se prévalant jamais de toutes les puériles vanités.

Famille bien-aimée, tu auras de rudes épreuves ; mais sache les prendre courageusement en pensant que Dieu les voit.

Dites souvent cette prière :

Dieu d'amour et de bonté, qui donnes tout et toujours, accorde-nous cette force qui ne recule devant aucune peine ; rends-nous bons, doux et charitables, petits par la fortune, grands par le cœur ; que notre Esprit soit Spirite sur terre pour mieux vous comprendre et vous aimer.

Que votre nom, ô mon Dieu, emblème de liberté, soit le but consolateur de tous les opprimés, de tous ceux qui ont besoin d'aimer, pardonner et croire.

Cardon.





Dissertations spirites

L'Esprit de Jean Reynaud

Société spirite de Paris. – Médium, madame Costel

Mes amis, que cette nouvelle vie est magnifique ! Semblable à un torrent lumineux, elle entraîne dans sa course immense les âmes ivres de l'infini ! Après la rupture des liens charnels, mes yeux ont embrassé les horizons nouveaux qui m'entourent, et joui des splendides merveilles de l'infini. J'ai passé des ombres de la matière à l'aube éclatante qui annonce le Tout-Puissant. Je suis sauvé, non par le mérite de mes œuvres, mais par la connaissance du principe éternel qui m'a fait éviter les souillures imprimées par l'ignorance à la pauvre humanité. Ma mort a été bénie ; mes biographes la jugeront prématurée ; les aveugles ! ils regretteront quelques écrits nés de la poussière, et ils ne comprendront pas combien le peu de bruit qui se fait autour de ma tombe mi-close est utile pour la sainte cause du Spiritisme. Mon œuvre était finie ; mes devanciers couraient dans la carrière ; j'avais atteint ce point culminant où l'homme a donné ce qu'il avait de meilleur, et où il ne fait plus que recommencer. Ma mort ravive l'attention des lettrés et la ramène sur mon ouvrage capital, qui touche à la grande question spirite qu'ils affectent de méconnaître, et qui bientôt les enlacera. Gloire à Dieu ! Aidé par les Esprits supérieurs qui protègent la nouvelle doctrine, je vais être un des éclaireurs qui jalonnent votre route.



Dans une réunion de famille. – Médium, M. Charles V…

L'Esprit répond à cette réflexion : Votre mort inattendue, dans un âge si peu avancé, a surpris bien du monde.

« Qui vous dit que ma mort n'est pas un bienfait pour le Spiritisme, pour son avenir, pour ses conséquences ? Avez-vous remarqué, mon ami, la marche que suit le progrès, la route que prend la foi spirite ? Dieu a tout d'abord donné des preuves matérielles : danse des tables, coups frappés et toutes sortes de phénomènes ; c'était pour appeler l'attention ; c'était une préface amusante. Il faut aux hommes des preuves palpables pour croire. Maintenant c'est bien autre chose !

Après les faits matériels, Dieu parle à l'intelligence, au bon sens, à la froide raison ; ce ne sont plus des tours de force, mais des choses rationnelles qui doivent convaincre et rallier même les incrédules les plus opiniâtres. Et ce n'est encore que le commencement. Remarquez bien ce que je vous dis : toute une série de faits intelligents, irréfutables, vont se suivre, et le nombre des adeptes de la foi spirite, déjà si grand, va encore augmenter. Dieu va s'en prendre aux intelligences d'élite, aux sommités de l'esprit, du talent et du savoir. Cela va être un rayon lumineux qui se répandra sur toute la terre, comme un fluide magnétique irrésistible, et poussera les plus récalcitrants à la recherche de l'infini, à l'étude de cette admirable science qui nous enseigne des maximes si sublimes. Tous vont se grouper autour de vous, et, faisant abstraction du diplôme de génie qui leur avait été donné, ils vont se faire humbles et petits pour apprendre et pour se convaincre. Puis, plus tard, lorsqu'ils seront bien instruits et bien convaincus, ils se serviront de leur autorité et de la notoriété de leur nom pour pousser encore plus loin, et atteindre les dernières limites du but que vous vous êtes tous proposé : la régénération de l'espèce humaine par la connaissance raisonnée et approfondie des existences passées et futures. Voilà ma sincère opinion sur l'état actuel du Spiritisme. »

Jean Reynaud.



Bordeaux. - Médium, madame C…

Je me rends avec plaisir à votre appel, madame. Oui, vous avez raison, le trouble spirite n'a pour ainsi dire point existé pour moi (ceci répondait à la pensée du médium) ; exilé volontaire sur votre terre, où j'avais à jeter la première semence sérieuse des grandes vérités qui enveloppent le monde en ce moment, j'ai toujours eu la conscience de la patrie et me suis vite reconnu au milieu de mes frères.

D. Je vous remercie d'avoir bien voulu venir ; mais je n'aurais pas cru que mon désir de vous entretenir eût de l'influence sur vous ; il doit nécessairement y avoir une différence si grande entre nous, que j'y pense qu'avec respect.

R. Merci de cette bonne pensée, mon enfant ; mais vous devez savoir aussi que quelque distance que des épreuves achevées plus ou moins promptement, plus ou moins heureusement, puissent établir entre nous, il y a toujours un lien puissant qui nous unit : la sympathie, et ce lien, vous l'avez resserré par votre pensée constante.

D. Bien que beaucoup d'Esprits aient expliqué leurs premières sensations au réveil, seriez-vous assez bon pour me dire ce que vous avez éprouvé en vous reconnaissant, et comment la séparation de votre Esprit et de votre corps s'est opérée ?

R. Comme pour tous. J'ai senti le moment de la délivrance approcher, mais, plus heureux que beaucoup, elle ne m'a point causé d'angoisses, parce que j'en connaissais les résultats, quoiqu'ils fussent encore plus grands que je ne le pensais. Le corps est une entrave aux facultés spirituelles, et, quelles que soient les lumières que l'on ait conservées, elles sont toujours plus ou moins étouffées par le contact de la matière. Je me suis endormi espérant un réveil heureux ; le sommeil a été court, l'admiration immense ! Les splendeurs célestes déroulées à mes regards brillaient de tout leur éclat. Ma vue émerveillée plongeait dans les immensités de ces mondes dont j'avais affirmé l'existence et l'habitabilité. C'était un mirage qui me révélait et me confirmait la vérité de mes sentiments. L'homme a beau se croire sûr, quand il parle il y a souvent au fond de son cœur des moments de doute, d'incertitude ; il se méfie, sinon de la vérité qu'il proclame, du moins souvent des moyens imparfaits qu'il emploie pour la démontrer. Convaincu de la vérité que je voulais faire admettre, j'ai eu souvent à combattre contre moi-même, contre le découragement de voir, de toucher pour ainsi dire la vérité, et de ne pouvoir la rendre palpable à ceux qui auraient tant besoin d'y croire pour marcher sûrement dans la voie qu'ils ont à suivre.

D. De votre vivant, professiez-vous le Spiritisme ?

R. Entre professer et pratiquer il y a une grande différence. Bien des gens professent une doctrine qui ne la pratiquent pas ; je pratiquais et ne professais pas. De même que tout homme est chrétien qui suit les lois de Christ, fût-ce sans les connaître, de même tout homme peut être Spirite qui croit à son âme immortelle, à ses réexistences, à sa marche progressive incessante, aux épreuves terrestres, ablutions nécessaires pour se purifier ; j'y croyais, j'étais donc Spirite. J'ai compris l'erraticité, ce lien intermédiaire entre les incarnations, ce purgatoire où
l'Esprit coupable se d
épouille de ses vêtements souillés pour revêtir une nouvelle robe, où l'Esprit en progrès tisse avec soin la robe qu'il va porter de nouveau et qu'il veut conserver pure. J'ai compris, je vous l'ai dit, et sans professer j'ai continué de pratiquer.



Remarque. – Ces trois communications ont été obtenues par trois médiums différents complètement étrangers l'un à l'autre. Nous n'avons aucune preuve matérielle de l'identité de l'Esprit qui s'est manifesté, mais, à l'analogie des pensées, à la forme du langage, on peut admettre au moins la présomption d'identité. L'expression : tisse avec soin la robe qu'il va porter de nouveau, est une charmante figure qui peint la sollicitude avec laquelle l'Esprit en progrès prépare la nouvelle existence qui doit le faire progresser encore. Les Esprits arriérés prennent moins de précautions et font quelquefois des choix malheureux qui les forcent à recommencer.




Société spirite de Paris, 13 mars 1863. – Médium madame Costel

Ma fille, je viens donner un enseignement médical aux Spirites. L'astronomie, la philosophie ont ici d'éloquents interprètes : la morale compte autant d'écrivains que de médiums ; pourquoi la médecine, dans son côté pratique et physiologique, serait-elle négligée ? Je fus le créateur de la rénovation médicale qui pénètre aujourd'hui jusque dans les rangs des sectateurs de l'ancienne médecine ; ligués contre l'homéopathie, ils ont beau lui créer des digues sans nombre, ils ont beau lui crier : « Tu n'iras pas plus loin ! » la jeune médecine, triomphante, franchit tous les obstacles ; le Spiritisme lui sera un puissant auxiliaire ; grâce à lui, elle abandonnera la tradition matérialiste qui a si longtemps retardé son essor. L'étude médicale est entièrement liée à la recherche des causes et des effets spiritualistes ; elle dissèque les corps, et doit aussi analyser l'âme. Laissez donc un vieux médecin justifier les fins et le but de la doctrine qu'il a propagée, et qu'il voit étrangement défigurée ici-bas par les praticiens, et là-haut par des Esprits ignorants qui usurpent son nom. Je voudrais que ma parole écoutée eût le pouvoir de corriger les abus qui altèrent l'homéopathie et l'empêchent d'être aussi utile qu'elle le devrait.

Si je parlais dans un centre pratique, où les conseils puissent être entendus avec fruit, je m'élèverais contre la négligence de mes collègues terrestres qui méconnaissent les lois primordiales de l'Organon, en exagérant les doses, et surtout en n'apportant pas à la trituration si importante des médicaments les soins que j'ai indiqués. Beaucoup oublient que cent et souvent deux cents coups sont absolument nécessaires au dégagement du principe médical approprié à chacune des plantes ou poisons qui forment notre arsenal guérisseur. Aucun remède n'est indifférent, aucun médicament n'est inoffensif ; lorsque le diagnostic mal observé le fait donner hors de propos, il développe les germes de la maladie qu'il était appelé à combattre.

Mais je me laisse entraîner par mon sujet, et me voici sur la pente de faire un cours d'homéopathie à un auditoire qui ne peut s'intéresser à cette question. Pourtant je ne crois pas inutile d'initier les Spirites aux principes fondamentaux de la science, afin de les prémunir contre les déceptions qu'ils subissent, soit de la part des hommes, soit même de celle des Esprits.

Samuel Hahnemann.



Remarque. – Cette dissertation a été motivée par la présence à la séance d'un médecin homéopathe étranger qui désirait avoir l'opinion d'Hahnemann sur l'état actuel de la science. Nous ferons observer qu'elle a été donnée par l'entremise d'une jeune dame qui n'a pas fait d'études médicales, et à laquelle nécessairement beaucoup de termes spéciaux sont étrangers.



Lettre de M. T. Jaubert, de Carcassonne.

M. T. Jaubert, vice-président du tribunal civil de Carcassonne, nous adresse la lettre suivante au sujet du titre de membre honoraire que lui a décerné la Société spirite de Paris. La Société a été heureuse de donner à M. Jaubert ce témoignage de sympathie, et de lui prouver combien elle apprécie son dévouement à la cause du Spiritisme, sa modestie autant que sa fermeté de caractère. Il est des positions qui relèvent encore le mérite du courage de l'opinion, et des qualités qui mettent l'homme au-dessus de la critique. (Voir la Revue de juin 1863 : Un Esprit couronné par l'Académie des Jeux Floraux.)

Molitg-les-Bains, 21 juillet 1863.

« Monsieur le président,

Votre lettre et le procès-verbal constatant mon admission parmi les membres honoraires de la Société spirite parisienne me trouvent à Molitg où j'épuise, dans l'intérêt de ma santé, un congé de vingt-neuf jours ; je tiens à vous donner sur l'heure l'expression de toute ma gratitude.

Je crois à l'immortalité de l'âme, à la communication des morts avec les vivants, comme je crois au soleil. J'aime le Spiritisme comme l'affirmation la plus légitime de la loi de Dieu : la loi du progrès. Je le confesse hautement, parce que le confesser c'est bien faire. J'ai accepté la primevère de l'Académie de Toulouse comme une réponse éclatante à ceux qui ne veulent voir dans les dictées réelles des Esprits que des perceptions erronées ou des élucubrations ridicules. Je reçois le titre de membre honoraire de la Société dont vous êtes le chef, comme le plus honorable entre ceux que je tiens de la main des hommes. Encore une fois, monsieur, recevez pour vous et pour tous les membres de la Société parisienne mes remerciements les plus sincères.

Votre compte rendu de la séance des Jeux Floraux a fidèlement interprété et mes sentiments et ma conduite. Je ne pouvais pas, en déclarant que la fable couronnée était l'œuvre de mon Esprit familier, m'exposer à heurter et le public et mes juges. Vous avez parfaitement exprimé, dans votre Revue, le respect que j'ai de moi-même et de l'opinion des autres. Et maintenant, si dans toute cette affaire je n'ai pas pris l'initiative à votre égard, si je ne fais que vous répondre, c'est qu'il aurait fallu vous parler de moi, et associer mon nom à un évènement dont je suis heureux sans doute, mais que d'autres ont daigné considérer comme un succès.

Aujourd'hui je me sens plus libre, et c'est du plus profond de mon cœur que je vous prie, monsieur et cher maître, d'accepter l'hommage de ma reconnaissance, de ma sympathie et de ma considération la plus distinguée.

T. Jaubert,

Vice-président du tribunal de Carcassonne. »





L'abondance des matières nous force à remettre au prochain numéro notre seconde lettre à M. l'abbé Marouzeau, ainsi que la réponse à la question qui nous a été adressée sur la distinction à faire entre l'expiation et l'épreuve.



Allan Kardec.












Septembre

Nota. - L'article suivant est l'introduction à un travail complet que l'auteur, M. Herrenschneider, se propose de faire sur la nécessité de l'alliance entre la philosophie et le Spiritisme.

Depuis dix ou douze ans que le Spiritisme s'est révélé en France, les communications incessantes des Esprits ont provoqué dans tous les rangs de la société un mouvement religieux bienfaisant qu'il importe d'encourager et de développer. Dans ce siècle, en effet, l'esprit religieux s'était surtout perdu parmi les classes lettrées et intelligentes. Le sarcasme voltairien y avait enlevé le prestige du christianisme ; le progrès des sciences leur avait fait reconnaître les contradictions qui existent entre les dogmes et les lois naturelles ; et les découvertes astronomiques avaient démontré la puérilité de l'idée que se formaient sur Dieu les enfants d'Abraham, de Moïse et du Christ. Le développement des richesses, les inventions merveilleuses des arts et de l'industrie, toute la civilisation protestait, aux yeux de la société moderne, contre le renoncement au monde. C'est à cause de ces nombreux motifs que l'incrédulité et l'indifférence s'étaient glissées dans les âmes, que l'insouciance des destinées éternelles avait engourdi notre amour du bien, arrêté notre perfectionnement moral, et que la passion du bien-être, du plaisir, du luxe et des vanités terrestres avait fini par captiver presque toute notre ambition ; lorsque, tout d'un coup, les morts vinrent nous rappeler que notre vie présente a son lendemain, que nos actes ont leurs conséquences fatales, inévitables, sinon toujours dans cette vie, mais infailliblement dans celle à venir.

Cette apparition des Esprits était un coup de foudre, qui fit trembler plus d'un à l'aspect de ces meubles mis en mouvement sous l'impulsion d'une force invisible ; à l'audition de ces pensées intelligentes, dictées au moyen d'une télégraphie grossière ; à la lecture de ces pages sublimes, écrites de nos mains distraites sous l'impulsion d'une direction mystérieuse. Que de cœurs battaient, saisis d'une crainte subite, que de consciences oppressées se réveillèrent dans des angoisses méritées ; que d'intelligences même furent frappées de stupeur ! Le renouvellement de ces rapports avec les âmes trépassées est et restera un événement prodigieux, qui aura pour conséquence la régénération, si nécessaire, de la société moderne.

C'est que, lorsque la société humaine n'a d'autre but d'activité que la prospérité matérielle et le plaisir des sens, elle se plonge dans le matérialisme égoïste, apprécie toutes les actions selon les biens qu'elle en retire, renonce à tous les efforts qui n'aboutissent pas à un avantage palpable, n'estime que ceux qui possèdent, et ne respecte que la puissance qui s'impose. Lorsque les hommes ne se préoccupent que des succès immédiats et lucratifs, ils perdent le sens de l'honnête, renoncent au choix des moyens, foulent aux pieds le bonheur intime, les vertus privées, et cessent de se guider selon les principes de justice et d'équité. Dans une société lancée dans cette direction immorale, le riche mène une vie de mollesse ignoble, abrutissante, et le déshérité y traîne une existence douloureuse et monotone, dont le suicide semble être la dernière consolation !

Contre une pareille disposition morale, publique et privée, la philosophie est impuissante. Non pas que les arguments lui fassent défaut pour prouver la nécessité sociale de principes purs et généreux, non pas qu'elle ne puisse démontrer l'imminence de la responsabilité finale, et établir la perpétuité de notre existence, mais les hommes n'ont généralement ni le temps, ni le goût, ni l'esprit assez réfléchi, pour prêter leur attention à la voix de leur conscience et aux observations de la raison. Les vicissitudes de la vie, d'ailleurs, sont souvent trop impérieuses pour que l'on se décide à l'exercice de la vertu par le simple amour du bien. Lors même que la philosophie eût été véritablement ce qu'elle devrait être : une doctrine complète et certaine, elle n'aurait jamais pu provoquer, par son enseignement seul, la régénération sociale d'une manière efficace, puisque jusqu'à ce jour elle n'a pu donner à l'autorité de sa doctrine d'autre sanction que l'amour abstrait de l'idéal et de la perfection.

C'est qu'aux hommes il faut, pour les convaincre de la nécessité de se consacrer au bien, des faits qui parlent aux sens. Il leur faut le tableau saisissant de leurs douleurs futures, pour qu'ils consentent à remonter la pente funeste où leurs vices les entraînent ; il leur faut toucher du doigt les malheurs éternels qu'ils se préparent par leur nonchalance morale, pour qu'ils comprennent que la vie actuelle n'est pas le but de leur existence, mais le moyen que le Créateur leur a donné de travailler personnellement à l'accomplissement de leurs destinées finales. Aussi est-ce par ce motif que toutes les religions ont étayé leurs commandements sur la terreur de l'enfer et sur les séductions des joies célestes. Mais depuis que, sous l'empire de l'incrédulité et de l'indifférence religieuse, les populations se sont rassurées sur les suites dernières de leurs péchés, une philosophie facile et inconséquente aidant, le culte des sens, des intérêts temporels et des doctrines égoïstes, a fini par prévaloir. Aujourd'hui les hommes éclairés, intelligents et forts s'éloignent de l'Église et suivent leurs propres inspirations ; l'autorité nécessaire lui fait défaut pour ressaisir son influence vingt fois séculaire. On peut donc dire que l'Église est aussi impuissante que la philosophie, et que ni l'une ni l'autre n'exerceront d'influence salutaire qu'en subissant, chacune dans son genre, une réforme radicale.

En attendant l'humanité s'agite, les événements se succèdent, et l'apparition des manifestations spirites dans ce siècle savant, pratique, suffisant et sceptique, en est sans contredit le plus considérable. Voilà donc que la tombe est ouverte devant nous, non comme la fin de nos peines et de nos misères terrestres, non comme l'abîme béant où viennent s'engloutir nos passions, nos jouissances et nos illusions, mais bien comme le portique majestueux d'un nouveau monde, où les uns récolteront, bien malgré eux, les fruits amers que leurs faiblesses leur auront fait semer ; et où d'autres, au contraire, s'assureront par leur mérite le passage dans des sphères plus pures et plus élevées. C'est donc le Spiritisme qui nous révèle nos destinées futures, et plus il sera connu, plus la régénération morale et religieuse gagnera en élan et en étendue.

L'union du Spiritisme avec les sciences philosophiques nous semble, en effet, d'une haute nécessité pour le bonheur de l'humanité et pour le progrès moral, intellectuel et religieux de la société moderne ; car nous ne sommes plus au temps où l'on pouvait écarter la science humaine et lui préférer la foi aveugle. La science moderne est trop sage, trop sûre d'elle-même, et trop avancée dans la connaissance des lois que Dieu a imposées à l'intelligence et à la nature, pour que la transformation religieuse puisse avoir lieu sans son concours. On connaît trop exactement l'exiguïté relative de notre globe pour accorder à l'humanité une place privilégiée dans les desseins providentiels. Aux yeux de tous, nous ne sommes plus qu'un grain de poussière dans l'immensité des mondes, et l'on sait que les lois qui règlent cette multitude indéfinie d'existences sont simples, immuables et universelles. Enfin les exigences de la certitude de nos connaissances ont été trop fortement approfondies, pour qu'une doctrine nouvelle puisse s'élever et se maintenir sans autre base qu'un mysticisme touchant et inoffensif. Lors donc que le Spiritisme veut étendre son empire sur toutes les classes de la société, sur les hommes supérieurs et intelligents, comme sur les âmes délicates et croyantes, il faut qu'il se jette, sans réserve, dans le courant de la pensée humaine, et que par sa supériorité philosophique il sache imposer à la superbe raison le respect de son autorité.

C'est cette action indépendante des adeptes du Spiritisme que comprennent parfaitement les Esprits élevés qui se manifestent. Celui qui se désigne sous le nom de saint Augustin disait dernièrement : « Observez et étudiez avec soin les communications qui vous sont faites ; acceptez ce que votre raison ne rejette pas, repoussez ce qui la choque ; demandez des éclaircissements sur celles qui vous laissent dans le doute. Vous avez là la marche à suivre pour transmettre aux générations futures, sans crainte de les voir dénaturées, les vérités que vous démêlerez sans peine dans leur cortège inévitable d'erreurs. »

Voilà, en peu de mots, le véritable esprit du Spiritisme, celui que la science peut admettre sans déroger, et celui qui nous servira à conquérir l'humanité. Le Spiritisme, du reste, n'a rien à redouter de son alliance avec la philosophie, car il repose sur des faits incontestables, qui ont leur raison d'être dans les lois de la création. C'est à la science à en étudier la portée, et à coordonner les principes généraux, d'après ce nouvel ordre de phénomènes. Car il est évident que, puisqu'elle n'avait pas pressenti l'existence nécessaire, dans l'espace qui nous entoure, des âmes trépassées ou de celles destinées à renaître, la science doit comprendre que sa philosophie première était incomplète, et que des principes primordiaux lui avaient échappé.

La philosophie, au contraire, a tout à gagner à considérer sérieusement les faits du Spiritisme ; d'abord, parce que ceux-ci sont la sanction solennelle de son enseignement moral, et que, par eux, elle prouvera aux plus endurcis la portée fatale de leur inconduite. Mais, quelque importante que soit cette justification positive de ses maximes, l'étude approfondie des conséquences, qui se déduisent de la constatation de l'existence sensible de l'âme à l'état non incarné, lui servira ensuite pour déterminer les éléments constitutifs de l'âme, son origine, ses destinées, et pour établir la loi morale et celle du progrès animique sur des bases certaines et inébranlables. De plus, la connaissance de l'essence de l'âme conduira la philosophie à la connaissance de l'essence des choses et de celle même de Dieu, et lui permettra d'unir toutes les doctrines qui la divisent dans un seul et même système général véritablement complet. Enfin, ces divers développements de la philosophie, provoqués par cette précieuse détermination de l'essence animique, la conduiront infailliblement sur les traces des principes fondamentaux de l'ancienne cabale, et de l'antique science occulte des hiérophantes, dont la Trinité chrétienne est le dernier rayon lumineux parvenu jusqu'à nous. C'est ainsi que par la simple apparition des âmes errantes, on parviendra, comme nous avons tout lieu de l'espérer, à constituer la chaîne non interrompue des traditions morales, religieuses et métaphysiques de l'humanité ancienne et moderne.

Cet avenir considérable, que nous concevons à la philosophie alliée au Spiritisme, ne paraîtra pas impossible à ceux qui ont quelque notion de cette science, s'ils considèrent le vide des principes sur lesquels se fondent les diverses écoles, et l'impuissance qui en résulte pour elles, d'expliquer la réalité concrète et vivante de l'âme et de Dieu. C'est ainsi que le matérialisme se figure que les êtres ne sont que des phénomènes matériels, semblables à ceux que produisent les combinaisons des substances chimiques, et que le principe qui les anime fait partie d'un prétendu principe vital universel. D'après ce système l'âme individuelle n'existerait pas, et Dieu serait un être complètement inutile.

Les disciples de Hégel, de leur côté, s'imaginent que l'idée, ce phénomène indiscipliné de notre âme, est un élément en soi, indépendant de nous ; qu'elle est un principe universel qui se manifeste par l'humanité et son activité intellectuelle, comme aussi par la nature et ses merveilleuses transformations. Cette école nie, par conséquent, l'individualité éternelle de notre âme, et la confond, dans un seul tout, avec la nature. Elle suppose qu'il existe une identité parfaite entre l'univers visible et le monde moral et intellectuel ; que l'un et l'autre sont le résultat de l'évolution progressive et fatale de l'idée primitive, universelle, de l'absolu en un mot. Dieu, dans ce système, n'a également nulle individualité, nulle liberté, et ne se connaît pas personnellement. Il ne s'est aperçu lui-même, pour la première fois, qu'en 1810, par l'entremise de Hégel, lorsque celui-ci l'a reconnu dans l'idée absolue et universelle. (Historique.)

Enfin, notre école spiritualiste, vulgairement appelée l'éclectisme, considère l'âme comme n'étant qu'une force sans étendue et sans solidité, une intelligence insaisissable dans le corps humain, et qui, une fois débarrassée de son enveloppe, tout en conservant son individualité et son immortalité, n'existerait plus ni dans le temps ni dans l'espace. Notre âme serait donc un je ne sais quoi sans lien avec ce qui existe, et ne remplirait aucun lieu déterminé. Dieu, selon ce même système, n'est pas plus saisissable. Il est la pensée parfaite, et n'a également ni solidité, ni stabilité, ni forme, ni réalité sensible ; c'est un être vide ; sans notre raison nous ne pourrions en avoir aucune intuition. Cependant, quels sont ceux qui ont inventé l'athéisme, le scepticisme, le panthéisme, l'idéalisme, etc. ? Ce sont les hommes de raison, les intelligents, les savants ! Les peuples ignorants, dont les sensations sont les principaux guides, n'ont jamais douté ni de Dieu, ni de l'âme, ni de son immortalité. La raison, seule, semble donc être une mauvaise conseillère !

Ces doctrines, comme on peut s'en convaincre, manquent, en con-séquence, d'un principe réel, stable, vivant, de la notion de l'Etre réel. Elles se meuvent dans un monde intelligible qui ne touche point à la réalité concrète. Le vide de leurs principes se reporte sur l'ensemble de leurs systèmes, et les rend aussi subtils que vagues et étrangers à la réalité des choses. Le sens commun lui-même s'en offense, malgré le talent et la prodigieuse érudition de leurs adhérents. Mais le Spiritisme est encore plus brutal à leur égard, il renverse tous ces systèmes abstraits, en leur opposant un fait unique : la réalité substantielle, vivante et actuelle de l'âme non incarnée. Il la leur montre, comme un être personnel, existant dans le temps et dans l'espace, bien qu'invisible pour nous ; comme un être ayant son élément solide, substantiel et sa force active et pensante. Il nous montre même les âmes errantes se communiquant à nous par leur propre initiative ! Il est évident qu'un pareil événement doit faire crouler tous ces châteaux de cartes, et évanouir, d'un trait, ces superbes échafaudages de fantaisie.

Mais pour surcroît de confusion, on peut prouver aux partisans de ces doctrines alambiquées, que tout homme porte dans sa propre conscience les éléments suffisants pour démontrer l'existence de l'âme, telle que le Spiritisme l'établit par les faits ; de façon que leurs systèmes, non seulement sont erronés à leur point d'arrivée, mais ils le sont encore à leur point de départ. Aussi, le plus sage parti qui reste à prendre à ces honorables savants, c'est de refondre complètement leur philosophie, et de consacrer leur profond savoir à la fondation d'une science première, plus précise et plus conforme à la réalité.

C'est qu'effectivement nous portons en nous-mêmes quatre notions irréductibles, qui nous autorisent à affirmer l'existence de notre âme, telle que le Spiritisme nous la présente. Premièrement, nous avons en nous le sentiment de notre existence. Ce sentiment ne peut se révéler que par une impression que nous recevons de nous-mêmes. Or, nulle impression ne se fait sur un objet privé de solidité et d'étendue ; de sorte que par le seul fait de nos sensations, nous devons induire que nous avons en nous un élément sensible, subtil, étendu et résistant : c'est-à-dire, une substance. Secondement, nous avons en nous la conscience d'un élément actif, causateur, qui se manifeste dans notre volonté, notre pensée et nos actes. En conséquence, il est encore évident que nous possédons en nous un second élément : une force. Donc, par le seul fait que nous nous sentons et que nous nous savons, nous devons conclure que nous renfermons deux éléments constitutifs, force et substance ; c'est-à-dire une dualité essentielle, animique.

Mais ces deux notions primitives ne sont pas les seules que nous portons en nous. Nous nous concevons encore, en troisième lieu, une unité personnelle, originale, qui reste toujours identique à elle-même ; et quatrièmement, une destinée également personnelle ; car tous, nous cherchons notre bonheur et nos propres convenances dans toutes les circonstances de notre vie. De manière qu'en joignant ces deux nouvelles notions, qui constituent notre double aspect, aux deux précédentes, nous reconnaissons que notre être renferme quatre principes bien distincts : sa dualité d'essence et sa dualité d'aspect.

Or, comme ces quatre éléments de la connaissance de notre moi, qui nous portent à nous affirmer personnellement, sont des notions indépendantes du corps, qu'elles n'ont aucun rapport avec notre enveloppe matérielle, il est péremptoire et évident, pour tout esprit juste et non prévenu, que notre être dépend d'un principe invisible, nommé Ame ; et que cette âme existe comme telle, parce qu'elle a une substance et une force, une unité et une destinée propres et personnelles.

Tels sont les quatre éléments primordiaux de notre individualité animique, dont chacun de nous porte la notion dans son sein, et qu'aucun homme ne saurait récuser. En conséquence, comme nous l'avons dit, la philosophie a possédé, de tous les temps, les éléments suffisants pour la connaissance de l'âme, telle que le Spiritisme nous la fait connaître. Si donc jusqu'à présent la raison humaine n'a pas réussi à construire une métaphysique vraie et utile qui lui ait fait comprendre que l'âme doit être considérée comme un être réel, indépendant du corps, et capable d'exister par elle-même, substantiellement et virtuellement, dans le temps et dans l'espace, c'est qu'elle a dédaigné l'observation directe des faits de conscience, et que, dans son orgueil et sa suffisance, la raison s'est mise au lieu et place de la réalité.

D'après ces observations on peut comprendre combien il importe à la philosophie de s'unir au Spiritisme, puisqu'elle en retirera l'avantage de se créer une science première sérieuse et complète, fondée sur la connaissance de l'essence de l'âme et des quatre conditions de sa réalité. Mais il n'est pas moins nécessaire au Spiritisme de s'allier avec la philosophie, parce que ce n'est que par elle qu'il pourra établir la certitude scientifique des faits spirites qui font la base fondamentale de sa croyance, et d'en tirer les conséquences importantes qu'ils contiennent. Sans doute il suffit au bon sens de voir un phénomène pour croire à sa réalité ; et beaucoup s'en contentent ; mais la science a eu trop souvent des motifs de douter des protestations du sens commun, pour ne pas se méfier des impressions de nos sens et des illusions de notre imagination. Le bon sens ne suffit donc pas pour établir scientifiquement la réalité de la présence des Esprits autour de nous. Pour en être certain d'une façon irréfutable, il faut établir rationnellement, d'après les lois générales de la création, que leur existence est nécessaire par elle-même, et que leur présence invisible n'est que la confirmation des données rationnelles et scientifiques, telles que nous venons d'en indiquer quelques-unes d'une manière sommaire. Ce n'est donc que par la méthode philosophique que l'on peut obtenir ce résultat. C'est là un travail nécessaire à l'autorité du Spiritisme, et c'est la philosophie seule qui peut lui rendre ce service.

En général, pour réussir dans quelque entreprise que ce soit, il est nécessaire de joindre la connaissance des principes à l'observation des faits. Dans les circonstances particulières au Spiritisme, il est bien plus nécessaire encore de procéder de cette manière rigoureuse pour arriver à la vérité, parce que notre nouvelle doctrine touche à nos intérêts les plus chers et les plus élevés, à ceux qui constituent notre bonheur présent et éternel. En conséquence, l'union du Spiritisme et de la philosophie est de la plus haute importance pour le succès de nos efforts et pour l'avenir de l'humanité.

F. Herrenschneider.



Moulins, 8 juillet 1863.

Monsieur et vénéré maître,

Je viens soumettre à votre appréciation une question qui a été discutée dans notre petit groupe et que nous n'avons pu résoudre par nos propres lumières ; les Esprits eux-mêmes, que nous avons consultés, n'ont pas répondu assez catégoriquement pour nous tirer du doute. J'ai rédigé une petite note que je prends la liberté de vous adresser, dans laquelle j'ai réuni les motifs de mon opinion personnelle qui diffère de celle de plusieurs de mes collègues. L'opinion de ces derniers est que l'expiation a lieu même pendant l'incarnation, s'appuyant sur ce que cette expression a été employée dans maintes communications, et notamment dans le Livre des Esprits.

Je viens donc vous prier d'être assez bon pour nous donner votre avis sur cette question. Votre décision fera loi pour nous, et chacun de nous fera volontiers le sacrifice de sa manière de voir pour se ranger sous le drapeau que vous avez planté et que vous soutenez d'une manière si fermé et si sage.

Recevez, monsieur et cher maître, etc.

T. T. »

« Plusieurs communications, émanant d'Esprits différents, qualifient indistinctement d'expiations ou d'épreuves, les maux et les tribulations formant le lot de chacun de nous, pendant notre incarnation sur cette terre. Il résulte de cette application de deux mots, bien différents dans leur signification, à une même idée, une certaine confusion, peu importante, sans doute, pour les Esprits dématérialisés, mais qui donne lieu entre incarnés à des discussions qu'il serait bon de faire cesser par une définition claire et précise et des explications fournies par des Esprits supérieurs, lesquelles fixeraient d'une manière irrévocable ce point de doctrine.

Prenant d'abord ces deux mots dans leur sens absolu, il apparaît que l'expiation serait le châtiment, la peine imposée pour le rachat d'une faute, avec parfaite connaissance, de la part du coupable puni, de la cause de ce châtiment, c'est-à-dire de la faute à expier. On comprend que l'expiation dans ce sens est toujours imposée par Dieu.

L'épreuve n'implique aucune idée de réparation, elle peut être volontaire ou imposée, mais elle n'est pas la conséquence rigoureuse et immédiate des fautes commises.

L'épreuve est un moyen de constater l'état d'une chose pour reconnaître si elle est de bonne qualité. Ainsi on fait subir une épreuve à un cordage, à un pont, à une pièce d'artillerie, non pas à cause de leur état antérieur, mais pour s'assurer qu'ils sont propres au service pour lequel ils sont destinés.

De même, par extension, on a appelé épreuves de la vie, l'ensemble des moyens physiques ou moraux qui révèlent l'existence ou l'absence des qualités de l'âme, qui établissent sa perfection ou les progrès qu'elle a faits vers cette perfection finale.

Il paraîtrait donc logique d'admettre que l'expiation proprement dite, et dans le sens absolu de ce mot, a lieu dans la vie spirituelle après la désincarnation ou mort corporelle ; qu'elle peut être plus ou moins longue, plus ou moins pénible, suivant la gravité des fautes ; mais qu'elle est complète dans l'autre monde et se termine toujours par un ardent désir de recevoir une nouvelle incarnation, pendant laquelle des épreuves choisies ou imposées devront faire faire à l'âme le progrès vers la perfection que ses fautes antérieures l'ont empêchée d'accomplir.

Ainsi donc, il ne conviendrait pas d'admettre qu'il y a expiation sur la terre, pas même qu'elle puisse exister exceptionnellement, car il faudrait admettre aussi la connaissance des fautes punies ; or cette connaissance n'existe que dans la vie d'outre-tombe. L'expiation sans cette connaissance serait une barbarie sans utilité et ne s'accorderait ni avec la justice ni avec la bonté de Dieu.

On ne peut concevoir, pendant l'incarnation, que des épreuves, car, quels que soient les maux et les tribulations de cette terre, il est impossible de les considérer comme pouvant constituer une expiation suffisante pour des fautes de quelque gravité. Pense-t-on qu'un coupable déféré à la justice des hommes se trouverait bien puni si on le condamnait à vivre comme le moins heureux de nous ? N'exagérons donc pas l'importance des maux de cette terre pour nous faire un mérite de les avoir supportés. L'épreuve consiste plus dans la manière dont les maux ont été supportés que dans leur intensité qui, comme le bonheur terrestre, est toujours relatif pour chaque individu.

Les caractères distinctifs de l'expiation et de l'épreuve sont que la première est toujours imposée et que sa cause doit être connue de celui qui la subit, tandis que la seconde peut être volontaire, c'est-à-dire choisie par l'Esprit, ou imposée par Dieu même, à défaut de choix ; de plus elle se conçoit très bien sans cause connue, puisqu'elle n'est pas nécessairement la conséquence des fautes passées.

En un mot : l'expiation couvre le passé ; l'épreuve ouvre l'avenir.

Le numéro de juillet de la Revue spirite contient un article intitulé : Expiation terrestre, qui semblerait contraire à l'opinion émise ci-dessus ; cependant, en lisant attentivement, on verra que l'expiation véritable a eu lieu pendant la vie spirite, et que la position que Max a occupée pendant sa dernière incarnation n'est réellement que le genre d'épreuves qu'il a choisies ou qui lui ont été imposées, et dont il est sorti victorieux ; mais que, pendant toute cette incarnation, ignorant de sa position antérieure, il ne pouvait profiter en rien d'une expiation sans objet.

Cette question est peut-être plutôt une question de mots que de principe. En effet, il a été dit bien souvent : « Ne vous attachez pas aux mots, voyez le fond de la pensée. » Dans tous les cas, il convient, pour nous qui nous entendons au moyen des mots, d'être bien fixés sur le sens qu'on y attache. »

Réponse. - La distinction établie par l'auteur de la notice ci-dessus entre le caractère de l'expiation et celui des épreuves est parfaitement juste, et cependant nous ne saurions partager son opinion en ce qui concerne l'application de cette théorie à la situation de l'homme sur la terre.

L'expiation implique nécessairement l'idée d'un châtiment plus ou moins pénible, résultat d'une faute commise ; l'épreuve implique toujours celle d'une infériorité réelle ou présumée, car celui qui est arrivé au point culminant où il aspire n'a plus besoin d'épreuves. Dans certains cas, l'épreuve se confond avec l'expiation, c'est-à-dire que l'expiation peut servir d'épreuve, et réciproquement. Le candidat qui se présente pour obtenir un grade, subit une épreuve ; s'il échoue, il lui faut recommencer un travail pénible ; ce nouveau travail est la punition de la négligence apportée dans le premier ; la seconde épreuve devient ainsi une expiation. Pour le condamné à qui l'on fait espérer un adoucissement ou une commutation s'il se conduit bien, la peine est à la fois une expiation pour sa faute, et une épreuve pour son sort futur ; si, à sa sortie de prison, il n'est pas meilleur, l'épreuve est nulle, et un nouveau châtiment amènera une nouvelle épreuve.

Si nous considérons maintenant l'homme sur la terre, nous voyons qu'il y endure des maux de toutes sortes et souvent cruels ; ces maux ont une cause ; or, à moins de les attribuer au caprice du Créateur, on est forcé d'admettre que cette cause est en nous-mêmes, et que les misères que nous éprouvons ne peuvent être le résultat de nos vertus ; donc, elles ont leur source dans nos imperfections. Qu'un Esprit s'incarne sur la terre au sein de la fortune, des honneurs et de toutes les jouissances matérielles, on pourra dire qu'il subit l'épreuve de l'entraînement ; pour celui qui tombe dans le malheur par son inconduite ou son imprévoyance, c'est l'expiation de ses fautes actuelles, et l'on peut dire qu'il est puni par où il a péché. Mais que dira-t-on de celui qui, depuis sa naissance, est aux prises avec les besoins et les privations, qui trame une existence misérable et sans espoir d'amélioration, qui succombe sous le poids d'infirmités congéniales, sans avoir ostensiblement rien fait pour mériter un pareil sort ? Que ce soit une épreuve ou une expiation, la position n'en est pas moins pénible, et n'en serait pas plus équitable au point de vue de notre correspondant, puisque si l'homme ne se souvient pas de la faute, il ne se souvient pas davantage d'avoir choisi l'épreuve. Il faut donc chercher ailleurs la solution de la question.

Tout effet ayant une cause, les misères humaines sont des effets qui doivent avoir une cause ; si cette cause n'est pas dans la vie actuelle, elle doit être dans la vie antérieure. De plus, en admettant la justice de Dieu, ces effets doivent avoir une relation plus ou moins intime avec les actes précédents, dont ils sont à la fois le châtiment pour le passé, et l'épreuve pour l'avenir. Ce sont des expiations en ce sens qu'ils sont la conséquence d'une faute, et des épreuves par rapport au profit qu'on en retire. La raison nous dit que Dieu ne peut frapper un innocent ; donc, si nous sommes frappés, c'est que nous ne sommes pas innocents : le mal que nous ressentons est le châtiment, la manière dont nous le supportons est l'épreuve.

Mais il arrive souvent que, la faute ne se trouvant pas dans cette vie, on accuse la justice de Dieu, on nie sa bonté, on doute même de son existence ; là, précisément, est l'épreuve la plus scabreuse : le doute sur la divinité. Quiconque admet un Dieu souverainement juste et bon doit se dire qu'il ne peut agir qu'avec sagesse, même dans ce que nous ne comprenons pas, et que si nous subissons une peine, c'est que nous l'avons méritée ; donc c'est une expiation. Le Spiritisme, par la révélation de la grande loi de la pluralité des existences, lève complètement le voile sur ce que cette question laissait d'obscur ; il nous apprend que, si la faute n'a pas été commise en cette vie, elle l'a été dans une autre, et qu'ainsi la justice de Dieu suit son cours en nous punissant par où nous avons péché.

