REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1869

Allan Kardec

Vous êtes ici: REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1869


REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1869



Janvier

A nos correspondants

Décision du Cercle de la morale spirite de Toulouse, à propos du projet de constitution

A l'occasion du projet de constitution que nous avons publié dans le dernier numéro de la Revue, nous avons reçu de nombreuses lettres de félicitations et des témoignages de sympathie dont nous avons été profondément touchés. Dans l'impossibilité de répondre à chacun en particulier, nous prions nos honorables correspondants de vouloir bien agréer les remerciements collectifs que nous leur adressons par la voie de la Revue.

Nous sommes heureux, surtout, de voir que le but et la portée de ce projet ont été compris, et que nos intentions n'ont pas été méconnues ; chacun y a vu la réalisation de ce que l'on désirait depuis longtemps : une garantie de stabilité pour l'avenir, ainsi que les premiers jalons d'un lien entre les spirites, lien qui leur a manqué jusqu'à ce jour, appuyés sur une organisation qui, prévoyant les difficultés éventuelles, assure l'unité des principes, sans immobiliser la doctrine.

De toutes les adhésions que nous avons reçues, nous n'en citerons qu'une seule, parce qu'elle est l'expression d'une pensée collective, et que la source d'où elle émane lui donne en quelque sorte un caractère officiel ; c'est la décision du conseil du Cercle de la morale spirite de Toulouse, régulièrement et légalement constitué. Nous la publions comme témoignage de notre gratitude à l'égard des membres du Cercle, mus en cette circonstance par un élan spontané de dévouement à la cause, et en outre pour répondre au vœu qui nous en a été exprimé.

Extrait des procès-verbaux du conseil d'administration du Cercle de la morale spirite de Toulouse.

Sur l'exposé fait par son président, de la constitution transitoire donnée au Spiritisme par son fondateur, et définie par les préliminaires publiés dans le numéro du 1er décembre courant, de la Revue spirite, le conseil vote à l'unanimité des remerciements à M. Allan Kardec, comme expression de sa profonde reconnaissance pour cette nouvelle preuve de son dévouement à la doctrine dont il est le fondateur, et fait des vœux pour la réalisation de ce sublime projet qu'il considère comme le digne couronnement de l'œuvre du maître ; de même qu'il voit dans l'institution du comité central la tête de l'édifice appelée à diriger à perpétuité les bienfaits du Spiritisme dans l'humanité tout entière ;

Considérant qu'il est du devoir de tout adepte sincère de concourir, dans la mesure de ses ressources, à la création du capital nécessaire à cette constitution, et désirant faciliter à chaque membre du Cercle de la morale spirite le moyen d'y contribuer, décide :

Qu'une souscription restera ouverte au secrétariat du Cercle jusqu'au 15 mars prochain, et que la somme réalisée à cette époque sera adressée à M. Allan Kardec pour être versée à la caisse générale du Spiritisme.

Collationné et certifié conforme à la minute par nous, secrétaire soussigné,

Chêne, secrétaire adjoint.



Statistique du Spiritisme

Un dénombrement exact des spirites serait chose impossible, comme nous l'avons déjà dit, par une raison très simple, c'est que le spiritisme n'est ni une association, ni une congrégation ; ses adhérents ne sont inscrits sur aucun registre officiel. Il est bien reconnu qu'on n'en saurait évaluer le chiffre par le nombre et l'importance des sociétés, fréquentées seulement par une infime minorité. Le Spiritisme est une opinion qui n'exige aucune profession de foi, et peut s'étendre à tout ou partie des principes de la doctrine. Il suffit de sympathiser avec l'idée pour être spirite ; or, cette qualité n'étant conférée par aucun acte matériel, et n'impliquant que des obligations morales, il n'existe aucune base fixe pour déterminer le nombre des adeptes avec précision. On ne peut l'estimer que d'une manière approximative par les relations et par le plus ou moins de facilité avec laquelle l'idée se propage. Ce nombre augmente chaque jour dans une proportion considérable : c'est un fait positif reconnu par les adversaires eux-mêmes ; l'opposition diminue, preuve évidente que l'idée rencontre de plus nombreuses sympathies.

On comprend, d'ailleurs, que ce n'est que par l'ensemble, et non sur l'état des localités considérées isolément, qu'on peut baser une appréciation ; il y a, dans chaque localité, des éléments plus ou moins favorables en raison de l'état particulier des esprits et aussi des résistances plus ou moins influentes qui s'y exercent ; mais cet état est variable, car telle localité qui s'était montrée réfractaire pendant plusieurs années, devient tout à coup un foyer. Lorsque les éléments d'appréciation auront acquis plus de précision, il sera possible de faire une carte teintée, sous le rapport de la diffusion des idées spirites, comme on en a fait pour l'instruction. En attendant, on peut affirmer, sans exagération, qu'en somme le nombre des adeptes a centuplé depuis dix ans, malgré les manœuvres employées pour étouffer l'idée, et contrairement aux prévisions de tous ceux qui s'étaient flattés de l'avoir enterrée. Ceci est un fait acquis, et dont il faut bien que les antagonistes prennent leur parti.

Nous ne parlons ici que de ceux qui acceptent le Spiritisme en connaissance de cause, après l'avoir étudié, et non de ceux, bien plus nombreux encore, chez lesquels ces idées sont à l'état d'intuition, et auxquels il ne manque que de pouvoir définir leurs croyances avec plus de précision et d'y donner un nom pour être spirites avoués. C'est un fait bien avéré que l'on constate chaque jour, depuis quelque temps surtout, que les idées spirites semblent innées chez une foule d'individus qui n'ont jamais entendu parler du Spiritisme ; on ne peut dire qu'ils aient subi une influence quelconque, ni suivi l'impulsion d'une coterie. Que les adversaires expliquent, s'ils le peuvent, ces pensées qui naissent en dehors et à côté du Spiritisme ! Ce ne serait certainement pas un système préconçu dans le cerveau d'un homme qui aurait pu produire un tel résultat ; il n'y a pas de preuve plus évidente que ces idées sont dans la nature, ni de meilleure garantie de leur vulgarisation dans l'avenir et de leur perpétuité. A ce point de vue on peut dire que les trois quarts au moins de la population de tous les pays possèdent le germe des croyances spirites, puisqu'on les trouve chez ceux-mêmes qui y font de l'opposition. L'opposition, chez la plupart, vient de l'idée fausse qu'ils se font du Spiritisme ; ne le connaissant, en général, que par les ridicules tableaux qu'en a faits la critique malveillante ou intéressée à le décrier, ils récusent avec raison la qualité de spirite. Certes, si le Spiritisme ressemblait aux peintures grotesques qu'on en a faites, s'il se composait des croyances et des pratiques absurdes qu'on s'est plu à lui prêter, nous serions le premier à répudier le titre de spirite. Quand donc ces mêmes personnes sauront que la doctrine n'est autre que la coordination et le développement de leurs propres aspirations et de leurs pensées intimes, elles l'accepteront ; ce sont incontestablement des spirites futurs, mais, en attendant, nous ne les comprenons pas dans nos évaluations.

Si une statistique numérique est impossible, il en est une autre, plus instructive peut-être, et pour laquelle il existe des éléments que nous fournissent nos relations et notre correspondance ; c'est la proportion relative des Spirites suivant les professions, les positions sociales, les nationalités, les croyances religieuses, etc., en tenant compte de cette circonstance que certaines professions, comme les officiers ministériels, par exemple, sont en nombre limité, tandis que d'autres, comme les industriels et les rentiers, sont en nombre indéfini. Toute proportion gardée, on peut voir quelles sont les catégories où le Spiritisme a trouvé, jusqu'à ce jour, le plus d'adhérents. Dans quelques-unes, la proportion a pu être établie à tant pour cent avec assez de précision, sans toutefois prétendre qu'elle le soit avec une rigueur mathématique ; les autres catégories ont simplement été classées en raison du nombre d'adeptes qu'elles ont fourni, en commençant par celles qui en comptent le plus, ce dont la correspondance et les listes d'abonnés à la Revue peuvent donner les éléments. Le tableau ci-après est le résultat du relevé de plus de dix mille observations.

Nous constatons le fait, sans chercher ni discuter la cause de cette différence, ce qui pourrait, néanmoins, faire le sujet d'une étude intéressante.


Proportion relative des spirites



I. Sous le rapport des nationalités. Il n'existe, pour ainsi dire, aucun pays civilisé d'Europe et d'Amérique où il n'y ait des spirites. Celui où ils sont le plus nombreux, ce sont les États-Unis de l'Amérique du Nord. Leur nombre y est évalué, par les uns, à quatre millions, ce qui est déjà beaucoup, et par d'autres à dix millions. Ce dernier chiffre est évidemment exagéré, car il comprendrait plus du tiers de la population, ce qui n'est pas probable. En Europe, le chiffre peut être évalué à un million, dans lequel la France figure pour environ six cent mille. On peut estimer le nombre des spirites du monde entier de six à sept millions. Quand il ne serait que de moitié, l'histoire n'offre aucun exemple d'une doctrine qui, en moins de quinze ans, ait réuni un pareil nombre d'adeptes disséminés sur toute la surface du globe. Si l'on y comprenait les spirites inconscients, c'est-à-dire ceux qui ne le sont que par intuition, et deviendront plus tard spirites de fait, en France seulement, on pourrait en compter plusieurs millions.

Au point de vue de la diffusion des idées spirites, et de la facilité avec laquelle elles sont acceptées, les principaux États de l'Europe peuvent être classés ainsi qu'il suit :

1° France. – 2° Italie. – 3° Espagne. – 4° Russie. – 5° Allemagne. – 6° Belgique. – 7° Angleterre. – 8° Suède et Danemark. – 9° Grèce. – 10° Suisse.

II. Sous le rapport du sexe ; sur 100 : hommes, 70 ; – femmes, 30.

III. Sous le rapport de l'âge ; de 30 à 70 ans, maximum ; – de 20 à 30, nombre moyen ; – de 70 à 80, minimum.

IV. Sous le rapport de l'instruction. Le degré d'instruction est très facile à apprécier par la correspondance ; sur 100 : instruction soignée, 30 ; – simples lettrés, 30 ; – instruction supérieure, 20 ; – demi-lettrés, 10 ; – illettrés, 6 ; – savants officiels, 4.

V. Sous le rapport des idées religieuses ; sur 100 : catholiques romains, libres penseurs, non attachés au dogme, 50 ; – catholiques grecs, 15 ; – juifs, 10 ; protestants libéraux, 10 ; catholiques attachés aux dogmes, 10 ; – protestants orthodoxes, 3 ; – musulmans, 2.

VI. Sous le rapport de la fortune ; sur 100 : médiocrité, 60 ; – fortunes moyennes, 20 ; – indigence, 15 ; – grandes fortunes, 5.

VII. Sous le rapport de l'état moral, abstraction faite de la fortune ; sur 100 : affligés, 60 ; – sans inquiétude, 30 ; – heureux du monde, 10 ; – sensualistes, 0.

VIII. Sous le rapport du rang social. Sans pouvoir établir aucune proportion dans cette catégorie, il est de notoriété que le Spiritisme compte parmi ses adhérents : plusieurs souverain et princes régnants ; des membres de familles souveraines, et un grand nombre de personnages titrés.

En général, c'est dans les classes moyennes que le Spiritisme compte le plus d'adeptes ; en Russie, c'est à peu près exclusivement dans la noblesse et la haute aristocratie ; c'est en France qu'il s'est propagé le plus dans la petite bourgeoisie et la classe ouvrière.

IX. État militaire ; selon le grade : 1° lieutenants et sous-lieutenants ; – 2° sous-officiers ; – 3° capitaines ; – 4° colonels ; – 5° médecins et chirurgiens ; – 6° généraux ; – 7° gardes municipaux ; – 8° soldats de la garde ; – 9° soldats de la ligne.

Remarque. Les lieutenants et sous-lieutenants spirites sont presque tous en activité de service ; parmi les capitaines, il y en a environ la moitié en activité, et l'autre moitié en retraite ; les colonels, médecins, chirurgiens et généraux en retraite sont en majorité.

X. Marine : 1° marine militaire ; – 2° marine marchande.

XI. Profession libérales et fonctions diverses. Nous les avons groupées en dix catégories, classées selon la proportion des adhérents qu'elles ont fournis au Spiritisme.

1°Médecins homéopathes. – Magnétistes[1].

2°Ingénieurs. – Instituteurs ; maîtres et maîtresses de pension. – Professeurs libres.

3°Consuls. – Prêtres catholiques.

4°Petits employés. – Musiciens. – Artistes lyriques. – Artistes dramatiques.

5°Huissiers. – Commissaires de police.

6°Médecins allopathes. – Hommes de lettres. – Étudiants.

7°Magistrats. – Hauts fonctionnaires. – Professeurs officiels et des lycées. – Pasteurs protestants.

8°Journalistes. – Artistes peintres. – Architectes. – Chirurgiens.

9°Notaires. – Avocats. – Avoués. – Agents d'affaires.

10°Agents de change. – Banquiers.

XII. Professions industrielles, manuelles et commerciales, également groupées en dix catégories.

1°Tailleurs d'habits. – Couturières.

2°Mécaniciens. – Employés des chemins de fer.

3°Ouvriers tisseurs. – Petits marchands – Concierges.

4°Pharmaciens. – Photographes. – Horlogers. – Voyageurs de commerce.

5°Cultivateurs. – Cordonniers.

6°Boulangers. – Bouchers. - Charcutiers.

7°Menuisiers. – Ouvriers typographes.

8°Grands industriels et chefs d'établissement.

9°Libraires. – Imprimeurs.

10°Peintres en bâtiments. – Maçons. – Serruriers. – Épiciers. – Domestiques.



De ce relevé, résultent les conséquences suivantes :

1° Qu'il y a des spirites à tous les degrés de l'échelle sociale ;

2° Qu'il y a plus d'hommes que de femmes spirites. Il est certain que, dans les familles divisées par leur croyance touchant le Spiritisme, il y a plus de maris contrecarrés par l'opposition de leurs femmes que de femmes par celle de leurs maris. Il n'est pas moins constant que, dans toutes les réunions spirites, les hommes sont en majorité.

C'est donc à tort que la critique a prétendu que la doctrine s'est principalement recrutée parmi les femmes à cause de leur penchant au merveilleux. C'est précisément, au contraire, ce penchant au merveilleux et au mysticisme qui les rend, en général, plus réfractaires que les hommes ; cette prédisposition leur fait accepter plus facilement la foi aveugle qui dispense de tout examen, tandis que le Spiritisme, n'admettant que la foi raisonnée, exige la réflexion et la déduction philosophique pour être bien compris, ce à quoi l'éducation étroite donnée aux femmes, les rend moins aptes que les hommes. Celles qui secouent le joug imposé à leur raison et à leur développement intellectuel, tombent souvent dans un excès contraire ; elles deviennent ce qu'elles appellent des femmes fortes, et sont d'une incrédulité plus tenace ;

3° Que la grande majorité des spirites se trouve parmi les gens éclairés et non parmi les ignorants. Partout le Spiritisme s'est propagé du haut en bas de l'échelle sociale, et nulle part il ne s'est développé en premier lieu dans les rangs inférieurs ;

4° Que l'affliction et le malheur prédisposent aux croyances spirites, par suite des consolations qu'elles procurent. C'est la raison pour laquelle, dans la plupart des catégories, la proportion des spirites est en raison de l'infériorité hiérarchique, parce que c'est là qu'il y a le plus de besoins et de souffrances, tandis que les titulaires des positions supérieures appartiennent, en général, à la classe des satisfaits ; il faut en excepter l'état militaire où les simples soldats figurent en dernier ;

5° Que le Spiritisme trouve un plus facile accès parmi les incrédules en matières religieuses que parmi ceux qui ont une foi arrêtée ;

6° Enfin, qu'après les fanatiques, les plus réfractaires aux idées spirites sont les sensualistes et les gens dont toutes les pensées sont concentrées sur les possessions et les jouissances matérielles, à quelque classe qu'ils appartiennent, ce qui est indépendant du degré d'instruction.

En résumé, le Spiritisme est accueilli comme un bienfait par ceux qu'il aide à supporter le fardeau de la vie, et il est repoussé ou dédaigné par ceux qu'il gênerait dans la jouissance de la vie. En partant de ce principe, on s'explique aisément le rang qu'occupent, dans ce tableau, certaines catégories d'individus, malgré les lumières qui sont une condition de leur position sociale. Par le caractère, les goûts, les habitudes, le genre de vie des personnes, on peut juger d'avance de leur aptitude à s'assimiler les idées Spirites. Chez quelques-uns, la résistance est une question d'amour-propre, qui suit presque toujours le degré du savoir ; quand ce savoir leur a fait conquérir une certaine position sociale qui les met en évidence, ils ne veulent pas convenir qu'ils ont pu se tromper et que d'autres peuvent avoir vu plus juste. Offrir des preuves à certaines gens, c'est leur offrir ce qu'ils redoutent le plus ; et de peur d'en rencontrer, ils se bouchent les yeux et les oreilles, préférant nier à priori et s'abriter derrière leur infaillibilité, dont ils sont bien convaincus, quoi qu'ils en disent.

On s'explique moins facilement la cause du rang qu'occupent, dans cette classification, certaines professions industrielles. On se demande, par exemple, pourquoi les tailleurs y occupent le premier rang, tandis que la librairie et l'imprimerie, professions bien plus intellectuelles, sont presque au dernier. C'est un fait constaté depuis longtemps et dont nous ne nous sommes pas encore rendu compte.

Si, dans le relevé ci-dessus, au lieu de ne comprendre que les spirites de fait, on eût considéré les spirites inconscients, ceux en qui ces idées sont à l'état d'intuition et qui font du Spiritisme sans le savoir, plusieurs catégories auraient certainement été classées différemment ; les littérateurs, par exemple, les poètes, les artistes, en un mot, tous les hommes d'imagination et d'inspiration, les croyants de tous les cultes seraient, sans nul doute, au premier rang. Certains peuples, chez lesquels les croyances spirites sont en quelque sorte innées, occuperaient aussi une autre place. C'est pourquoi cette classification ne saurait être absolue, et se modifiera avec le temps.

Les médecins homéopathes sont en tête des professions libérales, parce qu'en effet, c'est celle qui, proportion gardée, compte dans ses rangs le plus grand nombre d'adhérents au Spiritisme ; sur cent médecins spirites, il y a au moins quatre-vingts homéopathes. Cela tient à ce que le principe même de leur médication les conduit au spiritualisme ; aussi les matérialistes sont-ils très rares parmi eux, si même il y en a, tandis qu'ils sont nombreux chez les allopathes. Mieux que ces derniers ils ont compris le Spiritisme, parce qu'ils ont trouvé dans les propriétés physiologiques du périsprit, uni au principe matériel et au principe spirituel, la raison d'être de leur système. Par le même motif, les spirites ont pu, mieux que d'autres, se rendre compte des effets de ce mode de traitement. Sans être exclusifs à l'endroit de l'homéopathie, et sans rejeter l'allopathie, ils en ont compris la rationalité, et l'ont soutenue contre des attaques injustes. Les homéopathes, trouvant de nouveaux défenseurs dans les spirites, n'ont pas eu la maladresse de leur jeter la pierre.

Si les magnétistes figurent au premier rang, toutefois après les homéopathes, malgré l'opposition persistante et souvent acerbe de quelques-uns, c'est que les opposants ne forme qu'une très petite minorité auprès de la masse de ceux qui sont, on peut le dire, spirites d'intuition. Le magnétisme et le Spiritisme sont, en effet, deux sciences jumelles, qui se complètent et s'expliquent l'une par l'autre, et dont celle des deux qui ne veut pas s'immobiliser, ne peut arriver à son complément sans s'appuyer sur sa congénère ; isolées l'une de l'autre, elles s'arrêtent dans une impasse ; elles sont réciproquement comme la physique et la chimie, l'anatomie et la physiologie. La plupart des magnétistes comprennent tellement par intuition le rapport intime qui doit exister entre les deux choses, qu'ils se prévalent généralement de leurs connaissances en magnétisme, comme moyen d'introduction auprès des spirites.

De tout temps, les magnétistes ont été divisés en deux camps : les spiritualistes et les fluidistes ; ces derniers, de beaucoup les moins nombreux, faisant tout au moins abstraction du principe spirituel, lorsqu'ils ne le nient pas absolument, rapportent tout à l'action du fluide matériel ; ils sont, par conséquent, en opposition de principe avec les spirites. Or, il est à remarquer que, si tous les magnétistes ne sont pas spirites, tous les spirites, sans exception, admettent le magnétisme. En toutes circonstances, ils s'en sont faits les défenseurs et les soutiens. Ils ont donc dû s'étonner de trouver des adversaires plus ou moins malveillants dans ceux-mêmes dont ils venaient renforcer les rangs ; qui, après avoir été, pendant plus d'un demi-siècle en butte aux attaques, aux railleries et aux persécutions de toutes sortes, jettent, à leur tour, la pierre, les sarcasmes et souvent l'injure aux auxiliaires qui leur arrivent, et commencent à peser dans la balance par leur nombre.

Du reste, comme nous l'avons dit, cette opposition est loin d'être générale, bien au contraire ; on peut affirmer, sans s'écarter de la vérité, qu'elle n'est pas dans la proportion de plus de 2 à 3 p. cent sur la totalité des magnétistes ; elle est beaucoup moindre encore parmi ceux de la province et de l'étranger que de Paris.





[1] Le mot magnétiseur réveille une idée d'action : celui de magnétiste une idée d'adhésion. Le magnétiseur est celui qui exerce par profession ou autrement ; on peut être magnétiste sans être magnétiseur, on dira : un magnétiseur expérimenté, et un magnétiste convaincu.



Du Spiritisme au point de vue catholique

Extrait du Journal le Voyageur de commerce, du 22 novembre 1868[1].

Quelques pages sincères sur le Spiritisme, écrites par un homme de bonne foi, ne sauraient être inutiles à cette époque, et il est peut-être temps que la justice et la lumière se fassent sur une question qui, bien que comptant aujourd'hui dans le monde intelligent des adeptes nombreux, n'en est pas moins reléguée dans le domaine de l'absurde et de l'impossible par des esprits légers, imprudents et peu soucieux du démenti que l'avenir peut leur donner.

Il serait curieux d'interroger aujourd'hui ces prétendus savants qui, du haut de leur orgueil et de leur ignorance, décrétaient, naguère encore, avec un dédain superbe, la folie de ces hommes géants qui cherchaient à la vapeur et à l'électricité des applications nouvelles. La mort leur a heureusement épargné ces humiliations.

Pour poser nettement notre situation, nous ferons au lecteur une profession de foi de quelques lignes :

Spirite, Avatar, Paul d'Apremont nous prouvent incontestablement le talent de Théophile Gautier, ce poète que le merveilleux a toujours attiré ; ces livres charmants sont de pure imagination et l'on aurait tort d'y chercher autre chose ; M. Home était un prestidigitateur habile ; les frères Davenport des banquistes maladroits.

Tous ceux qui ont voulu faire du Spiritisme une affaire de spéculation ressortent, à notre avis, de la police correctionnelle ou de la cour d'assises et voici pourquoi : Si le Spiritisme n'existe pas, ce sont des imposteurs passibles de la pénalité infligée à l'abus de confiance ; s'il existe, au contraire, c'est à la condition d'être la chose sacrée par excellence, la plus majestueuse manifestation de la divinité. Si l'on admettait que l'homme passant par-dessus le tombeau pouvait de plein pied pénétrer dans l'autre vie, correspondre avec les morts et avoir ainsi la seule preuve irrécusable, - parce qu'elle serait matérielle, - de l'immortalité de l'âme, ne serait-ce pas un sacrilège que de livrer à des bateleurs le droit de profaner le plus saint des mystères, et de violer sous la protection des magistrats le secret éternel des tombes ? Le bon sens, la morale, la sécurité même des citoyens exigent impérieusement que ces nouveaux voleurs soient chassés du temple, et que nos théâtres et nos places publiques soient fermés à ces faux prophètes qui jettent dans les esprits faibles une terreur dont la folie a trop souvent été la suite.

Ceci posé, entrons dans le cœur même de la question.

A voir les écoles modernes qui font tumulte autour de certains principes fondamentaux et de certitudes acquises, il est facile de comprendre que le siècle de doute et de découragement où nous vivons est pris de vertige et de cécité.

Parmi tous ces dogmes, celui qui a été le plus agité est, sans contredit, celui de l'immortalité de l'âme.

C'est qu'en effet tout est là : c'est la question par excellence, c'est l'homme tout entier, c'est son présent, c'est son avenir ; c'est la sanction de la vie, c'est l'espérance de la mort ; c'est à elle que viennent se rattacher tous les grands principes de l'existence de Dieu, de l'âme, de la religion révélée.

Cette vérité admise, ce n'est plus la vie qui doit nous inquiéter, mais le terme de la vie ; les plaisirs s'effacent pour laisser la place au devoir ; le corps n'est plus rien, l'âme est toute ; l'homme disparaît et Dieu seul flamboie dans son éternelle immensité.

Donc le grand mot de la vie, le seul, c'est la mort ou plutôt notre transformation. Étant appelés à passer sur la terre comme des fantômes, c'est vers cet horizon qui s'entrouvre de l'autre côté que nous devons porter nos regards ; voyageurs de quelques jours, c'est au départ qu'il convient de nous renseigner sur le but de notre pèlerinage, de demander à la vie le secret de l'éternité, de poser les jalons de notre chemin, et, passagers de la mort à la vie, de tenir d'une main assurée le fil qui traverse l'abîme.

Pascal a dit : « L'immortalité de l'âme est une chose qui nous importe si fort et qui nous touche si profondément, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indifférence de savoir ce qui en est. Toutes nos actions, toutes nos pensées doivent prendre des routes si différentes, selon qu'il y aura des biens éternels à espérer ou non, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu'en se réglant par la vue de ce plan qui doit être notre premier objet. »

A toutes les époques, l'homme a eu pour patrimoine commun la notion de l'immortalité de l'âme, et a cherché à appuyer sur des preuves cette idée consolatrice ; il a cru la trouver dans les usages, dans les mœurs des différents peuples, dans les récits des historiens, dans les chants des poètes ; étant antérieure à tout prêtre, à tout législateur, à tout écrivain, n'étant sortie d'aucune secte, d'aucune école, et existant chez les peuples barbares comme chez les nations civilisées, d'où viendrait-elle, si ce n'est de Dieu qui est la vérité ?

Hélas ! ces preuves que la crainte du néant s'est créées ne sont par le fait que les espérances d'un avenir bâti sur une grève incertaine, sur un sable mouvant ; et les déductions de la logique la plus serrée n'arriveront jamais à la hauteur d'une démonstration mathématique.

Cette preuve matérielle, irrécusable, juste comme un principe divin et comme une addition tout à la fois, se trouve tout entière dans le Spiritisme et ne saurait se trouver ailleurs. En le considérant à ce point de vue élevé, comme une ancre de miséricorde, comme la planche suprême de salut, on se rend un compte facile du nombre des adeptes que ce nouvel autel tout catholique, a groupés autour de ses degrés ; car il ne faut pas s'y tromper, c'est là et non ailleurs qu'il faut chercher l'origine du succès que ces nouvelles doctrines ont enfanté près d'hommes qui brillent au premier rang de l'éloquence sacrée ou profane, et dont les noms ont une notoriété méritée dans les sciences et dans les lettres.

Qu'est-ce donc que le Spiritisme ?


Le Spiritisme, dans sa définition la plus large, est la faculté, que possèdent certains individus, d'entrer en relation, au moyen d'un intermédiaire ou médium, qui n'est qu'un instrument entre leurs mains, avec l'Esprit de personnes mortes et habitant un autre monde. Ce système, qui s'appuie, disent les croyants, sur un grand nombre de témoignages, offre une singulière séduction, moins encore par ses résultats que par ses promesses.

Dans cet ordre d'idées, le surnaturel n'est plus une limite, la mort n'est plus une barrière, le corps n'est plus un obstacle à l'âme, qui s'en débarrasse après la vie, comme, pendant la vie, elle s'en débarrasse momentanément dans le rêve. Dans la mort, l'Esprit est libre ; s'il est pur, il s'élève dans des sphères qui nous sont inconnues ; s'il est impur, il erre autour de la terre, se met en communication avec l'homme, qu'il trahit, qu'il trompe et qu'il corrompt. Les spirites ne croient pas aux bons Esprits ; le clergé, se conformant au texte de la Bible, ne croit également qu'aux mauvais, et les retrouve dans ce passage : « Prenez garde, car le démon rôde autour de vous et vous guette comme un lion cherchant sa proie, quœrens quem devoret. »

Ainsi, le Spiritisme n'est pas une découverte moderne. Jésus chassait les démons du corps des possédés, et Diodore de Sicile parle des revenants ; les dieux lares des Romains, leurs Esprits familiers, qu'étaient-ils donc ?

Mais alors pourquoi repousser de parti pris et sans examen un système, dangereux certainement au point de vue de la raison humaine, mais plein d'espérances et de consolations ? La brucine sagement administrée est un de nos remèdes les plus puissants ; parce qu'elle est un poison violent entre les mains des inhabiles, est-ce une raison pour la proscrire du Codex ?

M. Baguenault de Puchesse, un philosophe et un chrétien, au livre duquel j'ai fait de nombreux emprunts, parce que ses idées sont les miennes, dit, dans son beau livre de l'Immortalité, à propos du Spiritisme : « Ses pratiques inaugurent un système complet qui comprend le présent et l'avenir, qui trace les destinées de l'homme, lui ouvre les portes de l'autre vie, et l'introduit dans le monde surnaturel. L'âme survit au corps, puisqu'elle apparaît et se montre après la dissolution des éléments qui le composent. Le principe spirituel se dégage, persiste et, par ses actes, affirme son existence. Dès lors le matérialisme est condamné par les faits ; la vie d'outre-tombe devient un fait certain et comme palpable ; le surnaturel s'impose ainsi à la science et, en se soumettant à son examen, ne lui permet plus de le repousser théoriquement et de le déclarer, en principe, impossible. »

Le livre qui parle ainsi du Spiritisme est dédié à l'une des lumières de l'Église, à l'un des maîtres de l'Académie française, à une illustration des lettres contemporaines, qui répondit :

« Un beau livre, sur un grand sujet, publié par le président de notre Académie de Sainte-Croix, sera un honneur pour vous et pour notre Académie tout entière. Vous ne pouviez guère choisir une question plus haute ni plus importante à étudier à l'heure présente… Permettez-moi donc, monsieur et bien cher ami, de vous offrir, pour le beau livre que vous dédiez à notre Académie et pour le bon exemple que vous nous donnez toutes mes félicitations et tous mes remerciements, avec l'hommage de mon religieux et profond dévouement.

Félix, évêque d'Orléans.

Orléans, le 28 mars 1864. »

L'article est signé Robert de Salles.



L'auteur ne connaît évidemment le Spiritisme que d'une manière incomplète, comme le prouvent certains passages de son article ; cependant, il le considère comme une chose très sérieuse, et à quelques exceptions près, les spirites ne peuvent qu'applaudir à l'ensemble de ses réflexions. Il est surtout dans l'erreur quand il dit que les spirites ne croient pas aux bons Esprits, et aussi dans la définition qu'il donne comme la plus large expression du Spiritisme ; c'est, dit-il, la faculté que possèdent certains individus, d'entrer en relation avec l'Esprit de personnes mortes.

La médiumnité, ou faculté de communiquer avec les Esprits, ne constitue pas le fonds du Spiritisme, sans cela, pour être spirite, il faudrait être médium ; ce n'est là qu'un accessoire, un moyen d'observation, et non la science qui est tout entière dans la doctrine philosophique. Le Spiritisme n'est pas plus inféodé dans les médiums que l'astronomie ne l'est dans une lunette ; et la preuve en est, c'est qu'on peut faire du spiritisme sans médium, comme on a fait de l'astronomie longtemps avant d'avoir des télescopes. La différence consiste en ce que, dans le premier cas, on fait de la science théorique, tandis que la médiumnité est l'instrument qui permet d'asseoir la théorie sur l'expérience. Si le Spiritisme était circonscrit dans la faculté médianimique, son importance serait singulièrement amoindrie et, pour beaucoup de gens, se réduirait à des faits plus ou moins curieux.

En lisant cet article, on se demande si l'auteur croit ou non au Spiritisme ; car il ne le pose, en quelque sorte, que comme une hypothèse, mais comme une hypothèse digne de la plus sérieuse attention. Si c'est une vérité, dit-il, c'est une chose sacrée par excellence, qui ne doit être traitée qu'avec respect, et dont l'exploitation ne saurait être flétrie et poursuivie avec trop de sévérité.

Ce n'est pas la première fois que cette idée est émise, même par les adversaires du Spiritisme, et il est à remarquer que c'est toujours le côté par lequel la critique a cru mettre la doctrine en défaut, en s'attaquant aux abus du trafic lorsqu'elle en a trouvé l'occasion ; c'est qu'elle sent que ce serait le côté vulnérable, et par lequel elle pourrait l'accuser de charlatanisme ; voilà pourquoi la malveillance s'acharne à l'accoler aux charlatans, diseurs de bonne aventure et autres industriels de même espèce, espérant par ce moyen donner le change et lui enlever le caractère de dignité et de gravité qui fait sa force. La levée de boucliers contre les Davenport, qui avaient cru pouvoir impunément mettre les Esprits en parade sur des tréteaux, a rendu un immense service ; dans son ignorance du véritable caractère du Spiritisme, la critique d'alors a cru le frapper à mort, tandis qu'elle n'a discrédité que les abus contre lesquels tous les spirites sincères ont toujours protesté.

Quelle que soit la croyance de l'auteur, et malgré les erreurs contenues dans son article, nous devons nous féliciter d'y voir la question traitée avec la gravité que comporte le sujet. La presse en a rarement entendu parler dans un sens aussi sérieux, mais il y a commencement à tout.


[1] Le Voyageur de commerce paraît tous les dimanches. - Bureaux : 3, faubourg Saint-Honoré. Prix : 22 fr. par an ; 12 fr. pour six mois ; 6 fr. 50 pour trois mois. De ce que le journal a publié l'article qu'on va lire, qui est l'expression de la pensée de l'auteur, nous n'en préjugeons rien sur ses sympathies pour le Spiritisme, car nous ne le connaissons que par ce numéro qu'on a bien voulu nous remettre.



Procès des empoisonneuses de Marseille


Le nom du Spiritisme s'est trouvé incidemment mêlé à cette déplorable affaire ; un des accusés, l'herboriste Joye, a dit qu'il s'en était occupé, et qu'il interrogeait les Esprits ; cela prouve-t-il qu'il fût spirite, et peut-on en inférer quelque chose contre la doctrine ? Sans doute ceux qui veulent la décrier ne manqueront pas d'y chercher un prétexte d'accusation ; mais si les diatribes de la malveillance ont été jusqu'à ce jour sans résultat, c'est qu'elles ont toujours porté à faux, et il en sera de même ici. Pour savoir si le Spiritisme encourt une responsabilité quelconque en cette circonstance, le moyen est bien simple : c'est de s'enquérir de bonne foi, non chez les adversaires, mais à la source même, de ce qu'il prescrit et de ce qu'il condamne ; il n'a rien de secret ; ses enseignements sont au grand jour et chacun peut les contrôler. Si donc les livres de la doctrine ne renferment que des instructions de nature à porter au bien ; s'ils condamnent d'une manière explicite et formelle tous les actes de cet homme, les pratiques auxquelles il s'est livré, le rôle ignoble et ridicule qu'il attribue aux Esprits, c'est qu'il n'y a pas puisé ses inspirations ; il n'est pas un homme impartial qui n'en convienne et ne déclare le Spiritisme hors de cause.

Le Spiritisme ne reconnaît pour ses adeptes que ceux qui mettent en pratique ses enseignements, c'est-à-dire qui travaillent à leur propre amélioration morale, parce que c'est le signe caractéristique du vrai spirite. Il n'est pas plus responsable des actes de ceux à qui il plaît de se dire spirites que la vraie science ne l'est du charlatanisme des escamoteurs qui s'intitulent professeurs de physique, ni la saine religion des abus commis en son nom.

L'accusation dit, à propos de Joye : « On a trouvé chez lui un registre qui donne une idée de son caractère et de ses occupations. Chaque page aurait été écrite, selon lui, sous la dictée des Esprits, et il est tout plein de soupirs ardents vers Jésus-Christ. A chaque feuillet il est question de Dieu, et les saints sont invoqués. A côté, pour ainsi dire, sont des écritures qui peuvent donner une idée des opérations habituelles de l'herboriste :

« Pour espiritisme, 4 fr. 25. - Malades, 6 fr. - Cartes, 2 fr. - Maléfices, 10 fr. - Exorcismes, 4 fr. - Baguette divinatoire, 10 fr. - Maléfices pour tirage au sort, 60 fr. » Et bien d'autres désignations, parmi lesquelles on rencontre des maléfices à satiété, et qui se terminent par cette mention : « J'ai fait en janvier 226 fr. Les autres mois ont été moins fructueux. »

A-t-on jamais vu dans les ouvrages de la doctrine spirite l'apologie de pareilles pratiques, ni quoi que ce soit de nature à les provoquer ? N'y voit-on pas, au contraire, qu'elle répudie toute solidarité avec la magie, la sorcellerie, les diableries, les tireurs de cartes, devins, diseurs de bonne aventure, et tous ceux qui font métier de commercer avec les Esprits, en prétendant les avoir à leurs ordres à tant la séance ?

