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REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1861 > Septembre
Septembre
Le style, c'est l'homme
Polémique entre plusieurs Esprits(Société Spirite de Paris.)
Dans la séance de la Société du 19 juillet 1861, l'Esprit de Lamennais
donna spontanément la dissertation suivante sur l'aphorisme de Buffon :
Le style, c'est l'homme, par l'entremise de M. A. Didier, médium.
Buffon, se trouvant attaqué, répliqua, quelques jours après, par
l'intermédiaire de M. d'Ambel. Puis, successivement, le vicomte Delaunay
(Mme Delphine de Girardin), Bernardin de Saint-Pierre et autres
entrèrent en lice. C'est cette polémique aussi curieuse qu'instructive
que nous reproduisons dans son entier. On remarquera qu'elle n'a été ni
provoquée ni préméditée, et que chaque Esprit est venu spontanément y
prendre part ; Lamennais a ouvert la discussion, les autres l'ont suivi.
Dissertation de Lamennais (Méd. M. A. Didier.)
Il y a un phénomène bien étrange dans l'homme, c'est ce que j'appellerai
le phénomène des contrastes ; nous parlons avant tout des natures
d'élite ; voici le fait : Vous rencontrez dans le monde des esprits dont
les oeuvres puissantes contrastent étrangement avec la vie privée et
les habitudes de leurs auteurs. M. de Buffon a dit : Le style, c'est
l'homme ; malheureusement, ce grand seigneur du style et de l'élégance a
trop vu tous les auteurs par lui-même. Ce qui pouvait parfaitement
s'appliquer à lui est loin d'être applicable à tous les autres
écrivains. Nous prendrons ici le mot style dans le sens le plus étendu
et dans sa plus large acception. Le style, selon nous, sera la manière
grande, la forme la plus pure par laquelle l'homme rendra ses idées.
Tout le génie humain est donc ici devant nous, et nous contemplons d'un
coup d'œil toutes les œuvres de l'intelligence humaine : poésie dans
l'art, dans la littérature et dans la science. Loin de dire comme Buffon
: Le style, c'est l'homme, nous dirons, peut-être d'une manière moins
concise, moins formulée, que l'homme, par sa nature changeante, diffuse,
contrariante et révoltée, écrit souvent contrairement à sa nature
première, à ses primitives inspirations, je dirai même plus, à ses
croyances.
Souvent, en lisant les œuvres de plus d'un grand génie d'un siècle ou d'un autre, nous nous disons : Quelle pureté ! quelle sensibilité ! quelle croyance profonde au progrès ! quelle grandeur ! Puis on apprend que l'auteur, loin d'être l'auteur moral de ses œuvres, n'en est que l'auteur matériel, imbu de préjugés et d'idées préconçues. Il y a là un grand phénomène, non seulement humain, mais spirite.
Très souvent donc l'homme ne se reflète pas dans ses œuvres ; nous dirons aussi combien de poètes usés, abrutis ; combien d'artistes désillusionnés sentent tout à coup une étincelle divine illuminer parfois leur intelligence ! Ah ! c'est qu'ici l'homme écoute autre chose que lui-même ; il écoute ce que le prophète Isaïe appelait le petit souffle, et que nous, nous appelons les Esprits. Oui, ils sentent en eux cette voix sacrée, mais oubliant Dieu et sa lumière, ils se l'attribuent à eux-mêmes ; ils reçoivent la grâce dans l'art comme d'autres la reçoivent dans la foi, et elle touche quelquefois ceux qui prétendent la renier.
Lamennais.
Souvent, en lisant les œuvres de plus d'un grand génie d'un siècle ou d'un autre, nous nous disons : Quelle pureté ! quelle sensibilité ! quelle croyance profonde au progrès ! quelle grandeur ! Puis on apprend que l'auteur, loin d'être l'auteur moral de ses œuvres, n'en est que l'auteur matériel, imbu de préjugés et d'idées préconçues. Il y a là un grand phénomène, non seulement humain, mais spirite.
Très souvent donc l'homme ne se reflète pas dans ses œuvres ; nous dirons aussi combien de poètes usés, abrutis ; combien d'artistes désillusionnés sentent tout à coup une étincelle divine illuminer parfois leur intelligence ! Ah ! c'est qu'ici l'homme écoute autre chose que lui-même ; il écoute ce que le prophète Isaïe appelait le petit souffle, et que nous, nous appelons les Esprits. Oui, ils sentent en eux cette voix sacrée, mais oubliant Dieu et sa lumière, ils se l'attribuent à eux-mêmes ; ils reçoivent la grâce dans l'art comme d'autres la reçoivent dans la foi, et elle touche quelquefois ceux qui prétendent la renier.
Lamennais.
Réplique de Buffon (Méd. M. d'Ambel.)
On a dit que j'étais un gentilhomme de lettres, et que mon style, tiré à
quatre épingles, sentait la poudre et le tabac d'Espagne ; n'est-ce pas
la consécration la plus certaine de cette vérité : Le style, c'est
l'homme ? Bien que l'on ait un peu exagéré en me représentant la brette
au côté et la plume à la main, j'avoue que j'aimais les belles choses,
les habits pailletés, les dentelles et les vestes voyantes, en un mot,
tout ce qui était élégant et délicat ; il est donc tout naturel que je
fusse toujours en tenue ; c'est pourqui mon style porte avec lui ce
cachet de bon ton, ce parfum de bonne compagnie qu'on retrouve également
chez notre grande Sévigné. Que voulez-vous ! j'ai toujours préféré les
ruelles et les boudoirs aux cabarets et aux cohues de bas étage. Vous me
permettrez donc, malgré l'opinion émise par votre contemporain
Lamennais, de maintenir mon judicieux aphorisme, en l'appuyant de
quelques exemples pris parmi vos auteurs et vos philosophes modernes.
Un des malheurs de votre temps, c'est que beaucoup ont fait métier de leur plume ; mais laissons ces artisans de la plume, qui, pareils aux artisans de la parole, écrivent indifféremment pour ou contre telle idée, suivant celui qui les paie, et crient selon les temps : Vive le roi ! vive la Ligue ! Laissons-les ; ceux-là, pour moi, ne sont point des auteurs sérieux.
Voyons, l'abbé, ne vous offensez pas si je vous prends vous-même comme exemple ; votre vie mal assise ne s'est-elle pas toujours reflétée dans vos œuvres ? et De l'indifférence en matière de religion à vos Paroles d'un croyant, quel contraste, comme vous dites ! Néanmoins, votre ton doctoral est aussi tranchant, aussi absolu dans l'une comme dans l'autre de ces œuvres. Vous êtes bilieux, l'abbé, convenez-en, et vous distillez votre bile en plaintes amères dans toutes les belles pages que vous avez laissées. En redingote boutonnée, comme en soutane, vous êtes resté déclassé, mon pauvre Lamennais. Voyons, ne vous fâchez pas, mais convenez avec moi que le style, c'est l'homme.
Si de Lamennais je passe à Scribe, l'homme heureux se reflète dans de tranquilles et paisibles comédies de mœurs. Il est gai, heureux et sensible : il sème la sensibilité, la gaieté et le bonheur dans ses œuvres. Chez lui, jamais de drame, jamais de sang ; seulement quelques duels sans dangers pour punir le traître et le coupable.
Voyez ensuite Eugène Sue, l'auteur des Mystères de Paris. Il est fort comme son prince Rodolphe, et comme lui il serre dans son gant jaune la main calleuse de l'ouvrier ; comme lui il se fait l'avocat des causes populaires.
Voyez votre Dumas vagabond, gaspillant sa vie comme son intelligence ; allant du pôle sud au pôle nord aussi facilement que ses fameux mousquetaires ; jouant air conquérant avec Garibaldi, et allant de l'intimité du duc d'Orléans à celle des lazaroni napolitains ; faisant des romans avec l'histoire et mettant l'histoire en romans.
Voyez les œuvres orgueilleuses de Victor Hugo, ce type de l'orgueil incarné ; je, moi, dit Hugo poète ; je, moi, dit Hugo sur son rocher de Jersey.
Voyez Murger, ce chantre des mœurs faciles, jouant consciencieusement son rôle dans cette bohème qu'il a chantée. Voyez Nerval, aux couleurs étranges, au style pailleté et décousu, faisant de la fantasia avec sa vie comme avec sa plume. Combien j'en laisse et des meilleurs ! comme Soulié et Balzac dont la vie et les œuvres suivent des routes parallèles. Mais je crois que ces exemples vous suffiront pour que vous ne repoussiez pas d'une manière aussi absolue mon aphorisme : Le style, c'est l'homme.
N'auriez-vous pas, cher abbé, confondu la forme et le fond, le style et la pensée ? mais encore là tout se tient.
Buffon.
Un des malheurs de votre temps, c'est que beaucoup ont fait métier de leur plume ; mais laissons ces artisans de la plume, qui, pareils aux artisans de la parole, écrivent indifféremment pour ou contre telle idée, suivant celui qui les paie, et crient selon les temps : Vive le roi ! vive la Ligue ! Laissons-les ; ceux-là, pour moi, ne sont point des auteurs sérieux.
Voyons, l'abbé, ne vous offensez pas si je vous prends vous-même comme exemple ; votre vie mal assise ne s'est-elle pas toujours reflétée dans vos œuvres ? et De l'indifférence en matière de religion à vos Paroles d'un croyant, quel contraste, comme vous dites ! Néanmoins, votre ton doctoral est aussi tranchant, aussi absolu dans l'une comme dans l'autre de ces œuvres. Vous êtes bilieux, l'abbé, convenez-en, et vous distillez votre bile en plaintes amères dans toutes les belles pages que vous avez laissées. En redingote boutonnée, comme en soutane, vous êtes resté déclassé, mon pauvre Lamennais. Voyons, ne vous fâchez pas, mais convenez avec moi que le style, c'est l'homme.
Si de Lamennais je passe à Scribe, l'homme heureux se reflète dans de tranquilles et paisibles comédies de mœurs. Il est gai, heureux et sensible : il sème la sensibilité, la gaieté et le bonheur dans ses œuvres. Chez lui, jamais de drame, jamais de sang ; seulement quelques duels sans dangers pour punir le traître et le coupable.
Voyez ensuite Eugène Sue, l'auteur des Mystères de Paris. Il est fort comme son prince Rodolphe, et comme lui il serre dans son gant jaune la main calleuse de l'ouvrier ; comme lui il se fait l'avocat des causes populaires.
Voyez votre Dumas vagabond, gaspillant sa vie comme son intelligence ; allant du pôle sud au pôle nord aussi facilement que ses fameux mousquetaires ; jouant air conquérant avec Garibaldi, et allant de l'intimité du duc d'Orléans à celle des lazaroni napolitains ; faisant des romans avec l'histoire et mettant l'histoire en romans.
Voyez les œuvres orgueilleuses de Victor Hugo, ce type de l'orgueil incarné ; je, moi, dit Hugo poète ; je, moi, dit Hugo sur son rocher de Jersey.
Voyez Murger, ce chantre des mœurs faciles, jouant consciencieusement son rôle dans cette bohème qu'il a chantée. Voyez Nerval, aux couleurs étranges, au style pailleté et décousu, faisant de la fantasia avec sa vie comme avec sa plume. Combien j'en laisse et des meilleurs ! comme Soulié et Balzac dont la vie et les œuvres suivent des routes parallèles. Mais je crois que ces exemples vous suffiront pour que vous ne repoussiez pas d'une manière aussi absolue mon aphorisme : Le style, c'est l'homme.
N'auriez-vous pas, cher abbé, confondu la forme et le fond, le style et la pensée ? mais encore là tout se tient.
Buffon.
Questions adressées à Buffon à propos de sa communication
Dem. Nous vous remercions de la spirituelle communication que vous
avez bien voulu nous donner ; mais il y a une chose qui nous étonne,
c'est que vous soyez si au courant des moindres détails de notre
littérature, appréciant avec une justesse remarquable les œuvres et les
auteurs. Vous vous occupez donc encore assez de ce qui se passe sur la
terre pour en avoir connaissance ? Vous lisez donc tout ce qui se publie
? Veuillez nous donner à ce sujet une explication qui sera très utile à
notre instruction.
Rép. Nous n'avons pas besoin de beaucoup de temps pour lire et apprécier ; d'un seul coup d'œil nous percevons l'ensemble des ouvrages qui attirent notre attention. Tous, tant que nous sommes, nous nous occupons avec intérêt de votre cher petit groupe, et vous ne sauriez croire combien de ceux que vous appeliez hommes éminents suivent avec bienveillance les progrès du Spiritisme. Aussi vous devez penser combien j'ai été heureux de voir mon nom prononcé par un de vos fidèles Esprits, Lamennais, et avec quel empressement j'ai saisi l'occasion de me communiquer à vous. En effet, lorsque j'ai été mis en cause à votre dernière séance, j'ai reçu, pour ainsi dire, le contrecoup de votre pensée ; et ne voulant pas que la vérité que j'avais proclamée dans mes écrits fût renversée sans être défendue, j'ai prié Éraste de me prêter son médium pour répondre aux assertions de Lamennais. D'un autre côté, vous devez comprendre que chacun de nous reste fidèle à ses préférences terrestres ; c'est pourquoi nous autres écrivains sommes attentifs au progrès que les auteurs vivants font accomplir, ou croient faire accomplir à la littérature ; de même que les Jouffroy, les Laroque, les la Romiguière, se préoccupent de la philosophie, et les Lavoisier, les Berzélius, les Thénard de la chimie, chacun cultive son dada et se rappelle avec amour ses travaux, suivant d'un œil inquiet ce que font ses successeurs.