Vient ensuite la grave question de l'oubli qui, selon notre correspondant, enlève aux maux de la vie le caractère de l'expiation. C'est une erreur ; donnez-leur le nom que vous voudrez, vous ne ferez pas qu'ils ne soient pas la conséquence d'une faute ; si vous l'ignorez, le Spiritisme vous l'apprend. Quant à l'oubli des fautes elles-mêmes, il n'a point les conséquences que vous lui attribuez. Nous avons démontré ailleurs que le souvenir précis de ces fautes aurait des inconvénients extrêmement graves, en ce qu'il nous troublerait, nous humilierait à nos propres yeux et à ceux de nos proches ; qu'il apporterait une perturbation dans les rapports sociaux, et que, par cela même, il entraverait notre libre arbitre. D'un autre côté, l'oubli n'est point aussi absolu qu'on le suppose ; il n'a lieu que pendant la vie extérieure de relation, dans l'intérêt même de l'humanité ; mais la vie spirituelle n'a pas de solution de continuité ; l'Esprit, soit dans l'erraticité, soit dans ses moments d'émancipation, se souvient parfaitement, et ce souvenir lui laisse une intuition qui se traduit par la voix de la conscience qui l'avertit de ce qu'il doit faire ou ne pas faire ; s'il ne l'écoute pas, il est donc coupable. Le Spiritisme donne en outre à l'homme un moyen de remonter à son passé, sinon aux actes précis, du moins aux caractères généraux de ces actes qui ont déteint plus ou moins sur la vie actuelle. Des tribulations qu'il endure, expiations ou épreuves, il doit conclure qu'il a été coupable ; de la nature de ces tribulations, aidé par l'étude de ses tendances instinctives, et en s'appuyant sur le principe que la punition la plus juste est celle qui est la conséquence de la faute, il peut en déduire son passé moral ; ses tendances mauvaises lui apprennent ce qui reste d'imparfait à corriger en lui. La vie actuelle est pour lui un nouveau point de départ ; il y arrive riche ou pauvre de bonnes qualités ; il lui suffit donc de s'étudier lui-même pour voir ce qui lui manque, et de se dire : « Si je suis puni, c'est que j'ai péché, » et la punition même lui apprendra ce qu'il a fait. Citons une comparaison :

Supposons un homme condamné aux travaux forcés pour tant d'années et y subissant un châtiment spécial plus ou moins rigoureux selon sa faute ; supposons de plus qu'en entrant au bagne il perde le souvenir des actes qui l'y ont conduit ; ne pourra-t-il pas se dire : « Si je suis au bagne, c'est que j'ai été coupable, car on n'y met pas les gens vertueux ; donc tâchons de devenir bon pour n'y pas rentrer quand nous en serons sorti. » Veut-il savoir ce qu'il a fait? En étudiant la loi pénale, il saura quels sont les crimes qui y conduisent, car on n'est pas mis aux fers pour une étourderie ; de la durée et de la sévérité de la peine il en conclura le genre de ceux qu'il a dû commettre ; pour en avoir une idée plus exacte, il n'aura qu'à étudier ceux vers lesquels il se sent instinctivement entraîné ; il saura donc ce qu'il doit éviter désormais pour conserver sa liberté, et il y sera de plus excité par les exhortations des hommes de bien chargés de l'instruire et de le diriger dans la bonne voie. S'il n'en profite pas, il en subit les conséquences. Telle est la situation de l'homme sur la terre, où, pas plus que le condamné au bagne, il ne peut être placé pour ses perfections, puisqu'il y est malheureux et forcé au travail. Dieu lui multiplie les enseignements proportionnés à son avancement ; il l'avertit sans cesse, il le frappe même pour le réveiller de sa torpeur, et celui qui persiste dans son endurcissement ne peut s'excuser sur son ignorance.

En résumé, si certaines situations de la vie humaine ont plus particulièrement le caractère des épreuves, d'autres ont incontestablement celui du châtiment, et tout châtiment peut servir d'épreuve.

C'est une erreur de croire que le caractère essentiel de l'expiation soit d'être imposée ; nous voyons tous les jours dans la vie des expiations volontaires, sans parler des moines qui se macèrent et se fustigent avec la discipline et la haire. Il n'y a donc rien d'irrationnel à admettre qu'un Esprit, dans l'erraticité, choisisse ou sollicite une existence terrestre qui le mette à même de réparer ses erreurs passées. Cette existence lui fût-elle imposée, n'en serait pas moins juste, malgré l'absence momentanée de souvenir, par les motifs développés ci-dessus. Les misères d'ici-bas sont donc des expiations par leur côté effectif et matériel, et des épreuves par leurs conséquences morales. Quel que soit le nom qu'on leur donne, le résultat doit être le même : l'amélioration. En présence d'un but aussi important, il serait puéril de faire une question de principe d'une question de mot ; cela prouverait qu'on attache plus d'importance aux mots qu'à la chose.

Nous nous faisons un plaisir de répondre aux questions sérieuses et de les élucider quand cela se peut. Autant la discussion est utile avec les gens de bonne foi qui ont étudié et veulent approfondir les choses, parce que c'est travailler au progrès de la science, autant elle est oiseuse avec ceux qui jugent sans connaître et veulent savoir sans se donner la peine d'apprendre.



Monsieur le curé,

Je vous ai dit dans ma précédente lettre les motifs qui me font ne pas répondre article par article à votre brochure ; je ne les rappellerai pas, et me borne à relever quelques passages.

Vous dites : « Concluons de tout cela que le Spiritisme doit se borner à combattre le matérialisme, à donner à l'homme des preuves palpables de son immortalité au moyen des manifestations d'outre-tombe bien constatées ; que, hors ce cas, tout en lui n'est qu'incertitude, ténèbres épaisses, illusions, un véritable chaos ; que, comme doctrine philosophico-religieuse, il n'est qu'une véritable utopie, ainsi que tant d'autres, consignées dans l'histoire, et dont le temps fera bonne justice, en dépit de l'armée spirituelle dont vous vous êtes constitué le général en chef. »

Convenez d'abord, monsieur l'abbé, que vos prévisions ne se sont guère réalisées, et que le temps ne se presse pas beaucoup de faire justice du Spiritisme. S'il n'a pas succombé, il ne faut pas en accuser l'indifférence et la négligence du clergé et de ses partisans ; les attaques n'ont pas fait défaut : brochures, journaux, sermons, excommunications, ont fait feu sur toute la ligne ; rien n'a manqué, pas même le talent et le mérite incontestables de quelques-uns des champions. Si donc sous une si formidable artillerie les rangs des Spirites ont augmenté au lieu de diminuer, c'est que le feu s'en est allé en fumée. Encore une fois, une règle de logique élémentaire nous dit qu'on juge d'une puissance par ses effets ; vous n'avez pu arrêter le Spiritisme, donc il va plus vite que vous ; la raison en est qu'il va en avant, tandis que vous poussez en arrière, et le siècle marche.

En examinant les diverses attaques dirigées contre le Spiritisme, il en ressort un enseignement grave et triste à la fois ; celles qui viennent du parti sceptique et matérialiste sont caractérisées par la négation, la raillerie plus ou moins spirituelle, par des plaisanteries le plus souvent sottes et plates, tandis que, il est regrettable de le dire, c'est dans celles du parti religieux que se trouvent les plus grossières injures, les outrages personnels, les calomnies ; c'est de la chaire que sont tombées les paroles les plus offensantes ; c'est au nom de l'Eglise qu'a été publié l'ignoble et mensonger pamphlet sur le prétendu budget du Spiritisme. J'en ai donné quelques échantillons dans la Revue, et je n'ai pas tout dit, par déférence, et parce que je sais que tous les membres du clergé sont loin d'approuver de pareilles choses. Il est utile, cependant, que plus tard on sache de quelles armes on s'est servi pour combattre le Spiritisme. Malheureusement les articles de journaux sont fugitifs comme les feuilles qui les contiennent ; les brochures même n'ont qu'une existence éphémère, et dans quelques années le nom des plus fougueux et des plus bilieux antagonistes sera probablement oublié ! Il n'est qu'un moyen de prévenir cet effet du temps, c'est de collectionner toutes ces diatribes, de quelque côté qu'elles viennent, et d'en faire un recueil qui ne sera pas une des pages les moins instructives de l'histoire du Spiritisme. Les documents ne me manquent pas pour ce travail, et j'ai le regret de dire que ce sont les publications faites au nom de la religion qui, jusqu'à ce jour, en ont fourni le plus fort contingent. Je constate avec plaisir que votre brochure au moins fait exception sous le rapport de l'urbanité, si ce n'est pour la force des arguments.

Selon vous, monsieur l'abbé, tout dans le Spiritisme n'est qu'incertitude, ténèbres épaisses, illusions, chaos, utopies ; alors convenez qu'il n'est pas fort dangereux, car personne n'y doit rien comprendre. Qu'est-ce que l'Église peut avoir à craindre d'une chose aussi saugrenue ? S'il en est ainsi, pourquoi ce déploiement de forces ? A voir ce déchaînement on dirait qu'elle a peur. D'ordinaire on ne tire pas le canon d'alarme contre une mouche qui vole. N'y a-t-il pas contradiction à dire d'un côté que le Spiritisme est redoutable, qu'il menace la religion, et de l'autre que ce n'est rien ?

Dans le passage précité, je relève en passant une erreur, involontaire sans doute, car je ne suppose pas qu'à l'exemple de quelques-uns de vos collègues, vous altériez sciemment la vérité pour les besoins de la cause. Vous dites : « En dépit de l'armée spirituelle dont vous vous êtes constitué le général en chef. » Je vous demanderai d'abord ce que vous entendez par armée spirituelle ; est-ce l'armée des Esprits ou celle des Spirites ? La première interprétation vous ferait dire une absurdité, la seconde une fausseté, en ce qu'il est notoire que je ne me suis jamais constitué le chef de qui que ce soit. Si les Spirites me donnent ce titre, c'est par un sentiment spontané de leur part, en raison de la confiance qu'ils veulent bien m'accorder, tandis que vous donnez à entendre que je me suis imposé et que j'en ai pris l'initiative, chose que je nie formellement. Du reste, si le succès de la doctrine que je professe me donne une certaine autorité sur les adeptes, c'est une autorité purement morale dont je n'use que pour leur recommander le calme, la modération et l'abstention de toutes représailles envers ceux qui les traitent le plus indignement, pour les rappeler, en un mot, à la pratique de charité même envers leurs ennemis.

La partie la plus importante de ce paragraphe est celle où vous dites que « le Spiritisme doit se borner à combattre le matérialisme, et à prouver l'immortalité de l'âme par les manifestations d'outre-tombe. » Le Spiritisme est donc bon à quelque chose. Si les manifestations d'outre-tombe sont utiles pour détruire le matérialisme et prouver l'immortalité de l'âme, ce n'est donc pas le diable qui se manifeste ; pour arriver à cette preuve qui ressort, selon vous, de ces manifestations, il faut que l'on y reconnaisse ses parents et ses amis ; les Esprits qui se communiquent sont donc les âmes de ceux qui ont vécu. Ainsi, monsieur l'abbé, vous êtes en contradiction avec la doctrine professée par plusieurs de vos illustres confrères, à savoir que le diable seul peut se communiquer. Est-ce là un point de doctrine ou une opinion personnelle ? Dans le second cas, l'une n'a pas plus d'autorité que l'autre, dans le premier, vous frisez l'hérésie.

Il y a plus : puisque les communications d'outre-tombe sont utiles pour combattre l'incrédulité sur la base fondamentale de la religion : l'existence et l'immortalité de l'âme ; puisque le Spiritisme doit s'en servir à cette fin, il est donc permis à chacun de chercher dans l'évocation le remède au doute que la religion seule n'a pu vaincre ; il est, par conséquent, permis à tout croyant, à tout bon catholique, à tout prêtre même d'en user pour ramener au bercail des brebis égarées. Si le Spiritisme a des moyens de dissiper des doutes que la religion n'a pu détruire, il offre donc des ressources que la religion ne possède pas, autrement, il n'y aurait pas un incrédule dans la religion catholique ; pourquoi donc repousse-t-elle un moyen efficace de sauver des âmes ? D'un autre côté, comment concilier l'utilité que vous reconnaissez aux communications d'outre-tombe avec la défense formelle que fait l'Église d'évoquer les morts ? Puisqu'il est de principe rigoureux qu'on ne peut être catholique sans se conformer scrupuleusement aux préceptes de l'Église, que la moindre déviation à ses commandements est une hérésie, vous voilà, monsieur l'abbé, bien et dûment hérétique, car vous déclarez bon ce qu'elle condamne. Vous dites que le Spiritisme n'est que chaos et incertitude ; êtes-vous donc beaucoup plus clair ? De quel côté est l'orthodoxie sur ce point, puisque les uns pensent d'une façon et d'autres le contraire ? Comment voulez-vous que l'on soit d'accord quand vous êtes vous-même en contradiction avec vos paroles ? Votre brochure est intitulée : Réfutation complÈte de la doctrine spirite au point de vue religieux. Qui dit complet, dit absolu ; si la réfutation est complète, elle ne doit rien laisser subsister ; et voilà qu'au point de vue religieux même, vous reconnaissez une utilité immense à ce que l'Église défend ! Est-il une utilité plus grande que de ramener à Dieu des incrédules ? Votre brochure eût été mieux intitulée : Réfutation de la doctrine démoniaque de l'Eglise. Ce n'est pas, du reste, la seule contradiction que je pourrais relever. Mais, tranquillisez-vous, car vous n'êtes pas le seul dissident ; je connais pour ma part bon nombre d'ecclésiastiques qui ne croient pas plus que vous à la communication exclusive du diable ; qui s'occupent d'évocations en toute sûreté de conscience ; qui même ne croient pas plus que moi aux peines irrémissibles et à la damnation éternelle absolue, d'accord en cela avec plus d'un Père de l'Église, ainsi qu'il vous le sera démontré plus tard. Oui, beaucoup plus d'ecclésiastiques qu'on ne pense envisagent le Spiritisme d'un point plus élevé ; frappés de l'universalité des manifestations et du spectacle imposant de cette marche irrésistible, ils y voient l'aurore d'une ère nouvelle, et un signe de la volonté de Dieu devant laquelle ils s'inclinent dans le silence.

Vous dites, monsieur l'abbé, que le Spiritisme devait s'arrêter à tel point, et ne pas aller au delà. Il faut en tout être conséquent avec soi-même. Pour que ces âmes puissent convaincre les incrédules de leur existence, il faut qu'elles parlent ; or, peut-on les empêcher de dire ce qu'elles veulent ? Est-ce ma faute si elles viennent décrire leur situation, heureuse ou malheureuse, autrement que l'enseigne l'Église ? si elles viennent dire qu'elles ont déjà vécu et qu'elles revivront encore corporellement ? que Dieu n'est ni cruel, ni vindicatif, ni inflexible, comme on le représente, mais bon et miséricordieux ? si, sur tous les points du globe où on les appelle pour se convaincre de la vie future, elles disent la même chose ? Est-ce ma faute enfin si le tableau qu'elles font de l'avenir réservé aux hommes est plus séduisant que celui que vous offrez ? si les hommes préfèrent la miséricorde à la damnation ? Qui a fait la doctrine spirite ? Ce sont leurs paroles, et non mon imagination ; ce sont les acteurs mêmes du monde invisible, les témoins oculaires des choses d'outre-tombe qui l'ont dictée, et elle n'a été établie que sur la concordance de l'immense majorité des révélations faites de tous les côtés et à des milliers de personnes que je n'ai jamais vues. Je n'ai donc fait dans tout ceci que recueillir et coordonner méthodiquement l'enseignement donné par les Esprits ; sans tenir aucun compte des opinions isolées, j'ai adopté celles du plus grand nombre, écartant toutes les idées systématiques, individuelles, excentriques ou en contradiction avec les données positives de la science.

De ces enseignements et de leur concordance, ainsi que de l'observation attentive des faits, il ressort que les manifestations spirites n'ont rien de surnaturel, mais sont au contraire le résultat d'une loi de la nature, inconnue jusqu'à ce jour, comme l'ont été longtemps celles de la gravitation, du mouvement des astres, de la formation de la terre, de l'électricité, etc. Dès lors que cette loi est dans la nature, elle est l'œuvre de Dieu, à moins de dire que la nature est l'œuvre du diable ; cette loi, expliquant une foule de choses inexplicables sans cela, a converti autant d'incrédules à l'existence de l'âme que le fait proprement dit des manifestations, et la preuve en est dans le grand nombre de matérialistes ramenés à Dieu par la seule lecture des ouvrages, sans avoir rien vu. Eût-il mieux valu qu'ils restassent dans l'incrédulité, au risque même de n'être pas tout à fait dans l'orthodoxie catholique ?

La doctrine spirite n'est donc point mon œuvre, mais celle des Esprits ; or, si ces Esprits sont les âmes des hommes, elle ne peut être l'œuvre du démon. Si c'était ma conception personnelle, en voyant son prodigieux succès, je ne pourrais que m'en féliciter ; mais je ne saurais m'attribuer ce qui n'est pas de moi. Non, elle n'est point l'œuvre d'un seul, ni homme ni Esprit, qui, quel qu'il fût, n'aurait pu lui donner une sanction suffisante, mais d'une multitude d'Esprits, et c'est là ce qui fait sa force, car chacun est à même d'en recevoir la confirmation. Le temps, comme vous le dites, en fera-t-il bonne justice ? Il faudrait pour cela qu'elle cessât d'être enseignée, c'est-à-dire que les Esprits cessassent d'exister et de se communiquer par toute la terre ; il faudrait en outre qu'elle cessât d'être logique et de satisfaire aux aspirations des hommes. Vous ajoutez que vous espérez que je reviendrai de mon erreur ; je ne le pense pas, et, franchement, ce ne sont pas les arguments de votre brochure qui me feront changer d'avis, ni déserter le poste où la Providence m'a placé, poste où j'ai toutes les joies morales auxquelles un homme peut aspirer sur la terre, en voyant fructifier ce qu'il a semé. C'est un bonheur bien grand et bien doux, je vous assure, que la vue des heureux que l'on fait, de tant d'hommes arrachés au désespoir, au suicide, à la brutalité des passions et ramenés au bien ; une seule de leurs bénédictions me paye largement de toutes mes fatigues et de toutes les insultes ; ce bonheur, il n'est au pouvoir de personne de me l'enlever ; vous ne le connaissez pas, puisque vous voudriez me l'ôter ; je vous le souhaite de toute mon âme ; essayez-en, et vous verrez.

Monsieur l'abbé, je vous ajourne à dix ans pour voir ce que vous penserez alors de la doctrine.

Agréez, etc.

Allan Kardec.

Nous extrayons le passage suivant d'un article publié dans l'Echo de Sétif, du 23 juillet 1863, en réponse à la brochure intitulée : le Budget du Spiritisme, dont nous avons parlé dans le numéro de la Revue spirite du mois de juin dernier :

« Ne donnons pas autant d'extension à la question, et, pour mieux nous comprendre, procédons par ordre :

1° Vous croyez à l'immortalité de l'âme et moi aussi. Nous voilà d'accord sur ce point.

2° Après ma mort, vous envoyez mon âme vers Dieu et moi aussi. Deuxième point sur lequel nous sommes d'accord.

3° Une fois mon âme arrivée vers Dieu, vous voulez, soit qu'elle reste en présence de Dieu, soit qu'elle aille en enfer, soit enfin qu'elle aille en purgatoire ; voilà les trois seuls endroits où vous lui permettez de se mouvoir.

Ici, nous ne sommes plus d'accord. Moi, je crois que Dieu peut permettre à une âme de voyager partout ; vous, vous lui circonscrivez l'espace, et moi je l'élargis.

Dites-moi, loyalement et franchement, si vous pensez que votre opinion soit mieux fondée que la mienne ; dites-moi pourquoi Dieu empêcherait mon âme de voyager après la mort de mon corps ? Avez-vous à ce sujet quelque révélation ? avez-vous une preuve tirée seulement d'un raisonnement ? Je ne le crois pas.

Moi, j'en ai une : c'est le raisonnement que je tire du connu à l'inconnu. Dieu a créé des lois immuables qui ne se contredisent jamais ; or, je vois dans la nature qui m'est connue que tout se meut, que tout s'agite, que rien ne reste en repos ; Dieu le veut ainsi.

Cette seule vérité que je touche, que je sens, me suffit pour me prouver qu'il en est de même pour les mondes qui me sont inconnus. De votre côté, dites-moi pourquoi vous voulez qu'il en soit autrement.

Si vous ne contestez pas que mon âme puisse se mouvoir après la mort de mon corps, si elle vit, si elle sent, si elle peut se communiquer avec quelque chose, avec quelqu'un, dites-moi pourquoi elle ne pourra jamais communiquer avec votre âme, encore attachée à votre corps ; donnez-moi une raison, une raison qui ait de la raison, autrement je la repousse.

Si vous me dites que votre intelligence se refuse à croire cela, c'est une raison que je n'admets pas, parce qu'il y a des millions de choses que votre intelligence refusera de croire, et que, cependant, vous croirez après les avoir vues ; tel a fait saint Thomas.

Je n'ai qu'une prière à vous adresser, moi ; je ne tiens pas à ce que vous croyiez, je n'y ai aucun intérêt, - mais je vous supplie de n'insulter personne sans nécessité.

Quel que soit votre mérite, il y a des hommes qui vous valent dans le Spiritisme. Il y en a qui veulent voir, étudier, s'instruire ; il y en a qui ont vu des choses surprenantes, ils veulent en connaître les causes avant de se prononcer. Eh bien ! faites comme eux : étudiez, tâchez de trouver. Puis, quand vous aurez trouvé, donnez-nous l'explication claire et précise du phénomène ; voilà qui vaudra mieux que des expressions mal sonnantes. Vous aurez fait faire un pas à la science, et calmé les consciences alarmées comme la vôtre. Voilà enfin un beau rôle à remplir !

Avant de terminer, posons une dernière question à M. Leblanc de Prébois.

A-t-il vendu sa brochure, ou l'a-t-il publiée seulement par amour pour l'humanité ?

C***. »





Cet ouvrage est un récit pur et simple, sans commentaires ni explications, des phénomènes médianimiques produits par M. Home. Ces phénomènes sont très intéressants pour quiconque connaît le Spiritisme et peut se les expliquer, mais seuls ils sont peu convaincants pour les incrédules qui, ne croyant pas même à ce qu'ils voient, croient encore moins à ce qu'on raconte ; c'est un recueil de faits plus approprié à ceux qui savent qu'à ceux qui ne savent pas, instructif pour les premiers, simplement curieux pour les seconds. Notre intention n'est ni d'examiner ni de discuter ici ces faits qui feraient double emploi avec les articles que nous avons publiés sur M. Home dans la Revue spirite (février, mars, avril et mai 1858, pages 58, 88, 117, 120, 145). Nous dirons seulement que la simplicité du récit a un cachet de vérité qu'on ne saurait méconnaître, et que, pour nous, nous n'avons aucun motif d'en suspecter l'authenticité ; ce qu'on peut lui reprocher, c'est trop de monotonie, et l'absence de toute conclusion, de toute déduction philosophique ou morale ; ce sont aussi de trop fréquentes incorrections de style ; la traduction, dans certaines parties surtout, s'écarte beaucoup trop du génie de la langue française. Si le doute est la première impression chez celui qui ne peut se rendre compte de ces faits, quiconque aura lu attentivement et compris nos ouvrages, principalement le Livre des médiums, en reconnaîtra tout au moins la possibilité, parce qu'il en aura l'explication.

M. Home, comme on le sait, est un médium à effets physiques d'une très grande puissance ; une particularité remarquable, c'est qu'il réunit en sa personne l'aptitude nécessaire à l'obtention de la plupart des phénomènes de ce genre, et cela à un degré en quelque sorte exceptionnel. Quoique la malveillance se soit plu à lui attribuer une multitude de faits apocryphes, ridicules par leur exagération, il en reste assez pour justifier sa réputation ; son ouvrage aura surtout le grand avantage de faire la part du vrai et du faux.

Les phénomènes qu'il produit nous reportent à la première période du Spiritisme, à celle des tables tournantes, autrement dite de curiosité ; c'est-à-dire à celle des effets préliminaires qui avaient pour objet d'appeler l'attention sur le nouvel ordre de choses et d'ouvrir la voie de la période philosophique. Cette marche était rationnelle, car toute philosophie doit être la déduction de faits consciencieusement étudiés et observés, et celle qui ne reposerait que sur des idées purement spéculatives manquerait de base. La théorie devait donc découler des faits, et les conséquences philosophiques devaient découler de la théorie. Si le Spiritisme se fût borné aux phénomènes matériels, la curiosité une fois satisfaite, il n'aurait eu qu'une vogue éphémère ; on en a la preuve par les tables tournantes qui ont eu le privilège d'amuser les salons pendant quelques hivers seulement. Sa vitalité n'était que dans son utilité ; aussi l'extension prodigieuse qu'il a acquise date de l'époque où il est entré dans la voie philosophique ; de cette époque seulement il a pris rang parmi les doctrines.

L'observation et la concordance des faits ont conduit à la recherche des causes ; la recherche des causes a conduit à reconnaître que les rapports entre le monde visible et le monde invisible existent en vertu d'une loi ; cette loi une fois connue a donné l'explication d'une foule de phénomènes spontanés jusqu'alors incompris, et réputés surnaturels avant qu'on en connût la cause ; la cause établie, ces mêmes phénomènes sont rentrés dans l'ordre des faits naturels, et le merveilleux a disparu. Sous ce rapport on peut, avec raison, critiquer la qualification de surnaturelle que M. Home donne à sa vie dans son ouvrage ; jadis il eût sans doute passé pour un thaumaturge ; au moyen âge, s'il eût été moine, on en eût fait un saint ayant le don des miracles ; simple particulier, il eût passé pour sorcier et on l'aurait brûlé ; chez les Païens, on en eût fait un dieu et on lui eût élevé des autels ; mais autre temps, autres mœurs : aujourd'hui, c'est un simple médium, prédestiné par la puissance de sa faculté à restreindre le cercle des prodiges, en prouvant, par l'expérience, que certains effets dits merveilleux ne sortent pas des lois de la nature.

Quelques personnes en ont conçu des craintes pour l'authenticité de certains miracles en voyant ceux-ci tomber dans le domaine public. M. Home partageant ce don avec une foule d'autres médiums qui reproduisent ces phénomènes à la vue de tout le monde, il devenait impossible, en effet, de les considérer comme des dérogations aux lois de la nature, caractère essentiel des faits miraculeux, à moins d'admettre qu'il était donné au premier venu de pouvoir bouleverser ces lois. Mais qu'y faire ? On ne peut empêcher d'être ce qui est ; on ne peut mettre sous le boisseau ce qui n'est le privilège d'aucun individu ; il faut donc se résigner à accepter les faits accomplis, de même qu'on a accepté le mouvement de la terre et la loi de sa formation. Si M. Home eût été seul en son genre, lui mort, on pourrait nier ce qu'il a fait, mais comment nier des phénomènes rendus vulgaires par la multiplicité et la perpétuité des médiums qui se forment chaque jour dans des milliers de familles, sur tous les points du globe ? Encore une fois, de gré ou de force, il faut accepter ce qui est, et ce qu'on ne peut empêcher.

Mais ce que certains phénomènes perdent en prestige au point de vue miraculeux, ils le gagnent en authenticité ; l'incrédulité à l'endroit des miracles est à l'ordre du jour, il faut bien en convenir, et la foi en était réellement ébranlée ; maintenant, en présence des effets médianimiques, et grâce à la théorie spirite qui prouve que ces effets sont dans la nature, la possibilité de ces phénomènes est démontrée, et l'incrédulité devra se taire. La négation d'un fait entraîne la négation de ses conséquences ; vaut-il mieux nier le fait en tant que miraculeux, que de l'admettre comme simple loi de la nature ? Est-ce que les lois de la nature ne sont pas l'œuvre de Dieu ? est-ce que la révélation d'une nouvelle loi n'est pas une preuve de sa puissance ? Dieu est-il moins grand d'agir en vertu de ses lois qu'en y dérogeant ? D'ailleurs, est-ce que les miracles sont l'attribut exclusif de la puissance divine ? L'Église elle-même ne nous enseigne-t-elle pas que « de faux prophètes, suscités par le démon, peuvent faire des miracles et des prodiges à séduire même les élus ? » Si le démon peut faire des miracles, il peut déroger aux lois de Dieu, c'est-à-dire défaire ce que Dieu a fait ; mais l'Eglise ne dit nulle part que le démon peut faire des lois pour régir l'univers ; or, puisque les miracles peuvent être faits par Dieu et par le démon, que les lois sont l'œuvre de Dieu seul, le Spiritisme, en prouvant que certains faits regardés comme des exceptions, sont des applications des lois de la nature, atteste, par cela même, bien plus la puissance de Dieu que les miracles, puisqu'il n'attribue qu'à Dieu ce qui, dans l'autre hypothèse, pourrait être l'œuvre du démon.

Des phénomènes produits par M. Home, il ressort un autre enseignement, et son livre vient à l'appui de ce que nous avons dit bien des fois sur l'insuffisance des manifestations physiques seules pour amener la conviction chez certaines personnes. C'est un fait bien connu que beaucoup de gens ont été témoins des manifestations les plus extraordinaires sans être convaincus, et cela, parce que ne les comprenant pas, et n'ayant aucune base pour asseoir un raisonnement, ils n'y ont vu que de la jonglerie. Assurément, si quelqu'un était capable de vaincre l'incrédulité par des effets matériels, c'était M. Home ; aucun médium n'a produit un ensemble de phénomènes plus saisissants, ni dans de meilleures conditions d'honorabilité, et cependant bon nombre de ceux qui l'ont vu à l'œuvre le traitent encore, à l'heure qu'il est, d'adroit prestidigitateur ; pour beaucoup, il fait des choses très curieuses, plus curieuses que chez Robert Houdin, et voilà tout. Il semblait cependant qu'en présence de faits aussi éclatants, rendus notoires par le nombre et la qualité des témoins, toute négation devenait impossible, et que la France allait être convertie en masse. Quand ces phénomènes ne se produisaient qu'en Amérique, on se rejetait sur l'impossibilité de les voir ; M. Home est venu les montrer à l'élite de la société, et dans cette société même il a trouvé plus de curieux que de croyants, bien qu'ils défiassent toute suspicion fondée de charlatanisme. Que manquait-il donc à ces manifestations pour convaincre ? Il leur manquait la clef pour être comprises. Aujourd'hui, il n'est pas un Spirite ayant étudié un peu sérieusement la science, qui n'admette tous les faits relatés dans le livre de M. Home sans les avoir vus, tandis que, parmi ceux mêmes qui les ont vus, il est plus d'un incrédule, tant il est vrai que ce qui parle à l'esprit et s'appuie sur le raisonnement a une puissance de conviction que ne possède pas ce qui ne parle qu'aux yeux.

S'ensuit-il que la venue de M. Home ait été inutile ? Certainement non ; nous l'avons dit et nous le répétons : il a hâté l'éclosion du Spiritisme en France, par l'éclat qu'il a jeté sur les phénomènes, même parmi les incrédules, en prouvant qu'ils ne sont entourés d'aucun mystère, ni d'aucune des formules ridicules de la magie, et qu'on peut être médium sans avoir l'air d'un sorcier ; enfin, par le retentissement que son nom et le monde qu'il a fréquenté ont donné à la chose ; sa venue a donc été très utile, quand ce ne serait que pour avoir fourni à M. Oscar Comettant l'occasion d'en parler, et de faire le spirituel article que l'on connaît, pour lequel il n'a manqué à l'auteur que de connaître ce qu'il a voulu critiquer ; absolument comme si un homme ne sachant pas un mot de musique voulait critiquer Mozart ou Beethoven. (Voir le compte rendu de l'ouvrage de M. Home par M. Comettant, dans le Siècle du 15 juillet 1863, et quelques mots de notre part sur cet article dans la Revue spirite du mois d'août suivant.)

Prêchés à la cathédrale de Metz les 27, 28 et 29 mai 1863, par le R. P. Letierce, de la Compagnie de Jésus ; - réfutés par un Spirite de Metz, et précédés de considérations sur la folie spirite[1].

Quoique nous ne connaissions pas personnellement l'auteur de cet opuscule, nous pouvons dire que c'est l'œuvre d'un Spirite éclairé et sincère ; nous sommes heureux de voir la défense du Spiritisme prise par des mains habiles qui savent allier la puissance du raisonnement à la modération qui est l'apanage de la véritable force. Les arguments des adversaires y sont combattus avec une logique à laquelle nous ne savons quelle logique on pourrait opposer, car il n'y en a qu'une sérieuse, celle dont les déductions ne laissent aucune place à la réplique, et nous trouvons que celle de l'auteur est dans ce cas. Sans doute, à tort ou à raison, on peut toujours répliquer, parce qu'il y a des gens avec lesquels on n'a jamais le dernier mot, s'agirait-il de leur prouver qu'il fait jour à midi ; mais ce n'est pas d'eux qu'il s'agit d'avoir raison ; peu importe qu'ils soient ou non convaincus de leur erreur ; aussi n'est-ce pas à eux qu'on s'adresse, mais au public, juge en dernier ressort des bonnes et des mauvaises causes. Il y a dans l'esprit des masses un bon sens qui peut faillir dans les individus isolés, mais dont l'ensemble est comme la résultante des forces intellectuelles et du sens commun.

La brochure dont il s'agit réunit, selon nous, les avantages du fond et de la forme ; c'est-à-dire qu'à la justesse du raisonnement, elle joint la correction et l'élégance du style, qui ne gâtent jamais rien et rendent la lecture de tout écrit plus attachante et plus facile. Nous ne doutons pas que cet écrit ne soit accueilli avec la sympathie qu'il mérite par tous les Spirites ; nous le leur recommandons en toute confiance et sans restriction ; en contribuant à le répandre ils rendront service à la cause.





[1] Brochure in-12. Prix : 1 fr. ; par la poste, 1 fr. 10 c. - Paris, chez MM. Didier, 35, quai des Augustins ; Ledoyen, palais-Royal ; Metz, chez Linden, 1, rue Pierre-Hardie.





Dissertations spirites

Société spirite de Paris, 31 juillet 1863. - Médium madame Costel

Me voici donc encore sur le théâtre du monde, moi qui me croyais ensevelie pour jamais dans mon voile d'innocence et de jeunesse. Le feu de la terre me sauvait du feu de l'enfer : ainsi je pensais dans ma foi catholique, et, si je n'osais entrevoir les splendeurs du paradis, mon âme tremblante se réfugiait dans l'expiation du purgatoire, et je priais, je souffrais, je pleurais. Mais qui donnait à ma faiblesse la force de supporter mes angoisses ? qui, dans les longues nuits d'insomnie et de fièvre douloureuse, se penchait sur ma couche de martyre ? qui rafraîchissait mes lèvres arides ? C'était vous, mon ange gardien, dont la blanche auréole m'entourait ; c'était vous aussi, chers Esprits amis, qui veniez murmurer à mon oreille des paroles d'espoir et d'amour.

La flamme qui consuma mon faible corps me dépouilla de l'attachement à ce qui passe ; aussi je mourus déjà vivante de la vraie vie. Je ne connus pas le trouble, et j'entrai sereine et recueillie dans le jour radieux qui enveloppe ceux qui, après avoir beaucoup souffert, ont un peu espéré. Ma mère, ma chère mère, fut la dernière vibration terrestre qui résonna à mon âme. Que je voudrais qu'elle devînt Spirite !

Je me suis détachée de l'arbre terrestre comme un fruit mûr avant le temps. Je n'étais encore qu'effleurée par le démon de l'orgueil qui pique les âmes des malheureuses entraînées par le succès brillant et l'ivresse de la jeunesse. Je bénis la flamme ; je bénis les souffrances ; je bénis l'épreuve qui était une expiation. Semblable à ces légers fils blancs de l'automne, je flotte entraînée dans le courant lumineux ; ce ne sont plus les étoiles de diamant qui brillent sur mon front, mais les étoiles d'or du bon Dieu.



Nota. - Notre intention avait été d'évoquer dans cette séance cet Esprit, auquel nous savions que beaucoup d'entre nous étaient sympathiques. Des raisons particulières nous avaient fait ajourner cette évocation, dont nous n'avions entretenu personne ; mais cet Esprit, attiré sans doute par notre pensée et celle de plusieurs membres, vint spontanément, et sans être appelé, dicter la charmante communication ci-dessus.

Société spirite de Paris, 31 juillet 1863. - Médium, M. Alfred Didier

La religion catholique nous montre le purgatoire comme un lieu où l'âme, en subissant de terribles expiations, allège ses fautes et revendique peu à peu, par la douleur, ses droits au soleil de la vie éternelle. Image splendide ! la plus vraie, la plus parfaite de la grande trinité dogmatique de l'enfer, du purgatoire et du paradis. Malgré ses sévérités désespérantes, l'Eglise a compris qu'il fallait un milieu entre la damnation éternelle et le bonheur éternel. Elle a confondu, cependant, dans cet étrange assemblage, le temps infini et progressif, qui n'est qu'un, avec trois situations limitées et incompréhensibles. A la religion ou plutôt à l'enseignement tout humanitaire et tout progressif du Christ, le Spiritisme ajoute les moyens de réaliser cette idéale humanité. Dans les écarts philosophiques de notre époque, il y a plus d'un germe spirite ; et tel philosophe sceptique qui ne conseille pour le bonheur définitif de l'humanité que l'éloignement et la destruction de toute croyance humaine et divine, travaille plus qu'on ne croit à la tendance universelle du Spiritisme. Seulement, c'est une route où le ciel paraît peu, où l'existence future n'apparaît presque pas, mais où du moins la tranquillité matérielle et pour ainsi dire égoïste de cette vie est comprise avec la netteté du législateur, et, sinon du saint, du moins d'un philanthrope humanitaire.

Or, il s'agirait de savoir si, à l'état latent, pour ainsi dire, de la vie extra-corporelle, et que l'on pourrait appeler intra-vitale, il s'agirait de savoir si, avec la mesure de connaissances et de sagacité clairvoyante que possèdent les Esprits supérieurs, le progrès universel est aussi efficace que le progrès terrestre. Cette question fondamentale pour le Spiritisme s'est jusqu'à présent résolue un peu trop par des réponses de détail ; ce n'est plus seulement, comme le dit l'Eglise, un lieu d'expiations, c'est un foyer universel où justement les âmes qui y circulent redoutent avec angoisses ou acceptent avec espérance les existences qui se dévoilent à elles. Là est, selon nous, seulement le commencement de ce qu'on appelle le purgatoire ; et l'erraticité, cette phase importante de la vie de l'âme, ne nous semble aucunement expliquée, ni même mentionnée par les dogmes catholiques.

Lamennais.

Groupe d'Orléans. - Médium, M. de Monvel

De toutes les vertus dont le Christ nous a laissé l'adorable exemple, il n'en est pas une qui ait été plus indignement oubliée par la triste humanité que la chasteté. Et je ne parle pas seulement de la chasteté du corps, dont on trouverait encore sans doute sur la terre de nombreux exemples, mais de cette chasteté de l'âme qui n'a jamais conçu une pensée, laissé échapper une parole de nature à flétrir la pureté de la vierge ou de l'enfant qui l'écoute.

Le mal est si universel, les occasions de danger si multipliées, que les parents, même les plus véritablement chastes dans leurs actes comme dans leurs discours, ne peuvent échapper à la douloureuse certitude que leurs enfants ne pourront, quoi qu'ils fassent, se soustraire à la funeste contagion. Il leur faut, quelque répugnance qu'ils en éprouvent, se résigner à ouvrir eux-mêmes les yeux à ces innocentes créatures, pour les préserver tout au moins du danger physique, puisqu'il est absolument impossible de les préserver du danger moral ; et, bien souvent encore, lorsqu'ils croient avoir paré au danger, il se trouve quelque écueil dont ils n'avaient pas soupçonné l'existence, et sur lequel vient échouer le pauvre et innocent enfant que leur amour n'a pu préserver de la souillure du vice.

Combien de mots imprudents, même dans la société la plus choisie ; combien d'images et de descriptions, même dans les livres les plus sérieux, ne viennent-ils pas, à l'insu des parents, éveiller, exciter, ou même satisfaire complètement cette curiosité avide, si redoutable, de l'enfant qui n'a aucune conscience du danger ! Si le mal est difficile à éviter, même dans les classes les plus éclairées de la société, qu'est-ce donc dans les classes inférieures ? Et en supposant qu'un enfant ait eu le bonheur d'y échapper sous le toit paternel, comment le garantir de cet inévitable contact avec les vices qu'il coudoie chaque jour ?

Il y a là une plaie bien profonde, bien dangereuse, et dont tout homme qui a conservé au fond du cœur le sens moral doit éprouver le plus impérieux besoin de purger la société. Le mal est enraciné dans nos cœurs, et il s'écoulera bien du temps encore avant que chacun de nous soit devenu assez pur pour en soupçonner seulement la gravité. Tel croirait commettre une faute sérieuse s'il se permettait devant un enfant le moindre mot à double entente, qui, s'il se croit entouré de personnes d'un âge mûr, trouvera un plaisir avoué dans des plaisanteries obscènes ou triviales, qui, dit-il, ne font de mal à personne. Il ne voit pas que l'obscénité est un mal tellement immoral qu'il flétrit tout ce qu'il touche, même l'air, dont les vibrations vont porter au loin la contagion. On a dit que les murs ont des oreilles, et si cette figure a jamais été vraie, c'est surtout en pareille matière. La pure et sainte chasteté n'établira définitivement son règne sur la terre que lorsque toute créature qui pense et qui parle aura compris qu'elle ne doit jamais, en quelque circonstance que ce soit, ni écrire un mot ni prononcer une parole que la vierge la plus pure ne puisse entendre sans rougir.

Vous n'avez pas d'enfants, direz-vous, et il n'y en a pas un seul dans votre maison, et, dès lors, vous n'avez aucune raison, à ce qu'il vous semble, pour vous contraindre. Mais si vous étiez purs vous-mêmes, vous ne seriez pas obligés de vous contraindre ; et n'avez-vous pas des amis qui vous écoutent, que votre exemple excite, et qui peut-être ailleurs perdront devant des enfants, que vous ne connaissez pas, la réserve qu'un reste de pudeur leur avait fait observer jusque-là. Puis aussi, c'est presque toujours aux heures des repas que votre esprit se laisse aller à des saillies qui excitent le rire des convives ; mais ne voyez-vous pas ces serviteurs qui vous entourent, et votre voisin a des enfants ! Vous ne connaissez ni ce voisin ni ces enfants, et vous ne saurez jamais le mal dont vous avez été la cause ; mais le mal, de quelque part qu'il vienne, sera toujours puni, soyez-en convaincus. Il n'y a pas que les murs qui ont des oreilles, et il y a dans l'air que vous respirez des choses que vous ne connaissez pas encore, ou que vous ne voulez pas connaître.