Si Joye avait été spirite, il aurait d'abord regardé comme une profanation de faire intervenir les Esprits en semblables circonstances ; il aurait su, en outre : que les Esprits ne sont aux ordres de personne et ne viennent ni sur commande, ni par l'influence d'aucun signe cabalistique ; que les Esprits sont les âmes des hommes qui ont vécu sur la terre ou dans d'autres mondes, nos parents, nos amis, nos contemporains ou nos ancêtres ; qu'ils ont été hommes comme nous, et qu'après notre mort nous serons Esprits comme eux ; que les gnomes, lutins, farfadets, démons sont des créations de pure fantaisie et n'existent que dans l'imagination ; que les Esprits sont libres, plus libres que lorsqu'ils étaient incarnés, et que prétendre les soumettre à nos caprices et à notre volonté, les faire agir et parler à notre guise pour notre amusement ou notre intérêt, est une idée chimérique ; qu'ils viennent quand ils veulent, de la manière qu'ils veulent, et à qui cela leur convient ; que le but providentiel des communications avec les Esprits est notre instruction et notre amélioration morale, et non de nous aider dans les choses matérielles de la vie que nous pouvons faire ou trouver nous-mêmes, et encore moins de servir la cupidité ; enfin qu'en raison de leur nature même et du respect que l'on doit aux âmes de ceux qui ont vécu, il est aussi irrationnel qu'immoral de tenir bureau ouvert de consultations ou d'exhibitions des Esprits. Ignorer ces choses, c'est ignorer l'a b c d du Spiritisme ; et lorsque la critique le confond avec la cartomancie, la chiromancie, les exorcismes, les pratiques de la sorcellerie, maléfices, envoûtements, etc., elle prouve qu'elle n'en sait pas le premier mot ; or, nier ou condamner une doctrine que l'on ne connaît pas, c'est manquer à la logique la plus élémentaire ; lui prêter ou lui faire dire précisément le contraire de ce qu'elle dit, c'est de la calomnie ou de la partialité.

Puisque Joye mêlait à ses procédés le nom de Dieu, de Jésus et l'invocation des saints, il pouvait tout aussi bien y mêler le nom du Spiritisme, ce qui ne prouve pas plus contre la doctrine, que son simulacre de dévotion ne prouve contre la saine religion. Il n'était donc pas plus spirite, parce qu'il interrogeait soi-disant les Esprits, que les femmes Lamberte et Dye n'étaient vraiment pieuses, parce qu'elles allaient faire brûler des cierges, à la Bonne-Mère, Notre-Dame-de-la-Garde, pour la réussite de leurs empoisonnements. D'ailleurs, s'il eût été spirite, il ne lui serait même pas venu à la pensée de faire servir à la perpétration du mal, une doctrine dont la première loi est l'amour du prochain, et qui a pour devise : Hors la charité, point de salut. Si l'on imputait au Spiritisme l'incitation à de pareils actes, on pourrait, au même titre, en faire tomber la responsabilité sur la religion.

Voici, à ce sujet, quelques réflexions de l'Opinion nationale, du 8 décembre :

« Le Monde accuse le Siècle, les mauvais journaux, les mauvaises réunions, les mauvais livres, de complicité dans l'affaire des empoisonneuses de Marseille.

« Nous avons lu, avec une curiosité douloureuse, les débats de cette étrange affaire ; mais nous n'avons vu nulle part que le sorcier Joye ou la sorcière Lamberte aient été abonnés au Siècle, à l'Avenir ou à l'Opinion. On a trouvé un seul journal chez Joye : c'était un numéro du Diable, journal de l'enfer. Les veuves qui figurent dans cet aimable procès, sont bien loin d'être des libres penseuses. Elles font brûler des cierges à la bonne Vierge, pour obtenir de Notre-Dame la grâce d'empoisonner tranquillement leurs maris. On trouve dans l'affaire tout le vieil attirail du moyen âge : os de mort recueillis au cimetière, emmasquement, qui n'est autre que l'envoûtement du temps de la reine Margot. Toutes ces dames ont été élevées, non dans les écoles Élisa Lemonnier, mais chez les bonnes sœurs. Ajoutez aux superstitions catholiques, les superstitions modernes, spiritisme et charlatanismes. C'est l'absurde qui a conduit ces femmes au crime. C'est ainsi qu'en Espagne, près des bouches de l'Èbre, on voit, dans la montagne, une chapelle élevée à Notre-Dame des voleurs.

« Semez la superstition, vous récolterez le crime. C'est pour cela que nous demandons qu'on sème la science. « Éclairez cette tête du peuple, a dit Victor Hugo, vous n'aurez plus besoin de la couper. » - J. Labbé.

L'argument, tiré de ce que les accusés n'étaient pas abonnés à certains journaux, manque de justesse, car on sait qu'il n'est pas nécessaire d'être abonné à un journal pour le lire, surtout dans cette classe d'individus. L'Opinion nationale aurait donc pu se trouver entre les mains de quelques-uns d'entre eux, sans qu'on fût en droit de n'en tirer aucune conséquence contre ce journal. Qu'aurait-elle dit si Joye eût prétendu s'être inspiré des doctrines de cette feuille ? Elle aurait répondu : Lisez-la, et voyez si vous y trouvez un seul mot propre à surexciter les mauvaises passions. Le prêtre Verger avait certainement chez lui l'Évangile ; bien plus : par état il devait l'étudier ; peut-on dire que ce soit l'Évangile qui l'a poussé à l'assassinat de l'archevêque de Paris ? Est-ce l'Évangile qui a armé le bras de Ravaillac et de Jacques Clément ? qui a allumé les bûchers de l'Inquisition ? Et cependant c'est au nom de l'Évangile que tous ces crimes ont été commis.

L'auteur de l'article dit : « Semez la superstition, et vous récolterez le crime ; » il a raison, mais où il a tort c'est de confondre l'abus d'une chose avec la chose même ; si on voulait supprimer tout ce dont on peut abuser, on ne voit pas trop ce qui échapperait à la proscription, sans en excepter la presse. Certains réformateurs modernes ressemblent aux hommes qui voudraient couper un bon arbre, parce qu'il donne quelques fruits véreux.

Il ajoute : « C'est pour cela que nous demandons qu'on sème la science. » Il a encore raison, car la science est un élément de progrès, mais suffit-elle pour la moralisation complète ? Ne voit-on pas des hommes mettre leur savoir au service de leurs mauvaises passions ? Lapommeraie n'était-il pas un homme instruit, un médecin patenté, jouissant d'un certain crédit, et, de plus, un homme du monde ? Il en était de même de Castaing et de tant d'autres. On peut donc abuser de la science ; en faut-il conclure que la science est une mauvaise chose ? Et de ce qu'un médecin a failli, la faute doit-elle rejaillir sur tout le corps médical ? Pourquoi donc imputer au Spiritisme celle d'un homme à qui il a plu de se dire spirite, et qui ne l'était pas ? La première chose, avant de porter un jugement quelconque, était de s'enquérir s'il avait pu trouver dans la doctrine spirite des maximes de nature à justifier ses actes. Pourquoi la science médicale n'est-elle pas solidaire du crime de Lapommeraie ? Parce que ce dernier n'a pu puiser dans les principes de cette science l'incitation au crime ; il a employé pour le mal les ressources qu'elle fournit pour le bien ; et pourtant il était plus médecin que Joye n'était spirite. C'est le cas d'appliquer le proverbe : « Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il est enragé. »

L'instruction est indispensable, personne ne le conteste ; mais, sans la moralisation, ce n'est qu'un instrument, trop souvent improductif pour celui qui ne sait pas en régler l'usage en vue du bien. Instruire les masses sans les moraliser, c'est mettre entre leurs mains un outil sans leur apprendre à s'en servir, car la moralisation qui s'adresse au cœur ne suit pas nécessairement l'instruction qui ne s'adresse qu'à l'intelligence ; l'expérience est là pour le prouver. Mais comment moraliser les masses ? C'est ce dont on s'est le moins occupé, et ce ne sera certainement pas en les nourrissant de l'idée qu'il n'y a ni Dieu, ni âme, ni espérance, car tous les sophismes du monde ne démontreront pas que l'homme qui croit que tout, pour lui, commence et finit avec son corps, a de plus puissantes raisons de se contraindre pour s'améliorer, que celui qui comprend la solidarité qui existe entre le passé, le présent et l'avenir. C'est cependant cette croyance au néantisme qu'une certaine école de soi-disant réformateurs prétend imposer à l'humanité comme l'élément par excellence du progrès moral.

L'auteur, en citant Victor Hugo, oublie, ou mieux ne se doute pas, que ce dernier a ouvertement affirmé en maintes occasions sa croyance aux principes fondamentaux du Spiritisme ; il est vrai que ce n'est pas du Spiritisme à la façon de Joye ; mais quand on ne sait pas, on peut confondre.

Quelque regrettable que soit l'abus qui a été fait du nom du Spiritisme dans cette affaire, aucun spirite ne s'est ému des suites qui pourraient en résulter pour la doctrine ; c'est qu'en effet, sa morale étant inattaquable, elle n'en peut subir aucune atteinte ; l'expérience prouve, au contraire, qu'il n'y a pas une seule des circonstances qui ont fait retentir le nom du Spiritisme qui n'ait tourné à son profit par un accroissement dans le nombre des adeptes, parce que l'examen que le retentissement provoque ne peut être qu'à son avantage. Il est à remarquer, néanmoins, qu'en cette affaire, à bien peu d'exceptions près, la presse s'est abstenue de tout commentaire à l'endroit du Spiritisme ; il y a quelques années elle en eût défrayé ses colonnes pendant deux mois, et n'aurait pas manqué de présenter Joye comme un des grands prêtres de la doctrine. On a pu remarquer également que, ni le président de la Cour, ni le procureur général dans son réquisitoire, ne se sont appesantis sur cette circonstance et n'en ont tiré aucune induction. L'avocat seul de Joye a fait son office de défenseur comme il a pu.




Le Spiritisme partout

Lamartine


Aux oscillations du ciel et du vaisseau,

Aux gigantesques flots qui roulent sur nos têtes,

On sent que l'homme aussi double un cap des tempêtes,

Et passe sous la foudre et sous l'obscurité,

Le tropique orageux d'une autre humanité !

Le Siècle, du 20 mai dernier, citait ces vers à propos d'un article sur la crise commerciale. Qu'ont-ils de Spirite ? dira-t-on ; il n'y est question ni d'âmes, ni d'Esprits. On pourrait avec plus de raison demander quel rapport ils ont avec le fond de l'article dans lequel ils étaient encadrés, et traitant du taux des marchandises. Ils touchent bien plus directement au Spiritisme, car c'est, sous une autre forme, la pensée exprimée par les Esprits sur l'avenir qui se prépare ; c'est, dans un langage à la fois sublime et concis, l'annonce des convulsions que l'humanité aura à subir pour sa régénération, et que les Esprits nous font, de tous côtés, pressentir comme imminentes. Tout se résume dans cette pensée profonde : une autre humanité, image de l'humanité transformée, du monde moral nouveau remplaçant le vieux monde qui s'écroule. Les préliminaires de ce remaniement se font déjà sentir, c'est pourquoi les Esprits nous répètent sur tous les tons que les temps sont arrivés. M. Lamartine a fait là une véritable prophétie dont nous commençons à voir la réalisation.



Etienne de Jouy (de l'Académie Française)


On lit ce qui suit dans le tome xvi des œuvres complètes de M. de Jouy, intitulé : Mélanges, page 99 ; c'est un dialogue entre madame de Staël, morte, et M. le duc de Broglie vivant.

M. de Broglie. Que vois-je ! se peut-il ?

Mme de Staël. Mon cher Victor, ne vous alarmez pas, et, sans m'interroger sur un prodige dont aucun être vivant ne saurait pénétrer la cause, jouissez un moment avec moi du bonheur que nous procure à tous deux cette nocturne apparition. Il est, vous le voyez, des liens que la mort même ne saurait briser ; le doux accord des sentiments, des vues, des opinions, forme la chaîne qui rattache la vie périssable à la vie immortelle, et qui empêche que ce qui fut longtemps uni soit à jamais séparé.

M. de Broglie. Je pourrais, je crois, expliquer cette heureuse sympathie par la concordance intellectuelle.

Mme de Staël. N'expliquons rien, je vous prie, je n'ai plus de temps à perdre. Ces relations d'amour qui survivent aux organes matériels ne me laissent point étrangère aux sentiments des objets de mes plus tendres affections. Mes enfants vivent ; ils honorent et chérissent ma mémoire, je le sais ; mais c'est là que se bornent mes rapports présents avec la terre ; la nuit de la tombe enveloppe tout le reste.

Dans le même tome, page 83 et suivantes, est un autre dialogue, où sont mis en scène divers personnages historiques, révélant leur existence et le rôle qu'ils ont joué dans des vies successives.

Le correspondant, qui nous adresse cette note, ajoute :

« Je crois, comme vous, que le meilleur moyen d'amener à la doctrine que nous prêchons, bon nombre de récalcitrants, c'est de leur faire voir que ce qu'ils regardent compte un ogre prêt à les dévorer, ou comme une ridicule bouffonnerie, n'est autre chose que ce qui est éclos, par la seule méditation sur les destinées de l'homme, dans le cerveau des penseurs sérieux de tous les âges. »

M. de Jouy écrivait au commencement de ce siècle. Ses œuvres complètes ont été publiées en 1823, en vingt-sept volumes in-8°, chez Didot.



Silvio Pellico


Extrait de Mes Prisons, par Silvio Pellico, ch. XIV et XVI.

« Un état pareil était une vraie maladie ; je ne sais si je ne dois pas dire une sorte de somnambulisme. Il me semblait qu'il y avait en moi deux hommes : l'un qui voulait continuellement écrire, et l'autre qui voulait faire autre chose…

Pendant ces nuits horribles, mon imagination s'exaltait quelquefois à tel point que, tout éveillé, il me semblait entendre dans ma prison, tantôt des gémissements, tantôt des rires étouffés. Depuis mon enfance, je n'avais jamais cru aux sorciers ni aux Esprits, et maintenant ces rires et ces gémissements m'épouvantaient ; je ne savais comment me les expliquer ; j'étais forcé de douter si je n'étais pas le jouet de quelque puissance inconnue et malfaisante.

Plusieurs fois je pris la lumière en tremblant, et je regardai si personne n'était caché sous mon lit pour se jouer de moi. Quand j'étais à ma table, tantôt il me semblait que quelqu'un me tirait par mon habit, tantôt que l'on poussait un livre qui tombait à terre ; tantôt aussi je croyais qu'une personne, derrière moi, soufflait ma lumière pour qu'elle s'éteignît. Me levant alors précipitamment, je regardai autour de moi ; je me promenais avec défiance et me demandais à moi-même si j'étais fou ou dans mon bon sens, car, au milieu de tout ce que j'éprouvais, je ne savais plus distinguer la réalité de l'illusion, et je m'écriais avec angoisse : Deus meus, Deus meus, ut quid dereliquisti me ?

Une fois m'étant mis au lit avant l'aurore, je crus être parfaitement sûr d'avoir placé mon mouchoir sous mon traversin. Après un moment d'assoupissement, je m'éveillai comme de coutume, et il me sembla qu'on m'étranglait. Je sentis mon cou étroitement enveloppé. Chose étrange ! Il était enveloppé avec mon mouchoir, fortement attaché par plusieurs nœuds ! J'aurais juré n'avoir pas fait ces nœuds, n'avoir pas touché mon mouchoir depuis que je l'avais mis sous mon traversin. Il fallait que je l'eusse fait en rêvant ou dans un accès de délire, sans en avoir gardé aucune souvenance ; mais je ne pouvais le croire, et, depuis ce moment, je craignais chaque nuit d'être étranglé. »

Si quelques-uns de ces faits peuvent être attribués à une imagination surexcitée par la souffrance, il en est d'autres qui semblent véritablement provoqués par des agents invisibles, et il ne faut pas oublier que Silvio Pellico n'était pas crédule à cet endroit ; cette cause ne pouvait lui venir à la pensée, et, dans l'impossibilité de se l'expliquer, ce qui se passait autour de lui le remplissait de terreur. Aujourd'hui que son Esprit est dégagé du voile de la matière, il se rend compte, non-seulement de ces faits, mais des différentes péripéties de sa vie ; il reconnaît juste ce qui, auparavant, lui paraissait injuste. Il en a donné l'explication dans la communication suivante sollicitée à cet effet.



Société de Paris, 18 octobre 1867.

Qu'il est grand et puissant ce Dieu que les humains rapetissent sans cesse en voulant le définir, et combien les mesquines passions que nous lui prêtons pour le comprendre sont une preuve de notre faiblesse et de notre peu d'avancement ! Un Dieu vengeur ! un Dieu juge ! un Dieu bourreau ! Non ; tout cela n'existe que dans l'imagination humaine, incapable de comprendre l'infini. Quelle folle témérité que de vouloir définir Dieu ! Il est l'incompréhensible et l'indéfinissable, et nous ne pouvons que nous incliner sous sa main puissante, sans chercher à comprendre et à analyser sa nature. Les faits sont là pour nous prouver qu'il existe ! Étudions ces faits et, par leur moyen, remontons de cause en cause aussi loin que nous pourrons aller ; mais ne nous attaquons à la cause des causes que lorsque nous possèderons entièrement les causes secondes, et lorsque nous en comprendrons tous les effets !…

Oui, les lois de l'Éternel sont immuables ! Elles frappent aujourd'hui le coupable, comme elles l'ont toujours frappé, selon la nature des fautes commises et proportionnellement à ces fautes. Elles frappent d'une manière inexorable, et sont suivies de conséquences morales, non fatales, mais inévitables. La peine du talion est un fait, et le mot de l'ancienne loi : « Œil pour œil, dent pour dent, » s'accomplit dans toute sa rigueur. Non-seulement l'orgueilleux est humilié, mais il est frappé dans son orgueil de la même manière dont il a frappé les autres. Le juge inique se voit condamner injustement ; le despote devient opprimé !

Oui, j'ai gouverné les hommes ; je les ai fait plier sous un joug de fer ; je les ai frappés dans leurs affections et leur liberté ; et plus tard, à mon tour, j'ai dû plier sous l'oppresseur, j'ai été privé de mes affections et de ma liberté !

Mais comment l'oppresseur de la veille peut-il devenir le républicain du lendemain ? La chose est des plus simples, et l'observation des faits qui ont lieu sous vos yeux devrait vous en donner la clef. Ne voyez-vous pas, dans le cours d'une seule existence, une même personnalité, tour à tour dominante et dominée ? et n'arrive-t-il pas que, si elle gouverne despotiquement dans le premier cas, elle est, dans le second, une de celles qui luttent le plus énergiquement contre le despotisme ?

La même chose a lieu d'une existence à l'autre. Ce n'est certes pas là une règle sans exception ; mais généralement ceux qui sont en apparence les libéraux les plus forcenés, ont été jadis les plus ardents partisans du pouvoir, et cela se comprend, car il est logique que ceux qui ont été longuement habitués à régner sans conteste et à satisfaire sans entraves leurs moindres caprices, soient ceux qui souffrent davantage de l'oppression, et les plus ardents à en secouer le joug.

Le despotisme et ses excès, par une conséquence admirable des lois de Dieu, entraînent nécessairement chez ceux qui l'exercent un amour immodéré de la liberté, et ces deux excès s'usant l'un par l'autre, amènent inévitablement le calme et la modération.

Telles sont, à propos du désir que vous avez exprimé, les explications que je crois utile de vous donner. Je serai heureux si elles sont de nature à vous satisfaire.

Silvio Pellico.





Variétés

L'avare de la rue du Four


La Petite Presse du 19 novembre 1868, reproduisait le fait suivant d'après le journal le Droit :

« Dans un misérable galetas de la rue du Four-Saint-Germain, vivait pauvrement un individu d'un certain âge, nommé P… Il ne recevait personne ; il préparait lui-même ses repas, beaucoup plus exigus que ceux d'un anachorète. Couvert de vêtements sordides, il couchait sur un grabat plus sordide encore. D'une maigreur extrême, il paraissait desséché par les privations de tout genre, et on le croyait généralement en proie au plus profond dénuement.

Cependant, une odeur fétide avait commencé à se répandre dans la maison. Elle augmenta d'intensité et finit par gagner l'établissement d'un petit traiteur, situé au rez-de-chaussée, au point que les consommateurs s'en plaignirent.

On rechercha alors avec soin la cause de ces miasmes, et on finit par découvrir qu'ils provenaient du logement occupé par le sieur P…

Cette découverte fit songer que cet homme n'avait pas été vu depuis longtemps, et, dans la crainte qu'il ne lui fût arrivé quelque malheur, on se hâta d'avertir le commissaire de police du quartier.

Immédiatement, ce magistrat se rendit sur les lieux et fit ouvrir la porte par un serrurier ; mais, dès qu'on voulut entrer dans la chambre, on faillit être suffoqué et il fallut se retirer promptement. Ce ne fut qu'après avoir laissé pendant quelque temps s'introduire dans ce réduit l'air extérieur qu'on put y pénétrer et procéder, avec les précautions convenables, aux constatations.

Un triste spectacle s'offrit au commissaire et au médecin qui l'accompagnait. Sur le lit était étendu le corps du sieur P… dans un état de putréfaction complète ; il était couvert de mouches charbonneuses, et des milliers de vers rongeaient les chairs, qui se détachaient par lambeaux.

Cet état de décomposition n'a pas permis de reconnaître d'une manière certaine la cause de la mort, remontant à une époque éloignée, mais l'absence de toute trace de violence fait penser qu'elle doit être attribuée à une cause naturelle, telle qu'une apoplexie ou une congestion cérébrale. On a d'ailleurs trouvé dans un meuble une somme d'environ 35,000 francs, tant en numéraire qu'en actions, obligations industrielles et valeurs diverses.

A la suite des formalités ordinaires, on s'est hâté d'enlever ces débris humains et de désinfecter le local. L'argent et les valeurs ont été placés sous scellés. »

Cet homme ayant été évoqué à la Société de Paris, a donné la communication suivante :

(Société de Paris, 20 novembre 1868. Méd., M. Rul.)

Vous me demandez pourquoi je me suis laissé mourir de faim, étant en possession d'un trésor. 35,000 francs, c'est une fortune, en effet ! Hélas ! messieurs, vous êtes trop instruits de ce qui se passe autour de vous, pour ne pas comprendre que je subissais des épreuves, et ma fin vous dit assez que j'y ai failli. En effet, dans une précédente existence, j'avais lutté avec énergie contre la pauvreté que je n'avais domptée que par des prodiges d'activité, d'énergie et de persévérance. Vingt fois, je fus sur le point de me voir privé du fruit de mon rude labeur. Aussi, ne fus-je pas tendre pour les pauvres que j'éconduisais lorsqu'ils se présentaient chez moi. Je réservais tout ce que je gagnais pour ma famille, ma femme et mes enfants.

Je me choisis pour épreuve, dans cette nouvelle existence, d'être sobre, modéré dans mes goûts, et de partager ma fortune avec les pauvres, mes frères déshérités.

Ai-je tenu parole ? Vous voyez le contraire ; car j'ai bien été sobre, tempérant, plus que tempérant ; mais je n'ai pas été charitable.

Ma fin malheureuse n'a été que le commencement de mes souffrances, plus dures, plus pénibles en ce moment, où je vois avec les yeux de l'Esprit. Aussi n'aurais-je pas eu le courage de me présenter devant vous, si l'on ne m'avait assuré que vous êtes bons, compatissants au malheur, et je viens vous demander de prier pour moi. Allégez mes souffrances, vous qui connaissez les moyens de rendre les souffrances moins poignantes ; priez pour votre frère qui souffre et qui désire revenir souffrir beaucoup plus encore !

Pitié, mon Dieu ! Pitié pour l'être faible qui a failli ; et vous, messieurs, compassion à votre frère, qui se recommande à vos prières.

L'avare de la rue du Four.


Suicide par obsession


On lit dans le Droit :

« Le sieur Jean-Baptiste Sadoux, fabricant de canots à Joinville-Le-Pont, aperçut hier un jeune homme qui, après avoir erré pendant quelque temps sur le pont, était monté sur le parapet et se précipitait dans la Marne. Aussitôt il se porta à son secours, et, au bout de sept minutes, il le ramena. Mais déjà l'asphyxie était complète, et toutes les tentatives faites pour ranimer cet infortuné demeurèrent infructueuses.

Une lettre trouvée sur lui l'a fait reconnaître pour le sieur Paul D…, âgé de vingt-deux ans, demeurant rue Sedaine, à Paris. Cette lettre, adressée par le suicidé à son père, était extrêmement touchante. Il lui demandait pardon de l'abandonner et lui disait que depuis deux ans il était dominé par une idée terrible, par une irrésistible envie de se détruire. Il lui semblait, ajoutait-il, entendre hors de la vie une voix qui l'appelait sans relâche, et, malgré tous ses efforts, il ne pouvait s'empêcher d'aller vers elle. On a également trouvé dans une poche de paletot une corde neuve à laquelle avait été fait un nœud coulant. Le corps, à la suite de l'examen médico-légal, a été remis à la famille. »

L'obsession est ici bien évidente, et ce qui ne l'est pas moins, c'est que le Spiritisme y est complètement étranger, nouvelle preuve que ce mal n'est pas inhérent à la croyance. Mais si le Spiritisme n'est pour rien dans le fait, lui seul peut en donner l'explication. Voici l'instruction donnée à ce sujet par un de nos Esprits habitués, et de laquelle il ressort que, malgré l'entraînement auquel ce jeune homme a cédé pour son malheur, il n'a point succombé à la fatalité ; il avait son libre arbitre, et, avec plus de volonté, il aurait pu résister. S'il avait été Spirite, il aurait compris que la voix qui le sollicitait ne pouvait être que celle d'un mauvais Esprit, et les suites terribles d'un instant de faiblesse.

(Paris, groupe Desliens, 20 décembre 1868, Médium, M. Nivard.)

La voix disait : Viens ! Viens ! mais elle eût été inefficace, cette voix du tentateur, si l'action directe de l'Esprit ne s'était fait sentir. Le pauvre suicidé était appelé et il était poussé. Pourquoi ? Son passé était la cause de la situation douloureuse où il se trouvait ; il tenait à la vie et redoutait la mort ; mais, dans cet appel incessant qu'il entendait, il a trouvé, dirai-je la force ? non ; il a puisé la faiblesse qui l'a perdu. Il a surmonté ses craintes, parce qu'il s'attendait à la fin à trouver de l'autre côté de la vie le repos que ce côté-ci lui refusait. Il a été trompé : le repos n'est point venu. Les ténèbres l'entourent, sa conscience lui reproche son acte de faiblesse, et l'Esprit qui l'a entraîné ricane autour de lui, il le crible d'un persiflage constant. L'aveugle ne le voit point, mais il entend la voix qui lui répète : Viens ! viens ! et puis qui se moque de ses tortures.

La cause de ce fait d'obsession est dans le passé, comme je viens de le dire ; l'obsesseur a été poussé lui-même au suicide par celui qu'il vient de faire tomber dans l'abîme. C'était sa femme dans l'existence précédente, et elle avait considérablement souffert de la débauche et des brutalités de son mari. Trop faible pour accepter la situation qui lui était faite, avec résignation et courage, elle demanda à la mort un refuge contre ses maux. Elle s'est vengée depuis ; vous savez comment. Mais cependant l'acte de ce malheureux n'était pas fatal ; il avait accepté les risques de la tentation ; elle était nécessaire à son avancement, car, seule, elle pouvait faire disparaître la tache qui avait sali son existence précédente. Il en avait accepté les risques avec l'espoir d'être le plus fort, il s'était trompé : il a succombé. Il recommencera plus tard ; résistera-t-il ? Cela dépendra de lui.

Priez Dieu pour lui, afin qu'il lui donne le calme et la résignation dont il a tant besoin, le courage et la force pour qu'il ne faillisse pas dans les épreuves qu'il aura à subir plus tard.

Louis Nivard.





Dissertations spirites

Les Arts et le Spiritisme

(Paris, groupe Desliens, 25 novembre 1868, médium M. Desliens.)

Fut-il jamais un temps où il y eut plus de poètes, plus de peintres, de sculpteurs, de littérateurs, d'artistes en tous genres ? Fut-il jamais un temps où poésie, peinture, sculpture, art quel qu'il soit, ait été accueilli avec plus de dédain ? Tout est dans le marasme ! et rien, si ce n'est ce qui a trait directement à la furia positiviste du siècle, n'a actuellement chance d'être favorablement apprécié.

Il y a, sans doute, encore quelques amis du beau, du grand, du vrai ; mais, à côté, combien de profanateurs, soit parmi les exécutants, soit parmi les amateurs ! Il n'y a plus de peintres ; il n'y a que des faiseurs ! Ce n'est point la gloire que l'on poursuit ! elle vient à pas trop lents pour notre génération de gens pressés. Voir la renommée et l'auréole du talent, couronner une existence sur son déclin, qu'est cela ? Une chimère, bonne tout au plus pour les artistes du temps passé ! On avait le temps de vivre alors ; aujourd'hui on a à peine celui de jouir ! Il faut donc arriver, et promptement, à la fortune ; il faut se faire un nom par un faire original, par l'intrigue, par tous les moyens plus ou moins avouables dont la civilisation comble les peuples qui touchent à un progrès immense en avant ou à une décadence sans rémission.

Qu'importe si la célébrité conquise disparaît avec autant de rapidité que l'existence de l'éphémère ! Qu'importe la brièveté de l'éclat !… C'est une éternité si ce temps a suffi pour acquérir la fortune, la clef des jouissances et du dolce far niente !

C'est la lutte courageuse avec l'épreuve qui fait le talent ; la lutte avec la fortune l'énerve et le tue !

Tout tombe, tout périclite, parce qu'il n'y a plus de croyance !

Pensez-vous que le peintre croie en lui-même ? Oui, il y arrive parfois ; mais, en général, il ne croit qu'à l'aveuglement, qu'à la fougue du public, et il en profite jusqu'à ce qu'un nouveau caprice vienne transporter ailleurs le torrent de faveurs qui pénétraient chez lui !

Comment faire des tableaux religieux ou mythologiques qui frappent et émeuvent, lorsque les croyances dans les idées qu'ils représentent ont disparu ?

On a du talent, on sculpte le marbre, on lui donne la forme humaine ; mais c'est toujours une pierre froide et insensible : il n'y a point de vie ! De belles formes, mais non l'étincelle qui crée l'immortalité !

Les maîtres de l'antiquité ont fait des dieux, parce qu'ils croyaient à ces dieux. Nos sculpteurs actuels, qui n'y croient pas, font à peine des hommes. Mais vienne la foi, fût-elle illogique et sans un but sérieux, elle enfantera des chefs-d'œuvre, et, si la raison les guide, il n'y aura point de limites qu'elle ne puisse atteindre ! Des champs immenses, complètement inexplorés, s'ouvrent devant la jeunesse actuelle, devant tous ceux qu'un puissant sentiment de conviction pousse dans une voie quelle qu'elle soit. Littérature, architecture, peinture, histoire, tout recevra de l'aiguillon spirite le nouveau baptême de feu nécessaire pour rendre l'énergie et la vitalité à la société expirante ; car il aura mis au cœur de tous ceux qui l'accepteront, un ardent amour de l'humanité et une foi inébranlable dans sa destinée.

Un artiste, Ducornet.


La musique spirite

(Paris, groupe Desliens, 9 décembre 1868 ; médium, M. Desliens.)

Récemment, au siège de la Société spirite de Paris, le Président m'a fait l'honneur de me demander mon opinion sur l'état actuel de la musique et sur les modifications que pourrait y apporter l'influence des croyances spirites. Si je ne me suis pas rendu de suite à ce bienveillant et sympathique appel, croyez bien, messieurs, qu'une cause majeure a seule motivé mon abstention.

Les musiciens, hélas ! sont des hommes comme les autres, plus hommes peut-être, et, à ce titre, ils sont faillibles et peccables. Je n'ai pas été exempt de faiblesses, et si Dieu m'a fait la vie longue afin de me donner le temps de me repentir, l'enivrement du succès, la complaisance des amis, les flatteries des courtisans m'en ont souvent enlevé le moyen. Un maestro, c'est une puissance, en ce monde où le plaisir joue un si grand rôle. Celui dont l'art consiste à séduire l'oreille, à attendrir le cœur, voit bien des pièges se créer sous ses pas, et il y tombe, le malheureux ! Il s'enivre de l'enivrement des autres ; les applaudissements lui bouchent les oreilles, et il va droit à l'abîme sans chercher un point d'appui pour résister à l'entraînement.

Cependant, malgré mes erreurs, j'avais foi en Dieu ; je croyais à l'âme qui vibrait en moi, et, dégagé de sa cage sonore, elle s'est vite reconnue au milieu des harmonies de la création et a confondu sa prière avec celles qui s'élèvent de la nature à l'infini, de la créature à l'être incréé !…

Je suis heureux du sentiment qui a provoqué ma venue parmi les spirites, car c'est la sympathie qui l'a dicté, et, si la curiosité m'a tout d'abord attiré, c'est à ma reconnaissance que vous devrez mon appréciation de la question qui m'a été posée. J'étais là, prêt à parler, croyant tout savoir, lorsque mon orgueil en tombant m'a dévoilé mon ignorance. Je restai muet et j'écoutai ; je revins, je m'instruisis, et, lorsqu'aux paroles de vérité émises par vos instructeurs se joignirent la réflexion et la méditation, je me dis : Le grand maestro Rossini, le créateur de tant de chefs-d'œuvre selon les hommes, n'a fait, hélas ! qu'égrener quelques-unes des perles les moins parfaites de l'écrin musical créé par le maître des maestri. Rossini a assemblé des notes, composé des mélodies, goûté à la coupe qui contient toutes les harmonies ; il a dérobé quelques étincelles au feu sacré ; mais, ce feu sacré, ni lui ni d'autres ne l'ont créé ! - Nous n'inventons pas : nous copions au grand livre de la nature et la foule applaudit quand nous n'avons pas trop déformé la partition.

Une dissertation sur la musique céleste !… Qui pourrait s'en charger ? Quel Esprit surhumain pourrait faire vibrer la matière à l'unisson de cet art enchanteur ? Quel cerveau humain, quel Esprit incarné pourrait en saisir les nuances variées à l'infini ?… Qui possède à ce point le sentiment de l'harmonie ?… Non, l'homme n'est pas fait pour de pareilles conditions !… Plus tard !… bien plus tard !…

En attendant, je viendrai, bientôt peut-être, satisfaire à votre désir et vous donner mon appréciation sur l'état actuel de la musique, et vous dire les transformations, les progrès que le Spiritisme pourra y introduire. - Aujourd'hui il est trop tôt encore. Le sujet est vaste, je l'ai déjà étudié, mais il me déborde encore ; quand j'en serai maître, si toutefois la chose est possible, ou mieux quand je l'aurai entrevu autant que l'état de mon esprit me le permettra, je vous satisferai ; mais encore un peu de temps. Si un musicien peut seul bien parler de la musique de l'avenir, il doit le faire en maître, et Rossini ne veut point parler en écolier.

Rossini.

Obsessions simulées



Cette communication nous a été donnée à propos d'une dame qui devait venir demander des conseils pour une obsession, et au sujet de laquelle nous avions cru devoir préalablement prendre l'avis des Esprits.

« La pitié pour ceux qui souffrent ne doit pas exclure la prudence, et ce pourrait être une imprudence d'établir des relations avec tous ceux qui se présentent à vous, sous l'empire d'une obsession réelle ou feinte. C'est encore une épreuve par où le Spiritisme devra passer, et qui lui servira à se débarrasser de tous ceux qui, par leur nature, embarrasseraient sa voie. On a bafoué, ridiculisé les spirites ; on a voulu effrayer ceux que la curiosité attirait vers vous, en vous plaçant sous un patronage satanique. Tout cela n'a point réussi ; avant de se rendre on veut démasquer une dernière batterie qui, comme toutes les autres, tournera à votre avantage. Ne pouvant plus vous accuser de contribuer à l'accroissement de l'aliénation mentale, on vous enverra de véritables obsédés, devant lesquels on espère que vous échouerez, et des obsédés simulés qu'il vous serait naturellement impossible de guérir d'un mal imaginaire. Tout cela n'arrêtera en rien vos progrès, mais à la condition d'agir avec prudence, et d'engager ceux qui s'occupent des traitements obsessionnels à consulter leurs guides, non-seulement sur la nature du mal, mais sur la réalité des obsessions qu'ils pourront avoir à combattre. Ceci est important, et je profite de l'idée qui vous a été suggérée de demander à l'avance un conseil, pour vous recommander d'en user toujours ainsi à l'avenir.

« Quant à cette dame, elle est sincère et réellement souffrante, mais il n'y a rien à faire actuellement pour elle, si ce n'est de l'engager à demander, par la prière, le calme et la résignation pour supporter courageusement son épreuve. Ce ne sont point des instructions des Esprits qu'il lui faut ; il serait même prudent de l'éloigner de toute idée de correspondance avec eux, et de l'engager à s'en remettre entièrement aux soins de la médecine officielle. »

Docteur Demeure.



Remarque. - Ce n'est pas seulement contre les obsessions simulées qu'il est prudent de se tenir en garde, mais contre les demandes de communications de toutes natures, évocations, conseils de santé, etc., qui pourraient être des pièges tendus à la bonne foi, et dont la malveillance pourrait se servir. Il convient donc de n'accéder aux demandes de cette nature qu'en connaissance de cause, et à l'égard des personnes connues ou dûment recommandées. Les adversaires du Spiritisme voient avec peine les développements qu'il prend contrairement à leurs prévisions, et ils épient ou provoquent les occasions de le prendre en défaut, soit pour l'accuser, soit pour le tourner en ridicule. En pareil cas, il vaut mieux pécher par excès de circonspection que par imprévoyance.

Allan Kardec






Février

Statistique du Spiritisme

Appréciation par le journal la Solidarité[1].

Le journal la Solidarité, du 15 janvier 1869, analyse la statistique du Spiritisme que nous avons publiée dans notre précédent numéro ; s'il en critique quelques chiffres, nous sommes heureux de son adhésion à l'ensemble du travail qu'il apprécie en ces termes :

« Nous regrettons de ne pouvoir reproduire, faute d'espace, les réflexions très sages dont M. Allan Kardec fait suivre cette statistique. Nous nous bornerons à constater avec lui qu'il y a des spirites à tous les degrés de l'échelle sociale ; que la grande majorité des spirites se trouve parmi les gens éclairés et non parmi les ignorants ; que le Spiritisme s'est propagé partout du haut en bas de l'échelle sociale ; que l'affliction et le malheur sont les grands recruteurs du Spiritisme, par suite des consolations et des espérances qu'il donne à ceux qui pleurent et regrettent ; que le Spiritisme trouve un plus facile accès parmi les incrédules en matières religieuses que parmi les gens qui ont une foi arrêtée ; enfin, qu'après les fanatiques, les plus réfractaires aux idées spirites sont les gens dont toutes les pensées sont concentrées sur les possessions et les jouissances matérielles, quelle que soit, d'ailleurs, leur condition. »

C'est un fait d'une importance capitale qu'il soit constaté que, partout, « la grande majorité des spirites se trouve parmi les gens éclairés et non parmi les ignorants. » En présence de ce fait matériel, que devient l'accusation de stupidité, ignorance, folie, ineptie, jetée si étourdiment contre les spirites par la malveillance ?