Dem. Vous avez apprécié en peu de mots plusieurs écrivains contemporains, morts ou vivants ; nous vous serions très reconnaissants de nous donner, sur quelques-uns, une appréciation un peu plus développée ; ce serait un travail suivi qui nous serait fort utile. Nous vous prierons, pour commencer, de nous parler de Bernardin de Saint-Pierre, et surtout de son Paul et Virginie que vous aviez condamné à la lecture, et qui pourtant est devenu un des ouvrages les plus populaires.
Rép. Je ne peux pas ici entreprendre le développement critique des œuvres de Bernardin de Saint-Pierre ; mais quant à mon appréciation d'alors, je peux l'avouer aujourd'hui : j'étais comme M. Josse, un peu trop orfévre ; en un mot, fidèle à l'Esprit de confraternité littéraire, j'éreintais de mon mieux un importun et important concurrent. Je vous donnerai plus tard mon appréciation vraie sur cet éminent écrivain, si un Esprit réellement critique, comme Merle ou Geoffroy, ne se charge pas de le faire.
Buffon.
Rép. Nous n'avons pas besoin de beaucoup de temps pour lire et apprécier ; d'un seul coup d'œil nous percevons l'ensemble des ouvrages qui attirent notre attention. Tous, tant que nous sommes, nous nous occupons avec intérêt de votre cher petit groupe, et vous ne sauriez croire combien de ceux que vous appeliez hommes éminents suivent avec bienveillance les progrès du Spiritisme. Aussi vous devez penser combien j'ai été heureux de voir mon nom prononcé par un de vos fidèles Esprits, Lamennais, et avec quel empressement j'ai saisi l'occasion de me communiquer à vous. En effet, lorsque j'ai été mis en cause à votre dernière séance, j'ai reçu, pour ainsi dire, le contrecoup de votre pensée ; et ne voulant pas que la vérité que j'avais proclamée dans mes écrits fût renversée sans être défendue, j'ai prié Éraste de me prêter son médium pour répondre aux assertions de Lamennais. D'un autre côté, vous devez comprendre que chacun de nous reste fidèle à ses préférences terrestres ; c'est pourquoi nous autres écrivains sommes attentifs au progrès que les auteurs vivants font accomplir, ou croient faire accomplir à la littérature ; de même que les Jouffroy, les Laroque, les la Romiguière, se préoccupent de la philosophie, et les Lavoisier, les Berzélius, les Thénard de la chimie, chacun cultive son dada et se rappelle avec amour ses travaux, suivant d'un œil inquiet ce que font ses successeurs.
Dem. Vous avez apprécié en peu de mots plusieurs écrivains contemporains, morts ou vivants ; nous vous serions très reconnaissants de nous donner, sur quelques-uns, une appréciation un peu plus développée ; ce serait un travail suivi qui nous serait fort utile. Nous vous prierons, pour commencer, de nous parler de Bernardin de Saint-Pierre, et surtout de son Paul et Virginie que vous aviez condamné à la lecture, et qui pourtant est devenu un des ouvrages les plus populaires.
Rép. Je ne peux pas ici entreprendre le développement critique des œuvres de Bernardin de Saint-Pierre ; mais quant à mon appréciation d'alors, je peux l'avouer aujourd'hui : j'étais comme M. Josse, un peu trop orfévre ; en un mot, fidèle à l'Esprit de confraternité littéraire, j'éreintais de mon mieux un importun et important concurrent. Je vous donnerai plus tard mon appréciation vraie sur cet éminent écrivain, si un Esprit réellement critique, comme Merle ou Geoffroy, ne se charge pas de le faire.
Buffon.
Défense de Lamennais par le vicomte Delaunay (Médium M. d'Ambel.)
Nota. Dans la conversation qui eut lieu à
la Société sur les communications précédentes, le nom de madame de
Girardin fut prononcé à propos du sujet en discussion, quoiqu'il n'ait
pas été mentionné par les Esprits interlocuteurs ; c'est ce qui explique
le début du nouvel intervenant.
- Vous m'avez mis quelque peu en cause dans vos dernières séances, messieurs les Spirites, et je crois que vous m'avez donné le droit, comme on dit au Palais, d'intervenir aux débats. Ce n'est pas sans plaisir que j'ai entendu la profonde dissertation de Lamennais et la riposte un peu vive de M. de Buffon ; mais il manque une conclusion à cette passe d'armes ; j'interviens donc et m'érige en juge du camp, de mon autorité privée. D'ailleurs vous demandiez un critique ; je vous réponds : prenez mon ours ; car, s'il vous en souvient, j'ai tenu quelque part, de mon vivant, d'une façon qu'on disait magistrale, ce poste redouté de critique exécuteur ; et il me plaît infiniment de revenir sur ce terrain aimé. Or donc, il y avait une fois… mais non, laissons là les banalités du genre et entrons sérieusement en matière.
Monsieur de Buffon, vous maniez l'épigramme d'une jolie façon ; on voit que vous tenez du grand siècle ; mais, tout élégant écrivain que vous êtes, un vicomte de ma race ne craint pas de relever votre gant et de croiser la plume avec vous. Allons, mon gentilhomme ! vous avez été bien dur pour ce pauvre Lamennais, que vous avez traité de déclassé ! Est-ce la faute de ce génie fourvoyé si, après avoir écrit de main de maître cette étude splendide que vous lui avez reprochée, il s'est retourné vers d'autres régions, vers d'autres croyances ? Certes, les pages de l'Indifférence en matière de religion seraient signées des deux mains par les meilleurs prosateurs de l'Eglise ; mais si ces pages sont restées debout quand le prêtre a été désarçonné, n'en connaissez-vous pas la cause, vous si rigoureux ? Ah ! regardez Rome, et rappelez-vous ses mœurs dissolues, et vous aurez la clef de cette volte-face qui vous a étonné. Bah ! Rome est si loin de Paris !
Les philosophes, les chercheurs de la pensée, tous ces rudes piocheurs du moi psychologique ne doivent jamais être confondus avec les écrivains de la pure forme ; ceux-ci écrivent pour les plaisirs du public, ceux-là pour la science profonde ; ces derniers n'ont pour souci que la vérité, les autres ne se piquent pas d'être logiques : ils fuient l'uniformité. En somme, ce qu'ils recherchent, c'est ce que vous recherchiez vous-même, mon beau seigneur, c'est-à-dire la vogue, la popularité, le succès, qui se résument en bons écus trébuchants. Du reste, sauf cela, votre spirituelle riposte est trop vraie pour que je n'y applaudisse pas de grand cœur ; seulement, ce dont vous rendez responsable l'individu, j'en rends responsable le milieu social. Enfin, je tenais à défendre mon contemporain qui, sachez-le bien, n'a couru ni ruelles, ni cabarets, ni boudoirs, ni cohue de bas étage. Haut perché dans sa mansarde, sa seule distraction était d'émietter du pain aux moineaux tapageurs qui venaient le visiter dans sa cellule de la rue de Rivoli ; mais sa suprême joie était d'être assis devant sa table boiteuse, et de faire voltiger sa plume rapide sur les feuilles vierges d'un cahier de papier !
Ah ! certes, il a eu raison de se plaindre, ce grand Esprit malade qui, pour éviter la souillure d'un siècle matériel, avait épousé l'Église catholique, et qui, après l'avoir épousée, a trouvé la souillure assise sur les marches de l'autel. Est-ce sa faute, si, jeté jeune entre les mains des cléricaux, il n'a pas pu sonder la profondeur de l'abîme où on le précipitait ? Oui, il a raison d'exhaler ses plaintes amères, comme vous dites ; n'est-il pas l'image vivante d'une éducation mal dirigée et d'une vocation imposée ?
Prêtre défroqué ! Savez-vous combien d'ineptes bourgeois lui ont jeté souvent cette injure à la face, parce qu'il a obéi à ses convictions et à l'impulsion de sa conscience ? Ah ! croyez-moi, heureux naturaliste, pendant que votre couriez les belles et que votre plume, célèbre par la conquête du cheval, était prônée par de jolies pécheresses et applaudie par des mains parfumées, il montait péniblement son Golgotha ! Car comme Christ, il a bu son calice jusqu'à la lie et porté rudement sa croix !
Et vous, monsieur de Buffon, est-ce que vous ne prêtez pas un peu le flanc à la critique ? Voyons. Dame ! votre style est pimpant comme vous, et comme vous, tout de clinquant habillé ! Mais aussi quel intrépide voyageur vous avez été ? En avez-vous visité des pays !… non, des bibliothèques inconnues ? Quel infatigable pionnier ! En avez-vous défriché des forêts !… non, des manuscrits inédits et inédités ! J'en conviens, vous avez recouvert toutes vos dépouilles opimes d'un vernis étincelant qui est bien à vous. Mais de tous ces volumes encombrants qu'y a-t-il de sérieusement à vous comme étude, comme fond ? L'histoire du chien, du chat ou de cheval peut-être ? Ah ! Lamennais a moins écrit que vous, mais tout est bien à lui, monsieur de Buffon : la forme et le fond. On vous accusait l'autre jour d'avoir méconnu la valeur des œuvres du bon Bernardin de Saint-Pierre ; vous vous êtes disculpé un peu jésuitiquement ; mais vous n'avez pas dit que si vous avez refusé la vitalité à Paul et Virginie, c'est qu'en œuvre de ce genre, vous en étiez encore à la grande Scudèri, au grand Cyrus et au pays du Tendre, enfin, à toute cette friperie sentimentale qui fait si bien aujourd'hui chez les bouquinistes, ces marchands d'habits de la littérature. Eh ! eh ! monsieur de Buffon, vous commencez à être tombé joliment bas dans l'estime de ces messieurs, tandis que l'utopiste Bernardin a conservé un cours élevé. La Paix universelle, une utopie ! Paul et Virginie, une utopie ! Allons, allons ! votre jugement a été cassé par l'opinion publique. N'en parlons plus.
Ma foi, tant pis ! Vous m'avez mis la plume à la main, j'en use et j'en abuse ; ça vous apprendra, chers Spirites, à vous inquiéter d'un bas bleu réformé comme moi, et à vous enquérir de mes nouvelles. Ce cher Scribe nous est arrivé tout ahuri de ces derniers demi-succès ; il voudrait que nous nous érigeassions en Académie ; sa palme verte lui manque ; il était si heureux sur la terre, qu'il hésite encore à s'asseoir dans sa nouvelle position. Bah ! il se consolera en voyant reprendre ses pièces, et dans quelques semaines il n'y paraîtra plus.
Gérard de Nerval vous a donné dernièrement une charmante fantaisie inachevée ; l'achèvera-t-il, ce capricieux Esprit ? Qui le sait ! Toutefois, il voulait conclure que le vrai du savant n'étant par le vrai, le beau du peintre n'étant pas le beau, et le courage de l'enfant étant mal récompensé, il avait bien fait de suivre les écarts de sa chère Fantasia.
Vicomte Delaunay (Delphine de Girardin).
Nota. Voir ci-après Fantasia, par Gérard de Nerval.
- Vous m'avez mis quelque peu en cause dans vos dernières séances, messieurs les Spirites, et je crois que vous m'avez donné le droit, comme on dit au Palais, d'intervenir aux débats. Ce n'est pas sans plaisir que j'ai entendu la profonde dissertation de Lamennais et la riposte un peu vive de M. de Buffon ; mais il manque une conclusion à cette passe d'armes ; j'interviens donc et m'érige en juge du camp, de mon autorité privée. D'ailleurs vous demandiez un critique ; je vous réponds : prenez mon ours ; car, s'il vous en souvient, j'ai tenu quelque part, de mon vivant, d'une façon qu'on disait magistrale, ce poste redouté de critique exécuteur ; et il me plaît infiniment de revenir sur ce terrain aimé. Or donc, il y avait une fois… mais non, laissons là les banalités du genre et entrons sérieusement en matière.
