REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1869

Allan Kardec

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Avril

Avis très important.

A partir du avril ler bureau d'abonnement et d'expédition de la Révue spirite est transféré au Siége de la Libraire spirite, rue de Lille, Nº 7.

A partir de la même époque, le bureau de la rédaction et le domicile personnel de M. Allan Kardec sont Avenue et Villa Ségur, N° 39, derrière les Invalides.

La Société spirite de Paris tiendra provisoirement ses séances dans le local de la Librairie, rue de Lille, Nº 7.

Librairie spirite.

Nous avions annoncé, il y a quelque temps, le projet de publication d'un catalogue raisonné des ouvrages qui intéressent le Spiritisme, et l'intention de le joindre comme supplément à l'un des numéros de la Revue. Dans l'intervalle, le projet de la création d'une maison spéciale pour les ouvrages de ce genre, ayant été conçu et exécuté par une société de spirites, nous leur avons donné notre travail qui a été complété en vue de sa nouvelle destination.

Ayant reconnu l'incontestable utilité de cette fondation, et la solidité des bases sur lesquelles elle est appuyée, nous n'avons pas hésité à lui donner notre appui moral.

Voici en quels termes elle est annoncée en tête du catalogue que nous adressons à nos abonnés avec le présent numéro.

« L'intérêt qui s'attache de plus en plus aux Études psychologiques en général, et, en particulier, le développement que les idées spirites ont pris depuis quelques années, ont fait sentir l'utilité d'une maison spéciale pour la concentration des documents concernant ces matières. En dehors des ouvrages fondamentaux de la doctrine spirite, il existe un grand nombre de livres, tant anciens que modernes, utiles au complément de ces études et qui sont ignorés, ou sur lesquels on manque des renseignements nécessaires pour se les procurer. C'est en vue de combler cette lacune que la Librairie Spirite a été fondée.

La Librairie Spirite n'est pas une entreprise commerciale ; elle est créée par une société de spirites en vue des intérêts de la doctrine, et qui renoncent, par le contrat qui les lie, à toute spéculation personnelle.

Elle est administrée par un gérant, simple mandataire, et tous les bénéfices constatés par les inventaires annuels, seront versés par lui à la caisse générale du Spiritisme.

Cette caisse est provisoirement administrée par le gérant de la Librairie, sous la surveillance de la Société fondatrice ; en conséquence, il recevra les fonds de toutes provenances affectés à cette destination, en tiendra un compte exact, et en opèrera le placement, jusqu'au moment où les circonstances en détermineront l'emploi. »

Profession de foi spirite américaine

Nous reproduisons, d'après le Salut de la Nouvelle-Orléans, la déclaration de principes arrêtée dans la cinquième convention nationale, ou assemblée des délégués des spirites des différentes parties des États-Unis. La comparaison des croyances, sur ces matières, entre ce qu'on appelle l'école américaine et l'école européenne, est une chose d'une grande importance, ainsi que chacun pourra s'en convaincre.

Déclaration de principes.

Le spiritualisme nous enseigne :

1. Que l'homme a une nature spirituelle aussi bien qu'une nature corporelle ; ou plutôt que l'homme véritable est un Esprit, ayant une forme organique, composée de matériaux sublimés, qui représente une structure correspondant à celle du corps matériel.

2. Que l'homme, comme Esprit, est immortel. Ayant reconnu qu'il survit à ce changement appelé la mort, on peut raisonnablement supposer qu'il survivra à toutes les vicissitudes futures.

3. Qu'il y a un monde ou état spirituel, avec ses réalités substantielles, objectives aussi bien que subjectives.

4. Que le procédé de la mort physique ne transforme d'aucune façon essentielle la constitution mentale ou le caractère moral de celui qui l'éprouve, car s'il en était autrement, son identité serait détruite.

5. Que le bonheur ou le malheur, aussi bien dans l'état spirituel que dans celui-ci, ne dépend pas d'un décret arbitraire ou d'une loi spéciale, mais bien du caractère, des aspirations et du degré d'harmonie ou conformité de l'individu avec la loi divine et universelle.

6. Il s'ensuit que l'expérience et les connaissances acquises dès cette vie deviennent les fondations sur lesquelles commence la vie nouvelle.

7. Vu que la croissance, sous certains rapports, est la loi de l'être humain dans la vie présente, et vu que ce que l'on appelle la mort n'est en réalité que la naissance à une autre condition d'existence, qui conserve tous les avantages gagnés dans l'expérience de cette vie, on peut en inférer que la croissance, le développement, l'expansion ou la progression sont la destinée infinie de l'esprit humain.

8. Que, le monde spirituel n'est pas éloigné de nous, mais qu'il est près, qu'il nous entoure, ou qu'il est entremêlé à notre présent état d'existence ; et par conséquent, que nous sommes constamment sous la surveillance des êtres spirituels.

9. Que, puisque les individus passent constamment de la vie terrestre à la vie spirituelle dans tous les degrés de développement intellectuel et moral, l'état spirituel comprend tous les degrés de caractères, du plus bas au plus élevé.

10. Que, puisque le ciel et l'enfer, ou le bonheur et le malheur, dépendent plutôt des sentiments intimes que des circonstances extérieures, il y a autant de gradations pour chacun qu'il y a de nuances de caractères, chaque individu gravitant à sa propre place par une loi naturelle d'affinité. On peut les diviser en sept degrés généraux ou sphères ; mais ceux-ci doivent comprendre les variétés indéfinies, ou une « infinité de demeures, » correspondant aux caractères divers des individus, chaque être jouissant d'autant de bonheur que son caractère lui permet d'en avoir.

11. Que les communications du monde des Esprits, qu'elles soient reçues par impression mentale, par inspiration, ou de toute autre manière, ne sont pas, de nécessité, des vérités infaillibles, mais qu'au contraire elles se ressentent inévitablement des imperfections de l'intelligence dont elles émanent et de la voie par où elles viennent ; et que, de plus, elles sont susceptibles de recevoir une fausse interprétation de ceux à qui elles sont adressées.

12. Il s'ensuit qu'aucune communication inspirée, dans le temps présent ou dans le passé (quelles que soient les prétentions qui peuvent ou ont pu être mises en avant quant à sa source), n'a une autorité plus étendue que celle de représenter la vérité à la conscience individuelle, cette dernière étant l'étalon final auquel on doit s'en rapporter pour le jugement de tous les enseignements inspirés ou spirituels.

13. Que l'inspiration, ou l'affluence des idées et des suggestions venant du monde spirituel, n'est pas un miracle des temps passés, mais un fait perpétuel, la méthode constante de l'économie divine pour l'élévation de la race humaine.

14. Que tous les êtres angéliques ou démoniaques qui se sont manifestés ou qui se sont mêlés aux affaires des hommes dans le passé, étaient simplement des Esprits humains désincarnés, dans différents degrés de progression.

15. Que tous les miracles authentiques (ainsi nommés) des temps passés, tels que la résurrection de ceux qui étaient morts en apparence, la guérison des maladies par l'imposition des mains ou d'autres moyens aussi simples, le contact inoffensif avec des poisons, le mouvement d'objets matériels sans concours visible, etc., etc., ont été produits en harmonie avec des lois universelles, et par conséquent peuvent se répéter en tous temps sous des conditions favorables.

16. Que les causes de tout phénomène, ‑ les sources de vie, d'intelligence et d'amour, ‑ doivent se rechercher dans le domaine intérieur et spirituel, et non dans le domaine extérieur et matériel.

17. Que l'enchaînement des causes tend inévitablement à remonter et à s'avancer vers un Esprit infini, qui est non-seulement un principe formateur (la sagesse), mais une source d'affection (l'amour), ‑ soutenant ainsi le double rapport de la parenté, du père et de la mère, de toutes les intelligences finies, qui, partant, sont unies par des liens filiaux.

18. Que l'homme, à titre d'enfant de ce parent infini, est sa plus haute représentation sur cette sphère d'êtres, l'homme parfait étant la personnification la plus complète de la « plénitude du Père » que nous puissions contempler, et que chaque homme, en vertu de cette parenté, est, ou a dans ses replis intimes, un germe de divinité, une portion incorruptible de l'essence divine qui le porte constamment au bien, et qui, avec le temps, surmontera toutes les imperfections inhérentes à la condition rudimentaire ou terrestre, et triomphera de tout mal.

19. Que le mal est le défaut plus ou moins grand d'harmonie avec ce principe intime ou divin ; et partant, qu'on l'appelle Christianisme, Spiritualisme, Religion, Philosophie ; qu'on reconnaisse le « Saint-Esprit, » la Bible, ou l'inspiration spirituelle et céleste, tout ce qui aide l'homme à soumettre à sa nature interne ce qu'il y a de plus extérieur en lui, et à le rendre harmonieux avec elle, est un moyen de triompher du mal.