Le Spiritisme se propageant du haut en bas de l'échelle, prouve en outre que les classes favorisées comprennent son influence moralisatrice sur les masses, puisqu'elles s'efforcent de l'y faire pénétrer. C'est qu'en effet, les exemples que l'on a sous les yeux, quoique partiels et encore isolés, démontrent d'une manière péremptoire que l'esprit du prolétariat serait tout autre s'il étant imbu des principes de la doctrine spirite.

La principale objection de la Solidarité, et elle est très sérieuse, porte sur le nombre des spirites du monde entier. Voici ce qu'elle dit à ce sujet :

« La Revue spirite se trompe de beaucoup lorsqu'elle n'estime qu'à six ou sept millions le nombre des spirites pour le monde entier. Elle oublie évidemment de compter l'Asie.

Si par le terme spirite on entend les personnes qui croient à la vie d'outre-tombe et aux rapports des vivants avec l'âme des personnes mortes, c'est par centaines de millions qu'il faut les compter. La croyance aux Esprits existe chez tous les sectateurs du bouddhisme, et l'on peut dire qu'elle fait le fond de toutes les religions de l'extrême Orient. Elle est surtout générale en Chine. Les trois anciennes sectes qui depuis si longtemps se partagent les populations dans l'empire du Milieu, croient aux mânes, aux Esprits, et en professent le culte. - On peut même dire que c'est là pour elles un terrain commun. Les adorateurs du Tao et de Fo s'y rencontrent avec les sectateurs du philosophe Koung-fou-tseu.

Les prêtres de la secte de Lao-Tseu, et particulièrement les Tao-Tse, ou docteurs de la Raison, doivent aux pratiques spirites, une grande partie de leur influence sur les populations. - Ces religieux interrogent les Esprits et obtiennent des réponses écrites qui n'ont ni plus ni moins de valeur que celles de nos médiums. Ce sont des conseils et des avis regardés comme étant donnés aux vivants par l'Esprit d'un mort ; il s'y trouve des révélations de secrets connus uniquement de la personne qui interroge, quelquefois des prédictions qui se réalisent ou ne se réalisent pas, mais qui sont de nature à frapper les auditeurs et à flatter assez leurs désirs pour qu'ils se chargent d'accomplir eux-mêmes l'oracle.

Ces correspondances s'obtiennent par des procédés qui ne diffèrent pas beaucoup de ceux de nos spirites, mais qui cependant doivent être plus perfectionnés si l'on considère la longue expérience des opérateurs qui les pratiquent traditionnellement.

Voici comment ils nous ont été décrits par un témoin oculaire, M. D…, qui habite la Chine depuis longtemps et qui est familier avec la langue du pays.

Une tige de pêcher, longue de 50 à 60 centimètres, est maintenue à ses deux extrémités par deux personnes, dont l'une est le médium et l'autre l'interrogateur. Au milieu de cette tige, on a eu soin de sceller ou d'attacher une petite baguette de même bois, assez semblable à un crayon pour la longueur et la grosseur. Au-dessous de ce petit appareil, se trouve répandue une couche de sable, ou une boîte contenant du millet. La baguette, en se promenant machinalement sur ce sable ou sur ces graines, trace des caractères. Ces caractères, à mesure qu'ils se forment, sont lus et reproduits immédiatement sur le papier par un lettré présent à la séance. Il en résulte des phrases et des écrits plus ou moins longs, plus ou moins intéressants, mais ayant toujours une valeur logique.

Si l'on en croit les Tao-Tse, ces procédés leur viennent de Lao-Tseu lui-même. Or si, d'après l'histoire, Lao-Tseu vécut au sixième siècle avant Jésus-Christ, il est bon de rappeler que, d'après la légende, il est comme le Verbe des chrétiens, antérieur au commencement et contemporain de la grande non-entité, comme s'expriment les docteurs de la Raison.

On voit que le Spiritisme remonte à une assez jolie antiquité.

Cela ne prouve pas qu'il soit vrai ? - Non, sans doute, mais, s'il suffit à une croyance d'être ancienne pour être vénérable, et d'être forte par le nombre de ses partisans pour être respectée, je n'en connais pas qui ait plus de titres au respect et à la vénération de mes contemporains. »

Il va sans dire que nous adhérons complètement à cette rectification, et nous sommes heureux qu'elle émane d'une source étrangère, parce que cela prouve que nous n'avons pas cherché à enfler le tableau. Nos lecteurs apprécieront, comme nous, la manière dont ce journal, qui se recommande par son caractère sérieux, envisage le Spiritisme ; on voit que, de sa part, c'est une appréciation motivée.

Nous savions bien que les idées spirites sont très répandues chez les peuples de l'extrême Orient, et si nous ne les avons pas fait entrer en ligne de compte, c'est que, dans notre évaluation, nous ne nous sommes proposé de présenter, ainsi que nous l'avons dit, que le mouvement du Spiritisme moderne, nous réservant de faire plus tard une étude spéciale sur l'antériorité de ces idées. Nous remercions très sincèrement l'auteur de l'article de nous avoir devancé.

Ailleurs il dit : « Nous croyons que cette incertitude (sur le nombre réel des spirites, en France surtout) tient d'abord à l'absence de déclarations positives de la part des adeptes ; ensuite à l'état flottant des croyances. Il existe, - et nous pourrions en citer à Paris de nombreux exemples, - une foule de gens qui croient au Spiritisme et qui ne s'en vantent pas. »

Ceci est parfaitement juste ; aussi n'avons-nous parlé que des spirites de fait ; autrement, comme nous l'avons dit, si l'on comprenait les spirites d'intuition, en France seulement on les compterait par millions ; mais nous avons préféré être au-dessous qu'au-dessus de la vérité pour ne pas être taxé d'exagération. Il faut cependant que l'accroissement soit bien sensible, pour que certains adversaires l'aient porté à des chiffres hyperboliques, comme l'auteur de la brochure : le Budget du Spiritisme, qui, voyant sans doute les spirites avec un verre grossissant, les évaluait, en 1863, à vingt millions pour la France (Revue Spirite de juin 1863, page 175).

A propos de la proportion des savants officiels, dans la catégorie du degré d'instruction, l'auteur dit : « Nous aimerions bien de voir à l'œil nu ces 4 p. 100 de savants officiels : 40,000 pour l'Europe ; 24,000 pour la France seule ; c'est beaucoup de savants, et officiels encore ; 6 p. 100 d'illettrés, ce n'est guère. »

La critique serait fondée si, comme le suppose l'auteur, il s'agissait de 4 p. 100 sur le nombre approximatif de six cent mille spirites en France, ce qui ferait effectivement vingt-quatre mille ; ce serait beaucoup, en effet, car on aurait quelque peine à trouver ce chiffre de savants officiels dans toute la population de la France. Sur une telle base, le calcul serait évidemment ridicule, et l'on pourrait en dire autant des illettrés. Cette évaluation n'a donc pas pour but d'établir le nombre effectif des savants officiels spirites, mais la proportion relative dans laquelle ils se trouvent par rapport aux divers degrés d'instruction, parmi lesquels ils sont en minorité. Dans d'autres catégories, nous nous sommes bornés à une simple classification, sans évaluation numérique à tant pour cent. Lorsque nous avons usé de ce dernier procédé, c'était pour rendre la proportion plus sensible.

Pour mieux définir notre pensée, nous dirons que, par savants officiels, nous n'entendons pas tous ceux dont le savoir est constaté par un diplôme, mais uniquement ceux qui occupent des positions officielles, comme membres d'Académies, professeurs des Facultés, etc., qui se trouvent ainsi plus en évidence, et dont, par ce motif, le nom fait autorité dans la science ; à ce point de vue, un docteur en médecine peut être très savant, sans être un savant officiel.

La position officielle influe beaucoup sur la manière d'envisager certaines choses ; nous en citerons, comme preuve, l'exemple d'un médecin distingué, mort depuis plusieurs années, et que nous avons personnellement connu. Il était alors grand partisan du magnétisme, sur lequel il avait écrit, et ce fut ce qui nous mit en rapport avec lui. Sa réputation grandissant, il acquit successivement plusieurs positions officielles. A mesure qu'il montait, sa ferveur pour le magnétisme baissait ; si bien que quand il fut au plus haut de l'échelle, elle tomba au-dessous de zéro, car il renia ouvertement ses anciennes convictions. Des considérations de même nature peuvent expliquer le rang de certaines classes en ce qui concerne le Spiritisme.

La catégorie des affligés, gens sans inquiétude, heureux du monde, sensualistes, fournit à l'auteur de l'article la réflexion suivante :

« Il est dommage que ce soit là de la pure fantaisie. Pas de sensualistes, cela se comprend ; Spiritisme et matérialisme s'excluent. Soixante affligés sur cent spirites, cela se comprend encore. C'est pour ceux qui pleurent que les relations avec un monde meilleur sont précieuses. Mais trente personnes sur cent sans inquiétude, c'est trop beau ! Si le Spiritisme opérait de tels miracles, il ferait bien d'autres conquêtes. Il en ferait surtout parmi les heureux du monde, qui en sont aussi presque toujours les plus inquiets et les plus tourmentés. »

Il y a ici une erreur manifeste, car il semblerait que ce résultat est le fait du Spiritisme, tandis que c'est lui qui puise, dans ces catégories, plus ou moins d'adeptes selon les prédispositions qu'il y rencontre. Ces chiffres signifient simplement qu'il trouve le plus d'adhérents parmi les affligés ; un peu moins parmi les gens sans inquiétude ; mais moins encore parmi les heureux du monde, et point parmi les sensualistes.

Il faut d'abord s'entendre sur les mots. Matérialisme et sensualisme ne sont pas synonymes et ne marchent pas toujours de pair ; car on voit des gens, spiritualistes par profession et par devoir, qui sont très sensuels, tandis qu'il y a des matérialistes très modérés dans leur manière de vivre ; le matérialisme n'est souvent pour eux qu'une opinion qu'ils ont embrassée faute d'en trouver une plus rationnelle ; c'est pourquoi, lorsqu'ils reconnaissent que le Spiritisme comble le vide fait dans leur conscience par l'incrédulité, ils l'acceptent avec bonheur ; les sensualistes, au contraire, y sont les plus réfractaires.

Une chose assez bizarre, c'est que le Spiritisme trouve plus de résistance chez les panthéistes en général, que chez ceux qui sont franchement matérialistes. Cela tient sans doute à ce que le panthéiste se soit presque toujours fait un système ; il a quelque chose, tandis que le matérialiste n'a rien, et que ce vide l'inquiète.

Par les heureux du monde, nous entendons ceux qui passent pour tels aux yeux de la foule, parce qu'ils peuvent se donner largement toutes les jouissances de la vie. Il est vrai qu'ils sont souvent les plus inquiets et les plus tourmentés ; mais de quoi ? des soucis que leur causent la fortune et l'ambition. A côté de ces préoccupations incessantes, des anxiétés de la perte ou du gain, du tracas des affaires pour les uns, des plaisirs pour les autres, il leur reste trop peu de temps pour s'occuper de l'avenir.

Ne pouvant avoir la paix de l'âme qu'à la condition de renoncer à ce qui fait l'objet de leurs convoitises, le Spiritisme les touche peu, philosophiquement parlant. A l'exception des peines du cœur qui n'épargnent personne, si ce n'est les égoïstes, les tourments de la vie sont le plus souvent pour eux dans les déceptions de la vanité, du désir de posséder, de briller, de commander. On peut donc dire qu'ils se tourmentent eux-mêmes.

Le calme, la tranquillité, au contraire, se trouvent plus particulièrement dans les positions modestes, quand le bien-être de la vie y est assuré. Là, il n'y a que peu ou point d'ambition ; on se contente de ce que l'on a, sans se donner les tourments de l'augmenter en courant les chances aléatoires de l'agiotage ou de la spéculation. Ce sont ceux que nous appelons sans inquiétude, relativement parlant ; pour peu qu'il y ait en eux de l'élévation dans la pensée, ils s'occupent volontiers de choses sérieuses ; le Spiritisme leur offre un attrayant sujet de méditation, et ils l'acceptent plus facilement que ceux à qui le tourbillon du monde donne une fièvre continue.

Tels sont les motifs de cette classification qui n'est pas, comme on le voit, aussi fantaisiste que le suppose l'auteur de l'article. Nous le remercions de nous avoir fourni l'occasion de relever des erreurs que d'autres pourraient avoir commises, faute, par nous, d'avoir été assez explicite.

Dans notre statistique, nous avons omis deux fonctions importantes par leur nature, et parce qu'elles comptent un assez grand nombre d'adeptes sincères et dévoués ; ce sont les maires et les juges de paix, qui sont au cinquième rang, avec les huissiers et les commissaires de police.

Une autre omission contre laquelle il a été réclamé avec justice, et que l'on nous prie avec instance de réparer, c'est celle des Polonais, dans la catégorie des peuples. Elle est d'autant plus fondée que le Spiritisme compte dans cette nation de nombreux et fervents adeptes depuis l'origine. Comme rang, la Pologne vient en cinquième, entre la Russie et l'Allemagne.

Pour compléter la nomenclature, il aurait fallu y comprendre d'autres contrées comme la Hollande, par exemple, qui viendrait après l'Angleterre ; le Portugal, après la Grèce ; les provinces Danubiennes où il y a aussi des spirites, mais sur lesquelles nous n'avons pas de données assez positives pour leur assigner un rang. Quant à la Turquie, la presque totalité des adeptes se compose de Français, d'Italiens et de Grecs.

Une classification plus rationnelle, et plus exacte que celle par contrées territoriales, serait celles par races ou nationalités, qui ne sont pas confinées dans des limites circonscrites, et portent partout où elles sont répandues leur aptitude plus ou moins grande à s'assimiler les idées spirites. A ce point de vue, dans une même contrée, il y aurait souvent plusieurs distinctions à faire.

La communication suivante a été donnée dans un groupe de Paris, à propos du rang qu'occupent les tailleurs parmi les professions industrielles.

(Paris, 6 janvier 1869, groupe Desliens ; méd. M. Leymarie.)

Vous avez créé des catégories, cher maître, en tête desquels vous avez placé certains métiers. Savez-vous, selon nous, ce qui entraîne certaines personnes à se faire spirites ? Ce sont les mille persécutions qu'elles endurent dans leurs professions. Les premiers dont vous parlez doivent avoir de l'ordre, de l'économie, du soin, du goût, être un peu artistes, et puis encore être patients, savoir attendre, écouter, sourire et saluer avec une certaine élégance ; mais après toutes ces petites conventions, plus sérieuses qu'on ne le pense, il faut encore calculer, ordonner sa caisse par doit et avoir, et souffrir, souffrir continuellement.

En contact avec les hommes de toutes classes, commentant les plaintes, les confidences, les duperies, les faux visages, ils apprennent beaucoup ! En conduisant cette vie multiple, leur intelligence s'ouvre par la comparaison ; leur esprit se fortifie par la déception et la souffrance ; et voilà pourquoi certaines corporations comprennent et acclament tous les progrès ; elles aiment le théâtre français, la belle architecture, le dessin, la philosophie ; beaucoup la liberté et toutes ses conséquences. Toujours en avant et à l'affût de ce qui console et fait espérer, elles se donnent au Spiritisme qui est pour elles une force, une promesse ardente, une vérité qui grandit le sacrifice, et, plus que vous ne le croyez, la partie cotée n° 1 vit de sacrifices.

Sonnet.





[1] Le journal la Solidarité paraît deux fois par mois. Prix : 10 fr. par an. Paris, librairie des sciences sociales, rue des Saints-Pères, n° 13.



Puissance du ridicule

En lisant un journal, nous avons trouvé cette phrase proverbiale : En France, le ridicule tue toujours. Ceci nous a suggéré les réflexions suivantes :

Pourquoi en France plutôt qu'ailleurs ? c'est que là, plus qu'ailleurs, l'esprit à la fois fin, caustique et jovial, saisit de prime abord le côté plaisant ou ridicule des choses ; il le cherche par instinct, le sent, le devine, le flaire, pour ainsi dire ; il le découvre où d'autres ne l'apercevraient pas, et le met en relief avec adresse. Mais l'esprit français veut avant tout le bon goût, l'urbanité jusque dans la raillerie ; il rit volontiers d'une plaisanterie fine, délicate, spirituelle surtout, tandis que les charges sans sel, la critique lourde, grossière, à brûle pourpoint, semblable à la patte de l'ours ou au coup de poing du rustre, lui répugnent, parce qu'il a une répulsion instinctive pour la trivialité.

Peut-être dira-t-on que certains succès modernes semblent démentir ces qualités. Il y aurait beaucoup à dire sur les causes de cette déviation qui n'est que trop réelle, mais qui n'est que partielle, et ne peut prévaloir sur le fond du caractère national, ainsi que nous le démontrerons quelque jour. Nous dirons seulement en passant que ces succès qui étonnent les gens de bon goût, sont en grande partie dus à la curiosité très vivace aussi dans le caractère français. Mais écoutez la foule au sortir de certaines exhibitions ; le jugement qui domine, même dans la bouche du peuple, se résume en ces mots : C'est dégoûtant ! et cependant on y est allé, uniquement pour pouvoir dire qu'on a vu une excentricité ; on n'y revient pas, mais en attendant que la foule des curieux ait défilé, le succès est fait, et c'est tout ce que l'on demande. Il en est de même de certains succès soi-disant littéraires.

L'aptitude de l'esprit français à saisir le côté comique des choses, fait du ridicule une véritable puissance, plus grande en France qu'en d'autres pays ; mais est-il exact de dire qu'il y tue toujours ?

Il faut distinguer ce qu'on peut appeler le ridicule intrinsèque, c'est-à-dire inhérent à la chose même, et le ridicule extrinsèque, venant du dehors, et déversé sur une chose. Ce dernier peut sans doute être jeté sur tout, mais il ne blesse que ce qui est vulnérable ; lorsqu'il s'attaque aux choses qui n'y donnent aucune prise, il glisse sans y porter aucune atteinte. La caricature la plus grotesque d'une statue irréprochable ne lui enlève rien de son mérite, et ne la fait pas déchoir dans l'opinion, parce que chacun est à même de l'apprécier.

Le ridicule n'a de puissance qu'autant qu'il frappe juste, qu'il fait ressortir avec esprit et finesse des travers réels : c'est alors qu'il tue ; mais lorsqu'il tombe à faux, il ne tue rien du tout, ou plutôt il se tue lui-même. Pour que l'adage ci-dessus soit complètement vrai, il faudrait dire : « En France, le ridicule tue toujours ce qui est ridicule. » Ce qui est réellement vrai, bon et beau n'est jamais ridicule. Qu'on tourne en dérision une personnalité notoirement respectable, le curé Viannet, par exemple, on inspirera du dégoût, même aux incrédules, tant il est vrai que ce qui est respectable en soi est toujours respecté par l'opinion publique.

Tout le monde n'ayant ni le même goût ni la même manière de voir, ce qui est vrai, bon et beau pour les uns, peut ne pas l'être pour d'autres ; qui donc sera juge ? L'être collectif qu'on appelle tout le monde, et contre les décisions duquel les opinions isolées protestent en vain. Quelques individualités peuvent être momentanément égarées par la critique ignorante, malveillante ou inconsciente, mais non les masses, dont les jugements finissent toujours par triompher. Si la majorité des convives à un banquet trouve un mets de son goût, vous aurez beau dire qu'il est mauvais, vous n'empêcherez pas d'en manger, ou tout au moins d'en goûter.

Ceci nous explique pourquoi le ridicule déversé à profusion sur le Spiritisme, ne l'a pas tué. S'il n'a pas succombé, ce n'est pas faute d'avoir été retourné en tous sens, travesti, dénaturé, grotesquement affublé par ses antagonistes ; et pourtant, après dix ans d'une agression acharnée, il est plus fort que jamais ; c'est qu'il est comme la statue dont nous avons parlé tout à l'heure.

En définitive, sur quoi le sarcasme s'est-il particulièrement exercé, à propos du Spiritisme ? Sur ce qui prête réellement le flanc à la critique : les abus, les excentricités, les exhibitions, les exploitations, le charlatanisme sous toutes ses faces, les pratiques absurdes, qui n'en sont que la parodie, dont le Spiritisme sérieux n'a jamais pris la défense, mais qu'il a, au contraire, toujours désavoués. Le ridicule n'a donc frappé, et n'a pu mordre que sur ce qui était ridicule dans la manière dont certaines personnes, peu éclairées, conçoivent le Spiritisme. S'il n'a pas encore tout à fait tué ces abus, il leur a porté un coup mortel, et c'était justice.

Le Spiritisme vrai n'a donc pu que gagner à être débarrassé de la plaie de ses parasites, et ce sont ses ennemis qui s'en sont chargés. Quant à la doctrine proprement dite, il est à remarquer qu'elle est presque toujours restée en dehors du débat ; et pourtant c'est la partie principale, l'âme de la cause. Ses adversaires ont bien compris que le ridicule ne pouvait l'effleurer ; ils ont senti que la fine lame de la raillerie spirituelle glisserait sur cette cuirasse, c'est pourquoi ils l'ont attaquée avec la massue de l'injure grossière, et le coup de poing du rustre, mais avec aussi peu de succès.

Dès le principe, le Spiritisme a paru à certains individus à bout d'expédients, une mine féconde à exploiter par sa nouveauté ; quelques-uns, moins touchés de la pureté de sa morale que des chances qu'ils y entrevoyaient, se sont mis sous l'égide de son nom dans l'espoir de s'en faire un moyen ; ce sont ceux qu'on peut appeler spirites de circonstance.

Que serait-il advenu de cette doctrine, si elle n'avait usé de toute son influence pour déjouer et discréditer les manœuvres de l'exploitation ? On aurait vu les charlatans pulluler de toutes parts, faisant un alliage sacrilège de ce qu'il y a de plus sacré : le respect des morts, avec l'art prétendu des sorciers, devins, tireurs de cartes, diseurs de bonne aventure, suppléant par la fraude aux Esprits, quand ceux-ci ne viennent pas. Bientôt on aurait vu les manifestations portées sur les tréteaux, accolées aux tours d'escamotage ; des cabinets de consultations spirites publiquement affichés, et revendus, comme des bureaux de placement, selon l'importance de la clientèle, comme si la faculté médianimique pouvait se transmettre à l'instar d'un fonds de commerce.

Par son silence, qui eût été une approbation tacite, la doctrine se serait rendue solidaire, nous dirons plus : complice de ces abus. C'est alors que la critique aurait eu beau jeu, parce qu'elle aurait pu à bon droit prendre à partie la doctrine qui, par sa tolérance, aurait assumé la responsabilité du ridicule, et, par suite, de la juste réprobation déversée sur les abus ; peut-être eût-elle été plus d'un siècle avant de se relever de cet échec. Il faudrait ne pas comprendre le caractère du Spiritisme, et encore moins ses véritables intérêts pour croire que de tels auxiliaires puissent être utiles à sa propagation, et soient propres à le faire considérer comme une chose sainte et respectable.

En stigmatisant l'exploitation comme nous l'avons fait, nous avons la certitude d'avoir préservé la doctrine d'un véritable danger, danger plus grand que le mauvais vouloir de ses antagonistes avoués, parce qu'il n'y allait rien moins que de son discrédit ; elle leur eût, par cela même, offert un côté vulnérable, tandis qu'ils se sont arrêtés devant la pureté de ses principes. Nous n'ignorons pas que nous avons suscité contre nous l'animosité des exploiteurs, et que nous nous sommes aliéné leurs partisans ; mais que nous importe ! notre devoir est de prendre en mains la cause de la doctrine et non leurs intérêts ; et ce devoir, nous le remplirons avec persévérance et fermeté jusqu'à la fin.

Ce n'était pas une petite chose que de lutter contre l'envahissement du charlatanisme, dans un siècle comme celui-ci, surtout d'un charlatanisme secondé, souvent suscité par les plus implacables ennemis du Spiritisme ; car, après avoir échoué par les arguments, ils comprenaient bien que ce qui pouvait lui être le plus fatal, c'était le ridicule ; pour cela, le plus sûr moyen était de le faire exploiter par le charlatanisme, afin de le discréditer dans l'opinion.

Tous les spirites sincères ont compris le danger que nous avons signalé, et nous ont secondé dans nos efforts, en réagissant de leur côté contre les tendances qui menaçaient de se développer. Ce ne sont pas quelques faits de manifestations, en les supposant réels, donnés en spectacle, comme appât à la minorité qui font au Spiritisme de véritables prosélytes, parce que, dans de telles conditions, ils autorisent la suspicion. Les incrédules eux-mêmes sont les premiers à dire que si les Esprits se communiquent véritablement, ce ne peut être pour servir de comparses ou de compères à tant la séance ; voilà pourquoi ils en rient ; ils trouvent ridicule qu'à ces scènes on mêle des noms respectables, et ils ont cent fois raison. Pour une personne qui sera amenée au Spiritisme par cette voie, toujours en supposant un fait réel, il y en aura cent qui en seront détournées, sans plus vouloir en entendre parler. L'impression est tout autre dans les milieux où rien d'équivoque ne peut faire suspecter la sincérité, la bonne foi et le désintéressement, où l'honorabilité notoire des personnes commande le respect. Si l'on n'en sort pas convaincu, on n'en emporte pas, du moins, l'idée d'une jonglerie.

Le Spiritisme n'a donc rien à gagner, et ne pourrait que perdre en s'appuyant sur l'exploitation, tandis que ce seraient les exploiteurs qui bénéficieraient de son crédit. Son avenir n'est pas dans la croyance d'un individu à tel ou tel fait de manifestation ; il est tout entier dans l'ascendant qu'il prendra par sa moralité ; c'est par là qu'il a triomphé, et c'est par là qu'il triomphera encore des manœuvres de ses adversaires. Sa force est dans son caractère moral, et c'est ce qu'on ne pourra lui enlever.

Le Spiritisme entre dans une phase solennelle, mais où il aura encore de grandes luttes à soutenir ; il faut donc qu'il soit fort par lui-même, et, pour être fort, il faut qu'il soit respectable. C'est à ses adeptes dévoués de le faire respecter, d'abord en prêchant eux-mêmes de paroles et d'exemple, et ensuite en désavouant, au nom de la doctrine, tout ce qui pourrait nuire à la considération dont il doit être entouré. C'est ainsi qu'il pourra braver les intrigues, la raillerie et le ridicule.

Un cas de folie causée par la peur du diable

Dans une petite ville de l'ancienne Bourgogne, que nous nous abstenons de nommer, mais que nous pourrions faire connaître au besoin, existe un pauvre vieillard que la foi spirite soutient dans sa misère, vivant tant bien que mal du mince produit que lui rapporte le colportage de menus objets dans les localités voisines. C'est un homme bon, compatissant, rendant service chaque fois qu'il en trouve l'occasion, et certainement au-dessus de sa position par l'élévation de ses pensées. Le Spiritisme lui a donné la foi en Dieu et en l'immortalité, le courage et la résignation.

Un jour, dans une de ses tournées, il rencontra une jeune femme veuve, mère de plusieurs petits enfants, qui, après la mort de son mari qu'elle adorait, éperdue de désespoir, et se voyant sans ressources, perdit complètement la raison. Attiré par la sympathie vers cette grande douleur, il chercha à voir cette malheureuse femme afin de juger si son état était sans remède. Le dénuement dans lequel il la trouva redoubla sa compassion ; mais, pauvre lui-même, il ne pouvait lui donner que des consolations.

« Je la vis plusieurs fois, dit-il à un de nos collègues de la Société de Paris qui le connaissait, et était allé le voir ; un jour je lui dis, avec l'accent de la persuasion, que celui qu'elle regrettait n'était pas perdu sans retour ; qu'il était près d'elle, bien qu'elle ne pût le voir, et que je pouvais, si elle le voulait, la faire causer avec lui. A ces mots, sa figure sembla s'épanouir ; un rayon d'espoir brilla dans ses yeux éteints. « - Ne me trompez-vous pas ? dit-elle ; ah ! si cela pouvait être vrai ! »

Étant assez bon médium écrivain, j'obtins, séance tenante, une courte communication de son mari, qui lui causa une douce satisfaction. Je vins la voir souvent, et chaque fois son mari s'entretenait avec elle par mon intermédiaire ; elle l'interrogeait, et il répondait de manière à ne lui laisser aucun doute sur sa présence, car il lui parlait de choses que j'ignorais moi-même ; il l'encourageait, l'exhortait à la résignation et l'assurait qu'ils se retrouveraient un jour.

Peu à peu, sous l'empire de cette douce émotion et de ces pensées consolantes, le calme rentra dans son âme, sa raison revenait à vue d'œil, et, au bout de quelques mois, elle fut complètement guérie et pût se livrer au travail qui devait nourrir elle et ses enfants.

Cette cure fit une grande sensation parmi les paysans du village. Tout allait donc bien ; je remerciai Dieu de m'avoir permis d'arracher cette malheureuse aux suites de son désespoir ; je remerciai aussi les bons Esprits de leur assistance, car tout le monde savait que cette guérison avait été produite par le Spiritisme, et je m'en réjouissais ; mais j'avais soin de leur dire qu'il n'y avait là rien de surnaturel, leur expliquant de mon mieux les principes de la sublime doctrine qui donne tant de consolations et a déjà fait un si grand nombre d'heureux.

Cette guérison inespérée émut vivement le curé de l'endroit ; il visita la veuve qu'il avait complètement abandonnée depuis sa maladie. Il apprit d'elle comment et par qui elle avait été rendue à la santé et à ses enfants ; qu'elle avait maintenant la certitude de n'être pas séparée de son mari ; que la joie qu'elle en ressentait, la confiance que cela lui donnait en la bonté de Dieu, la foi dont elle était animée, avaient été la principale cause de son rétablissement.

Hélas ! tout le bien que j'avais mis tant de persévérance à produire allait être détruit. Le curé fit venir la malheureuse veuve à la cure ; il commença par jeter le doute dans son âme ; puis lui fit croire que j'étais un suppôt de Satan, que je n'opérais qu'en son nom, qu'elle était maintenant en sa puissance ; il fit si bien que la pauvre femme, qui aurait eu besoin des plus grands ménagements, affaiblie par tant d'émotions, retomba dans un état pire que la première fois. Aujourd'hui elle ne voit partout que des diables, des démons et l'enfer ; sa folie est complète, et l'on doit la conduire dans un hospice d'aliénés. »

Qui avait causé la première folie de cette femme ? Le désespoir. Qui lui avait rendu la raison ? Les consolations du Spiritisme. Qui l'a fait retomber dans une folie incurable ? Le fanatisme, la peur du diable et de l'enfer. Ce fait dispense de tout commentaire. Le clergé, comme on le voit, est mal venu de prétendre, comme il l'a fait dans maints écrits et sermons, que le Spiritisme pousse à la folie, quand on peut à bon droit lui renvoyer l'argument. Les statistiques officielles sont là, d'ailleurs, pour prouver que l'exaltation des idées religieuses entre pour une part notable dans les cas de folie. Avant de jeter la pierre à quelqu'un, il serait sage de voir si elle ne peut retomber sur soi.

Quelle impression ce fait doit-il produire sur la population de ce village ? Elle ne sera certainement pas en faveur de la cause que soutient M. le curé, car le résultat matériel est là sous les yeux. S'il pense recruter des partisans à la croyance au diable, il se trompe fort, et il est triste de voir que l'Église fasse de cette croyance une pierre angulaire de la foi. (Voir la Genèse selon le Spiritisme, chapitre XVII, 27.)

Un Esprit qui croit rêver

On a souvent vu des Esprits qui se croient encore vivants, parce que leur corps fluidique leur semble tangible comme leur corps matériel ; en voici un dans une position peu commune : tout en ne se croyant pas mort, il a conscience de son intangibilité ; mais comme de son vivant il était profondément matérialiste, de croyance et de genre de vie, il se figure qu'il rêve, et tout ce qu'on lui a dit n'a pu le tirer de son erreur, tant il est persuadé que tout finit avec le corps. C'était un homme de beaucoup d'esprit, écrivain distingué, que nous désignerons sous le nom de Louis. Il faisait partie de la troupe des notabilités qui partirent au mois de décembre dernier pour le monde des Esprits. Il y a quelques années, il vint chez nous, où il fut le témoin de divers faits de médiumnité ; il y vit notamment un somnambule qui lui donna des preuves évidentes de lucidité, pour des choses qui lui étaient toutes personnelles, mais il n'en fut pas plus convaincu de l'existence d'un principe spirituel.

« Dans une séance du groupe de M. Desliens, le 22 décembre, il vint spontanément se communiquer par l'un des médiums, M. Leymarie, sans que personne songeât à lui. Il était mort depuis une huitaine de jours. Voici ce qu'il fit écrire :

Quel rêve singulier !… Je me sens entraîné par un tourbillon dont je ne comprends pas la direction… Quelques amis que je croyais morts m'ont convié à une promenade, et nous voilà emportés. Où allons-nous ?… Tiens ! étrange plaisanterie ! Dans un groupe spirite !… Ah ! la plaisante farce, de voir ces bonnes gens consciencieusement réunis !… Je connais une de ces figures… Où l'ai-je vue ? Je ne sais… (C'était M. Desliens qui se trouvait à la séance mentionnée plus haut). Peut-être chez ce brave homme d'Allan Kardec, qui voulut une fois me prouver que j'avais une âme, en me faisant palper l'immortalité. Mais vainement on fit appel aux Esprits, aux âmes, tout manqua ; comme dans ces dîners trop cuits, tous les plats servis furent ratés et bien ratés. Je ne soupçonnais pourtant pas la bonne foi du grand-prêtre ; je le crois un honnête homme, mais une fière dupe des Esprits de la soi-disant erraticité.

Je vous ai entendus, messieurs et mesdames, et je vous présente mes respects empressés. Vous écrivez, ce me semble, et vos mains agiles vont, sans doute, transcrire la pensée des invisibles !… spectacle innocent !… rêve insensé que je fais là ! En voilà un qui écrit ce que je me dis à moi-même… Mais vous n'êtes pas amusants du tout, ni mes amis non plus, qui ont des figures compassées comme les vôtres. (Les Esprits de ceux qui étaient morts avant lui, et qu'il croit voir en rêve.)

Eh ! certes ! c'est une manie étrange chez ce vaillant peuple français ! On lui a soustrait tout à la fois l'instruction, la loi, le droit, la liberté de penser et d'écrire, et il se jette, ce brave peuple, dans les rêvasseries et les rêves. Il dort tout éveillé, ce pays des Gaules, et c'est merveille de le voir agir !

Les voilà pourtant à la recherche d'un problème insoluble, condamné par la science, par les penseurs, par les travailleurs !… ils manquent d'instruction… L'ignorance est la loi de Loyola largement appliquée… Ils ont devant eux toutes les libertés ; ils peuvent atteindre tous les abus, les détruire, devenir leur maître enfin, maître viril, économe, sérieux, légal, et, comme des enfants au maillot, il leur faut la religion, un pape, un curé, la première communion, le baptême, la lisière en tout et toujours. Il leur faut des hochets, à ces grands enfants, et les groupes spirites ou spiritualistes leur en donnent.

Ah ! si vraiment il y avait un grain de vérité dans vos élucubrations, mais il y aurait, pour un matérialiste, matière au suicide !… Tenez ! j'ai vécu largement ; j'ai méprisé la chair, je l'ai révoltée ; j'ai ri des devoirs de famille, d'amitié. Passionné, j'ai usé et abusé de toutes les voluptés, et cela avec la conviction que j'obéissais aux attractions de la matière, seule loi vraie sur votre terre, et cela, je le renouvellerai à mon réveil, avec la même furie, la même ardeur, la même adresse. Je prendrai à un ami, à un voisin, sa femme, sa fille ou sa pupille, peu importe, pourvu que, étant plongé dans les délices de la matière, je rende hommage à cette divinité, maîtresse de toutes les actions humaines.

Mais, si je m'étais trompé ?… si j'avais laissé passer la vérité ?… si, vraiment, il y avait d'autres vies antérieures et des existences successives après la mort ?… si l'Esprit était une personnalité vivace, éternelle, progressive, se riant de la mort, se retrempant dans ce que nous appelons l'épreuve ?… alors il y aurait un Dieu de justice et de bonté ?… je serais un misérable… et l'école matérialiste, coupable du crime de lèse-nation, aurait cherché à décapiter la vérité, la raison !… je serais, ou plutôt nous serions de profonds scélérats, des raffinés soi-disant libéraux !… Oh ! alors, si vous étiez dans la vérité, je me brûlerais la cervelle à mon réveil, aussi vrai que je m'appelle…… »

Dans la séance de la Société de Paris, du 8 janvier, le même Esprit vient se manifester de nouveau, non par l'écriture, mais par la parole, en se servant du corps de M. Morin en somnambulisme spontané. Il parla pendant une heure, et ce fut une scène des plus curieuses, car le médium prit sa pose, ses gestes, sa voix, son langage au point que ceux qui l'avaient vu le reconnurent sans peine. La conversation fut recueillie avec soin et fidèlement reproduite, mais son étendue ne nous permet pas de la publier. Ce ne fut d'ailleurs que le développement de sa thèse ; à toutes les objections et à toutes les questions qu'on lui fit, il prétendit tout expliquer par l'état de rêve, et naturellement se perdit dans un dédale de sophismes. Il rappela lui-même les principaux épisodes de la séance à laquelle il avait fait allusion dans sa communication écrite, il dit :

« J'avais bien raison de dire que tout avait manqué. Tenez, en voici la preuve. J'avais posé cette question : Y a-t-il un Dieu ? Eh bien ! tous vos prétendus Esprits ont répondu affirmativement. Vous voyez qu'ils étaient à côté de la vérité, et qu'ils n'en savent pas plus que vous. Une question, cependant, l'embarrassa beaucoup, aussi chercha-t-il constamment des faux-fuyants pour l'éluder ; ce fut celle-ci : « Le corps par lequel vous nous parlez n'est pas le vôtre, car il est maigre, et le vôtre était gras. Où est votre véritable corps ? il n'est pas ici, car vous n'êtes pas chez vous. Quand on rêve on est dans son lit ; allez donc voir dans votre lit si votre corps y est, et dites-nous comment il se fait que vous puissiez être ici sans votre corps ? »

Poussé à bout par ces questions réitérées, auxquelles il ne répondit que par ces mots : « Effets bizarres des rêves, » il finit par dire : « Je vois bien que vous voudriez me réveiller ; laissez-moi. » Depuis lors il croit toujours rêver.