Monsieur de Buffon, vous maniez l'épigramme d'une jolie façon ; on voit que vous tenez du grand siècle ; mais, tout élégant écrivain que vous êtes, un vicomte de ma race ne craint pas de relever votre gant et de croiser la plume avec vous. Allons, mon gentilhomme ! vous avez été bien dur pour ce pauvre Lamennais, que vous avez traité de déclassé ! Est-ce la faute de ce génie fourvoyé si, après avoir écrit de main de maître cette étude splendide que vous lui avez reprochée, il s'est retourné vers d'autres régions, vers d'autres croyances ? Certes, les pages de l'Indifférence en matière de religion seraient signées des deux mains par les meilleurs prosateurs de l'Eglise ; mais si ces pages sont restées debout quand le prêtre a été désarçonné, n'en connaissez-vous pas la cause, vous si rigoureux ? Ah ! regardez Rome, et rappelez-vous ses mœurs dissolues, et vous aurez la clef de cette volte-face qui vous a étonné. Bah ! Rome est si loin de Paris !
Les philosophes, les chercheurs de la pensée, tous ces rudes piocheurs du moi psychologique ne doivent jamais être confondus avec les écrivains de la pure forme ; ceux-ci écrivent pour les plaisirs du public, ceux-là pour la science profonde ; ces derniers n'ont pour souci que la vérité, les autres ne se piquent pas d'être logiques : ils fuient l'uniformité. En somme, ce qu'ils recherchent, c'est ce que vous recherchiez vous-même, mon beau seigneur, c'est-à-dire la vogue, la popularité, le succès, qui se résument en bons écus trébuchants. Du reste, sauf cela, votre spirituelle riposte est trop vraie pour que je n'y applaudisse pas de grand cœur ; seulement, ce dont vous rendez responsable l'individu, j'en rends responsable le milieu social. Enfin, je tenais à défendre mon contemporain qui, sachez-le bien, n'a couru ni ruelles, ni cabarets, ni boudoirs, ni cohue de bas étage. Haut perché dans sa mansarde, sa seule distraction était d'émietter du pain aux moineaux tapageurs qui venaient le visiter dans sa cellule de la rue de Rivoli ; mais sa suprême joie était d'être assis devant sa table boiteuse, et de faire voltiger sa plume rapide sur les feuilles vierges d'un cahier de papier !
Ah ! certes, il a eu raison de se plaindre, ce grand Esprit malade qui, pour éviter la souillure d'un siècle matériel, avait épousé l'Église catholique, et qui, après l'avoir épousée, a trouvé la souillure assise sur les marches de l'autel. Est-ce sa faute, si, jeté jeune entre les mains des cléricaux, il n'a pas pu sonder la profondeur de l'abîme où on le précipitait ? Oui, il a raison d'exhaler ses plaintes amères, comme vous dites ; n'est-il pas l'image vivante d'une éducation mal dirigée et d'une vocation imposée ?
Prêtre défroqué ! Savez-vous combien d'ineptes bourgeois lui ont jeté souvent cette injure à la face, parce qu'il a obéi à ses convictions et à l'impulsion de sa conscience ? Ah ! croyez-moi, heureux naturaliste, pendant que votre couriez les belles et que votre plume, célèbre par la conquête du cheval, était prônée par de jolies pécheresses et applaudie par des mains parfumées, il montait péniblement son Golgotha ! Car comme Christ, il a bu son calice jusqu'à la lie et porté rudement sa croix !
Et vous, monsieur de Buffon, est-ce que vous ne prêtez pas un peu le flanc à la critique ? Voyons. Dame ! votre style est pimpant comme vous, et comme vous, tout de clinquant habillé ! Mais aussi quel intrépide voyageur vous avez été ? En avez-vous visité des pays !… non, des bibliothèques inconnues ? Quel infatigable pionnier ! En avez-vous défriché des forêts !… non, des manuscrits inédits et inédités ! J'en conviens, vous avez recouvert toutes vos dépouilles opimes d'un vernis étincelant qui est bien à vous. Mais de tous ces volumes encombrants qu'y a-t-il de sérieusement à vous comme étude, comme fond ? L'histoire du chien, du chat ou de cheval peut-être ? Ah ! Lamennais a moins écrit que vous, mais tout est bien à lui, monsieur de Buffon : la forme et le fond. On vous accusait l'autre jour d'avoir méconnu la valeur des œuvres du bon Bernardin de Saint-Pierre ; vous vous êtes disculpé un peu jésuitiquement ; mais vous n'avez pas dit que si vous avez refusé la vitalité à Paul et Virginie, c'est qu'en œuvre de ce genre, vous en étiez encore à la grande Scudèri, au grand Cyrus et au pays du Tendre, enfin, à toute cette friperie sentimentale qui fait si bien aujourd'hui chez les bouquinistes, ces marchands d'habits de la littérature. Eh ! eh ! monsieur de Buffon, vous commencez à être tombé joliment bas dans l'estime de ces messieurs, tandis que l'utopiste Bernardin a conservé un cours élevé. La Paix universelle, une utopie ! Paul et Virginie, une utopie ! Allons, allons ! votre jugement a été cassé par l'opinion publique. N'en parlons plus.
Ma foi, tant pis ! Vous m'avez mis la plume à la main, j'en use et j'en abuse ; ça vous apprendra, chers Spirites, à vous inquiéter d'un bas bleu réformé comme moi, et à vous enquérir de mes nouvelles. Ce cher Scribe nous est arrivé tout ahuri de ces derniers demi-succès ; il voudrait que nous nous érigeassions en Académie ; sa palme verte lui manque ; il était si heureux sur la terre, qu'il hésite encore à s'asseoir dans sa nouvelle position. Bah ! il se consolera en voyant reprendre ses pièces, et dans quelques semaines il n'y paraîtra plus.
Gérard de Nerval vous a donné dernièrement une charmante fantaisie inachevée ; l'achèvera-t-il, ce capricieux Esprit ? Qui le sait ! Toutefois, il voulait conclure que le vrai du savant n'étant par le vrai, le beau du peintre n'étant pas le beau, et le courage de l'enfant étant mal récompensé, il avait bien fait de suivre les écarts de sa chère Fantasia.
Vicomte Delaunay (Delphine de Girardin).
Nota. Voir ci-après Fantasia, par Gérard de Nerval.
Réponse de Buffon au vicomte DeLaunay
Vous m'invitez à rentrer dans un débat dont j'ai été trop vivement
éconduit, pour ne pas me le tenir pour dit ; et je vous avoue que je
préfère rester dans le milieu paisible où je me tenais, que de m'exposer
à une pareille charge à fond de train. De mon temps, on échangeait une
plaisanterie plus ou moins athénienne, mais aujourd'hui, peste ! On y va
à coups de cravache plombée. Merci ! je me retire ; j'en ai plus qu'il
ne m'en faut ; car je suis encore tout marbré des coups du vicomte.
Convenez que, bien qu'ils m'aient été généreusement, trop généreusement
administrés par la gracieuse main d'une femme, ils n'en sont pas moins
cuisants. Ah ! madame, vous m'avez rappelé à la charité d'une façon bien
peu charitable. Vicomte ! vous êtes trop redoutable ; je vous rends les
armes et reconnais humblement mes torts. J'en conviens, Bernardin de
Saint-Pierre a été un grand philosophe ; que dis-je ? il a trouvé la
pierre philosophale, et je ne suis, comme je n'ai été, qu'un indigeste
compilateur ! Là ! êtes-vous content ? voyons, soyez gentil et ne
m'humiliez plus ainsi dorénavant, sans quoi vous obligeriez un
gentilhomme, ami de notre groupe parisien, à quitter la place, ce qu'il
ne ferait qu'à son grand regret, car il tient à profiter, lui aussi, des
enseignements spirites, et à connaître ce qui se passe ici.
Et tenez : j'ai entendu aujourd'hui le récit de phénomènes si étranges, que de mon temps on aurait brûlé vifs, comme sorciers, les acteurs et même les narrateurs de ces événements. Entre nous, sont-ce bien là des phénomènes spirites ? L'imagination d'un côté, et l'intérêt de l'autre n'y sont-ils pas pour quelque chose ? Je ne voudrais pas en jurer. Qu'en pense le spirituel vicomte ? Quant à moi, je m'en lave les mains. D'ailleurs, si j'en crois ma jugeote de naturaliste, tout naturaliste de cabinet que l'on m'appelle, les phénomènes de cet ordre ne doivent avoir lieu que bien rarement. Voulez-vous mon opinion sur l'affaire de la Havane ? Eh bien ! il y a là une coterie de gens mal intentionnés, qui ont tout intérêt à discréditer la propriété, pour qu'elle puisse se vendre à vil prix, et des propriétaires peureux et craintifs, épouvantés d'une fantasmagorie assez bien montée. Quant au lézard : il me souvient bien d'en avoir écrit l'histoire, mais j'avoue n'en avoir jamais rencontré de diplômés par la faculté de médecine. Il y a ici un médium à cerveau faible, qui a pris dans son imagination des faits qui n'avaient en somme aucune réalité.
Buffon.
Nota. Ce dernier paragraphe fait allusion à deux faits racontés dans la même séance et dont, faute de place, nous ajournons le récit à un autre numéro. Buffon donne à ce sujet son opinion spontanément.
Et tenez : j'ai entendu aujourd'hui le récit de phénomènes si étranges, que de mon temps on aurait brûlé vifs, comme sorciers, les acteurs et même les narrateurs de ces événements. Entre nous, sont-ce bien là des phénomènes spirites ? L'imagination d'un côté, et l'intérêt de l'autre n'y sont-ils pas pour quelque chose ? Je ne voudrais pas en jurer. Qu'en pense le spirituel vicomte ? Quant à moi, je m'en lave les mains. D'ailleurs, si j'en crois ma jugeote de naturaliste, tout naturaliste de cabinet que l'on m'appelle, les phénomènes de cet ordre ne doivent avoir lieu que bien rarement. Voulez-vous mon opinion sur l'affaire de la Havane ? Eh bien ! il y a là une coterie de gens mal intentionnés, qui ont tout intérêt à discréditer la propriété, pour qu'elle puisse se vendre à vil prix, et des propriétaires peureux et craintifs, épouvantés d'une fantasmagorie assez bien montée. Quant au lézard : il me souvient bien d'en avoir écrit l'histoire, mais j'avoue n'en avoir jamais rencontré de diplômés par la faculté de médecine. Il y a ici un médium à cerveau faible, qui a pris dans son imagination des faits qui n'avaient en somme aucune réalité.
Buffon.
Nota. Ce dernier paragraphe fait allusion à deux faits racontés dans la même séance et dont, faute de place, nous ajournons le récit à un autre numéro. Buffon donne à ce sujet son opinion spontanément.
Réponse de Bernardin de Saint-Pierre (Méd. Madame Costel.)
Je viens, moi, Bernardin de Saint-Pierre, me mêler à un débat où mon nom
a été prononcé, discuté et défendu. Je ne puis être de l'avis de mon
spirituel défenseur ; M. de Buffon a une valeur autre que celle d'un
compilateur éloquent. Qu'importent les erreurs littéraires d'un jugement
si souvent fin et délicat dans les choses de la nature et qui n'était
égaré que par la rivalité et la jalousie de métier !
Néanmoins, je suis entièrement de l'opinion contraire à la sienne, et comme Lamennais, je dis : Non, le style n'est pas l'homme. J'en suis une preuve éloquente, moi, dont la sensibilité gisait tout entière dans le cerveau, et qui inventais ce que les autres sentent. De l'autre côté de la vie on juge avec froideur des choses de la vie terrestre, des choses finies ; je ne mérite pas toute la réputation littéraire dont j'ai joui. Paul et Virginie, s'il paraissait aujourd'hui, serait facilement éclipsé par une quantité de charmantes productions qui passent inaperçues ; c'est que le progrès de votre époque est grand, plus grand que vous, contemporains, ne pouvez le juger. Tout s'élève : sciences, littérature, art social ; mais tout s'élève comme le niveau de la mer à marée montante, et les marins qui sont au large n'en peuvent juger. Vous êtes au large.
J'en reviens à M. de Buffon dont je loue le talent et dont j'oublie le blâme, et aussi à mon spirituel défenseur qui sait découvrir toutes les vérités, leurs sens spirituels, et qui leur donne une couleur paradoxale. Après vous avoir prouvé que les littérateurs morts ne conservent aucun fiel, je vous adresse tous mes remerciements et aussi mon vif désir de pouvoir vous être utile.
Bernardin de Saint-Pierre.
Néanmoins, je suis entièrement de l'opinion contraire à la sienne, et comme Lamennais, je dis : Non, le style n'est pas l'homme. J'en suis une preuve éloquente, moi, dont la sensibilité gisait tout entière dans le cerveau, et qui inventais ce que les autres sentent. De l'autre côté de la vie on juge avec froideur des choses de la vie terrestre, des choses finies ; je ne mérite pas toute la réputation littéraire dont j'ai joui. Paul et Virginie, s'il paraissait aujourd'hui, serait facilement éclipsé par une quantité de charmantes productions qui passent inaperçues ; c'est que le progrès de votre époque est grand, plus grand que vous, contemporains, ne pouvez le juger. Tout s'élève : sciences, littérature, art social ; mais tout s'élève comme le niveau de la mer à marée montante, et les marins qui sont au large n'en peuvent juger. Vous êtes au large.