Nul n'a le droit d'exiger de ses subalternes une vertu qu'il ne pratique ni ne possède lui-même.

Un seul mot impur suffit pour altérer la pureté d'un enfant ; un seul enfant impur introduit dans une maison d'éducation publique suffit pour gangrener toute une génération d'enfants, qui, plus tard, deviendront des hommes. Y a-t-il un seul homme sensé qui révoque en doute la vérité patente et douloureuse de ce fait ? Nul n'en doute, nul n'ignore toute l'étendue du mal qu'un seul mot peut faire, et cependant nul ne se croit obligé à cette chasteté de l'âme que révolte toute pensée obscène, quelque déguisée qu'elle soit, et même, dans de certaines circonstances, nul ne regarde comme une stricte obligation morale de s'abstenir de plaisanteries qui devraient le faire rougir lui-même, s'il ne se faisait gloire de ne plus rougir. Triste et honteuse gloire que celle-là !

Ce n'est pas seulement la chasteté que nous devrions respecter chez les enfants, c'est aussi cette délicate candeur à qui toute idée de fausseté fait monter le rouge au front ; et cette vertu est bien rare aussi ; mais quand on observe comment est élevée l'immense majorité de nos enfants, on ne doit pas s'en étonner beaucoup. Pour la plupart des parents les enfants, surtout en bas âge, ne sont guère que de petites poupées dont on s'amuse comme d'un charmant jouet. Et ce qui les rend si divertissants, c'est que leur naïve crédulité permet de les taquiner du matin au soir par ces petits mensonges qu'on croit innocents parce qu'ils sont faits sans méchanceté aucune, et uniquement, comme on dit, pour rire. Or, dans sa véritable acception, le mot innocent signifie : qui ne nuit pas ; mais qu'y a-t-il de plus nuisible, au contraire, à la candeur d'un enfant, que ces petits abus de confiance incessants dont il est dupe un instant, mais un instant seulement, dont il rit et s'amuse ensuite, et qu'il trouve le plus grand plaisir à imiter lui-même autant qu'il le peut.

Il résulte de cela que l'enfant souvent le plus candide apprend à tromper aussi vite qu'il apprend à parler, et qu'au bout de très peu de temps il est capable de donner des leçons à ses maîtres.

On ne se doute guère combien, surtout à cet âge, souvent une faible cause peut produire plus tard les plus déplorables résultats. Les organes de l'intelligence, chez les très jeunes enfants, sont comme une cire molle apte à recevoir l'empreinte du plus faible objet qui la touche ; et, ne fût-ce qu'un instant, il y a déformation ; et lorsque cette cire, si fluide d'abord, viendra à se figer, l'empreinte restera désormais ineffaçable. On peut croire qu'elle sera couverte par d'autres, c'est une erreur : l'empreinte primitive restera seule indélébile, et ce seront les impressions ultérieures, au contraire, qui ne laisseront qu'une trace fugitive et sous laquelle la première reparaîtra toujours.

Voilà ce que bien peu de jeunes pères sont capables de sentir avec assez de force pour s'en faire une règle de conduite avec leurs enfants, et ce qu'il faut leur répéter à satiété.

Cécile Monvel.

Thionville, 25 décembre 1862. - M. le docteur R…

Nous vous avons fait entrevoir l'aurore de la régénération humaine ; vous devez voir là, comme dans toute la marche de l'humanité à travers les âges, le doigt de Dieu.

Nous vous l'avons dit bien souvent : Tout ce qui arrive ici-bas, comme tout ce qui se passe dans l'univers entier, est soumis à une loi générale : celle du progrès.

Inclinez-vous devant elle, orgueilleux et superbes qui prétendez vous mettre au-dessus des décrets du Très-Haut ! Cherchez partout la cause de vos malheurs comme de vos jouissances, vous y reconnaîtrez toujours le doigt de Dieu.

Mais, direz-vous, le doigt de Dieu, c'est donc le fatalisme ! Ah ! gardez-vous de confondre ce mot impie avec les lois que la Providence vous a imposées, la Providence, qui a dû vous laisser votre libre arbitre pour vous laisser en même temps le mérite de vos actes, mais qui en tempère la rigueur par cette voix, si souvent méconnue, qui vous avertit du danger auquel vous vous exposez.

Le fatalisme, c'est la négation du devoir, parce que notre sort étant fixé d'avance, il ne nous appartient pas de le changer.

Que deviendrait le monde avec cette effroyable théorie qui abandonnerait les hommes aux perfides suggestions des plus mauvaises passions ? Où serait le but de la création ? où serait la raison d'être de l'ordre admirable qui règne dans l'univers ?

Le doigt de Dieu, au contraire, c'est la punition toujours suspendue sur la tête du coupable ; c'est le remords qui le ronge au cœur, en lui reprochant ses crimes à chaque instant du jour ; c'est l'affreux cauchemar qui le torture pendant de longues nuits sans sommeil ; c'est cette trace sanglante qui le suit en tous lieux, comble pour reproduire sans cesse à ses yeux l'image de ses forfaits ; c'est la fièvre qui tourmente l'égoïste ; ce sont les angoisses perpétuelles du mauvais riche, qui voit dans tous ceux qui l'approchent des spoliateurs disposés à lui ravir un bien mal acquis ; c'est la douleur qu'il éprouve à son heure dernière de ne pouvoir emporter ses inutiles trésors !

Le doigt de Dieu, c'est la paix du cœur réservée à l'homme juste ; c'est ce doux parfum qui vous remplit l'âme après une bonne action ; c'est cette suave jouissance qu'on éprouve toujours à faire le bien ; c'est la bénédiction du pauvre qu'on assiste, c'est le doux regard d'un enfant dont on a séché les larmes ; c'est la prière fervente d'une pauvre mère à laquelle on a procuré le travail qui doit l'arracher à la misère ; c'est en un mot le contentement de soi-même.

Le doigt de Dieu, enfin, c'est la justice grave et austère, tempérée par la miséricorde ! le doigt de Dieu, c'est l'espérance, qui n'abandonne pas l'homme dans ses plus cruelles souffrances, qui le console toujours et qui laisse entrevoir au plus criminel, que le repentir a touché, un coin de la céleste demeure dont il se croyait repoussé à tout jamais !

Esprit familier.

Thionville. - Médium, M. le docteur R…

Un poète a dit :

Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.

Reconnaissez dans ce vers une des plus belles inspirations qui aient jamais été données à l'homme. Le vrai, c'est la ligne droite ; le vrai, c'est la lumière, dont la splendeur n'a pas besoin d'être voilée pour les hommes justes dont l'esprit est merveilleusement disposé à comprendre ses immenses bienfaits. Pourquoi, dans notre société actuelle, la lumière a-t-elle tant de peine à être perçue par la majorité des hommes ? Pourquoi l'enseignement de la vérité est-il entouré de tant d'obstacles ? C'est que jusqu'à présent l'humanité n'a pas fait de progrès assez marqués depuis l'origine du christianisme. Depuis le Christ, qui a dû voiler ses admirables enseignements sous les formes de l'allégorie et de la parabole, tous ceux qui ont essayé de propager la vérité n'ont pas été plus écoutés que leur divin Maître ; c'est que l'humanité devait progresser avec une sage lenteur pour que sa marche fût plus sûre ; c'est qu'elle avait besoin d'un long noviciat pour être apte à se conduire elle-même.

Mais rassurez-vous ! Le soleil de la régénération, depuis longtemps à son aurore, ne tardera pas à répandre sur vous son éblouissante clarté ; la vraie lumière vous apparaîtra, et son influence bienfaisante s'étendra à toutes les classes de la société. Combien alors s'étonneront de n'avoir pas accueilli plus tôt cette vérité qui date de la plus haute antiquité, et qu'un sentiment d'orgueil leur a toujours fait côtoyer sans la voir !

Cette fois, du moins, vous n'aurez à subir aucun de ces effroyables cataclysmes qui semblent comme autant de jalons destinés à marquer, à travers les siècles, la marche de la vraie lumière ; les hommes, mieux instruits, comprendront que les bouleversements qui laissent après eux une traînée de feu et de sang ne sauraient cadrer aujourd'hui avec nos mœurs adoucies par la pratique de la charité. Ils comprendront enfin la portée de ce mot sublime que le Christ leur fit entendre autrefois : « Paix aux hommes de bonne volonté ! »

Il n'y aura plus d'autre guerre que celle qui sera faite aux mauvaises passions ; tous réuniront leurs forces pour chasser l'esprit du mal, dont le règne désastreux n'a que trop longtemps arrêté l'essor de la civilisation. Tous s'arrêteront à cette pensée que la vraie lumière est la seule conquête légitime, la seule qu'ils doivent désormais ambitionner, la seule qui pourra les conduire au bonheur.

A l'œuvre donc, vous tous qui tenez la bannière du progrès ! ne craignez pas de l'arborer haut et ferme, pour que de tous les coins du globe les hommes puissent accourir se ranger sous son égide. Demandez à notre Père céleste la force et l'énergie qui vous sont indispensables pour cette grande œuvre, et, si vous ne devez pas jouir ici-bas du bonheur de la voir s'accomplir, que du moins, en mourant, vous emportiez la conviction que votre existence a été utile à tous, et que la plus douce récompense vous attend parmi nous : la joie d'avoir accompli votre mission pour la plus grande gloire de Dieu.

Esprit familier.







Octobre

Depuis un siècle la société était travaillée par les idées matérialistes, reproduites sous toutes les formes, se traduisant dans la plupart des œuvres littéraires et artistiques ; l'incrédulité était de mode, et il était de bon ton d'afficher la négation de tout, même de Dieu. La vie présente, voilà le positif ; hors cela tout est chimère ou incertitude ; vivons donc le mieux possible, puis après, advienne que pourra. Tel était le raisonnement de tous ceux qui prétendaient être au-dessus des préjugés, et s'appelaient pour cette raison esprits forts ; c'était, il faut en convenir, celui du plus grand nombre, de ceux mêmes qui donnaient le mouvement à la société et avaient charge de la conduire, et dont l'exemple devait nécessairement avoir une grande influence. Le clergé lui-même subissait cette influence ; la conduite privée ou publique de beaucoup de ses membres, en complet désaccord avec leurs enseignements et ceux du Christ, prouvait qu'ils ne croyaient pas à ce qu'ils prêchaient, puisque, s'ils avaient cru fermement à la vie future et aux châtiments, ils auraient moins négligé les intérêts du ciel pour ceux de la terre.

On avait donc cherché toutes les bases des institutions humaines dans l'ordre des choses matérielles ; cependant on finit par reconnaître qu'il manquait à ces institutions un point d'appui solide, dès lors que celles qui semblaient le mieux assises s'écroulaient en un jour de tempête ; que les lois répressives masquaient les vices, mais ne rendaient pas les hommes meilleurs. Quel était ce point d'appui ? Là était la question ; mais on cherchait, et quelques-uns finirent par croire que Dieu pourrait bien être pour quelque chose dans l'univers. Puis quelques esprits forts se sont pris à avoir peur, et par ne plus rire de l'avenir que du bout des lèvres, se disant : On prétend que tout finit à la mort ; mais qu'en savent, en définitive, ceux qui l'affirment ? ce n'est, après tout, que leur opinion. Avant Christophe Colomb on croyait aussi qu'il n'y avait rien au delà de l'Océan ; si donc il y avait quelque chose au delà de la tombe ? il serait cependant intéressant de le savoir ; car, s'il y a quelque chose, il faut que nous y passions tous, puisque tous nous mourons ? Comment y est-on ? y est-on bien ? y est-on mal ? La question est importante, et c'est à considérer. Mais si nous survivons, ce n'est pas notre corps assurément ; nous avons donc une âme ? L'âme ne serait donc point une chimère ? Alors cette âme, comment est-elle ? d'où vient-elle ? où va-t-elle ?

De là une vague inquiétude s'est emparée des plus fanfarons vis-à-vis de la mort ; on s'est pris à chercher, à discuter ; puis, reconnaissant que, quoi qu'on fît, on n'était jamais complètement bien sur la terre, qu'on y était parfois très mal, on a jeté ses vues et ses espérances sur l'avenir. Toutes les choses extrêmes ont leur réaction, quand elles ne sont pas dans le vrai ; la vérité seule est immuable. Les idées matérialistes étaient arrivées à leur apogée ; on s'est alors aperçu qu'elles ne donnaient pas ce qu'on en attendait ; qu'elles laissaient le vide dans le cœur ; qu'elles ouvraient un gouffre insondable dont on s'est reculé avec effroi, comme devant un précipice ; de là une aspiration vers l'inconnu, et, par suite, une réaction inévitable vers les idées spiritualistes, comme seule issue possible.

C'est cette réaction qui se manifeste depuis quelques années ; mais l'homme est arrivé à l'un des points culminants de l'intelligence ; or, à cet âge où la faculté de comprendre est adulte, il ne peut plus être conduit comme dans l'enfance ou l'adolescence. Le positivisme de la vie lui a appris à chercher, disons plus, lui a rendu nécessaire le pourquoi et le comment de chaque chose, parce que, dans notre siècle mathématique, on a besoin de se rendre compte de tout, de tout calculer, de tout mesurer, pour savoir où l'on pose le pied. On veut la certitude, sinon matérielle, du moins morale, jusque dans l'abstraction ; il ne suffit pas de dire qu'une chose est bonne ou mauvaise, on veut savoir pourquoi elle est bonne ou mauvaise, et si l'on a tort ou raison de la prescrire ou de la défendre ; voilà pourquoi la foi aveugle n'a plus cours dans notre siècle raisonneur. On ne demande pas mieux que d'avoir la foi, on la désire, on en a soif aujourd'hui, parce qu'elle est un besoin ; mais on veut une foi raisonnée. Discuter sa croyance est une nécessité de l'époque, à laquelle il faut bon gré mal gré se résigner.

Les idées spiritualistes répondent bien aux aspirations générales, on les préfère au scepticisme et à l'idée du néant, parce qu'on sait instinctivement qu'elles sont dans le vrai, mais elles ne satisfont qu'imparfaitement, parce qu'elles laissent encore l'âme dans le vague, et que seules elles sont impuissantes à donner la solution d'une foule de problèmes. Le simple Spiritualiste est dans la position d'un homme qui aperçoit le but, mais qui ne sait encore par quel chemin y arriver, et qui trouve des écueils sur ses pas. Voilà pourquoi dans ces derniers temps un si grand nombre d'écrivains et de philosophes ont tâché de sonder ces mystérieuses arcanes, pourquoi tant de systèmes ont été créés en vue de résoudre les innombrables questions restées insolubles. Que ces systèmes soient rationnels ou absurdes, ils n'en témoignent pas moins des tendances spiritualistes de l'époque, tendances dont on ne fait plus mystère, que l'on ne cherche point à cacher, dont se fait gloire, au contraire, comme jadis on se glorifiait ce son incrédulité. Si tous ces systèmes ne sont pas arrivés à la vérité complète, il est incontestable que plusieurs en ont approché ou l'ont effleurée, et que la discussion qui en a été la suite a préparé la voie en disposant les esprits à cette sorte d'étude.

C'est dans ces circonstances, éminemment favorables, qu'est arrivé le Spiritisme ; plus tôt, il se fût heurté contre le matérialisme tout-puissant ; dans un temps plus reculé, il eût été étouffé par le fanatisme aveugle. Il se présente dans le moment où le fanatisme, tué par l'incrédulité qu'il a lui-même provoquée, ne peut plus lui opposer de barrière sérieuse, et où l'on est fatigué du vide laissé par le matérialisme ; au moment où la réaction spiritualiste, provoquée par les excès mêmes du matérialisme, s'empare de tous les esprits, où l'on est à la recherche des grandes solutions qui intéressent l'avenir de l'humanité. C'est donc à ce moment qu'il vient résoudre ces problèmes, non par des hypothèses, mais par des preuves effectives, en donnant au Spiritualisme le caractère positif qui seul convient à notre époque. On y trouve ce qu'on cherche, et ce qu'on n'a point trouvé ailleurs : voilà, pourquoi on l'accepte si facilement. Des milliers d'organes lui ont frayé et lui frayent encore la voie, en semant partie par partie les idées qu'il professe ; et il ne faut pas croire qu'il n'y ait dans ce cas que les ouvrages sérieux, lus par un petit nombre d'érudits ! Remarquez combien, sous une forme légère, celle du roman ou du feuilleton, les pensées spirites abondent en ce moment : par là elles pénètrent partout, chez ceux même qui y songent le moins ; ce sont autant de germes latents qui écloront quand la grande lumière leur sera venue, car ils se seront familiarisés avec les idées nouvelles.

Un des principes les plus importants du Spiritisme, c'est sans contredit celui de la pluralité des existences corporelles, c'est-à-dire de la réincarnation, que les sceptiques confondent, volontairement ou par ignorance, avec le dogme de la métempsycose. Sans ce principe on se heurte à tant de difficultés insolubles dans l'ordre moral et physiologique, que beaucoup de philosophes modernes y ont été conduits par la force du raisonnement, comme à une loi nécessaire de la nature ; tels sont Charles Fourier, Jean Reynaud, et bien d'autres. Ce principe, discuté aujourd'hui ouvertement par des hommes d'une grande valeur, sans être pour cela Spirites, a une tendance manifeste à s'introduire dans la philosophie moderne ; une fois en possession de cette clef, elle verra s'ouvrir devant elle des horizons nouveaux et les difficultés les plus ardues s'aplanir comme par enchantement ; or elle ne peut manquer d'y arriver ; elle y sera conduite par la force des choses, car la pluralité des existences n'est pas un système, mais une loi de nature qui ressort de l'évidence des faits.

Sans être aussi nettement formulé que dans Fourier et Reynaud, ni érigé en doctrine, le principe de la pluralité des existences se trouve maintenant dans une multitude d'écrivains, et de là dans toutes les bouches ; de sorte qu'on peut dire qu'il est à l'ordre du jour, et tend à prendre rang parmi les croyances vulgaires, quoique, chez beaucoup, il précède la connaissance du Spiritisme ; c'est une conséquence naturelle de la réaction spiritualiste qui s'opère en ce moment, et à laquelle le Spiritisme vient donner une puissante impulsion. Pour les citations, nous n'aurions que l'embarras du choix ; nous nous bornerons au passage suivant d'un des derniers romans de madame George Sand : Mademoiselle de La Quintinie ; œuvre philosophique remarquable, mise à l'index par la cour de Rome, ainsi que la Revue des Deux Mondes, qui l'a publiée dans ses numéros des 1er et 15 mars, avril et mai 1863. Dans ce passage, il s'agit d'un prêtre très coupable amené au repentir, à la réparation et à l'expiation terrestres par les sévères conseils d'un laïque qui lui dit entre autres choses ceci :

« Vous avez passé l'âge des passions, dites-vous !… Non, car vous entrez dans celui des vengeances et des persécutions. Prenez-y garde ! Quel que soit cependant votre sort parmi nous, vous verrez clair un jour au delà de la tombe, et comme je ne crois pas plus aux châtiments sans fin qu'aux épreuves sans fruit, je vous annonce que nous nous retrouverons quelque part où nous nous entendrons mieux et où nous nous aimerons au lieu de nous combattre ; mais pas plus que vous je ne crois à l'impunité du mal et à l'efficacité de l'erreur. Je crois que vous expierez l'endurcissement volontaire de votre cœur par de grands déchirements de cœur dans quelque autre existence. Il ne tiendrait pourtant qu'à vous de rentrer dans la voie directe du bonheur progressif, car je suis certain qu'on peut tout racheter dès cette vie. L'âme humaine est douée de magnifiques puissances de repentir et de réhabilitation. Ceci n'est pas contraire à vos dogmes, et votre mot de contrition dit beaucoup. »

Dans un prochain article nous examinerons l'ouvrage de M. Renan sur la vie de Jésus, et nous montrerons que, malgré les apparences et à l'insu de l'auteur, c'est encore un produit de la réaction spiritualiste. Le matérialisme a beau proclamer le néant, il secoue en vain le cercle de la logique et de la conscience universelle qui l'enserre, ses derniers cris sont étouffés par la voix qui lui crie des quatre coins du monde : « Nous avons une âme immortelle ! » Mais au profit de qui sera la réaction ? C'est ce qu'un avenir qui n'est pas éloigné nous apprendra.

En attendant que nous parlions de l'ouvrage de M. Renan, nous recommandons avec instance à nos lecteurs une petite brochure où la question nous paraît envisagée à un point de vue très rationnel, et qui contient des observations fort judicieuses sur cette question délicate. Elle est intitulée : Réflexions d'un orthodoxe de l'Eglise grecque sur la Vie de Jésus, par M. Renan. (Chez MM. Didier et Ce. Prix, 50 cent.)

Un de nos frères en Spiritisme, membre de la Société de Paris, M. Costeau, vient de mourir ; il a été inhumé le 12 septembre 1863 au cimetière de Montmartre. C'était un homme de cœur que le Spiritisme a ramené à Dieu ; sa foi en l'avenir était complète, sincère et profonde ; c'était un simple ouvrier paveur pratiquant la charité en pensées, en paroles et en actions, selon ses faibles ressources, car il trouvait encore moyen d'assister ceux qui avaient moins que lui.

On serait dans l'erreur si l'on se figurait la Société de Paris comme une réunion exclusivement aristocratique, car elle compte plus d'un prolétaire dans son sein ; elle accueille tous les dévouements à la cause qu'elle soutient, qu'ils viennent du haut ou du bas de l'échelle sociale ; le grand seigneur et l'artisan s'y donnent fraternellement la main. Il y a quelque temps, au mariage d'un de nos collègues, modeste travailleur aussi, assistaient un haut dignitaire étranger et la princesse sa femme, tous les deux membres de la Société, qui n'avaient pas cru déroger en venant s'asseoir côte à côte avec les autres assistants, quoique le luxe de la cérémonie, célébrée à une chapelle obscure d'une opulente paroisse, fût réduit à sa plus simple expression. C'est que le Spiritisme, sans rêver une égalité chimérique, sans confondre les rangs, sans prétendre faire passer tous les hommes sous un même niveau social impossible, les fait apprécier à un tout autre point de vue que le prisme fascinateur du monde ; il apprend que le petit peut avoir été grand sur la terre, que le grand peut devenir petit, et que dans le royaume céleste les rangs terrestres ne sont comptés pour rien. C'est ainsi qu'en détruisant logiquement les préjugés sociaux de castes et de couleur, il conduit à la véritable fraternité.

Notre frère Costeau était pauvre ; il laisse une veuve dans le besoin, aussi a-t-il été mis dans la fosse commune, porte qui conduit au ciel tout aussi bien que le somptueux mausolée. M. d'Ambel, vice-président, et M. Canu, secrétaire de la Société, ont conduit le deuil ; ils ont l'un et l'autre prononcé sur la tombe des paroles qui ont fait une vive impression sur l'auditoire et sur les fossoyeurs eux-mêmes, visiblement émus, quoique blasés sur ces sortes de cérémonies. Voici l'allocution de M. Canu :

« Cher frère Costeau, il y a quelques années à peine, beaucoup d'entre nous, et, je le confesse, moi tout le premier, n'aurions vu devant cette tombe ouverte que la fin des misères humaines, et, après, le néant, l'affreux néant ! C’est-à-dire point d'âme pour mériter ou expier, et conséquemment point de Dieu pour récompenser, châtier ou pardonner. Aujourd'hui, grâce à notre divine doctrine, nous y voyons la fin des épreuves, et pour vous, cher frère, dont nous rendons à la terre la dépouille mortelle, le triomphe de vos labeurs et le commencement des récompenses que vous ont méritées votre courage, votre résignation, votre charité, en un mot vos vertus, et, par-dessus tout, la glorification d'un Dieu sage, tout-puissant, juste et bon. Portez donc, cher frère, nos actions de grâces aux pieds de l'Eternel, qui a bien voulu dissiper autour de nous les ténèbres de l'erreur et de l'incrédulité, car il y a peu de temps encore, nous vous aurions dit en cette circonstance, le front morne et le découragement au cœur : « Adieu, ami, pour toujours. » Aujourd'hui nous vous disons, le front haut et rayonnant d'espérance, le cœur plein de courage et d'amour : « Cher frère, au revoir, et priez pour nous. »

Allocution de M. d'Ambel :

« Mesdames, messieurs, et vous, chers collègues de la Société de Paris, c'est la seconde fois que nous conduisons un de nos collègues à sa dernière demeure. Celui à qui nous venons dire adieu fut un de ces obscurs lutteurs que les traverses de la vie ont toujours trouvé inébranlable ; cependant la certitude absolue lui avait longtemps manqué ; aussi, dès que le Spiritisme lui fut connu, il s'empressa d'embrasser une doctrine qui lui apportait la vérité, et dont les enseignements sont si propres à consoler de leurs épreuves les affligés de ce monde. Modeste travailleur, il a toujours accompli sa tâche avec la sérénité du juste, et l'adversité qui a frappé si cruellement, et à notre insu, les derniers jours de sa vie, lui a ouvert, soyez-en convaincus, vous tous qui m'écoutez, une prochaine carrière de prospérité et de bonheur.

Ah ! combien je regrette que notre maître vénéré ne soit pas à Paris : sa voix autorisée eût été bien plus agréable que la mienne au frère que nous avons perdu, et lui eût rendu un hommage plus considérable que mon obscurité ne peut lui rendre. J'aurais désiré donner au convoi de notre collègue une plus grande solennité, mais j'ai été prévenu trop tard pour en faire part à tous les membres de la Société présents à Paris ; mais si peu que nous soyons ici, nous représentons la grande famille spirite, qu'une foi commune en l'avenir unit d'un bout du monde à l'autre ; nous sommes les délégués de plusieurs millions d'adeptes, au nom desquels nous venons vous prier, cher et regretté collègue, de vouloir bien contribuer désormais, dans la limite de vos nouvelles facultés, à la propagande de notre grande doctrine, qui, au milieu de vos dernières et cruelles épreuves, vous a si énergiquement soutenu. Ah ! comme l'a dit si éloquemment notre cher président Allan Kardec au convoi de notre frère Sanson, c'est que la foi spirite donne, dans ces moments suprêmes, une force dont seul peut se rendre compte celui qui la possède, et, cette foi, M. Costeau la possédait au plus haut degré.

Cher monsieur Costeau, vous savez combien la Société spirite de Paris vous portait un vif intérêt ; elle regrettera toujours en vous un de ses membres les plus assidus, et c'est en son nom, au nom de son président, au nom de votre femme et de votre sœur désolées, que je viens vous dire, comme notre ami, M. Canu, non point adieu, mais au revoir dans un monde plus heureux. Puissiez-vous jouir dans celui où vous êtes maintenant du bonheur que vous méritez, et venir nous tendre la main, quand notre tour viendra d'y entrer.

Chers Esprits de MM. Jobard et Sanson, accueillez, je vous prie, notre collègue Costeau, et facilitez-lui l'accès de vos sereines régions ; chers Esprits, priez pour lui, priez pour nous. Ainsi soit-il.

Après cette allocution, M. d'Ambel a prononcé textuellement la prière pour ceux qui viennent de mourir, et qui a été dite sur la tombe de M. Sanson (Revue spirite, mai 1862, page 137). »

M. Vézy, un des médiums de la Société, dont le nom est connu de nos lecteurs par les belles communications de saint Augustin, est alors descendu dans la fosse, et M. d'Ambel a fait à haute voix l'évocation de M. Costeau, qui a donné, par M. Vézy, la communication suivante, dont tous les assistants, y compris les fossoyeurs, ont écouté la lecture tête nue et avec une profonde émotion. C'était, en effet, un spectacle nouveau et saisissant d'entendre les paroles d'un mort recueillies au sein même de la tombe.

« Merci, amis, merci ; ma tombe n'est pas encore fermée, et pourtant, une seconde de plus et la terre va recouvrir mes restes. Mais, vous le savez, sous cette poussière, mon âme ne sera pas enfouie, elle va planer dans l'espace pour monter à Dieu !

Aussi, qu'il est consolant de pouvoir se dire encore, malgré l'enveloppe brisée : Oh ! non, je ne suis point mort ! je vis de la vraie vie, de la vie éternelle !

Le convoi du pauvre n'est point suivi d'un grand nombre ; d'orgueilleuses manifestations n'ont pas lieu sur sa tombe, et pourtant, amis, croyez-moi, la foule immense ne manque point ici, et de bons Esprits ont suivi avec vous et avec ces femmes pieuses le corps de celui qui est là, couché ! Tous, au moins, vous croyez, et vous aimez le bon Dieu !

Oh ! certes non ! nous ne mourons point parce que notre corps se brise, femme bien-aimée ! et désormais je serai toujours près de toi, pour te consoler et t'aider à supporter l'épreuve. Elle sera rude pour toi, la vie ; mais, avec l'idée de l'éternité et de l'amour de Dieu plein ton cœur, comme les souffrances te seront légères !

Parents qui entourez ma bien-aimée compagne, aimez-la, respectez-la ; soyez pour elle des frères et des sœurs. N'oubliez pas que vous vous devez tous assistance sur la terre, si vous voulez entrer dans le séjour du Seigneur.

Et vous, Spirites ! frères, amis, merci d'être venus me dire adieu jusqu'à cette demeure de poussière et de boue ; mais vous savez, vous, vous savez bien que mon âme vit immortelle, et qu'elle ira quelquefois vous demander des prières, qui ne me seront point refusées, pour m'aider à marcher dans cette voie magnifique que vous m'avez ouverte pendant ma vie.

Adieu tous, qui êtes ici, nous pourrons nous revoir ailleurs que sur cette tombe. Les âmes m'appellent à leur rendez-vous. Adieu ! priez pour celles qui souffrent. Au revoir.

Costeau. »

Après les dernières formalités funèbres accomplies, ces messieurs ont été, dans le même cimetière, faire une visite spirite à la tombe de Georges, cet éminent Esprit qui a donné, par l'entremise de madame Costel, les belles communications que nos lecteurs ont souvent admirées. M. Georges, de son vivant, était le beau-frère de M. d'Ambel. Là ils ont, par l'intermédiaire de M. Vézy, recueilli les paroles suivantes :

« Quoique nous ne vivions point ici, (au lieu d'inhumation), nous aimons pourtant y venir vous remercier des prières que vous venez y adresser pour nous, et des quelques fleurs que vous répandez sur nos tombes.

Qu'on a bien fait de créer ces lieux de repos et de prière ! les âmes peuvent se parler plus à l'aise, et se disent mieux, dans ces élans intimes, les sentiments qui les animent : l'une près d'un tombeau, l'autre planant au-dessus !

Vous venez de dire adieu à l'un de vos amis ; je vous remercie de ne point m'avoir oublié. J'étais avec vous dans cette foule d'Esprits qui se pressaient vers la tombe qui vient de s'ouvrir, et j'étais heureux de lire dans vos cœurs votre conviction et votre foi. J'ai mêlé mes prières à vos prières, et les Esprits bienheureux les ont montées vers Dieu !

La foi spirite, mes bons amis, fera le tour du monde et finira par rendre sages les fous ; elle pénètrera même au cœur de ces prêtres que vous avez vus tout à l'heure sourire, et qui vous ont causé une véritable douleur… (allusion à la manière dont s'est accomplie la cérémonie religieuse). Leur scandale a fait saigner vos cœurs, mais vous avez surmonté votre indignation en pensant au bien que vous alliez vous-mêmes répandre sur l'âme de votre ami. Elle est là, près de moi, et me prie de vous remercier en son nom.

On vous l'a déjà dit, la tombe, c'est la vie. Venez quelquefois, souvent, à l'ombre du saule, au pied de la croix mortuaire ; au milieu du silence, du calme, vous entendrez une harmonie divine, vous entendrez, au milieu des brises, les concerts de nos âmes chanter Dieu… l'éternité… puis quelques-uns de nous se détacheront des chœurs sacrés pour venir vous instruire sur vos destinées. Ce qui, jusqu'à ce jour, est resté mystère pour vous, se dévoilera peu à peu à vos regards, et vous pourrez comprendre et votre commencement et vos grandeurs futures.

Prenez donc rendez-vous ici, vous qui voulez devenir sages ; vous y lirez les pages de l'éternité, et le livre de la vie sera toujours ouvert pour vous. Dans ce lieu de calme et de paix la voix de l'Esprit semble mieux se faire entendre à celui qu'elle veut instruire ; elle prend des proportions magiques et sonores, et ses accents pénètrent davantage celui sur qui elle veut agir.

Travaillez avec zèle et ferveur à la propagande de l'idée nouvelle, je vous y aiderai sans cesse, et si la tranquillité de la tombe en effraye quelques-uns, qu'ils sachent que les bons Esprits sont heureux d'instruire partout.

Adieu et merci ! Que je voudrais pouvoir communiquer au monde entier la foi dont vous êtes remplis ! mais, en vérité, je vous le dis, le Spiritisme est le levier avec lequel Archimède soulèvera le monde !

Quelques mots à vous, mon frère, particulièrement, puisque l'occasion s'en présente. Dites à ma sœur de toujours aimer les devoirs imposés par Dieu, si lourds que soient ces devoirs ; dites-lui d'aimer notre mère et de me remplacer auprès d'elle ; dites-lui de veiller sur ma fille, de sourire au ciel et de trouver des parfums dans chaque fleur de la terre… A vous, mon frère, je serre les deux mains.

Georges. »

Il ressort de là un double enseignement. On pourrait s'étonner qu'un Esprit aussi voisin de l'époque de la mort ait pu s'exprimer avec autant de lucidité, mais on doit se rappeler que M. Sanson a été évoqué dans la chambre mortuaire avant la levée du corps, et qu'il a donné, à ce moment, la belle communication qu'on a pu voir dans la Revue. Son trouble n'avait duré que quelques heures, et l'on sait d'ailleurs que le dégagement est prompt chez les Esprits avancés moralement.

D'un autre côté, pourquoi M. Vézy est-il descendu dans la fosse ? Y avait-il utilité ou était-ce une simple mise en scène ? Ecartons d'abord ce dernier motif, car les Spirites sérieux agissent sérieusement et religieusement, et ne font point de parade ; dans un pareil moment, c'eût été une profanation. L'utilité, assurément, n'était pas absolue ; il faut y voir un témoignage plus spécial de sympathie, en raison même de ce que le défunt était dans la fosse commune. On sait d'ailleurs que l'accès de ces fosses est plus facile que celui des fosses particulières, dont l'entrée est étroite, et M. Vézy s'y trouvait plus commodément pour écrire.

Cela pouvait avoir cependant sa raison d'être, à un autre point de vue qui, probablement, n'est pas venu à la pensée de M. Vézy. On sait que l'évocation facilite le dégagement de l'Esprit, et peut abréger la durée du trouble. On sait également que les liens qui unissent l'Esprit au corps ne sont pas toujours entièrement brisés aussitôt après la mort. En voici un remarquable exemple :

Un jeune homme avait péri accidentellement d'une manière très malheureuse. Sa vie avait été celle de beaucoup de jeunes gens riches, désœuvrés, c'est-à-dire très matérielle. Il se communiqua spontanément à un médium de notre connaissance, qui l'avait connu de son vivant, demandant à ce qu'on allât l'évoquer et prier sur sa tombe pour aider à rompre les liens qui le retenaient à son corps, dont il ne pouvait parvenir à se débarrasser. Il doit évidemment y avoir dans ce cas une action magnétique facilitée par la proximité du corps, et là est peut-être une des causes qui portent instinctivement les amis des défunts à aller prier au lieu où leur corps repose.



Nous avons déjà parlé de la maison de retraite fondée à Cempuis, près Grandvilliers, dans le département de l'Oise, par M. Prévost, membre de la Société spirite de Paris. Cette construction est aujourd'hui terminée ainsi que les installations intérieures. Attenant à l'établissement, quoique formant un corps de bâtiment isolé, est une chapelle de style gothique et d'un aspect monumental. L'inauguration de cette chapelle a eu lieu le dimanche 19 juillet dernier, jour de Saint-Vincent de Paul, à qui elle est dédiée, par une cérémonie toute de charité, c'est-à-dire par une distribution de pain, de vin et de viande aux pauvres de la paroisse. M. Prévost a prononcé à ce sujet le discours suivant, que nous sommes heureux de pouvoir reproduire :


« Messieurs,

Le but de cette réunion vous est connu ; je ne m'étendrai donc pas sur des détails sans utilité, et qui ne vous apprendraient rien que vous ne sachiez déjà. L'œuvre matérielle est aujourd'hui à peu près accomplie, grâce à la protection évidente du Tout-Puissant, qui a daigné seconder mes efforts. Nous sommes ici en famille, tous, je n'en doute pas, animés des mêmes sentiments pour sa divine bonté ; unissons-nous donc dans un commun élan de gratitude ; prions-le de nous continuer son assistance et de nous donner les lumières qui nous manquent.

Dieu du ciel et de la terre, souverain maître de toutes choses, aie pitié de notre faiblesse ; élève nos cœurs vers toi, afin que nous apprenions à remplir nos devoirs selon ta volonté, et pour que toutes nos actions soient en rapport avec ta loi universelle. Seigneur, fais que notre âme soit remplie de ton amour ; qu'elle se passionne du feu sacré de la conviction, et qu'elle prouve sa foi par des actes d'une véritable charité. Toutes paroles, quelque bonnes qu'elles soient, si elles ne sont suivies des effets de la bienveillance envers tes créatures, ressemblent à un bel arbre qui ne rapporte pas de fruits.

Aide-nous donc, Puissance infinie, à surmonter les obstacles qui pourraient s'élever sur nos pas, et entraver notre désir de nous rendre utiles dans la mission pour laquelle tu nous as choisis ; donne-nous la force nécessaire pour l'accomplir avec amour et sincérité.

Les bons secours donnés à la vieillesse te sont agréables, mon Dieu, parce qu'ils sont un acte de justice ; elle nous a précédés dans la voie ; le sillon qu'elle a tracé a été arrosé de ses sueurs, et nous en recueillons les fruits ; aujourd'hui son expérience est un champ déjà moissonné, mais où nous trouvons encore à glaner ; il est donc juste que nous la dédommagions de ses sacrifices en lui assurant le repos après le travail. C'est un devoir pour nous, car nous voudrions qu'on le remplît envers nous-mêmes ; mais pour l'accomplir dignement il nous faut ton assistance, car nous avons conscience de notre faiblesse.

C'est aussi en ton nom, Seigneur, que l'orphelin trouvera ici une nouvelle famille ; l'enfant abandonné grandira chez nous à la douce chaleur du feu divin dont tu as favorisé saint Vincent de Paul, que nous prions de nous assister, afin que nous puissions accomplir cet acte à son exemple.

Esprit infini, tout est en toi, tout est par toi, rien n'est hors de toi ; les châtiments, comme les récompenses, nous viennent de ta main bénie ; tu connais nos besoins, nous sommes tes enfants, et nous nous en remettons à ta divine Providence.

Les bons Esprits qui président sous ton regard paternel aux destinées de la terre, les anges gardiens des hommes, ont mérité ta confiance, Seigneur ; nous espérons que, par toi, ils nous aideront à conserver intact le sublime code moral promulgué par le Christ, ton fils bien-aimé. - Aimez Dieu, nous dit-il du haut de la croix, depuis dix-huit siècles ; aimez-vous les uns les autres ; aimez votre prochain comme vous-mêmes ; pratiquez la charité envers tous et en toutes choses. Voilà sa loi, Seigneur, et cette loi est la tienne ; puisse-t-elle se graver dans nos cœurs, et nous faire voir des frères dans tous nos semblables, qui comme nous sont tes enfants. Ainsi soit-il.

Mes amis, mes frères, suivons ce grand exemple, et ayons une foi sincère en Dieu ; il nous aidera à supporter les suites de la mauvaise direction que l'oubli de ces devoirs a imprimée à la société, dans des temps déjà loin de nous. Aujourd'hui beaucoup de choses rentrent dans l'ordre prescrit par le Créateur ; malgré l'égoïsme qui domine encore chez un grand nombre, l'amour fraternel se comprend mieux ; les préjugés de castes, de sectes et de nationalités s'effacent peu à peu ; la tolérance, une des filles de la charité évangélique, fait peu à peu disparaître ces antagonismes qui ont si longtemps divisé les enfants d'un même Dieu ; les sentiments d'humanité s'infiltrent dans le cœur des masses et ont déjà réalisé de grandes choses sur divers points de la terre. En France, de nombreuses fabriques restées sans ouvrage ont éprouvé naguère les doux effets de cet amour du prochain. Cet élan pour la souffrance parle bien haut en faveur de notre pays ; il faut y voir la main de Dieu. C'est avec joie que nous voyons la première nation du monde civilisé porter jusque sur les plages les plus lointaines les fruits de cet amour de l'humanité qui seul donne la véritable grandeur, et qu'elle a puisé au centre rayonnant de la croix, aidée par la lumière du progrès qui oblige l'homme à être meilleur envers son semblable et à le devenir lui-même.

« J'espère, mes amis, avec le concours des hommes instruits et bienveillants, former ultérieurement une bibliothèque morale et instructive annexée à cet établissement, où chacun pourra puiser les moyens de s'améliorer autant sous le rapport de l'esprit que sous celui du cœur.

Je vous remercie bien sincèrement, vous tous qui êtes venus à mon appel offrir en commun des actions de grâce à la Divinité, en reconnaissance de l'inspiration qu'elle a donnée de la fondation de l'établissement.

A partir de ce jour, 19 juillet 1863, cette chapelle, dédiée à saint Vincent de Paul, dont elle retrace sur ses vitraux la douce et immortelle image, lui est publiquement consacrée par son fondateur, qui veut que désormais elle soit considérée comme un lieu saint, un lieu de prière. Dieu doit y être adoré, et devant le symbole de son amour pour les hommes, devant cette vénérable et grande figure de l'apôtre de la charité chrétienne, on devra se pénétrer que l'amour du prochain doit être pratiqué par des actes, qu'il doit être dans le cœur et non sur les lèvres.

Avant de nous séparer, nous allons répéter l'Oraison dominicale.

Notre Père, qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour. Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Ne nous laissez point succomber à la tentation, mais préservez-nous du mal. Ainsi soit-il. »

M. Prévost a bien voulu, à cette occasion, nous remettre personnellement une somme de 200 fr. pour des œuvres de bienfaisance, et dont l'emploi n'était malheureusement pas difficile à trouver.