Dans une autre réunion, un Esprit donna sur ce phénomène la communication suivante :

C'est ici une substitution de personne, un déguisement. L'Esprit incarné reçoit la liberté ou tombe dans l'inaction. Je dis l'inaction, c'est-à-dire la contemplation de ce qui se passe. Il est dans la position d'un homme qui prête momentanément son logis, et qui assiste aux différentes scènes qui se jouent à l'aide de son mobilier. S'il aime mieux jouir de sa liberté, il le peut, à moins qu'il n'y ait pour lui utilité à demeurer spectateur.

Il n'est pas rare qu'un Esprit agisse et parle avec le corps d'un autre ; vous devez comprendre la possibilité de ce phénomène, alors que vous savez que l'Esprit peut se retirer avec son périsprit plus ou moins loin de son enveloppe corporelle. Lorsque ce fait arrive sans qu'aucun Esprit en profite pour occuper la place, il y a catalepsie. Lorsqu'un Esprit désire s'y mettre pour agir, et prendre un instant sa part de l'incarnation, il unit son périsprit au corps endormi, l'éveille par ce contact et rend le mouvement à la machine ; mais les mouvements, la voix ne sont plus les mêmes, parce que les fluides périspritaux n'affectent plus le système nerveux de la même manière que le véritable occupant.

Cette occupation ne peut jamais être définitive ; il faudrait, pour cela, la désagrégation absolue du premier périsprit, ce qui entraînerait forcément la mort. Elle ne peut même être de longue durée, par la raison que le nouveau périsprit n'ayant pas été uni à ce corps dès la formation de celui-ci, n'y a pas de racines ; n'étant pas modelé sur ce corps, il n'est pas approprié au jeu des organes ; l'Esprit intrus n'y est pas dans une position normale ; il est gêné dans ses mouvements, c'est pourquoi il quitte ce vêtement d'emprunt dès qu'il n'en a plus besoin.

Quant à la position particulière de l'Esprit en question, il n'est point venu volontairement dans le corps dont il s'est servi pour parler ; il y a été attiré par l'Esprit même de Morin qui a voulu jouir de son embarras ; l'autre, parce qu'il a cédé au secret désir de se poser encore et toujours en sceptique et en railleur, a saisi l'occasion qui lui était offerte. Le rôle quelque peu ridicule qu'il a joué, pour ainsi dire malgré lui, en débitant des sophismes pour expliquer sa position, est une sorte d'humiliation dont il sentira l'amertume à son réveil, et qui lui sera profitable.

Remarque. Le réveil de cet Esprit ne peut manquer de donner lieu à des observations instructives. De son vivant, c'était, comme on l'a vu, un type de matérialisme sensualiste ; jamais il n'eût accepté le Spiritisme. Les hommes de cette catégorie cherchent les consolations de la vie dans les jouissances matérielles ; ils ne sont pas de l'école de Büchner par étude, mais parce que cette doctrine affranchit de la contrainte qu'impose la spiritualité ; elle doit, selon eux, être dans le vrai. Pour eux le Spiritisme n'est pas un bienfait, mais une gêne ; il n'est pas de preuves qui puissent triompher de leur obstination ; ils les repoussent, moins par conviction que par la peur que ce ne soit une vérité.

Un Esprit qui se croit propriétaire

Chez un des membres de la Société de Paris, qui a des réunions spirites, on venait depuis quelque temps sonner à la porte, et, quand on allait ouvrir, on ne trouvait personne. Les coups de sonnettes étaient donnés avec force, et comme par quelqu'un qui veut entrer d'autorité. Toutes les précautions ayant été prises pour s'assurer que le fait n'était dû ni à une cause accidentelle, ni à la malveillance, on en conclut que ce devait être une manifestation. Un jour de séance, le maître du logis pria le visiteur invisible de vouloir bien se faire connaître et dire ce qu'il souhaitait. Voici les deux communications qu'il a données.



I

Paris, 22 décembre 1868

Je vous remercie, monsieur, de votre aimable invitation à prendre la parole, et, puisque vous m'y encouragez, je vaincrai ma timidité pour m'ouvrir franchement à vous sur mon désir.

Il faut vous dire d'abord que je n'ai pas toujours été riche. Je suis né pauvre, et si je suis arrivé, c'est à moi seul que je le dois. Je ne vous dirai pas, comme tant d'autres, que je suis venu à Paris en sabots ; c'est une vieille rengaine qui ne prend plus ; mais j'avais de l'ardeur, et l'esprit du spéculateur par excellence. Etant enfant, si je prêtais trois billes, il fallait que l'emprunteur m'en rendît quatre. Je faisais commerce de tout ce que j'avais, et j'étais heureux de voir peu à peu mon trésor grossir. Il est vrai que des circonstances malheureuses me dépouillèrent plusieurs fois ; j'étais faible ; d'autres plus forts, s'emparaient de mon gain, et tout était à recommencer ; mais j'étais persévérant.

Peu à peu je quittai l'enfance ; mes idées grandirent. Enfant, j'avais exploité mes camarades ; jeune homme, j'exploitai mes camarades d'atelier. Je faisais des courses ; j'étais l'ami de tout le monde, mais je faisais payer mes peines et mon amitié. « Il est bien complaisant, disait-on, mais il ne faut point lui parler de donner. » Hé ! hé ! c'est comme cela qu'on arrive. Allez donc voir ces beaux fils d'aujourd'hui qui dépensent tout ce qu'ils possèdent au jeu et au café ! ils se ruinent et s'endettent, tant en haut qu'en bas de l'échelle. Moi, je laissais les autres courir comme des fous à la culbute. Je marchais lentement et sagement ; aussi j'arrivai au port, et j'acquis une fortune considérable.

J'étais heureux ; j'avais une femme, des enfants ; l'une un peu coquette, les autres un peu dépensiers. Je pensais qu'avec l'âge tout cela disparaîtrait ; mais point. Je les tins cependant longtemps en bride ; mais un jour je tombai malade. On fit venir le médecin qui fit, sans doute, bien du mal à ma bourse ; puis… je perdis connaissance…

Quand je revins à la raison, tout allait sur un joli pied ! Ma femme recevait ; mes fils avaient voitures, chevaux, domestiques, intendant, que sais-je ! toute une armée vorace qui se jeta sur mon pauvre bien, si péniblement acquis, pour le gaspiller.

Cependant, je m'aperçus bientôt que le désordre était organisé ; on ne dépensait que ses revenus, mais on les dépensait largement. On était assez riche : on n'avait plus besoin de capitaliser comme le vieux bonhomme ; il fallait jouir et non thésauriser… Et je restais la bouche béante, ne sachant que dire ; car si j'élevais la voix, je n'étais pas écouté ; on feignait de ne pas me voir. Je suis nul désormais ; les domestiques ne me chassent pas encore, bien que mon costume ne soit pas en harmonie avec le luxe des appartements ; mais on ne fait pas attention à moi. Je m'assieds, je me lève, je heurte les visiteurs, j'arrête les valets ; il semble qu'ils ne sentent rien ; et cependant j'ai de la vigueur, j'espère, et, vous pourrez en témoigner, vous qui m'avez entendu sonner. Je crois que c'est un parti pris ; on veut sans doute me rendre fou pour se débarrasser de moi.

Telle était ma situation lorsque je vins visiter une de mes maisons. Vieille habitude que je conserve encore, bien que ce ne soit plus moi qui sois le maître ; mais j'ai tout vu bâtir ; ce sont mes écus qui ont tout payé, et je les aime, moi, ces maisons dont les revenus enrichissent mes fils ingrats.

J'étais donc en visite ici, lorsque j'appris que des spirites s'y réunissaient. Cela m'intéressa ; je m'enquis du Spiritisme, et j'appris que les spirites prétendaient expliquer toutes choses. Comme ma situation me paraît peu claire, je ne serais pas fâché d'avoir l'avis des Esprits à cet égard. Je ne suis ni un incrédule, ni un curieux ; j'ai envie de voir et de croire, d'être éclairé, et si vous me remettez en position de tout gouverner chez moi, foi de propriétaire, je ne vous augmenterai pas tant que je vivrai.



II

Paris, 29 décembre 1868

Je suis mort, dites-vous ? Mais songez-vous bien à ce que vous me dites ?… Vous prétendez que mes enfants ne me voient ni ne m'entendent ; mais vous me voyez et m'entendez, vous, puisque vous entrez en conversation avec moi ; puisque vous m'ouvrez quand je sonne ; puisque vous m'interrogez et que je réponds ?… Écoutez, je vois ce que c'est : vous êtes moins forts que je n'ai cru, et comme vos Esprits ne peuvent rien dire, vous voulez m'entortiller en me faisant douter de ma raison… Me prenez-vous pour un enfant ? Si j'étais mort, je serais Esprit comme eux et je les verrais ; mais je n'en vois aucun, et vous ne m'avez pas encore mis en rapport avec eux.

Il y a pourtant une chose qui m'intrigue. Dites-moi donc pourquoi vous écrivez tout ce que je dis ? Est-ce que, par hasard, vous voudriez me trahir ? On dit que les spirites sont des fous ; vous pensez peut-être dire à mes enfants que je m'occupe de Spiritisme, et leur donner ainsi le moyen de me faire interdire ?

Mais il écrit, il écrit !… Je n'ai pas plutôt fini de penser que mes idées sont aussitôt couchées sur le papier… Tout cela n'est pas clair !… Ce qu'il y a de sûr, c'est que je vois, que je parle ; je respire, je marche, je monte les escaliers, et, Dieu merci ! je m'aperçois suffisamment que c'est au cinquième que vous demeurez… Ce n'est pas charitable de se faire ainsi un jeu de la peine des gens. Je souffle ; je n'en puis plus, et l'on prétend me faire croire que je n'ai plus de corps ?… Je sens bien mon asthme, peut-être !… Quant à ceux qui m'ont dit ce que c'était que le Spiritisme, eh bien ! mais ce sont des gens comme vous ; des connaissances à moi ; que j'avais perdues de vue, et que j'ai retrouvées depuis ma maladie !

Oh ! mais… c'est singulier !… Oh ! par exemple, je n'y suis plus ; mais plus du tout !… Mais, il me semble… Oh ! ma mémoire qui s'en va… si… non… mais si… Je suis fou, ma parole… J'ai parlé à des gens que je croyais morts et enterrés depuis huit ou dix ans… Parbleu ! j'ai assisté aux convois ; j'ai fait des affaires avec les héritiers !… C'est vraiment étrange !… Et ils parlent ! et ils marchent… et ils causent !… Ils sentent leurs rhumatismes !… Ils parlent de la pluie et du beau temps ;… ils prisent mon tabac et me serrent la main !

Mais alors, moi !… Non, non, ce n'est pas possible ! je ne suis pas mort ! On ne meurt pas comme cela, sans s'en apercevoir… J'ai encore été au cimetière, justement à la fin de ma maladie ;… c'était un parent… mon fils était en deuil… ma femme n'y était pas, mais elle pleurait… Je l'ai accompagné, ce pauvre cher… Mais qui était-ce donc ?… Je ne le sais vraiment… Quel trouble étrange m'agite !… Ce serait moi ?… Mais non ; puisque j'accompagnais le corps, je ne pouvais être dans la bière… Être là, et là-bas !… et pourtant !… comme c'est étrange tout cela !… quel écheveau embrouillé !… Ne me dites rien ; je veux chercher tout seul ; vous me troubleriez… Laissez-moi ; je reviendrai… Il paraît décidément que je suis un revenant !… Oh ! la singulière chose !

Remarque. Cet Esprit est dans la même situation que le précédent en ce sens que l'un et l'autre se croient encore de ce monde ; mais il y a entre eux cette différence que l'un se croit en possession de son corps charnel, tandis que l'autre a conscience de son état spirituel, mais se figure qu'il rêve. Ce dernier est sans contredit plus près de la vérité, et cependant il sera le dernier à revenir de son erreur. L'ex-propriétaire était, il est vrai, très attaché aux biens matériels, mais son avarice et des habitudes d'économie un peu sordide, prouvent qu'il ne menait pas une vie sensuelle. De plus, il n'est pas foncièrement incrédule ; il ne repousse pas la spiritualité. Louis, au contraire, en a peur ; ce qu'il regretterait, ce n'est pas l'abandon de la fortune qu'il gaspillait de son vivant, mais les plaisirs que ce gaspillage lui procurait. Ne pouvant se résoudre à admettre qu'il survit à son corps, il croit rêver ; il se complaît dans cette idée par l'espoir de revenir à la vie mondaine ; il s'y cramponne par tous les sophismes que son imagination peut lui suggérer. Il restera donc en cet état, puisqu'il le veut, jusqu'à ce que l'évidence vienne lui ouvrir les yeux. Lequel souffrira le plus au réveil ? La réponse est facile : l'un ne sera que médiocrement surpris, l'autre sera terrifié.



Vision de Pergolèse

On a souvent raconté, et chacun connaît l'étrange récit de la mort de Mozart, dont le Requiem si célèbre fut le dernier et l'incontestable chef-d'œuvre. Si l'on en croit une tradition napolitaine, très ancienne et très respectable, longtemps avant Mozart, des faits non moins mystérieux et non moins intéressants auraient précédé, sinon amené, la mort prématurée d'un grand maître : Pergolèse.

Cette tradition, je l'ai reçue de la bouche même d'un vieux paysan de la campagne de Naples, ce pays des arts et des souvenirs ; il la tenait de ses aïeux et, dans son culte pour l'illustre maître dont il parlait, il n'avait garde de rien changer à leur récit.

Je l'imiterai et vous rendrai fidèlement ce qu'il m'a raconté.

« Vous connaissez, me dit-il, la petite ville de Casoria, à quelques kilomètres de Naples ; c'est là qu'en 1704 Pergolèse reçut le jour.

Dès l'âge le plus tendre l'artiste de l'avenir se révéla. Lorsque sa mère, comme le font toutes les nôtres, fredonnait auprès de lui les légendes rimées de notre pays, pour endormir il bambino, ou, selon l'expression naïve de nos nourrices napolitaines, afin d'appeler autour du berceau les petits anges du sommeil (angelini del sonno), l'enfant, dit-on, au lieu de fermer les yeux, les tenait grands ouverts, fixes et brillants ; ses petites mains s'agitaient et semblaient applaudir ; aux cris joyeux qui s'échappaient de sa poitrine haletante, on eût dit que cette âme à peine éclose frissonnait déjà aux premiers échos d'un art qui devait un jour la captiver tout entière.

A huit ans, Naples l'admirait comme un prodige, et pendant plus de vingt ans l'Europe entière applaudit à son talent et à ses œuvres. Il fit faire à l'art musical un pas immense ; il jeta pour ainsi dire le germe d'une ère nouvelle qui devait bientôt enfanter les maîtres que l'on nomme Mozart, Méhul, Beethoven, Haydn et les autres ; la gloire, en un mot, couvrait son front de la plus éclatante auréole.

Et cependant, sur ce front, on eût dit qu'un nuage de mélancolie se promenait errant et le faisait pencher vers la terre. De temps en temps, le regard profond de l'artiste s'élevait vers le ciel comme pour y chercher quelque chose, une pensée, une inspiration.

Quand on le questionnait, il répondait qu'une vague aspiration remplissait son âme, qu'au fond de lui-même il entendait comme les échos incertains d'un chant du ciel qui l'entraînait et l'élevait, mais qu'il ne pouvait saisir, et que, semblable à l'oiseau que des ailes trop faibles ne peuvent emporter à son gré dans l'espace, il retombait sur la terre sans avoir pu suivre cette suave inspiration.

Dans ce combat, l'âme peu à peu s'épuisait ; au plus bel âge de la vie, car il n'avait alors que trente-deux ans, Pergolèse semblait avoir été déjà touché du doigt de la mort. Son génie fécond semblait devenu stérile, sa santé dépérissait de jour en jour ; ses amis en cherchaient en vain la cause et lui-même ne pouvait la découvrir.

Ce fut dans cet état étrange et pénible qu'il passa l'hiver de 1735 à 1736.

Vous savez avec quelle piété nous célébrons ici, de nos jours encore, malgré l'affaiblissement de la foi, les touchants anniversaires de la mort du Christ ; la semaine où l'Église les rappelle à ses enfants est bien réellement pour nous une semaine sainte. Aussi, en vous reportant à l'époque de foi où vivait Pergolèse, vous pouvez penser avec quelle ferveur le peuple courait en foule dans les églises pour y méditer les scènes attendrissantes du drame sanglant du Calvaire.

Le vendredi-saint Pergolèse suivit la foule. En approchant du temple, il lui sembla qu'un calme, depuis longtemps inconnu pour lui, se faisait dans son âme, et, lorsqu'il eut franchi le portail, il se sentit comme enveloppé d'un nuage à la fois épais et lumineux. Bientôt il ne vit plus rien ; un silence profond se fit autour de lui ; puis devant ses yeux étonnés, et au milieu du nuage où jusqu'alors il lui avait semblé être emporté, il vit se dessiner les traits purs et divins d'une vierge entièrement vêtue de blanc ; il la vit poser ses doigts éthérés sur les touches d'un orgue, il entendit comme un concert lointain de voix mélodieuses qui insensiblement se rapprochaient de lui. Le chant que ces voix répétaient le remplissait de charme, mais ne lui était pas inconnu ; il lui semblait que ce chant n'était autre que celui dont il n'avait pu si souvent percevoir que les vagues échos ; ces voix, c'étaient bien celles qui, depuis de longs mois, jetaient le trouble en son âme et qui maintenant y apportaient un bonheur sans partage ; oui, ce chant, ces voix, c'étaient bien le rêve qu'il avait poursuivi, la pensée, l'inspiration qu'il avait si longtemps inutilement cherchées.

Mais pendant que son âme, emportée dans l'extase, buvait à longs traits les harmonies simples et célestes de cet angélique concert, sa main, mue comme par une force mystérieuse, s'agitait dans l'espace et paraissait tracer à son insu des notes qui traduisaient les sons que l'oreille entendait.

Peu à peu les voix s'éloignèrent, la vision disparut, le nuage s'évanouit et Pergolèse, ouvrant les yeux, vit, écrit de sa main, sur le marbre du temple, ce chant d'une simplicité sublime qui devait l'immortaliser, le Stabat Mater, que depuis ce jour le monde chrétien tout entier répète et admire.

L'artiste se releva, sortit du temple, calme, heureux, et non plus inquiet et agité. Mais, de ce jour, une nouvelle aspiration s'empara de cette âme d'artiste ; elle avait entendu le chant des anges, le concert des cieux ; les voix humaines et les concerts terrestres ne lui pouvaient plus suffire. Cette soif ardente, élan d'un vaste génie, acheva d'épuiser le souffle de vie qui lui restait, et c'est ainsi qu'à trente-trois ans, dans l'exaltation, dans la fièvre ou plutôt dans l'amour surnaturel de son art, Pergolèse trouva la mort. »

Telle est la narration de mon Napolitain. Ce n'est, je l'ai dit, qu'une tradition ; je n'en défends pas l'authenticité, et l'histoire ne la confirme peut-être pas en tout point, mais elle est trop touchante pour ne se point complaire en son récit.

Ernest Le Nordez.

(Petit Moniteur du 12 décembre 1868.)

Bibliographie


Histoire des Camisards des Cévennes par Eug. Bonnemère[1].

La guerre entreprise sous Louis XIV contre les Camisards, ou Trembleurs des Cévennes, est, sans contredit, un des épisodes les plus tristes et les plus émouvants de l'histoire de France. Elle est moins remarquable, peut-être, au point de vue purement militaire, qui a renouvelé les atrocités trop communes dans les guerres de religion, que par les innombrables faits de somnambulisme spontané, extase, double vue, prévisions et autres phénomènes du même genre qui se sont produits pendant tout le cours de cette malheureuse croisade. Ces faits, que l'on croyait alors surnaturels, entretenaient le courage chez les calvinistes, traqués dans les montagnes, comme des bêtes fauves, en même temps qu'ils les faisaient considérer comme des possédés du diable par les uns, et comme des illuminés par les autres ; ayant été une des causes qui ont provoqué et entretenu la persécution, ils y jouent un rôle principal et non accessoire ; mais comment les historiens pouvaient-ils les apprécier, alors qu'ils manquaient de tous les éléments nécessaires pour s'éclairer sur leur nature et leur réalité ? Ils n'ont pu que les dénaturer et les présenter sous un faux jour.

Les connaissances nouvelles fournies par le magnétisme et le Spiritisme pouvaient seules jeter la lumière sur la question ; or, comme on ne peut parler avec vérité de ce que l'on ne comprend pas, ou de ce que l'on a intérêt à dissimuler, ces connaissances étaient aussi nécessaires pour faire sur ce sujet un travail complet et exempt de préjugés, que l'étaient la géologie et l'astronomie pour commenter la Genèse.

En démontrant la véritable cause de ces phénomènes, en prouvant qu'ils ne sortent pas de l'ordre naturel, ces connaissances leur ont restitué leur véritable caractère. Elles donnent ainsi la clef des phénomènes du même genre qui se sont produits en maintes autres circonstances, et permettent de faire la part du possible et de l'exagération légendaire.

M. Bonnemère, joignant au talent de l'écrivain, et aux connaissances de l'historien, une étude sérieuse et pratique du Spiritisme et du magnétisme, se trouve dans les meilleures conditions pour traiter en connaissance de cause et avec impartialité le sujet qu'il a entrepris. L'idée spirite a plus d'une fois été mise à contribution dans des œuvres de fantaisie, mais c'est la première fois que le Spiritisme figure nominalement et comme élément de contrôle dans une œuvre historique sérieuse ; c'est ainsi que peu à peu il prend son rang dans le monde, et que s'accomplissent les prévisions des Esprits.

L'ouvrage de M. Bonnemère ne paraîtra que du 5 au 10 février, mais quelques épreuves nous ayant été communiquées, nous en extrayons les passages suivants que nous sommes heureux de pouvoir reproduire par anticipation. Nous en supprimons toutefois les notes indicatives des pièces à l'appui. Nous ajouterons qu'il se distingue des ouvrages sur le même sujet par des documents nouveaux qui n'avaient point encore été publiés en France, de sorte qu'on peut le considérer comme le plus complet.

Il se recommande donc par plus d'un titre à l'attention de nos lecteurs, qui pourront en juger par les fragments ci-après :

« Le monde n'a jamais rien vu de semblable à cette guerre des Cévennes. Dieu, les hommes et les démons se mirent de la partie ; les corps et les Esprits entrèrent en lutte, et, bien autrement encore que dans l'Ancien Testament, les prophètes guidaient aux combats les guerriers qui semblaient eux-mêmes ravis au-dessus des conditions ordinaires de la vie.

Les sceptiques et les railleurs trouvent plus facile de nier ; la science déroutée craint de se compromettre, détourne ses regards et refuse de se prononcer. Mais comme il n'est pas de faits historiques qui soient plus incontestables que ceux-là, comme il n'en est pas qui aient été attestés par d'aussi nombreux témoins, la raillerie, les fins de non-recevoir ne peuvent pas être admises plus longtemps. C'est devant le sérieux peuple anglais que les dépositions ont été juridiquement recueillies, avec les formes les plus solennelles, sous la dictée des protestants réfugiés, et elles ont été publiées à Londres, en 1707, alors que le souvenir de toutes ces choses était encore vivant dans toutes les mémoires, et que les démentis eussent pu les écraser sous leur nombre, si elles eussent été fausses.

Nous voulons parler du Théâtre sacré des Cévennes, ou Récit des diverses merveilles nouvellement opérées dans cette partie du Languedoc, auquel nous allons faire de larges emprunts.

Les phénomènes étranges qui s'y trouvent rapportés ne cherchaient, pour se produire, ni l'ombre ni le mystère ; ils se manifestaient devant les intendants, devant les généraux, devant les évêques, comme devant les ignorants et les simples d'esprit. En était témoin qui voulait et eût pu les étudier qui l'eût désiré.

J'ai vu dans ce genre, écrivait Villars à Chamillard, le 25 septembre 1704, des choses que je n'aurais jamais crues, si elles ne s'étaient pas passées sous mes yeux : une ville entière, dont toutes les femmes sans exception paraissaient possédées du diable. Elles tremblaient et prophétisaient publiquement dans les rues. J'en fis arrêter vingt des plus méchantes dont une eut la hardiesse de trembler et prophétiser devant moi. Je la fis pendre pour l'exemple, et renfermer les autres dans les hôpitaux. »

De tels procédés étaient de mise sous Louis xiv, et faire pendre une pauvre femme parce qu'une force inconnue la contraignait à dire devant un maréchal de France des choses qui ne lui agréaient pas, pouvait être alors une façon d'agir qui ne révoltait personne, tant elle était simple et naturelle et dans les habitudes du temps. Aujourd'hui, il faut avoir le courage d'aborder en face la difficulté et de lui chercher des solutions moins brutales et plus probantes.

Nous ne croyons ni au merveilleux, ni aux miracles. Nous allons donc expliquer naturellement, de notre mieux, ce grave problème historique, resté sans solution jusques ici. Nous allons le faire en nous aidant des lumières que le magnétisme et le Spiritisme mettent aujourd'hui à notre disposition, sans prétendre d'ailleurs imposer à personne ces croyances.

Il est regrettable que nous ne puissions consacrer que quelques lignes à ce qui, on le comprend, exigerait un volume de développements. Nous dirons seulement, pour rassurer les esprits timides, que cela ne froisse en rien les idées chrétiennes ; nous n'en voulons pour preuve que ces deux versets de l'Evangile de saint Matthieu :

Lors donc que l'on vous livrera entre les mains des gouverneurs et des rois, ne vous mettez point en peine comment vous leur parlerez, ni de ce que vous leur direz : car ce que vous leur devez dire vous sera donné à l'heure même ;

Car ce n'est pas vous qui parlez, mais c'est l'esprit de votre père qui parle en vous. (Matth., ch. x, v. 19, 20).

Nous laissons aux commentateurs le soin de décider quel est, au vrai, cet esprit de notre Père qui, à certains moments, se substitue à nous, parle à notre place et nous inspire. Peut-être pourrait-on dire que toute génération qui disparaît est le père et la mère de celle qui lui succède, et que les meilleurs parmi ceux qui semblent n'être plus, s'élevant rapidement lorsqu'ils sont débarrassés des entraves du corps matériel, viennent emprunter les organes de ceux de leurs fils qu'ils estiment dignes de leur servir d'interprètes, et qui expieront chèrement un jour le mauvais usage qu'ils auront fait des facultés précieuses qui leur sont déléguées.

Le magnétisme réveille, surexcite et développe chez certains somnambules l'instinct que la nature a donné à tous les êtres pour leur guérison, et que notre civilisation incomplète a étouffé en nous pour les remplacer par les fausses lueurs de la science.

Le somnambule naturel met son rêve en action, voilà tout. Il n'emprunte rien aux autres, ne peut rien pour eux.

Le somnambule fluidique, au contraire, celui chez lequel le contact du fluide du magnétiseur provoque cet état bizarre, se sent impérieusement tourmenté du désir de soulager ses frères. Il voit le mal, ou vient lui indiquer le remède.

Le somnambule inspiré, qui peut parfois être en même temps fluidique, est le plus richement doué, et chez lui l'inspiration se maintient dans des sphères élevées lorsqu'elle se manifeste spontanément. Celui-là seul est un révélateur ; c'est en lui seul que le progrès réside, parce que seul il est l'écho, l'instrument docile d'un Esprit autre que le sien, et plus avancé.

Le fluide est un aimant qui attire les morts bien aimés vers ceux qui restent. Il se dégage abondamment des inspirés, et va éveiller l'attention des êtres partis les premiers, et qui leur sont sympathiques. Ceux-ci de leur côté, épurés et éclairés par une vie meilleure, jugent mieux et connaissent mieux ces natures primitives, honnêtes, passives, qui peuvent leur servir d'intermédiaires dans l'ordre de faits qu'ils croient utile de leur révéler.

Au siècle dernier, on les appelait des extatiques. Aujourd'hui ce sont des médiums.

Le Spiritisme est la correspondance des âmes entre elles. Suivant les adeptes de cette croyance, un être invisible se met en communication avec un autre, jouissant d'une organisation particulière qui le rend apte à recevoir les pensées de ceux qui ont vécu, et à les écrire, soit par une impulsion mécanique inconsciente imprimée à la main, soit par transmission directe à l'intelligence des médiums.

Si l'on veut accorder pour un moment quelque créance à ces idées, on comprendra sans peine que les âmes indignées de ces martyrs que le grand roi immolait chaque jour par centaines, soient venues veiller sur les êtres chéris dont elles avaient été violemment séparées, qu'elles les aient soutenus, guidés, consolés au milieu de leurs dures épreuves, inspirés de leur esprit, qu'elles leur aient annoncé par avance, - ce qui eut lieu bien souvent, - les périls qui les menaçaient.

Un petit nombre seulement étaient véritablement inspirés. Le dégagement fluidique qui sortait d'eux, comme de certains êtres supérieurs et privilégiés, agissait sur cette foule profondément troublée qui les entourait, mais sans pouvoir développer chez la plupart d'entre eux autre chose que les phénomènes grossiers et largement faillibles de l'hallucination. Inspirés et hallucinés, tous avaient la prétention de prophétiser, mais ces derniers émettaient une foule d'erreurs au milieu desquelles on ne pouvait plus discerner les vérités que l'Esprit soufflait véritablement aux premiers. Cette masse d'hallucinés réagissait à son tour sur les inspirés, et jetait le trouble au milieu de leurs manifestations…

Il fallait, dit l'abbé Pluquet, pour soutenir la foi des restes dispersés du protestantisme, des secours extraordinaires, des prodiges. Ils éclatèrent de toutes parts parmi les réformés, pendant les quatre premières années qui suivirent la révocation de l'Édit de Nantes. On entendit dans les airs, aux environs des lieux où il y avait eu autrefois des temples, des voix si parfaitement semblables aux chants des psaumes, tels que les protestants les chantent, qu'on ne put les prendre pour autre chose. Cette mélodie était céleste et ces voix angéliques chantaient les psaumes selon la version de Clément Marot et de Théodore de Bèze. Ces voix furent entendues dans le Béarn, dans les Cévennes, à Vassy, etc. Des ministres fugitifs furent escortés par cette divine psalmodie, et même la trompette ne les abandonna qu'après qu'ils eurent franchi les frontières du royaume. Jurieu rassembla avec soin les témoignages de ces merveilles et en conclut que « Dieu s'étant fait des bouches au milieu des airs, c'était un reproche indirect que la Providence faisait aux protestants de France de s'être tus trop facilement. » Il osa prédire qu'en 1689 le calvinisme serait rétabli en France… »

L'Esprit du Seigneur sera avec vous, avait dit Jurieu ; il parlera par la bouche des enfants et des femmes, plutôt que de vous abandonner. »

C'était plus qu'il n'en fallait pour que les protestants persécutés s'attendissent à voir les femmes et les enfants se mettre à prophétiser.

Un homme tenait chez lui, dans une verrerie cachée au sommet de la montagne de Peyrat, en Dauphiné, une véritable école de prophétie. C'était un vieux gentilhomme nommé Du Serre, né dans le village de Dieu-le-Fit. Ici les origines sont un peu obscures. On dit qu'il s'était fait initier à Genève aux pratiques d'un art mystérieux dont un petit nombre de personnages se transmettaient le secret. Rassemblant chez lui quelques jeunes garçons et quelques jeunes filles, dont il avait sans doute observé la nature impressionnable et nerveuse, il les soumettait préalablement à des jeûnes austères ; il agissait puissamment sur leur imagination, étendait vers eux ses mains comme pour leur imposer l'Esprit de Dieu, soufflait sur leurs fronts, et les faisait tomber comme inanimés devant lui, les yeux fermés, endormis, les membres raidis par la catalepsie, insensibles à la douleur, ne voyant, n'entendant plus rien de ce qui se passait autour d'eux, mais paraissant écouter des voix intérieures qui parlaient en eux, et voir des spectacles splendides dont ils racontaient les merveilles. Car, dans cet état bizarre, ils parlaient, ils écrivaient, puis, revenus à leur état ordinaire, ils ne se rappelaient plus rien de ce qu'ils avaient fait, de ce qu'ils avaient dit, de ce qu'ils avaient écrit.

Voilà ce que Brueys raconte de ces « petits prophètes dormants, » comme il les appelle. Nous trouvons là les procédés, bien connus aujourd'hui, du magnétisme, et quiconque le veut, peut, dans bien des circonstances, reproduire les miracles du vieux gentilhomme verrier…

Il y eut, en 1701, une explosion nouvelle de prophètes. Ils pleuvaient du ciel, ils sourçaient de terre, et, des montagnes de la Lozère jusqu'aux rivages de la Méditerranée, on les comptait par milliers. Les catholiques avaient enlevé aux calvinistes leurs enfants : Dieu se servit des enfants pour protester contre cette prodigieuse iniquité. Le gouvernement du grand roi ne connaissait que la violence. On arrêta en masse, au hasard, ces prophètes-enfants ; on fouetta impitoyablement les plus petits, on brûla la plante des pieds aux plus grands. Rien n'y fit, et il y en avait plus de trois cents dans les prisons d'Uzès, lorsque la faculté de Montpellier reçut l'ordre de se transporter dans cette ville pour examiner leur état. Après de mûres réflexions, la docte faculté les déclara « atteints de fanatisme. »

Cette belle solution de la science officielle, qui aujourd'hui encore n'en saurait pas dire beaucoup plus long sur cette question, ne mit pas un terme à ce flot débordant d'inspirations. Bâville publia alors une ordonnance (septembre 1701) pour rendre les parents responsables du fanatisme de leurs enfants.

On mit des soldats à discrétion chez tous ceux qui n'avaient pu détourner leurs enfants de ce dangereux métier, et on les condamna à des peines arbitraires. Aussi tout retentissait des plaintes et des clameurs de ces pères infortunés. La violence fut portée si loin que pour s'en délivrer, il y eut plusieurs personnes qui dénoncèrent elles-mêmes leurs enfants, ou les livrèrent aux intendants et aux magistrats, en leur disant : « Les voilà, nous nous en déchargeons, faites-leur passer vous-mêmes, s'il est possible, l'envie de prophétiser. »

Vains efforts ! On enchaînait, on torturait le corps, mais l'Esprit restait libre, et les prophètes se multipliaient. En novembre, on en enleva plus de deux cents des Cévennes, « que l'on condamna à servir le roi, les uns dans ses armées, les autres sur les galères » (Court de Gébelin). Il y eut des exécutions capitales qui n'épargnèrent pas même les femmes. On pendit à Montpellier une prophétesse du Vivarais, parce qu'il sortait de son nez et de ses yeux du sang, qu'elle appelait des larmes de sang, qu'elle pleurait sur les infortunes de ses coreligionnaires, sur les crimes de Rome, et des papistes…

Une sourde irritation, un flot de colère longtemps contenue grondait depuis longtemps dans toutes les poitrines, au bout de ces vingt années d'intolérables iniquités. La patience des victimes ne lassait pas la fureur des bourreaux. On songea enfin à repousser la force par la force…

C'était sans doute, dit Brueys, un spectacle bien extraordinaire et bien nouveau ; on voyait marcher des gens de guerre pour aller combattre de petites armées de prophètes » (t. I, p. 156).

Spectacle étrange, en effet, car les plus dangereux parmi ces petits prophètes se défendaient à coups de pierres, réfugiés sur des hauteurs inaccessibles. Mais le plus souvent ils n'essayaient même pas de disputer leur vie. Lorsque les troupes s'avançaient pour les attaquer, ils marchaient hardiment contre elles, en poussant de grands cris : « Tartara ! tartara ! Arrière Satan ! » Ils croyaient, disait-on, que ce mot, tartara, devait, comme un exorcisme, mettre leurs ennemis en fuite, qu'eux-mêmes étaient invulnérables, ou qu'ils ressusciteraient au bout de trois jours, s'ils venaient à succomber dans la mêlée. Leurs illusions ne furent pas de longue durée sur ces divers points, et bientôt ils opposèrent aux catholiques des armes plus efficaces.

Dans deux rencontres, sur la montagne de Chailaret, et non loin de Saint-Genieys, on en tua quelques centaines, on en prit un bon nombre et le reste parut se disperser. Bâville jugeait les captifs, en faisait pendre quelques-uns, envoyait le reste aux galères ; et comme rien de tout cela ne paraissait décourager les réformés, on continua à rechercher les assemblées du désert, à égorger sans pitié ceux qui s'y rendaient, sans que ceux-ci songeassent encore à opposer une sérieuse résistance à leurs bourreaux. D'après la déposition d'une prophétesse nommée Isabeau Charras, consignée dans le Théâtre sacré des Cévennes, ces malheureux martyrs volontaires s'y rendaient, avertis d'avance par les révélations des extatiques, du sort qui les attendait ; on y lit :

Le nommé Jean Héraut, de notre voisinage, et quatre ou cinq de ses enfants avec lui, avaient des inspirations. Les deux plus jeunes étaient âgés, l'un de sept ans, l'autre de cinq ans et demi, quand ils reçurent le don ; je les ai vus bien des fois dans leurs extases. Un autre de nos voisins, nommé Marliant, avait aussi deux fils et trois filles dans le même état. L'aînée était mariée. Étant enceinte d'environ huit mois, elle alla dans une assemblée, en compagnie de ses frères et sœurs, et ayant avec elle son petit garçon, âgé de sept ans. Elle y fut massacrée avec son dit enfant, un de ses frères et une de ses sœurs. Celui de ses frères qui ne fut pas tué, fut blessé, mais il en guérit : et la plus jeune des sœurs fut laissée pour morte sous les corps massacrés, sans avoir été blessée. L'autre sœur fut rapportée, encore vivante, chez son père, mais elle mourut de ses blessures quelques jours après. Je n'étais pas dans l'assemblée, mais j'ai vu le spectacle de ces morts et de ces blessés. »

Ce qu'il y a de plus notable, c'est que tous ces martyrs avaient été avertis par l'Esprit de ce qui devait leur arriver. Ils l'avaient dit à leur père en prenant congé de lui et en lui demandant sa bénédiction, le soir même qu'ils sortirent de la maison pour se trouver dans l'assemblée qui devait se faire la nuit suivante. Quand le père vit tous ces lamentables objets, il ne succomba pas à sa douleur, mais, au contraire, il dit avec une pieuse résignation : « Le Seigneur l'a donné, le Seigneur l'a ôté, que le nom du Seigneur soit béni ! » C'est du frère du gendre, des deux enfants blessés et de toute la famille que j'ai appris que tout cela avait été prédit. »

Eugène Bonnemère.