Voici donc la base de la croyance des spirites américains ; si ce n'est celle de la totalité, c'est au moins celle de la majorité. Cette croyance n'est pas plus le résultat d'un système préconçu dans ce pays, que le Spiritisme en Europe ; nul ne l'a imaginé ; on a vu, on a observé, et l'on en a tiré des conclusions. Là-bas, pas plus qu'ici, on n'est parti de l'hypothèse des Esprits pour expliquer les phénomènes ; mais, des phénomènes comme effet, on est arrivé par l'observation aux Esprits comme cause. C'est là une circonstance capitale dont les détracteurs s'obstinent à ne pas tenir compte. Parce qu'ils arrivent eux, avec la pensée, le désir même de ne pas trouver les Esprits, ils se figurent que les spirites ont dû prendre leur point de départ dans l'idée préconçue des Esprits, et que l'imagination en a fait voir partout. Comment se fait-il alors que tant de gens qui n'y croyaient pas se sont rendus à l'évidence ? Il y en a des milliers d'exemples, en Amérique comme ici. Beaucoup, au contraire, ont passé par l'hypothèse que M. Chevillard croit avoir inventée, et ils n'y ont renoncé qu'après en avoir reconnu l'impuissance pour tout expliquer. Encore une fois, on n'est arrivé à l'affirmation des Esprits qu'après avoir essayé de toutes les autres solutions.

On a pu déjà remarquer les rapports et les différences qui existent entre les deux écoles, et pour ceux qui ne se payent pas de mots, mais qui vont au fond des idées, la différence se réduit à bien peu de chose. Ces deux écoles ne s'étant point copiées, cette coïncidence est un fait très remarquable. Ainsi, voici des deux côtés de l'Atlantique, des millions de personnes qui observent un phénomène, et qui arrivent au même résultat. Il est vrai que M. Chevillard n'avait pas encore passé par là pour apposer son veto et dire à ces millions d'individus, parmi lesquels il y en a bon nombre qui ne passent pas pour des sots : « Vous vous êtes tous trompés ; moi seul possède la clef de ces étranges phénomènes, et je vais en donner au monde la solution définitive. »

Pour rendre la comparaison plus facile, nous allons prendre la profession de foi américaine, article par article, et mettre en parallèle ce que dit, sur chacune des propositions qui y sont formulées, la doctrine du Livre des Esprits, publié en 1857, et qui est en outre développée dans les autres ouvrages fondamentaux.

On en trouvera un résumé plus complet dans le chapitre II du « Qu'est-ce le Spiritisme ? »

1. L'homme possède une âme ou Esprit, principe intelligent, en qui résident la pensée, la volonté, le sens moral, et dont le corps n'est que l'enveloppe matérielle. L'Esprit est l'être principal, préexistant et survivant au corps, qui n'est qu'un accessoire temporaire.

L'Esprit, soit pendant la vie charnelle, soit après l'avoir quittée, est revêtu d'un corps fluidique ou périsprit, qui reproduit la forme du corps matériel.

2. L'Esprit est immortel ; le corps seul est périssable.

3. Les Esprits, dégagés du corps charnel, constituent le monde invisible ou spirituel, qui nous entoure et au milieu duquel nous vivons.

Les transformations fluidiques produisent des images et des objets aussi réels pour les Esprits, qui sont eux-mêmes fluidiques, que le sont les images et les objets terrestres pour les hommes, qui sont matériels. Tout est relatif dans chacun de ces deux mondes. (Voir la Genèse selon le Spiritisme, chapitre des fluides et des créations fluidiques.)

4. La mort du corps ne change rien à la nature de l'Esprit qui conserve les aptitudes intellectuelles et morales acquises pendent la vie terrestre.

5. L'Esprit porte en lui-même les éléments de son bonheur ou de son malheur ; il est heureux ou malheureux en raison du degré de son épuration morale ; il souffre de ses propres imperfections dont il subit les conséquences naturelles, sans que la punition soit le fait d'une condamnation spéciale et individuelle.

Le malheur de l'homme sur la terre provient de l'inobservance des lois divines ; quand il conformera ses actes et ses institutions sociales à ces lois, il sera aussi heureux que le comporte sa nature corporelle.

6. Rien de ce que l'homme acquiert pendant la vie terrestre en connaissances et en perfections morales n'est perdu pour lui ; il est, dans la vie future, ce qu'il s'est fait dans la vie présente.

7. Le progrès est la loi universelle ; en vertu de cette loi, l'Esprit progresse indéfiniment.

8. Les Esprits sont au milieu de nous ; ils nous entourent, nous voient, nous entendent et se mêlent, dans une certaine mesure, aux actions des hommes.

9. Les Esprits n'étant autres que les âmes des hommes, on trouve parmi eux tous les degrés de savoir et d'ignorance, de bonté et de perversité qui existent sur la terre.

10. Le ciel et l'enfer, selon la croyance vulgaire, sont des lieux circonscrits de récompenses et de punitions. Selon le Spiritisme, les Esprits, portant en eux-mêmes les éléments de leur félicité ou de leurs souffrances, sont heureux ou malheureux partout où ils se trouvent ; les mots ciel et enfer ne sont que des figures qui caractérisent un état de bonheur ou de malheur.

Il y a, pour ainsi dire, autant de degrés parmi les Esprits qu'il y a de nuances dans les aptitudes intellectuelles et morales ; néanmoins, si l'on considère les caractères les plus tranchés, on peut les grouper en neuf classes ou catégories principales pouvant se subdiviser à l'infini, sans que cette classification ait rien d'absolu. (Livre des Esprits ; liv. II, chap. I, n° 100, échelle spirite.)

A mesure que les Esprits avancent dans la perfection, ils habitent des mondes de plus en plus avancés physiquement et moralement. C'est sans doute ce qu'entendait Jésus par ces paroles : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père. » (Voir Evangile selon le Spiritisme, chap. III.)

11. Les Esprits peuvent se manifester aux hommes de diverses manières : par l'inspiration, la parole, la vue, l'écriture, etc.

C'est une erreur de croire que les Esprits ont la science infuse ; leur savoir, dans l'espace comme sur la terre, est subordonné à leur degré d'avancement, et il en est qui, sur certaines choses, en savent moins que les hommes. Leurs communications sont en rapport avec leurs connaissances, et, par cela même, ne sauraient être infaillibles. La pensée de l'Esprit peut, en outre, être altérée par le milieu qu'elle traverse pour se manifester.

A ceux qui demandent à quoi servent les communications des Esprits, du moment qu'ils n'en savent pas plus que les hommes, on répond qu'elles servent d'abord à prouver que les Esprits existent, et, par conséquent, l'immortalité de l'âme ; secondement, à nous apprendre où ils sont, ce qu'ils sont, ce qu'ils font, et à quelles conditions on est heureux ou malheureux dans la vie future ; troisièmement, à détruire les préjugés vulgaires sur la nature des Esprits et l'état des âmes après la mort, toutes choses que l'on ne saurait pas sans les communications avec le monde invisible.

12. Les communications des Esprits sont des opinions personnelles qui ne doivent point être acceptées aveuglément. L'homme ne doit, en aucune circonstance, faire abnégation de son jugement et de son libre arbitre. Ce serait faire preuve d'ignorance et de légèreté d'accepter comme des vérités absolues tout ce qui vient des Esprits ; ils disent ce qu'ils savent ; c'est à nous de soumettre leurs enseignements au contrôle de la logique et de la raison.

13. Les manifestations étant la conséquence du contact incessant des Esprits et des hommes, il y en a eu dans tous les temps ; elles sont dans l'ordre des lois de la nature, et n'ont rien de miraculeux quelle que soit la forme sous laquelle elles se présentent. Ces manifestations mettant en rapport le monde matériel et le monde spirituel, tendent à l'élévation de l'homme, en lui prouvant que la terre n'est pour lui ni le commencement, ni la fin de toutes choses, et qu'il a d'autres destinées.

14. Les êtres désignés sous le nom d'anges ou de démons ne sont point des créations spéciales, distinctes de l'humanité ; les anges sont des Esprits sortis de l'humanité et qui sont arrivés à la perfection ; les démons sont des Esprits encore imparfaits, mais qui s'amélioreront.

Il serait contraire à la justice et à la bonté de Dieu, d'avoir créé des êtres perpétuellement voués au mal, incapables de revenir au bien, et d'autres, privilégiés, exempts de tout travail pour arriver à la perfection et au bonheur.

Selon le Spiritisme, Dieu n'a de faveurs ni de privilèges pour aucune de ses créatures ; tous les Esprits ont un même point de départ et la même route à parcourir pour arriver, par leur travail, à la perfection et au bonheur. Les uns sont arrivés : ce sont les anges ou purs Esprits ; les autres sont encore en arrière : ce sont les Esprits imparfaits. (Voir la Genèse, chapitres des Anges et des Démons.)

15. Le Spiritisme n'admet pas les miracles dans le sens théologique du mot, attendu que, selon lui, rien ne s'accomplit en dehors des lois de la nature. Certains faits, en les supposant authentiques, n'ont été réputés miraculeux, que parce qu'on en ignorait les causes naturelles. Le caractère du miracle est d'être exceptionnel et insolite ; lorsqu'un fait se reproduit spontanément ou facultativement, c'est qu'il est soumis à une loi, et dès lors ce n'est plus un miracle. Les phénomènes de double vue, d'apparitions, de prescience, de guérisons par l'imposition des mains, et tous les effets désignés sous le nom de manifestations physiques sont dans ce cas. (Voir, pour le développement complet de cette question, la deuxième partie de la Genèse, les Miracles et les prédictions selon le Spiritisme.)

16. Toutes les facultés intellectuelles et morales ont leur source dans le principe spirituel, et non dans le principe matériel.