La Société spirite de Paris, au sujet du discours ci-dessus, a voté à l'unanimité et par acclamation la lettre suivante qui lui a été adressée :



« Monsieur et très cher collègue,

La Société spirite de Paris, dont vous faites partie, a entendu avec le plus vif intérêt la lecture du discours que vous avez prononcé pour l'inauguration de la chapelle de la maison de retraite que vous avez fondée dans votre propriété de Cempuis. Ce discours est l'expression des nobles sentiments qui vous animent ; il est digne de celui qui fait un si bon usage de la fortune acquise par son travail, et qui n'attend pas, pour en faire profiter les malheureux, que la mort la lui ait rendue inutile, car c'est de votre vivant que vous vous imposez des privations pour faire leur part plus large. La Société s'honore de compter parmi ses membres un adepte qui fait une application aussi chrétienne des principes de la doctrine spirite ; elle a décidé à l'unanimité de vous transmettre officiellement l'expression de sa vive et fraternelle sympathie pour l'œuvre d'humanité que vous avez entreprise, et pour votre personne en particulier.

Recevez, etc., »



La fortune de M. Prévost est entièrement le fruit de ses œuvres, et il n'en a que plus de mérite ; après avoir subi le contre-coup des révolutions qui la lui ont fait perdre, il l'a réédifiée par son courage et sa persévérance. Aujourd'hui que l'âge du repos est arrivé, qu'il pourrait se donner largement le luxe et les jouissances de la vie, il se contente du strict nécessaire, et, à l'encontre de beaucoup d'autres, il n'attend pas, pour faire part de son superflu à ses frères en Jésus-Christ, de n'avoir plus besoin de rien. Aussi sa récompense sera belle, et il en goûte les prémices par le plaisir que procure le bien que l'on fait.

M. Prévost a pourtant un grand tort aux yeux de certaines personnes : c'est d'être Spirite, de professer la doctrine du démon. Son discours cependant n'est pas celui d'un athée, tant s'en faut, ni même d'un déiste, c'est celui d'un chrétien ; sa modération même est une preuve de charité, car il s'est abstenu de médire de son prochain, ni même de faire aucune allusion à ceux qui mettaient à leur concours des conditions que sa conscience ne lui permettait pas d'accepter.

Le fait suivant est rapporté par la Patrie du mois d'avril dernier :

« Le propriétaire d'une maison de la rue du Cherche-Midi avait permis avant-hier à un locataire de déménager sans l'avoir soldé, moyennant cependant une reconnaissance de sa dette ; mais, pendant qu'on chargeait les meubles, le propriétaire se ravisa et voulut être payé avant le départ du mobilier. Le locataire se désespérait, sa femme pleurait, et deux enfants en bas âge imitaient leur mère. Un monsieur, décoré de la Légion d'honneur, passait en ce moment dans la rue ; il s'arrêta. Touché de ce désolant spectacle, il s'approcha du malheureux débiteur, et, s'étant informé de la somme due pour le loyer, il lui remit deux billets de banque et disparut, suivi par les bénédictions de cette famille qu'il sauvait du désespoir. »

L'Opinion du Midi, journal de Nîmes, relatait au mois de juillet un autre trait du même genre :

« Il vient de se passer un fait aussi étrange par le mystère avec lequel il s'est accompli que touchant par son but et par la délicatesse du procédé de la personne qui en est l'auteur.

Nous avons rapporté, il y a trois jours, qu'un violent incendie avait consumé presque entièrement la boutique et les ateliers du sieur Marteau, menuisier à Nîmes. Nous avons raconté la douleur de ce malheureux homme en présence d'un sinistre qui consommait sa ruine, car l'assurance mobilière qu'il avait souscrite était infiniment au-dessous de la valeur des marchandises détruites.

Nous apprenons qu'aujourd'hui trois charrettes contenant des bois de diverses sortes et qualités et des instruments de travail ont été conduites devant la maison du sieur Marteau, et déchargées dans ses ateliers à demi dévorés par les flammes.

L'individu chargé de la conduite de ces charrettes a répondu aux interpellations dont il était l'objet en alléguant l'ignorance où il était, relativement au nom du donateur dont il exécutait la volonté. Il a prétendu ne pas connaître la personne qui lui avait donné commission de conduire les bois et les outils chez Marteau, et ne rien savoir en dehors de cette commission. Il s'est retiré après avoir vidé complètement ses trois voitures.

La joie et le bonheur ont remplacé chez Marteau l'abattement dont il était impossible de le tirer depuis le jour de l'incendie.

Que le généreux inconnu qui est si noblement venu au secours d'une infortune qui, sans lui, eût peut-être été irréparable, reçoive ici les remerciements et les bénédictions d'une famille qui lui doit dès aujourd'hui la plus douce des consolations et qui bientôt peut-être lui devra sa prospérité. »

Le cœur est rasséréné en lisant de pareils faits qui viennent de temps en temps faire la contre-partie des récits de crimes et de turpitudes que les journaux étalent dans leurs colonnes. Des traits comme ceux relatés ci-dessus prouvent que la vertu n'est pas entièrement bannie de la terre, comme le pensent certains pessimistes. Sans doute le mal y domine encore, mais, quand on cherche dans l'ombre, on trouve que, sous la mauvaise herbe, il y a plus de violettes, c'est-à-dire plus de bonnes âmes qu'on ne croit. Si elles paraissent si clairsemées, c'est que la vraie vertu ne se met pas en évidence, parce qu'elle est humble ; elle se contente des jouissances du cœur et de l'approbation de sa conscience, tandis que le vice s'étale effrontément au grand jour ; il fait du bruit, parce qu'il est orgueilleux. L'orgueil et l'humilité sont les deux pôles du cœur humain : l'un attire tout le bien, et l'autre tout le mal ; l'un a le calme, et l'autre la tempête ; la conscience est la boussole qui indique la route conduisant à chacun des deux.

Le bienfaiteur anonyme, de même que celui qui n'attend pas après sa mort pour donner à ceux qui n'ont pas, est sans contredit le type de l'homme de bien par excellence ; c'est la vertu modeste personnifiée, celle qui ne cherche point les applaudissements des hommes. Faire le bien sans ostentation est un signe incontestable d'une grande, supériorité morale, car il faut une foi vive en Dieu et en l'avenir, il faut faire abstraction de la vie présente et s'identifier avec la vie future pour attendre l'approbation de Dieu, et renoncer à la satisfaction que procure le témoignage actuel des hommes. L'obligé bénit en son cœur la main généreuse inconnue qui l'a secouru, et cette bénédiction monte au ciel plus que les applaudissements de la foule. Celui qui prise le suffrage des hommes plus que celui de Dieu prouve qu'il a plus de foi dans les hommes qu'en Dieu, et que la vie présente est plus pour lui que la vie future ; s'il dit le contraire, il agit comme s'il ne croyait pas ce qu'il dit. Combien y en a-t-il qui n'obligent qu'avec l'espoir que l'obligé ira crier le bienfait sur les toits ; qui, au grand jour, donneraient une grosse somme, et dans l'ombre ne donneraient pas une pièce de monnaie ! C'est pourquoi Jésus a dit : « Ceux qui font le bien avec ostentation ont déjà reçu leur récompense. » En effet, à celui qui cherche sa glorification sur la terre, Dieu ne doit rien ; il ne lui reste à recevoir que le prix de son orgueil.

Quel rapport cela a-t-il avec le Spiritisme ? diront peut-être certains critiques ; que ne racontez-vous des faits plus amusants que cette morale endormante ! (Jugement de la morale spirite, par M. Figuier, IVe vol., page 369.) Cela a du rapport, en ce sens que le Spiritisme donnant une foi inébranlable en la bonté de Dieu et en la vie future, grâce à lui, les hommes faisant le bien pour le bien seront un jour moins clair-semés qu'ils ne le sont aujourd'hui ; que les journaux auront à enregistrer moins de crimes et de suicides et plus d'actes de la nature de ceux qui ont donné lieu à ces réflexions.

Certaines personnes se figurent que les Esprits ne viennent qu'à l'appel qui en est fait ; c'est une erreur que ne partagent pas ceux qui connaissent le Spiritisme, car ils savent que maintes fois ils se présentent spontanément, sans être appelés, ce qui nous a fait dire que si on interdit d'appeler les Esprits, on ne peut les empêcher de venir. Mais, dira-t-on, ils viennent parce que vous pratiquez la médiumnité, et que vous en appelez d'autres ; si vous vous absteniez, ils ne viendraient pas. C'est encore là une grave erreur, et les faits sont là pour prouver combien de fois des Esprits se sont manifestés par la vue, l'audition, ou de toute autre manière, à des personnes qui n'avaient jamais entendu parler du Spiritisme. Ce n'est donc pas contre les médiums qu'il aurait fallu lancer un mandement d'interdiction, main bien contre les Esprits, pour leur faire la défense de se communiquer, même par la permission de Dieu.

Ces communications spontanées ont un intérêt bien plus saisissant quand ce sont des Esprits que l'on n'attend ni ne connaît, et dont plus tard on peut vérifier l'identité. Nous en avons cité un exemple remarquable dans l'histoire de Simon Louvet, rapportée dans la Revue de mars 1863, page 87 ; voici un autre fait non moins instructif obtenu par un médium de notre connaissance.

Un Esprit se présente sous le nom de François Franckowski, et dicte ce qui suit :

« L'amour de Dieu est le sentiment qui résume tous les amours, toutes les abnégations. L'amour de la patrie est un rayon de ce sublime sentiment. O mon pauvre pays ! ô malheureuse Pologne ! que de malheurs sont venus fondre sur toi ! que les crimes de ceux qui se croient civilisés sont affreux, et que les malheureux qui veulent entraver la liberté seront châtiés ! O Dieu ! jette un regard sur ce malheureux pays, et fais grâce à ceux qui, tout entiers à la vengeance, ne pensent pas que tu les puniras au delà de leur vie. La Pologne est une terre bénie, car elle engendre de grands dévouements, et aucun de ses enfants n'est lâche. Dieu aime ceux qui s'oublient pour le bien de tous. C'est en récompense du dévouement des Polonais qu'il fera grâce, et que leur joug sera brisé. Je suis mort victime de nos oppresseurs, que tous les nôtres ont en exécration. J'étais jeune, j'avais vingt-quatre ans ; ma pauvre mère est mourante de douleur d'avoir perdu tout ce qu'elle aimait en ce monde : son fils. Je vous en prie, priez pour elle, pour qu'elle oublie et qu'elle pardonne à mon bourreau, car sans ce pardon elle serait à jamais séparée de moi… Pauvre mère ! je l'ai revue seulement le matin de ma mort, et c'était si affreux de se sentir séparés !… Dieu a eu pitié de moi, et je ne la quitte pas depuis que j'ai pu secouer le reste de vitalité qui attachait mon Esprit à mon corps… Je viens à vous, parce que je sais que vous prierez pour elle ; elle si bonne, si résignée ordinairement, et si révoltée contre Dieu depuis que je ne suis plus là !… Il faut qu'elle pardonne. Priez pour que ce sublime pardon d'une mère au bourreau de son fils vienne achever une vie si glorieusement commencée. Adieu ! vous prierez, n'est-ce pas ?

François Franckowski. »

Le médium n'avait jamais entendu parler de cette personne, et pensait que peut-être il était le jouet d'une mystification, lorsque, à quelques jours de là, il reçut divers objets de lingerie qu'il avait commandés enveloppés dans un fragment du Petit Journal du 7 juillet dernier. Machinalement il le parcourt, et, sous la rubrique de Exécutions capitales, il lit un article commençant ainsi :

« Nous trouvons de curieux détails sur l'exécution d'un jeune Polonais, prisonnier des Russes. Franckowsky était un jeune homme de vingt-quatre ans. Il a encore ses parents, qui avaient même reçu la permission de le visiter dans sa prison. N'ayant pas été pris les armes à la main, il fut condamné par le conseil de guerre à être pendu. J'ai assisté à l'exécution, et je ne puis penser sans émotion à cet événement terrible… »

Suit le récit détaillé de l'exécution et des derniers moments de la victime, morte avec le courage de l'héroïsme.

A ceux qui nient les manifestations, – le nombre en diminue tous les jours, – à ceux qui attribuent les communications médianimiques à l'imagination, au reflet de la pensée, même inconsciente, nous demanderons d'où pouvait venir au médium l'intuition du nom de Franckowsky, de l'âge de vingt-quatre ans, de la mère venant voir son fils dans sa prison, du fait, en un mot, dont il n'avait nullement connaissance, dont il doutait même, et dont il trouve la confirmation dans un morceau de journal enveloppant un paquet ? Et il faut que ce morceau soit précisément celui qui contient le récit. « Oui, direz-vous, c'est du hasard. » Soit, pour vous, qui ne voyez en toutes choses que le hasard ; mais le reste ? »

A ceux qui prétendent interdire les communications sous le prétexte qu'elles viennent du diable, ou tout autre, nous demanderons s'il y a quelque chose de plus beau, de plus noble, de plus évangélique que l'âme de ce fils qui pardonne à son bourreau, qui supplie sa mère de lui pardonner aussi, qui donne ce pardon comme une condition de salut ! Et pourquoi vient-il à ce médium qu'il ne connaissait pas, mais à qui plus tard il donne une preuve irrécusable de son identité ? Pour lui demander de prier pour que sa mère pardonne. Et vous dites que c'est là le langage du démon ? Plût au ciel alors que tous ceux qui parlent au nom de Dieu parlassent de la sorte ! ils toucheraient plus de cœurs qu'avec l'anathème et la malédiction.

Quelques membres de l'Église s'appuient sur la défense de Moïse pour proscrire les communications avec les Esprits ; mais si sa loi doit être rigoureusement observée sur ce point, elle doit l'être également sur tous les autres, car pourquoi serait-elle bonne en ce qui concerne les évocations, et mauvaise en d'autres parties ? Il faut être conséquent ; si l'on reconnaît que sa loi n'est plus en harmonie avec nos mœurs et notre époque pour certaines choses, il n'y a pas de raison pour qu'il n'en soit pas ainsi de sa défense à l'égard des évocations. Il faut d'ailleurs se reporter aux motifs qui lui ont fait faire cette défense, motifs qui avaient alors leur raison d'être, mais qui n'existent assurément plus aujourd'hui. Quant à la peine de mort qui devait suivre l'infraction à cette défense, il faut considérer qu'il en était très prodigue, et que dans sa législation draconienne la sévérité du châtiment n'était pas toujours un indice de la gravité de la faute. Le peuple hébreu était turbulent, difficile à conduire, et ne pouvait être dompté que par la terreur. Moïse, d'ailleurs, n'avait pas grand choix dans ses moyens de répression ; il n'avait ni prisons, ni maisons de correction, et son peuple n'était pas de nature à subir la crainte de peines purement morales ; il ne pouvait donc graduer sa pénalité comme on le fait de nos jours. Or, faudrait-il, par respect pour sa loi, maintenir la peine de mort pour tous les cas où il l'appliquait ? Pourquoi d'ailleurs fait-on revivre avec tant d'insistance cet article, alors qu'on passe sous silence le commencement du chapitre qui défend aux prêtres de posséder les biens de la terre et d'avoir part à aucun héritage, parce que le Seigneur est lui-même leur héritage ? (Deutéronome, ch. xviii.)

Il y a deux parties distinctes dans la loi de Moïse : la loi de Dieu proprement dite, promulguée sur le mont Sinaï, et la loi civile ou disciplinaire, appropriée aux mœurs et au caractère du peuple ; l'une est invariable, l'autre se modifie selon les temps, et il ne peut venir à la pensée de personne que nous puissions être gouvernés par les mêmes moyens que les Hébreux dans le désert, pas plus que la législation du moyen âge ne pourrait s'appliquer à la France du dix-neuvième siècle. Qui songerait, par exemple, à faire revivre aujourd'hui cet article de la loi mosaïque : « Si un bœuf heurte de sa corne un homme ou une femme, et que la personne en meure, le bœuf sera lapidé sans aucune rémission, et on ne mangera point de sa chair, et le maître du bœuf sera absous. » Or, que dit Dieu dans ses commandements ? « Tu n'auras point d'autre Dieu que moi ; tu ne prendras point le nom de Dieu en vain ; honore ton père et ta mère ; tu ne tueras point ; tu ne commettras point d'adultère ; tu ne déroberas point ; tu ne diras point de faux témoignage ; tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain. » Voilà une loi qui est de tous les temps et de tous les pays, et qui, par cela même, a un caractère divin ; mais il n'y est pas question de la défense d'évoquer les morts ; d'où il faut conclure que cette défense était une simple mesure disciplinaire et de circonstance.

Mais Jésus n'est-il pas venu modifier la loi mosaïque, et sa loi n'est-elle pas le code des chrétiens ? N'a-t-il pas dit : « Vous avez appris qu'il a été dit aux Anciens telle et telle chose ; et moi je vous dis telle autre chose ? » Or, nulle part, dans l'Évangile, il n'est fait mention de la défense d'évoquer les morts ; c'est un point assez grave pour que le Christ ne l'ait pas omis dans ses instructions, alors qu'il a traité des questions d'un ordre bien plus secondaire ; ou bien faut-il penser, avec un ecclésiastique à qui on faisait cette objection, que « Jésus a oublié d'en parler ? »

Le prétexte de la défense de Moïse n'étant pas admissible, on s'appuie sur ce que l'évocation est un manque de respect pour les morts, dont il ne faut pas troubler la cendre. Quand cette évocation est faite religieusement et avec recueillement, on ne voit pas ce qu'elle a d'irrespectueux ; mais il y a une réponse péremptoire à faire à cette objection, c'est que les Esprits viennent volontiers quand on les appelle, et même spontanément sans être appelés ; qu'ils témoignent leur satisfaction de se communiquer aux hommes, et se plaignent souvent de l'oubli où on les laisse parfois. S'ils étaient troublés dans leur quiétude ou mécontents de notre appel, ils le diraient ou ne viendraient pas. S'ils viennent, c'est donc que cela leur convient, car nous ne sachions pas qu'il soit au pouvoir de qui que ce soit de contraindre des Esprits, êtres impalpables, à se déranger s'ils ne le veulent pas, puisqu'on ne peut les appréhender au corps.

On allègue une autre raison : les âmes, dit-on, sont dans l'enfer ou dans le paradis ; celles qui sont dans l'enfer n'en peuvent sortir ; celles qui sont dans le paradis sont tout entières à leur béatitude, et trop au-dessus des mortels pour s'occuper d'eux ; reste celles qui sont dans le purgatoire ; mais celles-là sont souffrantes et ont à songer à leur salut avant tout ; donc, ni les unes ni les autres ne pouvant venir, c'est le diable seul qui vient à leur place. Dans le premier cas, il serait assez rationnel de supposer que le diable, l'auteur et l'instigateur de la première révolte contre Dieu, en rébellion perpétuelle, qui n'éprouve ni regret ni repentir de ce qu'il fait, soit plus rigoureusement puni que les pauvres âmes qu'il entraîne au mal, et qui souvent ne sont coupables que d'une faute temporaire dont elles ont d'amers regrets ; loin de là, c'est tout le contraire qui a lieu ; ces âmes malheureuses sont condamnées à des souffrances atroces, sans trêve ni merci durant l'éternité, sans avoir un seul instant de soulagement, et pendant ce temps, le diable, auteur de tout ce mal, jouit de toute sa liberté, court le monde recruter des victimes, prend toutes les formes, se donne toutes les joies, fait des espiègleries, s'amuse même à interrompre le cours des lois de Dieu, puisqu'il peut faire des miracles ; en vérité, pour les âmes coupables, c'est à envier le sort du diable ; et Dieu le laisse faire sans rien dire, sans lui opposer aucun frein, sans permettre aux bons Esprits de venir au moins contre-balancer ses tentatives criminelles ! De bonne foi, cela est-il logique ? et ceux qui professent une telle doctrine peuvent-ils jurer la main sur la conscience qu'ils se mettraient au feu pour soutenir que c'est la vérité ?

Le second cas soulève une difficulté tout aussi grande. Si les âmes qui sont dans la béatitude ne peuvent quitter leur séjour fortuné pour venir au secours des mortels, ce qui, soit dit en passant, serait un bonheur bien égoïste, pourquoi l'Église invoque-t-elle l'assistance des saints qui, eux, doivent jouir de la plus grande somme possible de béatitude ? Pourquoi dit-elle aux fidèles de les invoquer dans les maladies, les afflictions, et pour se préserver des fléaux ? Pourquoi, selon elle, les saints, la Vierge elle-même, viennent-ils se montrer aux hommes et faire des miracles ? Ils quittent donc le ciel pour venir sur la terre ? S'ils peuvent le quitter, pourquoi d'autres ne le feraient-ils pas ?

Tous les motifs allégués pour justifier la défense de communiquer avec les Esprits ne pouvant soutenir un examen sérieux, il faut qu'il y en ait un autre non avoué ; ce motif pourrait bien être la crainte que les Esprits, trop clairvoyants, ne vinssent éclairer les hommes sur certains points, et leur faire connaître au juste ce qu'il en est de l'autre monde, et des véritables conditions pour être heureux ou malheureux ; c'est pourquoi, de même qu'on dit à un enfant : « Ne va pas là ; il y a un loup-garou ; » on dit aux hommes : « N'appelez pas les Esprits, c'est le diable. » Mais on aura beau faire ; si l'on interdit aux hommes d'appeler les Esprits, on n'empêchera par les Esprits de venir vers les hommes, ôter la lampe de dessous le boisseau.



Dissertations spirites

(Bordeaux : Médium, madame Collignon.)

Nota. - Cette communication a été donnée dans un groupe spirite de Bordeaux, en réponse à la question ci-dessus. Avant d'en avoir connaissance, nous avions fait l'article qui précède sur le même sujet ; nous la publions malgré cela, précisément à cause de la concordance des idées. Beaucoup d'autres, en divers lieux, ont été obtenues dans le même sens, ce qui prouve l'accord des Esprits à cet égard. Cette objection, n'étant pas plus soutenable que toutes celles que l'on oppose aux relations avec les Esprits, tombera de même.

L'homme est-il donc si parfait qu'il croie inutile de mesurer ses forces ? et son intelligence est-elle si développée qu'elle puisse supporter toute la lumière ?

Quand Moïse apporta aux Hébreux une loi qui pût les sortir de l'état d'asservissement dans lequel ils vivaient, et raviver en eux le souvenir de leur Dieu qu'ils avaient oublié, il fut obligé de mesurer la lumière à la force de leur vue, et la science à la force de leur entendement.

Pourquoi ne demandez-vous pas aussi : Pourquoi Jésus s'est-il permis de refaire la loi ? Pourquoi a-t-il dit : « Moïse vous a dit : Dent pour dent, oeil pour oeil, et moi je vous dis : Faites du bien à ceux qui vous veulent du mal ; bénissez ceux qui vous maudissent ; pardonnez à ceux qui vous persécutent. »

Pourquoi Jésus a-t-il dit : « Moïse a dit : Que celui qui veut quitter sa femme lui donne la lettre de divorce. Mais moi je vous dis : Ne séparez pas ce que Dieu a uni. »

Pourquoi ? C'est que Jésus parlait à des Esprits plus avancés dans l'incarnation qu'ils ne l'étaient du temps de Moïse. C'est qu'il faut proportionner la leçon à l'intelligence de l'élève. C'est que vous, qui questionnez, qui doutez, n'êtes pas encore venus au point où vous devez être, et ne savez pas encore ce que vous saurez un jour.

Pourquoi ? Mais demandez donc à Dieu pourquoi il a créé l'herbe des champs, dont l'homme civilisé est parvenu à faire sa nourriture ? pourquoi il a fait des arbres qui ne devraient croître que dans certains climats, sous certaines latitudes, et que l'homme est parvenu à acclimater partout ?

Moïse a dit aux Hébreux : « N'évoquez pas les morts ! » comme on dit aux enfants : Ne touchez pas au feu !

N'était-ce pas l'évocation qui, petit à petit ; avait dégénéré parmi les Égyptiens, les Chaldéens, les Moabites et tous les peuples de l'antiquité, en idolâtrie ? Ils n'avaient pas eu la force de supporter la science, ils s'étaient brûlés, et le Seigneur avait voulu préserver quelques hommes afin qu'ils pussent servir et perpétuer son nom et sa foi.

Les hommes étaient pervers et disposés aux évocations dangereuses. Moïse a prévenu le mal. Le progrès devait se faire parmi les Esprits comme parmi les hommes ; mais l'évocation est restée connue et pratiquée par les princes de l'Église ; la vanité, l'orgueil, sont aussi vieux que l'humanité ; donc les chefs de la synagogue usaient de l'évocation, et bien souvent en usaient mal ; aussi la colère du Seigneur s'est-elle souvent appesantie sur eux.

Voilà pourquoi Moïse a dit : « N'évoquez pas les morts. » Mais cette défense même prouve que l'évocation était usuelle parmi le peuple, et c'est au peuple qu'il l'a défendue.

Laissez donc dire ceux qui demandent pourquoi ? Ouvrez-leur l'histoire du globe qu'ils couvrent de leurs petits pas, et demandez-leur pourquoi, depuis tant de siècles accumulés, ils piétinent tant pour si peu avancer ? C'est que leur intelligence n'est pas assez développée ; c'est que la routine les étreint ; c'est qu'ils veulent fermer les yeux malgré les efforts que l'on fait pour les leur ouvrir.

Demandez-leur pourquoi Dieu est Dieu ? pourquoi le soleil les éclaire ?

Qu'ils étudient, qu'ils cherchent, et dans l'histoire de l'antiquité ils verront pourquoi Dieu a voulu que cette connaissance disparût en partie, afin de revivre avec plus d'éclat, alors que les Esprits chargés de la rapporter auraient plus de force et ne failliraient pas sous le poids.

Ne vous inquiétez pas, mes amis, des questions oiseuses, des objections sans sujet que l'on vous adresse. Faites toujours ce que vous venez de faire : questionnez et nous vous répondrons avec plaisir. La science est à celui qui la cherche ; elle surgit alors pour se montrer à lui. La lumière éclaire ceux qui ouvrent leurs yeux, mais les ténèbres s'épaississent pour ceux qui veulent les fermer. Ce n'est pas à ceux qui demandent qu'il faut refuser, mais à ceux qui font des objections dans le seul but d'éteindre la lumière ou qui n'osent pas la regarder. Courage, mes amis, nous sommes prêts à vous répondre toutes les fois qu'il en sera besoin.

Siméon pour Mathieu.

Réunion particulière, 10 mars 1863. - Médium, madame Costel

Mon souvenir vient d'être évoqué par mon portrait et par mes vers ; deux fois touchée dans ma vanité féminine et dans mon amour-propre de poète, je viens reconnaître votre bienveillance en esquissant à grands traits la silhouette des faux dévots, qui sont à la religion ce qu'est la fausse honnête femme à la société. Ce sujet rentre dans le cadre de mes études littéraires dont lady Tartufe exprimait une nuance.

Les faux dévots sacrifient aux apparences, et trahissent le vrai ; ils ont le cœur sec et les yeux humides, la bourse fermée et la main ouverte ; ils parlent volontiers du prochain en critiquant ses actions d'une façon doucereuse qui exagère le mal et amoindrit le mérite. Très ardents à la conquête des biens matériels ou mondains, ils se cramponnent aux trésors imaginaires que la mort disperse, et négligent les vrais biens qui servent à la fin de l'homme et sont la richesse de l'éternité. Les hypocrites de la dévotion sont les reptiles de la nature morale ; vils, bas, ils évitent les fautes châtiées par la vindicte publique, et commettent dans l'ombre des actes sinistres. Que de familles désunies, spoliées ! que de confiances trahies ! que de larmes, et même que de sang !…

La comédie est l'envers de la tragédie ; derrière le scélérat marche le bouffon, et les faux dévots ont pour acolytes des êtres ineptes qui n'agissent que par imitation ; ils reflètent, à la façon des miroirs, la physionomie de leurs voisins. Ils se prennent au sérieux, se trompent eux-mêmes, raillent par timidité ce qu'ils croient, exaltent ce dont ils doutent, communient avec ostentation, et brûlent en cachette de petits cierges auxquels ils attribuent beaucoup plus de vertu qu'à la sainte hostie.

Les faux dévots sont les vrais athées de la vertu, de l'espérance, de la nature et de Dieu ; ils nient le vrai et affirment le faux. Cependant la mort les emportera barbouillés du fard et couverts des oripeaux qui les déguisaient, et les jettera pantelants en pleine lumière.

Delphine de Girardin.

Société spirite de Paris, 11 juillet 1862. - Médium, M. A. Didier

Que vous importe l'âge des patriarches en général, et celui de Mathusalem en particulier ! La nature, sachez-le donc bien, n'a jamais eu de contre-sens et d'irrégularités ; et si la machine humaine a quelquefois varié, elle n'a jamais repoussé aussi longtemps la destruction matérielle : la mort. La Bible, comme je vous l'ai déjà dit, est un magnifique poème oriental où les passions humaines sont divinisées, comme les passions qu'idéalisaient les Grecs, les grandes colonies de l'Asie Mineure. On a tort de marier la concision avec l'emphase, la netteté avec la diffusion, la froideur du raisonnement et de la logique moderne avec l'exaltation orientale. Les chérubins de la Bible avaient six ailes, vous le savez : presque monstres ! Le Dieu des Juifs se baignait dans le sang ; vous le savez, et vous voulez que vos anges soient les mêmes anges, et que votre Dieu, souverainement bon et souverainement juste, soit le même Dieu ? N'alliez donc pas votre analyse poétique moderne avec la poésie mensongère des anciens Juifs ou païens. L'âge des patriarches est une figure morale, et non une réalité ; l'autorité, le souvenir de ces grands noms, de ces vrais pasteurs de peuples, enrichis de mystères et des légendes qu'on faisait rayonner autour d'eux, existaient parmi ces nomades superstitieux et idolâtres du souvenir. Il est probable que Mathusalem vécut longtemps dans le cœur de ses descendants. Remarquez que dans la poésie orientale toute idée morale est incorporée, incarnée, revêtue d'une forme éclatante, rayonnante, splendide, contrairement à la poésie moderne qui désincarne, qui brise l'enveloppe pour laisser échapper l'idée jusqu'au ciel. La poésie moderne est exprimée non seulement par l'éclat et la couleur de l'image, mais aussi par le dessin ferme et correct de la logique, par l'idée, en un mot. Comment voulez-vous allier ces deux grands principes si contraires ? Quand vous lisez la Bible aux rayons de l'Orient, au milieu des images dorées, aux horizons interminables et diffus des déserts, des steppes, faites donc courir l'électricité qui traverse tous les abîmes, toutes les ténèbres ; c'est-à-dire servez-vous de votre raison, et jugez toujours la différence des temps, des formes et des compréhensions.

Lamennais.

Société spirite de Paris, 11 juillet 1862. - Médium, M. Flammarion

Avez-vous entendu le bruit confus de la mer retentissante lorsque l'aquilon gonfle les vagues ou lorsqu'elle brise en mugissant ses lames argentées sur le rivage ? Avez-vous entendu le fracas sonore de la foudre dans les nues assombries ou le murmure de la forêt sous le souffle du vent du soir ? Avez-vous entendu au fond de l'âme cette multiple harmonie qui ne parle aux sens que pour les traverser et arriver jusqu'à l'être pensant et aimant ? Si donc vous n'avez pas entendu et compris ces muettes paroles, vous n'êtes pas enfants de la révélation, et vous ne croyez pas encore. A ceux-là je dirai : « Sortez de la ville à cette heure silencieuse où les rayons étoilés descendent du ciel et, recueillant en vous-mêmes vos intimes pensées, contemplez le spectacle qui vous entoure, et vous arriverez avant l'aube à partager la foi de vos frères. » A ceux qui croient déjà à la grande voix de la nature je dirai : « Enfants de la nouvelle alliance, c'est la voix du Créateur et du conservateur des êtres qui parle dans le tumulte des flots, dans le retentissement du tonnerre ; c'est la voix de Dieu qui parle dans le souffle des vents : amis, écoutez encore, écoutez souvent, écoutez longtemps, écoutez toujours, et le Seigneur vous recevra les bras ouverts. » O vous, qui avez déjà entendu sa voix puissante ici-bas, vous la comprendrez mieux dans l'autre monde.

Galilée

Thionville, 5 janvier 1863. - Médium, M. le docteur R…

Il est une grande loi qui domine tout l'univers, la loi du progrès. C'est en vertu de cette loi que l'homme, créature essentiellement imparfaite, doit, comme tout ce qui existe sur notre globe, parcourir toutes les phases qui le séparent de la perfection. Sans doute Dieu sait combien de temps chacun mettra pour arriver au but ; mais comme tout progrès doit résulter d'un effort tenté pour l'accomplir, il n'y aurait aucun mérite si l'homme n'avait la liberté de prendre telle ou telle voie. Le vrai mérite, en effet, ne peut résulter que d'un travail opéré par l'esprit pour vaincre une résistance plus ou moins considérable.

Comme chacun ignore le nombre d'existences consacrées par lui à son avancement moral, nul ne peut rien préjuger sur cette grande question, et c'est là surtout qu'éclate d'une manière admirable l'infinie bonté de notre Père céleste qui, à côté du libre arbitre qu'il nous a laissé, a néanmoins semé notre route de poteaux indicateurs qui en éclairent les détours. C'est donc par un reste de prédominance de la matière que beaucoup d'hommes s'obstinent à rester sourds aux avertissements qui leur arrivent de tous côtés, et préfèrent user dans des plaisirs trompeurs et éphémères une vie qui leur avait été accordée pour l'avancement de leur esprit.

On ne saurait donc sans blasphème affirmer que Dieu ait voulu le malheur de ses créatures, puisque les malheureux expient toujours soit une vie antérieure mal employée, soit leur refus de suivre la bonne voie, alors qu'elle leur était clairement indiquée.

Il dépend donc de chacun d'abréger l'épreuve qu'il doit subir, et pour cela des guides sûrs assez nombreux lui sont accordés pour qu'il soit entièrement responsable de son refus de suivre leurs conseils ; et encore dans ce cas existe-t-il un moyen certain d'adoucir une punition méritée, en donnant des marques d'un repentir sincère, et en ayant recours à la prière, qui ne manque jamais d'être exaucée lorsqu'elle est faite avec ferveur. Le libre arbitre existe donc bien réellement chez l'homme, mais avec un guide : la conscience.

Vous tous qui avez accès au grand foyer de la nouvelle science, ne négligez pas de vous pénétrer des éloquentes vérités qu'elle vous révèle, et des admirables principes qui en sont les conséquences ; suivez-les fidèlement, c'est là qu'éclate surtout votre libre arbitre.

Pensez d'une part aux fatales suites qu'entraînerait pour vous le refus de suivre la bonne voie, comme aux récompenses magnifiques qui vous attendent dans le cas où vous obéirez aux instructions des bons Esprits ; c'est là qu'éclatera à son tour la prescience divine.

Les hommes s'efforcent vainement de chercher la vérité par tous les moyens qu'ils croient tenir de la science ; cette vérité qui paraît leur échapper les côtoie toujours, et les aveugles ne l'aperçoivent pas !

Esprits sages de tous les pays, auxquels il est donné de soulever un coin du voile, ne négligez pas les moyens qui vous sont offerts par la Providence ! Provoquez nos manifestations, faites-en profiter surtout vos frères moins bien partagés que vous ; inculquez à tous les préceptes qui vous viennent du monde spirite, et vous aurez bien mérité, car vous aurez contribué pour une large part à l'accomplissement des desseins de la Providence.

Esprit familier.

Société spirite de Paris. - Médium, madame Costel

Le panthéisme, ou l'incarnation de l'Esprit dans la matière, de l'idée dans la forme, est le premier pas du paganisme vers la loi d'amour qui fut révélée et prêchée par Jésus. L'antiquité, avide de jouissances, éprise de la beauté extérieure, ne regardait guère au delà de ce qu'elle voyait ; sensuelle, ardente, elle ignorait les mélancolies qui naissent du doute inquiet et des tendresses refoulées ; elle craignait les dieux dont elle plaçait l'image adoucie aux foyers de ses demeures ; l'esclavage et la guerre la rongeaient au dedans, l'épuisaient au dehors ; en vain la nature sonore et magnifique conviait les hommes à comprendre sa splendeur ; ils la redoutaient, ou l'adoraient à l'égal des dieux. Les bois sacrés participaient de la terreur des oracles, et nul mortel ne séparait le bienfait de leur solitude des idées religieuses qui faisaient palpiter l'arbre et frémir la pierre.

Le panthéisme a deux faces sous lesquelles il convient de l'étudier. D'abord, la séparation infinie de la nature divine, morcelée dans toutes les parties de la création et se retrouvant dans les plus infimes détails aussi bien que dans sa magnificence, c'est-à-dire une confusion flagrante entre l'œuvre et l'ouvrier. En second lieu, l'assimilation de l'humanité, ou plutôt son absorption dans la matière. Le panthéisme antique incarnait les divinités ; le moderne panthéisme assimile l'homme au règne animal et fait jaillir les molécules créatrices de l'ardente fournaise où s'élabore la végétation, confondant ainsi les résultats avec le principe.

Dieu est l'ordre, que la confusion humaine ne saurait troubler ; tout vient à point : la sève aux arbres et la pensée aux cerveaux ; aucune idée, fille du temps, n'est abandonnée au hasard ; elle a sa filière, une étroite parenté qui lui donne sa raison d'être, la relie au passé et l'engage dans l'avenir. L'histoire des croyances religieuses est la preuve de cette vérité absolue ; pas une idolâtrie, pas un système, pas un fanatisme qui n'ait eu sa puissante et impérieuse raison d'exister ; tous avançaient vers la lumière, tous convergeaient vers le même but, et tous viendront se confondre, comme les eaux des fleuves lointains, dans la vaste et profonde mer de l'unité spirite.

Ainsi le panthéisme, précurseur du catholicisme, portait en lui le germe de l'universalité de Dieu ; il inspirait aux hommes la fraternité envers la nature, cette fraternité que Jésus devait leur enseigner à pratiquer les uns envers les autres ; fraternité sacrée, affermie aujourd'hui par le Spiritisme qui relie victorieusement les êtres terrestres au monde spirituel.

Je vous le dis en vérité, la loi d'amour déroule lentement et d'une façon continue ses spirales infinies ; c'est elle qui, dans les rites mystérieux des religions indiennes, divinise l'animal, le sacrant par sa faiblesse et ses humbles services ; c'est elle qui peuplait de dieux familiers les foyers purifiés ; c'est elle qui, dans chacune des croyances diverses, fait épeler aux générations un mot de l'alphabet divin ; mais il était réservé au seul Jésus de proclamer l'idée universelle qui les résume toutes. Le Sauveur annonça l'amour et le rendit plus fort que la mort ; il dit aux hommes : « Aimez-vous les uns les autres ; aimez-vous dans la douleur, dans la joie, dans l'opprobre ; aimez la nature, votre première initiatrice ; aimez les animaux, vos humbles compagnons ; aimez ce qui commence, aimez ce qui finit. »

Le Verbe de l'Éternel s'appelle amour, et il embrasse, dans une inextinguible tendresse, la terre où vous passez et les cieux où vous entrerez, purifiés et triomphants.

Lazare.


Cet ouvrage remarquable et consciencieux est l'œuvre d'un savant distingué qui s'est proposé de tirer de la science même et de l'observation des faits la démonstration de la réalité des idées spiritualistes. C'est une pièce de plus à l'appui de la thèse que nous avons soutenue ci-dessus. C'est plus encore, car c'est un premier pas presque officiel de la science dans la voie spirite ; du reste, il sera bientôt suivi, nous en avons la certitude, d'autres adhésions plus retentissantes encore, qui donneront sérieusement à réfléchir aux négateurs et aux adversaires de toutes les écoles. Il nous suffira de citer le fragment suivant pour montrer dans quel esprit l'ouvrage est conçu. Il se trouve à la page 331.

« On voit, - et c'est à coup sûr un signe du temps, - la secte spiritiste, que j'ai eu l'occasion de mentionner déjà, § 15, prendre une extension rapide parmi les gens de toutes les classes et les plus éclairés, sans compter le regrettable et regretté Jobard, de Bruxelles, qui était devenu un des champions les plus alertes de la nouvelle doctrine.

« Le fait est que si l'on examine cette doctrine, ne serait-ce, comme je l'ai fait d'abord, que dans la petite brochure de M. Allan Kardec, Qu'est-ce que le Spiritisme ? il est impossible de ne pas remarquer combien sa morale est claire, homogène, conséquente avec elle-même, combien elle donne de satisfaction à l'esprit et au cœur. Quand on lui enlèverait la réalité des communications avec le monde invisible, il lui resterait toujours cela, et c'est beaucoup ; c'est assez pour entraîner de nombreuses adhésions et expliquer son succès toujours croissant. Quant aux communications avec le monde invisible, je crois avoir démontré scientifiquement qu'elles étaient non seulement possibles, mais qu'elles devaient avoir lieu tous les jours dans le sommeil. L'inspiration pendant la veille, dont il est impossible de révoquer l'authenticité ou la nature, d'après ce que j'en ai dit, est d'ailleurs une communication de ce genre, bien qu'il puisse y avoir des cas où elle ne soit que le résultat d'un plus grand degré d'activité de l'esprit. Maintenant, que l'on en rencontre où cette communication se traduit par des notions étrangères au médium qui les reçoit, je ne vois rien là-dedans qui ne soit éminemment probable, et c'est dans tous les cas une question qui peut se résoudre en l'absence des savants, que chaque médium, qui a la mesure de ses connaissances dans l'état normal, et les personnes de sa famille et de son entourage peuvent juger mieux que qui que ce soit, de telle sorte que si le Spiritisme fait tous les jours des prosélytes en dehors de la question morale, c'est qu'apparemment il se produit assez de médiums pour fournir la preuve de leur état particulier à quiconque veut les examiner sans parti pris.

« La morale, telle que je la comprends et telle que je l'ai déduite de notions scientifiques, je ne crains pas de le reconnaître, a de nombreux points de contact avec celle transmise par les médiums de M. Allan Kardec ; je ne suis pas éloigné non plus d'admettre que si dans les pages écrites par eux il y en a beaucoup qui ne dépassent pas la portée ordinaire de l'esprit humain, et même du leur, il doit y en avoir, et il y en a, d'une portée telle qu'il leur serait impossible d'en écrire de pareilles dans leurs moments ordinaires. Tout cela ne me porte pas peu à désirer qu'une doctrine qui n'offre pas le moindre danger, et qui au contraire élève l'esprit et le cœur autant qu'il est possible de le désirer dans l'intérêt de la société, se répande tous les jours de plus en plus. Car d'après ce que j'en ai lu, j'estime qu'il est impossible d'être un bon Spirite sans être un honnête homme et un bon citoyen. Je ne connais pas beaucoup de religions dont on puisse en dire autant.

Prêchés à la cathédrale de Metz, les 27, 28 et 29 mai 1863, par le R. P. Letierce, de la compagnie de Jésus, réfutés par un spirite de Metz.

Précédés de considérations sur la folie spirite[1].