Allan Kardec


[1] 1 vol. in-12, 3 fr. 50 ; par la poste, 4 fr. Paris, chez Décembre-Alonnier, lib.






Mars

La chair est faible

Etude physiologique et morale

Il y a des penchants vicieux qui sont évidemment inhérents à l'Esprit, parce qu'ils tiennent plus au moral qu'au physique ; d'autres semblent plutôt la conséquence de l'organisme, et, par ce motif, on s'en croit moins responsable ; telles sont les prédispositions à la colère, à la mollesse, à la sensualité, etc.

Il est parfaitement reconnu aujourd'hui, par les philosophes spiritualistes, que les organes cérébraux correspondant aux diverses aptitudes, doivent leur développement à l'activité de l'Esprit ; que ce développement est ainsi un effet et non une cause. Un homme n'est pas musicien, parce qu'il a la bosse de la musique, mais il n'a la bosse de la musique que parce que son Esprit est musicien (Revue, de juillet 1860, page 198, et avril 1862, page 97.)

Si l'activité de l'Esprit réagit sur le cerveau, elle doit réagir également sur les autres parties de l'organisme. L'Esprit est ainsi l'artisan de son propre corps, qu'il façonne, pour ainsi dire, afin de l'approprier à ses besoins et à la manifestation de ses tendances. Cela étant donné, la perfection du corps chez les races avancées serait le résultat du travail de l'Esprit qui perfectionne son outillage à mesure que ses facultés augmentent. (Genèse selon le Spiritisme, chap. XI ; Genèse spirituelle.)

Par une conséquence naturelle de ce principe, les dispositions morales de l'Esprit doivent modifier les qualités du sang, lui donner plus ou moins d'activité, provoquer une sécrétion plus ou moins abondante de bile ou autres fluides. C'est ainsi, par exemple, que le gourmand se sent venir la salive, ou, comme on le dit vulgairement, l'eau à la bouche à la vue d'un mets appétissant. Ce n'est pas le mets qui peut surexciter l'organe du goût, puisqu'il n'y a pas contact ; c'est donc l'Esprit dont la sensualité est éveillée, qui agit par la pensée sur cet organe, tandis que, sur un autre Esprit, la vue de ce mets ne produit rien. Il en est de même de toutes les convoitises, de tous les désirs provoqués par la vue. La diversité des émotions ne peut s'expliquer, dans une foule de cas, que par la diversité des qualités de l'Esprit. Telle est la raison pour laquelle une personne sensible verse facilement des larmes ; ce n'est pas l'abondance des larmes qui donne la sensibilité à l'Esprit, mais la sensibilité de l'Esprit qui provoque la sécrétion abondante des larmes. Sous l'empire de la sensibilité, l'organisme s'est modelé sur cette disposition normale de l'Esprit, comme il s'est modelé sur celle de l'Esprit gourmand.

En suivant cet ordre d'idées, on comprend qu'un Esprit irascible doit pousser au tempérament bilieux ; d'où il suit qu'un homme n'est pas colère parce qu'il est bilieux, mais qu'il est bilieux, parce qu'il est colère. Ainsi en est-il de toutes les autres dispositions instinctives ; un Esprit mou et indolent laissera son organisme dans un état d'atonie en rapport avec son caractère, tandis que s'il est actif et énergique, il donnera à son sang, à ses nerfs des qualités toutes différentes. L'action de l'Esprit sur le physique est tellement évidente, qu'on voit souvent de graves désordres organiques se produire par l'effet de violentes commotions morales. L'expression vulgaire : L'émotion lui a tourné le sang, n'est pas aussi dénuée de sens qu'on pourrait le croire ; or, qui a pu tourner le sang, sinon les dispositions morales de l'Esprit ?

Cet effet est surtout sensible dans les grandes douleurs, les grandes joies et les grandes frayeurs, dont la réaction peut aller jusqu'à causer la mort. On voit des gens qui meurent de la peur de mourir ; or, quel rapport existe-t-il entre le corps de l'individu et l'objet qui cause sa frayeur, objet qui, souvent, n'a aucune réalité ? C'est, dit-on, l'effet de l'imagination ; soit ; mais qu'est-ce que l'imagination, sinon un attribut, un mode de sensibilité de l'Esprit ? Il paraît difficile d'attribuer l'imagination aux muscles et aux nerfs, car alors on ne s'expliquerait pas pourquoi ces muscles et ces nerfs n'ont pas toujours de l'imagination ; pourquoi ils n'en ont plus après la mort ; pourquoi ce qui cause chez les uns une frayeur mortelle, surexcite le courage chez d'autres.

De quelque subtilité que l'on use pour expliquer les phénomènes moraux par les seules propriétés de la matière, on tombe inévitablement dans une impasse, au fond de laquelle on aperçoit, dans toute son évidence, et comme seule solution possible, l'être spirituel indépendant, pour qui l'organisme n'est qu'un moyen de manifestation, comme le piano est l'instrument des manifestations de la pensée du musicien. De même que le musicien accorde son piano, on peut dire que l'Esprit accorde son corps pour le mettre au diapason de ses dispositions morales.

Il est vraiment curieux de voir le matérialisme parler sans cesse de la nécessité de relever la dignité de l'homme, alors qu'il s'efforce de le réduire à un morceau de chair qui se pourrit et disparaît sans laisser aucun vestige ; de revendiquer pour lui la liberté comme un droit naturel, alors qu'il en fait une mécanique marchant comme un tournebroche, sans responsabilité de ses actes.

Avec l'être spirituel indépendant, préexistant et survivant au corps, la responsabilité est absolue ; or, pour le plus grand nombre, le premier, le principal mobile de la croyance au néantisme, c'est l'effroi que cause cette responsabilité, en dehors de la loi humaine, et à laquelle on croit échapper en se bouchant les yeux. Jusqu'à ce jour cette responsabilité n'avait rien de bien défini ; ce n'était qu'une crainte vague, fondée, il faut bien le reconnaître, sur des croyances qui n'étaient pas toujours admissibles par la raison ; le Spiritisme la démontre comme une réalité patente, effective, sans restriction, comme une conséquence naturelle de la spiritualité de l'être ; c'est pourquoi certaines gens ont peur du Spiritisme qui les troublerait dans leur quiétude, en dressant devant eux le redoutable tribunal de l'avenir. Prouver que l'homme est responsable de tous ses actes, c'est prouver sa liberté, d'action, et prouver sa liberté, c'est relever sa dignité. La perspective de la responsabilité en dehors de la loi humaine est le plus puissant élément moralisateur : c'est le but auquel conduit le Spiritisme par la force des choses.

D'après les observations physiologiques qui précèdent, on peut donc admettre que le tempérament est, au moins en partie, déterminé par la nature de l'Esprit, qui est cause et non effet. Nous disons en partie, parce qu'il est des cas où le physique influe évidemment sur le moral : c'est lorsqu'un état morbide ou anormal est déterminé par une cause externe, accidentelle, indépendante de l'Esprit, comme la température, le climat, les vices héréditaires de constitution, un malaise passager, etc. Le moral de l'Esprit peut alors être affecté dans ses manifestations par l'état pathologique, sans que sa nature intrinsèque soit modifiée.

S'excuser de ses méfaits sur la faiblesse de la chair n'est donc qu'un faux-fuyant pour échapper à la responsabilité. La chair n'est faible que parce que l'Esprit est faible, ce qui renverse la question, et laisse à l'Esprit la responsabilité de tous ses actes. La chair, qui n'a ni pensée ni volonté, ne prévaut jamais sur l'Esprit qui est l'être pensant et voulant ; c'est l'Esprit qui donne à la chair les qualités correspondantes à ses instincts, comme un artiste imprime à son œuvre matérielle le cachet de son génie. L'Esprit affranchi des instincts de la bestialité se façonne un corps qui n'est plus un tyran pour ses aspirations vers la spiritualité de son être ; c'est alors que l'homme mange pour vivre, parce que vivre est une nécessité, mais ne vit plus pour manger.

La responsabilité morale des actes de la vie reste donc entière ; mais la raison dit que les conséquences de cette responsabilité doivent être en raison du développement intellectuel de l'Esprit ; plus il est éclairé, moins il est excusable, parce qu'avec l'intelligence et le sens moral, naissent les notions du bien et du mal, du juste et de l'injuste. Le sauvage, encore voisin de l'animalité, qui cède à l'instinct de la brute en mangeant son semblable, est, sans contredit, moins coupable que l'homme civilisé qui commet une simple injustice.

Cette loi trouve encore son application dans la médecine, et donne la raison de l'insuccès de celle-ci dans certains cas. Dès lors que le tempérament est un effet et non une cause, les efforts tentés pour le modifier peuvent être paralysés par les dispositions morales de l'Esprit qui oppose une résistance inconsciente et neutralise l'action thérapeutique. C'est donc sur la cause première qu'il faut agir ; si l'on parvient à changer les dispositions morales de l'Esprit, le tempérament se modifiera de lui-même sous l'empire d'une volonté différente, ou, tout au moins, l'action du traitement médical sera secondée au lieu d'être contrecarrée. Donnez, si c'est possible, du courage au poltron, et vous verrez cesser les effets physiologiques de la peur ; il en est de même des autres dispositions.

Mais, dira-t-on, le médecin du corps peut-il se faire le médecin de l'âme ? Est-il dans ses attributions de se faire le moralisateur de ses malades ? Oui, sans doute, dans une certaine limite ; c'est même un devoir qu'un bon médecin ne néglige jamais, dès l'instant qu'il voit dans l'état de l'âme un obstacle au rétablissement de la santé du corps ; l'essentiel est d'appliquer le remède moral avec tact, prudence et à propos, selon les circonstances. A ce point de vue, son action est forcément circonscrite, car, outre qu'il n'a sur son malade qu'un ascendant moral, une transformation du caractère est difficile à un certain âge ; c'est donc à l'éducation, et surtout à l'éducation première, qu'incombent les soins de cette nature. Quand l'éducation sera, dès le berceau, dirigée dans ce sens ; quand on s'attachera à étouffer, dans leur germe, les imperfections morales, comme on le fait pour les imperfections physiques, le médecin ne trouvera plus, dans le tempérament, un obstacle contre lequel sa science est trop souvent impuissante.

C'est, comme on le voit, toute une étude ; mais une étude complètement stérile tant qu'on ne tiendra pas compte de l'action de l'élément spirituel sur l'organisme. Participation incessamment active de l'élément spirituel dans les phénomènes de la vie, telle est la clef de la plupart des problèmes contre lesquels se heurte la science ; quand la science fera entrer en ligne de compte l'action de ce principe, elle verra s'ouvrir devant elle des horizons tout nouveaux. C'est la démonstration de cette vérité qu'apporte le Spiritisme.

Apôtres du Spiritisme en Espagne

Ciudad‑Real, février 1869

A Monsieur Allan Kardec.

Cher Monsieur,

Les Spirites qui composaient le cercle de la ville d'Andujar, aujourd'hui disséminés par la volonté de Dieu pour la propagation de la véritable doctrine, vous saluent fraternellement.

Infimes par le talent, grands par la foi, nous nous proposons de soutenir, tant par la presse que par la parole, tant en public qu'en particulier, la doctrine spirite, parce que c'est celle-là même que Jésus a prêchée, lorsqu'il est venu sur la terre pour la rédemption de l'humanité.

La doctrine spirite, appelée à combattre le matérialisme, à faire prévaloir la divine parole, afin que l'esprit de l'Évangile ne soit plus tronqué par personne, à préparer le chemin de l'égalité et de la fraternité, a besoin aujourd'hui, en Espagne, d'apôtres et de martyrs. Si nous ne pouvons être des premiers, nous serons des derniers : nous sommes prêts pour le sacrifice.

Nous lutterons seuls ou ensemble, avec ceux qui professent notre doctrine. Les temps sont arrivés ; ne perdons pas, par indécision ou par peur, la récompense qui est réservée à ceux qui souffrent et sont persécutés pour la justice.

Notre groupe était composé de six personnes, sous la direction spirituelle de l'Esprit de Fénelon. Notre médium était Francisco Perez Blanca, et les autres : Pobla Medina, Luis Gonzalez, Francisco Marti, José Gonzalez et Manuel Gonzalez.

Après avoir répandu la semence à Andujar, nous sommes aujourd'hui dans différentes villes : Léon, Séville, Salamanca, etc., où chacun de nous travaille à la propagation de la doctrine, ce que nous considérons comme notre mission.

Suivant les conseils de Fénelon, nous allons publier un journal spirite ; désirant l'illustrer d'extraits tirés des œuvres que vous avez publiées, nous vous prions de nous en accorder la permission. Nous serions en outre très heureux de votre bienveillante coopération, et à cette fin, nous mettons à votre disposition les colonnes de notre journal.

Vous remerciant à l'avance, nous vous prions de saluer en notre nom nos frères de la Société de Paris ;

Et vous, cher Monsieur, recevez la fraternelle accolade de vos frères. Pour tous.

Manuel Gonzalez Soriano.

Nous avons eu déjà maintes fois l'occasion de dire que l'Espagne comptait de nombreux adeptes, sincères, dévoués et éclairés ; ici, c'est plus que du dévouement, c'est de l'abnégation ; non une abnégation irréfléchie, mais calme, froide, comme celle du soldat qui marche au combat en se disant : Quoi qu'il m'en coûte, je ferai mon devoir. Ce n'est pas ce courage qui flamboie comme un feu de paille et s'éteint à la première alerte ; qui, avant d'agir, calcule soigneusement ce qu'il peut perdre ou gagner, c'est le dévouement de celui qui met l'intérêt de tous avant l'intérêt personnel.

Que serait-il advenu des grandes idées qui ont fait avancer le monde, si elles n'avaient trouvé que des défenseurs égoïstes, dévoués en paroles tant qu'il n'y avait rien à craindre et rien à perdre, mais fléchissant devant un regard de travers et la peur de compromettre quelques parcelles de leur bien-être ? Les sciences, les arts, l'industrie, le patriotisme, les religions, les philosophies ont eu leurs apôtres et leurs martyrs. Le Spiritisme aussi est une grande idée régénératrice ; il naît à peine ; il n'est pas encore complet, et déjà il trouve des cœurs dévoués jusqu'à l'abnégation, jusqu'au sacrifice ; dévouements souvent obscurs, ne cherchant ni la, gloire ni l'éclat, mais qui, pour agir dans une petite sphère, n'en sont que plus méritoires, parce qu'ils sont plus désintéressés moralement.

Cependant, dans toutes les causes, les dévouements au grand jour sont nécessaires, parce qu'ils électrisent les masses, Le temps n'est pas éloigné, cela est certain, où le Spiritisme aura aussi ses grands défenseurs qui, bravant les sarcasmes, les préjugés et la persécution, en arboreront le drapeau avec la fermeté que donne la conscience de faire une chose utile ; ils l'appuieront de l'autorité de leur nom et de leur talent, et leur exemple entraînera la foule des timides qui se tiennent encore prudemment à l'écart.

Nos frères d'Espagne ouvrent la marche ; ils ceignent leurs reins, et s'apprêtent à la lutte ; qu'ils reçoivent nos félicitations et celles de leurs frères en croyance de tous les pays, car entre les Spirites il n'y a pas de distinction de nationalités. Leurs noms seront inscrits avec honneur à côté des courageux pionniers auxquels la postérité devra un tribut de reconnaissance pour avoir, des premiers, payé de leur personne, et contribué à l'érection de l'édifice.

Est-ce à dire que le dévouement consiste à prendre le bâton de voyage pour aller prêcher de par le monde à tout venant ? Non, certes ; en quelque lieu que l'on soit on peut être utile. Le véritable dévouement consiste à savoir tirer le meilleur parti de sa position, en mettant au service de la cause, le plus utilement possible et avec discernement, les forces physiques et morales que la Providence a départies à chacun.

La dispersion de ces messieurs n'est pas le fait de leur volonté ; réunis d'abord par la nature de leurs fonctions, ces mêmes foncions les ont appelés sur différents points de l'Espagne. Loin de se décourager de cet isolement, ils ont compris que, tout en restant unis de pensée et d'action, ils allaient pouvoir planter le drapeau en plusieurs centres, et qu'ainsi leur séparation tournerait au profit de la vulgarisation de l'idée.

Ainsi en a-t-il été d'un régiment français dont un certain nombre d'officiers avaient formé entre eux un des groupes les plus sérieux et les mieux organisés que nous ayons vus. Animés d'un zèle éclairé et d'un dévouement à l'épreuve, leur but était d'abord de s'instruire à fond des principes de la doctrine, puis de s'exercer à la parole en s'imposant l'obligation de traiter, à tour de rôle, une question, afin de se familiariser avec la controverse. Hors de leur cercle, ils prêchaient de parole et d'exemple, mais avec prudence et modération ; ne cherchant point à faire de la propagande à tout prix, ils la faisaient plus fructueuse. Le régiment ayant changé de résidence fut réparti entre plusieurs villes ; le groupe fut ainsi dispersé matériellement, mais toujours unis d'intentions, ils poursuivent leur œuvre sur des points différents.

Le Spiritisme partout

Extrait de journaux anglais

Un de nos correspondants de Londres nous transmet la notice suivante :

« Le journal anglais The Builder (le Constructeur), organe des architectes, très estimé pour son caractère pratique et la rectitude de son jugement, a traité incidemment, à plusieurs reprises, des questions touchant au Spiritisme ; dans ces articles il est même question des manifestations de nos jours, dont l'auteur donne une appréciation à son point de vue.

Il a été aussi question du Spiritisme dans quelques-unes des dernières notices de la Revue anthropologique de Londres ; on y déclare que le fait de l'intervention ostensible des Esprits, dans certains phénomènes, est trop bien avéré pour être révoqué en doute. On y parle de l'enveloppe corporelle de l'homme comme d'un grossier vêtement approprié à son état actuel que l'on regarde comme le plus bas échelon du règne hominal ; ce règne, bien que le couronnement de l'animalité de la planète, n'est qu'une ébauche du corps glorieux, léger, purifié et lumineux que l'âme doit revêtir dans l'avenir, à mesure que la race humaine se développe et se perfectionne.

Ce n'est pas encore, ajoute notre correspondant, la doctrine homogène et cohérente de l'école spirite française, mais cela s'en rapproche beaucoup et m'a paru intéressant comme indice du mouvement des idées dans le sens spirite de ce côté du détroit. Mais on y manque de direction ; on flotte à l'aventure dans ce monde nouveau qui s'ouvre devant l'humanité, et il n'est pas étonnant qu'on s'y égare, faute de guide. Il n'est pas douteux que, si les ouvrages de la doctrine étaient traduits en anglais, ils y rallieraient de nombreux partisans en fixant les idées encore incertaines.

A. Blackwell. »



Charles Fourier

Dans un ouvrage intitulé : Charles Fourier, sa vie et ses œuvres, par Pellarin, on trouve une lettre de Fourier à M. Muiron, en date du 3 décembre 1826, par laquelle il prévoit les phénomènes futurs du Spiritisme.

Elle est ainsi conçue :

« Il paraît que MM. C. et P. ont renoncé à leur travail sur le magnétisme. Je gagerais qu'ils ne font pas valoir l'argument fondamental : c'est que, si tout est lié dans l'univers, il doit exister des moyens de communication entre les créatures de l'autre monde et celles-ci ; je veux dire : communication de facultés, participation temporaire et accidentelle des facultés des ultra-mondains ou défunts, et non pas communication avec eux. Cette participation ne peut pas avoir lieu dans l'état de veille, mais seulement dans un état mixte, comme le sommeil ou autre. Les magnétiseurs ont-ils trouvé cet état ? Je l'ignore ? mais, en principe, je sais qu'il doit exister. »

Fourier écrivait ceci en 1826, à propos des phénomènes somnambuliques ; il ne pouvait avoir aucune idée des moyens de communication directe découverts vingt-cinq ans plus tard, et n'en concevait la possibilité que dans un état de dégagement, rapprochant en quelque sorte les deux mondes ; mais il n'en avait pas moins la conviction du fait principal, celui de l'existence de ces rapports.

Sa croyance sur un autre point capital, celui de la réincarnation sur la terre, est encore plus précise quand il dit : Tel mauvais riche pourra revenir mendier à la porte du château dont il a été le propriétaire. C'est le principe de l'expiation terrestre dans les existences successives, en tout pareil à ce qu'enseigne le Spiritisme d'après les exemples fournis par ces mêmes rapports entre le monde visible et le monde invisible. Grâce à ces rapports, ce principe de justice, qui n'existait dans la pensée de Fourier qu'à l'état de théorie ou de probabilité, est devenu une vérité patente.


Profession de foi d'un fouriériste.

Le passage suivant est extrait d'un ouvrage nouveau intitulé :Lettres à mon frère sur mes croyances religieuses, par Math. Briancourt[1].

« Je crois en un seul Dieu tout-puissant, juste et bon, ayant pour corps la lumière, pour membres la totalité des astres ordonnés en séries hiérarchiques. ‑ Je crois que Dieu assigne à tous ses membres, grands et petits, une fonction à remplir dans le développement de la vie universelle qui est sa vie, réservant l'intelligence pour ceux de ses membres qu'il s'associe dans le gouvernement du monde. ‑ Je crois que les êtres intelligents du dernier degré, les humanités, ont pour tâche la gestion des astres qu'ils habitent et sur lesquels ils ont mission de faire régner l'ordre, la paix et la justice. ‑ Je crois que les créatures remplissent leurs fonctions en satisfaisant leurs besoins, que Dieu proportionne exactement aux exigences des fonctions ; et, comme dans sa bonté, il attache le plaisir à la satisfaction des besoins, je crois que toute créature, accomplissant sa tâche, est aussi heureuse que le comporte sa nature, et que ses souffrances sont d'autant plus vives, qu'elle s'écarte davantage de l'accomplissement de cette tâche. ‑ Je crois que l'humanité terrestre aura bientôt acquis les connaissances et le matériel qui lui sont indispensables pour remplir sa haute fonction, et qu'en conséquence, le jour du bonheur général ici-bas ne tardera pas longtemps à se lever. ‑ Je crois que l'intelligence des êtres raisonnables dispose de deux corps : l'un formé de substances visibles pour nos yeux ; l'autre de natures plus subtiles et invisibles nommées arômes. ‑ Je crois qu'à la mort de leur corps visible, ces êtres continuent à vivre dans le monde aromal, où ils trouvent la rémunération exacte de leurs œuvres bonnes ou mauvaises ; puis, qu'après un temps plus ou moins long, ils reprennent un corps matériel pour l'abandonner encore à la décomposition, et ainsi de suite. ‑ Je crois que les intelligences qui s'agrandissent en remplissant exactement leurs fonctions, vont animer des êtres du plus en plus élevés dans la divine hiérarchie, jusqu'à ce qu'elles rentrent, à la fin des temps, dans le sein de Dieu d'où elles sont sorties, qu'elles s'unissent à son intelligence et partagent sa vie aromale. »

Avec une telle profession de foi, on comprend que fouriéristes et spirites puissent se donner la main.

[1] 1 vol. in-18. Libr. des sciences sociales.



Variétés

Mademoiselle de Chilly

On lit dans la Petite Presse du 11 février 1869 :

« M. de Chilly, le sympathique directeur de l'Odéon, si cruellement éprouvé par la mort presque foudroyante de sa fille unique, est menacé d'une nouvelle douleur. Sa nièce, Mademoiselle Artus, fille de l'ancien chef d'orchestre de l'Ambigu-Comique, est en ce moment pour ainsi dire aux portes du tombeau. A ce propos, le Figaro rapporte cette triste et touchante histoire :

Mademoiselle de Chilly mourante donna une petite bague à cette cousine dont la vie est aujourd'hui si cruellement menacée, et lui dit : ‑ Prends-la, tu me la rapporteras !

Ces mots ont-ils frappé l'imagination de la pauvre enfant ? Etaient-ils l'expression de cette double vue attribuée à la mort ? Toujours est-il que, quelques jours après les funérailles de Mademoiselle de Chilly, sa jeune cousine tombait malade.

Ce que le Figaro ne dit pas, c'est qu'à ses derniers moments, la pauvre morte, qui se cramponnait à la vie avec toute l'énergie de ses dix-huit belles années, criait de son lit de douleur à sa cousine fondant en larmes dans un coin de la chambre, théâtre de son agonie : ‑ Non je ne veux pas mourir ! je ne veux pas m'en aller seule ! tu viendras avec moi ! je t'attends ! je t'attends ! tu ne te marieras pas ! Quel spectacle et quelles angoisses pour cette infortunée Mademoiselle Artus, dont, en effet, les fiançailles se préparaient au moment même où Mademoiselle de Chilly s'alitait pour ne plus se relever ! »

Oui, certainement, ces paroles sont l'expression de cette double vue attribuée à la mort, et dont les exemples ne sont pas rares. Que de personnes ont eu des pressentiments de ce genre avant de mourir ! Dira-t-on qu'elles jouent la comédie ? Que les néantistes expliquent ces phénomènes s'ils le peuvent ! Si l'intelligence n'était qu'une propriété de la matière, et devait s'éteindre avec celle-ci, comment expliquer la recrudescence d'activité de cette même intelligence, les facultés nouvelles, transcendantes parfois, qui se manifestent si souvent au moment même où l'organisme se dissout, où le dernier soupir va s'exhaler ? Cela ne prouve-t-il pas que quelque chose survit au corps ? On l'a dit cent fois : l'âme indépendante se révèle à chaque instant sous mille formes et dans des conditions tellement évidentes, qu'il faut fermer volontairement les yeux pour ne pas la voir.

Apparition d'un fils vivant à sa mère

Le fait suivant est rapporté par un journal de médecine de Londres, et reproduit par le Journal de Rouen, du 22 décembre 1868 :

« La semaine dernière, M. Samuel W…, un des principaux employés de la Banque, dut quitter de bonne heure une soirée à laquelle il avait été invité avec sa femme, parce qu'il se trouva fort indisposé. Il rentra chez lui avec une fièvre de cheval. On envoya chercher le médecin ; celui-ci avait été appelé dans une ville des environs, et il ne devait rentrer que fort tard dans la nuit.

Madame Samuel se décida à attendre le médecin au chevet de son mari. Bien qu'en proie à une fièvre ardente, le malade dormait tranquillement. Madame Samuel, un peu tranquillisée, voyant que son mari ne souffrait pas, ne lutta pas contre le sommeil et elle s'endormit à son tour.

Vers trois heures, elle entendit résonner la sonnette de la porte d'entrée, côté des maîtres et des visites. Elle quitta avec précipitation son fauteuil, prit un bougeoir et descendit au salon.

Là, elle s'attendait à voir entrer le médecin. La porte du salon s'ouvrit, mais à la place du docteur elle vit entrer son fils Edouard, un garçon de douze ans, qui est dans un collège près de Windsor. Il était très pâle et avait la tête entourée d'un large bandeau blanc.

‑ Tu attendais le médecin pour papa, n'est-ce pas ? fit-il en embrassant sa mère. Mais papa va mieux, ce n'est rien même ; il se lèvera demain. C'est moi qui ai besoin d'un bon médecin. Tâche de l'appeler tout de suite, car celui du collège n'y entend pas grand-chose…

Saisie, effrayée, Madame Samuel eut la force de sonner. La femme de chambre arriva. Elle trouva sa maîtresse au milieu du salon, immobile, le bougeoir à la main. Le bruit de sa voix réveilla Madame Samuel. Elle avait été le jouet d'une vision, d'un rêve, appelons-le comme nous voudrons. Elle se rappelait tout et répéta à sa camériste ce qu'elle avait cru entendre. Puis elle s'écria en pleurant : « Un malheur a dû arriver à mon fils ! »

« Le médecin tant attendu arriva. Il examina M. Samuel. La fièvre avait presque disparu ; il affirma que cela n'avait été qu'une simple fièvre nerveuse, qui suit son cours et finit en quelques heures.

La mère, après ces paroles rassurantes, narra au docteur ce qui lui était arrivé une heure avant. L'homme de l'art ‑ par incrédulité, ou par envie d'aller se reposer peut-être ‑ conseilla à Madame Samuel de n'attacher aucune importance à ces fantômes. Il dut cependant céder aux prières, aux angoisses de la mère et l'accompagner à Windsor.

Au point du jour, ils arrivèrent au collège. Madame Samuel demanda des nouvelles de son fils ; on lui répondit qu'il était à l'infirmerie depuis la veille. Le cœur de la pauvre mère se serra ; le docteur devint soucieux.

Bref, on visita l'enfant. Il s'était fait une large blessure au front en jouant dans le jardin. On lui avait donné les premiers soins, seulement on l'avait mal pansé. La blessure n'avait rien de dangereux pourtant.

Voici le fait dans tous ses détails ; nous le tenons de personnes dignes de foi. Double vue ou rêve, on doit toujours le considérer comme un fait peu ordinaire. »

Comme on le voit, l'idée de la double vue gagne du terrain ; elle s'accrédite en dehors du Spiritisme, comme la pluralité des existences, le périsprit, etc. ; tant il est vrai que le Spiritisme arrive par mille chemins, et s'implante sous toutes sortes de formes, par les soins mêmes de ceux qui n'en veulent pas.

La possibilité du fait ci-dessus est évidente, et il serait superflu de la discuter. Est-ce un rêve ou un effet de double vue ? Madame Samuel dormait, et à son réveil elle se rappelle ce qu'elle a vu ; c'était donc un rêve ; mais un rêve qui apporte l'image d'une actualité aussi précise, et qui est vérifiée presque immédiatement, n'est pas un produit de l'imagination : c'est une vision bien réelle. Il y a en même temps double vue, ou vue spirituelle, car il est bien certain que ce n'est pas avec les yeux du corps que la mère a vu son fils. Il y a eu de part et d'autre dégagement de l'âme ; est-ce l'âme de la mère qui est allée vers le fils, ou celle du fils qui est venue vers la mère ? Les circonstances rendent ce dernier cas le plus probable, car dans l'autre hypothèse la mère aurait vu son fils à l'infirmerie.

Quelqu'un qui ne connaît que très superficiellement le Spiritisme, mais admet parfaitement la possibilité de certaines manifestations, nous demandait à ce sujet comment le fils, qui était dans son lit, avait pu se présenter à sa mère avec ses habits. « Je conçois, disait-il, l'apparition par le fait du dégagement de l'âme ; mais je ne comprendrais pas que des objets purement matériels, comme des vêtements, aient la propriété de transporter au loin une partie quintessenciée de leur substance, ce qui supposerait une volonté. »

Aussi, lui répondîmes-nous, les habits, aussi bien que le corps matériel du jeune homme, sont restés à leur place. Après une courte explication sur le phénomène des créations fluidiques, nous ajoutâmes : L'Esprit du jeune homme s'est présenté chez sa mère avec son corps fluidique ou périsprital. Sans avoir eu le dessein prémédité de se vêtir de ses habits, sans s'être fait ce raisonnement : « Mes habits d'étoffe sont là ; je ne puis les revêtir ; il faut donc me fabriquer des habits fluidiques qui en auront l'apparence, » il lui a suffi de penser à son costume habituel, à celui qu'il aurait pris dans les circonstances ordinaires, pour que cette pensée donnât à son périsprit les apparences de ce même costume ; par la même raison, il aurait pu se présenter en costume de lit, si telle eût été sa pensée. Cette apparence était devenue pour lui-même une sorte de réalité ; il n'avait qu'une conscience imparfaite de son état fluidique, et, de même que certains Esprits se croient encore de ce monde, il croyait venir chez sa mère en chair et en os, puisqu'il l'embrasse comme d'habitude.

Les formes extérieures que revêtent les Esprits qui se rendent visibles sont donc de véritables créations fluidiques, souvent inconscientes ; le costume, les signes particuliers, les blessures, les défectuosités du corps, les objets dont ils font usage, sont le reflet de leur propre pensée dans l'enveloppe périspritale.

‑ Mais alors, dit notre interlocuteur, c'est tout un ordre d'idées nouvelles ; il y a là tout un monde, et ce monde est au milieu de nous ; bien des choses s'expliquent ; les rapports entre les morts et les vivants se comprennent. ‑ Sans aucun doute, et c'est à la connaissance de ce monde, qui nous intéresse à tant de titres, que conduit le Spiritisme. Ce monde se révèle par une multitude de faits que l'on néglige faute d'en comprendre la cause.

Un testament aux États-Unis


« Dans l'Etat du Maine aux Etats-Unis, une dame demandait la nullité d'un testament de sa mère. Elle disait que, membre d'une société spirite, sa mère avait écrit ses dernières volontés sous la dictée d'une table tournante.

Le juge déclara que la loi ne prohibait pas les consultations des tables tournantes, et les clauses du testament furent maintenues. »

Nous n'en sommes pas encore là en Europe ; aussi le journal français qui rapporte ce fait, le fait-il précéder de cette exclamation : Sont-ils forts, ces Américains ! Traduisez : Sont-ils niais !

Quoi qu'en pense l'auteur de cette réflexion critique, ces Américains pourront bien en remontrer, sur certains points, à la vieille Europe, si celle-ci se traîne encore longtemps dans l'ornière des vieux préjugés. Le mouvement progressif de l'humanité est parti de l'Orient et s'est peu à peu propagé vers l'Occident ; aurait-il déjà franchi l'Atlantique et planté son drapeau dans le nouveau continent, laissant l'Europe en arrière comme l'Europe a laissé l'Inde ? Est-ce une loi, et le cycle du progrès aurait-il déjà fait plusieurs fois le tour du monde ? Le fait suivant pourrait le faire supposer.

Emancipation des femmes aux Etats-Unis.

On écrit de Yankton, ville de Dokota (Etats-Unis), que la législature de ce territoire vient d'adopter à une grande majorité un bill de M. Enos Stutsman, qui accorde aux femmes le droit de suffrage et d'éligibilité. (Siècle, du 15 janvier 1869.)

Mercredi 29 juillet, madame Alexandrine Bris a subi devant la Faculté des sciences de Paris, un examen de baccalauréat ès sciences ; elle a été reçue avec quatre boules blanches, succès rare, qui lui a valu de la part du président des félicitations ratifiées par les acclamations de toute l'assistance.

Le Temps assure que madame Bris doit prendre ses inscriptions à la Faculté de médecine, en vue du doctorat. (Grand Moniteur, du 6 août 1868.)

On nous a dit que madame Bris est américaine. Nous connaissons deux demoiselles de New-York, sœurs de miss B…, membre de la Société spirite de Paris, qui ont le diplôme de docteur et exercent la médecine exclusivement pour les femmes et les enfants. Nous n'en sommes pas encore là.


Emancipation des femmes aux Etats-Unis.

On écrit de Yankton, ville de Dokota (Etats-Unis), que la législature de ce territoire vient d'adopter à une grande majorité un bill de M. Enos Stutsman, qui accorde aux femmes le droit de suffrage et d'éligibilité. (Siècle, du 15 janvier 1869.)

Mercredi 29 juillet, madame Alexandrine Bris a subi devant la Faculté des sciences de Paris, un examen de baccalauréat ès sciences ; elle a été reçue avec quatre boules blanches, succès rare, qui lui a valu de la part du président des félicitations ratifiées par les acclamations de toute l'assistance.

Le Temps assure que madame Bris doit prendre ses inscriptions à la Faculté de médecine, en vue du doctorat. (Grand Moniteur, du 6 août 1868.)

On nous a dit que madame Bris est américaine. Nous connaissons deux demoiselles de New-York, sœurs de miss B…, membre de la Société spirite de Paris, qui ont le diplôme de docteur et exercent la médecine exclusivement pour les femmes et les enfants. Nous n'en sommes pas encore là.

Miss Nichol, médium à apports



Ces jours derniers, l'hôtel des Deux-Mondes, de la rue d'Antin, a été le théâtre des séances surnaturelles données par la célèbre médium Nichol, en présence de quelques initiés seulement.

Madame Nichol se rend à Rome pour soumettre à l'examen du Saint-Père sa faculté extraordinaire, qui consiste à faire tomber des pluies de fleurs. ‑ C'est ce qu'on appelle un médium à apport, (Journal Paris, 15 janvier 1869.)

Madame Nichol est de Londres, où elle jouit d'une certaine réputation comme médium. Nous avons assisté à quelques-unes de ses expériences, dans une séance intime, il y a plus d'un an, et nous avouons qu'elles nous ont laissé beaucoup à désirer. Il est vrai que nous sommes passablement sceptique à l'endroit de certaines manifestations, et quelque peu exigeant sur les conditions dans lesquelles elles se produisent, non pas que nous mettions en doute la bonne foi de cette dame : nous disons seulement que ce que nous avons vu ne nous a pas paru de nature à convaincre les incrédules.

Nous lui souhaitons bonne chance auprès du Saint-Père ; elle n'aura certes pas de peine à le convaincre de la réalité des phénomènes qui sont aujourd'hui ouvertement avoués par le clergé (voir l'ouvrage intitulé : Des Esprits et de leurs rapports avec le monde visible, par l'abbé Triboulet)[1] ; mais nous doutons fort qu'elle parvienne à lui faire reconnaître officiellement que ce ne sont pas des œuvres du diable.