17. L'Esprit de l'homme, en s'épurant, tend à se rapprocher de la divinité, principe et fin de toutes choses.

18. L'âme humaine, émanation divine, porte en elle le germe ou principe du bien qui est son but final, et doit la faire triompher des imperfections inhérentes à son état d'infériorité sur la terre.

19. Tout ce qui tend à élever l'homme, à dégager son âme des étreintes de la matière, que ce soit sous forme philosophique ou religieuse, est un élément de progrès qui le rapproche du bien, en l'aidant à triompher de ses mauvais instincts.

Toutes les religions conduisent à ce but, par des moyens plus ou moins efficaces et rationnels, selon le degré d'avancement des hommes à l'usage desquels elles ont été faites.



En quoi le Spiritisme américain diffère-t-il donc du Spiritisme européen ? Serait-ce parce que l'un s'appelle Spiritualisme et l'autre Spiritisme ? Puérile question de mots sur laquelle il serait superflu d'insister. Des deux côtés on voit la chose d'un point trop élevé pour s'attacher à une pareille futilité. Peut-être diffèrent-ils encore sur quelques points de forme et de détails, tout aussi insignifiants, et qui tiennent plus aux mœurs et aux usages de chaque contrée qu'au fond de la doctrine. L'essentiel est qu'il y ait concordance sur les points fondamentaux, c'est ce qui ressort avec évidence de la comparaison ci-dessus.

Tous les deux reconnaissent le progrès indéfini de l'âme comme la loi essentielle de l'avenir ; tous les deux admettent la pluralité des existences successives dans des mondes de plus en plus avancés ; la seule différence consiste en ce que le Spiritisme européen admet cette pluralité d'existences sur la terre jusqu'à ce que l'Esprit y ait acquis le degré d'avancement intellectuel et moral que comporte ce globe, après quoi il le quitte pour d'autres mondes, où il acquiert de nouvelles qualités et de nouvelles connaissances. D'accord sur l'idée principale, ils ne diffèrent donc que sur un des modes d'application. Est-ce que ce peut être là une cause d'antagonisme entre gens qui poursuivent un grand but humanitaire ?

Au reste, le principe de la réincarnation sur la terre n'est pas particulier au Spiritisme européen ; c'était un point fondamental de la doctrine druidique ; de nos jours, il a été proclamé avant le Spiritisme par d'illustres philosophes tels que Dupont de Nemours, Charles Fourier, Jean Reynaud, etc. On ferait une liste interminable des écrivains de toutes les nations, poètes, romanciers et autres qui l'ont affirmé dans leurs ouvrages ; aux Etats Unis nous citerons Benjamin Franklin, et Mme Beecher Stowe, auteur de la Case de l'oncle Tom.

Nous n'en sommes donc ni le créateur, ni l'inventeur. Aujourd'hui il tend à prendre place dans la philosophie moderne, en dehors du Spiritisme, comme seule solution possible et rationnelle d'une foule de problèmes psychologiques et moraux jusqu'à ce jour inexplicables. Ce n'est pas ici le lieu de discuter cette question, pour le développement de laquelle nous renvoyons à l'introduction du Livre des Esprits, et au chapitre IV de l'Evangile selon le Spiritisme. De deux choses l'une : ce principe est vrai ou il ne l'est pas ; s'il est vrai, c'est une loi, et comme toute loi de nature, ce ne sont pas les opinions contraires de quelques hommes qui l'empêcheront d'être une vérité et d'être accepté.

Nous avons déjà expliqué maintes fois les causes qui s'étaient opposées à son introduction dans le Spiritisme américain ; ces causes disparaissent chaque jour, et il est à notre connaissance que déjà il rencontre de nombreuses sympathies dans ce pays. Au reste, le programme ci-dessus n'en parle pas ; s'il n'y est pas proclamé, il n'y est pas contesté ; on peut même dire qu'il ressort implicitement, comme conséquence forcée, de certaines affirmations.

En somme, comme on le voit, la plus grande barrière qui sépare les spirites des deux continents, c'est l'Océan, à travers lequel ils peuvent parfaitement se donner la main.

Ce qui a manqué aux Etats Unis, c'est un centre d'action pour coordonner les principes ; il n'y existe pas, à proprement parler, de corps méthodique de doctrine ; on y trouve, comme on a pu s'en convaincre, des idées très justes et d'une haute portée, mais sans liaison. C'est l'avis de tous les Américains que nous avons eu l'occasion de voir, et il est confirmé par un rapport fait à l'une des conventions tenues à Cleveland en 1867, et dont nous extrayons les passages suivants :

« Dans l'opinion de votre commission, ce qu'on appelle aujourd'hui le Spiritualisme est un chaos où la vérité la plus pure est mêlée sans cesse aux erreurs les plus grossières. Une des choses qui serviront le plus à l'avancement de la philosophie nouvelle sera l'habitude d'employer de bonnes méthodes d'observation. Nous recommandons à nos frères et à nos sœurs une attention poussée au scrupule dans toute cette partie du Spiritualisme. Nous les engageons aussi à se défier des apparences et à ne pas prendre toujours pour un état extatique ou pour une agitation venue du monde spirituel, des dispositions d'âme qui peuvent tirer leur origine du désordre des organes, et en particulier des maladies des nerfs ou du foie, ou de toute autre excitation complètement indépendante de l'action des Esprits.

Chacun des membres de la commission avait déjà une expérience fort longue de ces phénomènes ; depuis dix à quinze ans, nous avions tous été témoins de faits dont l'origine extra-terrestre ne pouvait être révoquée en doute, et qui s'imposaient à la raison. Mais nous étions tous également convaincus qu'une grande partie de ce qu'on donne à la foule comme des manifestations spiritualistes, sont tout simplement des tours de passe-passe plus ou moins adroitement exécutés par des fourbes qui s'en servent pour exploiter la crédulité publique.

Les remarques que nous venons de faire au sujet des jongleries qualifiées de manifestations, s'appliquent dans leur entier à tous les soi-disant médiums qui refusent de faire leurs expériences ailleurs que dans une chambre noire : les Davenport, Fays, Eddies, Ferrises, Church, miss Vanwie et autres, qui prétendent faire des choses matériellement impossibles, et se donnent comme les instruments des Esprits, sans apporter la moindre preuve à l'appui de leurs opérations. Après une investigation attentive de la matière, nous sommes dans l'obligation de déclarer que l'obscurité n'est pas une condition indispensable à la production des phénomènes ; qu'elle est réclamée comme telle seulement par des fourbes, et qu'elle n'a d'autre utilité que de favoriser leurs tromperies. Nous engageons, en conséquence, les personnes qui s'occupent de Spiritualisme, à renoncer à évoquer les Esprits dans l'obscurité.

En Critiquant une pratique qui peut être remplacée sans peine par des modes d'expérimentation infiniment plus probants, nous n'entendons pas infliger un blâme aux médiums qui en usent de bonne foi, mais dénoncer à l'opinion les charlatans qui exploitent une chose digne de tous les respects. Nous voulons défendre les véritables médiums, et délivrer notre glorieuse cause des imposteurs qui la déshonorent.

Nous croyons aux manifestations physiques ; elles sont indispensables aux progrès du Spiritualisme. Ce sont des preuves simples et nettes qui frappent, dès l'abord, ceux que n'aveuglent pas les préjugés ; elles sont un point de départ pour arriver à l'intelligence des manifestations d'un ordre plus élevé, le chemin qui a conduit la plupart des spiritualistes américains de l'athéisme ou du doute, à la connaissance de l'immortalité de l'âme. » (Extrait du New-York Herald, du 10 septembre 1867.)

Les conférences de M. Chevillard

Appréciées par le journal Paris

(Voir la Revue Spirite de Mars 1869, page 83)

On lit dans le journal Paris, du 7 mars 1869, à propos des conférences de M. Chevillard, sur le Spiritisme :

« On se souvient quel bruit fit, il y a quelques années, dans le monde, le phénomène des tables tournantes.

Pas de famille qui ne possédât son guéridon animé, pas de cercle qui n'eût ses Esprits familiers ; on prenait jour pour faire tourner la table, comme on se donne rendez-vous aujourd'hui pour une sauterie. Un instant la curiosité publique (ravivée par le clergé effrayant les âmes timorées par le spectre abominable de Satan), ne connut plus de bornes, et les tables craquaient, tapaient, dansaient, du sous-sol à la mansarde, avec une obéissance des plus méritoires.

Peu à peu la fièvre tomba, le silence se fit, la mode trouva d'autres amusements, qui sait ? Les tableaux vivants, sans doute.

Mais en s'éloignant, la foule laissait immobiles quelques entêtés, rivés quand même à ces manifestations singulières. Insensiblement une sorte de lien mystérieux s'étendait courant de l'un à l'autre. Les isolés de la veille se comptaient le lendemain ; bientôt une vaste association ne faisait plus, de ces groupes épars, qu'une seule famille marchant, sous la devise d'une croyance commune, à la recherche de la vérité par le Spiritisme.

A cette heure, paraît-il, l'armée compte assez de soldats aguerris pour qu'on lui fasse les honneurs du combat ; et M. Chevillard, après avoir présenté la solution DÉfinitive du problème spirite, n'a pas hésité à poursuivre son sujet dans une conférence nouvelle : Les illusions du Spiritisme.

D'autre part, M. Desjardin, après avoir parlé des novateurs en médecine, menace de heurter prochainement les théories spirites. Les croyants riposteront sans doute, ‑ les Esprits ne pouvant trouver une meilleure occasion de s'affirmer. ‑ C'est donc un réveil, une lutte qui s'engage.