Nous sommes toujours heureux de voir des adeptes sérieux entrer dans la lice quand, à la logique de l'argumentation, ils joignent le calme et la modération dont on ne doit jamais s'écarter, même envers ceux qui n'usent pas des mêmes procédés à notre égard. Nous félicitons l'auteur de cet opuscule d'avoir su réunir ces deux qualités dans son très intéressant et très consciencieux travail, qui sera, nous n'en doutons pas, accueilli avec la faveur qu'il mérite. La lettre placée en tête de sa brochure est un témoignage de sympathie que nous ne saurions mieux reconnaître qu'en la citant textuellement, parce qu'elle est une preuve de la manière dont il comprend la doctrine, de même que les pensées suivantes, qu'il prend pour épigraphe :

« Nous croyons qu'il y a des faits qui ne sont point visibles à l'œil, point tangibles à la main ; que le microscope ni le scalpel ne peuvent atteindre, si parfaits qu'on les suppose ; qui échappent également au goût, à l'odorat et à l'ouïe, et qui cependant sont susceptibles d'être constatés avec une certitude absolue. (Ch. Jouffroy, préface des Esquisses de philosophie morale, p. 5.)

Ne croyez pas à tout Esprit, mais mettez-les à l'épreuve pour voir s'ils viennent de Dieu. » (Évangile.)



« Monsieur et cher maître,

Daignerez-vous accepter la dédicace de cette modeste plaidoirie en faveur du Spiritisme, de ce cri d'indignation contre les attaques qu'il a entendu diriger contre notre sublime morale ? Ce serait pour moi le témoignage le plus certain que ces pages sont dictées par cet esprit de modération que nous admirons tous les jours dans vos écrits, et qui devrait nous guider dans toutes nos luttes. Acceptez-le comme l'essai inexpérimenté d'un de vos récents adeptes, comme la profession de foi d'un vrai croyant. Si mes efforts sont heureux, j'en attribuerai le succès à votre haut patronage ; si ma voix inhabile ne trouve pas d'échos, le Spiritisme ne manquera pas d'autres défenseurs, et j'aurai pour moi, avec la satisfaction de ma conscience, le bonheur d'avoir été approuvé par l'apôtre immortel de notre philosophie. »

Nous extrayons de cette brochure le passage suivant d'un des sermons du R. P. Letierce, afin de donner une idée de la puissance de sa logique.

« Il n'y a rien de choquant pour la raison, à admettre, dans une certaine limite, la communication des Esprits des morts avec les vivants ; cette communication est toute compatible avec la nature de l'âme humaine, et on en trouverait d'assez nombreux exemples dans l'Evangile et dans la Vie des saints ; mais c'étaient des saints, c'étaient des apôtres. Pour nous, pauvres pécheurs, qui, sur la pente glissante de la corruption, n'aurions souvent besoin que d'une main secourable pour nous ramener vers le bien, n'est-ce pas un sacrilège, une insulte à la justice divine, que d'aller demander aux bons Esprits que Dieu a répandus autour de nous, des conseils et des préceptes pour notre instruction morale et philosophique ? N'est-ce pas une audace impie de prier le Créateur de nous envoyer des anges gardiens pour nous rappeler sans cesse l'observation de ses lois, la charité, l'amour pour nos semblables, et nous apprendre ce qu'il faut faire, dans la mesure de nos forces, pour arriver le plus rapidement possible à ce degré de perfection qu'ils ont atteint eux-mêmes ?

Cet appel que nous faisons aux âmes des justes, au nom de la bonté de Dieu, n'est entendu que des âmes des méchants, au nom des puissances infernales. Oui, les Esprits se communiquent à nous, mais ce sont les Esprits des réprouvés ; leurs communications et leurs préceptes sont, il est vrai, tels que pourraient nous les dicter les anges les plus purs ; tous leurs discours respirent les vertus les plus sublimes, dont les moindres doivent être pour nous un idéal de perfection auquel nous pouvons à peine atteindre dans cette vie ; mais ce n'est qu'un piège pour mieux nous attirer, un miel recouvrant le poison par lequel le démon veut tuer notre âme.

En effet, les âmes des morts, avec Allan Kardec, sont de trois classes : celles qui sont parvenues à l'état de purs Esprits, celles qui sont sur le chemin de la perfection, et les âmes des méchants. Les premières, par leur nature même, ne peuvent se rendre à notre appel ; leur état de pureté leur rend impossible toute communication avec celle de l'homme, enfermée dans une si grossière enveloppe. Que viendraient-elles faire d'ailleurs sur la terre ? pour nous prêcher des exhortations que nous ne saurions comprendre ? Les deuxièmes ont trop à travailler à leur perfectionnement moral pour pouvoir perdre du temps à converser avec nous ; ce ne sont pas elles encore qui nous assistent dans nos réunions. Que reste-t-il donc pour nous ? Je l'ai dit, les âmes des réprouvés, et celles-ci au moins ne se font pas prier pour venir ; toutes disposées à profiter de notre erreur et de notre besoin d'instruction, elles se rendent en foule auprès de nous pour nous entraîner avec elles dans l'abîme où les a plongées la juste punition de Dieu. »




[1] Brochure in-18. - Prix : 1 fr. ; par la poste, 1 fr. 10 c. - A Paris, Didier et Compagnie, Ledoyen ; - à Metz : Linden, Verronnais, libraires.






Novembre

Par M. Herrenschneider
2e article .

Le principe de la dualité de l'essence de l'âme et le système spirituel de M. Cousin et de son école.

Nous avons cherché à prouver, dans notre dernier article, que si, en général, messieurs les libres penseurs voulaient se donner la peine d'examiner les motifs qui leur permettent de s'affirmer, de dire « je » ou « moi, » ils arriveraient à la connaissance de leur double, essence ; qu'ils se convaincraient que leur âme est constituée de façon à exister séparément du corps, aussi bien que dans son enveloppe, et qu'ils en comprendraient l'erraticité, lorsqu'après le trépas elle a quitté sa matière terrestre. De sorte que leur science, si elle était fondée sur le véritable principe de la constitution de l'âme, confirmerait les faits spirites, au lieu de les contredire avec tant de persistance. En effet, notre notion du moi se compose principalement du sentiment et de la connaissance que nous avons de nous-mêmes, et ces deux phénomènes intimes, évidents pour tout le monde, impliquent péremptoirement deux éléments distincts dans l'âme : l'un passif, sensible, étendu et solide, qui reçoit les impressions ; l'autre actif, inétendu et pensant, qui les perçoit. En conséquence, si nous possédons, à côté d'un élément virtuel, un élément résistant et permanent, différent de notre corps, nous ne pouvons nous dissoudre par la mort ; notre immortalité est prouvée, et notre préexistence en est une conséquence naturelle. Nos destinées sont
donc indépendantes de notre séjour terrestre, et celui-ci n'est plus qu'un épisode plus ou moins intéressant pour nous, selon les évènements qui le remplissent.


La dualité de l'essence de notre âme est, d'après ces observations, un principe important, puisqu'elle nous instruit sur notre existence réelle et immortelle. Mais elle est un principe d'autant plus important, qu'elle est la source unique où nous puisons la conscience certaine de notre individualité, et qu'elle est ainsi l'origine de notre science, de celle dont nous ne pouvons pas douter, et sur laquelle repose tout le reste de nos connaissances. Effectivement, nous commençons tous par nous connaître d'abord, avant de remarquer ce qui nous entoure ; et nous mesurons à notre toise tout ce que nous examinons, et ce que nous jugeons. Il est donc indispensable de remarquer, pour l'étude de la vérité, que notre savoir part de nous, pour revenir à nous ; qu'il est un cercle que nous formons nous-mêmes, qui nous entoure et qui nous enlace fatalement à notre insu. Les philosophes actuels l'ignorent, et le subissent sans s'en apercevoir. C'est lui qui les éblouit, qui les aveugle, et qui les empêche de regarder au delà et au-dessus d'eux. Aussi n'aurons-nous que trop souvent l'occasion de constater leur aveuglement. Les Anciens, au contraire, connaissaient ce cercle et son influence mystérieuse, car ils symbolisaient la science sous la figure d'un serpent qui se mord la queue, après s'être retourné sur lui-même. Ce qui signifiait, à leurs yeux, que notre savoir part d'un point donné, fait le tour de notre horizon intellectuel, et rejoint son point de départ. Or, si ce point de départ est élevé, et que le regard soit perçant, l'horizon est étendu et la science est vaste ; si ce point, par contre, rase le sol, et que la vue soit troublée, l'horizon est restreint et l'intelligence des choses limitée. Ainsi, tels que nous sommes personnellement, tel est l'ensemble et la portée de nos connaissances. Par ce motif il devient évident que la première condition de la science individuelle est de s'examiner soi-même, non seulement pour distinguer ses qualités, ses défauts et ses vices, mais pour connaître d'abord la constitution intime de notre être, et ensuite pour élever notre esprit et pour former notre caractère.

Donc, la vraie science n'est pas faite pour chacun. Celui qui y aspire doit non seulement avoir de l'intelligence et de l'instruction, mais, surtout, être sérieux, sobre, sage, ne pas se laisser guider par le caprice de son imagination, par sa vanité, par ses intérêts et par sa suffisance. Ce qui doit guider le véritable amant de la vérité, c'est un amour désintéressé pour ce but vénéré ; c'est la volonté énergique et constante de ne jamais s'arrêter, et de séparer rigoureusement l'ivraie de la bonne semence. Plus l'homme se possède, et plus il est calme et noble, mieux il saura discerner les sentiers qui le conduiront à la vérité ; plus il est léger, présomptueux ou passionné, plus il corrompra par son haleine impure les fruits qu'il cueillera sur l'arbre de la vie.

La première condition pour arriver à la connaissance des choses, c'est donc le caractère individuel ; et c'est par cette raison que, dans l'antiquité, des épreuves solennelles précédaient toute initiation. Aujourd'hui le savoir est répandu sans discernement, chacun croit pouvoir y prétendre ; mais aussi la vérité est moins que jamais bien accueillie, tandis que les doctrines les plus étranges trouvent de nombreux adhérents. On devrait donc se convaincre que les esprits indifférents, rétrécis par les sciences exactes et naturelles, emportés par l'imagination, ou bouffis d'impertinence, sont impropres à la recherche de la vérité, et qu'il serait plus prudent de réserver ce noble labeur pour quelques élus. Cependant des dispositions plus sensées se manifestent aujourd'hui par l'avènement du Spiritisme ; et, en effet, les Spirites sont des hommes bien disposés pour la recherche de la vérité, parce qu'en se séparant du tourbillon général qui entraîne la société, ils ont renoncé d'eux-mêmes aux vanités mondaines, aux principes superficiels des libres penseurs, et à la superstition officielle des cultes reconnus. Ils font preuve d'une saine indépendance, d'un amour sincère de la vérité, et d'une touchante sollicitude pour leurs intérêts éternels. Ce sont là les meilleures dispositions morales pour aborder les graves problèmes de l'âme, du monde et de la Divinité. Pour notre bien éternel, essayons donc de nous entendre, et de suivre ensemble les traces qui nous conduiront à la voie sacrée. Car nous avons besoin de nous aider réciproquement pour atteindre le but que nous cherchons tous, celui de nous éclairer sur ce qui, seul, est réel et durable.

Après les dispositions morales que nous venons d'indiquer, la chose la plus indispensable pour bien s'engager dans l'œuvre délicate de l'initiation, c'est la connaissance du principe de la dualité de l'essence de l'âme ; car c'est lui qui est une partie du secret mystérieux du Sphinx *. Il est une des clefs de la science, et, sans la posséder, tous les efforts deviennent inutiles pour y atteindre. Ce principe de l'essence de l'âme, seul, renferme, comme conséquences, les notions considérables que nous désirons acquérir, tandis que tous les principes secondaires que l'on a découverts jusqu'à ce jour ne s'élèvent pas assez haut pour dominer le vaste horizon des connaissances humaines, et pour en embrasser tous les détails. Les principes inférieurs égarent ceux qui s'en servent dans le dédale des nombreux faits qu'ils n'éclairent point ; et c'est par l'insuffisance de leurs principes premiers que les philosophes se sont fourvoyés, et qu'ils se sont perdus dans les subtilités arbitraires de leurs doctrines incomplètes. Ils ont fatalement porté la confusion là où ils ont cru toucher à la vérité. Dans ces matières, plus délicates encore que difficiles, le principe vrai, seul, répand la lumière, résout aisément tous les problèmes, et ouvre les portes secrètes qui conduisent au sanctuaire le plus reculé. Or, nous savons déjà que nous portons ce principe en nous-mêmes, et que pour le découvrir il ne s'agit que de s'étudier, mais de s'étudier avec calme et impartialité. Nous savons que ce principe est la dualité de notre essence animique, de sorte que nous n'avons plus qu'à dévider avec précaution le fil dont nous tenons le nœud le plus important. Mais à mesure que nous avancerons dans notre étude psychologique, nous consulterons néanmoins les travaux de nos plus illustres philosophes, afin de reconnaître en quoi ils ont failli, et en quoi leurs doctrines confirment nos propres recherches.

Ainsi, comme nous l'avons fait remarquer ci-dessus, il nous paraît évident que tout ce qui tient en nous à l'ordre sensible dépend de la substance de notre âme ; car elle en est l'élément étendu et solide, qui reçoit toutes les impressions du dehors, et qui se ressent de notre activité intime. Notre âme, en effet, ne saurait être touchée d'une manière quelconque, sans présenter un obstacle, d'abord, aux oscillations du milieu ambiant, et, ensuite, aux vibrations des émotions qui nous affectent intimement. Donc c'est cette manière d'être toute naturelle qui nous explique nos rapports avec tout ce qui existe, avec ce qui n'est pas nous, avec notre non-moi moral, intellectuel et physique, visible ou invisible. La solidité et l'étendue de notre substance n'est évidemment pas à rejeter en principe. Cependant ce n'est pas cette opinion qui règne à l'Université et à l'Institut. Le spiritualisme la nie comme absurde, sous le prétexte spécieux que la divisibilité, qui en serait la conséquence, impliquerait la corruptibilité de la substance. Mais ce n'est là qu'un malentendu ; car ce qui importe à l'incorruptibilité de la nature animique, c'est la simplicité chimique de sa fluidité corporelle, et non son indivisibilité mécanique, au défaut de laquelle il y a mille manières de remédier : tandis que, pour rester dans la vérité scientifique, il faut se garder d'admettre un effet sans cause, une impression possible sans résistance. Aussi la sensibilité de notre âme n'apprend rien à notre école spiritualiste ; elle rattache gratuitement les sentiments à la raison, attribue les sensations à l'organisme matériel, et ne s'explique pas sur la connexion de ces diverses facultés. C'est là une des causes de son impuissance philosophique.

Quant à nous, la sensibilité de notre âme est la preuve irrécusable de la solidité et de l'étendue de sa substance ; et c'est la notion de ces propriétés qui nous ouvre un vaste champ d'observation. Ainsi, d'abord, l'étendue et la solidité substantielle permettent à notre âme de prendre différentes formes, et de renfermer le type de tous les organes qui composent notre organisme corporel. Elle sert ainsi d'origine et de soutien à nos nerfs, à nos sens, à notre cerveau, à nos viscères, à nos muscles et à nos os, et nous permet de nous incarner par le moyen de cette loi de la mutabilité des molécules corporelles, si connue de nos modernes physiologistes. Nos savants supposent seulement, à tort, selon nous, que cette loi est l'effet d'une force mystérieuse de la matière, qui se renouvelle, s'absorbe, s'écoule et se forme d'elle-même ; car la matière est inerte et ne forme rien de sa propre initiative. Cette mutabilité est évidemment l'effet de l'activité instinctive de notre double essence animique, qui se trouve sous notre enveloppe, et l'existence de cette loi prouve que notre incarnation est dans l'ordre de la nature, puisqu'elle est continue, et qu'au bout d'une série d'années notre corps se renouvelle régulièrement. La formation de notre revêtement matériel et notre incarnation successive s'expliquent de cette façon tout naturellement. Mais, de plus, cette substantialité étendue de notre âme nous fait également comprendre le lien qui existe entre elle et notre corps ; car notre organisme visible n'étant que la couverture de notre organisme substantiel, tout ce qui est ressenti par l'un doit nécessairement retentir dans l'autre. Les émotions de la substance de l'âme doivent ébranler le corps, et l'état de celui-ci doit affecter inévitablement ses propres dispositions morales et intellectuelles. Voilà le premier enseignement qui résulte de la nature concrète de notre substance.

Le second enseignement que nous en retirons, c'est que la partie de la substance de notre âme qui ne sert pas de type à notre organisme matériel doit être la base de notre sens intime, de celui qui reçoit toutes nos impressions morales et intellectuelles, et qui nous met en contact avec la substance divine elle-même ; de sorte que notre substance reçoit les impressions du rayonnement de toutes les existences et de toutes les activités possibles, et se trouve être l'origine première de toutes nos notions. C'est de la même manière que nous recevons la connaissance de nous-mêmes. Car si l'on demande à un sceptique comment il peut s'affirmer, sans aucune réserve, il répondra : « C'est que je me sens, » parce que le sceptique lui-même ne peut douter de ses sensations. Cependant se sentir n'est pas toute notre connaissance : le sceptique ne peut non plus nier qu'il sait qu'il se sent. Or, la perception de notre sentiment est la conséquence de notre activité intellectuelle ; ce qui prouve que notre âme n'est pas seulement passive, qu'elle est aussi active, qu'elle veut, qu'elle perçoit, qu'elle pense, qu'elle est causatrice et libre de son propre chef. Nos organes mêmes fonctionnent sans que nous en ayons conscience, de sorte qu'on est forcé d'attribuer à notre âme un second élément, un élément actif, virtuel, c'est-à-dire une force essentielle, qui est attentive lorsque notre sensibilité est éveillée, qui veut par l'effet de son propre mouvement, qui perçoit, pense et réfléchit au moyen de notre organe cérébral, qui agit à l'aide de nos membres, et qui anime notre organisme d'un mouvement involontaire. C'est par la présence dans notre âme de ce double ordre essentiel : de l'ordre substantiel passif et sensible, et de l'ordre virtuel actif et pensant, que nous nous sentons, que nous nous savons, et que nous avons la conscience de notre personnalité propre, sans nul secours du monde extérieur.

Notre force animique, c'est notre élément spirituel par excellence, car elle n'a pas d'étendue ni de solidité par elle-même. Elle ne nous est connue que par son activité. Dès qu'elle ne veut, ni ne pense, ni n'agit, elle est comme si elle n'existait pas ; et si notre âme n'était pas substantiellement concrète, par la vertu d'un autre élément, notre corps n'aurait pas de consistance, et ne serait qu'un amas de poussière. Notre âme ne pourrait pas même exister dans l'erraticité, elle se perdrait dans le néant, à moins de supposer, avec le spiritualisme, un mystère impénétrable, qui lui permette d'exister sans avoir d'étendue ni de solidité, supposition que le Spiritisme et les lois naturelles rendent complètement inadmissible. Cependant c'est notre force essentielle que Leibniz considère comme étant notre substance, sans égard pour sa nature fugitive ; et l'école spiritualiste française le répète à son exemple, sans s'arrêter à cette confusion illogique. Toutefois, il ne suffit pas d'appeler force une substance pour qu'elle le soit réellement, et de considérer cette substance imaginaire comme étant le fond de notre être, pour qu'on sorte du vide des abstractions. Une substance n'est telle que par son état concret, par son étendue et sa solidité, quelque subtile qu'on veuille la concevoir, et c'est ce que notre école spiritualiste se plait à passer sous silence. Aussi c'est là une autre cause de son impuissance morale et philosophique.

Notre force essentielle n'est que le principe de notre activité ; elle nous anime, mais ne nous constitue pas. Elle est le principe de notre vie, mais non celui de notre existence. Elle est partout dans notre substance, se répand avec elle dans tout notre être, et en reçoit directement les impressions sans notre concours volontaire. C'est par cette union étroite de nos deux éléments essentiels que notre organisme fonctionne spontanément, que nos sensations réveillent de suite notre attention, et nous portent, sans autre intermédiaire, à percevoir la cause de nos impressions, que notre conscience est un ensemble de sentiments et de réflexions, et que toute notion, quel qu'en soit l'objet, exige que nous le sentions et que nous le sachions. Dès lors seulement nous sommes certains de son existence. C'est par ce même procédé que nous avons la connaissance de l'Être suprême. Nous avons la sensation de sa présence par notre sens intime, et nous expliquons cette sensation sublime par notre raison ; car l'idéal du vrai, du bien et du beau est d'abord dans notre cœur, avant d'entrer dans notre tête. Les peuples sauvages ne s'y trompent pas ; ils ne doutent pas de Dieu ; ils se le figurent simplement selon le niveau de leur grossière intelligence, tandis que nous voyons nos savants se disputer sur sa personnalité, parce qu'ils prétendent ne rien admettre que par la force de leur raisonnement, et parce qu'ils se débattent dans les abstractions, sans prendre leur point d'appui dans l'ordre sensible.

Telle est la constitution de notre âme. Elle se compose de deux éléments bien distincts entre eux, et qui sont néanmoins indissolublement unis ; car jamais et nulle part ces éléments ne se sont rencontrés séparément : toute substance a sa force et toute force a sa substance. Aussi cette dualité se trouve réunie dans l'essence de tout ce qui existe ; elle est dans la matière, dans l'âme, en Dieu. Nous le répétons, cette distinction dans l'unité est à admettre nécessairement, parce que chacun de ces éléments est bien caractérisé ; parce qu'ils ont leurs propriétés respectives et leur modalité catégorique ; et parce que c'est une loi universelle qu'un même principe ne peut avoir des effets contraires, que des qualités qui s'excluent trahissent autant de principes particuliers. Mais leur unité n'est pas moins péremptoire, parce que nulle fonction, nulle faculté, nul phénomène ne se produit en nous et ailleurs sans le concours simultané de ces deux éléments irréductibles.

C'est cette unité dans cette dualité constante de notre âme qui nous explique encore ce phénomène psychologique important, à savoir : la spontanéité instinctive de toutes nos facultés et de toutes nos fonctions, ainsi que la formation de notre caractère et de notre nature morale intime. Effectivement, nos impressions se conservent en nous et se reproduisent involontairement ; de sorte que, comme la substance est l'élément passif et permanent de notre âme, il faut lui attribuer la propriété de conserver nos sensations, de les concréter en elle, et de les transmettre, à l'occasion, à l'attention de notre force essentielle. Ces impressions étant de toutes espèces, il se forme en nous, par cette propriété conservatrice, un ordre moral, intellectuel et pratique permanent, qui se manifeste par notre activité instinctive et spontanée, qui nous inspire nos sentiments et nos idées, et qui guide nos actes sans notre concours volontaire, et souvent même malgré nous. De plus, ces sentiments et ces idées acquises se groupent dans notre âme, et nous produisent de nouvelles idées et de nouvelles images, auxquelles nous sommes quelquefois loin de nous attendre. Les fonctions psychologiques de notre substance unie à notre force essentielle, sont donc très multipliées, et nous forment une nature morale, intellectuelle et pratique spontanée, qui est le fond de notre caractère, l'origine de nos dispositions naturelles. Notre substance renferme donc à l'état latent, ou en puissance, comme s'exprime l'école, toutes nos qualités, toutes nos connaissances, toutes nos habitudes passées en nous à l'état permanent. En conséquence, c'est à elle et à son activité instinctive qu'il faut attribuer la mémoire, l'imagination, l'esprit et le sens naturels, ainsi que l'origine de nos idées et celle de nos sentiments.

Cet ordre substantiel instinctif existe incontestablement dans notre âme. Chacun se connaît une nature morale permanente, des dispositions intellectuelles et des habitudes propres, qui lui facilitent sa carrière et sa conduite, si elles sont bonnes ; ou qui empêchent ses succès et l'entraînent dans des écarts déplorables, si elles sont mauvaises. Nos philosophes seuls n'en sont pas frappés ; car n'ayant point admis, comme nous l'avons déjà fait remarquer, un ordre psychologique substantiel, ils se sont condamnés à devoir attribuer tout ce qui est résistant dans notre âme à l'influence de la matière, et de confondre tout ce qui est sensible et vivant avec notre intelligence. Aristote, il est vrai, reconnaît dans l'homme un ordre potentiel, où toutes nos qualités sont en puissance ; mais il le définit mal, et le confond aussi avec la matière. Depuis lors, personne ne s'est plus occupé de cet ordre spécial que M. Cousin. Mais ce philosophe contemporain, ne reconnaissant à notre âme que l'intelligence, n'en a considéré que l'activité spontanée, sans en rechercher l'origine dans l'élément permanent de notre nature animique. Il la désigne comme étant la raison spontanée et instinctive, en opposition de la raison réfléchie, sans remarquer quelle contradiction il existe entre l'instinct et la réflexion, qualités qui s'excluent, et qui évidemment ne peuvent appartenir au même principe ! Aussi M. Cousin ne tire que des conséquences limitées de cette découverte, et c'est par cette raison que sa psychologie, ainsi que celle de son école, est restée une science sèche, illogique et sans grande portée.

Arrêtons actuellement nos pensées sur l'ensemble des observations qui précèdent, car elles nous ont fait connaître des phénomènes psychologiques inconnus jusqu'à ce jour. Elles nous ont fait constater dans notre âme l'existence de deux ordres moraux, intellectuels et pratiques bien distincts et fortement caractérisés : l'un se rapportant parfaitement aux propriétés particulières de notre substance, qui sont la permanence, l'étendue et la solidité ; l'autre, à celles de notre force essentielle, qui sont sa causalité, son inétendue et son intermittence. Le premier est passif, sensible, conservateur ; le second est actif, volontaire et réfléchi. L'union intime de nos deux éléments essentiels produit, de plus, en nous, notre triple activité instinctive, qui est le reflet direct de l'état véritable de nos qualités et de nos défauts naturels.

En effet, d'une part, plus notre nature substantielle sera sensible, délicate et conservatrice, et notre activité instinctive vivante et énergique, plus aussi nos idées et nos sentiments seront purs et élevés, notre bon sens juste, notre mémoire et notre imagination faciles et sûres. Moins, au contraire, notre état substantiel sera perfectionné, plus lentes et plus bornées seront notre mémoire et notre imagination, plus grossières nos idées, plus vils nos sentiments et plus obtus notre sens commun. Mais, d'autre part, plus notre force causatrice sera énergique, constante et souple, plus notre attention, notre volonté, notre vertu et notre empire sur nous seront forts, plus notre perception, notre pensée, notre jugement et notre raison auront de portée, et plus enfin notre habileté sera grande et notre conduite honorable, parce que toutes ces qualités et facultés dérivent de notre élément virtuel. Par contre, autant que notre force essentielle sera molle, engourdie ou roide, autant notre brutalité et notre lâcheté morale et intellectuelle se produiront au grand jour. De façon que notre valeur dépend aussi bien de l'état des qualités et des propriétés de l'un que de l'autre élément de notre âme.

Tel est le tableau sommaire que présente la constitution intime de notre essence animique, et que nous révèle notre double faculté de nous sentir et de nous savoir. Ce tableau nous la montre d'abord dans son unité vivante, puisque nous découvrons le double principe de son activité et de sa passivité, de sa permanence et de sa causalité, de son existence dans le temps et dans l'espace, et de son indépendance propre et distincte de Dieu, du monde et de son enveloppe matérielle. Il nous la montre ensuite dans sa diversité merveilleuse, puisque nous reconnaissons l'origine de ses qualités et de ses facultés, de ses fonctions et de son organisme, dans les propriétés respectives de nos éléments essentiels, et dans leur concours réciproque. Ce tableau, pourtant, n'est qu'une première ébauche, et néanmoins il est facile d'y remarquer la méthode d'observation rigoureuse que nous y avons suivie, et qui est celle que Bacon a découverte, que Descartes a introduite dans la psychologie, que l'école écossaise a appliquée, et que l'école spiritualiste et éclectique a observée dans toute sa doctrine. Nous nous rencontrons donc sur le même terrain que toute la philosophie sérieuse, et si nous sommes souvent en désaccord avec nos illustrations académiques, c'est que nous ne pouvons nous défendre de croire que la plupart des faits de conscience ont été, par elles, mal observés et mal expliqués.

En effet, l'éclectisme spiritualiste nous reconnaît trois facultés principales : la volonté, la sensation et la raison. Ces facultés se distinguent de notre corps, qui est solide et étendu ; de sorte que nous possédons nécessairement une âme inétendue et spirituelle. Cette constatation faite, l'éclectisme ne se demande pas, ni comment notre âme doit être constituée pour être sensible, ni si la volonté et la raison, qui sont actives toutes les deux, ne sont pas deux manifestations d'un même principe virtuel. Ce sont là des questions qui ne l'inquiètent pas. Il soutient seulement que, de ces trois facultés, la volonté seule nous appartient en propre, puisque, seule, elle est le résultat d'une force substantielle inétendue, qui est le principe primordial de notre moi. La sensibilité, à ses yeux, n'est que l'effet du choc, qui résulte de l'action que la force du monde extérieur exerce sur la nôtre par l'entremise de notre organisme ; mais l'éclectisme ne recherche pas plus comment notre force inétendue tient à notre organisme, ni comment, dans cet isolement inétendu, elle peut recevoir un choc, qu'il n'a expliqué comment nous pouvons être sensibles. Ce sont là de petits mystères qui ne sauraient l'arrêter. La raison, selon lui, est la faculté souveraine de la connaissance, mais elle est impersonnelle, c'est-à-dire elle ne nous appartient pas, quoique nous nous en servions. Dire ma raison est donc, selon M. Cousin, un non-sens, par le motif qu'on ne dit pas ma vérité. Ce motif ne nous paraît pas bien concluant, mais c'est probablement notre faute. Effectivement, dans son système, la raison est l'ensemble des vérités nécessaires et universelles ; vérités telles que les principes de la causalité, de la substance, de l'unité, du vrai, etc. La collection de ces principes forme donc, selon lui, la raison divine, dont nous participons par la volonté ineffable du Tout-Puissant. Mais c'est là ce qu'il faut croire sur sa parole, car nous ne voyons pas précisément comment une collection de vérités, quelque universelles qu'elles soient, pourrait constituer la raison divine et humaine. Vulgairement, les vérités sont des lois, et la raison est une faculté. Or, je vois le soleil, mais jamais la faculté de le voir n'a été prise pour le soleil ni pour le moindre de ses rayons. C'est donc là un nouveau mystère à ajouter aux précédents. De sorte que, dans cette doctrine, rien ne s'explique de soi, rien ne se tient, et notre âme n'y est représentée que comme un assemblage hétérogène de facultés, de qualités, de fonctions distinctes, reliées ensemble, au hasard, comme des feuilles éparses que l'on aurait réunies en un volume sous ce titre pompeux : Doctrine philosophique du dix-neuvième siècle. La deuxième préface de la troisième édition des Fragments philosophiques en contient un résumé intéressant à plus d'un titre.

D'après ces considérations on peut juger des causes qui font de la philosophie spiritualiste officielle, malgré ses bonnes intentions, une doctrine bizarre et indigeste. On serait même autorisé à la traiter plus durement, si l'on perdait de vue les services éminents qu'elle a rendus à l'esprit français en le détournant d'un sensualisme immoral et d'un scepticisme désespérant. C'étaient là évidemment les principales préoccupations de l'illustre philosophe au début de sa brillante carrière ; et, en étudiant ses œuvres remarquables, on voit que Condillac et Kant ont été ses principaux adversaires. Aussi c'est cette lutte qui est la partie importante de ses travaux. Son propre système, au contraire, nous paraît très défectueux, et sa morale, sa théodicée et son ontologie contiennent nombre de points fort controversables. La vérité est une fleur si délicate ! le moindre souffle de l'erreur la flétrit entre nos mains, et la réduit en une poussière pernicieuse et aveuglante. Dans la chaleur du combat ou dans l'émotion de l'ambition, il est surtout difficile de conserver le calme de l'esprit et la délicatesse du sentiment de l'évidence ; de sorte que l'homme préoccupé est facilement entraîné à dépasser les bornes de la vraie sagesse. Heureusement que le Créateur nous a ménagé des faits, des circonstances, des événements providentiels, qui sont assez frappants pour nous ramener dans la bonne voie ; et certes, les doctrines et les faits sur lesquels se fonde le Spiritisme sont de ce nombre. Que nos grands et savants philosophes ne les repoussent point sous le futile prétexte de superstition. Qu'ils les étudient sans parti pris ! Ils y reconnaîtront la nature étendue et solide de notre âme, sa préexistence et sa perpétuité. Ils y trouveront une morale douce et salutaire, bien faite pour ramener tout le monde au bien. Si alors leur esprit demande à s'en rendre compte, qu'ils se mettent franchement à l'œuvre, qu'ils en examinent scientifiquement les principes et les conséquences ; et alors peut-être le principe de la dualité de l'essence de l'âme leur apparaîtra dans toute sa splendeur et dans toute sa puissance ; car il nous semble jeter une vive lumière sur les secrets intimes de notre être. C'est ce que nous continuerons à examiner prochainement.

F. Herrenschneider.

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* L'autre premier príncipe est la dualité de l'aspect des choses que nous retrouverons plus tard.


Mgr l'évêque d'Alger a publié, en date du 18 août dernier, une brochure adressée à messieurs les curés de son diocèse, sous ce titre : Lettre circulaire et ordonnance sur la superstition dite Spiritisme. Nous en citons les passages suivants que nous faisons suivre de quelques observations.

« … Nous avions la pensée d'ajouter une modeste page à ces lumineuses annales, en flétrissant, des hauteurs du bon sens et de la foi, comme il mérite de l'être, le Spiritisme qui, renouvelé de la plus vieille et de la plus grossière idolâtrie, est venu s'abattre sur l'Algérie. Pauvre colonie ! Après tant de cruelles épreuves, lui fallait-il encore une épreuve de ce genre ! »

Pauvre colonie ! en effet, ne serait-elle pas bien plus prospère si, au lieu de tolérer et de protéger la religion des indigènes, on eût transformé leurs mosquées et leurs synagogues en églises, et si l'on n'eût pas arrêté le zèle du prosélytisme ! Il est vrai que la guerre sainte, guerre d'extermination comme celle des croisades, durerait encore, que des centaines de mille de soldats auraient péri, que nous aurions peut-être été forcés de l'abandonner ; mais qu'est-ce que cela quand il s'agit du triomphe de la foi ! Or, voici bien un autre fléau ; le Spiritisme qui vient, au nom de l'Évangile, proclamer la fraternité entre les différents cultes, et cimenter l'union en inscrivant sur son drapeau : Hors la charité point de salut.

Mais diverses considérations, monsieur le curé, nous ont retenu jusqu'à ce jour. D'abord, nous hésitions à révéler cette honte nouvelle, ajoutée à tant de misères exploitées, avec une amère ironie, par les ennemis de notre chère et noble Algérie. D'autre part, nous savons que le Spiritisme n'a guère pénétré chez nous que dans certaines villes, où les désœuvrés se comptent en plus grand nombre ; où la curiosité, sans cesse excitée, se repaît avidement de tout ce qui se présente avec un caractère de nouveauté ; où le besoin de briller et de se distinguer de la foule ne demeure pas toujours étranger, même à des intelligences de plus ou moins de portée, tandis que le plus grand nombre de nos petites villes et de nos campagnes ignorent, et, certes, elles n'ont rien à y perdre, jusqu'au nom bizarre et prétentieux de Spiritisme. Nous pensions, enfin, que de telles pratiques ne sont jamais destinées à vivre d'une bien longue vie, parce que le désabusement vient vite pour les scandales d'imagination, qui meurent presque toujours de leur propre honte. Ainsi en est-il arrivé des jongleries de Cagliostro et de Mesmer ; ainsi la fureur des tables tournantes s'est calmée, sans laisser après elle que le ridicule de ses entraînements et de ses souvenirs. »

Si le nom même du Spiritisme est inconnu dans le plus grand nombre des petites villes et des campagnes d'Algérie, la lettre circulaire de Mgr l'évêque d'Alger, répandue à profusion, est un excellent moyen de le faire connaître, en piquant la curiosité qui ne sera certes pas arrêtée par la crainte du diable. Tel a été l'effet bien avéré de tous les sermons prêchés contre le Spiritisme, qui, de notoriété publique, ont puissamment contribué à multiplier les adeptes. La circulaire de Mgr d'Alger aura-t-elle un effet contraire ? c'est plus que douteux. Nous nous rappelons toujours cette parole prophétique, et qui s'est si bien réalisée, d'un Esprit à qui nous demandions, il y a deux ans, par quel moyen le Spiritisme pénétrerait dans les campagnes ; il nous répondit : « Par les prêtres. – Volontairement ou involontairement ? – Involontairement d'abord, volontairement plus tard. »

Nous rappellerons encore que lors de notre premier voyage à Lyon, en 1860, les Spirites y étaient au nombre de quelques centaines seulement. Dans cette même année un sermon virulent fut prêché contre eux, et l'on nous écrivit : « Encore deux ou trois sermons comme celui-ci, et nous serons bientôt décuplés. » Or, les sermons n'ont pas fait défaut dans cette ville, comme chacun sait ; et ce que chacun sait aussi, c'est que l'année suivante il y avait cinq ou six mille Spirites, et que dès la troisième année on en comptait plus de trente mille. Pauvre cité lyonnaise ! Ce que l'on sait encore, c'est que le plus grand nombre des adeptes se trouve parmi les ouvriers, qui ont puisé dans cette doctrine la force de supporter patiemment les rudes épreuves qu'ils ont traversées, sans chercher dans la violence et la spoliation le nécessaire qui leur manquait ; c'est qu'ils prient aujourd'hui, et croient à la justice de Dieu, s'ils ne croient pas à celles des hommes ; c'est qu'ils comprennent la parole de Jésus : « Mon royaume n'est pas de ce monde. » Dites pourquoi, avec votre doctrine des peines éternelles que vous préconisez comme un frein indispensable, vous n'avez jamais arrêté aucun excès, tandis que la maxime « Hors la charité point de salut » est toute-puissante ! Fasse le ciel que vous n'ayez jamais besoin de vous mettre sous son égide ! Mais si Dieu vous réservait encore des jours néfastes, souvenez-vous que ceux mêmes à qui vous avez refusé le pain de l'aumône, parce qu'ils étaient Spirites, seront les premiers à partager avec vous leur morceau de pain ; parce qu'ils comprennent cette parole : « Pardonnez à vos ennemis, et faites du bien à ceux qui vous persécutent. »

Mais qu'a donc le Spiritisme de si redoutable, puisqu'il n'occupe que les désœuvrés de quelques villes ? puisque de telles pratiques ne sont jamais destinées à vivre d'une bien longue vie ? puisqu'il doit avoir le sort des jongleries de Cagliostro, de Mesmer et des tables tournantes ? Pour ce qui est de Cagliostro, il faut le mettre hors de cause, attendu que le Spiritisme a toujours décliné toute solidarité avec lui, malgré la persistance de quelques adversaires pour accoler son nom à celui du Spiritisme, comme ils l'ont fait de tous les jongleurs et charlatans. Quant à Mesmer, il faut être bien peu au courant de ce qui se passe, pour ignorer que le magnétisme est plus répandu qu'il ne l'a jamais été, et qu'il est aujourd'hui professé par des notabilités scientifiques. Il est vrai qu'on s'occupe peu maintenant des tables tournantes, mais il faut convenir qu'elles ont cependant fait un assez beau chemin, puisqu'elles ont été le point de départ de cette terrible doctrine qui cause tant d'insomnies à ces messieurs. Elles ont été l'alphabet du Spiritisme ; si donc on ne s'en occupe plus, c'est qu'on ne cherche plus à épeler quand on sait lire. Elles ont tellement grandi que vous ne les reconnaissez plus.

Après avoir parlé de son voyage en France, qui a eu un plein succès, Mgr d'Alger ajoute :

« Notre première et incessante occupation du retour était de publier une instruction pastorale contre la superstition en général, et en particulier contre celle du Spiritisme, l'Evangile selon Renan ne nous ayant détourné que huit jours. »

Voilà, il faut en convenir, un singulier aveu. L'ouvrage de M. Renan, qui sape l'édifice par sa base et qui a eu un si grand retentissement, n'a préoccupé Sa Grandeur que huit jours, tandis que le Spiritisme absorbe toute son attention. « J'arrive en toute hâte, dit-il, et, quoique accablé des fatigues d'un long voyage, sans prendre de repos, je monte sur la brèche. Nous avons un nouvel et rude adversaire en M. Renan, mais celui-là nous inquiète peu ; marchons droit au Spiritisme, car c'est le plus pressé. » C'est un grand honneur pour le Spiritisme, car c'est reconnaître qu'il est bien plus redoutable, et il ne peut être redoutable qu'à la condition d'être logique. S'il n'a aucune base sérieuse, ainsi que le prétend monseigneur, à quoi bon ce déploiement de forces ? Vit-on jamais tirer le canon contre une mouche qui vole ? Plus les moyens d'attaque sont violents, plus on exalte son importance ; voilà pourquoi nous ne nous en plaignons pas.

« Nous avons appris, dites-vous, à n'en pas douter, que de véritables chrétiens, de sincères catholiques, s'imaginaient pouvoir associer Jésus-Christ et Bélial, les commandements de l'Église avec les procédés du Spiritisme. »

C'est un peu tard pour vous en apercevoir, car il y a trois ans que le Spiritisme est implanté et prospère dans l'Algérie, qui ne s'en trouve pas plus mal. D'ailleurs, la brochure de M. Leblanc de Prébois, publiée au nom et pour la défense de l'Église, a dû vous apprendre qu'il y a en France, à l'heure qu'il est, selon ses calculs, vingt millions de Spirites, c'est-à-dire la moitié de la population, et qu'avant peu l'autre moitié serait gagnée ; or, l'Algérie fait partie de la France.