Rome est un pays malsain pour les médiums qui ne font pas des miracles selon l'Eglise ; on se rappelle qu'en 1864, M. Home, qui allait à Rome, non pour exercer sa faculté, mais uniquement pour étudier la sculpture, dut céder à l'injonction qui lui fut faite de quitter la ville dans les vingt-quatre heures. (Revue de février 1864, page 33.)






[1] 1 vol. in-8 ; 5 fr.




Les arbres hantés de l'île Maurice


Les dernières nouvelles que nous recevons de l'île Maurice constatent que l'état de cette malheureuse contrée suit exactement les phases annoncées (Revue de juillet 1867, page 208, et novembre 1868, page 321). Elles contiennent en outre un fait remarquable qui a fourni le sujet d'une importante instruction dans la Société de Paris.

« Les chaleurs de l'été, dit notre correspondant, ont ramené la terrible fièvre, plus fréquente, plus tenace que jamais. Ma maison est devenue une sorte d'hôpital, et je passe mon temps à me soigner ou à soigner mes proches. La mortalité n'est pas très grande, il est vrai, mais après les horribles souffrances que nous cause chaque accès, nous éprouvons une perturbation générale qui développe en nous de nouvelles maladies : les facultés s'altèrent peu à peu ; les sens, surtout l'ouïe et la vue, sont particulièrement affectés. Pourtant, nos bons Esprits, parfaitement d'accord dans leurs communications avec les vôtres, nous annoncent la fin prochaine de l'épidémie, mais la ruine et la décadence des riches, qui, du reste, commencent déjà.

Je profite du peu de temps que j'ai de disponible pour vous donner les détails que je vous ai promis sur les phénomènes dont ma maison a été le théâtre. Les personnes auxquelles elle appartenait avant moi, insouciantes et négligentes, selon l'usage du pays, l'avaient laissée tomber presque en ruine, et je fus obligé d'y faire de grandes réparations. Le jardin, métamorphosé en basse-cour, était rempli de ces grands arbres de l'Inde, nommés multipliants, dont les racines, sortant du haut des branches, descendent jusqu'au sol où elles s'implantent, et forment, tantôt des troncs énormes en se superposant les unes aux autres, tantôt des galeries assez étendues.

Ces arbres ont une assez mauvaise réputation dans ce pays, où ils passent pour être hantés par les mauvais Esprits. Sans égards pour leurs soi-disant mystérieux habitants, comme je ne les trouvais nullement de mon goût, et qu'ils encombraient inutilement le jardin, je les fis abattre. Dès ce moment, il nous devint presque impossible d'avoir un jour de repos dans la maison. Il fallait vraiment être spirite pour continuer à l'habiter. A chaque instant nous entendions des coups frappés de tous les côtés, des portes s'ouvrir et se fermer, des meubles remuer, des soupirs, des paroles confuses ; souvent aussi on entendait marcher dans les chambres vides. Les ouvriers, qui réparaient la maison, furent bien des fois dérangés par ces bruits étranges, mais comme c'était pendant le jour, ils ne s'en effrayaient pas beaucoup, car ces manifestations sont très fréquentes dans le pays. Nous eûmes beau faire des prières, évoquer ces Esprits, les sermonner, ils ne répondaient que par des injures et des menaces, et ne cessèrent pas leur tapage.

A cette époque nous avions une réunion une fois par semaine ; mais vous ne pouvez vous imaginer tous les mauvais tours qui nous furent joués pour troubler et interrompre nos séances ; tantôt les communications étaient interceptées, tantôt les médiums éprouvaient des souffrances qui les contraignaient à l'inaction.

Il paraît que les habitués de la maison étaient trop nombreux et trop méchants pour être moralisés, car nous ne pûmes en venir à bout, et nous fûmes obligés de cesser nos réunions où nous ne pouvions plus rien obtenir. Un seul voulut bien nous écouter et se recommander à nos prières. C'était un pauvre portugais, nommé Gulielmo, qui se prétendait victime de ces gens avec lesquels il avait commis, je ne sais quel méfait, et qui le retenaient là, disait-il, pour sa punition. Je pris des informations, et j'appris qu'effectivement un marin portugais de ce nom avait été un des locataires de la maison, et qu'il y était mort.

La fièvre arriva ; les bruits devinrent moins fréquents, mais ne cessèrent pas ; au reste, nous avons fini par nous y habituer. Nous nous réunissons encore, mais la maladie a empêché nos séances d'être bien suivies. J'ai soin qu'elles aient lieu autant que possible dans le jardin, car nous avons remarqué que, dans la maison, les bonnes communications sont plus difficiles à obtenir, et que ces jours-là nous sommes très tourmentés, la nuit surtout. »

La question des lieux hantés est un fait acquis ; les tapages et perturbations sont chose connue ; mais certains arbres ont-ils une puissance attractive particulière ? Dans la circonstance dont il s'agit, existe-il un rapport quelconque entre la destruction de ces arbres et les phénomènes qui suivirent immédiatement ? La croyance populaire aurait-elle ici quelque réalité ? C'est ce dont l'instruction ci-après paraît donner une explication logique jusqu'à plus ample confirmation.

(Société de Paris, 19 Février 1869.)

Toutes les légendes, quelles qu'elles soient, si ridicules et si peu fondées qu'elles paraissent, reposent sur une base réelle, sur une vérité incontestable, démontrée par l'expérience, mais amplifiée et dénaturée par la tradition. Certaines plantes, dit-on, sont bonnes pour chasser les mauvais Esprits ; d'autres peuvent provoquer la possession ; certains arbustes sont plus particulièrement hantés ; tout cela est vrai en fait, isolément. Un fait a eu lieu, une manifestation spéciale a justifié ce dicton, et la masse superstitieuse s'est empressée de le généraliser ; c'est l'histoire d'un homme qui pond un œuf. La chose court en secret de bouche en bouche, et s'amplifie jusqu'à prendre les proportions d'une loi incontestable, et cette loi qui n'existe pas, est acceptée en raison des aspirations vers l'inconnu, vers l'extra naturel de la généralité des hommes.

Les multipliants ont été, à Maurice surtout, et sont encore, des points de repères pour les réunions du soir ; on s'adosse à leur tronc, on respire l'air à leurs côtés ; on s'abrite sous leur feuillage.

Or, les hommes, en se désincarnant, surtout lorsqu'ils sont dans une certaine infériorité, conservent leurs habitudes matérielles ; ils fréquentent les endroits qu'ils aimaient comme incarnés ; ils s'y réunissent et ils y séjournent ; voilà pourquoi il y a des endroits plus particulièrement hantés ; il n'y vient pas les Esprits des premiers venus, mais bien des Esprits qui les ont fréquentés de leur vivant. Les multipliants ne sont donc pas plus propices à l'habitation des Esprits inférieurs que tout autre abri. La coutume les désigne aux revenants de Maurice, comme certains châteaux, certaines clairières des forêts allemandes, certains lacs sont plus particulièrement hantés par les Esprits, en Europe.

Si l'on trouble ces Esprits, tout matériels encore, et qui, pour la plupart se croient vivants, ils s'irritent et tendent à se venger, à chercher noise à ceux qui les ont privés de leur abri ; de là, les manifestations dont cette dame et bien d'autres ont eu à se plaindre.

La population mauricienne étant, en général, inférieure sous le rapport moral, la désincarnation ne peut faire de l'espace qu'une pépinière d'Esprits très peu dématérialisés, encore empreints de toutes leurs habitudes terrestres, et qui continuent, quoique Esprits, à vivre comme s'ils étaient hommes. Ils privent de tranquillité et de sommeil ceux qui les privent de leur habitation de prédilection, et voilà tout. La nature de l'abri, son aspect lugubre, n'a rien à voir là-dedans ; c'est simplement une question de bien-être. On les déloge, et ils se vengent. Matériels par essence, ils se vengent matériellement, en frappant contre les murs, en se plaignant, en manifestant leur mécontentement sous toutes les formes.

Que les Mauritiens s'épurent et progressent, ils retourneront dans l'espace avec des tendances d'autre nature, et les multipliants perdront la faculté d'abriter les revenants.

Clélie Duplantier.

Conférence sur le Spiritisme


Sous le titre de : Le Spiritisme devant la science, une conférence publique, par M. Chevillard, avait été annoncée à la salle du boulevard des Capucines pour le 30 janvier dernier. Dans quel sens l'orateur devait-il parler ? C'est ce que tout le monde ignorait.

L'annonce semblait promettre une discussion ex-professo de toutes les parties de la question. Cependant l'orateur a fait complètement abstraction de la partie la plus essentielle, celle qui constitue à proprement parler le Spiritisme : la partie philosophique et morale, sans laquelle assurément le Spiritisme ne serait pas aujourd'hui implanté dans toutes les parties du monde, et ne compterait pas ses adeptes par millions. Dès 1855, on se lassait déjà des tables tournantes ; certes, si là se fût borné le Spiritisme, il y a longtemps qu'on n'en parlerait plus ; sa rapide propagation date du moment où l'on en a vu sortir quelque chose de sérieux et d'utile, où l'on y a entrevu un but humanitaire.

L'orateur s'est donc borné à l'examen de quelques phénomènes matériels ; car il n'a pas même parlé des phénomènes spontanés si nombreux qui se produisent en dehors de toute croyance spirite ; or, annoncer qu'on va traiter une question aussi vaste, aussi complexe dans ses applications et dans ses conséquences, et s'arrêter à quelques points de la surface, c'est absolument comme si, sous le nom de Cours de littérature, un professeur se bornait à expliquer l'alphabet.

Peut-être M. Chevillard s'est-il dit : « A quoi bon parler de la doctrine philosophique ! Dès lors que cette doctrine s'appuie sur l'intervention des Esprits, quand j'aurai prouvé que cette intervention n'existe pas, tout le reste s'écroulera. » Combien, avant M. Chevillard, se sont flattés d'avoir porté le dernier coup au Spiritisme, sans parler de l'inventeur du fameux muscle craqueur, le docteur Jobert (de Lamballe) qui envoyait sans pitié tous les spirites à Charenton, et qui, deux ans plus tard, mourait lui-même dans une maison d'aliénés ! Cependant, malgré tous ces pourfendeurs, frappant d'estoc et de taille, qui semblaient n'avoir qu'à parler pour le réduire en poussière, le Spiritisme a vécu, il a grandi, et il vit toujours, plus fort, plus vivace que jamais ! C'est là un fait qui a bien sa valeur. Quand une idée résiste à tant d'attaques, c'est qu'il y a quelque chose.

N'a-t-on pas vu jadis des savants s'efforcer de démontrer que le mouvement de la terre était impossible ? Et sans remonter si haut, ce siècle-ci ne nous a-t-il pas montré un corps illustre déclarer que l'application de la vapeur à la navigation était une chimère ? Un livre curieux à faire serait le recueil des erreurs officielles de la science. Ceci est simplement pour arriver à cette conclusion que : lorsqu'une chose est vraie, elle marche quand même, malgré l'opinion contraire des savants ; or, si le Spiritisme a marché malgré tous les arguments que lui ont opposés la haute et la basse science, c'est une présomption en sa faveur.

M. Jobert (de Lamballe) traitait sans façon tous les spirites de charlatans et d'escrocs ; il faut rendre cette justice à M. Chevillard, qu'il ne leur reproche que de se tromper sur la cause. Au reste, des épithètes malséantes, outre qu'elles ne prouvent rien, accusent toujours un manque de savoir-vivre, et auraient été fort déplacées devant un auditoire où devaient nécessairement se trouver beaucoup de spirites. La chaire évangélique est moins scrupuleuse ; on y a dit maintes fois : « Fuyez les Spirites comme la peste, et courez sus ; » ce qui prouve que le Spiritisme est quelque chose, puisqu'on en a peur, car on ne tire pas des coups de canon contre des mouches.

M. Chevillard ne nie pas les faits, au contraire ; il les admet, car il les a constatés ; seulement il les explique à sa manière. Apporte-t-il au moins quelque argument nouveau à l'appui de sa thèse ? On en peut juger.

« Chaque homme, dit-il, possède une quantité plus ou moins grande d'électricité animale, qui constitue le fluide nerveux. Ce fluide se dégage sous l'empire de la volonté, du désir de faire mouvoir une table ; il pénètre la table, et la table se meut ; les coups frappés dans la table ne sont autre chose que des décharges électriques, provoqués par la concentration de la pensée. » Ecriture mécanique : même explication.

Mais comment expliquer les coups frappés dans les murailles, sans la participation de la volonté, chez des gens qui ne savent ce que c'est que le Spiritisme, ou qui n'y croient pas ? Surabondance d'électricité qui se dégage d'elle-même et produit des décharges.

Et les communications intelligentes ? Reflet de la pensée du médium. ‑ Et quand le médium obtient, par la typtologie ou l'écriture, des choses qu'il ignore ? On sait toujours quelque chose, et si ce n'est la pensée du médium, ce peut être celle des autres.

Et quand un médium écrit, inconsciemment des choses qui lui sont personnellement désagréables, est-ce sa propre pensée ? De ce fait non plus que de beaucoup d'autres, il n'est pas question. Cependant, une théorie ne peut être vraie qu'a la condition de résoudre toutes les phases d'un problème ; si un seul fait échappe à l'explication, c'est qu'elle est fausse ou incomplète ; or, de combien de faits celle-ci est-elle impuissante à donner la solution ! Nous serions très désireux de savoir comment M. Chevillard expliquerait, par exemple, les faits rapportés ci-dessus concernant mademoiselle de Chilly, l'apparition du jeune Édouard Samuel, tous les incidents de ce qui s'est passé à l'île Maurice ; comment il expliquerait, par le dégagement de l'électricité, l'écriture chez des personnes qui ne savent pas écrire ; par le reflet de la pensée, le fait de cette bonne qui écrivit, devant toute une société : Je vole ma maîtresse ?

En résumé, M. Chevillard reconnaît l'existence des phénomènes, ce qui est quelque chose, mais il nie l'intervention des Esprits. Quant à sa théorie, elle n'offre absolument rien de nouveau ; c'est la répétition de ce qui a été dit, depuis quinze ans, sous toutes les formes, sans que l'idée ait prévalu. Sera-t-il plus heureux que ses devanciers ? C'est ce que l'avenir prouvera.

Il est vraiment curieux de voir les expédients auxquels ont recours ceux qui veulent tout expliquer sans les Esprits ! Au lieu d'aller droit à ce qui se présente devant eux dans la forme la plus simple, ils vont chercher des causes si embrouillées, si compliquées, qu'elles ne sont intelligibles que pour eux. Ils devraient bien au moins, pour compléter leur théorie, dire ce que, selon eux, deviennent les Esprits des hommes après la mort, car cela intéresse tout le monde, et prouver comme quoi ces Esprits ne peuvent pas se manifester aux vivants ; c'est ce que personne n'a encore fait, tandis que le Spiritisme prouve comme quoi ils peuvent le faire.

Mais tout cela est nécessaire ; il faut que tous ces systèmes s'épuisent et montrent leur impuissance. Au reste, il est un fait notoire, c'est que tout ce retentissement donné au Spiritisme, toutes les circonstances qui l'ont mis en évidence, lui ont toujours été profitables ; et, ce qui est digne de remarque, c'est que plus les attaques ont été violentes, plus il a progressé. Est-ce qu'il ne faut pas à toutes les grandes idées le baptême de la persécution, ne fût-ce que celui de la raillerie ? Et pourquoi n'en a-t-il pas souffert ? La raison en est bien simple : c'est parce que, lui faisant dire le contraire de ce qu'il dit, le présentant tout autre qu'il n'est, bossu quand il est droit, il ne peut que gagner à un examen sérieux et consciencieux, et que ceux qui ont voulu le frapper, ont toujours frappé à côté de la vérité. (Voir la Revue de février 1869, page 40 : Puissance du ridicule.)

Or, plus les couleurs sous lesquelles on le présente sont noires, plus on excite la curiosité. Le parti qui s'est escrimé à dire que c'est le diable, lui a fait beaucoup de bien, parce que, parmi ceux qui n'ont pas encore eu l'occasion de voir le diable, beaucoup ont été bien aises de savoir comment il est fait, et ne l'ont pas trouvé aussi noir qu'on l'avait dit. Dites qu'il y a sur une place de Paris un monstre hideux, qui va empester toute la ville, et tout le monde courra le voir. N'a-t-on pas vu des auteurs faire mettre dans les journaux des critiques de leurs propres ouvrages, uniquement pour en faire parler ? Tel a été le résultat des diatribes furibondes contre le Spiritisme ; elles ont provoqué le désir de le connaître, et l'ont plus servi qu'elles ne lui ont nui.

Parler du Spiritisme, dans n'importe quel sens, c'est faire de la propagande à son profit ; l'expérience est là pour le prouver. A ce point de vue, il faut se féliciter de la conférence de M. Chevillard ; mais, hâtons-nous de le dire à la louange de l'orateur, il s'est renfermé dans une polémique honnête, loyale et de bon goût. Il a émis son opinion : c'est son droit, et quoiqu'elle ne soit pas la nôtre, nous n'avons garde de nous en plaindre. Plus tard, sans aucun doute, quand le moment opportun sera venu, le Spiritisme aura aussi ses orateurs sympathiques ; seulement nous leur recommanderons de ne pas tomber dans le travers des adversaires ; c'est-à-dire d'étudier à fond la question, afin de ne parler qu'en parfaite connaissance de la cause.



Dissertations spirites

La musique et les harmonies célestes

Suite ; voir le numéro de janvier, p. 30.

(Paris, groupe Desliens, 5 janvier 1869. - Médium M. Desliens.)

Vous avez raison, messieurs, de me rappeler ma promesse, car le temps, qui passe si rapidement dans le monde de l'espace, a des minutes éternelles pour celui qui le subit sous l'étreinte de l'épreuve ! Il y a quelques jours, quelques semaines, je comptais comme vous ; chaque jour ajoutait toute une série de vicissitudes aux vicissitudes déjà supportées, et la coupe allait s'emplissant piano, piano.

Ah ! vous ne savez pas, vous, combien une renommée de grand homme est lourde à porter ! Ne désirez pas la gloire ; ne soyez pas connus : soyez utiles. La popularité a ses épines, et, plus d'une fois, je me suis trouvé meurtri des caresses trop brutales de la foule.

Aujourd'hui, la fumée de l'encens ne m'enivre plus. Je plane sur les mesquineries du passé, et c'est un horizon sans limite qui s'étend devant mon insatiable curiosité. Aussi, les heures tombent par groupes dans le sablier séculaire, et toujours je cherche, toujours j'étudie, sans jamais compter le temps écoulé.

Oui, je vous ai promis ; mais qui peut se flatter de tenir une promesse, lorsque les éléments nécessaires pour l'accomplir, appartiennent à l'avenir ? Le puissant du monde, encore sous le souffle des adulations des courtisans, a pu vouloir étreindre le problème corps à corps ; mais ce n'était plus d'une lutte factice qu'il s'agissait ici ; il n'y avait pas de bravos, de bruyantes acclamations pour m'encourager et me dérober ma faiblesse. C'était, et c'est encore à un travail surhumain que je m'attaquai ; c'est contre lui que je lutte toujours, et si j'espère en triompher, je ne puis néanmoins dissimuler mon épuisement. Je suis terrassé... aux abois !... Je me repose avant d'explorer de nouveau ; mais, si je ne puis aujourd'hui vous parler de ce que sera l'avenir, je saurai peut-être apprécier le présent : être critique, après avoir été critiqué. Vous me jugerez, et ne m'approuverez que si je suis juste, ce que j'essayerai de faire en évitant les personnalités.

Pourquoi donc tant de musiciens et si peu d'artistes ? tant de compositeurs, et si peu de vérités musicales ? Hélas ! c'est que ce n'est pas, comme on le croit, de l'imagination que l'art peut naître ; il n'a d'autre maître et d'autre créateur que la vérité. Sans elle, il n'est rien, ou il n'est qu'un art de contrebande, du strass, de la contrefaçon. Le peintre peut faire illusion et montrer du blanc, où il n'a mis qu'un mélange de couleurs sans nom ; les oppositions de nuances créent une apparence, et c'est ainsi qu'Horace Vernet, par exemple, a pu faire paraître d'un blanc éclatant un magnifique cheval orange.

Mais la note n'a qu'un son. L'enchaînement des sons ne produit une harmonie, une vérité, que si les ondes sonores se font l'écho d'une autre vérité. Pour être musicien, il ne suffit plus d'aligner des notes sur une portée, de manière à conserver la justesse des rapports musicaux ; on réussit seulement ainsi à produire des bruits agréables ; mais c'est le sentiment qui naît sous la plume du véritable artiste, c'est lui qui chante, qui pleure, qui rit... Il siffle dans la feuillée avec le vent orageux ; il bondit avec la vague écumante ; il rugit avec le tigre furieux !... Mais pour donner une âme à la musique, pour la faire pleurer, rire, hurler, il faut soi-même avoir éprouvé ces différents sentiments, de douleur, de joie, de colère !

Est-ce le rire aux lèvres et l'incrédulité au cœur que vous personnifierez un martyr chrétien ? Sera- ce un sceptique d'amour qui fera un Roméo, une Juliette ? Est-ce un viveur insouciant qui créerait la Marguerite de Faust ? Non ! Il faut la passion tout entière à celui qui fait vibrer la passion !... Et voilà pourquoi, quand on noircit tant de feuilles, les œuvres sont si rares et les vérités exceptionnelles : c'est qu'on ne croit pas, c'est que l'âme ne vibre pas. Le son que l'on entend, c'est celui de l'or qui tinte, du vin qui pétille !... L'inspiration, c'est la femme qui se compose une beauté menteuse ; et, comme on ne possède que des défauts et des vertus maquillés, on ne produit qu'un placage, qu'un maquillage musical. Grattez la surface, et vous aurez bientôt trouvé le caillou. Rossini.


(17 janvier 1869. - Médium, M. Nivard.)

Le silence que j'ai gardé sur la question que le Maître de la doctrine spirite m'a adressée a été expliqué. Il était convenable, avant d'aborder ce difficile sujet, de me recueillir, de me souvenir, et de condenser les éléments qui étaient sous ma main. Je n'avais point à étudier la musique, j'avais seulement à classer les arguments avec méthode, afin de présenter un résumé capable de donner l'idée de ma conception sur l'harmonie. Ce travail, que je n'ai pas fait sans difficulté, est terminé, et je suis prêt à le soumettre à l'appréciation des spirites.

L'harmonie est difficile à définir ; souvent on la confond avec la musique, avec les sons, résultant d'un arrangement de notes, et des vibrations d'instruments reproduisant cet arrangement. Mais l'harmonie n'est point cela, pas plus que la flamme n'est la lumière. La flamme résulte de la combinaison de deux gaz : elle est tangible ; la lumière qu'elle projette est un effet de cette combinaison, et non la flamme elle-même : elle n'est pas tangible. Ici, l'effet est supérieur à la cause. Ainsi en est-il de l'harmonie ; elle résulte d'un arrangement musical ; c'est un effet qui est également supérieur à sa cause : la cause est brutale et tangible ; l'effet est subtil et n'est point tangible.

On peut concevoir la lumière sans flamme et on comprend l'harmonie sans musique. L'âme est apte à percevoir l'harmonie en dehors de tout concours d'instrumentation, comme elle est apte à voir la lumière en dehors de tout concours de combinaisons matérielles. La lumière est un sens intime que possède l'âme ; plus ce sens est développé, mieux elle perçoit la lumière. L'harmonie est également un sens intime de l'âme : elle est perçue en raison du développement de ce sens. En dehors du monde matériel, c'est-à-dire, en dehors des causes tangibles, la lumière et l'harmonie sont d'essence divine ; on les possède en raison des efforts que l'on a faits pour les acquérir. Si je compare la lumière et l'harmonie, c'est pour mieux me faire comprendre, et aussi, parce que ces deux sublimes jouissances de l'âme sont filles de Dieu, et par conséquent sont sœurs.

L'harmonie de l'espace est si complexe, elle a tant de degrés que je connais, et bien plus encore qui me sont cachés dans l'éther infini, que celui qui est placé à une certaine hauteur de perceptions, est comme saisi d'étonnement en contemplant ces harmonies diverses, qui constitueraient, si elles étaient assemblées, la plus insupportable cacophonie ; tandis qu'au contraire, perçues séparément, elles constituent l'harmonie particulière à chaque degré. Ces harmonies sont élémentaires et grossières dans les degrés inférieurs ; elles portent à l'extase dans les degrés supérieurs. Telle harmonie qui blesse un Esprit aux perceptions subtiles, ravit un Esprit aux perceptions grossières ; et quand il est donné à l'Esprit inférieur de se délecter dans les délices des harmonies supérieures, l'extase le saisit et la prière entre en lui ; le ravissement l'emporte dans les sphères élevées du monde moral ; il vit d'une vie supérieure à la sienne et voudrait continuer de vivre toujours ainsi. Mais, quand l'harmonie cesse de le pénétrer, il se réveille, ou, si l'on veut, il s'endort ; dans tous les cas, il revient à la réalité de sa situation, et dans les regrets qu'il laisse s'échapper d'être descendu, s'exhale une prière à l'Eternel, pour demander la force de remonter. C'est pour lui un grand sujet d'émulation. Je n'essaierai pas de donner l'explication des effets musicaux que produit l'Esprit en agissant sur l'éther ; ce qui est certain, c'est que l'Esprit produit les sons qu'il veut, et qu'il ne peut vouloir ce qu'il ne sait pas. Or donc, celui qui comprend beaucoup, qui a en lui l'harmonie, qui en est saturé, qui jouit lui-même de son sens intime, de ce rien impalpable, de cette abstraction qui est la conception de l'harmonie, agit quand il le veut sur le fluide universel qui, instrument fidèle, reproduit ce que l'Esprit conçoit et veut. L'éther vibre sous l'action de la volonté de l'Esprit ; l'harmonie que ce dernier porte en lui se concrète, pour ainsi dire ; elle s'exhale douce et suave comme le parfum de la violette, ou elle mugit comme la tempête, ou elle éclate comme la foudre, ou elle se plaint comme la brise ; elle est rapide comme l'éclair, ou lente comme la nuée ; elle est brisée comme un sanglot, ou unie comme un gazon ; elle est échevelée comme une cataracte, ou calme comme un lac ; elle murmure comme un ruisseau ou gronde comme un torrent. Tantôt elle a l'âpreté agreste des montagnes et tantôt la fraîcheur d'une oasis ; elle est tour à tour triste et mélancolique comme la nuit, joyeuse et gaie comme le jour ; elle est capricieuse comme l'enfant, consolatrice comme la mère et protectrice comme le père ; elle est désordonnée comme la passion, limpide comme l'amour, et grandiose comme la nature. Quand elle en est à ce dernier terme, elle se confond avec la prière, elle glorifie Dieu, et met dans le ravissement celui-là même qui la produit ou la conçoit.

O comparaison ! Comparaison ! Pourquoi faut-il être obligé de t'employer ! Pourquoi faut-il se plier à tes nécessités dégradantes et emprunter, à la nature tangible, des images grossières pour faire concevoir la sublime harmonie dans laquelle l'Esprit se délecte. Et encore, malgré les comparaisons, ne peut-on faire comprendre cette abstraction qui est un sentiment quand elle est cause, et une sensation quand elle devient effet.

L'Esprit qui a le sentiment de l'harmonie est comme l'Esprit qui a l'acquit intellectuel ; ils jouissent constamment, l'un et l'autre, de la propriété inaliénable qu'ils ont amassée. L'Esprit intelligent, qui enseigne sa science à ceux qui ignorent, éprouve le bonheur d'enseigner, parce qu'il sait qu'il fait des heureux de ceux qu'il instruit ; l'Esprit qui fait résonner l'éther des accords de l'harmonie qui est en lui, éprouve le bonheur de voir satisfaits ceux qui l'écoutent.

L'harmonie, la science et la vertu sont les trois grandes conceptions de l'Esprit : la première le ravit, la seconde l'éclaire, la troisième l'élève. Possédées dans leurs plénitudes, elles se confondent et constituent la pureté. O Esprits purs qui les contenez ! Descendez dans nos ténèbres et éclairez notre marche ; montrez-nous le chemin que vous avez pris, afin que nous suivions vos traces !

Et quand je pense que ces Esprits, dont je peux comprendre l'existence, sont des êtres finis, des atomes, en face du Maître universel et éternel, ma raison reste confondue en songeant à la grandeur de Dieu, et du bonheur infini qu'il goûte en lui-même, par le seul fait de sa pureté infinie, puisque tout ce que la créature acquiert n'est qu'une parcelle qui émane du créateur. Or, si la parcelle arrive à fasciner par la volonté, à captiver et à ravir par la suavité, à resplendir par la vertu, que doit donc produire la source éternelle et infinie d'où elle est tirée ? Si l'Esprit, être créé, arrive à puiser dans sa pureté tant de félicité, quelle idée doit-on avoir de celle que le créateur puise dans sa pureté absolue ? Eternel problème !

Le compositeur qui conçoit l'harmonie, la traduit dans le grossier langage appelé la musique ; il concrète son idée, il l'écrit. L'artiste apprend la forme et saisit l'instrument qui doit lui permettre de rendre l'idée. L'air mis en jeu par l'instrument, la porte à l'oreille qui la transmet à l'âme de l'auditeur. Mais le compositeur a été impuissant à rendre entièrement l'harmonie qu'il concevait, faute d'une langue suffisante ; l'exécutant, à son tour, n'a pas compris toute l'idée écrite, et l'instrument indocile dont il se sert ne lui permet pas de traduire tout ce qu'il a compris. L'oreille est frappée par l'air grossier qui l'entoure, et l'âme reçoit enfin, par un organe rebelle, l'horrible traduction de l'idée éclose dans l'âme du maestro. L'idée du maestro était son sentiment intime ; quoique déflorée par les agents d'instrumentation et de perception, elle produit cependant des sensations chez ceux qui l'entendent traduire ; ces sensations sont l'harmonie. La musique les a produites : elles sont des effets de cette dernière. La musique s'est mise au service du sentiment pour produire la sensation. Le sentiment, chez le compositeur, c'est l'harmonie ; la sensation chez l'auditeur, c'est aussi l'harmonie, avec cette différence qu'elle est conçue par l'un et reçue par l'autre. La musique est le médium de l'harmonie ; elle la reçoit et elle la donne, comme le réflecteur est le médium de la lumière, comme tu es le médium des Esprits. Elle la rend plus ou moins déflorée selon qu'elle est plus ou moins bien exécutée, comme le réflecteur renvoie plus ou moins bien la lumière, selon qu'il est plus ou moins brillant et poli, comme le médium rend plus ou moins les pensées de l'Esprit, selon qu'il est plus ou moins flexible.

Et maintenant que l'harmonie est bien comprise dans sa signification, qu'on sait qu'elle est conçue par l'âme et transmise à l'âme, on comprendra la différence qu'il y a entre l'harmonie de la terre et l'harmonie de l'espace.
Chez vous, tout est grossier : l'instrument de traduction et l'instrument de perception ; chez nous, tout est subtil : vous avez l'air, nous avons l'éther ; vous avez l'organe qui obstrue et voile ; chez nous, la perception est directe, et rien ne la voile. Chez vous, l'auteur est traduit : chez nous il cause sans intermédiaire, et dans la langue qui exprime toutes les conceptions. Et pourtant, ces harmonies ont la même source, comme la lumière de la lune a la même source que celle du soleil ; de même que la lumière de la lune est le reflet de celle du soleil, l'harmonie de la terre n'est que le reflet de l'harmonie de l'espace.

L'harmonie est aussi indéfinissable que le bonheur, la crainte, la colère : c'est un sentiment. On ne le comprend que lorsqu'on le possède, et on ne le possède que lorsqu'on l'a acquis. L'homme qui est joyeux ne peut expliquer sa joie ; celui qui est craintif ne peut expliquer sa crainte ; ils peuvent dire les faits qui provoquent ces sentiments, les définir, les décrire, mais les sentiments restent inexpliqués. Le fait qui cause la joie de l'un ne produira rien sur l'autre ; l'objet qui occasionne la crainte de l'un produira le courage de l'autre. Les mêmes causes sont suivies d'effets contraires ; en physique cela n'est pas, en métaphysique, cela existe. Cela existe, parce que le sentiment est la propriété de l'âme, et que les âmes diffèrent entre elles de sensibilité, d'impressionnabilité, de liberté. La musique, qui est la cause seconde de l'harmonie perçue, pénètre et transporte l'un et laisse l'autre froid et indifférent. C'est que le premier est en état de recevoir l'impression que produit l'harmonie, et que le second est dans un état contraire ; il entend l'air qui vibre, mais il ne comprend pas l'idée qu'il lui apporte. Celui-ci arrive à l'ennui et s'endort, celui-là à l'enthousiasme et pleure. Evidemment, l'homme qui goûte les délices de l'harmonie est plus élevé, plus épuré, que celui qu'elle ne peut pénétrer ; son âme est plus apte à sentir ; elle se dégage plus facilement, et l'harmonie l'aide à se dégager ; elle la transporte et lui permet de mieux voir le monde moral. D'où il faut conclure que la musique est essentiellement moralisatrice, puisqu'elle porte l'harmonie dans les âmes, et que l'harmonie les élève et les grandit.

L'influence de la musique sur l'âme, sur son progrès moral, est reconnue par tout le monde ; mais la raison de cette influence est généralement ignorée. Son explication est tout entière dans ce fait : que l'harmonie place l'âme sous la puissance d'un sentiment qui la dématérialise. Ce sentiment existe à un certain degré, mais il se développe sous l'action d'un sentiment similaire plus élevé. Celui qui est privé de ce sentiment y est amené par degré ; il finit, lui aussi, par se laisser pénétrer et se laisser entraîner dans le monde idéal, où il oublie, pour un instant, les grossiers plaisirs qu'il préfère à la divine harmonie.

Et maintenant, si l'on considère que l'harmonie sort du concept de l'Esprit, on en déduira que si la musique exerce une heureuse influence sur l'âme, l'âme, qui la conçoit, exerce aussi son influence sur la musique. L'âme vertueuse, qui a la passion du bien, du beau, du grand, et qui a l'acquis de l'harmonie, produira des chefs-d'œuvre capables de pénétrer les âmes les plus cuirassées et de les émouvoir. Si le compositeur est terre-à-terre, comment rendra-t-il la vertu qu'il dédaigne, le beau qu'il ignore et le grand qu'il ne comprend pas ? Ses compositions seront le reflet de ses goûts sensuels, de sa légèreté, de son insouciance. Elles seront tantôt licencieuses et tantôt obscènes, tantôt comiques et tantôt burlesques ; elles communiqueront aux auditeurs les sentiments qu'elles exprimeront, et les pervertiront au lieu de les améliorer.

Le Spiritisme, en moralisant les hommes, exercera donc une grande influence sur la musique. Il produira plus de compositeurs vertueux, qui communiqueront leurs vertus en faisant entendre leurs compositions.
On rira moins, on pleurera davantage ; l'hilarité fera place à l'émotion, la laideur fera place à la beauté et le comique à la grandeur.

D'un autre côté, les auditeurs que le Spiritisme aura disposés à recevoir facilement l'harmonie, goûteront, à l'audition de la musique sérieuse, un charme véritable ; ils dédaigneront la musique frivole et licencieuse qui s'empare des masses. Quand le grotesque et l'obscène seront délaissés pour le beau et pour le bien, les compositeurs de cet ordre disparaîtront ; car, sans auditeurs, ils ne gagneront rien, et c'est pour gagner qu'ils se salissent.

Oh ! oui, le Spiritisme aura de l'influence sur la musique ! Comment en serait-il autrement ? Son avènement changera l'art en l'épurant. Sa source est divine, sa force le conduira partout où il y a des hommes pour aimer, pour s'élever et pour comprendre. Il deviendra l'idéal et l'objectif des artistes. Peintres, sculpteurs, compositeurs, poètes, lui demanderont leurs inspirations, et il leur en fournira, car il est riche, car il est inépuisable.

L'Esprit du maestro Rossini, dans une nouvelle existence, reviendra continuer l'art qu'il considère comme le premier de tous ; le Spiritisme sera son symbole et l'inspirateur de ses compositeurs.

Rossini.


La Médiumnité et l'inspiration

(Paris, groupe Desliens ; 16 Février 1869.)

Sous ses formes variées à l'infini, la médiumnité embrasse l'humanité entière, comme un réseau auquel nul ne peut échapper. Chacun étant journellement en contact, qu'il le sache ou non, qu'il le veuille ou s'en révolte, avec des intelligences libres, il n'est pas un homme qui puisse dire : Je ne suis, je n'ai pas été ou je ne serai pas médium. Sous la forme intuitive, mode de communication auquel on a vulgairement donné le nom de voix de la conscience, chacun est en rapport avec plusieurs influences spirituelles, qui conseillent dans un sens ou dans un autre, et souvent simultanément, qui, le bien pur, absolu ; qui, des accommodements avec l'intérêt ; qui, le mal dans toute sa nudité. - L'homme évoque ces voix ; elles répondent à son appel, et il choisit ; mais il choisit, entre ces différentes inspirations et son propre sentiment. - Les inspirateurs sont des amis invisibles ; comme les amis de la terre, ils sont sérieux ou de passage, intéressés ou véritablement guidés par l'affection.

On les consulte, ou ils conseillent spontanément, mais comme les conseils des amis de la terre, leurs avis sont écoutés ou rejetés ; ils provoquent parfois un résultat contraire à celui qu'on en attend ; souvent, ils ne produisent aucun effet. - Qu'en conclure ? Non que l'homme soit sous le coup d'une médiumnité incessante, mais qu'il obéit librement à sa propre volonté, modifiée par des avis qui ne peuvent jamais, dans l'état normal, être impératifs.

Lorsque l'homme fait plus que s'occuper des menus détails de son existence, et qu'il s'agit des travaux qu'il est venu plus spécialement accomplir, des épreuves décisives qu'il doit supporter, ou d'œuvres destinées à l'instruction et à l'élévation générales, les voix de la conscience ne se font plus seulement et simplement conseillères, elles attirent l'Esprit sur certains sujets, elles provoquent certaines études et collaborent à l'œuvre en faisant résonner certaines cases cérébrales par l'inspiration. C'est ici une œuvre à deux, à trois, à dix, à cent, si vous voulez ; mais, si cent y ont pris part, un seul peut et doit la signer, car un seul l'a faite et en est responsable !