Aujourd'hui les spirites sont plus nombreux en Europe qu'on ne le suppose. On les compte par millions, sans parler de ceux qui croient et ne s'en vantent pas. L'armée recrute tous les jours de nouveaux adeptes ; quoi d'étonnant ? Ne sont-ils pas de plus en plus nombreux ceux qui pleurent et demandent aux communications d'un monde meilleur, l'espérance de l'avenir ?

La discussion sur ce sujet paraît devoir être sérieuse. Il n'est pas sans intérêt de prendre quelques notes dès le premier jour.

M. Chevillard est généreux ; il ne nie pas les faits ; ‑ il affirme la bonne foi des médiums avec lesquels il a été mis en rapport ; il n'éprouve aucun embarras à déclarer qu'il a produit lui-même les phénomènes dont il parle. Les spirites, je gage, ne se trouvèrent jamais à pareille fête, et ils ne manqueront pas de tirer parti de telles concessions, ‑ s'ils peuvent opposer à M. Chevillard autre chose que la sincérité de leur conviction.

Ce n'est pas à nous de répondre, mais simplement de dégager de cet ensemble de faits les quelques lois magnétiques qui composent la théorie du conférencier. « Les vibrations de la table, dit-il, sont produites par la pensée interne volontaire du médium, aidé du désir des assistants crédules, toujours nombreux. » Ainsi se trouve formellement indiqué le fluide nerveux ou vital, avec lequel M. Chevillard établit la solution DÉfinitive du problème spirite. « Tout fait spirite, ajoute-t-il plus loin, est une succession de mouvements produits sur un objet inanimé par un magnétisme inconscient. »

Enfin, résumant tout son système dans une formule abstraite, il affirme que « l'idée de l'action volontaire mécanique se transmet, par le fluide nerveux, du cerveau jusqu'à l'objet inanimé qui exécute l'action en qualité d'organe lié par le fluide à l'être voulant, que la liaison soit au contact ou à distance ; mais l'être n'a pas la perception de son acte, parce qu'il ne l'exécute pas par un effort musculaire. »

Ces trois exemples suffisent pour indiquer une théorie, que d'ailleurs nous n'avons pas à discuter, et sur laquelle nous aurons peut-être à revenir plus tard ; mais, nous souvenant d'une leçon de M. E. Caro, à la Sorbonne, volontiers reprocherions-nous à M. Chevillard le titre même de sa conférence. S'est-il demandé d'abord si, dans ces questions qui échappent au contrôle, à la preuve mathématique, ‑ que l'on ne peut juger que par déductions, ‑ la recherche des causes premières n'est pas incompatible avec les formules de la science ?

Le Spiritisme laisse une trop large part à la liberté de raisonnement pour pouvoir relever de la science proprement dite. Les faits que l'on constate, merveilleux sans doute, mais toujours identiques, échappent à tout contrôle, et la conviction ne peut naître que de la multiplicité des observations.

La cause, quoi qu'en disent les initiés, reste un mystère pour l'homme qui, froidement, pèse ces phénomènes étranges, et les croyants en sont réduits à faire des vœux pour que, tôt ou tard, une circonstance fortuite déchire ce voile qui cache à nos yeux les grands problèmes de la vie, et nous montre radieux le dieu inconnu.

Pagès de Noyez. »

Nous avons donné notre appréciation sur la portée des conférences de M. Chevillard dans notre précédent numéro, et il serait superflu de réfuter une théorie qui, nous l'avons dit, n'a rien de nouveau, quoi qu'en pense l'auteur. Qu'il ait son système sur la cause des manifestations, c'est son droit ; qu'il le croie juste, c'est assez naturel ; mais qu'il ait la prétention de donner à lui seul la solution définitive du problème, c'est dire qu'à lui seul est donné le dernier mot des secrets de la nature, et qu'après lui, il n'y a plus rien à voir, ni rien à découvrir. Quel est le savant qui a jamais prononcé le nec plus ultra dans les sciences ? Il est des choses qu'on peut penser, mais qu'il n'est pas toujours adroit de dire trop haut.

Au reste, nous n'avons vu aucun spirite s'inquiéter de la prétendue découverte de M. Chevillard ; tous, au contraire, font des vœux pour qu'il en poursuive l'application jusqu'à ses dernières limites, sans omettre aucun des phénomènes qu'on pourrait lui opposer ; on voudrait surtout lui voir résoudre définitivement ces deux questions :

Que deviennent les Esprits des hommes après la mort ?

En vertu de quelle loi ces mêmes Esprits, qui agitaient la matière pendant la vie du corps, ne peuvent plus l'agiter après la mort et se manifester aux vivants ?

Si M. Chevillard admet que l'Esprit est distinct de la matière, et que cet Esprit survit au corps, il doit admettre que le corps est l'instrument de l'Esprit dans les différents actes de la vie ; qu'il obéit à la volonté de l'Esprit. Puisqu'il admet que, par la transmission du fluide électrique, les tables, crayons et autres objets deviennent des appendices du corps et obéissent ainsi à la pensée de l'Esprit incarné, pourquoi, par un courant électrique analogue, ne pourraient-ils pas obéir à la pensée d'un Esprit désincarné ?

Parmi ceux qui admettent la réalité des phénomènes, quatre hypothèses ont été émises sur leur cause, savoir : 1° L'action exclusive du fluide nerveux, électrique, magnétique ou tout autre ; 2° Le reflet de la pensée des médiums et des assistants, dans les manifestations intelligentes ; 3° L'intervention des démons ; 4° La continuité des rapports des Esprits humains, dégagés de la matière, avec le monde corporel.

Ces quatre propositions ont été, depuis l'origine du Spiritisme, préconisées et discutées sous toutes les formes, dans de nombreux écrits, par des hommes d'une valeur incontestable. La lumière de la discussion n'a donc pas manqué. Comment se fait-il que, de ces divers systèmes, celui des Esprits ait rencontré le plus de sympathies ; qu'il ait seul prévalu, et soit aujourd'hui le seul admis par l'immense majorité des observateurs dans tous les pays du monde ; que tous les arguments de ses adversaires, après plus de quinze ans, n'aient pu en triompher, s'ils sont l'expression de la vérité ?

C'est encore une question intéressante à résoudre.



L'enfant électrique

Plusieurs journaux ont reproduit le fait suivant :

Le village de Saint-Urbain, sur les limites de la Loire et de l'Ardèche, est tout en émoi. Il s'y passe, nous écrit-on, d'étranges choses. Les uns les imputent au diable, d'autres y voient le doigt de Dieu, marquant du sceau de la prédestination l'une de ses créatures privilégiées.

Voici en deux mots de quoi il s'agit, dit le Mémorial de la Loire :

« Il y a une quinzaine de jours est né, dans ce hameau, un enfant qui, dès son entrée dans le monde, a manifesté les plus étonnantes vertus, les savants diraient les propriétés les plus singulières. A peine ondoyé, il est devenu impalpable et intangible ! Intangible, non point comme la sensitive, mais à la façon d'une bouteille de Leyde chargée d'électricité, qu'on ne peut toucher sans ressentir une vive commotion. Et puis, il est lumineux ! De toutes ses extrémités s'échappent, par moments, des effluves brillants qui le font ressembler à une luciole.

A mesure que le bébé se développe et se fortifie, ces curieux phénomènes s'accusent avec plus d'énergie et d'intensité. Même il s'en produit de nouveaux. On raconte, par exemple, qu'à certains jours, lorsqu'on approche des mains ou des pieds de l'enfant quelque objet de mince volume, tel qu'une cuiller, un couteau, une tasse, même une assiette, ces ustensiles sont pris d'un frémissement et d'une vibration subits que rien ne peut expliquer.

C'est particulièrement dans la soirée et dans la nuit que ces faits extraordinaires s'accentuent à l'état de sommeil comme à l'état de veille. Parfois alors, ‑ et ceci tient du prodige, ‑ le berceau paraît s'emplir d'une clarté blanchâtre, pareille à ces belles phosphorescences que prennent les eaux de la mer dans le sillage des vaisseaux, et que la science n'a point encore parfaitement expliquées.

L'enfant ne paraît d'ailleurs nullement incommodé des manifestations dont sa petite personne est le mystérieux théâtre. Il tette, dort et se porte fort bien, et n'est ni moins pleureur ni plus impatient que ses pareils. Il a deux jeunes frères de quatre à cinq ans, qui sont nés et vivent à la manière des plus vulgaires marmots.

Ajoutons que les parents, braves cultivateurs, touchant à la quarantaine du côté du mari, à la trentaine du côté de la femme, sont les époux les moins électriques et les moins lumineux du monde. Ils ne brillent que par leur honnêteté, et le soin avec lequel ils élèvent leur petite famille.

On a appelé le curé de la commune voisine, qui a déclaré, après un long examen, n'y rien comprendre du tout ; puis le chirurgien qui a palpé, repalpé, tourné, retourné, ausculté et percuté le sujet, sans vouloir se prononcer nettement sur son cas, mais qui prépare un savant rapport à l'Académie, dont on parlera dans le monde médical.