J'en reviens à M. de Buffon dont je loue le talent et dont j'oublie le blâme, et aussi à mon spirituel défenseur qui sait découvrir toutes les vérités, leurs sens spirituels, et qui leur donne une couleur paradoxale. Après vous avoir prouvé que les littérateurs morts ne conservent aucun fiel, je vous adresse tous mes remerciements et aussi mon vif désir de pouvoir vous être utile.
Bernardin de Saint-Pierre.
Lamennais à Buffon (Méd. M. A. Didier.)
Il faut bien faire attention, monsieur de Buffon ; je n'ai pas conclu le
moins du monde d'une manière littéraire et humaine ; j'ai envisagé la
question tout autrement, et ce que j'en ai déduit est ceci : « Que
l'inspiration humaine est très souvent divine. » Il n'y avait là matière
à aucune controverse. Je n'écris plus maintenant avec cette prétention,
et vous pouvez le voir même dans mes réflexions sur les influences de
l'art, sur le cœur et le cerveau[1]
; j'ai évité le monde et les personnalités ; ne retournons jamais au
passé, voyons l'avenir. Aux hommes de juger et de discuter nos œuvres ; à
nous de leur en donner d'autres émanant toutes de cette idée
fondamentale : Spiritisme. Mais pour nous : adieu au monde !
Lamennais.
Lamennais.
[1] Allusion à une série de communications dictées par Lamennais, sous le titre de : Méditations philosophiques et religieuses, et que nous publierons dans le prochain numéro.
Fantasia par Gérard de Nerval (Méd. M. A. Didier.)
Nota. On se rappelle que Buffon, en parlant
des auteurs contemporains, a dit que « Gérard de Nerval, aux couleurs
étranges, au style pailleté et décousu, faisait de la fantasia avec sa
vie comme avec sa plume. » Gérard de Nerval, au lieu de discuter,
répondit à cette attaque en dictant spontanément le morceau suivant,
auquel il donna lui-même le titre de Fantasia. Il l'écrivit en deux
séances, et c'est dans l'intervalle qu'eut lieu la riposte du vicomte
Delaunay à Buffon ; c'est pourquoi il dit qu'il ne sait si ce capricieux
Esprit l'achèvera, et il en donne la conclusion probable.
Nous ne l'avons pas mis à son rang chronologique, pour ne pas interrompre la série des attaques et des répliques, Gérard de Nerval ne se mêlant aux débats que par cette allégorie philosophique.
- Un jour, dans une de mes fantasias, j'arrivai, je ne sais comment, près de la mer, dans un petit port peu connu ; qu'importe ! J'avais abandonné pour quelques heures mes compagnons de voyage, et je pus me livrer à la fantasia la plus orageuse, puisque c'est le terme consacré à mes évolutions cérébrales. Il ne faut pourtant pas croire que la Fantasia soit toujours une fille folle, se livrant aux excentricités de la pensée ; souvent la pauvre fille rit pour ne pas pleurer, et rêve pour ne pas tomber ; souvent son cœur est ivre d'amour et de curiosité, alors que sa tête se perd dans les nuages ; c'est peut-être parce qu'elle aime trop, cette pauvre folle du logis ; laissez-la donc errer, puisqu'elle aime et qu'elle admire.
J'étais donc avec elle le jour où je contemplais la mer dont le ciel est l'horizon, lorsqu'au milieu de ma solitude à deux, j'aperçus un petit vieillard, décoré, ma foi ! Il avait eu le temps de l'être, heureusement, car il était assez cassé ; mais son air était si positif, ses mouvements si réguliers, que cette sagesse et cette harmonie dans ses allures remplaçaient les nerfs et les muscles alourdis. Il s'assit, examina bien le terrain, et s'assura qu'il ne serait pas piqué par quelques-unes des petites bêtes qui fourmillent sous le sable de la mer ; puis il déposa à côté de lui sa canne à pomme d'or ; mais jugez de mon étonnement, lorsqu'il mit ses lunettes. Des lunettes ! pour voir l'immensité ! Fantasia fit un bond terrible et voulut se jeter sur lui ; je parvins à la calmer avec beaucoup de peine ; je m'approchai, caché derrière une roche, et je voulus entendre de toutes mes oreilles : « Voilà donc l'image de notre vie ! le grand tout, le voilà ! Profonde vérité ! Voilà donc nos existences élevées et basses, profondes et mesquines, révoltées et calmes ! O vagues ! vagues ! Grande fluctuation universelle ! » Puis le petit vieillard ne parla plus qu'en lui-même. Fantasia, jusque-là, avait été paisible, et avait écouté religieusement ; mais elle n'y tint plus, poussa un long éclat de rire ; je n'eus que le temps de l'emporter dans mes bras, et nous abandonnâmes le petit vieillard. « En vérité, disait Fantasia, ce doit être un membre de quelque société savante. » Après avoir couru pendant quelque temps, nous aperçûmes une toile de peintre, représentant un bout de falaise et le commencement de l'Océan. Je regardai, ou plutôt nous regardâmes la toile. Le peintre, probablement, cherchait un autre site dans les environs ; après avoir regardé la toile, je regardai la nature et alternativement. Fantasia voulut crever la toile ; j'eus beaucoup de peine à la contenir. - Comment ! me dit-elle, il est sept heures du matin, et je vois sur cette toile un effet qui n'a pas de nom ! Je compris parfaitement ce que Fantasia m'expliquait. Elle a vraiment du sens, cette fille folle, me disais-je, et je voulus m'éloigner. Hélas ! l'artiste caché avait suivi les moindres nuances de mon expression ; quand ses yeux rencontrèrent les miens, ce fut un choc terrible, un choc électrique. Il me lança un de ces regards superbes qui semblent dire : Vermisseau ! Cette fois, Fantasia fut terrifiée de tant d'insolence, et elle le vit reprendre avec stupéfaction sa palette. « Tu n'as pas celle de Lorrain, » lui dit-elle en riant.
Puis, se retournant vers moi : « Nous avons déjà vu le vrai et le beau, me dit-elle, cherchons donc un peu le bien. » Après avoir grimpé dans les falaises, j'aperçus un enfant, un fils de pêcheur qui pouvait bien avoir de treize à quatorze ans ; il jouait avec un chien et se couraient l'un après l'autre, celui-ci aboyant et l'autre criant. Soudain, j'entendis dans l'air des cris qui semblaient venir du bas de la falaise ; aussitôt l'enfant s'élança d'un bond par un sentier rapide qui conduisait à la mer ; Fantasia, malgré toute son ardeur, eut peine à le suivre ; lorsque j'arrivai au bas de la falaise, je vis un spectacle terrible ; l'enfant luttait contre les vagues et ramenait vers le rivage un malheureux qui se débattait contre lui son sauveur ; je voulus m'élancer, mais l'enfant me cria de n'en rien faire, et au bout de quelques instants, meurtri, broyé et tremblotant, il abordait avec l'homme qu'il avait sauvé. C'était, selon toute apparence, un baigneur qui s'était aventuré trop loin, et qui était tombé dans un courant.
Je continuerai une autre fois.
Gérard De Nerval.
Nota. C'est dans cet intervalle qu'eut lieu la communication du vicomte Delaunay, rapportée ci-dessus.
Nous ne l'avons pas mis à son rang chronologique, pour ne pas interrompre la série des attaques et des répliques, Gérard de Nerval ne se mêlant aux débats que par cette allégorie philosophique.
- Un jour, dans une de mes fantasias, j'arrivai, je ne sais comment, près de la mer, dans un petit port peu connu ; qu'importe ! J'avais abandonné pour quelques heures mes compagnons de voyage, et je pus me livrer à la fantasia la plus orageuse, puisque c'est le terme consacré à mes évolutions cérébrales. Il ne faut pourtant pas croire que la Fantasia soit toujours une fille folle, se livrant aux excentricités de la pensée ; souvent la pauvre fille rit pour ne pas pleurer, et rêve pour ne pas tomber ; souvent son cœur est ivre d'amour et de curiosité, alors que sa tête se perd dans les nuages ; c'est peut-être parce qu'elle aime trop, cette pauvre folle du logis ; laissez-la donc errer, puisqu'elle aime et qu'elle admire.
J'étais donc avec elle le jour où je contemplais la mer dont le ciel est l'horizon, lorsqu'au milieu de ma solitude à deux, j'aperçus un petit vieillard, décoré, ma foi ! Il avait eu le temps de l'être, heureusement, car il était assez cassé ; mais son air était si positif, ses mouvements si réguliers, que cette sagesse et cette harmonie dans ses allures remplaçaient les nerfs et les muscles alourdis. Il s'assit, examina bien le terrain, et s'assura qu'il ne serait pas piqué par quelques-unes des petites bêtes qui fourmillent sous le sable de la mer ; puis il déposa à côté de lui sa canne à pomme d'or ; mais jugez de mon étonnement, lorsqu'il mit ses lunettes. Des lunettes ! pour voir l'immensité ! Fantasia fit un bond terrible et voulut se jeter sur lui ; je parvins à la calmer avec beaucoup de peine ; je m'approchai, caché derrière une roche, et je voulus entendre de toutes mes oreilles : « Voilà donc l'image de notre vie ! le grand tout, le voilà ! Profonde vérité ! Voilà donc nos existences élevées et basses, profondes et mesquines, révoltées et calmes ! O vagues ! vagues ! Grande fluctuation universelle ! » Puis le petit vieillard ne parla plus qu'en lui-même. Fantasia, jusque-là, avait été paisible, et avait écouté religieusement ; mais elle n'y tint plus, poussa un long éclat de rire ; je n'eus que le temps de l'emporter dans mes bras, et nous abandonnâmes le petit vieillard. « En vérité, disait Fantasia, ce doit être un membre de quelque société savante. » Après avoir couru pendant quelque temps, nous aperçûmes une toile de peintre, représentant un bout de falaise et le commencement de l'Océan. Je regardai, ou plutôt nous regardâmes la toile. Le peintre, probablement, cherchait un autre site dans les environs ; après avoir regardé la toile, je regardai la nature et alternativement. Fantasia voulut crever la toile ; j'eus beaucoup de peine à la contenir. - Comment ! me dit-elle, il est sept heures du matin, et je vois sur cette toile un effet qui n'a pas de nom ! Je compris parfaitement ce que Fantasia m'expliquait. Elle a vraiment du sens, cette fille folle, me disais-je, et je voulus m'éloigner. Hélas ! l'artiste caché avait suivi les moindres nuances de mon expression ; quand ses yeux rencontrèrent les miens, ce fut un choc terrible, un choc électrique. Il me lança un de ces regards superbes qui semblent dire : Vermisseau ! Cette fois, Fantasia fut terrifiée de tant d'insolence, et elle le vit reprendre avec stupéfaction sa palette. « Tu n'as pas celle de Lorrain, » lui dit-elle en riant.
Puis, se retournant vers moi : « Nous avons déjà vu le vrai et le beau, me dit-elle, cherchons donc un peu le bien. » Après avoir grimpé dans les falaises, j'aperçus un enfant, un fils de pêcheur qui pouvait bien avoir de treize à quatorze ans ; il jouait avec un chien et se couraient l'un après l'autre, celui-ci aboyant et l'autre criant. Soudain, j'entendis dans l'air des cris qui semblaient venir du bas de la falaise ; aussitôt l'enfant s'élança d'un bond par un sentier rapide qui conduisait à la mer ; Fantasia, malgré toute son ardeur, eut peine à le suivre ; lorsque j'arrivai au bas de la falaise, je vis un spectacle terrible ; l'enfant luttait contre les vagues et ramenait vers le rivage un malheureux qui se débattait contre lui son sauveur ; je voulus m'élancer, mais l'enfant me cria de n'en rien faire, et au bout de quelques instants, meurtri, broyé et tremblotant, il abordait avec l'homme qu'il avait sauvé. C'était, selon toute apparence, un baigneur qui s'était aventuré trop loin, et qui était tombé dans un courant.
Je continuerai une autre fois.
Gérard De Nerval.
Nota. C'est dans cet intervalle qu'eut lieu la communication du vicomte Delaunay, rapportée ci-dessus.
Suite
Après quelques instants, le noyé revint peu à peu à la vie, mais ce ne
fut que pour dire : « C'est incroyable, moi qui nage si bien ! » Il vit
bien celui qui l'avait sauvé, mais, me regardant il ajouta : « Ouf ! je
l'ai échappé belle ! Il y a certains moments, vous savez, où l'on perd
la tête ; ce ne sont pas les forces qui vous trahissent, mais… mais… »
Voyant qu'il ne pouvait continuer, je me hâtai de lui dire : « Enfin,
grâce à ce brave garçon, vous voilà sauvé. » Il regarda l'enfant qui
l'examinait de l'air le plus indifférent du monde, les poings sur les
hanches. Le monsieur se mit à sourire : « C'est pourtant vrai, » dit-il ;
puis il me salua. Fantasia voulut courir après lui. « Bah ! me dit-elle
en se ravisant, au fait, c'est tout naturel. » L'enfant le regarda
s'éloigner, puis retourna à son chien. Fantasia, cette fois, pleura.