« Si, dit la circulaire s'adressant aux curés du diocèse, il se trouve dans leurs paroisses des Spirites, de quelque condition qu'ils puissent être, en général les mécréants, les femmes vaniteuses, les têtes faibles, formant toujours le gros des cortèges superstitieux, que le prêtre n'hésite pas à leur déclarer qu'il n'y a aucune transaction possible entre le catholicisme et le Spiritisme ; que, dans leurs expériences, il ne peut y avoir que l'une de ces trois choses : jonglerie de la part des uns, hallucination de la part des autres, et, au pis aller, qu'une intervention diabolique. »

S'il n'y a pas de transaction possible, c'est plus fâcheux pour le catholicisme que pour le Spiritisme, car celui-ci gagnant tous les jours du terrain, quoi qu'on fasse pour l'arrêter, que fera le catholicisme quand la prévision de M. Leblanc de Prébois sera réalisée ? S'il met tous les Spirites à la porte de l'Église, qui restera dedans ? Mais là n'est pas la question pour le moment ; elle viendra en temps et lieu. Le dernier membre de phrase a une haute portée de la part d'un homme comme monseigneur d'Alger, qui doit peser la portée de toutes ses paroles. Selon lui, il ne peut y avoir dans le Spiritisme que l'une de ces trois choses : jonglerie, hallucination, et, au pis aller, intervention diabolique. Notez bien que ce ne sont pas les trois choses ensemble, mais seulement l'une des trois qui est possible ; monseigneur ne paraît pas être bien certain de laquelle, puisque l'intervention diabolique n'est qu'un pis aller. Or, si c'est de la jonglerie et de l'hallucination, ce n'est rien de sérieux, et il n'y a point d'intervention diabolique ; si c'est l'œuvre du diable, c'est quelque chose de positif, et alors il n'y a ni jonglerie ni hallucination. Dans la première hypothèse, il faut convenir que, faire tant de bruit pour une simple jonglerie ou une illusion, c'est se battre contre des moulins à vent, rôle peu digne de la gravité de l'Église ; dans la seconde, c'est reconnaître au diable une puissance plus grande que celle de l'Église, ou à l'Église une bien grande faiblesse, puisqu'elle ne peut empêcher le diable d'agir, qu'elle n'a même pu, malgré tous les exorcismes, en délivrer les possédés de Morzine.

« Nous en étions là, monsieur le curé, de notre labeur apostolique, lorsque nous avons reçu de nombreux articles de journaux, des brochures, des livres, et notamment un discours (celui du Père Nampon), où, sauf les idées générales, nous avons trouvé très clairement et très nettement exposé tout ce que nous allions vous dire ensuite à propos du Spiritisme. Comme nous n'aimons point à refaire sans nécessité ce que nous jugeons être bien fait, nous vous engageons à vous procurer quelques-uns de ces ouvrages, et au moins un exemplaire de ce discours, qui vous éclairera suffisamment sur les procédés, la doctrine et les conséquences du Spiritisme. »

Nous sommes charmé d'apprendre que l'ouvrage du P. Nampon est jugé, par les princes des prêtres, un ouvrage bien fait et après lequel il n'y a rien de mieux à faire. C'est une tranquillité pour les Spirites, de savoir que le Révérend Père a épuisé tous les arguments et qu'on n'y peut rien ajouter. Or, comme ces arguments, loin d'arrêter l'élan du Spiritisme, lui ont recruté des partisans, c'est de la part de ses antagonistes se montrer satisfaits à bon marché. Quant à éclairer suffisamment messieurs les curés sur la doctrine, nous ne pensons pas que des textes altérés et tronqués, ce dont le P. Nampon ne s'est pas fait faute, ainsi que nous l'avons démontré (Revue de juin 1863), soient propres à leur en donner une idée bien juste. Il faut être bien à court de bonnes raisons pour user de pareils moyens qui discréditent la cause qui s'en sert.

« Avant toute chose, ne serait-il pas déplorable de rencontrer en Algérie des chrétiens sérieux qui hésitassent à se prononcer énergiquement contre le Spiritisme ; les uns sous le prétexte qu'il y a là-dessous quelque chose de vrai, d'autres par ce motif qu'ils ont vu des matérialistes forcenés revenir, au moyen du Spiritisme, à la croyance à l'autre vie ? Illogique naïveté des deux parts ! »

Ainsi ce n'est rien d'avoir ramené à la croyance en Dieu et en la vie future des matérialistes forcenés ; le Spiritisme n'en est pas moins une mauvaise chose. Jésus cependant a dit qu'un mauvais arbre ne peut donner de bons fruits. Est-ce donc un mauvais fruit que de donner la foi à celui qui ne l'a pas ? Puisque vous n'avez pu ramener ces incrédules forcenés, et que le Spiritisme en a triomphé, quel est donc le meilleur des deux arbres ? Il est évident que sans le Spiritisme, ces matérialistes forcenés fussent restés matérialistes ; puisque monseigneur veut à toute force détruire le Spiritisme qui ramène des âmes à Dieu, c'est qu'à ses yeux ces âmes n'ayant pu être ramenées par l'Eglise, il est préférable qu'elles meurent dans l'incrédulité. Cela nous rappelle cette parole prononcée en chaire dans une petite ville : « J'aime mieux que les incrédules restent hors de l'Eglise que d'y rentrer par le Spiritisme. » Ce ne sont pas tout à fait les paroles du Christ, qui a dit : « J'aime mieux la miséricorde que le sacrifice. » Et cette autre, prononcée ailleurs : « Je préfère voir les ouvriers sortir saouls (sic) du cabaret que de les savoir Spirites. » Ceci est de la démence ; nous ne serions pas surpris que des accès de rage contre le Spiritisme produisissent une véritable folie.

« Que, malgré la voix de leur conscience, des hommes, élevés dans les principes du christianisme et les ayant malheureusement oubliés, niés dans leur cœur, et combattus dans leurs livres, essayent de pactiser avec ces principes, en admettant une immortalité de l'âme, un purgatoire et un enfer tout différents de l'immortalité de l'âme, du purgatoire et de l'enfer des Evangiles, aient gagné, par le Spiritisme, quelque chose pour la foi et pour leur salut, quel chrétien pourra se l'imaginer, puisqu'ils n'ont mis à la place que les plus sacrilèges blasphèmes de croyance ! »

En quoi le purgatoire des Spirites diffère-t-il de celui des Evangiles, puisque les Evangiles n'en disent rien ? Ils en parlent si peu que les Protestants, qui suivent la lettre de l'Evangile, ne l'admettent pas. Quant à l'enfer, l'Evangile est loin d'y avoir placé les chaudières bouillantes qu'y place le catholicisme, et d'avoir dit, comme on nous l'a enseigné dans notre enfance, et comme on l'a prêché il y a trois ou quatre ans à Montpellier, que « Les anges ôtent les couvercles de ces chaudières pour que les élus se repaissent de la vue des souffrances des damnés. » Voilà un singulier côté de la béatitude des bienheureux ; nous ne sachions pas que Jésus en ait dit un mot. Le Spiritisme, il est vrai, n'admet point de pareilles choses ; si c'est un motif de réprobation, qu'il soit donc réprouvé !

« On leur fera comprendre également que c'est le renouvellement des théories païennes tombées dans le mépris des sages, avant même l'apparition de l'Evangile, qu'en introduisant la métempsycose, ou la transmigration des âmes, le Spiritisme tue l'individualité personnelle, et met à néant la responsabilité morale ; qu'en détruisant l'idée du purgatoire et de l'enfer éternellement personnel, il ouvre la carrière à tous les désordres, à toutes les immoralités. »

Si quelque chose est emprunté aux théories païennes, c'est assurément le tableau des tortures de l'enfer. Puis, nous ne voyons pas clairement comment, après avoir admis un purgatoire quelconque, nous nions l'idée du purgatoire. Quant à la métempsycose des Anciens, loin de l'avoir introduite, le Spiritisme l'a de tout temps combattue, et en a démontré l'impossibilité. Quand donc cessera-t-on de faire dire au Spiritisme le contraire de ce qu'il dit ? La pluralité des existences qu'il admet, non comme un système, mais comme une loi de nature prouvée par des faits, en diffère essentiellement. Or, contre une loi de nature, qui est nécessairement l'œuvre de Dieu, il n'y a ni système qui puisse prévaloir, ni anathèmes qui puissent l'annuler, pas plus qu'ils n'ont annulé le mouvement de la terre et les périodes de la création. La pluralité des existences, la renaissance si l'on veut, est une condition inhérente à la nature humaine, comme celle de dormir, et nécessaire au progrès de l'âme. Il est toujours fâcheux pour une religion, quand elle s'obstine à rester en arrière des connaissances acquises, car il arrive un moment où, étant débordée par le flot irrésistible des idées, elle perd son crédit et son influence sur tous les hommes instruits ; se croire compromise par les idées nouvelles, c'est avouer la fragilité de son point d'appui ; c'est pis encore quand elle sonne l'alarme devant ce qu'elle appelle une utopie. C'est une chose curieuse, en effet, de voir les adversaires du Spiritisme s'escrimer à dire que c'est un rêve creux, sans portée et sans vitalité, et crier sans cesse au feu !

Selon la maxime : « On reconnaît la qualité de l'arbre à son fruit, » la meilleure manière de juger les choses, c'est d'en étudier les effets. Si donc, comme on le prétend, la négation de l'enfer éternellement personnel ouvre la carrière à tous les désordres et à toutes les immoralités, il s'ensuit : 1° que la croyance à cet enfer ouvre la carrière à toutes les vertus ; 2° que quiconque se livre à des actes immoraux ne craint pas les peines éternelles, et s'il ne les craint pas, c'est qu'il n'y croit pas. Or, qui doit y croire mieux que ceux qui les enseignent ? qui doit être pénétré de cette crainte, impressionné par le tableau des tortures sans fin, mieux que ceux qui sont nuit et jour bercés dans cette croyance ? Où cette croyance et cette crainte devraient-elles être dans toute leur force ? où devrait-il y avoir plus de retenue et de moralité, si ce n'est au centre même de la catholicité ? Si tous ceux qui professent ce dogme et en font une condition de salut étaient exempts de reproches, leurs paroles auraient assurément plus de poids, mais quand on voit de si scandaleux désordres parmi ceux-là mêmes qui prêchent la crainte de l'enfer, il en faut bien conclure qu'ils ne croient pas à ce qu'ils prêchent. Comment espèrent-ils persuader ceux qui sont enclins au doute ? Ils tuent le dogme par sa propre exagération et par leur exemple. Le dogme des peines éternelles jugé par ses fruits, n'en donnant pas de bons, c'est une preuve que l'arbre est mauvais ; et parmi ces mauvais fruits il faut placer le nombre immense d'incrédules qu'il fait chaque jour. L'Eglise s'y cramponne comme à une corde de salut, mais cette corde est si usée, que bientôt elle laissera aller le vaisseau à la dérive. Si jamais l'Eglise devait péricliter, ce serait par l'absolutisme de ses dogmes de l'enfer, des peines éternelles, et de la suprématie qu'elle accorde au diable dans le monde. Si l'on ne peut être catholique sans croire à cet enfer et à la damnation éternelle, il faut convenir que le nombre des vrais catholiques est dès aujourd'hui singulièrement réduit, et que plus d'un Père de l'Eglise peut être considéré comme entaché d'hérésie.

« Il ne sera pas inutile d'ajouter, monsieur le curé, que la paix des familles est gravement troublée par la pratique du Spiritisme ; qu'un grand nombre de têtes y ont déjà perdu le sens, et que les maisons d'aliénés d'Amérique, d'Angleterre et de France regorgent, dès à présent, de ses trop nombreuses victimes ; en telle sorte que si le Spiritisme propageait ses conquêtes, il faudrait changer le nom Petites-Maisons en celui de Grandes-Maisons. »

Si Mgr d'Alger avait puisé ses renseignements ailleurs qu'à des sources intéressées, il aurait su ce qu'il en est de ces prétendus fous, et ne se serait pas rendu l'écho d'un conte inventé par la mauvaise foi, et dont le ridicule ressort de l'exagération même. Un premier journal a parlé de quatre cas, disait-on, constatés dans un hospice ; un autre journal, citant le premier, en a mis quarante ; un troisième, citant le second, en a mis quatre cents, et ajoute qu'on va agrandir l'hospice, et tous les journaux hostiles de répéter à l'envi cette histoire ; puis Mgr d'Alger, emporté par son zèle, la reprenant en sous-œuvre, l'amplifie encore en disant que les maisons d'aliénés de France, d'Angleterre et d'Amérique regorgent des victimes de la nouvelle doctrine. Chose curieuse ! il cite l'Angleterre qui est un des pays où le Spiritisme est le moins répandu, et où il y a certainement moins d'adeptes qu'en Italie, en Espagne et en Russie.

Qu'une brochure éphémère et sans portée, qu'un journal peu difficile sur la source des nouvelles qu'il rapporte, avancent un fait hasardé pour le besoin de la cause, il n'y a à cela rien d'étonnant, quoique cela n'en soit pas plus moral ; mais un document épiscopal, ayant un caractère officiel, ne devrait contenir que des choses d'une authenticité tellement avérée, qu'il devrait échapper jusqu'au soupçon d'inexactitude, même involontaire.

Quant à la paix des familles troublée par la pratique du Spiritisme, nous ne connaissons dans ce cas que celles où les femmes, circonvenues par leurs confesseurs, ont été sollicitées d'abandonner le toit conjugal pour se soustraire aux influences démoniaques apportées par leurs maris spirites. Par contre, les exemples sont nombreux de familles jadis divisées, dont les membres se sont rapprochés d'après les conseils de leurs Esprits protecteurs et sous l'influence de la doctrine qui, à l'exemple de Jésus, prêche l'union, la concorde, la douceur, la tolérance, l'oubli des injures, l'indulgence pour les imperfections d'autrui, et ramène la paix là où régnait la zizanie. C'est encore là le cas de dire qu'on juge la qualité de l'arbre à son fruit. C'est un fait avéré que, lorsqu'il y a division dans les familles, la scission part toujours du côté de l'intolérance religieuse.

La lettre pastorale est terminée par l'ordonnance suivante :

« A ces causes, et l'Esprit-Saint invoqué, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :

Art. 1er. La pratique du Spiritisme ou l'invocation des morts est interdite à tous et à chacun dans le diocèse d'Alger.

Art. 2. Les confesseurs refuseront l'absolution à quiconque ne renoncerait pas à toute participation, soit comme médium, soit comme adepte, soit comme simple témoin à des séances privées ou publiques, ou, enfin, à une opération quelconque de Spiritisme.

Art. 3. Dans toutes les villes de l'Algérie et dans les paroisses rurales où le Spiritisme s'est introduit avec quelque éclat, messieurs les curés liront publiquement cette lettre en chaire, le premier dimanche après sa réception. Partout ailleurs on la communiquera en particulier, suivant les besoins.

Donné à Alger, le 18 août 1863. »

C'est la première ordonnance lancée à l'effet d'interdire officiellement le Spiritisme dans une localité. Elle est du 18 août 1863 ; cette date marquera dans les annales du Spiritisme, comme celle du 9 octobre 1860, jour à jamais mémorable de l'auto-da-fé de Barcelone, ordonné par l'évêque de cette ville. Les attaques, les critiques, les sermons n'ayant rien produit de satisfaisant, on a voulu frapper un coup par l'excommunication officielle. Voyons si le but sera mieux atteint.

Par le premier article, l'ordonnance s'adresse à tous et à chacun dans le diocèse d'Alger, c'est-à-dire que la défense de s'occuper du Spiritisme est faite à tous les individus sans exception. Mais la population ne se compose pas seulement de catholiques fervents ; elle comprend, sans parler des juifs, des protestants et des musulmans, tous les matérialistes, panthéistes, incrédules, libres penseurs, douteurs et indifférents dont le nombre est incalculable ; ils figurent dans le contingent nominal du catholicisme, parce qu'ils sont nés et baptisés dans cette religion, mais en réalité ils se sont eux-mêmes mis hors de l'Eglise ; à ce compte M. Renan et tant d'autres figurent dans la population catholique. Sur tous les individus qui ne sont pas dans la stricte orthodoxie, l'ordonnance est donc sans portée ; ainsi en sera-t-il partout où pareille défense sera faite. Etant donc matériellement impossible qu'une interdiction de cette nature, de quelque part qu'elle vienne, atteigne tout le monde, pour un qui en sera détourné, il y en aura cent qui continueront à s'en occuper.

Puis on met de côté les Esprits qui viennent sans qu'on les appelle, même auprès de ceux à qui on défend de les recevoir ; qui parlent à ceux qui ne veulent pas les écouter ; qui passent à travers les murs quand on leur ferme la porte. Là est la plus grande difficulté, pour laquelle il manque un article à l'ordonnance ci-dessus. Cette ordonnance ne touche donc que les catholiques fervents ; or, nous l'avons souvent répété, le Spiritisme vient donner la foi à ceux qui ne croient à rien ou qui sont dans le doute ; à ceux qui ont une foi bien arrêtée et à qui cette foi
suffit, il dit : gardez-la, et il ne cherche point à les en détourner ; il ne dit à personne : « Quittez votre croyance pour venir à moi ; » il a assez à moissonner dans le champ des incrédules. Ainsi la défense ne peut atteindre ceux auxquels s'adresse le Spiritisme, et elle n'atteint que ceux auxquels il ne s'adresse pas. Jésus n'a-t-il pas dit : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecins. » Si ces derniers viennent à lui, sans qu'il les cherche, c'est qu'ils y trouvent des consolations et des certitudes qu'ils ne trouvent pas ailleurs, et dans ce cas ils passeront sur la défense.

Voici bientôt trois mois que cette ordonnance est rendue, et l'on peut déjà en apprécier l'effet. Depuis son apparition, plus de vingt lettres nous ont été écrites d'Algérie qui toutes confirment le résultat prévu. Nous verrons ce qu'il en est dans le prochain numéro.

Nous appelons sur les lettres suivantes l'attention de ceux qui prétendent que, sans la crainte des peines éternelles, l'humanité n'aurait plus de frein, et que la négation de l'enfer, éternellement personnel, ouvre la carrière à tous les désordres et à toutes les immoralités :

« Montreuil, 23 août 1863.

« Au mois de mars dernier, j'étais encore ce qu'on peut appeler, dans toute la force du terme, encroûté d'athéisme et de matérialisme. Je ne ménageais pas au chef du groupe spirite de notre petite ville, mon parent, les plaisanteries et les sarcasmes ; je lui conseillais même Charenton ! mais il opposa à mes railleries une patience stoïque.

Dans le même temps, pendant le carême, un prédicateur parla en chaire contre le Spiritisme. Cette circonstance excita ma curiosité, car je ne voyais pas trop ce que l'Église pouvait avoir à démêler avec le Spiritisme. J'entrepris donc la lecture du petit livre : Qu'est-ce que le spiritisme ? me promettant bien de ne pas céder aussi facilement que l'avaient fait certains matérialistes convertis, et m'armai de toutes pièces, persuadé que rien ne pouvait détruire la force de mes arguments, et ne doutant nullement d'une victoire complète.

Mais, ô prodige ! je n'étais pas arrivé à la cinquantième page, que déjà j'avais reconnu la nihilité de ma pauvre artillerie argumentale. Pendant quelques minutes je fus comme illuminé, une révolution subite s'opéra en moi, et voici ce que j'écrivais à mon frère le 18 juin :

Oui, comme tu le dis, ma conversion est providentielle ; c'est à Dieu que je dois cette marque de grande bienveillance. Oui, je crois à Dieu, à mon âme, à son immortalité après la mort. Avant cela j'avais pour philosophie une certaine fermeté d'esprit par laquelle je me mettais au-dessus des tribulations et des accidents de la vie, mais j'ai fléchi devant les nombreuses tortures morales que m'avaient infligées de prétendus amis. L'amertume de ces souvenirs avait empoisonné mon cœur. Je ruminais mille projets de vengeance, et si je n'avais redouté pour moi et les miens la malédiction publique, peut-être aurais-je donné à mes projets une funeste exécution. Mais Dieu m'a sauvé. Le Spiritisme m'a amené promptement à croire aux vérités fondamentales de la religion, dont l'Église m'avait éloigné par l'horrible tableau de ses flammes éternelles, et en voulant m'imposer pour articles de foi des dogmes qui sont en contradiction manifeste avec les attributs infinis de Dieu. Je me rappelle encore l'effroi éprouvé en 1814, à l'âge de sept ans, lors de la lecture de ce joli passage dans les Pensées chrétiennes : « Et quand un damné aura souffert autant d'années qu'il y a d'atomes dans l'air, de feuilles dans les forêts, et de grains de sable sur les bords de la mer, tout cela sera compté pour rien ! ! ! » Et c'est l'Église qui a osé proférer un pareil blasphème ! Que Dieu le lui pardonne ! »

Je continue ma lettre, cher Eugène, en laissant à l'Eglise la propriété de l'empire infernal sur laquelle je n'ai rien à revendiquer.

L'idée que je m'étais faite de mon âme a fait place à celle donnée par les Esprits. La pluralité des mondes, comme la pluralité des existences, n'étant plus un doute pour moi, j'éprouve à l'heure qu'il est une satisfaction morale indéfinissable. La perspective d'un néant froid et lugubre me glaçait autrefois le sang dans les veines ; aujourd'hui, je me vois, par anticipation, habitant de l'un des mondes plus avancés moralement, intellectuellement et physiquement que notre planète, en attendant que je sois arrivé à l'état de pur Esprit.

Pour jouir des bienfaits de Dieu, et m'en rendre tout à fait digne, j'ai pardonné avec empressement à mes ennemis, à ceux qui m'ont fait endurer de vives tortures morales, à tous ceux enfin qui m'ont offensé, et j'ai abjuré toute pensée de vengeance. Tous les jours je remercie Dieu de la haute bienveillance qu'il m'a témoignée en me faisant rapidement sortir du mauvais sentier où m'avaient jeté l'athéisme et le matérialisme, et le prie d'accorder la même faveur à tous ceux qui, comme moi, ont douté de lui et l'ont nié. Je le prie aussi de faire jouir ma femme, mes enfants, mon prochain, parents, amis et ennemis, des douceurs du Spiritisme. Enfin je prie pour tous, pour toutes les âmes souffrantes, afin que Dieu leur laisse entrevoir que sa bonté infinie ne leur a pas fermé la porte du repentir. Je demande aussi à Dieu le pardon de mes fautes, et la grâce de pratiquer la charité dans toute son étendue.

Je me trouve donc maintenant dans un état parfait de calme et de tranquillité sur mon avenir. L'idée de la mort n'a plus rien qui m'épouvante, parce que j'ai la conviction inébranlable que mon âme survivra à mon corps, et une foi entière dans la vie future. Une seule pensée me fait mal cependant, c'est celle d'abandonner sur la terre des êtres qui me sont si chers, avec la crainte de les voir malheureux. Hélas ! cette crainte qui comporte sa douleur est bien naturelle, en présence de l'égoïsme dont la majeure partie de notre pauvre monde est imprégnée. Mais Dieu me comprend ; il sait que toute ma confiance est en lui seul. Déjà j'ai éprouvé le bonheur de revoir notre chère Laure en décembre dernier, quelques jours après sa mort. C'est assurément un effet anticipé de sa bonté pour moi. »

Depuis la date de cette lettre, mon cher monsieur, mon bien-être a augmenté. Autrefois, la moindre contrariété m'irritait ; aujourd'hui ma patience est vraiment remarquable ; elle a succédé à la violence et à l'emportement. La victoire qu'elle a remportée ces jours-ci, dans une assez rude épreuve, vient à l'appui de mon assertion. Certes, il n'en eût pas été ainsi au mois de mars dernier. C'est bien dans ces sortes de circonstances que la doctrine spirite exerce sa douce influence. Ceux qui la critiquent la disent pleine de séductions, et moi je ne crois pas atténuer ce bel éloge en la trouvant pleine de voluptés.

Mon retour à la religion a causé ici une surprise d'autant plus grande que j'avais jusqu'alors affiché le matérialisme le plus effréné. Par une conséquence bien logique je suis à mon tour en butte aux railleries et aux sarcasmes, mais j'y reste insensible, et comme vous le dites fort judicieusement, tout cela glisse sur le vrai Spirite, comme l'eau sur le marbre.

Je vais, mon cher monsieur, finir ma lettre, dont la prolixité pourrait vous faire perdre un temps précieux. Veuillez agréer l'expression de ma vive gratitude pour la satisfaction morale, l'espérance consolante et le bien-être que vous m'avez procurés. Continuez votre sainte mission, Dieu vous a béni, monsieur !

Roussel (Adolphe),

Clerc de notaire, ancien commissaire-priseur.



P. S. Dans l'intérêt du Spiritisme, vous pouvez faire usage de cette lettre comme bon vous semblera, en tout ou en partie. »



Remarque. Nous avons déjà publié plusieurs lettres de cette nature, mais il faudrait des volumes pour publier toutes celles que nous recevons dans le même sens, et, ce qui n'est pas moins remarquable, c'est que la plupart viennent de personnes qui nous sont tout à fait étrangères, et ne sont sollicitées par aucune autre influence que l'ascendant de la doctrine.

Voilà donc un de ces hommes qui sont frappés par l'anathème de monseigneur d'Alger ; un homme qui, sans la doctrine spirite, serait mort dans l'athéisme et le matérialisme ; qui, s'il se présentait pour recevoir les sacrements de l'Eglise, serait impitoyablement repoussé. Qui donc l'a ramené à Dieu ? Est-ce la crainte des peines éternelles ? Non, puisque c'est la théorie de ces peines qui l'en avait éloigné. Qui donc a eu la puissance de calmer ses emportements et d'en faire un homme doux et inoffensif ; de lui faire abjurer ses idées de vengeance pour pardonner à ses ennemis ? C'est le Spiritisme seul, parce qu'il y a puisé une foi inébranlable dans l'avenir ; c'est cette doctrine que vous voudriez extirper de votre diocèse, où, certes, il se trouve bien des individus dans le même cas, et qui, selon vous, est une plaie honteuse pour la colonie. A qui persuadera-t-on qu'il eût mieux valu pour cet homme rester ce qu'il était ? Si l'on objectait que c'est une exception, nous répondrions par des milliers d'exemples semblables ; et encore, si c'était une exception, nous répondrions par la parabole des cent brebis dont une s'est égarée et à la recherche de laquelle court le pasteur. Lui refusant le Spiritisme, que lui auriez-vous donné à la place pour opérer en lui cette transformation ? Toujours la perspective de la damnation éternelle, la seule, selon vous, qui soit capable d'enrayer le désordre et l'immoralité. Enfin, qui l'a porté à étudier le Spiritisme ? Est-ce une coterie de Spirites ? Non, puisqu'il les fuyait ; c'est un sermon prêché contre le Spiritisme. Pourquoi donc a-t-il été converti par le Spiritisme et non par le sermon ? C'est qu'apparemment les arguments du Spiritisme étaient plus convaincants que ceux du sermon. Ainsi en a-t-il été de toutes les prédications analogues ; ainsi en sera-t-il de l'ordonnance épiscopale d'Alger, qui aura, nous le prédisons, un résultat tout autre que celui qu'on s'en était promis.

A l'auteur de cette lettre nous dirons : « Frère, cette sorte de confession que vous faites à la face des hommes est un grand acte d'humilité ; il n'y a jamais honte, mais il y a grandeur, à reconnaître qu'on s'est trompé et à avouer ses torts ; Dieu aime les humbles, car c'est à eux qu'appartient le royaume des cieux. »

La lettre suivante est un exemple non moins frappant des miracles que le Spiritisme peut opérer sur les consciences ; et, ici, le résultat est d'autant plus remarquable qu'il ne s'agit pas d'un homme du monde, vivant dans un milieu éclairé, dont les mauvais penchants peuvent être contenus, sinon par la crainte de la vie future, du moins par celle de l'opinion, mais d'un homme frappé par la justice, d'un condamné à la réclusion dans une maison centrale.



20 septembre 1863.

« Monsieur,

J'ai été assez heureux pour lire, pour étudier quelques-uns de vos excellents ouvrages traitant du Spiritisme, et l'effet de cette lecture a été tel sur tout mon être, que je crois devoir vous en entretenir ; mais pour que vous puissiez bien me comprendre, je crois nécessaire de vous faire connaître les circonstances dans lesquelles je me trouve placé.

J'ai le malheur d'être frappé d'une condamnation à six ans de réclusion, juste conséquence de ma conduite passée ; je n'ai donc pas lieu de me plaindre, aussi n'est-ce que pour ordre que je le relate.

Il y a un mois encore, je me croyais à tout jamais perdu ; d'où vient qu'aujourd'hui je pense autrement, et que l'espoir s'est fait jour dans mon cœur ? N'est-ce pas parce que le Spiritisme, en me dévoilant la sublimité de ses maximes, m'a fait comprendre que les biens terrestres n'étaient rien ; que le bonheur n'existait réellement que pour ceux qui pratiquent les vertus enseignées par Jésus-Christ, vertus qui nous rapprochent de Dieu, notre père commun ? N'est-ce pas aussi parce que, quoique tombé dans un état d'abjection, quoique flétri par la société, je puis espérer renaître en quelque sorte, et dans cette vue préparer mon âme à une vie meilleure par la pratique des vertus et mon amour de Dieu et du prochain ?

« Je ne sais si ce sont bien là les véritables causes du changement qui s'opère en moi ; mais ce que je sais, c'est qu'il se passe dans tout mon être quelque chose que je ne puis définir. Je suis mieux disposé vis-à-vis des malheureux qui, comme moi, sont placés sous la férule de la société. J'ai une certaine autorité sur une centaine d'entre eux, et je suis bien décidé à n'en user que pour le bien. Ma position morale me paraît moins pénible ; je considère mes souffrances comme une juste expiation, et cette idée m'aide à les supporter. Enfin ce n'est plus avec des sentiments de haine que je considère la société ; je lui rends la justice qui lui est due.

Voilà, j'en suis sûr, les causes qui ont réagi sur mon esprit, et qui feront de moi, à l'avenir, j'en ai le doux espoir, un homme aimant et servant Dieu et son prochain, pratiquant la charité et ses devoirs. Et à qui devrai-je rendre grâce de cette heureuse métamorphose qui d'un homme méchant en aura fait un homme aimant la vertu ? A Dieu d'abord, à qui nous devons tout rapporter, et ensuite à vos excellents écrits. Aussi, monsieur, permettez-moi de vous le dire, cette lettre a pour but de vous marquer toute ma gratitude.

Mais pourquoi faut-il que mon éducation spirite reste inachevée ? Sans doute, Dieu le veut ainsi ; que sa volonté soit faite ! Je ne vous laisserai pas ignorer, monsieur, le nom de l'excellente personne à laquelle je suis redevable de ce que je sais maintenant : c'est M. Benoît qui, ayant remarqué en moi un désir de revenir sur mon passé, a bien voulu m'initier à la doctrine spirite ; malheureusement je vais le perdre, sa nouvelle position ne lui permettant plus de venir me voir. C'est un grand malheur pour moi, je ne vous le cache pas, car aux conseils il joignait l'exemple. Lui aussi doit son amélioration à la doctrine. Il me disait : « Jusqu'à ce que j'aie été éclairé de l'Esprit spirite, aussitôt mon repas terminé, je me rendais au café, et là souvent j'oubliais, non seulement mes devoirs envers ma petite famille, mais encore envers mon patron. Le temps que je passais ainsi, je l'emploie maintenant à la lecture des livres spirites, lecture que je fais à haute voix, pour que ma famille en profite. Et croyez-moi, ajoutait M. Benoît, cela vaut mieux, c'est le commencement du vrai, du seul bonheur. »

Pardonnez-moi, je vous prie, ma témérité, et surtout la longueur de cette lettre, et veuillez croire, etc.

D… »

Ce M. Benoît est un simple ouvrier. Il avait été instruit dans le Spiritisme par une dame de la ville dont il avait parlé au prisonnier. Ce dernier, avant le départ de son instructeur, écrivit à cette dame la lettre suivante :

« Madame,

Je suis sans doute bien téméraire d'oser vous adresser ces quelques lignes, mais j'espère en votre bonté pour me pardonner, surtout en raison des causes qui me font agir. J'ai d'abord à vous remercier, madame, mais à vous remercier du plus profond de mon cœur, de toute mon âme, pour le bien que vous m'avez fait, en permettant à M. Benoît de m'instruire du Spiritisme, de cette sublime doctrine appelée à régénérer le monde, et qui sait si bien démontrer à l'homme ce qu'il doit à Dieu, à sa famille, à la société, à lui-même ; qui, en lui prouvant que tout n'est pas fini avec cette vie, l'engage et lui donne les moyens de se préparer pour une autre vie. Je crois avoir profité des utiles enseignements que j'ai reçus, car j'éprouve un sentiment qui me laisse mieux disposé pour mes semblables, et me fait toujours avoir la pensée vers le ciel. Est-ce là un commencement de foi ? Je l'espère ; malheureusement M. Benoît va partir, et avec lui mon espoir de m'instruire.

Je sais que vous êtes bonne, que vous aurez pensé à continuer de me donner les moyens de m'éclairer ; je vous en conjure à genoux, continuez l'œuvre si bien commencée ; elle vous sera comptée par Dieu, car vous avez l'espoir de faire d'un malheureux perdu dans les vices du monde un homme vertueux, un homme digne de ce nom, et de sa famille, et de la société. En attendant le jour où, libre, je pourrai donner mes preuves, je vous bénirai comme mon Esprit sur cette terre ; je vous associerai à mes prières, et un jour viendra où je pourrai aussi apprendre à ma famille à vous bénir, à vous vénérer, car vous lui aurez rendu un fils, un frère honnête homme ; il est impossible d'en être autrement lorsqu'on sert Dieu sincèrement. Je conclus donc, madame, en vous priant d'être, sur cette terre, mon bon Esprit, de vouloir bien me diriger dans la bonne voie ; ce que vous ferez sera compté comme une bonne œuvre ; quant à moi, je vous promets d'être docile à vos enseignements.

Je termine, etc. »

Remarque. – Ainsi, ce M. Benoît, simple ouvrier, était lui-même un exemple récent de l'effet moralisateur du Spiritisme, et déjà, à son tour, il ramène dans la bonne voie une âme égarée ; il rend à sa famille, à la société, un honnête homme au lieu d'un criminel, bonne œuvre à laquelle a concouru une dame charitable, étrangère à tous les deux, mais animée du seul désir de faire le bien ; et tout cela s'est fait dans l'ombre, sans faste, sans ostentation, et avec le seul témoignage de la conscience.

Spirites, voilà de ces miracles dont vous devez être fiers, que vous pouvez tous opérer, et pour lesquels vous n'avez besoin d'aucune faculté exceptionnelle, car il suffit du désir de faire le bien. Si le Spiritisme a une telle puissance sur les âmes flétries, que n'en doit-on pas attendre pour la régénération de l'humanité, quand il sera devenu la croyance commune, et que chacun l'emploiera dans sa sphère d'action ! Vous tous qui jetez la pierre au Spiritisme et dites qu'il remplit les maisons d'aliénés, donnez donc à la place quelque chose qui produise plus qu'il ne produit. Au fruit on reconnaît la qualité de l'arbre ; jugez donc le Spiritisme à ses fruits, et tâchez d'en donner de meilleurs ; alors on vous suivra. Encore quelques années, et vous verrez bien d'autres prodiges ; non pas des signes dans le ciel pour frapper les yeux, comme en demandaient les Pharisiens, mais des prodiges dans le cœur des hommes, et dont le plus grand sera de fermer la bouche des détracteurs, et d'ouvrir les yeux des aveugles, car il faut que les prédictions du Christ s'accomplissent, et elles s'accompliront toutes.

L'Esprit typteur de Carcassonne soutient sa réputation, et prouve, par les succès qu'il obtient dans les divers concours où il se présente comme candidat, le mérite incontestable de ses excellentes fables et poésies. Après avoir remporté le premier prix, l'Églantine d'or, à l'académie des Jeux floraux de Toulouse, il vient tout récemment d'obtenir une médaille de bronze au concours de Nîmes. Le Courrier de l'Aude dit à ce sujet : « Cette distinction est d'autant plus flatteuse, que le concours n'était pas restreint seulement aux fables et aux poésies, mais qu'il embrassait toutes les œuvres littéraires. »

Ce nouveau triomphe en présage assurément d'autres pour l'avenir, car il est probable que cet Esprit ne s'en tiendra pas là. Décidément il devient un concurrent redoutable. Que diront les incrédules ? Ce qu'ils ont déjà dit à l'occasion du succès de Toulouse : Que M. Joubert est un poète qui a la fantaisie de se cacher sous le manteau d'un Esprit. Mais ceux qui connaissent M. Joubert savent qu'il n'est pas poète ; et d'ailleurs le fût-il, le mode d'obtention, par la typtologie, en présence de témoins, lève toute espèce de doute, à moins de supposer qu'il se cache, non sous la table, mais dans la table. Quoi qu'il en soit, des faits de cette nature ne peuvent manquer d'appeler l'attention des gens sérieux, et de hâter le moment où les relations du monde visible et du monde invisible seront admises comme une des lois de la nature ; cette loi reconnue, la philosophie et la science entreront nécessairement dans une nouvelle voie. La Providence, qui veut le triomphe du Spiritisme, parce que le Spiritisme est une des grandes étapes du progrès humain, emploie divers moyens pour le faire pénétrer dans l'esprit des masses ; moyens appropriés aux goûts et aux dispositions de chacun, attendu que ce qui convainc les uns ne convainc pas les autres ; ici ce sont les succès académiques d'un Esprit poète ; là ce sont des phénomènes tangibles provoqués ou des manifestations spontanées ; ailleurs ce sont des effets purement moraux ; puis des guérisons qui jadis eussent passé pour miraculeuses, et déroutent la science vulgaire ; des productions artistiques par des personnes étrangères aux arts. Il n'est pas jusqu'aux cas d'obsession et de subjugation qui, en prouvant l'impuissance de la science dans ces sortes d'affections, amèneront les savants à reconnaître une action extra-matérielle. Avons-nous enfin besoin d'ajouter que les adversaires de l'idée spirite sont, entre les mains de la Providence, un des plus puissants moyens de vulgarisation ? car il est bien évident que sans le retentissement de leurs attaques, le Spiritisme serait moins répandu qu'il ne l'est ; Dieu, en les convainquant d'impuissance, a voulu qu'ils servissent eux-mêmes à son triomphe. (Voir la Revue de juin 1863.)



Nous devons à l'obligeance d'un de nos correspondants de Bordeaux l'intéressant passage suivant, extrait d'un ouvrage intitulé : Exposé de la grandeur de la création universelle, par le docteur Gelpke, publié à Leipzig en 1817.

« … Si donc la construction de tous les mondes qui brillent au-dessus de nous pouvait être soumise à notre examen, de quelle admiration ne serions-nous pas frappés en voyant la diversité de ces globes, dont chacun est autrement organisé que celui qui lui est le plus voisin dans l'ordre de la création ! Et, ainsi que je l'ai déjà dit, le nombre des mondes étant incalculable, leur construction doit être également différente à l'infini.

Comme, en outre, de l'organisation de chaque monde dépend l'organisation des êtres qui l'habitent, ceux-ci doivent, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, différer essentiellement sur chaque globe. Si nous considérons maintenant la multiplicité et l'immense variété des créatures sur notre terre, où une feuille même ne ressemble pas à une autre feuille, et que nous admettions une aussi grande variété de créatures sur chaque monde, combien prodigieuse nous en paraîtra la multitude dans l'incommensurable royaume de Dieu !

Quelle sera donc un jour la plénitude de notre félicité, lorsque, sous des enveloppes toujours plus parfaites, nous pénétrerons successivement plus avant dans les mystères de la création, et que nous trouverons des mondes sans fin peuplant un espace sans fin ! Combien alors Dieu ne nous paraîtra-t-il pas plus adorable encore, lui qui tira tout cet ensemble du néant, lui dont la bonté sans bornes n'a tout créé que pour en faire jouir des êtres vivants, et dont la sagesse a ordonné ce tout d'une manière si admirable !

Mais notre résidence et notre conformation actuelles peuvent-elles nous procurer un tel bonheur ? N'avons-nous pas besoin pour cela d'un tout autre séjour qui nous placera plus avant dans le domaine de la création, et d'une enveloppe beaucoup plus subtile et plus parfaite, qui n'entravera pas notre esprit dans ses progrès vers la perfection, et au moyen de laquelle il pourra voir, sans aide, dans le tout universel, bien au delà de ce que nous le pouvons ici avec nos meilleurs instruments ?

Mais pourquoi le Créateur ne nous donnerait-il pas, après plusieurs degrés d'existence, une enveloppe qui, semblable à l'éclair, pourrait s'élever de mondes en mondes, nous permettant ainsi, à la fois, d'envisager tout de plus près, et de mieux embrasser l'ensemble par la pensée ? Qui oserait en douter, lorsque nous voyons le brillant papillon naître de la chenille, et l'arbre éblouissant de fleurs provenir d'un noyau ! Si Dieu développe ainsi peu à peu la chenille, et nous la montre splendidement transformée, s'il développe aussi le germe par degrés, combien ne nous fera-t-il pas progresser nous, hommes, rois de la terre, et avancer dans la création ! »

Pluralité des mondes habités, pluralité des existences, périsprit, progrès successif et indéfini de l'âme, tout y est.



Dissertations spirites

Société de Paris. – 6 février 1863. – Médium, madame Costel

Le Spiritisme est le Christianisme de l'âge moderne ; il doit restituer aux traditions leur sens spiritualiste. Autrefois, l'Esprit s'est fait chair ; aujourd'hui, la chair se fait Esprit pour développer ridée gigantesque qui doit renouveler la face du monde. Mais à la fête de la création spirite succèderont le trouble et l'orgueil des systèmes divers, qui, au mépris des sages enseignements, échafauderont une nouvelle tour de Babel, œuvre de confusion, bientôt réduite à néant, car les œuvres du passé sont le gage de l'avenir, et rien ne se dissipe du trésor d'expérience amassé par les siècles. Spirites, formez une tribu intellectuelle ; suivez vos guides plus docilement que ne le firent les Hébreux ; nous venons aussi vous délivrer du joug des Philistins, et vous conduire vers la Terre Promise. Aux ténèbres des premiers âges succèdera l'aurore, et vous serez émerveillés de comprendre la lente réflexion des âges antérieurs sur le présent. Les légendes revivront énergiques comme la réalité, et vous acquerrez la preuve de l'admirable unité, gage d'alliance contractée par Dieu avec ses créatures.

Saint Louis.

Sétif, Algérie, 15 octobre 1863

Ouvrez les Ecritures sacrées, vous y trouverez à chaque page des prédictions ou des allégories incompréhensibles pour quiconque n'est pas au courant des révélations nouvelles, et qui, pour la plupart, ont été interprétées par leurs commentateurs d'une manière conforme à leur opinion et trop souvent à leur intérêt. Mais en prenant pour guide la science que vous avez commencé à acquérir, vous saurez facilement découvrir le sens caché qu'elles renferment.

Les anciens prophètes étaient tous inspirés par des Esprits élevés, mais qui ne leur donnaient, dans leurs révélations, que des enseignements de nature à n'être compris que par les intelligences d'élite et dont le sens ne fût pas en opposition trop patente avec l'état des connaissances et les préjugés de ces temps-là. Il fallait qu'il fût possible de les interpréter d'une manière appropriée à l'intelligence des masses, pour que celles-ci ne les rejetassent pas, comme elles n'eussent pas manqué de le faire, si ces prédictions avaient été en opposition trop formelle avec les idées générales.