Un malin du pays, il y en a partout, flairant là une bonne petite spéculation, a proposé de louer l'enfant à raison de 200 fr. par mois « pour le montrer dans les foires. » C'est une bien belle affaire pour les parents. Mais naturellement le père et la mère veulent accompagner un fils si précieux ‑ à 2 francs par jour ‑ et cette condition arrête encore la conclusion du marché.

Le correspondant qui nous donne ces étranges détails nous certifie « sur son honneur » qu'ils sont de la plus exacte vérité, et il a eu soin de faire contre signer sa lettre par « les quatre plus grands propriétaires du pays. »

Aucun Spirite, assurément, ne verra dans ce fait rien de surnaturel ni de miraculeux. C'est un phénomène purement physique, une variante, pour la forme, de celui que présentent les personnes dites électriques. On sait que certains animaux, tels que la torpille et le gymnote, ont des propriétés analogues.

Voici l'instruction donnée à ce sujet par l'un des guides instructeurs de la société de Paris.

« Comme nous vous l'avons dit fréquemment, les phénomènes les plus singuliers se multiplient chaque jour pour attirer l'attention de la science ; l'enfant en question est donc un instrument, mais il n'a été choisi à cet effet qu'en raison de la situation qui lui était faite par son passé. Quelque excentrique que soit, en apparence, un phénomène quelconque, produit sur un incarné, il a toujours pour cause immédiate la situation intelligente et morale de cet incarné, et un rapport avec ses antécédents, toutes les existences étant solidaires. C'est un sujet d'étude, sans doute, pour ceux qui en sont témoins, mais secondairement. C'est surtout pour celui qui en est l'objet, une épreuve ou une expiation. Il y a donc le fait matériel qui est du ressort de la science, et la cause morale qui appartient au Spiritisme.

Mais, direz-vous, comment un état pareil peut-il être une épreuve pour un enfant de cet âge ? Pour l'enfant, non, assurément, mais pour l'Esprit qui n'a pas d'âge, l'épreuve est certaine.

Se trouvant, comme incarné, dans une situation exceptionnelle, entouré d'une auréole physique qui n'est qu'un masque, mais qui peut passer aux yeux de certaines gens pour un signe de sainteté ou de prédestination, l'Esprit, dégagé pendant son sommeil, s'enorgueillit de l'impression qu'il produit. C'était un thaumaturge d'une espèce particulière, qui a passé sa dernière existence à jouer le saint personnage au milieu des prestiges qu'il s'était exercé à accomplir, et qui a voulu poursuivre son rôle dans cette existence. Pour s'attirer le respect et la vénération, il a voulu naître, comme enfant, dans des conditions exceptionnelles. S'il vit, ce sera un faux prophète de l'avenir, et ce ne sera pas le seul.

Quand au phénomène en lui-même, il est certain qu'il aura peu de durée ; la science doit donc se presser si elle veut l'étudier de visu ; mais elle n'en fera rien, ayant peur de rencontrer des difficultés embarrassantes ; elle se contentera de considérer l'enfant comme une torpille humaine. »

Le docteur Morel Lavallée.



Un curé médium guérisseur

Un de nos abonnés du département des Hautes-Alpes, nous écrit ce qui suit :

« Depuis quelque temps on parle beaucoup, dans la vallée du Queyras, d'un curé qui, sans études médicales, guérit une foule de personnes de diverses affections. Il y a longtemps qu'il agit ainsi, et d'augustes personnages l'ont, dit-on, consulté, alors qu'il était chef d'une autre paroisse dans les Basses-Alpes. Ses cures avaient fait du bruit, et l'on dit que, par punition, il fut envoyé comme curé à La Chalpe, commune voisine d'Abriès, sur la frontière du Piémont. Là, il continue à être utile à l'humanité, en soulageant et guérissant comme par le passé.

Pour les spirites, cela n'a rien d'étonnant ; si je vous en parle, c'est parce que, dans la vallée du Queyras comme ailleurs, il fait beaucoup de bruit. Comme tous les médiums guérisseurs sérieux, il n'accepte jamais rien. S. M. l'Impératrice douairière de Russie lui aurait offert, m'a-t-on dit, plusieurs billets de banque qu'il a refusés, la priant de les mettre au tronc si elle voulait les donner pour son église.

Un autre individu glissa un jour une pièce de vingt francs dans ses papiers ; quand il s'en fut aperçu, il le fit revenir sous prétexte de nouvelles indications à lui donner, et lui rendit son argent.

Une foule de personnes parlent de ces guérisons de visu ; d'autres n'y croient pas ; je tiens le fait suivant de celles qui sont le moins favorables.

On avait dénoncé le curé pour exercice illégal de la médecine ; deux gendarmes se présentent chez lui pour le conduire vers l'autorité. Il leur dit : « Je vous suivrai ; mais un instant, s'il vous plaît, car je n'ai pas mangé. Déjeunez avec moi, et vous me garderez. » Pendant le repas, il dit à l'un des gendarmes : « ‑ Vous êtes malade. ‑ Malade ? non plus à présent ; il y a trois mois, je ne dis pas. ‑ Eh bien ! je sais ce que vous avez, et, si vous le voulez, je puis vous guérir tout de suite, si vous faites ce que je vous dirai. » On pourparle et la proposition est acceptée.

Le curé fit suspendre le gendarme par les pieds, de façon que ses mains pussent se poser à terre et le soutenir ; il plaça sous sa tête une écuelle de lait chaud, et lui administra ce qu'on appelle une fumigation au lait. Au bout de quelques minutes, un petit serpent, disent les uns, un gros ver selon d'autres, tombe dans l'écuelle. Le gendarme, reconnaissant, fait mettre le serpent dans une bouteille, et conduit le curé au magistrat auquel il explique son affaire, après quoi le curé est mis en liberté.

J'aurais bien désiré voir ce curé, ajoute notre correspondant, mais la neige de nos montagnes rend les chemins trop difficiles en cette saison ; je suis obligé de me contenter des renseignements que je vous transmets. La conclusion de tout cela, c'est que cette faculté se développe et que les exemples se multiplient. Dans la commune que je vous cite, et dans notre vallée, cela produit un grand effet. Comme toujours, les uns disent : Charlatan ; d'autres, démon ; d'autres, sorcier ; mais les faits sont là, et je n'ai pas manqué l'occasion de dire ma façon de penser, en expliquant que les faits de ce genre n'ont rien de surnaturel, ni de diabolique, qu'on en a vu des milliers d'exemples depuis les temps les plus reculés, et que c'est un mode de manifestation de la puissance de Dieu, sans qu'il y ait dérogation à ses lois éternelles. »


Variétés

Les miracles du Bois-d'Haine

Le Progrès thérapeutique, journal de médecine, dans son numéro du 1er mars 1869, rend compte d'un phénomène bizarre, devenu un objet de curiosité publique au bourg de Bois-d'Haine, en Belgique. Il s'agit d'une jeune fille de 18 ans qui, tous les vendredis, de 1 h. et demie à 4 h. et demie tombe, dans un état d'extase cataleptique ; dans cet état, elle est couchée, les bras étendus, les pieds l'un sur l'autre, dans la position de Jésus sur la croix.

L'insensibilité et la rigidité des membres ont été constatés par plusieurs médecins. Pendant la crise, cinq plaies s'ouvrent aux endroits précis où furent celles du Christ, et laissent suinter du sang véritable. Après la crise le sang cesse de couler, les plaies se ferment, et sont cicatrisées en 24 heures. Pendant les accès, dit le docteur Beaucourt, auteur de l'article, le R. P. Séraphin présent aux séances, grâce à l'ascendant qu'il a sur la malade, a le pouvoir de la rappeler de son extase. Il ajoute : « Tout homme qui n'est pas athée doit, pour être logique, admettre que celui qui a établi les lois admirables, tant physiques que physiologiques, qui régissent la nature, peut aussi, à son gré, suspendre ou changer momentanément une ou plusieurs de ces lois. »

C'est, comme on le voit, un miracle dans toutes les règles, et une répétition de celui des stigmatisés. Comme les miracles selon l'Église ne sont pas du ressort du Spiritisme, nous croyons superflu de pousser plus loin la recherche des causes du phénomène ; et cela d'autant mieux qu'un autre journal a dit, depuis, que l'évêque du diocèse avait interdit toute exhibition.



Le Réveil de M. Louis



Nous avons publié, dans le précédent numéro, le récit du singulier état d'un Esprit qui croyait rêver. Il s'est enfin réveillé, et l'a annoncé spontanément dans la communication suivante :

(Société de Paris, 12 Février 1869. ‑ Méd., M. Leymarie.)

« Décidément, messieurs, il faut, malgré moi, que j'ouvre les yeux et les oreilles ; il faut que j'entende et que je voie. J'ai beau nier et déclarer que vous êtes des gens à manie, très braves, mais très enclins aux rêveries, aux illusions, il faut, je l'avoue, malgré tous mes dires, que je sache enfin que je ne rêve plus. Là-dessus, je suis fixé, mais complètement fixé. Je viens chez vous tous les vendredis, jours de réunion, et à force d'entendre répéter, j'ai voulu savoir si ce fameux rêve se prolongerait indéfiniment. L'ami Jobard s'est chargé de m'édifier à ce sujet, et cela avec preuves à l'appui.