Gérard De Nerval.
Un membre de la Société faisant observer que la conclusion manquait, Gérard ajouta ces mots :
« Je suis à vous de tout cœur pour une autre dictée, mais pour celle-ci, Fantasia me dit de m'arrêter là ; peut-être a-t-elle tort ; elle est si capricieuse ! »
La conclusion en avait été donnée d'avance par le vicomte Delaunay.
Gérard De Nerval.
Un membre de la Société faisant observer que la conclusion manquait, Gérard ajouta ces mots :
« Je suis à vous de tout cœur pour une autre dictée, mais pour celle-ci, Fantasia me dit de m'arrêter là ; peut-être a-t-elle tort ; elle est si capricieuse ! »
La conclusion en avait été donnée d'avance par le vicomte Delaunay.
Conclusion d'Eraste
Après le tournoi littéraire et philosophique qui a eu lieu dans les
dernières séances de votre société, et auquel nous avons assisté avec
une véritable satisfaction, je crois nécessaire, au point de vue
purement spirite, de vous faire part de quelques réflexions qui m'ont
été suscitées par cet intéressant débat dans lequel, du reste, je ne
veux intervenir en aucune façon. Mais avant tout, laissez-moi vous dire
que si votre réunion a été animée, cette animation n'a rien été auprès
de celle qui régnait entre les groupes nombreux d'Esprits éminents que
ces séances quasi académiques avaient attirés. Ah ! certes, si vous
aviez pu devenir voyants instantanément, vous auriez été surpris et
confus devant cet aréopage supérieur. Mais je n'ai pas l'intention de
vous dévoiler aujourd'hui ce qui s'est passé parmi nous ; mon but est
tout uniment de vous faire entendre quelques mots au sujet du profit que
vous devez retirer de cette discussion au point de vue de votre
instruction spirite.
Vous connaissez de longue main Lamennais, et vous avez certainement apprécié combien ce philosophe est resté amoureux de l'idée abstraite ; vous avez remarqué sans doute combien il poursuit avec persistance et, je dois le dire, avec talent, ses théories philosophiques et religieuses ; vous devez en déduire logiquement que l'être personnel pensant poursuit, même au-delà de la tombe, ses études et ses travaux, et qu'au moyen de cette lucidité qui est l'apanage particulier des Esprits, comparant sa pensée spirituelle avec sa pensée humaine, il doit en élaguer tout ce qui l'obscurcissait matériellement. Eh bien ! ce qui est vrai pour Lamennais est également vrai pour les autres, et chacun, dans le vaste pays de l'erraticité, conserve ses aptitudes et son originalité.
Buffon, Gérard de Nerval, le vicomte Delaunay, Bernardin de Saint-Pierre conservent, comme Lamennais, les goûts et la forme littéraire que vous remarquiez en eux de leur vivant. Je crois qu'il est utile d'appeler votre attention sur cette condition d'être de notre monde d'outre-tombe, pour que vous ne vous laissiez pas aller à croire qu'on abandonne instantanément ses penchants, ses mœurs et ses passions en dépouillant le vêtement humain. Sur la terre, les Esprits sont comme des prisonniers que la mort doit délivrer ; mais de même que celui qui est sous les verrous a les mêmes propensions, conserve la même individualité quand il est en liberté, de même les Esprits conservent leurs tendances, leur originalité, leurs aptitudes, quand ils arrivent parmi nous ; sauf toutefois ceux qui ont passé, non par une vie de travail et d'épreuves, mais par une vie de châtiment, comme les idiots, les crétins et les fous. Pour ceux-là, les facultés intelligentes étant restées à l'état latent, ne se réveillent qu'à leur sortie de la prison terrestre. Ceci, comme vous le pensez, doit s'entendre du monde spirite inférieur ou moyen, et non des Esprits élevés affranchis de l'influence corporelle.
Vous allez prendre vos vacances, messieurs les Sociétaires ; permettez-moi de vous adresser quelques paroles amies avant de nous séparer pour quelque temps. Je crois que la doctrine consolante que nous sommes venus vous enseigner ne compte que des adeptes fervents parmi vous ; c'est pourquoi, comme il est essentiel que chacun se soumette à la loi du progrès, je crois devoir vous conseiller d'examiner par-devers vous quel profit vous avez retiré personnellement de nos travaux spirites, et quelle amélioration morale il en est résulté dans vos milieux réciproques. Car, vous le savez, il ne suffit pas de dire : Je suis Spirite, et de renfermer au fond de soi-même cette croyance ; mais ce qu'il vous est indispensable de savoir, c'est si vos actes se sont conformés aux prescriptions de votre foi nouvelle qui est, on ne saurait trop vous le répéter : Amour et charité. Que Dieu soit avec vous !
Éraste.
Vous connaissez de longue main Lamennais, et vous avez certainement apprécié combien ce philosophe est resté amoureux de l'idée abstraite ; vous avez remarqué sans doute combien il poursuit avec persistance et, je dois le dire, avec talent, ses théories philosophiques et religieuses ; vous devez en déduire logiquement que l'être personnel pensant poursuit, même au-delà de la tombe, ses études et ses travaux, et qu'au moyen de cette lucidité qui est l'apanage particulier des Esprits, comparant sa pensée spirituelle avec sa pensée humaine, il doit en élaguer tout ce qui l'obscurcissait matériellement. Eh bien ! ce qui est vrai pour Lamennais est également vrai pour les autres, et chacun, dans le vaste pays de l'erraticité, conserve ses aptitudes et son originalité.
Buffon, Gérard de Nerval, le vicomte Delaunay, Bernardin de Saint-Pierre conservent, comme Lamennais, les goûts et la forme littéraire que vous remarquiez en eux de leur vivant. Je crois qu'il est utile d'appeler votre attention sur cette condition d'être de notre monde d'outre-tombe, pour que vous ne vous laissiez pas aller à croire qu'on abandonne instantanément ses penchants, ses mœurs et ses passions en dépouillant le vêtement humain. Sur la terre, les Esprits sont comme des prisonniers que la mort doit délivrer ; mais de même que celui qui est sous les verrous a les mêmes propensions, conserve la même individualité quand il est en liberté, de même les Esprits conservent leurs tendances, leur originalité, leurs aptitudes, quand ils arrivent parmi nous ; sauf toutefois ceux qui ont passé, non par une vie de travail et d'épreuves, mais par une vie de châtiment, comme les idiots, les crétins et les fous. Pour ceux-là, les facultés intelligentes étant restées à l'état latent, ne se réveillent qu'à leur sortie de la prison terrestre. Ceci, comme vous le pensez, doit s'entendre du monde spirite inférieur ou moyen, et non des Esprits élevés affranchis de l'influence corporelle.
Vous allez prendre vos vacances, messieurs les Sociétaires ; permettez-moi de vous adresser quelques paroles amies avant de nous séparer pour quelque temps. Je crois que la doctrine consolante que nous sommes venus vous enseigner ne compte que des adeptes fervents parmi vous ; c'est pourquoi, comme il est essentiel que chacun se soumette à la loi du progrès, je crois devoir vous conseiller d'examiner par-devers vous quel profit vous avez retiré personnellement de nos travaux spirites, et quelle amélioration morale il en est résulté dans vos milieux réciproques. Car, vous le savez, il ne suffit pas de dire : Je suis Spirite, et de renfermer au fond de soi-même cette croyance ; mais ce qu'il vous est indispensable de savoir, c'est si vos actes se sont conformés aux prescriptions de votre foi nouvelle qui est, on ne saurait trop vous le répéter : Amour et charité. Que Dieu soit avec vous !
Éraste.
Entretiens familiers d'outre-tombe
La peine du talion
(Société, 9 août 1861. Médium M. d'Ambel.)
Un correspondant de la Société lui transmet la note suivante :
M. Antonio B…, un de mes parents, écrivain de mérite, estimé de ses concitoyens, ayant rempli avec distinction et intégrité des fonctions publiques en Lombardie, tomba, il y a environ dix ans, à la suite d'une attaque d'apoplexie, dans un état de mort apparente qu'on prit malheureusement, comme cela arrive quelquefois, pour la mort réelle. L'erreur était d'autant plus facile qu'on avait cru apercevoir sur le corps des signes de décomposition. Quinze jours après l'enterrement, une circonstance fortuite détermina la famille à demander l'exhumation ; il s'agissait d'un médaillon oublié par mégarde dans le cercueil ; mais la stupeur des assistants fut grande quand, à l'ouverture, on reconnut que le corps avait changé de position, qu'il s'était retourné, et, chose horrible ! qu'une des mains était en partie mangée par le défunt. Il fut alors manifeste que le malheureux Antonio B… avait été enterré vivant ; il avait dû succomber sous les étreintes du désespoir et de la faim. Quoi qu'il en soit de ce triste événement et de ses suites morales, ne serait-il pas intéressant, au point de vue Spirite et psychologique, de faire à ce sujet une enquête dans le monde des Esprits ? »
1. Évocation d'Antonio B… - R. Que me voulez-vous ?
2. Un de vos parents nous a priés de vous évoquer ; nous le faisons avec plaisir, et nous serons heureux si vous voulez bien nous répondre. - R. Oui, je veux bien vous répondre.
3. Vous rappelez-vous les circonstances de votre mort ? - R. Ah ! certes oui ! je me les rappelle ; pourquoi réveiller ce souvenir de châtiment ?
4. Est-il certain que vous avez été enterré vivant par méprise ? - R. Cela devait être ainsi, car la mort apparente a eu tous les caractères d'une mort réelle ; j'étais presque exsangue. On ne doit imputer à personne un fait prévu dès avant ma naissance.
5. Si ces questions sont de nature à vous causer de la peine, faut-il les cesser ? - Non, continuez.
6. Nous voudrions vous savoir heureux, car vous avez laissé la réputation d'un honnête homme. - R. Je vous remercie bien ; je sais que vous prierez pour moi. Je vais tâcher de répondre, mais si j'échoue un de vos guides habituels y suppléera.
7. Pourriez-vous décrire les sensations que vous avez éprouvées dans ce terrible moment ? - R. Oh ! quelle douloureuse épreuve ! se sentir enfermé entre quatre planches, de manière à ne pouvoir remuer, ni bouger ! Ne pouvoir appeler ; la voix ne résonnant plus dans un milieu privé d'air. Oh ! quelle torture que celle d'un malheureux qui s'efforce en vain d'aspirer dans une atmosphère insuffisante et dépourvue de la partie respirable ! Hélas ! j'étais comme un condamné à la gueule d'un four, sauf la chaleur. Oh ! je ne souhaite à personne de pareilles tortures ! Non, je ne souhaite à personne une fin comme la mienne ! Hélas ! cruelle punition d'une cruelle et féroce existence ! Ne me demandez pas à quoi je pensais, mais je plongeais dans le passé et j'entrevoyais vaguement l'avenir.
8. Vous dites : cruelle punition d'une féroce existence : mais votre réputation, jusqu'à ce jour intacte, ne faisait rien supposer de pareil. Pouvez-vous nous expliquer cela ? - R. Qu'est-ce que la durée d'une existence dans l'éternité ! Certes, j'ai tâché de bien agir dans ma dernière incarnation ; mais cette fin avait été acceptée par moi avant de rentrer dans l'humanité. Ah ! pourquoi m'interroger sur ce passé douloureux que seul je connaissais ainsi que les Esprits, ministres du Tout-Puissant ? Sachez donc, puisqu'il faut vous le dire, que dans une existence antérieure, j'avais muré une femme, la mienne ! toute vivante dans un caveau ! C'est la peine du talion que j'ai dû m'appliquer ! Dent pour dent, œil pour œil.
9. Nous vous remercions d'avoir bien voulu répondre à nos questions et nous prions Dieu de vous pardonner le passé en faveur du mérite de votre dernière existence. - R. Je reviendrai plus tard ; du reste, l'Esprit d'Eraste voudra bien compléter.
Réflexions de Lamennais sur cette évocation.
Dieu est bon ! mais l'homme, pour arriver au perfectionnement, doit subir les épreuves les plus cruelles. Ce malheureux a vécu plusieurs siècles pendant son agonie désespérée, et quoique sa vie ait été honorable, cette épreuve devait avoir lieu puisqu'il l'avait choisie.