Qu'est-ce qu'une œuvre quelle qu'elle soit après tout ? Ce n'est jamais une création ; c'est toujours une découverte. L'homme ne fait rien, il découvre tout. Il faut éviter de confondre ces deux termes. Inventer, dans son vrai sens, c'est mettre en lumière une loi existante, une connaissance jusqu'alors inconnue, mais déposée en germe dans le berceau de l'univers. Celui qui invente soulève un des coins du voile qui cache la vérité, mais il ne crée pas la vérité. Pour inventer, il faut chercher et chercher beaucoup ; il faut compulser les livres, fouiller au fond des intelligences, demander à l'un la mécanique, à l'autre la géométrie, à un troisième la connaissance des rapports musicaux, à un autre encore les lois historiques, et du tout, faire quelque chose de neuf, d'intéressant, d'inimagé. Celui qui a été explorer les recoins des bibliothèques, qui a écouté parler les maîtres, qui a scruté la science, la philosophie, l'art, la religion, de l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours, est-il le médium de l'art, de l'histoire, de la philosophie et de la religion ? Est-il le médium des temps passés lorsqu'il écrit à son tour ? Non pas, car il ne raconte pas les autres, mais il a appris des autres à raconter, et il enrichit ses récits de tout ce qui lui est personnel. - Le musicien a longtemps écoulé la fauvette et le rossignol, avant d'inventer la musique ; Rossini a écouté la nature avant de la traduire au monde civilisé. Est-il le médium du rossignol et de la fauvette ? Non, il compose et il écrit. Il a écouté l'Esprit qui est venu lui chanter les mélodies du ciel ; il a écouté l'Esprit qui a hurlé la passion à ses oreilles ; il a entendu gémir la vierge et la mère laissant tomber, en perles harmonieuses, sa prière sur la tête de son enfant. L'amour et la poésie, la liberté, la haine, la vengeance, et nombre des Esprits que possèdent ces sentiments divers, ont tour à tour chanté leur partition à ses côtés. Il les a écoutées, il les a étudiées, dans le monde et dans l'inspiration, et de l'un et de l'autre, il a fait ses œuvres ; mais il n'était pas médium, pas plus que n'est médium le médecin qui entend les malades raconter ce qu'ils éprouvent et qui donne un nom à leurs maladies. - La médiumnité a eu ses heures chez lui comme chez tout autre ; mais en dehors de ces moments trop courts pour sa gloire, ce qu'il a fait, il l'a fait seul à l'aide des études puisées chez les hommes et chez les Esprits.

A ce compte, on est le médium de tous ; on est le médium de la nature, le médium de la vérité, et médium bien imparfait, car souvent elle apparaît tellement défigurée par la traduction qu'elle est méconnaissable et méconnue.

Halévy.



ERRATUM

Numéro de février -1861), page 63, ligne 32, lisez : ils opposèrent aux catholiques des armes...

Même numéro, page 64, lignes 1.6 et suivantes. lisez : el la plus jeune des soers fut laissée pour morte sous les corps massacrés, sans avoir été blessée. L'aulre soeur fut rapportée, encore vivant, chez sou pére, mais elle mourut de ses blessures quelques jours après.






Avril

Avis très important.

A partir du avril ler bureau d'abonnement et d'expédition de la Révue spirite est transféré au Siége de la Libraire spirite, rue de Lille, Nº 7.

A partir de la même époque, le bureau de la rédaction et le domicile personnel de M. Allan Kardec sont Avenue et Villa Ségur, N° 39, derrière les Invalides.

La Société spirite de Paris tiendra provisoirement ses séances dans le local de la Librairie, rue de Lille, Nº 7.

Librairie spirite.

Nous avions annoncé, il y a quelque temps, le projet de publication d'un catalogue raisonné des ouvrages qui intéressent le Spiritisme, et l'intention de le joindre comme supplément à l'un des numéros de la Revue. Dans l'intervalle, le projet de la création d'une maison spéciale pour les ouvrages de ce genre, ayant été conçu et exécuté par une société de spirites, nous leur avons donné notre travail qui a été complété en vue de sa nouvelle destination.

Ayant reconnu l'incontestable utilité de cette fondation, et la solidité des bases sur lesquelles elle est appuyée, nous n'avons pas hésité à lui donner notre appui moral.

Voici en quels termes elle est annoncée en tête du catalogue que nous adressons à nos abonnés avec le présent numéro.

« L'intérêt qui s'attache de plus en plus aux Études psychologiques en général, et, en particulier, le développement que les idées spirites ont pris depuis quelques années, ont fait sentir l'utilité d'une maison spéciale pour la concentration des documents concernant ces matières. En dehors des ouvrages fondamentaux de la doctrine spirite, il existe un grand nombre de livres, tant anciens que modernes, utiles au complément de ces études et qui sont ignorés, ou sur lesquels on manque des renseignements nécessaires pour se les procurer. C'est en vue de combler cette lacune que la Librairie Spirite a été fondée.

La Librairie Spirite n'est pas une entreprise commerciale ; elle est créée par une société de spirites en vue des intérêts de la doctrine, et qui renoncent, par le contrat qui les lie, à toute spéculation personnelle.

Elle est administrée par un gérant, simple mandataire, et tous les bénéfices constatés par les inventaires annuels, seront versés par lui à la caisse générale du Spiritisme.

Cette caisse est provisoirement administrée par le gérant de la Librairie, sous la surveillance de la Société fondatrice ; en conséquence, il recevra les fonds de toutes provenances affectés à cette destination, en tiendra un compte exact, et en opèrera le placement, jusqu'au moment où les circonstances en détermineront l'emploi. »

Profession de foi spirite américaine

Nous reproduisons, d'après le Salut de la Nouvelle-Orléans, la déclaration de principes arrêtée dans la cinquième convention nationale, ou assemblée des délégués des spirites des différentes parties des États-Unis. La comparaison des croyances, sur ces matières, entre ce qu'on appelle l'école américaine et l'école européenne, est une chose d'une grande importance, ainsi que chacun pourra s'en convaincre.

Déclaration de principes.

Le spiritualisme nous enseigne :

1. Que l'homme a une nature spirituelle aussi bien qu'une nature corporelle ; ou plutôt que l'homme véritable est un Esprit, ayant une forme organique, composée de matériaux sublimés, qui représente une structure correspondant à celle du corps matériel.

2. Que l'homme, comme Esprit, est immortel. Ayant reconnu qu'il survit à ce changement appelé la mort, on peut raisonnablement supposer qu'il survivra à toutes les vicissitudes futures.

3. Qu'il y a un monde ou état spirituel, avec ses réalités substantielles, objectives aussi bien que subjectives.

4. Que le procédé de la mort physique ne transforme d'aucune façon essentielle la constitution mentale ou le caractère moral de celui qui l'éprouve, car s'il en était autrement, son identité serait détruite.

5. Que le bonheur ou le malheur, aussi bien dans l'état spirituel que dans celui-ci, ne dépend pas d'un décret arbitraire ou d'une loi spéciale, mais bien du caractère, des aspirations et du degré d'harmonie ou conformité de l'individu avec la loi divine et universelle.

6. Il s'ensuit que l'expérience et les connaissances acquises dès cette vie deviennent les fondations sur lesquelles commence la vie nouvelle.

7. Vu que la croissance, sous certains rapports, est la loi de l'être humain dans la vie présente, et vu que ce que l'on appelle la mort n'est en réalité que la naissance à une autre condition d'existence, qui conserve tous les avantages gagnés dans l'expérience de cette vie, on peut en inférer que la croissance, le développement, l'expansion ou la progression sont la destinée infinie de l'esprit humain.

8. Que, le monde spirituel n'est pas éloigné de nous, mais qu'il est près, qu'il nous entoure, ou qu'il est entremêlé à notre présent état d'existence ; et par conséquent, que nous sommes constamment sous la surveillance des êtres spirituels.

9. Que, puisque les individus passent constamment de la vie terrestre à la vie spirituelle dans tous les degrés de développement intellectuel et moral, l'état spirituel comprend tous les degrés de caractères, du plus bas au plus élevé.

10. Que, puisque le ciel et l'enfer, ou le bonheur et le malheur, dépendent plutôt des sentiments intimes que des circonstances extérieures, il y a autant de gradations pour chacun qu'il y a de nuances de caractères, chaque individu gravitant à sa propre place par une loi naturelle d'affinité. On peut les diviser en sept degrés généraux ou sphères ; mais ceux-ci doivent comprendre les variétés indéfinies, ou une « infinité de demeures, » correspondant aux caractères divers des individus, chaque être jouissant d'autant de bonheur que son caractère lui permet d'en avoir.

11. Que les communications du monde des Esprits, qu'elles soient reçues par impression mentale, par inspiration, ou de toute autre manière, ne sont pas, de nécessité, des vérités infaillibles, mais qu'au contraire elles se ressentent inévitablement des imperfections de l'intelligence dont elles émanent et de la voie par où elles viennent ; et que, de plus, elles sont susceptibles de recevoir une fausse interprétation de ceux à qui elles sont adressées.

12. Il s'ensuit qu'aucune communication inspirée, dans le temps présent ou dans le passé (quelles que soient les prétentions qui peuvent ou ont pu être mises en avant quant à sa source), n'a une autorité plus étendue que celle de représenter la vérité à la conscience individuelle, cette dernière étant l'étalon final auquel on doit s'en rapporter pour le jugement de tous les enseignements inspirés ou spirituels.

13. Que l'inspiration, ou l'affluence des idées et des suggestions venant du monde spirituel, n'est pas un miracle des temps passés, mais un fait perpétuel, la méthode constante de l'économie divine pour l'élévation de la race humaine.

14. Que tous les êtres angéliques ou démoniaques qui se sont manifestés ou qui se sont mêlés aux affaires des hommes dans le passé, étaient simplement des Esprits humains désincarnés, dans différents degrés de progression.

15. Que tous les miracles authentiques (ainsi nommés) des temps passés, tels que la résurrection de ceux qui étaient morts en apparence, la guérison des maladies par l'imposition des mains ou d'autres moyens aussi simples, le contact inoffensif avec des poisons, le mouvement d'objets matériels sans concours visible, etc., etc., ont été produits en harmonie avec des lois universelles, et par conséquent peuvent se répéter en tous temps sous des conditions favorables.

16. Que les causes de tout phénomène, ‑ les sources de vie, d'intelligence et d'amour, ‑ doivent se rechercher dans le domaine intérieur et spirituel, et non dans le domaine extérieur et matériel.

17. Que l'enchaînement des causes tend inévitablement à remonter et à s'avancer vers un Esprit infini, qui est non-seulement un principe formateur (la sagesse), mais une source d'affection (l'amour), ‑ soutenant ainsi le double rapport de la parenté, du père et de la mère, de toutes les intelligences finies, qui, partant, sont unies par des liens filiaux.

18. Que l'homme, à titre d'enfant de ce parent infini, est sa plus haute représentation sur cette sphère d'êtres, l'homme parfait étant la personnification la plus complète de la « plénitude du Père » que nous puissions contempler, et que chaque homme, en vertu de cette parenté, est, ou a dans ses replis intimes, un germe de divinité, une portion incorruptible de l'essence divine qui le porte constamment au bien, et qui, avec le temps, surmontera toutes les imperfections inhérentes à la condition rudimentaire ou terrestre, et triomphera de tout mal.

19. Que le mal est le défaut plus ou moins grand d'harmonie avec ce principe intime ou divin ; et partant, qu'on l'appelle Christianisme, Spiritualisme, Religion, Philosophie ; qu'on reconnaisse le « Saint-Esprit, » la Bible, ou l'inspiration spirituelle et céleste, tout ce qui aide l'homme à soumettre à sa nature interne ce qu'il y a de plus extérieur en lui, et à le rendre harmonieux avec elle, est un moyen de triompher du mal.

Voici donc la base de la croyance des spirites américains ; si ce n'est celle de la totalité, c'est au moins celle de la majorité. Cette croyance n'est pas plus le résultat d'un système préconçu dans ce pays, que le Spiritisme en Europe ; nul ne l'a imaginé ; on a vu, on a observé, et l'on en a tiré des conclusions. Là-bas, pas plus qu'ici, on n'est parti de l'hypothèse des Esprits pour expliquer les phénomènes ; mais, des phénomènes comme effet, on est arrivé par l'observation aux Esprits comme cause. C'est là une circonstance capitale dont les détracteurs s'obstinent à ne pas tenir compte. Parce qu'ils arrivent eux, avec la pensée, le désir même de ne pas trouver les Esprits, ils se figurent que les spirites ont dû prendre leur point de départ dans l'idée préconçue des Esprits, et que l'imagination en a fait voir partout. Comment se fait-il alors que tant de gens qui n'y croyaient pas se sont rendus à l'évidence ? Il y en a des milliers d'exemples, en Amérique comme ici. Beaucoup, au contraire, ont passé par l'hypothèse que M. Chevillard croit avoir inventée, et ils n'y ont renoncé qu'après en avoir reconnu l'impuissance pour tout expliquer. Encore une fois, on n'est arrivé à l'affirmation des Esprits qu'après avoir essayé de toutes les autres solutions.

On a pu déjà remarquer les rapports et les différences qui existent entre les deux écoles, et pour ceux qui ne se payent pas de mots, mais qui vont au fond des idées, la différence se réduit à bien peu de chose. Ces deux écoles ne s'étant point copiées, cette coïncidence est un fait très remarquable. Ainsi, voici des deux côtés de l'Atlantique, des millions de personnes qui observent un phénomène, et qui arrivent au même résultat. Il est vrai que M. Chevillard n'avait pas encore passé par là pour apposer son veto et dire à ces millions d'individus, parmi lesquels il y en a bon nombre qui ne passent pas pour des sots : « Vous vous êtes tous trompés ; moi seul possède la clef de ces étranges phénomènes, et je vais en donner au monde la solution définitive. »

Pour rendre la comparaison plus facile, nous allons prendre la profession de foi américaine, article par article, et mettre en parallèle ce que dit, sur chacune des propositions qui y sont formulées, la doctrine du Livre des Esprits, publié en 1857, et qui est en outre développée dans les autres ouvrages fondamentaux.

On en trouvera un résumé plus complet dans le chapitre II du « Qu'est-ce le Spiritisme ? »

1. L'homme possède une âme ou Esprit, principe intelligent, en qui résident la pensée, la volonté, le sens moral, et dont le corps n'est que l'enveloppe matérielle. L'Esprit est l'être principal, préexistant et survivant au corps, qui n'est qu'un accessoire temporaire.

L'Esprit, soit pendant la vie charnelle, soit après l'avoir quittée, est revêtu d'un corps fluidique ou périsprit, qui reproduit la forme du corps matériel.

2. L'Esprit est immortel ; le corps seul est périssable.

3. Les Esprits, dégagés du corps charnel, constituent le monde invisible ou spirituel, qui nous entoure et au milieu duquel nous vivons.

Les transformations fluidiques produisent des images et des objets aussi réels pour les Esprits, qui sont eux-mêmes fluidiques, que le sont les images et les objets terrestres pour les hommes, qui sont matériels. Tout est relatif dans chacun de ces deux mondes. (Voir la Genèse selon le Spiritisme, chapitre des fluides et des créations fluidiques.)

4. La mort du corps ne change rien à la nature de l'Esprit qui conserve les aptitudes intellectuelles et morales acquises pendent la vie terrestre.

5. L'Esprit porte en lui-même les éléments de son bonheur ou de son malheur ; il est heureux ou malheureux en raison du degré de son épuration morale ; il souffre de ses propres imperfections dont il subit les conséquences naturelles, sans que la punition soit le fait d'une condamnation spéciale et individuelle.

Le malheur de l'homme sur la terre provient de l'inobservance des lois divines ; quand il conformera ses actes et ses institutions sociales à ces lois, il sera aussi heureux que le comporte sa nature corporelle.

6. Rien de ce que l'homme acquiert pendant la vie terrestre en connaissances et en perfections morales n'est perdu pour lui ; il est, dans la vie future, ce qu'il s'est fait dans la vie présente.

7. Le progrès est la loi universelle ; en vertu de cette loi, l'Esprit progresse indéfiniment.

8. Les Esprits sont au milieu de nous ; ils nous entourent, nous voient, nous entendent et se mêlent, dans une certaine mesure, aux actions des hommes.

9. Les Esprits n'étant autres que les âmes des hommes, on trouve parmi eux tous les degrés de savoir et d'ignorance, de bonté et de perversité qui existent sur la terre.

10. Le ciel et l'enfer, selon la croyance vulgaire, sont des lieux circonscrits de récompenses et de punitions. Selon le Spiritisme, les Esprits, portant en eux-mêmes les éléments de leur félicité ou de leurs souffrances, sont heureux ou malheureux partout où ils se trouvent ; les mots ciel et enfer ne sont que des figures qui caractérisent un état de bonheur ou de malheur.

Il y a, pour ainsi dire, autant de degrés parmi les Esprits qu'il y a de nuances dans les aptitudes intellectuelles et morales ; néanmoins, si l'on considère les caractères les plus tranchés, on peut les grouper en neuf classes ou catégories principales pouvant se subdiviser à l'infini, sans que cette classification ait rien d'absolu. (Livre des Esprits ; liv. II, chap. I, n° 100, échelle spirite.)

A mesure que les Esprits avancent dans la perfection, ils habitent des mondes de plus en plus avancés physiquement et moralement. C'est sans doute ce qu'entendait Jésus par ces paroles : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père. » (Voir Evangile selon le Spiritisme, chap. III.)

11. Les Esprits peuvent se manifester aux hommes de diverses manières : par l'inspiration, la parole, la vue, l'écriture, etc.

C'est une erreur de croire que les Esprits ont la science infuse ; leur savoir, dans l'espace comme sur la terre, est subordonné à leur degré d'avancement, et il en est qui, sur certaines choses, en savent moins que les hommes. Leurs communications sont en rapport avec leurs connaissances, et, par cela même, ne sauraient être infaillibles. La pensée de l'Esprit peut, en outre, être altérée par le milieu qu'elle traverse pour se manifester.

A ceux qui demandent à quoi servent les communications des Esprits, du moment qu'ils n'en savent pas plus que les hommes, on répond qu'elles servent d'abord à prouver que les Esprits existent, et, par conséquent, l'immortalité de l'âme ; secondement, à nous apprendre où ils sont, ce qu'ils sont, ce qu'ils font, et à quelles conditions on est heureux ou malheureux dans la vie future ; troisièmement, à détruire les préjugés vulgaires sur la nature des Esprits et l'état des âmes après la mort, toutes choses que l'on ne saurait pas sans les communications avec le monde invisible.

12. Les communications des Esprits sont des opinions personnelles qui ne doivent point être acceptées aveuglément. L'homme ne doit, en aucune circonstance, faire abnégation de son jugement et de son libre arbitre. Ce serait faire preuve d'ignorance et de légèreté d'accepter comme des vérités absolues tout ce qui vient des Esprits ; ils disent ce qu'ils savent ; c'est à nous de soumettre leurs enseignements au contrôle de la logique et de la raison.

13. Les manifestations étant la conséquence du contact incessant des Esprits et des hommes, il y en a eu dans tous les temps ; elles sont dans l'ordre des lois de la nature, et n'ont rien de miraculeux quelle que soit la forme sous laquelle elles se présentent. Ces manifestations mettant en rapport le monde matériel et le monde spirituel, tendent à l'élévation de l'homme, en lui prouvant que la terre n'est pour lui ni le commencement, ni la fin de toutes choses, et qu'il a d'autres destinées.

14. Les êtres désignés sous le nom d'anges ou de démons ne sont point des créations spéciales, distinctes de l'humanité ; les anges sont des Esprits sortis de l'humanité et qui sont arrivés à la perfection ; les démons sont des Esprits encore imparfaits, mais qui s'amélioreront.

Il serait contraire à la justice et à la bonté de Dieu, d'avoir créé des êtres perpétuellement voués au mal, incapables de revenir au bien, et d'autres, privilégiés, exempts de tout travail pour arriver à la perfection et au bonheur.

Selon le Spiritisme, Dieu n'a de faveurs ni de privilèges pour aucune de ses créatures ; tous les Esprits ont un même point de départ et la même route à parcourir pour arriver, par leur travail, à la perfection et au bonheur. Les uns sont arrivés : ce sont les anges ou purs Esprits ; les autres sont encore en arrière : ce sont les Esprits imparfaits. (Voir la Genèse, chapitres des Anges et des Démons.)

15. Le Spiritisme n'admet pas les miracles dans le sens théologique du mot, attendu que, selon lui, rien ne s'accomplit en dehors des lois de la nature. Certains faits, en les supposant authentiques, n'ont été réputés miraculeux, que parce qu'on en ignorait les causes naturelles. Le caractère du miracle est d'être exceptionnel et insolite ; lorsqu'un fait se reproduit spontanément ou facultativement, c'est qu'il est soumis à une loi, et dès lors ce n'est plus un miracle. Les phénomènes de double vue, d'apparitions, de prescience, de guérisons par l'imposition des mains, et tous les effets désignés sous le nom de manifestations physiques sont dans ce cas. (Voir, pour le développement complet de cette question, la deuxième partie de la Genèse, les Miracles et les prédictions selon le Spiritisme.)

16. Toutes les facultés intellectuelles et morales ont leur source dans le principe spirituel, et non dans le principe matériel.

17. L'Esprit de l'homme, en s'épurant, tend à se rapprocher de la divinité, principe et fin de toutes choses.

18. L'âme humaine, émanation divine, porte en elle le germe ou principe du bien qui est son but final, et doit la faire triompher des imperfections inhérentes à son état d'infériorité sur la terre.

19. Tout ce qui tend à élever l'homme, à dégager son âme des étreintes de la matière, que ce soit sous forme philosophique ou religieuse, est un élément de progrès qui le rapproche du bien, en l'aidant à triompher de ses mauvais instincts.

Toutes les religions conduisent à ce but, par des moyens plus ou moins efficaces et rationnels, selon le degré d'avancement des hommes à l'usage desquels elles ont été faites.



En quoi le Spiritisme américain diffère-t-il donc du Spiritisme européen ? Serait-ce parce que l'un s'appelle Spiritualisme et l'autre Spiritisme ? Puérile question de mots sur laquelle il serait superflu d'insister. Des deux côtés on voit la chose d'un point trop élevé pour s'attacher à une pareille futilité. Peut-être diffèrent-ils encore sur quelques points de forme et de détails, tout aussi insignifiants, et qui tiennent plus aux mœurs et aux usages de chaque contrée qu'au fond de la doctrine. L'essentiel est qu'il y ait concordance sur les points fondamentaux, c'est ce qui ressort avec évidence de la comparaison ci-dessus.

Tous les deux reconnaissent le progrès indéfini de l'âme comme la loi essentielle de l'avenir ; tous les deux admettent la pluralité des existences successives dans des mondes de plus en plus avancés ; la seule différence consiste en ce que le Spiritisme européen admet cette pluralité d'existences sur la terre jusqu'à ce que l'Esprit y ait acquis le degré d'avancement intellectuel et moral que comporte ce globe, après quoi il le quitte pour d'autres mondes, où il acquiert de nouvelles qualités et de nouvelles connaissances. D'accord sur l'idée principale, ils ne diffèrent donc que sur un des modes d'application. Est-ce que ce peut être là une cause d'antagonisme entre gens qui poursuivent un grand but humanitaire ?

Au reste, le principe de la réincarnation sur la terre n'est pas particulier au Spiritisme européen ; c'était un point fondamental de la doctrine druidique ; de nos jours, il a été proclamé avant le Spiritisme par d'illustres philosophes tels que Dupont de Nemours, Charles Fourier, Jean Reynaud, etc. On ferait une liste interminable des écrivains de toutes les nations, poètes, romanciers et autres qui l'ont affirmé dans leurs ouvrages ; aux Etats Unis nous citerons Benjamin Franklin, et Mme Beecher Stowe, auteur de la Case de l'oncle Tom.

Nous n'en sommes donc ni le créateur, ni l'inventeur. Aujourd'hui il tend à prendre place dans la philosophie moderne, en dehors du Spiritisme, comme seule solution possible et rationnelle d'une foule de problèmes psychologiques et moraux jusqu'à ce jour inexplicables. Ce n'est pas ici le lieu de discuter cette question, pour le développement de laquelle nous renvoyons à l'introduction du Livre des Esprits, et au chapitre IV de l'Evangile selon le Spiritisme. De deux choses l'une : ce principe est vrai ou il ne l'est pas ; s'il est vrai, c'est une loi, et comme toute loi de nature, ce ne sont pas les opinions contraires de quelques hommes qui l'empêcheront d'être une vérité et d'être accepté.

Nous avons déjà expliqué maintes fois les causes qui s'étaient opposées à son introduction dans le Spiritisme américain ; ces causes disparaissent chaque jour, et il est à notre connaissance que déjà il rencontre de nombreuses sympathies dans ce pays. Au reste, le programme ci-dessus n'en parle pas ; s'il n'y est pas proclamé, il n'y est pas contesté ; on peut même dire qu'il ressort implicitement, comme conséquence forcée, de certaines affirmations.

En somme, comme on le voit, la plus grande barrière qui sépare les spirites des deux continents, c'est l'Océan, à travers lequel ils peuvent parfaitement se donner la main.

Ce qui a manqué aux Etats Unis, c'est un centre d'action pour coordonner les principes ; il n'y existe pas, à proprement parler, de corps méthodique de doctrine ; on y trouve, comme on a pu s'en convaincre, des idées très justes et d'une haute portée, mais sans liaison. C'est l'avis de tous les Américains que nous avons eu l'occasion de voir, et il est confirmé par un rapport fait à l'une des conventions tenues à Cleveland en 1867, et dont nous extrayons les passages suivants :

« Dans l'opinion de votre commission, ce qu'on appelle aujourd'hui le Spiritualisme est un chaos où la vérité la plus pure est mêlée sans cesse aux erreurs les plus grossières. Une des choses qui serviront le plus à l'avancement de la philosophie nouvelle sera l'habitude d'employer de bonnes méthodes d'observation. Nous recommandons à nos frères et à nos sœurs une attention poussée au scrupule dans toute cette partie du Spiritualisme. Nous les engageons aussi à se défier des apparences et à ne pas prendre toujours pour un état extatique ou pour une agitation venue du monde spirituel, des dispositions d'âme qui peuvent tirer leur origine du désordre des organes, et en particulier des maladies des nerfs ou du foie, ou de toute autre excitation complètement indépendante de l'action des Esprits.

Chacun des membres de la commission avait déjà une expérience fort longue de ces phénomènes ; depuis dix à quinze ans, nous avions tous été témoins de faits dont l'origine extra-terrestre ne pouvait être révoquée en doute, et qui s'imposaient à la raison. Mais nous étions tous également convaincus qu'une grande partie de ce qu'on donne à la foule comme des manifestations spiritualistes, sont tout simplement des tours de passe-passe plus ou moins adroitement exécutés par des fourbes qui s'en servent pour exploiter la crédulité publique.

Les remarques que nous venons de faire au sujet des jongleries qualifiées de manifestations, s'appliquent dans leur entier à tous les soi-disant médiums qui refusent de faire leurs expériences ailleurs que dans une chambre noire : les Davenport, Fays, Eddies, Ferrises, Church, miss Vanwie et autres, qui prétendent faire des choses matériellement impossibles, et se donnent comme les instruments des Esprits, sans apporter la moindre preuve à l'appui de leurs opérations. Après une investigation attentive de la matière, nous sommes dans l'obligation de déclarer que l'obscurité n'est pas une condition indispensable à la production des phénomènes ; qu'elle est réclamée comme telle seulement par des fourbes, et qu'elle n'a d'autre utilité que de favoriser leurs tromperies. Nous engageons, en conséquence, les personnes qui s'occupent de Spiritualisme, à renoncer à évoquer les Esprits dans l'obscurité.

En Critiquant une pratique qui peut être remplacée sans peine par des modes d'expérimentation infiniment plus probants, nous n'entendons pas infliger un blâme aux médiums qui en usent de bonne foi, mais dénoncer à l'opinion les charlatans qui exploitent une chose digne de tous les respects. Nous voulons défendre les véritables médiums, et délivrer notre glorieuse cause des imposteurs qui la déshonorent.

Nous croyons aux manifestations physiques ; elles sont indispensables aux progrès du Spiritualisme. Ce sont des preuves simples et nettes qui frappent, dès l'abord, ceux que n'aveuglent pas les préjugés ; elles sont un point de départ pour arriver à l'intelligence des manifestations d'un ordre plus élevé, le chemin qui a conduit la plupart des spiritualistes américains de l'athéisme ou du doute, à la connaissance de l'immortalité de l'âme. » (Extrait du New-York Herald, du 10 septembre 1867.)

Les conférences de M. Chevillard

Appréciées par le journal Paris

(Voir la Revue Spirite de Mars 1869, page 83)

On lit dans le journal Paris, du 7 mars 1869, à propos des conférences de M. Chevillard, sur le Spiritisme :

« On se souvient quel bruit fit, il y a quelques années, dans le monde, le phénomène des tables tournantes.

Pas de famille qui ne possédât son guéridon animé, pas de cercle qui n'eût ses Esprits familiers ; on prenait jour pour faire tourner la table, comme on se donne rendez-vous aujourd'hui pour une sauterie. Un instant la curiosité publique (ravivée par le clergé effrayant les âmes timorées par le spectre abominable de Satan), ne connut plus de bornes, et les tables craquaient, tapaient, dansaient, du sous-sol à la mansarde, avec une obéissance des plus méritoires.

Peu à peu la fièvre tomba, le silence se fit, la mode trouva d'autres amusements, qui sait ? Les tableaux vivants, sans doute.

Mais en s'éloignant, la foule laissait immobiles quelques entêtés, rivés quand même à ces manifestations singulières. Insensiblement une sorte de lien mystérieux s'étendait courant de l'un à l'autre. Les isolés de la veille se comptaient le lendemain ; bientôt une vaste association ne faisait plus, de ces groupes épars, qu'une seule famille marchant, sous la devise d'une croyance commune, à la recherche de la vérité par le Spiritisme.

A cette heure, paraît-il, l'armée compte assez de soldats aguerris pour qu'on lui fasse les honneurs du combat ; et M. Chevillard, après avoir présenté la solution DÉfinitive du problème spirite, n'a pas hésité à poursuivre son sujet dans une conférence nouvelle : Les illusions du Spiritisme.

D'autre part, M. Desjardin, après avoir parlé des novateurs en médecine, menace de heurter prochainement les théories spirites. Les croyants riposteront sans doute, ‑ les Esprits ne pouvant trouver une meilleure occasion de s'affirmer. ‑ C'est donc un réveil, une lutte qui s'engage.

Aujourd'hui les spirites sont plus nombreux en Europe qu'on ne le suppose. On les compte par millions, sans parler de ceux qui croient et ne s'en vantent pas. L'armée recrute tous les jours de nouveaux adeptes ; quoi d'étonnant ? Ne sont-ils pas de plus en plus nombreux ceux qui pleurent et demandent aux communications d'un monde meilleur, l'espérance de l'avenir ?

La discussion sur ce sujet paraît devoir être sérieuse. Il n'est pas sans intérêt de prendre quelques notes dès le premier jour.

M. Chevillard est généreux ; il ne nie pas les faits ; ‑ il affirme la bonne foi des médiums avec lesquels il a été mis en rapport ; il n'éprouve aucun embarras à déclarer qu'il a produit lui-même les phénomènes dont il parle. Les spirites, je gage, ne se trouvèrent jamais à pareille fête, et ils ne manqueront pas de tirer parti de telles concessions, ‑ s'ils peuvent opposer à M. Chevillard autre chose que la sincérité de leur conviction.

Ce n'est pas à nous de répondre, mais simplement de dégager de cet ensemble de faits les quelques lois magnétiques qui composent la théorie du conférencier. « Les vibrations de la table, dit-il, sont produites par la pensée interne volontaire du médium, aidé du désir des assistants crédules, toujours nombreux. » Ainsi se trouve formellement indiqué le fluide nerveux ou vital, avec lequel M. Chevillard établit la solution DÉfinitive du problème spirite. « Tout fait spirite, ajoute-t-il plus loin, est une succession de mouvements produits sur un objet inanimé par un magnétisme inconscient. »

Enfin, résumant tout son système dans une formule abstraite, il affirme que « l'idée de l'action volontaire mécanique se transmet, par le fluide nerveux, du cerveau jusqu'à l'objet inanimé qui exécute l'action en qualité d'organe lié par le fluide à l'être voulant, que la liaison soit au contact ou à distance ; mais l'être n'a pas la perception de son acte, parce qu'il ne l'exécute pas par un effort musculaire. »

Ces trois exemples suffisent pour indiquer une théorie, que d'ailleurs nous n'avons pas à discuter, et sur laquelle nous aurons peut-être à revenir plus tard ; mais, nous souvenant d'une leçon de M. E. Caro, à la Sorbonne, volontiers reprocherions-nous à M. Chevillard le titre même de sa conférence. S'est-il demandé d'abord si, dans ces questions qui échappent au contrôle, à la preuve mathématique, ‑ que l'on ne peut juger que par déductions, ‑ la recherche des causes premières n'est pas incompatible avec les formules de la science ?

Le Spiritisme laisse une trop large part à la liberté de raisonnement pour pouvoir relever de la science proprement dite. Les faits que l'on constate, merveilleux sans doute, mais toujours identiques, échappent à tout contrôle, et la conviction ne peut naître que de la multiplicité des observations.

La cause, quoi qu'en disent les initiés, reste un mystère pour l'homme qui, froidement, pèse ces phénomènes étranges, et les croyants en sont réduits à faire des vœux pour que, tôt ou tard, une circonstance fortuite déchire ce voile qui cache à nos yeux les grands problèmes de la vie, et nous montre radieux le dieu inconnu.

Pagès de Noyez. »

Nous avons donné notre appréciation sur la portée des conférences de M. Chevillard dans notre précédent numéro, et il serait superflu de réfuter une théorie qui, nous l'avons dit, n'a rien de nouveau, quoi qu'en pense l'auteur. Qu'il ait son système sur la cause des manifestations, c'est son droit ; qu'il le croie juste, c'est assez naturel ; mais qu'il ait la prétention de donner à lui seul la solution définitive du problème, c'est dire qu'à lui seul est donné le dernier mot des secrets de la nature, et qu'après lui, il n'y a plus rien à voir, ni rien à découvrir. Quel est le savant qui a jamais prononcé le nec plus ultra dans les sciences ? Il est des choses qu'on peut penser, mais qu'il n'est pas toujours adroit de dire trop haut.

Au reste, nous n'avons vu aucun spirite s'inquiéter de la prétendue découverte de M. Chevillard ; tous, au contraire, font des vœux pour qu'il en poursuive l'application jusqu'à ses dernières limites, sans omettre aucun des phénomènes qu'on pourrait lui opposer ; on voudrait surtout lui voir résoudre définitivement ces deux questions :

Que deviennent les Esprits des hommes après la mort ?

En vertu de quelle loi ces mêmes Esprits, qui agitaient la matière pendant la vie du corps, ne peuvent plus l'agiter après la mort et se manifester aux vivants ?

Si M. Chevillard admet que l'Esprit est distinct de la matière, et que cet Esprit survit au corps, il doit admettre que le corps est l'instrument de l'Esprit dans les différents actes de la vie ; qu'il obéit à la volonté de l'Esprit. Puisqu'il admet que, par la transmission du fluide électrique, les tables, crayons et autres objets deviennent des appendices du corps et obéissent ainsi à la pensée de l'Esprit incarné, pourquoi, par un courant électrique analogue, ne pourraient-ils pas obéir à la pensée d'un Esprit désincarné ?

Parmi ceux qui admettent la réalité des phénomènes, quatre hypothèses ont été émises sur leur cause, savoir : 1° L'action exclusive du fluide nerveux, électrique, magnétique ou tout autre ; 2° Le reflet de la pensée des médiums et des assistants, dans les manifestations intelligentes ; 3° L'intervention des démons ; 4° La continuité des rapports des Esprits humains, dégagés de la matière, avec le monde corporel.

Ces quatre propositions ont été, depuis l'origine du Spiritisme, préconisées et discutées sous toutes les formes, dans de nombreux écrits, par des hommes d'une valeur incontestable. La lumière de la discussion n'a donc pas manqué. Comment se fait-il que, de ces divers systèmes, celui des Esprits ait rencontré le plus de sympathies ; qu'il ait seul prévalu, et soit aujourd'hui le seul admis par l'immense majorité des observateurs dans tous les pays du monde ; que tous les arguments de ses adversaires, après plus de quinze ans, n'aient pu en triompher, s'ils sont l'expression de la vérité ?

C'est encore une question intéressante à résoudre.



L'enfant électrique

Plusieurs journaux ont reproduit le fait suivant :

Le village de Saint-Urbain, sur les limites de la Loire et de l'Ardèche, est tout en émoi. Il s'y passe, nous écrit-on, d'étranges choses. Les uns les imputent au diable, d'autres y voient le doigt de Dieu, marquant du sceau de la prédestination l'une de ses créatures privilégiées.

Voici en deux mots de quoi il s'agit, dit le Mémorial de la Loire :

« Il y a une quinzaine de jours est né, dans ce hameau, un enfant qui, dès son entrée dans le monde, a manifesté les plus étonnantes vertus, les savants diraient les propriétés les plus singulières. A peine ondoyé, il est devenu impalpable et intangible ! Intangible, non point comme la sensitive, mais à la façon d'une bouteille de Leyde chargée d'électricité, qu'on ne peut toucher sans ressentir une vive commotion. Et puis, il est lumineux ! De toutes ses extrémités s'échappent, par moments, des effluves brillants qui le font ressembler à une luciole.

A mesure que le bébé se développe et se fortifie, ces curieux phénomènes s'accusent avec plus d'énergie et d'intensité. Même il s'en produit de nouveaux. On raconte, par exemple, qu'à certains jours, lorsqu'on approche des mains ou des pieds de l'enfant quelque objet de mince volume, tel qu'une cuiller, un couteau, une tasse, même une assiette, ces ustensiles sont pris d'un frémissement et d'une vibration subits que rien ne peut expliquer.