Je n'appartiens plus à la terre ; je suis mort ; j'ai vu le deuil des miens, les regrets des amis, les contentements de quelques envieux, et maintenant je viens vous voir. Mon corps ne m'a pas suivi ; il est bien là-bas, dans son recoin, au milieu du fumier humain ; et, soit avec ou sans appel, je viens vers vous aujourd'hui, non plus avec dépit, mais avec le désir et la conviction de m'éclairer. Je discerne parfaitement ; je vois ce que j'ai été ; je parcours avec Jobard des distances immenses : donc je vis ; je conçois, je combine, je possède ma volonté et mon libre arbitre : donc tout ne meurt pas. Nous n'étions donc pas une agrégation intelligente de molécules, et toutes nos psalmodies sur l'intelligence de la matière, n'étaient que phrases vides et sans consistance.

Ah ! croyez-le, messieurs, si mes yeux se dessillent, si j'entrevois une vérité nouvelle, ce n'est pas sans souffrances, sans révoltes, sans retours amers !

C'est donc bien vrai ! L'Esprit reste ! fluide, intelligent, il peut, sans la matière, vivre de sa vie propre, éthérée, et selon votre mot : semi-matérielle. Parfois, cependant, je me demande si le rêve fantasque que je faisais depuis plus d'un mois, ne se continue pas avec des péripéties nouvelles, inouïes ; mais le raisonnement froid, impassible, de Jobard, me force la main, et, quand je résiste, il rie, il se plaît à me confondre et, tout joyeux, il m'accable d'épigrammes et de mots heureux ! J'ai beau faire le rebelle et me révolter, il faut obéir à la vérité.

Le Desnoyers de la terre, l'auteur de Jean-Paul Choppard est encore en vie, et sa pensée ardente embrasse d'autres horizons. Il était libéral et terre à terre jadis, tandis qu'à présent, il aborde et embrasse des problèmes inconnus, merveilleux ; et, devant ces nouvelles appréciations, veuillez, messieurs, me pardonner mes dires un peu légers, car si je n'avais pas complètement raison, vous pourriez bien avoir un peu tort.

Je demande à réfléchir, à me reconnaître définitivement, et si le résultat de mes recherches sérieuses me conduit à vos idées, il faut l'espérer, ce ne sera plus pour me brûler la cervelle.

A une autre fois, messieurs.

Louis Desnoyers.

Le même Esprit a donné spontanément la communication ci-après, à propos de la mort de Lamartine.



Société de Paris, 5 Mars 1869. – Méd., M. Leymarie.

Oui, messieurs, nous mourons plus ou moins oubliés ; nous passons, pauvres êtres, fiers des organes qui transmettent nos pensées. Nous voulons la vie avec ses exubérances, nous formons une multitude de projets. Notre sillon, dans ce monde, a pu avoir son retentissement, et la dernière heure venue, tous ces bruits, tout ce petit tapage, notre fierté, notre égoïsme, notre labeur, tout est englouti dans la masse. C'est une goutte d'eau dans l'océan humain.

Lamartine était un grand et noble esprit, chevaleresque, enthousiaste, un vrai maître dans l'acception du mot, un diamant bien pur, bien taillé ; il était beau, grand ; il avait le regard, il avait le geste du prédestiné ; il savait penser, écrire ; il savait parler ; c'était un inspiré, un transformateur !… Poète, il changea l'essor de la littérature en lui prêtant ses ailes prestigieuses ; homme, il gouverna un peuple, une révolution, et ses mains se retirèrent pures du contact du pouvoir.

Nul, plus que lui, ne fut aimé, choyé, béni, adoré ; et lorsque les cheveux blancs sont venus, lorsque le découragement prenait le beau vieillard, le lutteur des grands jours, on ne lui pardonna plus un instant de défaillance. La France elle-même était en défaillance ; elle souffleta le poète, le grand homme ; elle voulut le rapetisser, ce lutteur de deux révolutions, et l'oubli, je le répète, semblait enterrer cette grande et magnanime figure ! Il est mort et bien mort, puisque je l'ai accueilli par delà la tombe, avec tous ceux qui l'avaient apprécié et estimé, malgré l'ostracisme, dont la jeunesse des écoles, se faisait une arme contre lui.

Il était transfiguré, oui, messieurs, transfiguré par la douleur d'avoir vu ceux qui l'avaient tant aimé, lui refuser le dévouement que pourtant il ne sut jamais refuser en d'autres temps, tandis que les vainqueurs lui tendaient la main. Le poète était devenu philosophe, et ce penseur mûrissait son âme endolorie, pour la grande épreuve. Il voyait mieux ; il pressentait tout, tout ce que vous espérez, messieurs, et tout ce que je n'espérais pas.

Plus que lui, je suis un vaincu ; vaincu par la mort, vaincu de mon vivant par le besoin, cet ennemi insaisissable qui nous taquine comme un rongeur ; et bien plus vaincu aujourd'hui, car je viens m'incliner devant la vérité.

Ah ! si pour la France une grande vérité luit aujourd'hui ; si la France de 89, si la mère de tant de génies disparus, recommence à sentir que l'un de ses plus chers enfants, le bon, le noble Lamartine a disparu, je sens aujourd'hui que, pour lui, rien n'est mort ; son souvenir est partout ; les ondes sonores de tant de souvenirs émeuvent le monde. Il était immortel chez vous, mais bien plus encore chez nous où il est réellement transfiguré. Son Esprit resplendit, et Dieu peut recevoir le grand méconnu. Lamartine peut désormais embrasser les plus vastes horizons et chanter les hymnes grandioses que son grand cœur avait rêvées. Il peut préparer votre avenir, mes amis, et accélérer avec nous les étapes humanitaires. Il pourra plus que jamais voir se développer en vous, cet ardent amour d'instruction, de progrès, de liberté et d'association qui sont les éléments de l'avenir. La France est une initiatrice ; elle sait ce qu'elle peut : elle voudra, elle osera, quand sa crinière puissante aura secoué la fourmilière qui vit aux dépens de sa virilité et de sa grandeur.

Pourrai-je, comme lui, gagner mon auréole et devenir resplendissant de bonheur, me voir régénérer par votre croyance, dont je comprends aujourd'hui la grandeur ? Par vous, Dieu m'a marqué comme une brebis égarée ; merci, messieurs. Au contact des morts tant regrettés, je me sens vivre, et je dirai bientôt avec vous dans la même prière : La mort c'est l'auréole ; la mort c'est la vie.

Louis Desnoyers.

Remarque. ‑ Une dame, membre de la société, qui connaissait particulièrement M. Lamartine, et avait assisté à ses derniers moments, venait de dire qu'après sa mort, sa physionomie s'était littéralement transfigurée, qu'elle n'avait plus la décrépitude de la vieillesse ; c'est à cette circonstance que l'Esprit fait allusion.




Dissertations spirites

Lamartine

(Société spirite de Paris, 14 mars 1869. ‑ Méd., M. Leymarie.)

Un ami, un grand poète, m'écrivait dans une douloureuse circonstance : « Elle est toujours votre compagne, invisible, mais présente ; vous avez perdu la femme, mais non l'âme ! Cher ami, vivons dans les morts ! » Pensée consolante, salutaire, qui réconforte dans la lutte et fait penser sans cesse à cette succession ascendante de la matière, à cette unité dans la conception de tout ce qui est, à ce merveilleux et incomparable ouvrier qui, pour la continuité du progrès, attache l'Esprit à cette matière, spiritualisée à son tour par la présence de l'élément supérieur.

Non, ma bien-aimée, je n'ai pu perdre ton âme qui vivait glorieuse, étincelante de toutes les clartés du monde invisible. Ma vie est une protestation vivante contre le fléau menaçant du scepticisme, sous ses formes multiples. Nul, plus que moi, n'a énergiquement affirmé la personnalité divine et cru à la personnalité humaine en défendant la liberté. Si le sentiment de l'infini était développé en moi, si la présence divine palpite dans des pages enthousiastes, c'est que je devais creuser mon sillon ; c'est que je vivais de la présence de Dieu, et cette source sans cesse jaillissante m'a toujours fait croire au bien, au beau, à la droiture, au dévouement, à l'honneur de l'individu, et plus encore à l'honneur de la nation, cette individualité condensée. C'est que ma compagne était une nature d'élite, forte et tendre. Près d'elle, j'ai compris la nature de l'âme et ses rapports intimes avec la statue de chair, cette merveille ! Aussi, mes études étaient-elles spiritualisées, par conséquent fécondes et rapides, tournant sans cesse vers les formes du beau et la passion des lettres. Je mariai la science à la pensée, afin que la philosophie, chez moi, pût se servir de ces deux précieux instruments poétiques.

Parfois ma forme fut abstraite et n'était pas à la portée de tout le monde ; mais les penseurs sérieux l'adoptèrent ; tous les grands esprits de mon époque m'ouvrirent leurs rangs. L'orthodoxie catholique me regardait comme une brebis fuyant le troupeau du pasteur romain, surtout lorsque, emporté par les événements, je partageai la responsabilité d'une révolution glorieuse.

Entraîné un moment par les aspirations populaires, par ce souffle puissant d'idées comprimées, je n'étais plus l'homme des grandes situations ; j'avais terminé mon sillon, et, pour moi, sonnaient, sur le timbre du temps, les heures de lassitude et de découragement. J'ai vu mon calvaire, et pendant que Lamartine le montait péniblement, les enfants de cette France tant aimée, lui crachaient au visage, sans respect pour ses cheveux blancs, l'outrage, le défi, l'injure.