Réflexions d'Éraste
Ce que vous devez retirer de cet enseignement, c'est que toutes vos existences se tiennent, et que nulle n'est indépendante des autres ; les soucis, les tracas, comme les grandes douleurs qui frappent les hommes, sont toujours les conséquences d'une vie antérieure criminelle ou mal employée. Cependant, je dois vous le dire, les fins pareilles à celle d'Antonio B… sont rares, et si cet homme, dont la dernière existence a été exempte de blâme, a fini de cette façon, c'est qu'il avait sollicité lui-même une mort pareille, afin d'abréger le temps de son erraticité et atteindre plus rapidement les sphères élevées. En effet, après une période de trouble et de souffrance morale pour expier encore son crime épouvantable, il lui sera pardonné et il s'élèvera vers un monde meilleur où il retrouvera sa victime qui l'attend et qui lui a déjà depuis longtemps pardonné. Sachez donc faire votre profit de cet exemple cruel, pour supporter avec patience, ô mes chers Spirites, les souffrances corporelles, les souffrances morales, et toutes les petites misères de la vie.
Dem. Quel profit peut retirer l'humanité de pareilles punitions ? - R. Les châtiments ne sont pas faits pour développer l'humanité, mais pour châtier l'individu coupable. En effet, l'humanité n'a nul intérêt à voir souffrir un des siens. Ici la punition a été appropriée à la faute. Pourquoi des fous ? pourquoi des crétins ? pourquoi des gens paralysés ? pourquoi ceux qui meurent dans le feu ? pourquoi ceux qui vivent des années dans les tortures d'une longue agonie, ne pouvant ni vivre ni mourir ? Ah ! croyez-moi, respectez la volonté souveraine et ne cherchez pas à sonder la raison des décrets providentiels ; sachez-le ! Dieu est juste et fait bien ce qu'il fait.
Éraste.
Remarque. N'y a-t-il pas dans ce fait un grand et terrible enseignement ? Ainsi la justice de Dieu atteint toujours le coupable, et pour être quelquefois tardive, elle n'en suit pas moins son cours. N'est-il pas éminemment moral de savoir que si de grands coupables achèvent leur existence paisiblement et souvent dans l'abondance des biens terrestres, l'heure de l'expiation sonnera tôt ou tard ? Des peines de cette nature se comprennent, non seulement parce qu'elles sont en quelque sorte sous nos yeux, mais parce qu'elles sont logiques ; on y croit, parce que la raison les admet ; or, nous demandons si ce tableau que le Spiritisme fait dérouler à chaque instant devant nous n'est pas plus propre à impressionner, à retenir sur le bord de l'abîme, que la crainte des flammes éternelles auxquelles on ne croit pas. Qu'on relise seulement les évocations que nous avons publiées dans cette Revue, et l'on y verra qu'il n'est pas un vice qui n'ait son châtiment, et pas une vertu qui n'ait sa récompense proportionnés au mérite ou au degré de culpabilité, car Dieu tient compte de toutes les circonstances qui peuvent atténuer le mal ou augmenter le prix du bien.
(Société, 9 août 1861. Médium M. d'Ambel.)
Un correspondant de la Société lui transmet la note suivante :
M. Antonio B…, un de mes parents, écrivain de mérite, estimé de ses concitoyens, ayant rempli avec distinction et intégrité des fonctions publiques en Lombardie, tomba, il y a environ dix ans, à la suite d'une attaque d'apoplexie, dans un état de mort apparente qu'on prit malheureusement, comme cela arrive quelquefois, pour la mort réelle. L'erreur était d'autant plus facile qu'on avait cru apercevoir sur le corps des signes de décomposition. Quinze jours après l'enterrement, une circonstance fortuite détermina la famille à demander l'exhumation ; il s'agissait d'un médaillon oublié par mégarde dans le cercueil ; mais la stupeur des assistants fut grande quand, à l'ouverture, on reconnut que le corps avait changé de position, qu'il s'était retourné, et, chose horrible ! qu'une des mains était en partie mangée par le défunt. Il fut alors manifeste que le malheureux Antonio B… avait été enterré vivant ; il avait dû succomber sous les étreintes du désespoir et de la faim. Quoi qu'il en soit de ce triste événement et de ses suites morales, ne serait-il pas intéressant, au point de vue Spirite et psychologique, de faire à ce sujet une enquête dans le monde des Esprits ? »
1. Évocation d'Antonio B… - R. Que me voulez-vous ?
2. Un de vos parents nous a priés de vous évoquer ; nous le faisons avec plaisir, et nous serons heureux si vous voulez bien nous répondre. - R. Oui, je veux bien vous répondre.
3. Vous rappelez-vous les circonstances de votre mort ? - R. Ah ! certes oui ! je me les rappelle ; pourquoi réveiller ce souvenir de châtiment ?
4. Est-il certain que vous avez été enterré vivant par méprise ? - R. Cela devait être ainsi, car la mort apparente a eu tous les caractères d'une mort réelle ; j'étais presque exsangue. On ne doit imputer à personne un fait prévu dès avant ma naissance.
5. Si ces questions sont de nature à vous causer de la peine, faut-il les cesser ? - Non, continuez.
6. Nous voudrions vous savoir heureux, car vous avez laissé la réputation d'un honnête homme. - R. Je vous remercie bien ; je sais que vous prierez pour moi. Je vais tâcher de répondre, mais si j'échoue un de vos guides habituels y suppléera.
7. Pourriez-vous décrire les sensations que vous avez éprouvées dans ce terrible moment ? - R. Oh ! quelle douloureuse épreuve ! se sentir enfermé entre quatre planches, de manière à ne pouvoir remuer, ni bouger ! Ne pouvoir appeler ; la voix ne résonnant plus dans un milieu privé d'air. Oh ! quelle torture que celle d'un malheureux qui s'efforce en vain d'aspirer dans une atmosphère insuffisante et dépourvue de la partie respirable ! Hélas ! j'étais comme un condamné à la gueule d'un four, sauf la chaleur. Oh ! je ne souhaite à personne de pareilles tortures ! Non, je ne souhaite à personne une fin comme la mienne ! Hélas ! cruelle punition d'une cruelle et féroce existence ! Ne me demandez pas à quoi je pensais, mais je plongeais dans le passé et j'entrevoyais vaguement l'avenir.
8. Vous dites : cruelle punition d'une féroce existence : mais votre réputation, jusqu'à ce jour intacte, ne faisait rien supposer de pareil. Pouvez-vous nous expliquer cela ? - R. Qu'est-ce que la durée d'une existence dans l'éternité ! Certes, j'ai tâché de bien agir dans ma dernière incarnation ; mais cette fin avait été acceptée par moi avant de rentrer dans l'humanité. Ah ! pourquoi m'interroger sur ce passé douloureux que seul je connaissais ainsi que les Esprits, ministres du Tout-Puissant ? Sachez donc, puisqu'il faut vous le dire, que dans une existence antérieure, j'avais muré une femme, la mienne ! toute vivante dans un caveau ! C'est la peine du talion que j'ai dû m'appliquer ! Dent pour dent, œil pour œil.
9. Nous vous remercions d'avoir bien voulu répondre à nos questions et nous prions Dieu de vous pardonner le passé en faveur du mérite de votre dernière existence. - R. Je reviendrai plus tard ; du reste, l'Esprit d'Eraste voudra bien compléter.
Réflexions de Lamennais sur cette évocation.
Dieu est bon ! mais l'homme, pour arriver au perfectionnement, doit subir les épreuves les plus cruelles. Ce malheureux a vécu plusieurs siècles pendant son agonie désespérée, et quoique sa vie ait été honorable, cette épreuve devait avoir lieu puisqu'il l'avait choisie.
Réflexions d'Éraste
Ce que vous devez retirer de cet enseignement, c'est que toutes vos existences se tiennent, et que nulle n'est indépendante des autres ; les soucis, les tracas, comme les grandes douleurs qui frappent les hommes, sont toujours les conséquences d'une vie antérieure criminelle ou mal employée. Cependant, je dois vous le dire, les fins pareilles à celle d'Antonio B… sont rares, et si cet homme, dont la dernière existence a été exempte de blâme, a fini de cette façon, c'est qu'il avait sollicité lui-même une mort pareille, afin d'abréger le temps de son erraticité et atteindre plus rapidement les sphères élevées. En effet, après une période de trouble et de souffrance morale pour expier encore son crime épouvantable, il lui sera pardonné et il s'élèvera vers un monde meilleur où il retrouvera sa victime qui l'attend et qui lui a déjà depuis longtemps pardonné. Sachez donc faire votre profit de cet exemple cruel, pour supporter avec patience, ô mes chers Spirites, les souffrances corporelles, les souffrances morales, et toutes les petites misères de la vie.
Dem. Quel profit peut retirer l'humanité de pareilles punitions ? - R. Les châtiments ne sont pas faits pour développer l'humanité, mais pour châtier l'individu coupable. En effet, l'humanité n'a nul intérêt à voir souffrir un des siens. Ici la punition a été appropriée à la faute. Pourquoi des fous ? pourquoi des crétins ? pourquoi des gens paralysés ? pourquoi ceux qui meurent dans le feu ? pourquoi ceux qui vivent des années dans les tortures d'une longue agonie, ne pouvant ni vivre ni mourir ? Ah ! croyez-moi, respectez la volonté souveraine et ne cherchez pas à sonder la raison des décrets providentiels ; sachez-le ! Dieu est juste et fait bien ce qu'il fait.
Éraste.
Remarque. N'y a-t-il pas dans ce fait un grand et terrible enseignement ? Ainsi la justice de Dieu atteint toujours le coupable, et pour être quelquefois tardive, elle n'en suit pas moins son cours. N'est-il pas éminemment moral de savoir que si de grands coupables achèvent leur existence paisiblement et souvent dans l'abondance des biens terrestres, l'heure de l'expiation sonnera tôt ou tard ? Des peines de cette nature se comprennent, non seulement parce qu'elles sont en quelque sorte sous nos yeux, mais parce qu'elles sont logiques ; on y croit, parce que la raison les admet ; or, nous demandons si ce tableau que le Spiritisme fait dérouler à chaque instant devant nous n'est pas plus propre à impressionner, à retenir sur le bord de l'abîme, que la crainte des flammes éternelles auxquelles on ne croit pas. Qu'on relise seulement les évocations que nous avons publiées dans cette Revue, et l'on y verra qu'il n'est pas un vice qui n'ait son châtiment, et pas une vertu qui n'ait sa récompense proportionnés au mérite ou au degré de culpabilité, car Dieu tient compte de toutes les circonstances qui peuvent atténuer le mal ou augmenter le prix du bien.
Correspondance
Lettre de M. Mathieu sur la médianimité des oiseaux - Paris, 11 août 1861.Monsieur,
C'est encore moi qui vous écris, et pour rendre, si vous le permettez, un nouvel hommage à la vérité.
Je lis aujourd'hui seulement, dans le dernier numéro de votre Revue, d'excellentes observations de votre part sur la prétendue faculté médianimique des oiseaux, et je m'empresse de vous en remercier comme d'un nouveau service rendu à la cause que nous défendons l'un et l'autre.
Plusieurs exhibitions d'oiseaux merveilleux ont eu lieu dans ces dernières années, et comme je connaissais la principale ficelle des tours exécutés par ces intéressants volatiles, j'entendais avec beaucoup de peine et de regrets certains Spiritualistes, ou Spirites, attribuer ces tours à une action médianimique, ce qui devait faire sourire in petto, si je puis m'exprimer ainsi, les propriétaires de ces oiseaux ; mais ce qu'ils ne paraissaient pas très empressés de démentir, je viens le démentir pour eux, puisque vous m'en fournissez l'occasion, non pour nuire à leur industrie, j'en serais bien fâché, mais pour empêcher une déplorable confusion d'avoir lieu entre les faits qu'une ingénieuse patience et une certaine habileté de mains produisent seules chez eux, et ceux que l'intervention des Esprits produit chez nous.
Vous avez parfaitement raison en disant : « Ces oiseaux font des choses que ni l'homme le plus intelligent, ni même le somnambule le plus lucide ne pourraient faire ; d'où il faudrait conclure qu'ils possèdent des facultés intellectuelles supérieures à l'homme, ce qui serait contraire aux lois de la nature. » Cette considération aurait dû frapper les personnes trop enthousiastes qui n'ont pas craint d'avoir recours à la faculté médianimique pour expliquer des expériences qu'elles ne comprenaient pas à la première vue ; mais, hélas ! les observateurs froids et judicieux sont encore assez rares, et parmi les hommes honorables qui poursuivent nos études, il en est qui ne savent pas toujours se défendre des entraînements de l'imagination et des dangers de l'illusion.
Or, voulez-vous que je vous dise ce qui m'a été communiqué au sujet de ces oiseaux merveilleux, dont nous avons admiré un soir ensemble, si vous vous en souvenez, un échantillon ? Un de mes amis, amateur de toutes les curiosités possibles, m'exhiba un jour un long casier en bois dans lequel un très grand nombre de minces cartons étaient placés sur champ les uns à côté des autres. Sur ces cartons étaient imprimés des mots, des chiffres, des représentations de cartes à jouer, etc. J'ai acheté cela, me dit-il, d'un homme qui montrait des oiseaux savants, et il m'a vendu en même temps la manière de m'en servir.