Aujourd'hui notre soin doit être de vous éclairer complètement, et en même temps de vous faire comprendre les rapprochements qui existent entre nos révélations et celle des anciens. Nous avons une autre tâche à remplir, c'est de combattre le mensonge, l'hypocrisie et l'erreur, tâche très difficile et très ardue, mais dont nous viendrons à bout, parce que telle est la volonté de Dieu. Ayez foi et courage ; Dieu ne rencontre jamais d'obstacle irrésistible contre sa volonté. Des moyens imprévus seront employés par ses ordres pour vaincre le génie du mal personnifié maintenant par ceux qui devraient marcher à la tête du progrès, et propager la vérité au lieu d'y mettre des entraves par orgueil ou par intérêt.

Il faut donc annoncer partout avec confiance et sécurité la fin prochaine de l'esclavage, de l'injustice et du mensonge ; je dis la fin prochaine, parce que les évènements, bien que devant s'accomplir avec la sage lenteur que la Providence apporte dans ses réformes, pour éviter les malheurs inséparables d'une grande précipitation, auront leur cours dans un espace de temps plus rapproché que ne l'espèrent ceux qui s'effraient des obstacles qu'ils prévoient, et que ne l'espèrent aussi ceux qui, par peur ou par égoïsme, sont intéressés au maintien indéfini de l'état des choses.

Soyez donc ardents à la propagande, mais prudents vis-à-vis de vos auditeurs, pour ne pas effrayer les consciences timorées et ignorantes ; les égoïstes seuls n'exigent aucun ménagement, et ne doivent vous inspirer aucune crainte. Vous avez l'aide de Dieu, leur résistance sera impuissante contre vous ; il faut leur montrer sans équivoque l'avenir redoutable qui les attend à cause d'eux-mêmes et à cause de ceux qui se laisseront pervertir par leur exemple, car chacun est responsable du mal qu'il fait, et de celui dont il est cause.

Saint Augustin.









Décembre

Un publiciste distingué, pour le caractère duquel nous professons la plus profonde estime, et dont les sympathies sont acquises à la philosophie spirite, mais à qui l'utilité de l'enseignement des Esprits n'est pas encore démontrée, nous écrit ce qui suit :

« … Je crois que l'humanité était depuis longtemps en possession des principes que vous avez exposés, principes que j'aime et que je défends sans le secours des communications spirites, ce qui ne veut pas dire, remarquez-le bien, que je nie le secours des lumières divines. Chacun de nous reçoit ce secours dans une certaine limite, suivant le degré de sa bonne volonté, de son amour du prochain, et aussi dans la mesure de la mission qu'il a à remplir pendant son passage sur la terre. Je ne sais si vos communications vous ont mis en possession d'une seule idée, d'un seul principe qui n'ait été précédemment exposé par la série des philosophes et des penseurs qui, depuis Confucius jusqu'à Platon, jusqu'à Moïse, Jésus-Christ, saint Augustin, Luther, Diderot, Voltaire, Condorcet, Saint-Simon etc., ont fait progresser notre humble planète. Je ne le pense pas, et si je me trompe, je vous serais fort reconnaissant de la peine que vous prendriez pour me démontrer mon erreur. Notez bien que je ne condamne pas vos procédés spirites : je les crois inutiles pour moi, etc.… »

Mon cher monsieur, je vais répondre en quelques mots à votre question. Je n'ai ni votre talent ni votre éloquence, mais je tâcherai d'être clair, non seulement pour vous, mais pour mes lecteurs, à qui ma réponse pourra servir d'enseignement, c'est pourquoi je vous la fais par la voie de mon journal.

Je dirai d'abord que, de deux choses l'une, ou les communications avec les Esprits existent, ou elles n'existent pas. Si elles n'existent pas, des millions de personnes qui communiquent journellement avec eux se font une étrange illusion, et moi-même j'aurais eu une singulière idée de leur attribuer ce dont j'aurais pu me faire un mérite ; mais il est d'autant moins utile de discuter ce point que vous ne le contestez pas. Si cette communication existe, elle doit avoir son utilité, parce que Dieu ne fait rien d'inutile ; or, cette utilité ressort non seulement de cet enseignement, mais encore et surtout des conséquences de cet enseignement, ainsi que nous le verrons tout à l'heure.

Vous dites que ces communications n'apprennent rien de nouveau que ce qui a été enseigné par tous les philosophes depuis Confucius, d'où vous concluez qu'elles sont inutiles. Le proverbe : « Il n'y a rien de nouveau sous le soleil » est parfaitement vrai, et Edouard Fournier l'a clairement démontré dans son intéressant ouvrage du Vieux neuf ; ce qu'il a dit des œuvres de l'industrie est tout aussi vrai en matière philosophique, et cela par une raison très simple, c'est que les grandes vérités sont de tous les temps, et de tous temps elles ont dû se révéler à des hommes de génie. Mais de ce qu'un homme a formulé une idée, s'ensuit-il que celui qui la formule après lui soit inutile ? Socrate et Platon n'ont-ils pas énoncé des principes de morale identiques à ceux de Jésus ? Faut-il en conclure que la doctrine de Jésus a été une superfluité ? A ce compte-là, bien peu de travaux seraient d'une utilité réelle, puisque, de la plupart, on peut dire qu'un autre a eu la même pensée, et qu'il suffit d'y avoir recours. Vous-même, mon cher monsieur, qui consacrez votre talent au triomphe des idées de progrès et de liberté, que dites-vous que cent autres n'aient dit avant vous ? En faut-il conclure que vous devriez vous taire ? Vous ne le pensez pas. Confucius, par exemple, proclame une vérité, puis un, deux, trois, cent autres hommes viennent après lui qui la développent, la complètent, et la présentent sous une autre forme, si bien que cette vérité, qui fût restée dans les cartons de l'histoire et le privilège de quelques érudits, se popularise, s'infiltre dans les masses et finit par devenir une croyance vulgaire. Que serait-il advenu des idées des philosophes anciens si elles n'avaient été reprises en sous-œuvres par des écrivains modernes ? Combien les connaîtraient aujourd'hui ? C'est ainsi que, chacun, à son tour, vient donner son coup de marteau.

Supposons donc que les Esprits n'aient rien enseigné de nouveau ; qu'ils n'aient pas révélé la plus petite vérité nouvelle ; qu'ils n'aient fait, en un mot, que répéter toutes celles qu'ont professées les apôtres du progrès, n'est-ce donc rien que ces principes enseignés aujourd'hui par les voix du monde invisible dans toutes les parties du monde, dans l'intérieur de toutes les familles, depuis le palais jusqu'à la chaumière ? N'est-ce donc rien que ces millions de coups de marteau frappés tous les jours à toute heure et partout ? Croyez-vous que les masses n'en sont pas plus pénétrées et impressionnées, venant de leurs parents ou amis, que par les maximes de Socrate et de Platon qu'ils n'ont jamais lues ou qu'ils ne connaissent que de nom ? Comment, vous, mon cher monsieur, qui combattez les abus de toutes sortes, pouvez-vous dédaigner un pareil auxiliaire ? un auxiliaire qui frappe à toutes les portes, bravant toutes les consignes et toutes les mesures inquisitoriales ? Cet auxiliaire seul, vous en aurez un jour la preuve, triomphera de toutes les résistances, parce qu'il prend les abus par la base en s'appuyant sur la foi qui s'éteint et qu'il vient consolider.

Vous prêchez la fraternité en termes éloquents, c'est très bien, et je vous admire ; mais qu'est-ce que la fraternité avec l'égoïsme ? L'égoïsme sera toujours la pierre d'achoppement pour la réalisation des idées les plus généreuses ; les exemples anciens et récents ne manqueraient pas à l'appui de cette proposition. Il faut donc prendre le mal dans sa racine, et pour cela combattre l'égoïsme et l'orgueil qui ont fait et feront avorter les projets les mieux conçus ; et comment détruire l'égoïsme sous l'empire des idées matérialistes qui concentrent l'action de l'homme sur la vie présente ? Pour celui qui n'attend rien après cette vie, l'abnégation n'a aucune raison d'être ; le sacrifice est une duperie, parce que c'est autant de pris sur les courtes jouissances de ce monde. Or, qui donne cette foi inaltérable dans l'avenir mieux que le Spiritisme ?

Comment est-il parvenu à triompher de l'incrédulité d'un si grand nombre, à dompter tant de passions mauvaises, si ce n'est par les preuves matérielles qu'il donne, et comment peut-il donner ces preuves sans les rapports établis avec ceux qui ne sont plus sur la terre ? N'est-ce donc rien d'avoir appris aux hommes d'où ils viennent, où ils vont, et l'avenir qui leur est réservé ? La solidarité qu'il enseigne n'est plus une simple théorie, c'est une conséquence forcée des rapports qui existent entre les morts et les vivants ; rapports qui font de la fraternité entre vivants non seulement un devoir moral, mais une nécessité, parce qu'il y va de l'intérêt de la vie future.

Les idées de castes, les préjugés aristocratiques, produits de l'orgueil et de l'égoïsme, n'ont-ils pas été de tous temps un obstacle à l'émancipation des masses ? Suffit-il de dire en théorie aux privilégiés de la naissance et de la fortune : Tous les hommes sont égaux ! L'Evangile a-t-il suffi pour persuader aux chrétiens possesseurs d'esclaves que ces esclaves sont leurs frères ? Or, qui peut détruire ces préjugés, qui passe un niveau sur toutes les têtes mieux que la certitude que dans les derniers rangs de la société se trouvent des êtres qui ont occupé le haut de l'échelle sociale ; que parmi nos serviteurs, parmi ceux à qui nous donnons l'aumône, peuvent se trouver des parents, des amis, des hommes qui nous ont commandés ; que ceux enfin qui sont haut placés maintenant peuvent descendre au dernier échelon ? Est-ce donc là un enseignement stérile pour l'humanité ? Cette idée est-elle nouvelle ? Non ; plus d'un philosophe l'a émise et a pressenti cette grande loi de la justice divine ; mais n'est-ce rien que d'en donner la preuve palpable, évidente ? Bien des siècles avant Copernic, Galilée et Newton, la rondeur et le mouvement de la terre ont été posés en principes ; ces savants sont venus démontrer ce que d'autres n'avaient fait que soupçonner ; ainsi en est-il des Esprits qui viennent prouver les grandes vérités, restées à l'état de lettres mortes pour le plus grand nombre, en leur donnant pour base une loi de nature.

Ah ! mon cher monsieur, si vous saviez comme moi combien d'hommes, qui eussent été des entraves à la réalisation des idées humanitaires, ont changé de manière de voir et en deviennent aujourd'hui les champions, grâce au Spiritisme, vous ne diriez pas que l'enseignement des Esprits est inutile ; vous le béniriez comme l'ancre de salut de la société, et vous appelleriez de tous vos vœux sa propagation. Est-ce donc l'enseignement des philosophes qui leur avait manqué ? Non, car la plupart sont des hommes éclairés, mais pour eux les philosophes étaient des rêveurs, des utopistes, de beaux parleurs ; que dis-je ? des révolutionnaires ; il fallait les frapper au cœur, et ce qui les a frappés, ce sont les voix d'outre-tombe qui se sont fait entendre à leur propre foyer.

Permettez-moi, cher monsieur, d'en rester là pour aujourd'hui ; l'abondance des matières me force à remettre au prochain numéro la question envisagée à un autre point de vue.



Au sujet de notre article du mois dernier sur l'ordonnance de Mgr l'évêque d'Alger, plusieurs personnes nous ont demandé si nous le lui avions adressé. Nous ignorons si quelqu'un s'est chargé de ce soin ; quant à nous, nous ne l'avons point fait, et voici notre raison :

Nous n'avons nulle intention de convertir Mgr d'Alger à nos opinions. Il eût pu voir dans l'envoi direct de cet article une sorte de bravade de notre part, ce qui n'est pas dans notre caractère. Le Spiritisme, encore une fois, doit être accepté librement et ne violenter aucune conscience ; il doit attirer à lui par la puissance de son raisonnement, accessible à tous, et par les bons fruits qu'il donne ; il doit réaliser cette parole du Christ : « Jadis le ciel se gagnait par la violence, aujourd'hui, c'est par la douceur. » De deux choses l'une : ou Mgr d'Alger tient à ne parler que de ce qu'il sait, ou il n'y tient pas. Dans le premier cas, il doit de lui-même se tenir au courant de la question, et ne point se borner aux écrits qui abondent dans son sens, s'il ne veut s'exposer à commettre de regrettables erreurs ; dans le second cas, ce serait peine perdue de chercher à ouvrir les yeux à qui veut les fermer.

C'est une grave erreur de croire que le sort du Spiritisme dépende de l'adhésion de telle ou telle individualité ; il s'appuie sur une base plus solide : l'assentiment des masses, dans lesquelles l'opinion des plus petits a son poids comme celle des plus grands. Ce n'est pas une seule pierre qui fait la solidité d'un édifice, parce qu'une pierre peut être renversée : mais l'ensemble de toutes les pierres qui lui servent de fondation. Dans une question d'un aussi vaste intérêt, l'importance des individualités, considérées en elles-mêmes, s'efface en quelque sorte ; chacune apporte son contingent d'action, mais que quelques-unes manquent à l'appel, l'ensemble n'en souffre pas.

Dans son opinion, Mgr d'Alger a cru devoir faire ce qu'il a fait ; il était dans son droit ; nous disons plus : il a bien fait de le faire, puisqu'il a agi selon sa conscience ; si le résultat ne répond pas à son attente, c'est qu'il a fait fausse route, voilà tout. Il ne nous appartient pas de chercher à modifier ses idées, et, par ce motif, nous n'avions pas à lui adresser notre réfutation. Nous ne l'avons point écrite pour lui, mais pour l'instruction des Spirites de tous les pays, afin de les rassurer sur les conséquences d'une démarche qui aura probablement des imitateurs. Peu importe donc la mesure en elle-même ; l'essentiel était de prouver que ni celle-là ni d'autres ne pouvaient atteindre le but qu'on se propose : l'anéantissement du Spiritisme.

En thèse générale, dans toutes nos réfutations, nous n'avons jamais en vue les individus, parce que les questions personnelles meurent avec les personnes. Le Spiritisme voit les choses de plus haut ; il s'attache aux questions de principes, qui survivent aux individus. Dans un temps donné, tous les détracteurs actuels du Spiritisme seront morts ; puisque, de leur vivant, ils n'ont pas pu arrêter son élan, ils le pourront encore moins quand ils n'y seront plus ; bien au contraire, plus d'un, reconnaissant son erreur, secondera comme Esprit ce qu'il avait combattu comme homme, ainsi que le fait feu l'évêque de Barcelone, que nous recommandons aux prières de tous les Spirites, selon le désir qu'il a exprimé. Voyez déjà si, avant de partir, plus d'un antagoniste n'est pas mort moralement ! De tous les écrits qui prétendaient pulvériser la doctrine, combien ont survécu ? Un an ou deux ont suffi pour mettre la plupart en oubli, et ceux qui ont fait le plus de bruit n'ont jeté qu'un feu de paille, déjà éteint ou s'éteignant chaque jour ; encore quelques années, et il n'en sera plus question, on les cherchera comme des raretés. En est-il de même des idées spirites ? Les faits répondent à la question. Est-il à présumer qu'après leurs auteurs viendront des adversaires plus redoutables qui auront raison du Spiritisme ? C'est peu probable, parce que ce n'est ni le talent, ni la bonne volonté, ni la haute position qui manquent à ceux d'aujourd'hui ; ils sont tout feu et tout ardeur ; ce qui leur manque, ce sont des arguments qui l'emportent sur ceux du Spiritisme, et certainement ce n'est pas faute d'en chercher ; or, l'idée spirite gagnant sans cesse des partisans, le nombre des adversaires diminuera en proportion, et ils se verront forcés d'accepter un fait accompli.

Au reste, nous avons déjà dit que le clergé n'est point unanime dans sa réprobation contre le Spiritisme ; nous connaissons personnellement plusieurs ecclésiastiques qui sont très sympathiques à cette idée, et en acceptent toutes les conséquences ; en voici une preuve bien caractéristique. Le fait suivant, dont nous pouvons garantir l'authenticité, est tout récent.

Dans un compartiment de chemin de fer se trouvaient deux messieurs, un savant, matérialiste et athée au suprême degré, et son ami, au contraire, très spiritualiste. Ils discutaient chaudement et soutenaient chacun leur opinion. A une station monte un jeune abbé qui écoute d'abord la conversation, puis y prend part. S'adressant à l'incrédule, il lui dit : « Il paraît, monsieur, que vous ne croyez à rien, pas même à Dieu ? – C'est la vérité, je l'avoue, monsieur l'abbé, et personne n'a encore pu me prouver que je suis dans l'erreur. – Eh bien ! monsieur, je vous engage à aller chez les Spirites, et vous croirez. – Comment ! monsieur l'abbé, c'est vous qui me tenez un pareil langage ? – Oui, monsieur, et je le dis parce que c'est ma conviction. Je sais, par expérience, que lorsque la religion est impuissante à vaincre l'incrédulité, le Spiritisme en triomphe. – Mais, que penserait votre évêque s'il savait ce que vous me dites là ? – Il en penserait ce qu'il voudrait, et je le lui dirais à lui-même, parce que j'ai pour habitude de ne pas cacher ma façon de penser. »

C'est ce savant lui-même qui a raconté le fait à un de ses amis, de qui nous le tenons.

En voici un autre non moins significatif. Un de nos fervents adeptes étant allé voir un de ses oncles, curé de village, le trouva occupé à lire le Livre des Esprits. Nous transcrivons textuellement le récit qu'il nous a donné de sa conversation. « Eh quoi ! mon oncle, vous lisez ce livre, et vous n'avez pas peur d'être damné ? C'est sans doute pour le réfuter dans vos sermons ? – Au contraire, cette doctrine me tranquillise sur l'avenir, car je comprends aujourd'hui bien des mystères que je n'avais pu comprendre, même dans l'Évangile. Et toi, est-ce que tu connais cela ? – Comment donc, si je le connais ! Je suis Spirite de cœur et d'âme, et de plus quelque peu médium. – Alors, mon cher neveu, touche là ! Nous n'avions jamais pu nous entendre sur la religion, maintenant nous nous comprendrons. Pourquoi ne m'en as-tu pas encore parlé ? – Je craignais de vous scandaliser. – Tu me scandalisais bien davantage autrefois par ton incrédulité. – Si j'étais incrédule, c'est vous qui en êtes cause. – Comment cela ? – N'est-ce pas vous qui m'avez élevé ? Et qu'est-ce que vous m'avez appris en fait de religion ? Vous m'avez toujours voulu expliquer ce que vous ne compreniez pas vous-même ; puis, quand je vous questionnais et que vous ne saviez que répondre, vous me disiez : « Tais-toi, malheureux ! il faut croire et ne pas chercher à comprendre. Tu ne seras jamais qu'un athée. » Maintenant c'est peut-être moi qui pourrais vous en remontrer. Aussi, c'est moi qui me charge d'instruire mon fils ; il a dix ans, et je vous assure qu'il est plus croyant que je ne l'étais à son âge, entre vos mains, et je ne crains pas qu'il perde jamais sa foi, parce qu'il comprend tout aussi bien que moi. Si vous voyiez comme il prie avec ferveur, comme il est docile, laborieux, attentif à tous ses devoirs, vous en seriez édifié. Mais, dites-moi, mon oncle, est-ce que vous prêchez le Spiritisme à vos paroissiens ? – Ce n'est pas la bonne envie qui m'en empêche, mais tu comprends que cela ne se peut pas. – Est-ce que vous leur parlez toujours de la fournaise du diable, comme de mon temps ? Je puis vous dire cela maintenant sans vous offenser ; mais vraiment, cela nous faisait bien rire ; parmi vos auditeurs, je vous certifie qu'il n'y avait pas seulement trois ou quatre bonnes femmes qui croyaient à ce que vous disiez ; les jeunes filles, qui sont d'ordinaire assez craintives, allaient « jouer au diable » en sortant du sermon. Si cette crainte a si peu d'empire sur des gens de campagne, naturellement superstitieux, jugez de ce que cela doit être chez ceux qui sont éclairés. Ah ! mon cher oncle, il est grand temps de changer de batterie, car le diable a fini son temps. – Je le sais bien, et le pis de tout cela, c'est que la plupart ne croient pas plus à Dieu qu'au diable, c'est pourquoi ils sont plus souvent au cabaret qu'à l'église. Je suis, je t'assure, quelquefois bien embarrassé pour concilier mon devoir et ma conscience ; je tâche de prendre un moyen terme : je parle plus souvent de morale, des devoirs envers la famille et la société, en m'appuyant sur l'Évangile, et je vois que je suis mieux compris et mieux écouté. – Quel résultat pensez-vous que l'on obtiendrait si on leur prêchait la religion au point de vue du Spiritisme ? – Tu m'as fait ta confession, je vais te faire la mienne et te parler à cœur ouvert. J'ai la conviction qu'avant dix ans il n'y aurait pas un seul incrédule dans la paroisse, et que tous seraient d'honnêtes gens ; ce qui leur manque, c'est la foi ; chez eux il n'y en a plus, et leur scepticisme, n'ayant pas pour contre-poids le respect humain que donne l'éducation, a quelque chose de bestial. Je leur parle de morale, mais la morale sans la foi n'a point de base, et le Spiritisme leur donnerait cette foi ; car ces gens-là, malgré leur manque d'instruction, ont beaucoup de bon sens ; ils raisonnent plus qu'on ne croit, mais ils sont extrêmement défiants, et cette défiance fait qu'ils veulent comprendre avant de croire ; or, il n'y a pour cela rien de mieux que le Spiritisme. – La conséquence de ce que vous dites, mon oncle, est que, si ce résultat est possible dans une paroisse, il l'est également dans les autres ; si donc tous les curés de France prêchaient en s'appuyant sur le Spiritisme, la société serait transformée en peu d'années. – C'est mon opinion. – Pensez-vous que cela arrive un jour ? – J'en ai l'espoir. – Et moi, j'ai la certitude qu'avant la fin de ce siècle on verra ce changement. Dites-moi, mon oncle, êtes-vous médium ? – Chut ! (tout bas) Oui ! – Et que vous disent les Esprits ? – Ils me disent que… » (Ici le bon curé parla si bas, que son neveu ne put entendre.)

Nous avons dit que l'ordonnance de Mgr d'Alger n'avait point arrêté l'élan du Spiritisme dans cette contrée ; l'extrait suivant de deux lettres, entre beaucoup d'autres analogues, peut en donner une idée.

« Cher et vénéré maître, je viens aujourd'hui, en vous confirmant ma précédente lettre, et à l'occasion de la circulaire de Mgr l'évêque d'Alger, vous renouveler l'assurance de l'attachement inviolable de tous les Spirites de notre groupe à la sainte et sublime doctrine du Spiritisme, qu'on ne parviendra jamais à nous persuader être l'œuvre du diable, parce qu'elle nous a arrachés au doute et au culte de la matière, et qu'elle nous rend meilleurs les uns pour les autres, même pour nos ennemis, pour qui nous faisons chaque jour une prière. Nous continuons, comme par le passé, à nous réunir et à recevoir les instructions de nos Esprits protecteurs, qui nous assurent que tout ce qui se passe est pour le mieux et selon les vues de la Providence. Tous nous disent que les temps sont proches où de grands changements vont s'opérer dans les croyances auxquelles le Spiritisme servira de lien pour amener tous les hommes à la fraternité… »

Une autre lettre dit : « L'ordonnance de Mgr l'évêque d'Alger a fourni à notre curé le sujet d'un sermon fulminant contre le Spiritisme, mais il en a été pour les frais de son éloquence ; je me trompe, car il a fait une si forte impression sur plusieurs railleurs, que ceux-ci, voyant le Spiritisme pris au sérieux par l'autorité ecclésiastique, se sont dit qu'il devait y avoir là quelque chose de sérieux ; ils se sont donc mis à l'étudier, et maintenant ils n'en rient plus et sont des nôtres. Du reste le nombre des Spirites continue à augmenter et plusieurs nouveaux groupes sont en train de se former. »

Toute notre correspondance est dans le même sens, et ne nous signale pas une seule défection, mais seulement quelques individus que leur position dépendante de l'autorité ecclésiastique oblige à ne pas se mettre en évidence, sans cesser toutefois de s'occuper du Spiritisme dans l'intimité ou dans le silence du cabinet. On peut imposer les actes extérieurs, mais non maîtriser la conscience. La communication ci-après prouve que, pas plus chez les Esprits que chez les hommes, l'élan ne s'est ralenti.



Sétif, 17 septembre 1863.

« Je viens à vous, mes amis, rempli de joie, en voyant le Spiritisme faire de rapides progrès, prendre chaque jour de nouvelles forces, au milieu des entraves qu'on lui oppose. Ces forces ne sont pas seulement celles du nombre, mais encore celles de l'union, de la fraternité, de la charité. Ayez donc confiance, espoir et courage en marchant dans cette sainte route du progrès spirite dont nulle puissance humaine ne vous détournera.

Cependant, attendez-vous à la lutte, et préparez-vous à la soutenir. Vos ennemis sont là qui vous forgent de lourdes chaînes avec lesquelles ils espèrent vous tenir et vous dompter. Que feront-ils contre la volonté de Dieu qui vous protège ? Les fondements de sa loi s'élèveront malgré tous les empêchements. Les serviteurs du Tout-Puissant sont remplis d'ardeur et de zèle ; ils ne se laisseront pas abattre ; ils résisteront à toutes les attaques ; ils marcheront dans la voie quand même et toujours ; les entraves, les chaînes se briseront comme si elles étaient de verre.

Je vous le dis, veillez, priez, tendez la main aux malheureux, dessillez les yeux qui sont fermés ; que vos cœurs et vos bras soient ouverts à tous sans exception. Spirites, votre tâche est belle ! qu'y a-t-il de plus beau, de plus consolant, que ce pacte d'union entre les vivants et les morts ? Quels immenses services nous pourrons nous rendre mutuellement ! Par vos prières à Dieu, partant du fond du cœur, vous pouvez beaucoup pour le soulagement des âmes qui souffrent, et combien le bienfait est doux au cœur de celui qui le pratique ! Quelle touchante harmonie que celle des bénédictions que vous aurez méritées ! Encore une fois, priez en élevant votre âme au ciel, et soyez persuadés que chacune de vos prières sera écoutée et apaisera une douleur.

Comprenez bien que plus vous amènerez d'hommes à vous imiter, plus l'ensemble de vos prières aura de puissance. Prenez les hommes par la main, et conduisez-les dans la vraie route où ils grossiront votre phalange. Prêchez la bonne doctrine, la doctrine de Jésus, celle que le divin Maître enseigne lui-même dans ses communications, qui ne font que répéter et confirmer la doctrine des Évangiles. Ceux qui vivront verront des choses admirables, je vous le dis.

D. Faut-il répondre à ce mandement par la voix de la presse ? – R. Mon Dieu, permettez-moi de leur dire ce que je pense ! Ils ont établi une route ; ils la font balayer pour que le peuple s'y promène avec plus de commodité et en plus grand nombre ; aussi la foule vient s'y presser. Vous devez comprendre mon langage, quelque peu énigmatique. Votre devoir de Spirites est de leur montrer qu'ils ont ouvert la porte au lieu de la fermer.

Saint Joseph. »

Remarque. Cette communication a été obtenue par un ouvrier, médium complètement illettré, et qui savait à peine signer ; depuis qu'il est médium, il écrit un peu, mais très difficilement. On ne peut donc supposer que la dissertation ci-dessus soit l'œuvre de son imagination.

Une lettre qui nous est adressée contient le passage suivant :
« Je viens d'avoir une discussion avec le curé d'ici sur la doctrine spirite ; au sujet de la réincarnation il m'a dit de lui dire lequel des corps prendra l'Esprit d'Elie au dernier jugement annoncé par l'Eglise pour se présenter devant Jésus-Christ ; si ce sera son premier ou son second. Je n'ai pas pu lui répondre ; il a ri et m'a dit que nous n'étions pas forts, messieurs les Spirites. »

Nous ne savons lequel des deux a provoqué la discussion ; dans tous les cas, il y a toujours imprudence à s'engager dans une controverse quand on ne se sent pas de force à la soutenir. Si l'initiative est venue de notre correspondant, nous lui rappellerons ce que nous n'avons cessé de répéter, que « le Spiritisme s'adresse à ceux qui ne croient pas ou qui doutent, et non à ceux qui ont une foi et à qui cette foi suffit ; qu'il ne dit à personne de renoncer à ses croyances pour adopter les nôtres, » et en cela il est conséquent avec les principes de tolérance et de liberté de conscience qu'il professe. Par ce motif, nous ne saurions approuver les tentatives faites par certaines personnes pour convertir à nos idées le clergé de quelque communion que ce soit. Nous répèterons donc à tous les Spirites : Accueillez avec empressement les hommes de bonne volonté ; donnez la lumière à ceux qui la cherchent, car avec ceux qui croient l'avoir vous ne réussirez pas ; ne faites violence à la foi de personne, pas plus du clergé que des laïques, car vous venez ensemencer les champs arides ; mettez la lumière en évidence, pour que ceux qui voudront la voir la regardent ; montrez les fruits de l'arbre, et donnez à manger à ceux qui ont faim, et non à ceux qui disent être rassasiés. Si des membres du clergé viennent à vous avec des intentions sincères et sans arrière-pensée, faites pour eux ce que vous faites pour vos autres frères : instruisez ceux qui le demanderont, mais ne cherchez point à amener de force ceux qui croiront leur conscience engagée à penser autrement que vous ; laissez-leur la foi qu'ils ont, comme vous demandez qu'ils vous laissent la vôtre ; montrez-leur enfin que vous savez pratiquer la charité selon Jésus. S'ils attaquent les premiers, c'est alors qu'on a le droit de réponse et de réfutation ; s'ils ouvrent la lice, il est permis de les suivre sans s'écarter toutefois de la modération dont Jésus a donné l'exemple à ses disciples ; si nos adversaires s'en écartent eux-mêmes, il faut leur laisser ce triste privilège qui n'est jamais une preuve de la véritable force. Si nous-même sommes entré depuis quelque temps dans la voie de la controverse, et si nous avons relevé le gant jeté par quelques membres du clergé, on nous rendra cette justice que notre polémique n'a jamais été agressive ; s'ils n'eussent attaqué les premiers, jamais leur nom n'eût été prononcé par nous. Nous avons toujours méprisé les injures et les personnalités dont nous avons été l'objet, mais il était de notre devoir de prendre la défense de nos frères attaqués et de notre doctrine indignement défigurée, puisqu'on a été jusqu'à dire en pleine chaire qu'elle prêchait l'adultère et le suicide. Nous l'avons dit et nous le répétons, cette provocation était maladroite, parce qu'elle amène forcément l'examen de certaines questions qu'il eût été d'une meilleure politique de laisser assoupies, car une fois le champ ouvert, on ne sait où il peut s'arrêter ; mais la peur est une mauvaise conseillère.

Cela dit, nous allons essayer de donner à M. le curé cité plus haut la réponse à la question qu'il a proposée. Toutefois, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que si son interlocuteur n'était pas aussi fort que lui en théologie, lui-même ne nous paraît pas très fort sur l'Evangile. Sa question revient à celle qui fut posée à Jésus par les Sadducéens ; il n'avait donc qu'à s'en référer à la réponse de Jésus, que nous prenons la liberté de lui rappeler, puisqu'il ne la sait pas.

« Ce jour-là, les Sadducéens, qui nient la résurrection, vinrent le trouver et lui proposèrent une question, en lui disant : « Maître, Moïse a ordonné que si quelqu'un mourrait sans enfants, son frère épousât sa femme, et suscitât des enfants à son frère mort. Or, il y avait parmi nous sept frères, dont le premier ayant épousé une femme, est mort ; et n'ayant point eu d'enfants, il a laissé sa femme à son frère. La même chose arriva au second, au troisième et à tous les autres jusqu'au septième. Enfin, cette femme est morte après eux tous. Lors donc que la résurrection arriva, duquel de ces sept sera-t-elle femme, puisqu'ils l'ont tous eue ?

« Jésus leur répondit : « Vous êtes dans l'erreur, ne comprenant pas les Écritures ni la puissance de Dieu ; car après la résurrection, les hommes n'auront point de femme, ni les femmes de mari ; mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel. Et pour ce qui est de la résurrection des morts, n'avez-vous point lu ces paroles que Dieu vous a dites : Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob ? Or, Dieu n'est point le Dieu des morts, mais des vivants. » (Saint Matthieu, ch. xxii, v. de 23 à 32.)

Puisque après la résurrection les hommes seront comme les anges du ciel, et que les anges n'ont pas de corps charnel, mais un corps éthéré et fluidique, les hommes ne ressusciteront donc pas non plus en chair et en os. Si Jean-Baptiste a été Élie, ce n'est qu'une même âme ayant eu deux vêtements laissés à deux époques différentes sur la terre, et qui ne se présentera ni avec l'un ni avec l'autre, mais avec l'enveloppe éthérée propre au monde invisible. Si les paroles de Jésus ne vous semblent pas assez claires, lisez celles de saint Paul (que nous rapportons ci-après page 372), elles sont encore plus explicites. Doutez-vous que Jean-Baptiste ait été Élie ? Lisez saint Matthieu, ch. xi, v. 13, 14, 15 : « Car jusqu'à Jean, tous les prophètes, aussi bien que la loi, ont prophétisé ; et si vous voulez comprendre ce que je vous dis, c'est lui-même qui est cet Élie qui doit venir. Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre. » Ici il n'y a point d'équivoque ; les termes sont clairs et catégoriques, et pour ne pas entendre, il faut n'avoir pas d'oreilles, ou vouloir les fermer. Ces paroles étant une affirmation positive, de deux choses l'une : Jésus a dit vrai, ou il s'est trompé. Dans la première hypothèse, c'est la réincarnation attestée par lui ; dans la seconde, c'est le doute jeté sur tous ses enseignements, car s'il s'est trompé sur un point, il a pu se tromper sur les autres ; choisissez.

Maintenant, monsieur le curé, permettez qu'à mon tour je vous adresse une question, à laquelle il vous sera sans doute facile de répondre.

Vous savez que la Genèse en assignant six jours pour la création, non seulement de la terre, mais de l'univers entier : soleil, étoiles, lune, etc., avait compté sans la géologie et l'astronomie ; que Josué avait compté sans la loi de la gravitation universelle ; il me semble que le dogme de la résurrection de la chair a compté sans la chimie. Il est vrai que la chimie est une science diabolique, comme toutes celles qui font voir clair là où l'on voudrait que l'on vît trouble ; mais, quoiqu'il en soit de son origine, elle nous apprend une chose positive, c'est que le corps de l'homme, de même que toutes les substances organiques animales et végétales, est composé d'éléments divers dont les principes sont : l'oxygène, l'hydrogène, l'azote et le carbone. Elle nous apprend encore, – et notez que c'est un résultat d'expérience, – qu'à la mort ces éléments se dispersent et entrent dans la composition d'autres corps, si bien qu'au bout d'un temps donné le corps entier est absorbé. Il est encore constaté que le terrain où abondent les matières animales en décomposition sont les plus fertiles, et c'est au voisinage des cimetières que les mécréants attribuent la fécondité proverbiale des jardins de MM. les curés de campagne. Supposons donc, monsieur le curé, que des pommes de terre soient plantées aux alentours d'une fosse ; ces pommes de terre vont s'alimenter des gaz et des sels provenant de la décomposition du corps mort ; ces pommes de terre vont servir à engraisser des poules ; ces poules, vous les mangerez, vous les savourerez, de telle sorte que votre corps sera lui-même formé de molécules du corps de l'individu qui est mort, et qui n'en seront pas moins à lui, quoique ayant passé par des intermédiaires. Vous aurez donc en vous des parties ayant appartenu à un autre. Or, quand vous ressusciterez tous les deux au jour du jugement, chacun avec votre corps, comment ferez-vous ? Garderez-vous ce que vous avez à l'autre, ou l'autre vous reprendra-t-il ce qui lui appartient ; ou bien encore aurez-vous quelque chose de la pomme de terre ou de la poule ? Question au moins aussi grave que celle de savoir si Jean-Baptiste ressuscitera avec le corps de Jean ou celui d'Élie. Je la pose dans sa plus grande simplicité, mais jugez de l'embarras si, comme cela est certain, vous avez en vous des portions de cent individus. C'est là, à proprement parler, la résurrection de la chair ; mais tout autre est celle de l'Esprit, qui n'emporte point sa dépouille avec lui. Voyez, ci-après, ce que dit saint Paul.

Puisque nous sommes en voie de questions, en voici une autre, monsieur le curé, que nous avons entendu faire par des incrédules ; elle est étrangère, il est vrai, au sujet qui nous occupe, mais elle est amenée par un des faits rapportés ci-dessus. Selon la Genèse, Dieu a créé le monde en six jours, et il s'est reposé le septième ; c'est ce repos du septième jour qui est consacré par celui du dimanche, et dont la stricte observation est une loi canonique. Si donc, ainsi que le démontre la géologie, ces six jours, au lieu d'être de vingt-quatre heures, sont de quelques millions d'années, quelle sera la longueur du jour de repos ? Comme importance, cette question vaut bien les deux autres.

Ne croyez pas, monsieur le curé, que ces observations soient le résultat d'un mépris des saintes Écritures ; non, bien au contraire ; nous leur rendons peut-être un plus grand hommage que vous-même. Tenant compte de la forme allégorique, nous en cherchons l'esprit qui vivifie, nous y trouvons de grandes vérités, et par là nous amenons les incrédules à y croire et à les respecter ; tandis qu'en s'attachant à la lettre qui tue, on leur fait dire des choses absurdes et on augmente le nombre des sceptiques.


La communication suivante a été obtenue dans la séance de la Société de Paris du 9 octobre 1863 :

« Que de jours se sont écoulés depuis que je n'ai eu le bonheur de m'entretenir avec vous, mes bien chers enfants ! aussi, est-ce avec une bien douce satisfaction que je me retrouve au milieu de ma chère Société de Paris.

De quoi vous entretiendrai-je aujourd'hui ? La plupart des questions morales ont été traitées par des plumes habiles ; néanmoins, elles sont tellement de mon domaine et leur champ est si vaste, que je trouverai bien encore quelques grains de vérité à glaner. Au surplus, quand bien même je ne ferais que redire ce que d'autres vous ont déjà dit, il en ressortira peut-être quelques nouveaux enseignements, car les bonnes paroles, comme les bonnes semences, portent toujours leurs fruits.

Les livres saints sont pour nous des greniers inépuisables, et le grand apôtre Paul, qui jadis a tant contribué à l'établissement du Christianisme par sa puissante prédication, vous a laissé des monuments écrits qui serviront non moins énergiquement à l'épanouissement du Spiritisme. Je n'ignore pas que vos adversaires religieux invoquent son témoignage contre vous ; mais cela n'empêche pas que l'illustre illuminé de Damas ne soit pour vous et avec vous, soyez-en bien convaincus. Le souffle qui court dans ses épîtres, l'inspiration sainte qui anime ses enseignements, loin d'être hostile à votre doctrine, est au contraire remplie de singulières prévisions en vue de ce qui arrive aujourd'hui. C'est ainsi que, dans sa première aux Corinthiens, il enseigne que, sans la Charité, il n'existe aucun homme, fût-il saint, fût-il prophète, transportât-il des montagnes, qui puisse se flatter d'être un véritable disciple de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Comme les Spirites, et avant les Spirites, ce fut lui qui proclama le premier cette maxime qui fait votre gloire : Hors la charité point de salut ! Mais ce n'est pas par cet unique côté qu'il se rattache à la doctrine que nous vous enseignons et que vous propagez aujourd'hui. Avec cette haute intelligence qui lui était propre, il avait prévu ce que Dieu réservait à l'avenir, et notamment, cette transformation, cette régénération de la foi chrétienne, que vous êtes appelés à asseoir profondément dans l'esprit moderne, puisqu'il décrit dans l'épître déjà citée, et d'une manière indiscutable, les principales facultés médianimiques qu'il appelle les dons bénis du Saint-Esprit.

Ah ! mes enfants, ce saint docteur contemple, avec une amertume qu'il ne peut dissimuler, le degré d'avilissement où sont tombés la plupart de ceux qui parlent en son nom, et qui proclament, urbi et orbi, que Dieu a jadis donné à la terre toute la somme de vérités que celle-ci était capable de recevoir. Et pourtant, l'apôtre s'était écrié qu'en son temps il n'avait qu'une science et que des prophéties imparfaites. Or, celui qui se plaignait de cette situation savait par cela même que cette science et ces prophéties se perfectionneraient un jour. N'est-ce pas là la condamnation absolue de tous ceux qui condamnent le progrès ? N'est-ce pas là le plus rude échec pour ceux qui prétendent que le Christ et les apôtres, les Pères de l'Eglise et surtout les révérends casuistes de la Compagnie de Jésus, ont donné à la terre toute la science religieuse et philosophique à laquelle celle-ci avait droit ? Heureusement l'apôtre lui-même a pris soin de les démentir d'avance.

Mes chers enfants, pour apprécier à leur valeur les hommes qui vous combattent, vous n'avez qu'à étudier les arguments de leur polémique, leurs paroles acerbes et les regrets qu'ils témoignent, comme le R. P. Pailloux, que les bûchers soient éteints, et que la Sainte Inquisition ne fonctionne plus ad majorem Dei gloriam. Mes frères, vous avez la charité, ils ont l'intolérance : ils sont donc bien à plaindre ; c'est pourquoi je vous convie à prier pour ces pauvres égarés, afin que l'Esprit-Saint, qu'ils invoquent si souvent, daigne enfin éclairer leur conscience et leur cœur. »

François-Nicolas Madeleine.

A cette remarquable communication, nous ajouterons les paroles suivantes de saint Paul, tirées de la première épître aux Corinthiens :

Mais quelqu'un me dira : En quelle manière les morts ressusciteront-ils, et quel sera le corps dans lequel ils reviendront ? – Insensés que vous êtes ! ne voyez-vous pas que ce que vous semez ne reprend point de vie, s'il ne meurt auparavant ? Et quand vous semez, vous ne semez pas le corps de la plante qui doit naître, mais la graine seulement, comme du blé ou de quelque autre chose. Après quoi Dieu lui donne un corps tel qu'il lui plaît, et il donne à chaque semence le corps qui est propre à chaque plante. Toute chair n'est pas la même chair ; mais autre est la chair des hommes, autre la chair des bêtes, autre celle des oiseaux, autre celle des poissons.

Il y a aussi des corps célestes et des corps terrestres ; mais les corps célestes ont un autre éclat que les corps terrestres. Le soleil a son éclat, qui diffère de l'éclat de la lune, comme l'éclat de la lune diffère de l'éclat des étoiles, et, entre les étoiles, l'une est plus éclatante que l'autre.

Il en arrivera de même dans la résurrection des morts. Le corps, comme une semence, est maintenant mis en terre plein de corruption, et il ressuscitera incorruptible. Il est mis en terre tout difforme, et il ressuscitera tout glorieux. Il est mis en terre privé de mouvement, et il ressuscitera plein de vigueur. Il est mis en terre comme un corps animal et il ressuscitera comme un corps spirituel. Comme il y a un corps animal, il y a un corps spirituel.