Épreuve solennelle, messieurs, où l'âme se retrempe et se rectifie, car l'oubli c'est la mort, et la mort sur la terre, c'est le commerce avec Dieu, ce dispensateur judicieux de toutes les forces !

Je suis mort en chrétien ; j'étais né dans l'Église, je pars avant elle ! Depuis un an, j'avais une profonde intuition. Je parlais peu, mais je voyageais sans cesse dans ces plaines éthérées où tout se refond sous le regard du Maître des mondes ; le problème de la vie se déroulait majestueusement, glorieusement. J'ai compris la pensée des Swedenborg et de l'école des théosophes, de Fourier, de Jean Reynaud, d'Henri Martin, de Victor Hugo, et le Spiritisme qui m'était familier, quoique en contradiction avec mes préjugés et ma naissance, me préparait au détachement, au départ. La transition n'a pas été pénible ; comme le pollen d'une fleur, mon Esprit, emporté par un tourbillon, a trouvé la plante sœur. Comme vous, je l'appelle erraticité ; et pour me faire aimer cette sœur désirée, ma mère, mon épouse bien-aimée, une multitude d'amis et d'invisibles m'entouraient comme une auréole lumineuse. Plongé dans ce fluide bienfaisant, mon Esprit se rassérénait, comme le corps de ce voyageur du désert qui, après un long voyage sous un ciel de plomb et de feu, trouverait un bain généreux pour son corps, une fontaine limpide et fraîche pour sa soif ardente.

Joies ineffables du ciel sans limites, concerts de toutes les harmonies, molécules qui répercutez les accords de la science divine, chaleur vivifiante de ses impressions innommées que la langue humaine ne saurait déchiffrer, bien-être nouveau, renaissance, complète élasticité, électrique profondeur des certitudes, similitudes des lois, calme plein de grandeur, sphères qui enfermez les humanités, oh ! soyez les bienvenues, émotions prévues, agrandies indéfiniment de rayonnements de l'infini !

Echangez vos idées, Spirites, qui croyez en nous. Étudiez aux sources toujours nouvelles de notre enseignement ; affirmez-vous, et que chaque membre de la famille soit un apôtre qui parle, marche et agisse avec volonté, avec la certitude que vous ne donnez rien à l'inconnu. Sachez beaucoup pour que votre intelligence s'élève. La science humaine, réunie à la science de vos auxiliaires invisibles, mais lumineux, vous fera maîtres de l'avenir ; vous chasserez l'ombre pour venir à nous, c'est-à-dire à la lumière, à Dieu.

Alphonse de Lamartine.


Charles Fourier

Un disciple de Charles Fourier, qui est en même temps spirite, nous a adressé dernièrement une évocation avec prière de solliciter une réponse si cela était possible, afin de s'éclairer sur certaines questions. L'une et l'autre nous ayant paru instructives, nous les transcrivons ci-après.

(Paris, groupe Desliens ; 9 mars 1869.)

« Frère Fourier,

Du haut de la sphère ultra-mondaine, si ton Esprit peut me voir et m'entendre, je te prie de te communiquer à moi, afin de me fortifier dans la conviction que ton admirable théorie des quatre mouvements a fait naître en moi sur la loi de l'harmonie universelle, ou de me détromper si tu as eu le malheur de te tromper toi-même. ‑ Toi, dont le génie incomparable semble avoir levé le rideau qui cachait la nature, et dont l'Esprit doit être plus lucide encore qu'il ne l'était dans le monde matériel, je te prie de me dire si tu reconnais, dans le monde des Esprits comme sur la terre, qu'il y a renversement de l'ordre naturel établi par Dieu, dans notre organisation sociale ; si les attractions passionnelles sont réellement le levier dont Dieu se sert pour conduire l'homme vers sa véritable destinée ; si l'analogie est un moyen sûr pour découvrir la vérité.

Je te prie de me dire aussi ce que tu penses des sociétés coopératives qui germent de tous côtés à la surface de notre globe. Si ton Esprit peut lire dans la pensée de l'homme sincère, tu dois savoir que le doute le rend malheureux ; c'est pourquoi, je te supplie, de ton séjour d'outre-tombe, de vouloir bien faire tout ce qui dépend de toi pour me convaincre.

Reçois, notre frère, l'assurance du respect que je dois à ta mémoire et de ma plus grande vénération. »

J. G.

Réponse. – « C'est une question bien grave, cher frère en croyance, que demander à un homme s'il s'est trompé, lorsqu'un certain nombre d'années se sont écoulées, depuis qu'il a exposé le système qui satisfaisait le mieux ses aspirations vers l'inconnu ! Me suis-je trompé ?… Qui ne s'est pas trompé lorsqu'il a voulu soulever avec ses seules forces, le voile qui lui dérobait le feu sacré ! Prométhée a fait des hommes avec ce feu, mais la loi du progrès a condamné ces hommes aux luttes physiques et morales. Moi, j'ai fait un système, destiné comme tous les systèmes à vivre un temps, puis à se transformer, à s'associer à de nouveaux éléments plus vrais. Il en est, voyez-vous, des idées comme des hommes. Dès qu'elles sont nées, elles ne meurent pas : elles se transforment. Grossières d'abord, enveloppées dans la gangue du langage, elles trouvent successivement des ouvriers qui les taillent et les polissent de plus en plus, jusqu'à ce que le caillou informe soit devenu le diamant au vif éclat, la pierre précieuse par excellence.

J'ai cherché consciencieusement et j'ai trouvé beaucoup. M'appuyant sur les principes acquis, j'ai fait avancer de quelques pas la pensée intelligente et régénératrice. Ce que j'ai découvert était vrai en principe ; je l'ai faussé, en voulant l'appliquer. J'ai voulu créer la série, établir des harmonies ; mais ces séries, ces harmonies n'avaient pas besoin de créateur ; elles existaient depuis le commencement ; et je ne pouvais que les troubler en voulant les établir sur les petites bases de ma conception, lorsque Dieu leur avait donné l'univers pour laboratoire gigantesque.

Mon titre le plus sérieux, et celui qu'on ignore ou qu'on dédaigne peut-être le plus, c'est d'avoir partagé avec Jean Reynaud, Ballanche, Joseph de Maistre et bien d'autres, le pressentiment de la vérité ; c'est d'avoir rêvé cette régénération humaine par l'épreuve, cette succession d'existences réparatrices, cette communication du monde libre et du monde enchaîné à la matière que vous avez le bonheur de toucher du doigt. Nous avions prévu et vous réalisez notre rêve. Voilà nos plus grands titres de gloire, les seuls que, pour ma part, j'estime et dont je me souvienne.

Vous doutez, dites-vous, mon ami ! tant mieux ; car celui qui doute véritablement, cherche ; et celui qui cherche, trouve. Cherchez donc, et s'il ne dépend que de moi, de vous mettre en main la conviction, comptez sur mon concours dévoué ; mais écoutez un conseil d'ami que j'ai mis en pratique dans ma vie et dont je me suis bien trouvé : « Si vous voulez une démonstration sérieuse d'une loi universelle, cherchez-en l'application individuelle. Voulez-vous la vérité ? Cherchez-la en vous-même et dans l'observation des faits de votre propre vie. Tous les éléments de la preuve sont là. Que celui qui veut savoir s'examine, et il trouvera. »

Ch. Fourier.




Bibliographie

Y a-t-il une vie future ?

Opinions diverses sur ce sujet, recueillies et mises en ordre par un Revenant[1].

Pour le plus grand nombre, la vie future ne faisant pas question, une démonstration devient en quelque sorte superflue, car c'est à peu près comme si l'on voulait prouver que le soleil se lève tous les matins. Cependant, comme il y a des aveugles qui ne voient pas le soleil se lever, il est bon de savoir comment on peut le leur prouver ; or, c'est la tâche qu'a entreprise le Revenant, auteur de ce livre. Ce Revenant est un savant ingénieur que nous connaissons de réputation, par d'autres ouvrages philosophiques qui portent son nom ; mais comme il n'a pas jugé à propos de le mettre sur celui-ci, nous ne nous croyons pas le droit de commettre une indiscrétion, quoique nous sachions pertinemment qu'il ne fait aucun mystère de ses croyances.

Ce livre prouve une fois de plus que la science ne conduit pas fatalement au matérialisme, et qu'un mathématicien peut être un ferme croyant en Dieu, en l'âme, en la vie future et en toutes ses conséquences.

Ce n'est pas une simple profession de foi, mais une démonstration digne d'un mathématicien par sa logique serrée et irrésistible. Ce n'est pas non plus une dissertation aride et dogmatique, mais une polémique incidentée sous forme de conversation familière, où le pour et le contre sont impartialement discutés.

L'auteur raconte qu'assistant au convoi d'un de ses amis, il se mit à causer, chemin faisant, avec plusieurs invités. La circonstance et les péripéties de la cérémonie amènent la conversation sur le sort de l'homme après la mort. Elle s'engage d'abord avec un néantiste auquel il entreprend de démontrer la réalité de la vie future par des arguments enchaînés avec un art admirable, et, sans le heurter ni le froisser, il l'amène tout naturellement à ses idées.

Sur la tombe deux discours sont prononcés dans un sens diamétralement opposé sur la question de l'avenir, et produisent des impressions différentes. Au retour, de nouveaux interlocuteurs se joignent aux deux premiers ; ils conviennent de se réunir chez l'un d'eux, et là une polémique sérieuse s'engage, où les opinions diverses font valoir les raisons sur lesquelles elles s'appuient.