Mon ami, tirant alors de leur casier plusieurs de ces cartons, me fit remarquer que les tranches supérieures et inférieures étaient, l'une pleine, l'autre formée de deux feuillets séparés par une fente presque imperceptible, et surtout inappréciable à distance. Il m'expliqua ensuite que ces cartons devaient être placés dans le casier, tantôt la fente en bas, tantôt la fente en haut, selon que l'on voulait que l'oiseau les tirât du casier avec son bec, ou n'y touchât pas. L'oiseau était préalablement dressé à attirer à lui tous les cartons où il apercevait une fente. Il paraît que cette instruction préliminaire lui était donnée au moyen de grains de millet, ou de toute autre friandise, placés dans la fente en question ; il finissait par prendre l'habitude de becqueter et de faire, par suite, sortir du casier tous les cartons fendus qu'il y rencontrait en se promenant sur leur dos.
Telle est, monsieur, l'ingénieuse ficelle que mon ami me fit connaître. Tout me porte à croire qu'elle est commune à toutes les personnes qui exploitent l'industrie des oiseaux savants. Il reste à ces personnes le mérite de dresser leurs oiseaux à ce manége avec beaucoup de patience, et peut-être un peu de jeûne, - pour les oiseaux, bien entendu. Il leur reste aussi celui de sauver, avec le plus d'adresse possible, les apparences, soit par du compérage, soit par une habile prestidigitation dans le maniement des cartons, comme dans celui des objets accessoires qui figurent dans leurs expériences.
Je regrette de révéler ainsi le plus important de leurs secrets ; mais, d'une part, le public n'en verra pas avec moins de plaisir des oiseaux aussi bien dressés, pour peu qu'il ne tienne pas à ce qu'on le rende témoin de choses impossibles ; d'autre part, il ne m'était pas permis de laisser s'accréditer plus longtemps une opinion qui ne tend à rien moins qu'à la profanation de nos études. En présence d'un intérêt aussi sacré, je crois qu'un silence de complaisance serait un scrupule exagéré. Si c'est aussi votre opinion, vous êtes libre, monsieur, de faire part de cette nouvelle lettre à vos lecteurs.
Agréez.
Mathieu.
Assurément nous sommes de l'avis de M. Mathieu, et nous sommes heureux de nous être rencontré avec lui sur cette question. Nous le remercions des détails qu'il a bien voulu nous transmettre et dont nos lecteurs lui sauront certainement gré. Le Spiritisme est assez riche en faits remarquables authentiques, sans lui en attribuer qui toucheraient au merveilleux ou à l'impossible. Une étude sérieuse et approfondie de la science peut seule mettre les gens trop crédules sur leurs gardes ; car cette étude, en leur donnant la clef des phénomènes, leur apprend les limites dans lesquelles ils peuvent se produire.
Nous avons dit que si les oiseaux opéraient leurs prodiges avec connaissance de cause, et par l'effort de leur intelligence, ils feraient ce que ni l'homme le plus intelligent ni le somnambule le plus lucide ne peuvent faire. Ceci nous rappelle le successeur du célèbre Munito que nous avons vu il y a quelque 25 ou 30 ans, gagner constamment son partenaire à l'écarté, et poser le total d'une addition avant que nous n'ayons pu nous-même l'obtenir en faisant le calcul, or, sans vanité, nous nous croyons un peu plus fort que ce chien sur le calcul ; il y avait là sans aucun doute des cartes forcées comme pour les oiseaux. Quant aux somnambules, il y en a, sans contredit, qui sont assez lucides pour faire des choses aussi surprenantes que ce que font ces intéressants animaux, ce qui n'empêche pas notre proposition d'être vraie. On sait que la lucidité somnambulique, même la plus développée, est essentiellement variable et intermittente de sa nature ; qu'elle est subordonnée à une foule de circonstances et surtout à l'influence du milieu ambiant ; que le somnambule voit très rarement d'une manière instantanée ; que souvent il ne peut voir à un instant donné ce qu'il verra une heure plus tard ou le lendemain ; que ce qu'il voit avec une personne, il ne le verra pas avec une autre ; en supposant qu'il y ait chez les animaux savants une faculté analogue, il faudrait admettre qu'ils ne subissent aucune influence susceptible de la troubler ; qu'ils l'ont toujours, à toute heure, et vingt fois par jour, s'il le faut, à leur disposition sans aucune altération, et c'est à ce point de vue que nous disons surtout qu'ils font ce que le somnambule le plus lucide ne peut faire. Ce qui caractérise les tours de prestidigitation, c'est la précision, la ponctualité, l'instantanéité, la répétition facultative, toutes choses contraires à l'essence des phénomènes purement moraux du somnambulisme et du Spiritisme, dont il faut presque toujours attendre les effets, et que l'on peut très rarement provoquer.
De ce que les effets dont il vient d'être parlé sont dus à des procédés artificiels, cela ne prouverait rien contre la médianimité des animaux en général.
La question serait donc de savoir s'il y a chez eux possibilité ou non de servir d'intermédiaires entre les Esprits et les hommes ; or, l'incompatibilité de leur nature à cet égard est démontrée par la dissertation d'Eraste sur ce sujet, publiée dans notre numéro du mois d'août, et celle du même Esprit sur le rôle des médiums dans les communications, insérée dans celui du mois de juillet.
C'est encore moi qui vous écris, et pour rendre, si vous le permettez, un nouvel hommage à la vérité.
Je lis aujourd'hui seulement, dans le dernier numéro de votre Revue, d'excellentes observations de votre part sur la prétendue faculté médianimique des oiseaux, et je m'empresse de vous en remercier comme d'un nouveau service rendu à la cause que nous défendons l'un et l'autre.
Plusieurs exhibitions d'oiseaux merveilleux ont eu lieu dans ces dernières années, et comme je connaissais la principale ficelle des tours exécutés par ces intéressants volatiles, j'entendais avec beaucoup de peine et de regrets certains Spiritualistes, ou Spirites, attribuer ces tours à une action médianimique, ce qui devait faire sourire in petto, si je puis m'exprimer ainsi, les propriétaires de ces oiseaux ; mais ce qu'ils ne paraissaient pas très empressés de démentir, je viens le démentir pour eux, puisque vous m'en fournissez l'occasion, non pour nuire à leur industrie, j'en serais bien fâché, mais pour empêcher une déplorable confusion d'avoir lieu entre les faits qu'une ingénieuse patience et une certaine habileté de mains produisent seules chez eux, et ceux que l'intervention des Esprits produit chez nous.
Vous avez parfaitement raison en disant : « Ces oiseaux font des choses que ni l'homme le plus intelligent, ni même le somnambule le plus lucide ne pourraient faire ; d'où il faudrait conclure qu'ils possèdent des facultés intellectuelles supérieures à l'homme, ce qui serait contraire aux lois de la nature. » Cette considération aurait dû frapper les personnes trop enthousiastes qui n'ont pas craint d'avoir recours à la faculté médianimique pour expliquer des expériences qu'elles ne comprenaient pas à la première vue ; mais, hélas ! les observateurs froids et judicieux sont encore assez rares, et parmi les hommes honorables qui poursuivent nos études, il en est qui ne savent pas toujours se défendre des entraînements de l'imagination et des dangers de l'illusion.
Or, voulez-vous que je vous dise ce qui m'a été communiqué au sujet de ces oiseaux merveilleux, dont nous avons admiré un soir ensemble, si vous vous en souvenez, un échantillon ? Un de mes amis, amateur de toutes les curiosités possibles, m'exhiba un jour un long casier en bois dans lequel un très grand nombre de minces cartons étaient placés sur champ les uns à côté des autres. Sur ces cartons étaient imprimés des mots, des chiffres, des représentations de cartes à jouer, etc. J'ai acheté cela, me dit-il, d'un homme qui montrait des oiseaux savants, et il m'a vendu en même temps la manière de m'en servir.
Mon ami, tirant alors de leur casier plusieurs de ces cartons, me fit remarquer que les tranches supérieures et inférieures étaient, l'une pleine, l'autre formée de deux feuillets séparés par une fente presque imperceptible, et surtout inappréciable à distance. Il m'expliqua ensuite que ces cartons devaient être placés dans le casier, tantôt la fente en bas, tantôt la fente en haut, selon que l'on voulait que l'oiseau les tirât du casier avec son bec, ou n'y touchât pas. L'oiseau était préalablement dressé à attirer à lui tous les cartons où il apercevait une fente. Il paraît que cette instruction préliminaire lui était donnée au moyen de grains de millet, ou de toute autre friandise, placés dans la fente en question ; il finissait par prendre l'habitude de becqueter et de faire, par suite, sortir du casier tous les cartons fendus qu'il y rencontrait en se promenant sur leur dos.
Telle est, monsieur, l'ingénieuse ficelle que mon ami me fit connaître. Tout me porte à croire qu'elle est commune à toutes les personnes qui exploitent l'industrie des oiseaux savants. Il reste à ces personnes le mérite de dresser leurs oiseaux à ce manége avec beaucoup de patience, et peut-être un peu de jeûne, - pour les oiseaux, bien entendu. Il leur reste aussi celui de sauver, avec le plus d'adresse possible, les apparences, soit par du compérage, soit par une habile prestidigitation dans le maniement des cartons, comme dans celui des objets accessoires qui figurent dans leurs expériences.
Je regrette de révéler ainsi le plus important de leurs secrets ; mais, d'une part, le public n'en verra pas avec moins de plaisir des oiseaux aussi bien dressés, pour peu qu'il ne tienne pas à ce qu'on le rende témoin de choses impossibles ; d'autre part, il ne m'était pas permis de laisser s'accréditer plus longtemps une opinion qui ne tend à rien moins qu'à la profanation de nos études. En présence d'un intérêt aussi sacré, je crois qu'un silence de complaisance serait un scrupule exagéré. Si c'est aussi votre opinion, vous êtes libre, monsieur, de faire part de cette nouvelle lettre à vos lecteurs.
Agréez.
Mathieu.
Assurément nous sommes de l'avis de M. Mathieu, et nous sommes heureux de nous être rencontré avec lui sur cette question. Nous le remercions des détails qu'il a bien voulu nous transmettre et dont nos lecteurs lui sauront certainement gré. Le Spiritisme est assez riche en faits remarquables authentiques, sans lui en attribuer qui toucheraient au merveilleux ou à l'impossible. Une étude sérieuse et approfondie de la science peut seule mettre les gens trop crédules sur leurs gardes ; car cette étude, en leur donnant la clef des phénomènes, leur apprend les limites dans lesquelles ils peuvent se produire.
Nous avons dit que si les oiseaux opéraient leurs prodiges avec connaissance de cause, et par l'effort de leur intelligence, ils feraient ce que ni l'homme le plus intelligent ni le somnambule le plus lucide ne peuvent faire. Ceci nous rappelle le successeur du célèbre Munito que nous avons vu il y a quelque 25 ou 30 ans, gagner constamment son partenaire à l'écarté, et poser le total d'une addition avant que nous n'ayons pu nous-même l'obtenir en faisant le calcul, or, sans vanité, nous nous croyons un peu plus fort que ce chien sur le calcul ; il y avait là sans aucun doute des cartes forcées comme pour les oiseaux. Quant aux somnambules, il y en a, sans contredit, qui sont assez lucides pour faire des choses aussi surprenantes que ce que font ces intéressants animaux, ce qui n'empêche pas notre proposition d'être vraie. On sait que la lucidité somnambulique, même la plus développée, est essentiellement variable et intermittente de sa nature ; qu'elle est subordonnée à une foule de circonstances et surtout à l'influence du milieu ambiant ; que le somnambule voit très rarement d'une manière instantanée ; que souvent il ne peut voir à un instant donné ce qu'il verra une heure plus tard ou le lendemain ; que ce qu'il voit avec une personne, il ne le verra pas avec une autre ; en supposant qu'il y ait chez les animaux savants une faculté analogue, il faudrait admettre qu'ils ne subissent aucune influence susceptible de la troubler ; qu'ils l'ont toujours, à toute heure, et vingt fois par jour, s'il le faut, à leur disposition sans aucune altération, et c'est à ce point de vue que nous disons surtout qu'ils font ce que le somnambule le plus lucide ne peut faire. Ce qui caractérise les tours de prestidigitation, c'est la précision, la ponctualité, l'instantanéité, la répétition facultative, toutes choses contraires à l'essence des phénomènes purement moraux du somnambulisme et du Spiritisme, dont il faut presque toujours attendre les effets, et que l'on peut très rarement provoquer.
De ce que les effets dont il vient d'être parlé sont dus à des procédés artificiels, cela ne prouverait rien contre la médianimité des animaux en général.
La question serait donc de savoir s'il y a chez eux possibilité ou non de servir d'intermédiaires entre les Esprits et les hommes ; or, l'incompatibilité de leur nature à cet égard est démontrée par la dissertation d'Eraste sur ce sujet, publiée dans notre numéro du mois d'août, et celle du même Esprit sur le rôle des médiums dans les communications, insérée dans celui du mois de juillet.