Je veux dire, mes frères, que la chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu, et que la corruption ne possédera point cet héritage incorruptible. » (Saint Paul, 1er ép. aux Corinth., ch. xv, v. de 35 à 44 et 50.)

Que peut être ce corps spirituel, qui n'est pas le corps animal, sinon le corps fluidique dont le Spiritisme démontre l'existence, le périsprit dont l'âme est revêtue après la mort ? A la mort du corps, l'Esprit entre dans le trouble ; il perd pour un instant la conscience de lui-même ; puis il recouvre l'usage de ses facultés, il renaît à la vie intelligente, en un mot il ressuscite avec son corps spirituel.

Le dernier paragraphe, relatif au jugement dernier, contredit positivement la doctrine de la résurrection de la chair, puisqu'il dit : « La chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu. » Les morts ne ressusciteront donc pas avec leur chair et leur sang, et n'auront pas besoin de rassembler leurs os dispersés, mais ils auront leur corps céleste, qui n'est pas le corps animal. Si l'auteur du Catéchisme philosophique avait bien médité le sens de ces paroles, il aurait pu se dispenser de faire le savant calcul mathématique auquel il s'est livré, pour prouver que tous les hommes morts depuis Adam, ressuscitant en chair et en os, avec leur propre corps, pourraient parfaitement tenir dans la vallée de Josaphat, sans être trop gênés[1].

Saint Paul a donc posé en principe et en théorie ce qu'enseigne aujourd'hui le Spiritisme sur l'état de l'homme après la mort.

Mais saint Paul n'est pas le seul qui ait pressenti les vérités enseignées par le Spiritisme ; la Bible, les Évangiles, les apôtres et les Pères de l'Église en sont remplis, de sorte que condamner le Spiritisme, c'est désavouer les autorités mêmes sur lesquelles s'appuie la religion. Attribuer tous ses enseignements au démon, c'est lancer le même anathème sur la plupart des auteurs sacrés. Le Spiritisme ne vient donc point détruire, mais au contraire rétablir toutes choses, c'est-à-dire restituer à chaque chose son véritable sens.



[1] Catéchisme philosophique, par l'abbé de Feller, t. iii, p. 83.



Nous avons dit qu'il n'y avait pas de possédés dans le sens vulgaire du mot, mais des subjugués ; nous revenons sur cette assertion trop absolue, car il nous est démontré maintenant qu'il peut y avoir possession véritable, c'est-à-dire substitution, partielle toutefois, d'un Esprit errant à l'Esprit incarné. Voici un premier fait qui en est la preuve, et qui présente le phénomène dans toute sa simplicité.

Plusieurs personnes se trouvaient un jour chez une dame somnambule-médium. Tout à coup celle-ci prend des allures toutes masculines, sa voix change, et, s'adressant à l'un des assistants, s'écrie : « Ah ! mon cher ami, que je suis content de te voir ! » Surpris, on se demande ce que cela signifie. La dame reprend : « Comment ! mon cher, tu ne me reconnais pas ? Ah ! c'est vrai ; je suis tout couvert de boue ! Je suis Charles Z… » A ce nom, les assistants se rappelèrent un monsieur mort quelques mois auparavant, frappé d'une attaque d'apoplexie au bord d'une route ; il était tombé dans un fossé d'où l'on avait retiré son corps couvert de boue. Il déclare que, voulant causer avec son ancien ami, il a profité d'un moment où l'Esprit de madame A…, la somnambule, était éloigné de son corps, pour se mettre en son lieu et place. En effet, cette scène s'étant renouvelée plusieurs jours de suite, madame A… prenait chaque fois les poses et les manières habituelles de M. Charles, se renversant sur le dos du fauteuil, croisant les jambes, se frisant la moustache, passant les doigts dans ses cheveux, de telle sorte que, sauf le costume, on aurait pu croire avoir M. Charles devant soi ; toutefois il n'y avait pas transfiguration, comme nous l'avons vu en d'autres circonstances. Voici quelques-unes de ses réponses :

D. Puisque vous avez pris possession du corps de madame A…, pourriez-vous y rester ? – R. Non, mais ce n'est pas la bonne envie qui me manque.

D. Pourquoi ne le pouvez-vous pas ? – R. Parce que son Esprit tient toujours à son corps. Ah ! si je pouvais rompre ce lien, je lui jouerais le tour.

D. Que fait pendant ce temps l'Esprit de madame A… ? – R. Il est là, à côté, qui me regarde et qui rit de me voir dans ce costume.

Ces entretiens étaient très amusants ; M. Charles avait été un joyeux vivant, il ne démentait pas son caractère ; adonné à la vie matérielle, il était peu avancé comme Esprit, mais naturellement bon et bienveillant. En s'emparant du corps de madame A…, il n'avait aucune mauvaise intention ; aussi cette dame ne souffrait-elle nullement de cette situation, à laquelle elle se prêtait volontiers. Il est bon de dire qu'elle n'avait point connu ce monsieur, et ne pouvait être au fait de ses manières. Il est encore à remarquer que les assistants ne songeant point à lui, la scène n'a point été provoquée, et qu'il est venu spontanément.

La possession est ici évidente et ressort encore mieux des détails, qu'il serait trop long de rapporter ; mais c'est une possession innocente et sans inconvénient. Il n'en est pas de même quand elle est le fait d'un Esprit mauvais et mal intentionné ; elle peut alors avoir des suites d'autant plus graves que ces Esprits sont tenaces, et qu'il devient souvent très difficile d'en délivrer le patient dont ils font leur victime. En voici un exemple récent, que nous avons pu observer nous-même, et qui a été pour la société de Paris l'objet d'une étude sérieuse.

Mademoiselle Julie, domestique, née en Savoie, âgée de vingt-trois ans, d'un caractère très doux, sans aucune espèce d'instruction, était depuis quelque temps sujette à des accès de somnambulisme naturel qui duraient des semaines entières ; dans cet état elle vaquait à son service habituel sans que les personnes étrangères se doutassent de sa situation ; son travail même était beaucoup plus soigné. Sa lucidité était remarquable ; elle décrivait les lieux et les événements à distance avec une parfaite exactitude.

Il y a six mois environ, elle devint en proie à des crises d'un caractère étrange qui avaient toujours lieu pendant l'état somnambulique, devenu en quelque sorte l'état normal. Elle se tordait, se roulait à terre comme si elle se débattait sous les étreintes de quelqu'un qui cherchait à l'étrangler, et, en effet, elle avait tous les symptômes de la strangulation ; elle finissait par terrasser cet être fantastique, le prenait par les cheveux, l'accablait ensuite de coups, d'injures et d'imprécations, l'apostrophant sans cesse du nom de Frédégonde, infâme régente, reine impudique, vile créature souillée de tous les crimes, etc. Elle trépignait comme si elle la foulait aux pieds avec rage, lui arrachait ses vêtements et ses parures. Chose bizarre, se prenant elle-même pour Frédégonde, elle se frappait à coups redoublés sur les bras, la poitrine et le visage, en disant : « Tiens ! tiens ! en as-tu assez, infâme Frédégonde ? Tu veux m'étouffer, mais tu n'en viendras pas à bout ; tu veux te mettre dans ma boîte, mais je saurai bien t'en chasser. » Ma boîte était le terme dont elle se servait pour désigner son corps. Rien ne saurait peindre l'accent frénétique avec lequel elle prononçait le nom de Frédégonde, en grinçant des dents, ni les tortures qu'elle endurait dans ces moments-là.

Un jour, pour se débarrasser de son adversaire, elle saisit un couteau et s'en frappa elle-même, mais on put l'arrêter à temps pour empêcher un accident. Chose non moins remarquable, c'est que jamais elle n'a pris aucune des personnes présentes pour Frédégonde ; la dualité était toujours en elle-même ; c'est contre elle qu'elle dirigeait sa fureur quand l'Esprit était en elle, et contre un être invisible quand elle s'en était débarrassée ; pour les autres, elle était douce et bienveillante dans les moments même de sa plus grande exaspération.

Ces crises, vraiment effrayantes, duraient souvent plusieurs heures et se renouvelaient plusieurs fois par jour. Quand elle avait fini par terrasser Frédégonde, elle tombait dans un état de prostration et d'accablement dont elle ne sortait qu'à la longue, mais qui lui laissait une grande faiblesse et un embarras dans la parole. Sa santé en était profondément altérée ; elle ne pouvait rien manger et restait parfois huit jours sans prendre de nourriture. Les meilleurs aliments avaient pour elle un goût affreux qui les lui faisait rejeter ; c'était, disait-elle, l'œuvre de Frédégonde, qui voulait l'empêcher de manger.

Nous avons dit plus haut que cette jeune fille n'a reçu aucune instruction ; dans l'état de veille, elle n'a jamais ouï parler de Frédégonde, ni de son caractère, ni du rôle que celle-ci a joué. Dans l'état de somnambulisme, au contraire, elle le sait parfaitement, et dit avoir vécu de son temps. Ce n'était point Brunehaut, comme on l'avait d'abord supposé, mais une autre personne attachée à sa cour.

Une autre remarque, non moins essentielle, c'est que, lorsque commencèrent ces crises, mademoiselle Julie ne s'était jamais occupée de Spiritisme, dont le nom même lui était inconnu. Encore aujourd'hui, dans l'état de veille, elle y est étrangère, et n'y croit pas. Elle ne le connaît que dans l'état de somnambulisme, et seulement depuis qu'on a commencé à la soigner. Tout ce qu'elle a dit a donc été spontané.

En présence d'une situation aussi étrange, les uns attribuaient l'état de cette jeune fille à une affection nerveuse ; d'autres à une folie d'un caractère spécial, et il faut convenir qu'au premier abord cette dernière opinion avait une apparence de réalité. Un médecin a déclaré que, dans l'état actuel de la science, rien ne pouvait expliquer de pareils phénomènes, et qu'il ne voyait aucun remède. Cependant des personnes expérimentées en Spiritisme reconnurent sans peine qu'elle était sous l'empire d'une subjugation des plus graves et qui pouvait lui devenir fatale. Sans doute, celui qui ne l'aurait vue que dans les moments de crise, et n'eût considéré que l'étrangeté de ses actes et de ses paroles, aurait dit qu'elle était folle, et lui aurait infligé le traitement des aliénés qui eût, sans aucun doute, déterminé une folie véritable ; mais cette opinion devait céder devant les faits. Dans l'état de veille, sa conversation est celle d'une personne de sa condition et en rapport avec son défaut d'instruction ; son intelligence même est vulgaire ; il en est tout autrement dans l'état de somnambulisme : dans les moments de calme elle raisonne avec beaucoup de sens, de justesse et une véritable profondeur ; or, ce serait une singulière folie que celle qui augmenterait la dose d'intelligence et de jugement. Le Spiritisme seul peut expliquer cette anomalie apparente. Dans l'état de veille, son âme ou Esprit est comprimé par des organes qui ne lui permettent qu'un développement incomplet ; dans l'état de somnambulisme, l'âme, émancipée, est en partie affranchie de ses liens et jouit de la plénitude de ses facultés. Dans les moments de crise, ses actes et ses paroles ne sont excentriques que pour ceux qui ne croient pas à l'action des êtres du monde invisible ; ne voyant que l'effet, et ne remontant pas à la cause, voilà pourquoi tous les obsédés, subjugués et possédés passent pour des fous. Dans les maisons d'aliénés, il y a eu dans tous les temps de prétendus fous de cette nature, et que l'on guérirait facilement si l'on ne s'obstinait à ne voir en eux qu'une maladie organique.

Sur ces entrefaites, comme mademoiselle Julie était sans ressources, une famille de vrais et sincères Spirites consentit à la prendre à son service, mais dans sa position elle devait être bien plus un embarras qu'une utilité, et il fallait un véritable dévouement pour s'en charger. Mais ces personnes en ont été bien récompensées, d'abord par le plaisir de faire une bonne action, et ensuite par la satisfaction d'avoir puissamment contribué à sa guérison, aujourd'hui complète ; double guérison, car non seulement mademoiselle Julie est délivrée, mais son ennemie est convertie à de meilleurs sentiments.

C'est là que nous avons été témoin d'une de ces luttes effrayantes qui ne dura pas moins de deux heures, et que nous avons pu observer le phénomène dans les plus minutieux détails, phénomène dans lequel nous avons immédiatement reconnu une analogie complète avec ceux des possédés de Morzines[1]. La seule différence est qu'à Morzines les possédés se livraient à des actes contre les individus qui les contrariaient, et qu'ils parlaient du diable qu'ils avaient en eux, parce qu'on leur avait persuadé que c'était le diable. Mademoiselle Julie, à Morzines, eût appelé Frédégonde le Diable.

Dans un prochain article, nous exposerons avec détail les différentes phases de cette guérison et les moyens employés à cet effet ; nous rapporterons en outre les remarquables instructions que les Esprits ont données à ce sujet, ainsi que les importantes observations auxquelles il a donné lieu touchant le magnétisme.



[1] Voir l'Instruction sur les possédés de Morzines, Revue spirite de décembre 1862, janvier, février, avril et mai 1863.



La première période du Spiritisme, caractérisée par les tables tournantes, a été celle de la curiosité. La seconde fut la période philosophique, marquée par l'apparition du Livre des Esprits. Dès ce moment le Spiritisme prit un tout autre caractère ; on en entrevit le but et la portée, on y puisa la foi et la consolation, et la rapidité de ses progrès fut telle qu'aucune doctrine philosophique ou religieuse n'en offre d'exemple. Mais, comme toutes les idées nouvelles, il eut des adversaires d'autant plus acharnés que l'idée était plus grande, parce que toute grande idée ne peut s'établir sans froisser des intérêts ; il faut qu'elle se place, et les gens déplacés ne peuvent la voir d'un bon œil ; puis, à côté des gens intéressés sont ceux qui, par système, sans motifs précis, sont les adversaires-nés de tout ce qui est nouveau.

Dans les premières années, beaucoup doutèrent de sa vitalité, c'est pourquoi ils y donnèrent peu d'attention ; mais quand on le vit grandir malgré tout, se propager dans tous les rangs de la société et dans toutes les parties du monde, prendre sa place parmi les croyances et devenir une puissance par le nombre de ses adhérents, les intéressés au maintien des idées anciennes s'alarmèrent sérieusement. C'est alors qu'une véritable croisade fut dirigée contre lui, et que commença la période de la lutte, dont l'auto-da-fé de Barcelone, du 9 octobre 1861, fut en quelque sorte le signal. Jusque-là, il avait été en butte aux sarcasmes de l'incrédulité qui rit de tout, surtout de ce qu'elle ne comprend pas, même des choses les plus saintes, et auxquels aucune idée nouvelle ne peut échapper : c'est son baptême du tropique ; mais les autres ne rirent pas : ils se mirent en colère, signe évident et caractéristique de l'importance du Spiritisme. Dès ce moment les attaques prirent un caractère de violence inouïe ; le mot d'ordre fut donné : sermons furibonds, mandements, anathèmes, excommunications, persécutions individuelles, livres, brochures, articles de journaux, rien ne fut épargné, pas même la calomnie.

Nous sommes donc en plein dans la période de la lutte, mais elle n'est pas finie. Voyant l'inutilité de l'attaque à ciel ouvert, on va essayer de la guerre souterraine, qui s'organise et commence déjà ; un calme apparent va se faire sentir, mais c'est le calme précurseur de l'orage ; mais aussi à l'orage succède un temps serein. Spirites, soyez donc sans inquiétude, car l'issue n'est pas douteuse ; la lutte est nécessaire, et le triomphe n'en sera que plus éclatant. J'ai dit, et je le répète : je vois le but, je sais quand et comment il sera atteint. Si je vous parle avec cette assurance, c'est que j'ai pour cela des raisons sur lesquelles la prudence veut que je me taise, mais vous les connaîtrez un jour. Tout ce que je puis vous dire, c'est que de puissants auxiliaires viendront qui fermeront la bouche à plus d'un détracteur. Pourtant la lutte sera vive, et si, dans le conflit, il y a quelques victimes de leur foi, qu'elles s'en réjouissent, comme le faisaient les premiers martyrs chrétiens, dont plusieurs sont parmi vous pour vous encouragez et vous donner l'exemple ; qu'elles se rappellent ces paroles du Christ :

« Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux. Vous serez heureux lorsque les hommes vous chargeront de malédictions, et qu'ils vous persécuteront, et qu'ils diront faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi. Réjouissez-vous alors, et tressaillez de joie, parce qu'une grande récompense vous est réservée dans les cieux ; car c'est ainsi qu'ils ont persécuté les prophètes qui ont été avant vous. » (Saint-Matthieu, ch. vi, v. 10, 11, 12.)

Ces paroles ne semblent-elles pas avoir été dites pour les Spirites d'aujourd'hui comme pour les apôtres d'alors ? C'est que les paroles du Christ ont cela de particulier, qu'elles sont de tous les temps, parce que sa mission était pour l'avenir comme pour le présent.

La lutte déterminera une nouvelle phase du Spiritisme et amènera la quatrième période, qui sera la période religieuse ; puis viendra la cinquième, période intermédiaire, conséquence naturelle de la précédente, et qui recevra plus tard sa dénomination caractéristique. La sixième et dernière période sera celle de la rénovation sociale, qui ouvrira l'ère du vingtième siècle. A cette époque, tous les obstacles au nouvel ordre de choses voulu par Dieu pour la transformation de la terre auront disparu ; la génération qui s'élève, imbue des idées nouvelles, sera dans toute sa force, et préparera la voie de celle qui inaugurera le triomphe définitif de l'union, de la paix et de la fraternité entre les hommes confondus dans une même croyance par la pratique de la loi évangélique. Ainsi seront vérifiées les paroles du Christ, qui toutes doivent recevoir leur accomplissement, et dont plusieurs s'accomplissent à cette heure, car les temps prédits sont arrivés. Mais c'est en vain que, prenant la figure pour la réalité, vous chercherez des signes dans le ciel : ces signes sont à vos côtés et surgissent de toutes parts.

Il est remarquable que les communications des Esprits ont eu un caractère spécial à chaque période : dans la première elles étaient frivoles et légères ; dans la seconde elles ont été graves et instructives ; dès la troisième ils ont pressenti la lutte et ses différentes péripéties. La plupart de celles qui s'obtiennent aujourd'hui dans les différents centres ont pour objet de prémunir les adeptes contre les menées de leurs adversaires. Partout donc des instructions sont données sur ce sujet, comme partout un résultat identique est annoncé. Cette coïncidence, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, n'est pas un des faits les moins significatifs. La situation se trouve complètement résumée dans les deux communications suivantes, dont plus d'un Spirite a déjà pu reconnaître la vérité.





Instruction des Esprits

La guerre sourde

Paris, 14 août 1863

« La lutte vous attend, mes chers fils ; c'est pourquoi je vous invite tous à imiter les lutteurs antiques, c'est-à-dire à vous ceindre les reins. Les années qui vont suivre sont pleines de promesses, mais aussi pleines d'anxiétés. Je ne viens point vous dire : Demain sera le jour de la bataille ! non, car l'heure du combat n'est pas encore fixée, mais je viens vous avertir, afin que vous soyez prêts à toutes les éventualités. Le Spiritisme, jusqu'à présent, n'a trouvé qu'une route facile et presque fleurie, car les injures et les railleries qu'on vous a adressées n'ont aucune portée sérieuse et sont restées sans effet, tandis que dorénavant les attaques qu'on dirigera contre vous auront un tout autre caractère : voici venir l'heure où Dieu va faire appel à tous les dévouements, où il va juger ses serviteurs fidèles pour faire à chacun la part qu'il aura méritée. On ne vous martyrisera point corporellement comme aux premiers temps de l'Église, on ne dressera point de bûchers homicides comme au moyen âge, mais on vous torturera moralement ; on dressera des embûches ; on tendra des pièges d'autant plus dangereux qu'on y emploiera des mains amies ; on agira dans l'ombre, et vous recevrez des coups sans savoir par qui ces coups seront portés, et vous serez frappés en pleine poitrine par les flèches empoisonnées de la calomnie. Rien ne manquera à vos douleurs ; on suscitera des défaillances dans vos rangs, et de soi-disant Spirites, perdus par l'orgueil et la vanité, se poseront dans leur indépendance en s'écriant : « C'est nous qui sommes dans le droit chemin ! » afin que vos adversaires-nés puissent dire : « Voyez, comme ils sont unis ! » On essayera de semer l'ivraie entre les groupes, en provoquant la formation de groupes dissidents ; on captera vos médiums pour les faire entrer dans une mauvaise voie ou pour les détourner d'aller dans les groupes sérieux ; on emploiera l'intimidation pour les uns, la captation pour les autres ; on exploitera toutes les faiblesses. Puis, n'oubliez pas que quelques-uns ont vu dans le Spiritisme un rôle à jouer, et un premier rôle, qui éprouvent aujourd'hui plus d'une déconvenue dans leur ambition. On leur promettra d'un côté ce qu'ils ne peuvent trouver de l'autre. Puis enfin, avec l'argent, si puissant dans votre siècle arriéré, ne peut-on trouver des comparses pour jouer d'indignes comédies afin de jeter le discrédit et le ridicule sur la doctrine ?

Voilà les épreuves qui vous attendent, mes fils, mais dont vous sortirez victorieux, si vous implorez du fond du cœur le secours du Tout-Puissant ; c'est pourquoi, je vous le répète de toute mon âme : mes fils, serrez vos rangs, soyez sur le qui-vive, car c'est votre Golgotha qu'on élève ; et si vous n'y êtes pas crucifiés en chair et en os, vous le serez dans vos intérêts, dans vos affections, dans votre honneur ! L'heure est grave et solennelle ; arrière donc toutes les mesquines discussions, toutes les préoccupations puériles, toutes les questions oiseuses, et toutes les vaines prétentions de prééminence et d'amour propre ; occupez-vous des grands intérêts qui sont en vos mains et dont le Seigneur vous demandera compte. Unissez-vous pour que l'ennemi trouve vos rangs compacts et serrés ; vous avez un mot de ralliement sans équivoque, pierre de touche à l'aide de laquelle vous pouvez reconnaître vos véritables frères, car ce mot implique l'abnégation et le dévouement, et résume tous les devoirs du vrai Spirite.

Courage donc et persévérance, mes enfants ! songez que Dieu vous regarde et vous juge ; souvenez-vous aussi que vos guides spirituels ne vous abandonneront pas tant qu'ils vous trouveront dans le droit chemin. D'ailleurs, toute cette guerre n'aura qu'un temps et tournera contre ceux qui croyaient créer des armes contre la doctrine ; le triomphe, et non plus le sanglant holocauste, rayonnera du Golgotha spirite.

A bientôt, mes fils, salut à tous.

Eraste, disciple de saint Paul, apôtre. »



Une des manœuvres prévues dans la communication ci-dessus vient, à ce qu'on nous apprend, de se réaliser. On nous écrit qu'une jeune femme, qui avait été conduite une seule fois dans une réunion, a quitté sa famille, sans motif, et s'est retirée chez une personne étrangère, d'où elle fut conduite dans un hospice d'aliénés, comme atteinte de folie spirite, à l'insu de ses parents, qui n'en furent informés qu'après la chose faite. Au bout de vingt jours, ceux-ci ayant obtenu l'autorisation d'aller la voir, ils lui reprochèrent de les avoir quittés ; alors elle avoua qu'on lui avait promis de l'argent pour simuler la folie. Jusqu'à ce moment, les démarches pour la faire sortir ont été infructueuses.

Si c'est ainsi qu'on recrute les fous spirites, le moyen est plus dangereux pour ceux qui l'emploient que pour le Spiritisme. Quand on en est réduit à de pareils expédients pour défendre sa propre cause, c'est la preuve la plus évidente qu'on est à bout de bonnes raisons. Nous dirons donc aux Spirites : Quand vous verrez de pareilles choses, réjouissez-vous au lieu de vous en inquiéter, parce qu'elles sont le signal d'un triomphe prochain. Une autre circonstance, d'ailleurs, doit être pour vous un motif d'encouragement, c'est que nos rangs augmentent, non seulement en nombre, mais aussi en puissance morale ; déjà vous voyez plus d'un homme de talent prendre résolument la défense du Spiritisme, et relever d'une main vigoureuse le gant jeté par nos adversaires. Des écrits d'une irrésistible logique leur montrent chaque jour que tous les Spirites ne sont pas des fous. Nos lecteurs connaissent l'excellente réfutation des sermons du R. P. Letierce par un Spirite de Metz. Voici maintenant celle non moins intéressante des Spirites de Villenave de Rions (Gironde) sur les sermons du P. Nicomède. La Vérité de Lyon est connue par ses profonds articles ; le numéro du 22 novembre mérite surtout une sérieuse attention. La Ruche de Bordeaux s'enrichit de nouveaux collaborateurs aussi capables que zélés. Enfin, si les agresseurs sont nombreux, les défenseurs ne le sont pas moins. Ainsi donc, Spirites, courage, confiance et persévérance, car tout va bien selon ce qui a été prévu.

La communication ci-après développe une des phases de la grave question que nous venons de traiter, et ne peut manquer de prémunir les Spirites sur les difficultés qui vont s'accumuler dans cette période.


Réunion particulière. 25 février 1863. – Médium, M. d'Ambel

Il y a dans le moment actuel une recrudescence d'obsession, résultat de la lutte que doivent inévitablement soutenir les idées nouvelles contre leurs adversaires incarnés et désincarnés. L'obsession, habilement exploitée par les ennemis du Spiritisme, est une des épreuves les plus périlleuses qu'il aura à subir avant de s'asseoir d'une manière stable dans l'esprit des populations, aussi doit-elle être combattue par tous les moyens possibles, et surtout par la prudence et l'énergie de vos guides spirituels et terrestres.

De toutes parts il surgit des médiums à prétendues missions, appelés, disent-ils, à prendre en mains la bannière du Spiritisme et à la planter sur les ruines du vieux monde, comme si nous venions détruire, nous qui ne venons que pour édifier. il n'est pas d'individualité, si médiocre soit-elle, qui n'ait trouvé, comme Macbeth, un Esprit pour lui dire : « Toi aussi, tu seras roi, » et qui ne se croie désignée à un apostolat tout particulier ; il est peu de réunions intimes, et même de groupes de famille qui n'aient compté parmi leurs médiums ou leurs simples croyants une âme assez infatuée d'elle-même pour se croire indispensable au succès de la grande cause, trop présomptueuse pour se contenter du modeste rôle d'ouvrier apportant sa pierre à l'édifice. Hélas ! mes amis, que de mouches du coche !

Presque tous les nouveaux médiums sont soumis, pour leur début, à cette tentation dangereuse ; quelques-uns y résistent, mais beaucoup y succombent, au moins pour un temps, jusqu'à ce que des échecs successifs viennent les désabuser. Pourquoi Dieu permet-il une épreuve aussi difficile, sinon pour prouver que le bien et le progrès ne s'établissent jamais chez vous sans peine et sans combat, pour rendre le triomphe de la vérité plus éclatant par les difficultés de la lutte ? Et que veulent certains Esprits de l'erraticité en fomentant parmi les médiocrités de l'incarnation cette exaltation de l'amour-propre et de l'orgueil, sinon entraver le progrès ? Sans le vouloir, ils sont les instruments de l'épreuve qui mettra en évidence les bons et les mauvais serviteurs de Dieu. A celui-ci, tel Esprit promet le secret de la transmutation des métaux, comme à un médium de R… ; à celui-là, comme à M…, un Esprit révèle de prétendus événements qui vont s'accomplir, il fixe les époques, précise les dates, nomme les acteurs qui doivent concourir au drame annoncé ; à tel autre, un Esprit mystificateur enseigne l'incubation des diamants ; à d'autres on indique des trésors cachés, on promet une fortune facile, des découvertes merveilleuses, la gloire, les honneurs, etc. ; en un mot, toutes les ambitions et toutes les convoitises des hommes sont exploitées adroitement par les Esprits pervers. C'est pourquoi de tous côtés vous voyez ces pauvres obsédés s'apprêter à monter au Capitole avec une gravité et une importance qui attristent l'observateur impartial. Quel est le résultat de toutes ces promesses fallacieuses ? Les déceptions, les déboires, le ridicule, parfois la ruine, juste punition de l'orgueil présomptueux qui se croit appelé à faire mieux que tout le monde, dédaigne les conseils et méconnaît les véritables principes du Spiritisme.

Autant la modestie est l'apanage des médiums choisis par les bons Esprits, autant l'orgueil, l'amour-propre et, disons-le, la médiocrité sont les côtés distinctifs des médiums inspirés par les Esprits inférieurs ; autant les premiers font bon marché des communications qu'ils reçoivent quand celles-ci s'écartent de la vérité, autant les seconds maintiennent contre tous la supériorité de ce qui leur est dicté, fût-ce même absurde. Il en résulte que, selon les paroles prononcées à la Société de Paris par son président spirituel, saint Louis, une véritable tour de Babel est en train de s'édifier parmi vous. Du reste, il faudrait être aveugle ou abusé pour ne pas reconnaître qu'à la croisade dirigée contre le Spiritisme par les adversaires-nés de toute doctrine progressive et émancipatrice, se joint une croisade spirituelle, dirigée par tous les Esprits faux savants, faux grands hommes, faux religieux et faux frères de l'erraticité, faisant cause commune avec les ennemis terrestres au moyen de cette multitude de médiums fanatisés par eux, et auxquels ils dictent tant d'élucubrations mensongères. Mais voyez ce qui reste de tous ces échafaudages élevés par l'ambition, l'amour-propre ou la jalousie ; combien n'en avez-vous pas vu crouler, et combien vous en verrez crouler encore ! Je vous le dis, tout édifice qui n'est pas assis sur la seule base solide : la vérité, tombera, parce que la vérité seule peut défier le temps et triompher de toutes les utopies. Spirites sincères, ne vous effrayez donc pas de ce chaos momentané ; le temps n'est pas éloigné où la vérité, débarrassée des voiles dont on veut la couvrir, en sortira plus radieuse que jamais, et où sa clarté, inondant le monde, fera rentrer dans l'ombre ses obscurs détracteurs un instant mis en évidence pour leur propre confusion.

Ainsi donc, mes amis, vous avez à vous défendre non seulement contre les attaques et les calomnies de vos adversaires vivants, mais aussi contre les manœuvres plus dangereuses encore de vos adversaires de l'erraticité. Fortifiez-vous donc par de saines études et surtout par la pratique de l'amour et de la charité, et retrempez-vous dans la prière. Dieu éclaire toujours ceux qui se consacrent à la propagation de la vérité quand ils sont de bonne foi et dépourvus de toute ambition personnelle.

Au surplus, Spirites, que vous importent les médiums qui ne sont, après tout, que des instruments ! Ce qu'il vous faut considérer, c'est la valeur et la portée des enseignements qui vous sont donnés ; c'est la pureté de la morale qui vous est enseignée ; c'est la netteté et la précision des vérités qui vous sont révélées ; c'est, enfin, de voir si les instructions qu'on vous donne répondent aux légitimes aspirations des âmes d'élite et si elles sont conformes aux lois générales et immuables de la logique et de l'harmonie universelles.

Les Esprits imparfaits qui jouent un rôle d'apôtre près de leurs obsédés ne se font, vous le savez, aucun scrupule de se parer des noms les plus vénérés ; aussi aurais-je mauvaise grâce, moi qui ne suis qu'un des derniers et des plus obscurs disciples de l'Esprit de vérité, si je me plaignais de l'abus que quelques-uns ont fait de mon modeste nom ; aussi, vous répéterai-je sans cesse ce que je disais à mon médium il y a deux ans : « Ne jugez jamais une communication médianimique en raison du nom dont elle est signée, mais seulement sur sa valeur intrinsèque. »

Il est urgent de vous tenir en garde contre toutes les publications d'origine suspecte qui paraissent ou qui vont paraître, contre toutes celles qui n'auraient pas une allure franche et nette, et tenez pour certain que plus d'une est élaborée dans les camps ennemis du monde visible ou du monde invisible en vue de jeter parmi vous des brandons de discorde. C'est à vous de ne pas vous y laisser prendre ; vous avez tous les éléments nécessaires pour les apprécier. Mais tenez également pour certain que tout Esprit qui s'annonce lui-même comme un être supérieur, et surtout comme d'une infaillibilité à toute épreuve n'est, au contraire, que l'opposé de ce qu'il annonce si pompeusement. Depuis que le pieux Esprit de François-Nicolas Madeleine a bien voulu me débarrasser d'une partie de mon fardeau spirituel, j'ai pu considérer l'ensemble de l'œuvre spirite, et faire la statistique morale des ouvriers qui travaillent à la vigne du Seigneur. Hélas ! si beaucoup d'Esprits imparfaits s'immiscent à l'œuvre que nous poursuivons, j'ai un bien plus grand regret de constater que parmi nos meilleurs aides de la terre, beaucoup ont fléchi sous le poids de leur tâche, et ont repris petit à petit le sentier de leurs anciennes faiblesses, de telle sorte qu'aux grandes âmes éthérées qui les conseillaient se sont dès lors substitués des Esprits moins purs et moins parfaits. Ah ! je sais que la vertu est difficile ; mais nous ne voulons ni ne demandons l'impossible. La bonne volonté nous suffit quand elle est accompagnée du désir de mieux faire. En tout, mes amis, le relâchement est pernicieux ; car il sera beaucoup demandé à ceux qui, après s'être élevés par un renoncement généreux à leur propre individualité, seront retombés dans le culte de la matière, et se seront encore laissé envahir par l'égoïsme et l'amour deux-mêmes. Néanmoins, prions pour eux et ne condamnons personne : car nous devons toujours avoir présent à la mémoire ce magnifique enseignement du Christ : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ! »

Aujourd'hui, vos phalanges grossissent à vue d'œil, et vos partisans se comptent par millions. Or, en raison du nombre des adeptes, se glissent sous de faux masques les faux frères dont votre président temporel vous a entretenus dernièrement. Ce n'est pas que je vienne vous recommander de n'ouvrir vos rangs qu'aux agneaux sans tache et aux génisses blanches ; non, parce que, plus que tous autres, les pécheurs ont droit de trouver parmi vous un refuge contre leurs propres imperfections. Mais ceux dont je vous engage à vous méfier sont ces hypocrites dangereux auxquels, à première vue, on est tenté d'accorder toute confiance. A l'aide d'une tenue rigide, sous l'œil observateur des foules, ils conservent cet air grave et digne qui fait dire d'eux : « Quelles gens respectables ! » tandis que sous cette respectabilité apparente se dissimulent parfois la perfidie et l'immoralité. Ils sont liants, obséquieux, pleins d'aménité ; ils se faufilent dans les intérieurs ; fouillent volontiers dans la vie privée ; ils écoutent derrière les portes et font les sourds pour mieux entendre ; ils pressentent les inimitiés, les attisent et les entretiennent ; ils vont dans les camps opposés questionnant et interrogeant sur chacun. Que fait celui-ci ? De quoi vit celui-là ? Quelle est cette personne ? Connaissez-vous sa famille ? Vous les voyez ensuite aller sourdement distiller dans l'ombre les petites médisances qu'ils ont pu recueillir, en ayant soin de les envenimer par d'onctueuses calomnies. « Ce sont des bruits, disent-ils, auxquels on ne croit pas ; » mais cependant, ils ajoutent : « Il n'y a pas de fumée sans feu, etc., etc. »

A ces tartufes de l'incarnation réunissez les tartufes de l'erraticité, et vous verrez, mes chers amis, combien j'ai raison de vous conseiller d'agir désormais avec une réserve extrême, et de vous garder de toute imprudence et de tout enthousiasme irréfléchi. Je vous l'ai dit, vous êtes dans un moment de crise, rendu plus difficile par la malveillance, mais dont vous sortirez plus forts avec la fermeté et la persévérance.

Le nombre des médiums est aujourd'hui incalculable, et il est fâcheux de voir que quelques-uns se croient seuls appelés à distribuer la vérité au monde et s'extasier devant des banalités qu'ils considèrent comme des monuments. Pauvres abusés qui se baissent en passant sous les arcs de triomphe ! Comme si la vérité avait attendu leur venue pour être annoncée. Ni le fort, ni le faible, ni l'instruit, ni l'ignorant, n'ont eu ce privilège exclusif ; c'est par mille voix inconnues que la vérité s'est répandue, et c'est justement par cette unanimité qu'elle a su se faire reconnaître. Comptez ces voix, comptez ceux qui les écoutent, comptez surtout ceux qu'elles frappent au cœur, si vous voulez savoir de quel côté est la vérité. Ah ! si tous les médiums avaient la foi, je serais le premier à m'incliner devant eux ; mais ils n'ont, la plupart du temps, que foi en eux-mêmes, tant l'orgueil est grand sur la terre ! Non, leur foi n'est pas celle qui transporte les montagnes et qui fait marcher sur les eaux ! C'est le cas de répéter ici cette maxime évangélique qui me servit de thème lorsque je me fis entendre à mon début parmi vous : beaucoup d'appelés et peu d'élus.

En somme, publications à droite, publications à gauche, publications partout, pour ou contre, dans tous les sens, sous toutes les formes ; critiques outrées de la part de gens qui n'en savent pas le premier mot ; sermons fougueux de gens qui le redoutent ; en somme, dis-je, le Spiritisme est à l'ordre du jour ; il remue tous les cerveaux, agite toutes les consciences, privilège exclusif des grandes choses ; chacun pressent qu'il porte en lui le principe d'une rénovation que les uns appellent de leurs vœux, et les autres redoutent. Mais, de tout cela, que restera-t-il ? De cette tour de Babel que jaillira-t-il ? Une chose immense : la vulgarisation de l'idée spirite, et comme doctrine, ce qui sera véritablement doctrinal ! Ce conflit est inévitable, parce que l'homme est entaché de trop d'orgueil et d'égoïsme pour accepter sans opposition une vérité nouvelle quelconque ; je dis même que ce conflit est nécessaire, parce que c'est le frottement qui use les idées fausses et fait ressortir la puissance de celles qui résistent. Au milieu de cette avalanche de médiocrités, d'impossibilités et d'utopies irréalisables, la vérité splendide s'épanouira dans sa grandeur et sa majesté.

Eraste.


Société spirite de Paris, 20 novembre 1863. – Médium, M. Costel

Le devoir est l'obligation morale, vis-à-vis de soi d'abord, et des autres ensuite ; le devoir est la loi de la vie, il se trouve dans les plus infimes détails, aussi bien que dans les actes élevés. Je ne vais parler ici que du devoir moral, et non de celui qu'imposent les professions.

Dans l'ordre des sentiments, le devoir est très difficile à remplir, parce qu'il se trouve en antagonisme avec les séductions de l'instinct et du cœur ; ses victoires n'ont pas de témoins, et ses défaites n'ont pas de répression. Le devoir intime de l'homme est abandonné à son libre arbitre ; l'aiguillon de la conscience, cette gardienne de la probité intérieure, l'avertit et le soutient ; mais elle demeure souvent impuissante devant les sophismes de la passion. Le devoir du cœur, fidèlement observé, élève l'homme ; mais ce devoir, comment le préciser ? Où commence-t-il ? où s'arrête-t-il ? Il commence expressément au point où vous menacez le bonheur ou le repos de votre prochain ; il se termine à la limite que vous ne voudriez pas voir franchir pour vous-même.

Dieu a créé tous les hommes égaux pour la douleur ; petits ou grands, ignorants ou éclairés, souffrent par les mêmes causes, afin que chacun juge sainement le mal qu'il peut faire. Le même critérium n'existe pas pour le bien, infiniment plus varié dans ses expressions. L'égalité devant la douleur est une sublime prévoyance de Dieu, qui veut que ses enfants, instruits par l'expérience commune, ne commettent pas le mal en arguant de l'ignorance de ses effets.

Le devoir est le résumé pratique de toutes les spéculations morales ; c'est une bravoure de l'âme qui affronte les angoisses de la lutte ; il est austère et simple ; prompt à se plier aux complications diverses, il demeure inflexible devant leurs tentations. L'homme qui remplit son devoir aime Dieu plus que les créatures, et les créatures plus que lui-même ; il est à la fois juge et esclave dans sa propre cause. Le devoir est le plus beau fleuron de la raison ; il relève d'elle, comme le fils relève de sa mère. L'homme doit aimer le devoir, non parce qu'il préserve des maux de la vie auxquels l'humanité ne peut être soustraite, mais parce qu'il donne à l'âme la vigueur nécessaire à son développement. L'homme ne peut détourner le calice de ses épreuves ; le devoir est pénible dans ses sacrifices ; le mal est amer dans ses résultats ; mais ces douleurs, presque égales, ont des conclusions très différentes : l'une est salutaire comme les poisons qui rendent la santé, l'autre est nuisible comme les festins qui ruinent le corps.

Le devoir grandit et rayonne sous une forme plus élevée dans chacune des étapes supérieures de l'humanité. L'obligation morale ne cesse jamais de la créature à Dieu ; elle doit refléter les vertus de l'Éternel, qui n'accepte pas une ébauche imparfaite, parce qu'il veut que la beauté de son œuvre resplendisse devant lui.

Lazare.


Société de Paris, 4 juillet 1862. – Médium, M. A Didier

Le sacrifice de la chair fait sévèrement condamné par les grands philosophes de l'antiquité. L'Esprit élevé se révolte à l'idée du sang, et surtout à l'idée que le sang est agréable à la Divinité. Et notez bien qu'il n'est ici nullement question des sacrifices humains, mais uniquement des animaux offerts en holocauste. Quand Christ vint annoncer la Bonne Nouvelle, il n'ordonna pas le sacrifice du sang : il s'occupa uniquement de l'Esprit. Les grands sages de l'antiquité avaient également horreur de ces sortes de sacrifices, et ne se nourrissaient eux-mêmes que de fruits et de racines. Sur la terre, les incarnés ont une mission à remplir ; ils ont l'Esprit qu'il faut nourrir avec l'Esprit, le corps avec la matière ; mais la nature de la matière influe, on le conçoit facilement, sur l'épaisseur du corps, et par suite sur les manifestations de l'Esprit. Les tempéraments naturellement assez forts pour vivre comme les anachorètes font bien, parce que l'oubli de la chair amène plus facilement à la méditation et à la prière. Mais pour vivre ainsi, il faudrait généralement une nature plus spiritualisée que la vôtre, ce qui est impossible avec les conditions terrestres ; et comme, avant tout, la nature ne fait jamais de non-sens, il est impossible, pour l'homme, de se soumettre impunément à ces privations. On peut être bon chrétien et bon Spirite, et manger à sa guise, pourvu que ce soit en homme raisonnable. C'est une question un peu légère pour nos études, mais qui n'en est pas moins utile et profitable.

Lamennais.




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