Ce livre, dont la lecture est attachante, a tout l'attrait d'une histoire, et toute la profondeur d'une thèse philosophique. Nous ajouterons que, parmi les principes qu'il préconise, nous n'en avons pas trouvé un seul en contradiction avec la doctrine spirite dont l'auteur a dû s'inspirer.

La nécessité de la réincarnation pour le progrès, son évidence, sa concordance avec la justice de Dieu, l'expiation et la réparation par la rencontre de ceux qui se sont nui dans une précédente existence, y sont démontrées avec une clarté saisissante. Plusieurs exemples cités prouvent que l'oubli du passé, dans la vie de relation, est un bienfait de la Providence, et que cet oubli momentané n'empêche pas de mettre à profit l'expérience du passé, attendu que l'âme se souvient dans les moments de dégagement.

Voici, en quelques mots, un des faits racontés par l'un des interlocuteurs et qui, dit-il, lui est personnel.

Il était apprenti dans une grande fabrique ; par sa conduite, son intelligence et son caractère, il se concilie l'estime et l'amitié du patron qui, par la suite l'associe à sa maison. Plusieurs faits dont il ne se rendait pas compte alors, prouvent chez lui la perception et l'intuition des choses pendant le sommeil ; cette faculté lui a même servi à prévenir un accident qui pouvait avoir des conséquences désastreuses pour la fabrique.

La fille du patron, charmante enfant de huit ans, lui témoigne de l'affection et se plaît avec lui ; mais chaque fois qu'elle s'approche, il éprouve un froid glacial et une répulsion instinctive ; son contact lui fait mal. Peu à peu, cependant, ce sentiment s'affaiblit, puis s'efface. Plus tard, il l'épouse ; elle est bonne, affectueuse, prévenante et l'union est très heureuse.

Une nuit, il fait un rêve affreux. Il se voyait dans sa précédente incarnation ; sa femme s'était conduite d'une manière indigne, et avait été cause de sa mort, et, chose étrange ! il ne pouvait séparer l'idée de cette femme de sa femme actuelle ; il lui semblait que c'était la même personne. Bouleversé de cette vision à son réveil, il est triste ; pressé par sa femme de lui en dire la cause, il se décide à lui raconter son cauchemar. « C'est singulier, dit-elle, j'ai fait un rêve semblable, et c'est moi qui étais la coupable. » Des circonstances font qu'ils reconnaissent l'un et l'autre n'être pas unis pour la première fois ; le mari s'explique la répulsion qu'il avait pour sa femme alors qu'elle était enfant ; la femme redouble de soins pour effacer son passé ; mais elle est déjà pardonnée, car la réparation a eu lieu, et le ménage continue d'être prospère.

De là cette conclusion : que ces deux êtres se sont de nouveau trouvés réunis, l'un pour réparer, l'autre pour pardonner ; que s'ils avaient eu le souvenir du passé, il se seraient fuis, et qu'ils auraient perdu le bénéfice, l'un de la réparation, l'autre du pardon.

Pour donner une idée exacte de l'intérêt de ce livre, il faudrait le citer presque en entier. Nous nous bornerons au passage suivant :

« Vous me demandez si je crois à la vie future, me disait un vieux général ; si nous y croyons, nous autres soldats ! Et comment voulez-vous qu'il en soit autrement, à moins d'être une triple brute ? A quoi donc voulez-vous que nous pensions à la veille d'un combat, d'un assaut, que tout annonce devoir être meurtrier ?… Après avoir dit adieu en pensée aux êtres chers que nous sommes menacés de quitter, nous revenons irrésistiblement aux enseignements maternels qui nous ont montré une vie future où les êtres sympathiques se retrouvent. Nous puisons dans ces souvenirs un redoublement de courage qui nous fait affronter les plus grands dangers, suivant notre tempérament, avec calme ou avec un certain emportement, et plus souvent encore avec un entrain, une gaieté, qui sont les traits caractéristiques de l'armée française.

Nous sommes, après tout, les descendants de ces braves Gaulois, dont la croyance en la vie future était si grande, qu'ils prêtaient des sommes d'argent à rembourser dans une autre existence. Je vais plus loin, je suis persuadé que nous sommes toujours ces enfants de la vieille Gaule, qui, entre l'époque de César et la nôtre, ont traversé un grand nombre d'existences, dans chacune desquelles ils ont pris un grade plus élevé dans les phalanges terrestres. »

Ce livre sera lu avec fruit par les plus fermes croyants, parce qu'ils y puiseront de nouveaux arguments pour réfuter leurs adversaires.

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[1] 1 vol. in-12 ; 3 fr.




L'âme


Ce livre tend au même but que le précédent : la démonstration de l'âme, de la vie future, de la pluralité des existences, mais sous une forme plus didactique, plus scientifique, quoique toujours claire et intelligible pour tout le monde. La réfutation du matérialisme, et en particulier des doctrines de Büchner et de Maleschott, y occupe une large place, et ce n'en est pas la partie la moins intéressante ni la moins instructive, par l'irrésistible logique des arguments. La doctrine de ces deux écrivains d'un incontestable talent, et qui prétendent expliquer tous les phénomènes moraux par les seules forces de la matière, a eu beaucoup de retentissement en Allemagne, et par contre-coup en France ; elle a naturellement été acclamée avec enthousiasme par les matérialistes, heureux d'y trouver la sanction de leurs idées ; elle a surtout recruté des partisans parmi les jeunes gens des Ecoles, qui s'en autorisent pour s'affranchir, au nom de la légalité apparente d'une philosophie, du frein qu'impose la croyance en Dieu et en l'immortalité.

L'auteur s'attache à réduire à leur juste valeur les sophismes sur lesquels s'appuie cette philosophie ; il démontre les désastreuses conséquences qu'elle aurait pour la société, si jamais elle venait à prévaloir, et son incompatibilité avec toute doctrine morale. Bien qu'elle ne soit guère connue que dans un certain monde, une réfutation en quelque sorte populaire est très utile, afin de prémunir ceux qui pourraient se laisser séduire par les arguments spécieux qu'elle invoque. Nous sommes persuadé que, parmi les personnes qui la préconisent, il y en a qui reculeraient si elles en avaient compris toute la portée.

Ne serait-ce qu'à ce point de vue, l'ouvrage de M. Dyonis mériterait de sérieux encouragements, car c'est un champion énergique pour la cause du Spiritualisme, qui est aussi celle du Spiritisme auquel on voit que l'auteur n'est pas étranger. Mais là ne se borne pas la tâche qu'il s'est imposée ; il envisage la question de l'âme d'une manière large et complète ; il est un de ceux qui admettent son progrès indéfini, à travers l'animalité, l'humanité et au delà de l'humanité. Peut-être, sous certains rapports, son livre renferme-t-il quelques propositions un peu hasardées, mais qu'il est bon de mettre au jour, afin qu'elles soient mûries par la discussion.

Nous regrettons que le défaut d'espace ne nous permette pas de justifier notre appréciation par quelques citations ; nous nous bornerons au passage suivant, et à dire que ceux qui liront ce livre ne perdront pas leur temps.

« Si nous examinons les êtres qui se sont succédé dans les périodes géologiques, nous remarquons qu'il y a progrès dans les individus doués successivement de vie, et que le dernier venu, l'homme, est une preuve irrécusable de ce développement moral, par le don de l'intelligence transmissible qu'il a reçu le premier, et le seul de tous les animaux.

Cette perfectibilité de l'âme opposée à l'imperfectibilité de la matière, nous amène à penser que l'âme humaine n'est pas la première expression de l'âme, mais qu'elle en est seulement la dernière expression jusqu'ici. En d'autres termes, que l'âme a progressé depuis la première manifestation de la vie, passant alternativement par les plantes, les animalcules, les animaux et l'homme, pour s'élever encore, au moyen de créations d'un ordre supérieur, que nos sens imparfaits ne nous permettent pas de comprendre, mais que la logique des faits nous conduit à admettre. La loi de progrès, que nous suivons dans les développements physiques des animaux successifs, existerait donc également, et principalement, dans leur développement moral. »

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[1] 1 vol. in-12, 3 fr. 50.




Sociétés et journaux spirites à l'Étranger



L'abondance des matières nous oblige à renvoyer au prochain numéro le compte rendu de deux sociétés spirites, constituées sur des bases sérieuses, par des statuts imprimés, très sagement conçus : l'une à Séville, en Espagne ; l'autre à Florence, en Italie.
Nous parlerons également des deux nouveaux journaux spirites que nous nous bornons à annoncer ci-après.

El Espiritismo (Le Spiritisme) ; 12 pages in-4°, paraissant deux fois par mois depuis le 1er mars, à Séville, calle de Genova, 51. - Prix, par trimestre : Séville, 5 réaux ; provinces, 6 r. ; Etranger, 10 r. Il Veggente (Le Voyant), journal magnético-spirite hebdomadaire ; quatre pages in-4° ; publié à Florence, via Pietra Piana, 40. - Prix : 4 fr. 50 c., par an ; pour six mois, 2 fr. 50 c.



Erratum

Numéro de mars 1869, page 93, ligne 31, au lieu de : concert de l'Esprit, lisez : concept de l'Esprit.




Allan Kardec

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