C'est particulièrement dans la soirée et dans la nuit que ces faits extraordinaires s'accentuent à l'état de sommeil comme à l'état de veille. Parfois alors, ‑ et ceci tient du prodige, ‑ le berceau paraît s'emplir d'une clarté blanchâtre, pareille à ces belles phosphorescences que prennent les eaux de la mer dans le sillage des vaisseaux, et que la science n'a point encore parfaitement expliquées.

L'enfant ne paraît d'ailleurs nullement incommodé des manifestations dont sa petite personne est le mystérieux théâtre. Il tette, dort et se porte fort bien, et n'est ni moins pleureur ni plus impatient que ses pareils. Il a deux jeunes frères de quatre à cinq ans, qui sont nés et vivent à la manière des plus vulgaires marmots.

Ajoutons que les parents, braves cultivateurs, touchant à la quarantaine du côté du mari, à la trentaine du côté de la femme, sont les époux les moins électriques et les moins lumineux du monde. Ils ne brillent que par leur honnêteté, et le soin avec lequel ils élèvent leur petite famille.

On a appelé le curé de la commune voisine, qui a déclaré, après un long examen, n'y rien comprendre du tout ; puis le chirurgien qui a palpé, repalpé, tourné, retourné, ausculté et percuté le sujet, sans vouloir se prononcer nettement sur son cas, mais qui prépare un savant rapport à l'Académie, dont on parlera dans le monde médical.

Un malin du pays, il y en a partout, flairant là une bonne petite spéculation, a proposé de louer l'enfant à raison de 200 fr. par mois « pour le montrer dans les foires. » C'est une bien belle affaire pour les parents. Mais naturellement le père et la mère veulent accompagner un fils si précieux ‑ à 2 francs par jour ‑ et cette condition arrête encore la conclusion du marché.

Le correspondant qui nous donne ces étranges détails nous certifie « sur son honneur » qu'ils sont de la plus exacte vérité, et il a eu soin de faire contre signer sa lettre par « les quatre plus grands propriétaires du pays. »

Aucun Spirite, assurément, ne verra dans ce fait rien de surnaturel ni de miraculeux. C'est un phénomène purement physique, une variante, pour la forme, de celui que présentent les personnes dites électriques. On sait que certains animaux, tels que la torpille et le gymnote, ont des propriétés analogues.

Voici l'instruction donnée à ce sujet par l'un des guides instructeurs de la société de Paris.

« Comme nous vous l'avons dit fréquemment, les phénomènes les plus singuliers se multiplient chaque jour pour attirer l'attention de la science ; l'enfant en question est donc un instrument, mais il n'a été choisi à cet effet qu'en raison de la situation qui lui était faite par son passé. Quelque excentrique que soit, en apparence, un phénomène quelconque, produit sur un incarné, il a toujours pour cause immédiate la situation intelligente et morale de cet incarné, et un rapport avec ses antécédents, toutes les existences étant solidaires. C'est un sujet d'étude, sans doute, pour ceux qui en sont témoins, mais secondairement. C'est surtout pour celui qui en est l'objet, une épreuve ou une expiation. Il y a donc le fait matériel qui est du ressort de la science, et la cause morale qui appartient au Spiritisme.

Mais, direz-vous, comment un état pareil peut-il être une épreuve pour un enfant de cet âge ? Pour l'enfant, non, assurément, mais pour l'Esprit qui n'a pas d'âge, l'épreuve est certaine.

Se trouvant, comme incarné, dans une situation exceptionnelle, entouré d'une auréole physique qui n'est qu'un masque, mais qui peut passer aux yeux de certaines gens pour un signe de sainteté ou de prédestination, l'Esprit, dégagé pendant son sommeil, s'enorgueillit de l'impression qu'il produit. C'était un thaumaturge d'une espèce particulière, qui a passé sa dernière existence à jouer le saint personnage au milieu des prestiges qu'il s'était exercé à accomplir, et qui a voulu poursuivre son rôle dans cette existence. Pour s'attirer le respect et la vénération, il a voulu naître, comme enfant, dans des conditions exceptionnelles. S'il vit, ce sera un faux prophète de l'avenir, et ce ne sera pas le seul.

Quand au phénomène en lui-même, il est certain qu'il aura peu de durée ; la science doit donc se presser si elle veut l'étudier de visu ; mais elle n'en fera rien, ayant peur de rencontrer des difficultés embarrassantes ; elle se contentera de considérer l'enfant comme une torpille humaine. »

Le docteur Morel Lavallée.



Un curé médium guérisseur

Un de nos abonnés du département des Hautes-Alpes, nous écrit ce qui suit :

« Depuis quelque temps on parle beaucoup, dans la vallée du Queyras, d'un curé qui, sans études médicales, guérit une foule de personnes de diverses affections. Il y a longtemps qu'il agit ainsi, et d'augustes personnages l'ont, dit-on, consulté, alors qu'il était chef d'une autre paroisse dans les Basses-Alpes. Ses cures avaient fait du bruit, et l'on dit que, par punition, il fut envoyé comme curé à La Chalpe, commune voisine d'Abriès, sur la frontière du Piémont. Là, il continue à être utile à l'humanité, en soulageant et guérissant comme par le passé.

Pour les spirites, cela n'a rien d'étonnant ; si je vous en parle, c'est parce que, dans la vallée du Queyras comme ailleurs, il fait beaucoup de bruit. Comme tous les médiums guérisseurs sérieux, il n'accepte jamais rien. S. M. l'Impératrice douairière de Russie lui aurait offert, m'a-t-on dit, plusieurs billets de banque qu'il a refusés, la priant de les mettre au tronc si elle voulait les donner pour son église.

Un autre individu glissa un jour une pièce de vingt francs dans ses papiers ; quand il s'en fut aperçu, il le fit revenir sous prétexte de nouvelles indications à lui donner, et lui rendit son argent.

Une foule de personnes parlent de ces guérisons de visu ; d'autres n'y croient pas ; je tiens le fait suivant de celles qui sont le moins favorables.

On avait dénoncé le curé pour exercice illégal de la médecine ; deux gendarmes se présentent chez lui pour le conduire vers l'autorité. Il leur dit : « Je vous suivrai ; mais un instant, s'il vous plaît, car je n'ai pas mangé. Déjeunez avec moi, et vous me garderez. » Pendant le repas, il dit à l'un des gendarmes : « ‑ Vous êtes malade. ‑ Malade ? non plus à présent ; il y a trois mois, je ne dis pas. ‑ Eh bien ! je sais ce que vous avez, et, si vous le voulez, je puis vous guérir tout de suite, si vous faites ce que je vous dirai. » On pourparle et la proposition est acceptée.

Le curé fit suspendre le gendarme par les pieds, de façon que ses mains pussent se poser à terre et le soutenir ; il plaça sous sa tête une écuelle de lait chaud, et lui administra ce qu'on appelle une fumigation au lait. Au bout de quelques minutes, un petit serpent, disent les uns, un gros ver selon d'autres, tombe dans l'écuelle. Le gendarme, reconnaissant, fait mettre le serpent dans une bouteille, et conduit le curé au magistrat auquel il explique son affaire, après quoi le curé est mis en liberté.

J'aurais bien désiré voir ce curé, ajoute notre correspondant, mais la neige de nos montagnes rend les chemins trop difficiles en cette saison ; je suis obligé de me contenter des renseignements que je vous transmets. La conclusion de tout cela, c'est que cette faculté se développe et que les exemples se multiplient. Dans la commune que je vous cite, et dans notre vallée, cela produit un grand effet. Comme toujours, les uns disent : Charlatan ; d'autres, démon ; d'autres, sorcier ; mais les faits sont là, et je n'ai pas manqué l'occasion de dire ma façon de penser, en expliquant que les faits de ce genre n'ont rien de surnaturel, ni de diabolique, qu'on en a vu des milliers d'exemples depuis les temps les plus reculés, et que c'est un mode de manifestation de la puissance de Dieu, sans qu'il y ait dérogation à ses lois éternelles. »


Variétés

Les miracles du Bois-d'Haine

Le Progrès thérapeutique, journal de médecine, dans son numéro du 1er mars 1869, rend compte d'un phénomène bizarre, devenu un objet de curiosité publique au bourg de Bois-d'Haine, en Belgique. Il s'agit d'une jeune fille de 18 ans qui, tous les vendredis, de 1 h. et demie à 4 h. et demie tombe, dans un état d'extase cataleptique ; dans cet état, elle est couchée, les bras étendus, les pieds l'un sur l'autre, dans la position de Jésus sur la croix.

L'insensibilité et la rigidité des membres ont été constatés par plusieurs médecins. Pendant la crise, cinq plaies s'ouvrent aux endroits précis où furent celles du Christ, et laissent suinter du sang véritable. Après la crise le sang cesse de couler, les plaies se ferment, et sont cicatrisées en 24 heures. Pendant les accès, dit le docteur Beaucourt, auteur de l'article, le R. P. Séraphin présent aux séances, grâce à l'ascendant qu'il a sur la malade, a le pouvoir de la rappeler de son extase. Il ajoute : « Tout homme qui n'est pas athée doit, pour être logique, admettre que celui qui a établi les lois admirables, tant physiques que physiologiques, qui régissent la nature, peut aussi, à son gré, suspendre ou changer momentanément une ou plusieurs de ces lois. »

C'est, comme on le voit, un miracle dans toutes les règles, et une répétition de celui des stigmatisés. Comme les miracles selon l'Église ne sont pas du ressort du Spiritisme, nous croyons superflu de pousser plus loin la recherche des causes du phénomène ; et cela d'autant mieux qu'un autre journal a dit, depuis, que l'évêque du diocèse avait interdit toute exhibition.



Le Réveil de M. Louis



Nous avons publié, dans le précédent numéro, le récit du singulier état d'un Esprit qui croyait rêver. Il s'est enfin réveillé, et l'a annoncé spontanément dans la communication suivante :

(Société de Paris, 12 Février 1869. ‑ Méd., M. Leymarie.)

« Décidément, messieurs, il faut, malgré moi, que j'ouvre les yeux et les oreilles ; il faut que j'entende et que je voie. J'ai beau nier et déclarer que vous êtes des gens à manie, très braves, mais très enclins aux rêveries, aux illusions, il faut, je l'avoue, malgré tous mes dires, que je sache enfin que je ne rêve plus. Là-dessus, je suis fixé, mais complètement fixé. Je viens chez vous tous les vendredis, jours de réunion, et à force d'entendre répéter, j'ai voulu savoir si ce fameux rêve se prolongerait indéfiniment. L'ami Jobard s'est chargé de m'édifier à ce sujet, et cela avec preuves à l'appui.

Je n'appartiens plus à la terre ; je suis mort ; j'ai vu le deuil des miens, les regrets des amis, les contentements de quelques envieux, et maintenant je viens vous voir. Mon corps ne m'a pas suivi ; il est bien là-bas, dans son recoin, au milieu du fumier humain ; et, soit avec ou sans appel, je viens vers vous aujourd'hui, non plus avec dépit, mais avec le désir et la conviction de m'éclairer. Je discerne parfaitement ; je vois ce que j'ai été ; je parcours avec Jobard des distances immenses : donc je vis ; je conçois, je combine, je possède ma volonté et mon libre arbitre : donc tout ne meurt pas. Nous n'étions donc pas une agrégation intelligente de molécules, et toutes nos psalmodies sur l'intelligence de la matière, n'étaient que phrases vides et sans consistance.

Ah ! croyez-le, messieurs, si mes yeux se dessillent, si j'entrevois une vérité nouvelle, ce n'est pas sans souffrances, sans révoltes, sans retours amers !

C'est donc bien vrai ! L'Esprit reste ! fluide, intelligent, il peut, sans la matière, vivre de sa vie propre, éthérée, et selon votre mot : semi-matérielle. Parfois, cependant, je me demande si le rêve fantasque que je faisais depuis plus d'un mois, ne se continue pas avec des péripéties nouvelles, inouïes ; mais le raisonnement froid, impassible, de Jobard, me force la main, et, quand je résiste, il rie, il se plaît à me confondre et, tout joyeux, il m'accable d'épigrammes et de mots heureux ! J'ai beau faire le rebelle et me révolter, il faut obéir à la vérité.

Le Desnoyers de la terre, l'auteur de Jean-Paul Choppard est encore en vie, et sa pensée ardente embrasse d'autres horizons. Il était libéral et terre à terre jadis, tandis qu'à présent, il aborde et embrasse des problèmes inconnus, merveilleux ; et, devant ces nouvelles appréciations, veuillez, messieurs, me pardonner mes dires un peu légers, car si je n'avais pas complètement raison, vous pourriez bien avoir un peu tort.

Je demande à réfléchir, à me reconnaître définitivement, et si le résultat de mes recherches sérieuses me conduit à vos idées, il faut l'espérer, ce ne sera plus pour me brûler la cervelle.

A une autre fois, messieurs.

Louis Desnoyers.

Le même Esprit a donné spontanément la communication ci-après, à propos de la mort de Lamartine.



Société de Paris, 5 Mars 1869. – Méd., M. Leymarie.

Oui, messieurs, nous mourons plus ou moins oubliés ; nous passons, pauvres êtres, fiers des organes qui transmettent nos pensées. Nous voulons la vie avec ses exubérances, nous formons une multitude de projets. Notre sillon, dans ce monde, a pu avoir son retentissement, et la dernière heure venue, tous ces bruits, tout ce petit tapage, notre fierté, notre égoïsme, notre labeur, tout est englouti dans la masse. C'est une goutte d'eau dans l'océan humain.

Lamartine était un grand et noble esprit, chevaleresque, enthousiaste, un vrai maître dans l'acception du mot, un diamant bien pur, bien taillé ; il était beau, grand ; il avait le regard, il avait le geste du prédestiné ; il savait penser, écrire ; il savait parler ; c'était un inspiré, un transformateur !… Poète, il changea l'essor de la littérature en lui prêtant ses ailes prestigieuses ; homme, il gouverna un peuple, une révolution, et ses mains se retirèrent pures du contact du pouvoir.

Nul, plus que lui, ne fut aimé, choyé, béni, adoré ; et lorsque les cheveux blancs sont venus, lorsque le découragement prenait le beau vieillard, le lutteur des grands jours, on ne lui pardonna plus un instant de défaillance. La France elle-même était en défaillance ; elle souffleta le poète, le grand homme ; elle voulut le rapetisser, ce lutteur de deux révolutions, et l'oubli, je le répète, semblait enterrer cette grande et magnanime figure ! Il est mort et bien mort, puisque je l'ai accueilli par delà la tombe, avec tous ceux qui l'avaient apprécié et estimé, malgré l'ostracisme, dont la jeunesse des écoles, se faisait une arme contre lui.

Il était transfiguré, oui, messieurs, transfiguré par la douleur d'avoir vu ceux qui l'avaient tant aimé, lui refuser le dévouement que pourtant il ne sut jamais refuser en d'autres temps, tandis que les vainqueurs lui tendaient la main. Le poète était devenu philosophe, et ce penseur mûrissait son âme endolorie, pour la grande épreuve. Il voyait mieux ; il pressentait tout, tout ce que vous espérez, messieurs, et tout ce que je n'espérais pas.

Plus que lui, je suis un vaincu ; vaincu par la mort, vaincu de mon vivant par le besoin, cet ennemi insaisissable qui nous taquine comme un rongeur ; et bien plus vaincu aujourd'hui, car je viens m'incliner devant la vérité.

Ah ! si pour la France une grande vérité luit aujourd'hui ; si la France de 89, si la mère de tant de génies disparus, recommence à sentir que l'un de ses plus chers enfants, le bon, le noble Lamartine a disparu, je sens aujourd'hui que, pour lui, rien n'est mort ; son souvenir est partout ; les ondes sonores de tant de souvenirs émeuvent le monde. Il était immortel chez vous, mais bien plus encore chez nous où il est réellement transfiguré. Son Esprit resplendit, et Dieu peut recevoir le grand méconnu. Lamartine peut désormais embrasser les plus vastes horizons et chanter les hymnes grandioses que son grand cœur avait rêvées. Il peut préparer votre avenir, mes amis, et accélérer avec nous les étapes humanitaires. Il pourra plus que jamais voir se développer en vous, cet ardent amour d'instruction, de progrès, de liberté et d'association qui sont les éléments de l'avenir. La France est une initiatrice ; elle sait ce qu'elle peut : elle voudra, elle osera, quand sa crinière puissante aura secoué la fourmilière qui vit aux dépens de sa virilité et de sa grandeur.

Pourrai-je, comme lui, gagner mon auréole et devenir resplendissant de bonheur, me voir régénérer par votre croyance, dont je comprends aujourd'hui la grandeur ? Par vous, Dieu m'a marqué comme une brebis égarée ; merci, messieurs. Au contact des morts tant regrettés, je me sens vivre, et je dirai bientôt avec vous dans la même prière : La mort c'est l'auréole ; la mort c'est la vie.

Louis Desnoyers.

Remarque. ‑ Une dame, membre de la société, qui connaissait particulièrement M. Lamartine, et avait assisté à ses derniers moments, venait de dire qu'après sa mort, sa physionomie s'était littéralement transfigurée, qu'elle n'avait plus la décrépitude de la vieillesse ; c'est à cette circonstance que l'Esprit fait allusion.




Dissertations spirites

Lamartine

(Société spirite de Paris, 14 mars 1869. ‑ Méd., M. Leymarie.)

Un ami, un grand poète, m'écrivait dans une douloureuse circonstance : « Elle est toujours votre compagne, invisible, mais présente ; vous avez perdu la femme, mais non l'âme ! Cher ami, vivons dans les morts ! » Pensée consolante, salutaire, qui réconforte dans la lutte et fait penser sans cesse à cette succession ascendante de la matière, à cette unité dans la conception de tout ce qui est, à ce merveilleux et incomparable ouvrier qui, pour la continuité du progrès, attache l'Esprit à cette matière, spiritualisée à son tour par la présence de l'élément supérieur.

Non, ma bien-aimée, je n'ai pu perdre ton âme qui vivait glorieuse, étincelante de toutes les clartés du monde invisible. Ma vie est une protestation vivante contre le fléau menaçant du scepticisme, sous ses formes multiples. Nul, plus que moi, n'a énergiquement affirmé la personnalité divine et cru à la personnalité humaine en défendant la liberté. Si le sentiment de l'infini était développé en moi, si la présence divine palpite dans des pages enthousiastes, c'est que je devais creuser mon sillon ; c'est que je vivais de la présence de Dieu, et cette source sans cesse jaillissante m'a toujours fait croire au bien, au beau, à la droiture, au dévouement, à l'honneur de l'individu, et plus encore à l'honneur de la nation, cette individualité condensée. C'est que ma compagne était une nature d'élite, forte et tendre. Près d'elle, j'ai compris la nature de l'âme et ses rapports intimes avec la statue de chair, cette merveille ! Aussi, mes études étaient-elles spiritualisées, par conséquent fécondes et rapides, tournant sans cesse vers les formes du beau et la passion des lettres. Je mariai la science à la pensée, afin que la philosophie, chez moi, pût se servir de ces deux précieux instruments poétiques.

Parfois ma forme fut abstraite et n'était pas à la portée de tout le monde ; mais les penseurs sérieux l'adoptèrent ; tous les grands esprits de mon époque m'ouvrirent leurs rangs. L'orthodoxie catholique me regardait comme une brebis fuyant le troupeau du pasteur romain, surtout lorsque, emporté par les événements, je partageai la responsabilité d'une révolution glorieuse.

Entraîné un moment par les aspirations populaires, par ce souffle puissant d'idées comprimées, je n'étais plus l'homme des grandes situations ; j'avais terminé mon sillon, et, pour moi, sonnaient, sur le timbre du temps, les heures de lassitude et de découragement. J'ai vu mon calvaire, et pendant que Lamartine le montait péniblement, les enfants de cette France tant aimée, lui crachaient au visage, sans respect pour ses cheveux blancs, l'outrage, le défi, l'injure.

Épreuve solennelle, messieurs, où l'âme se retrempe et se rectifie, car l'oubli c'est la mort, et la mort sur la terre, c'est le commerce avec Dieu, ce dispensateur judicieux de toutes les forces !

Je suis mort en chrétien ; j'étais né dans l'Église, je pars avant elle ! Depuis un an, j'avais une profonde intuition. Je parlais peu, mais je voyageais sans cesse dans ces plaines éthérées où tout se refond sous le regard du Maître des mondes ; le problème de la vie se déroulait majestueusement, glorieusement. J'ai compris la pensée des Swedenborg et de l'école des théosophes, de Fourier, de Jean Reynaud, d'Henri Martin, de Victor Hugo, et le Spiritisme qui m'était familier, quoique en contradiction avec mes préjugés et ma naissance, me préparait au détachement, au départ. La transition n'a pas été pénible ; comme le pollen d'une fleur, mon Esprit, emporté par un tourbillon, a trouvé la plante sœur. Comme vous, je l'appelle erraticité ; et pour me faire aimer cette sœur désirée, ma mère, mon épouse bien-aimée, une multitude d'amis et d'invisibles m'entouraient comme une auréole lumineuse. Plongé dans ce fluide bienfaisant, mon Esprit se rassérénait, comme le corps de ce voyageur du désert qui, après un long voyage sous un ciel de plomb et de feu, trouverait un bain généreux pour son corps, une fontaine limpide et fraîche pour sa soif ardente.

Joies ineffables du ciel sans limites, concerts de toutes les harmonies, molécules qui répercutez les accords de la science divine, chaleur vivifiante de ses impressions innommées que la langue humaine ne saurait déchiffrer, bien-être nouveau, renaissance, complète élasticité, électrique profondeur des certitudes, similitudes des lois, calme plein de grandeur, sphères qui enfermez les humanités, oh ! soyez les bienvenues, émotions prévues, agrandies indéfiniment de rayonnements de l'infini !

Echangez vos idées, Spirites, qui croyez en nous. Étudiez aux sources toujours nouvelles de notre enseignement ; affirmez-vous, et que chaque membre de la famille soit un apôtre qui parle, marche et agisse avec volonté, avec la certitude que vous ne donnez rien à l'inconnu. Sachez beaucoup pour que votre intelligence s'élève. La science humaine, réunie à la science de vos auxiliaires invisibles, mais lumineux, vous fera maîtres de l'avenir ; vous chasserez l'ombre pour venir à nous, c'est-à-dire à la lumière, à Dieu.

Alphonse de Lamartine.


Charles Fourier

Un disciple de Charles Fourier, qui est en même temps spirite, nous a adressé dernièrement une évocation avec prière de solliciter une réponse si cela était possible, afin de s'éclairer sur certaines questions. L'une et l'autre nous ayant paru instructives, nous les transcrivons ci-après.

(Paris, groupe Desliens ; 9 mars 1869.)

« Frère Fourier,

Du haut de la sphère ultra-mondaine, si ton Esprit peut me voir et m'entendre, je te prie de te communiquer à moi, afin de me fortifier dans la conviction que ton admirable théorie des quatre mouvements a fait naître en moi sur la loi de l'harmonie universelle, ou de me détromper si tu as eu le malheur de te tromper toi-même. ‑ Toi, dont le génie incomparable semble avoir levé le rideau qui cachait la nature, et dont l'Esprit doit être plus lucide encore qu'il ne l'était dans le monde matériel, je te prie de me dire si tu reconnais, dans le monde des Esprits comme sur la terre, qu'il y a renversement de l'ordre naturel établi par Dieu, dans notre organisation sociale ; si les attractions passionnelles sont réellement le levier dont Dieu se sert pour conduire l'homme vers sa véritable destinée ; si l'analogie est un moyen sûr pour découvrir la vérité.

Je te prie de me dire aussi ce que tu penses des sociétés coopératives qui germent de tous côtés à la surface de notre globe. Si ton Esprit peut lire dans la pensée de l'homme sincère, tu dois savoir que le doute le rend malheureux ; c'est pourquoi, je te supplie, de ton séjour d'outre-tombe, de vouloir bien faire tout ce qui dépend de toi pour me convaincre.

Reçois, notre frère, l'assurance du respect que je dois à ta mémoire et de ma plus grande vénération. »

J. G.

Réponse. – « C'est une question bien grave, cher frère en croyance, que demander à un homme s'il s'est trompé, lorsqu'un certain nombre d'années se sont écoulées, depuis qu'il a exposé le système qui satisfaisait le mieux ses aspirations vers l'inconnu ! Me suis-je trompé ?… Qui ne s'est pas trompé lorsqu'il a voulu soulever avec ses seules forces, le voile qui lui dérobait le feu sacré ! Prométhée a fait des hommes avec ce feu, mais la loi du progrès a condamné ces hommes aux luttes physiques et morales. Moi, j'ai fait un système, destiné comme tous les systèmes à vivre un temps, puis à se transformer, à s'associer à de nouveaux éléments plus vrais. Il en est, voyez-vous, des idées comme des hommes. Dès qu'elles sont nées, elles ne meurent pas : elles se transforment. Grossières d'abord, enveloppées dans la gangue du langage, elles trouvent successivement des ouvriers qui les taillent et les polissent de plus en plus, jusqu'à ce que le caillou informe soit devenu le diamant au vif éclat, la pierre précieuse par excellence.

J'ai cherché consciencieusement et j'ai trouvé beaucoup. M'appuyant sur les principes acquis, j'ai fait avancer de quelques pas la pensée intelligente et régénératrice. Ce que j'ai découvert était vrai en principe ; je l'ai faussé, en voulant l'appliquer. J'ai voulu créer la série, établir des harmonies ; mais ces séries, ces harmonies n'avaient pas besoin de créateur ; elles existaient depuis le commencement ; et je ne pouvais que les troubler en voulant les établir sur les petites bases de ma conception, lorsque Dieu leur avait donné l'univers pour laboratoire gigantesque.

Mon titre le plus sérieux, et celui qu'on ignore ou qu'on dédaigne peut-être le plus, c'est d'avoir partagé avec Jean Reynaud, Ballanche, Joseph de Maistre et bien d'autres, le pressentiment de la vérité ; c'est d'avoir rêvé cette régénération humaine par l'épreuve, cette succession d'existences réparatrices, cette communication du monde libre et du monde enchaîné à la matière que vous avez le bonheur de toucher du doigt. Nous avions prévu et vous réalisez notre rêve. Voilà nos plus grands titres de gloire, les seuls que, pour ma part, j'estime et dont je me souvienne.

Vous doutez, dites-vous, mon ami ! tant mieux ; car celui qui doute véritablement, cherche ; et celui qui cherche, trouve. Cherchez donc, et s'il ne dépend que de moi, de vous mettre en main la conviction, comptez sur mon concours dévoué ; mais écoutez un conseil d'ami que j'ai mis en pratique dans ma vie et dont je me suis bien trouvé : « Si vous voulez une démonstration sérieuse d'une loi universelle, cherchez-en l'application individuelle. Voulez-vous la vérité ? Cherchez-la en vous-même et dans l'observation des faits de votre propre vie. Tous les éléments de la preuve sont là. Que celui qui veut savoir s'examine, et il trouvera. »

Ch. Fourier.




Bibliographie

Y a-t-il une vie future ?

Opinions diverses sur ce sujet, recueillies et mises en ordre par un Revenant[1].

Pour le plus grand nombre, la vie future ne faisant pas question, une démonstration devient en quelque sorte superflue, car c'est à peu près comme si l'on voulait prouver que le soleil se lève tous les matins. Cependant, comme il y a des aveugles qui ne voient pas le soleil se lever, il est bon de savoir comment on peut le leur prouver ; or, c'est la tâche qu'a entreprise le Revenant, auteur de ce livre. Ce Revenant est un savant ingénieur que nous connaissons de réputation, par d'autres ouvrages philosophiques qui portent son nom ; mais comme il n'a pas jugé à propos de le mettre sur celui-ci, nous ne nous croyons pas le droit de commettre une indiscrétion, quoique nous sachions pertinemment qu'il ne fait aucun mystère de ses croyances.

Ce livre prouve une fois de plus que la science ne conduit pas fatalement au matérialisme, et qu'un mathématicien peut être un ferme croyant en Dieu, en l'âme, en la vie future et en toutes ses conséquences.

Ce n'est pas une simple profession de foi, mais une démonstration digne d'un mathématicien par sa logique serrée et irrésistible. Ce n'est pas non plus une dissertation aride et dogmatique, mais une polémique incidentée sous forme de conversation familière, où le pour et le contre sont impartialement discutés.

L'auteur raconte qu'assistant au convoi d'un de ses amis, il se mit à causer, chemin faisant, avec plusieurs invités. La circonstance et les péripéties de la cérémonie amènent la conversation sur le sort de l'homme après la mort. Elle s'engage d'abord avec un néantiste auquel il entreprend de démontrer la réalité de la vie future par des arguments enchaînés avec un art admirable, et, sans le heurter ni le froisser, il l'amène tout naturellement à ses idées.

Sur la tombe deux discours sont prononcés dans un sens diamétralement opposé sur la question de l'avenir, et produisent des impressions différentes. Au retour, de nouveaux interlocuteurs se joignent aux deux premiers ; ils conviennent de se réunir chez l'un d'eux, et là une polémique sérieuse s'engage, où les opinions diverses font valoir les raisons sur lesquelles elles s'appuient.

Ce livre, dont la lecture est attachante, a tout l'attrait d'une histoire, et toute la profondeur d'une thèse philosophique. Nous ajouterons que, parmi les principes qu'il préconise, nous n'en avons pas trouvé un seul en contradiction avec la doctrine spirite dont l'auteur a dû s'inspirer.

La nécessité de la réincarnation pour le progrès, son évidence, sa concordance avec la justice de Dieu, l'expiation et la réparation par la rencontre de ceux qui se sont nui dans une précédente existence, y sont démontrées avec une clarté saisissante. Plusieurs exemples cités prouvent que l'oubli du passé, dans la vie de relation, est un bienfait de la Providence, et que cet oubli momentané n'empêche pas de mettre à profit l'expérience du passé, attendu que l'âme se souvient dans les moments de dégagement.

Voici, en quelques mots, un des faits racontés par l'un des interlocuteurs et qui, dit-il, lui est personnel.

Il était apprenti dans une grande fabrique ; par sa conduite, son intelligence et son caractère, il se concilie l'estime et l'amitié du patron qui, par la suite l'associe à sa maison. Plusieurs faits dont il ne se rendait pas compte alors, prouvent chez lui la perception et l'intuition des choses pendant le sommeil ; cette faculté lui a même servi à prévenir un accident qui pouvait avoir des conséquences désastreuses pour la fabrique.

La fille du patron, charmante enfant de huit ans, lui témoigne de l'affection et se plaît avec lui ; mais chaque fois qu'elle s'approche, il éprouve un froid glacial et une répulsion instinctive ; son contact lui fait mal. Peu à peu, cependant, ce sentiment s'affaiblit, puis s'efface. Plus tard, il l'épouse ; elle est bonne, affectueuse, prévenante et l'union est très heureuse.

Une nuit, il fait un rêve affreux. Il se voyait dans sa précédente incarnation ; sa femme s'était conduite d'une manière indigne, et avait été cause de sa mort, et, chose étrange ! il ne pouvait séparer l'idée de cette femme de sa femme actuelle ; il lui semblait que c'était la même personne. Bouleversé de cette vision à son réveil, il est triste ; pressé par sa femme de lui en dire la cause, il se décide à lui raconter son cauchemar. « C'est singulier, dit-elle, j'ai fait un rêve semblable, et c'est moi qui étais la coupable. » Des circonstances font qu'ils reconnaissent l'un et l'autre n'être pas unis pour la première fois ; le mari s'explique la répulsion qu'il avait pour sa femme alors qu'elle était enfant ; la femme redouble de soins pour effacer son passé ; mais elle est déjà pardonnée, car la réparation a eu lieu, et le ménage continue d'être prospère.

De là cette conclusion : que ces deux êtres se sont de nouveau trouvés réunis, l'un pour réparer, l'autre pour pardonner ; que s'ils avaient eu le souvenir du passé, il se seraient fuis, et qu'ils auraient perdu le bénéfice, l'un de la réparation, l'autre du pardon.

Pour donner une idée exacte de l'intérêt de ce livre, il faudrait le citer presque en entier. Nous nous bornerons au passage suivant :

« Vous me demandez si je crois à la vie future, me disait un vieux général ; si nous y croyons, nous autres soldats ! Et comment voulez-vous qu'il en soit autrement, à moins d'être une triple brute ? A quoi donc voulez-vous que nous pensions à la veille d'un combat, d'un assaut, que tout annonce devoir être meurtrier ?… Après avoir dit adieu en pensée aux êtres chers que nous sommes menacés de quitter, nous revenons irrésistiblement aux enseignements maternels qui nous ont montré une vie future où les êtres sympathiques se retrouvent. Nous puisons dans ces souvenirs un redoublement de courage qui nous fait affronter les plus grands dangers, suivant notre tempérament, avec calme ou avec un certain emportement, et plus souvent encore avec un entrain, une gaieté, qui sont les traits caractéristiques de l'armée française.

Nous sommes, après tout, les descendants de ces braves Gaulois, dont la croyance en la vie future était si grande, qu'ils prêtaient des sommes d'argent à rembourser dans une autre existence. Je vais plus loin, je suis persuadé que nous sommes toujours ces enfants de la vieille Gaule, qui, entre l'époque de César et la nôtre, ont traversé un grand nombre d'existences, dans chacune desquelles ils ont pris un grade plus élevé dans les phalanges terrestres. »

Ce livre sera lu avec fruit par les plus fermes croyants, parce qu'ils y puiseront de nouveaux arguments pour réfuter leurs adversaires.

____________________________________________
[1] 1 vol. in-12 ; 3 fr.




L'âme


Ce livre tend au même but que le précédent : la démonstration de l'âme, de la vie future, de la pluralité des existences, mais sous une forme plus didactique, plus scientifique, quoique toujours claire et intelligible pour tout le monde. La réfutation du matérialisme, et en particulier des doctrines de Büchner et de Maleschott, y occupe une large place, et ce n'en est pas la partie la moins intéressante ni la moins instructive, par l'irrésistible logique des arguments. La doctrine de ces deux écrivains d'un incontestable talent, et qui prétendent expliquer tous les phénomènes moraux par les seules forces de la matière, a eu beaucoup de retentissement en Allemagne, et par contre-coup en France ; elle a naturellement été acclamée avec enthousiasme par les matérialistes, heureux d'y trouver la sanction de leurs idées ; elle a surtout recruté des partisans parmi les jeunes gens des Ecoles, qui s'en autorisent pour s'affranchir, au nom de la légalité apparente d'une philosophie, du frein qu'impose la croyance en Dieu et en l'immortalité.

L'auteur s'attache à réduire à leur juste valeur les sophismes sur lesquels s'appuie cette philosophie ; il démontre les désastreuses conséquences qu'elle aurait pour la société, si jamais elle venait à prévaloir, et son incompatibilité avec toute doctrine morale. Bien qu'elle ne soit guère connue que dans un certain monde, une réfutation en quelque sorte populaire est très utile, afin de prémunir ceux qui pourraient se laisser séduire par les arguments spécieux qu'elle invoque. Nous sommes persuadé que, parmi les personnes qui la préconisent, il y en a qui reculeraient si elles en avaient compris toute la portée.

Ne serait-ce qu'à ce point de vue, l'ouvrage de M. Dyonis mériterait de sérieux encouragements, car c'est un champion énergique pour la cause du Spiritualisme, qui est aussi celle du Spiritisme auquel on voit que l'auteur n'est pas étranger. Mais là ne se borne pas la tâche qu'il s'est imposée ; il envisage la question de l'âme d'une manière large et complète ; il est un de ceux qui admettent son progrès indéfini, à travers l'animalité, l'humanité et au delà de l'humanité. Peut-être, sous certains rapports, son livre renferme-t-il quelques propositions un peu hasardées, mais qu'il est bon de mettre au jour, afin qu'elles soient mûries par la discussion.

Nous regrettons que le défaut d'espace ne nous permette pas de justifier notre appréciation par quelques citations ; nous nous bornerons au passage suivant, et à dire que ceux qui liront ce livre ne perdront pas leur temps.

« Si nous examinons les êtres qui se sont succédé dans les périodes géologiques, nous remarquons qu'il y a progrès dans les individus doués successivement de vie, et que le dernier venu, l'homme, est une preuve irrécusable de ce développement moral, par le don de l'intelligence transmissible qu'il a reçu le premier, et le seul de tous les animaux.

Cette perfectibilité de l'âme opposée à l'imperfectibilité de la matière, nous amène à penser que l'âme humaine n'est pas la première expression de l'âme, mais qu'elle en est seulement la dernière expression jusqu'ici. En d'autres termes, que l'âme a progressé depuis la première manifestation de la vie, passant alternativement par les plantes, les animalcules, les animaux et l'homme, pour s'élever encore, au moyen de créations d'un ordre supérieur, que nos sens imparfaits ne nous permettent pas de comprendre, mais que la logique des faits nous conduit à admettre. La loi de progrès, que nous suivons dans les développements physiques des animaux successifs, existerait donc également, et principalement, dans leur développement moral. »

_______________________________________________________
[1] 1 vol. in-12, 3 fr. 50.




Sociétés et journaux spirites à l'Étranger



L'abondance des matières nous oblige à renvoyer au prochain numéro le compte rendu de deux sociétés spirites, constituées sur des bases sérieuses, par des statuts imprimés, très sagement conçus : l'une à Séville, en Espagne ; l'autre à Florence, en Italie.
Nous parlerons également des deux nouveaux journaux spirites que nous nous bornons à annoncer ci-après.

El Espiritismo (Le Spiritisme) ; 12 pages in-4°, paraissant deux fois par mois depuis le 1er mars, à Séville, calle de Genova, 51. - Prix, par trimestre : Séville, 5 réaux ; provinces, 6 r. ; Etranger, 10 r. Il Veggente (Le Voyant), journal magnético-spirite hebdomadaire ; quatre pages in-4° ; publié à Florence, via Pietra Piana, 40. - Prix : 4 fr. 50 c., par an ; pour six mois, 2 fr. 50 c.



Erratum

Numéro de mars 1869, page 93, ligne 31, au lieu de : concert de l'Esprit, lisez : concept de l'Esprit.




Allan Kardec


Articles connexes

Voir articles connexes