Lettre de M. Jobard sur les Spirites de Metz
Bruxelles, 18 août 1861.
Mon cher maître,
Je viens de visiter les Spirites de Metz comme vous avez visité ceux de Lyon, l'an passé ; mais, au lieu de pauvres ouvriers simples et illettrés, ce sont des comtes, des barons, des colonels, des officiers du génie, des anciens élèves de l'École polytechnique, des savants connus par des ouvrages du premier mérite. Eux aussi m'ont offert un banquet, mais un banquet de païen qui n'avait rien de commun avec les modestes agapes des premiers chrétiens ; aussi l'Esprit de Lamennais leur a-t-il donné sur les doigts, en ces termes :
« Pauvre humanité ! vous ramassez toujours les débris du milieu dans lequel vous vivez ; vous matérialisez tout, preuve que la boue souille encore votre être. Je ne vous fais pas de reproches, mais une simple remarque ; votre but étant paré d'excellentes intentions, les voies qui vous y conduisent ne sont point condamnables ; si, à côté d'une satisfaction presque animale, vous placez le désir de la sanctifier, de l'ennoblir, la pureté de vos jouissances les centuplera sûrement. A part les bonnes paroles qui vont resserrer votre amitié ; à côté du souvenir de cette bonne journée, dont le Spiritisme a sa large part, ne quittez pas la table sans avoir songé que les bons Esprits qui sont les professeurs de vos réunions ont droit à une pensée de reconnaissance. »
Que ceci serve de leçon aux Lucullus, aux Trimalcions parisiens qui dévorent en un dîner la substance de cent familles, en prétendant que Dieu leur a donné les biens de la terre pour en jouir. Pour en jouir, soit ; mais non pour en abuser, au point d'altérer la santé du corps et de l'Esprit. A quoi servent, je vous le demande, ces doubles, triples et quadruples services ; cette superfluité croissante des vins les plus délicats auxquels Dieu semble avoir enlevé leur saveur par un miracle inverse de celui des noces de Cana, et qu'il change en poison pour ceux qui perdent la raison au point de devenir insensibles aux avertissements de leur instinct animal ? Quand le Spiritisme, répandu dans les hautes classes de la société, n'aurait pour effet que de mettre un frein à la gloutonnerie et aux orgies de la table des riches, il rendrait à la société un service immense, que la médecine officielle n'a pu lui rendre, puisque les médecins eux-mêmes partagent volontiers ces excès qui leur fournissent le plus de malades, le plus d'estomacs à désobstruer, le plus de rates à désopiler, le plus de goutteux à consoler, car ils ne savent pas les guérir.
Je vous dirai, cher maître, que j'ai trouvé à Metz des maisons d'ancienne noblesse, très religieuses, dont les grands-mères, les mères, les filles, les petits enfants, et jusqu'aux ecclésiastiques leurs gouverneurs, obtiennent par la typtologie des dictées magnifiques, bien que d'un ordre inférieur à celles des savants médiums de la Société dont je vous parle.
Ayant demandé à deux Esprits ce qu'ils pensaient de certain livre, l'un nous dit qu'il l'avait lu et médité, et en fit le plus grand éloge ; l'autre avoua qu'il ne l'avait pas lu, mais qu'il en avait entendu dire le plus grand bien autour de lui ; un autre le trouvait bon, mais lui reprochait quelque obscurité. Exactement comme on juge ici-bas.
Un autre nous exposa une cosmogonie des plus séduisantes, qu'il nous donnait comme la pure vérité, et comme il allait jusqu'à l'affirmation des secrets de Dieu sur l'avenir, je lui demandai s'il était Dieu lui-même, ou si sa théorie n'était qu'une belle hypothèse de sa part ; il balbutia, et reconnut qu'il s'était trop avancé, mais que pour lui c'était une conviction. A la bonne heure !
Dans peu de jours vous recevrez la première publication des Spirites de Metz, dont ils ont bien voulu me prier d'être le parrain ; vous en serez content, car c'est bien. Vous y trouverez deux discours de Lamennais sur la prière qu'un prêtre a lu au prône, en déclarant que ce ne pouvait être l'œuvre d'un homme. Madame de Girardin les visite comme vous, et vous y reconnaîtrez son esprit, son cœur et son style.
Le cercle de Metz m'a prié de le mettre en communion avec le cercle belge, qui ne se compose encore que de deux médiums, dont l'un Français et l'autre Anglais. Les Belges sont infiniment plus raisonnables ; ils plaignent de tout leur cœur un homme d'une intelligence aussi grande que la mienne, sur toutes les matières de l'industrie et des sciences, de donner dans cette folie de croire à l'existence, et de plus à l'immortalité de l'âme. Ils se détournent avec pitié en disant : « Qu'est-ce que c'est que de nous ! » C'est ce qui m'est arrivé hier soir en leur lisant votre Revue, que je croyais devoir les intéresser, et qu'ils prennent pour un recueil de canards composés pour amuser les
Jobard.
Remarque. Nous savions depuis longtemps que la ville de Metz marche à grands pas dans la voie du progrès spirite, et que MM. les officiers ne sont pas les derniers à la suivre ; nous sommes heureux d'en avoir la confirmation par notre honorable collègue M. Jobard ; aussi nous ferons-nous un plaisir de rendre compte des travaux de ce cercle qui se pose sur des bases véritablement sérieuses ; il ne peut manquer d'exercer une grande influence par la position sociale de ses membres. Nous aurons aussi bientôt à parler de celui de Bordeaux qui se fonde sous les auspices de la Société de Paris, avec des éléments déjà très nombreux et dans des conditions qui ne peuvent manquer de le placer aux premiers rangs.
Nous connaissons trop les principes de M. Jobard pour être certain qu'en énumérant les titres et qualités des Spirites de Metz à côté des modestes ouvriers que nous avons visités l'année dernière à Lyon, il n'a voulu faire aucune comparaison offensante ; son but a été uniquement de constater que le Spiritisme compte des adeptes dans tous les rangs. C'est un fait bien connu que, par une vue providentielle, il s'est d'abord recruté dans les classes éclairées, afin de prouver à ses adversaires qu'il n'est pas le privilège des sots et des ignorants, et aussi afin de n'arriver aux masses qu'après avoir été épuré et dégagé de toute idée superstitieuse. Ce n'est que depuis peu qu'il a pénétré parmi les travailleurs ; mais là aussi il fait de rapides progrès, parce qu'il apporte de suprêmes consolations au milieu de souffrances matérielles qu'il apprend à supporter avec résignation et courage.
M. Jobard se trompe s'il croit que mous n'avons trouvé à Lyon des Spirites que parmi les ouvriers ; la haute industrie, le grand commerce, les arts et les sciences, là comme ailleurs, fournissent leur contingent. Les ouvriers, il est vrai, y sont en majorité par des circonstances toutes locales. Ces ouvriers sont pauvres, comme le dit M. Jobard ; c'est une raison pour leur tendre la main ; mais ils sont pleins de cœur, de zèle et de dévouement ; s'ils n'ont qu'un morceau de pain, ils savent le partager avec leurs frères ; ils sont simples, c'est encore vrai ; c'est-à-dire, qu'ils n'ont ni l'orgueil, ni la présomption du savoir ; ils sont illettrés ; oui, relativement, mais non dans le sens absolu. A défaut de science, ils ont assez de jugement et de bon sens pour apprécier ce qui est juste, et distinguer, dans ce qu'on leur enseigne, ce qui est rationnel de ce qui est absurde. Voilà ce dont nous avons pu juger par nous-même ; c'est pourquoi nous saisissons cette occasion de leur rendre justice. La lettre suivante, par laquelle ils viennent de nous engager à aller les visiter encore cette année, témoigne de l'heureuse influence qu'exercent les idées spirites, et des résultats qu'on doit en attendre lorsqu'elles se seront généralisées.
Lyon, 20 août 1861.
Mon bon monsieur Allan Kardec,
Si je suis resté si longtemps sans vous écrire, il ne faut pas croire qu'il y ait indifférence de ma part ; c'est que, sachant la volumineuse correspondance que vous avez, je ne vous écris que lorsque j'ai quelque chose d'important à vous mander. Je viens donc vous dire que nous comptons sur vous cette année, et vous prier de m'informer de l'époque aussi précise que possible de votre arrivée, et de l'endroit où vous descendrez, parce que cette année le nombre des Spirites a beaucoup augmenté, surtout dans les classes ouvrières ; ils veulent tous vous voir, vous entendre ; et quoiqu'ils sachent bien que ce sont les Esprits qui ont dicté vos ouvrages, ils sont désireux de voir l'homme que Dieu a choisi pour cette belle mission ; ils veulent vous dire combien ils sont heureux de vous lire, et vous faire juge du progrès moral qu'ils ont tiré de vos instructions, car ils s'efforcent d'être doux, patients et résignés dans leur misère, qui est très grande à Lyon, surtout dans la soierie. Ceux qui murmurent, ceux qui se plaignent encore, sont les commençants ; les plus instruits leur disent : Courage ! nos peines et nos souffrances sont des épreuves ou les conséquences de nos vies antérieures ; Dieu, qui est bon et juste, nous rendra plus heureux et nous récompensera dans de nouvelles incarnations. Allan Kardec nous le dit, et il nous le prouve par ses écrits.
Nous avons choisi un plus grand local que la dernière fois, parce que nous serons plus de cent ; notre repas sera modeste, car il y aura bien des petites bourses ; ce sera plutôt le plaisir de la réunion. Je fais en sorte qu'il y ait des Spirites de tous les rangs et de toutes les conditions, afin de leur faire comprendre qu'ils sont tous frères. M. Déjou s'en occupe avec zèle, il y amènera tout son groupe, qui est nombreux.
Votre dévoué et affectionné,
C. Rey.
Une invitation toute aussi flatteuse nous est adressée de Bordeaux.
Bordeaux, 7 août 1861.
Mon cher monsieur Kardec,
Votre dernière Revue annonce que la Société Spirite de Paris prend ses vacances du 15 août au 1° octobre ; pouvons-nous espérer que, dans cet intervalle, vous honorerez les Spirites bordelais de votre présence ; nous en serions tous bien heureux. Les adeptes les plus fervents de la doctrine, dont le nombre augmente chaque jour, désirent organiser une Société qui dépendrait de celle de Paris pour le contrôle des travaux. Nous avons formulé un règlement sur le modèle de la Société parisienne ; nous vous le soumettrons. A part la Société principale, il y aura sur différents points de la ville des groupes de dix à douze personnes, principalement pour les ouvriers, où les membres de la Société se rendront de temps en temps à tour de rôle, pour y donner les conseils nécessaires. Tous nos guides spirituels sont d'accord sur ce point, que Bordeaux doit avoir une Société d'études, parce que cette ville sera le centre de la propagation du Spiritisme dans tout le Midi.
Nous vous attendons avec confiance et bonheur pour le jour mémorable de l'inauguration, et nous espérons que vous serez content de notre zèle et de notre manière de travailler. Nous sommes prêts à nous soumettre aux sages conseils de votre expérience. Venez donc nous voir à l'ouvrage : à l'œuvre on connaît l'ouvrier.
Votre bien dévoué serviteur,
Je viens de visiter les Spirites de Metz comme vous avez visité ceux de Lyon, l'an passé ; mais, au lieu de pauvres ouvriers simples et illettrés, ce sont des comtes, des barons, des colonels, des officiers du génie, des anciens élèves de l'École polytechnique, des savants connus par des ouvrages du premier mérite. Eux aussi m'ont offert un banquet, mais un banquet de païen qui n'avait rien de commun avec les modestes agapes des premiers chrétiens ; aussi l'Esprit de Lamennais leur a-t-il donné sur les doigts, en ces termes :
« Pauvre humanité ! vous ramassez toujours les débris du milieu dans lequel vous vivez ; vous matérialisez tout, preuve que la boue souille encore votre être. Je ne vous fais pas de reproches, mais une simple remarque ; votre but étant paré d'excellentes intentions, les voies qui vous y conduisent ne sont point condamnables ; si, à côté d'une satisfaction presque animale, vous placez le désir de la sanctifier, de l'ennoblir, la pureté de vos jouissances les centuplera sûrement. A part les bonnes paroles qui vont resserrer votre amitié ; à côté du souvenir de cette bonne journée, dont le Spiritisme a sa large part, ne quittez pas la table sans avoir songé que les bons Esprits qui sont les professeurs de vos réunions ont droit à une pensée de reconnaissance. »
Que ceci serve de leçon aux Lucullus, aux Trimalcions parisiens qui dévorent en un dîner la substance de cent familles, en prétendant que Dieu leur a donné les biens de la terre pour en jouir. Pour en jouir, soit ; mais non pour en abuser, au point d'altérer la santé du corps et de l'Esprit. A quoi servent, je vous le demande, ces doubles, triples et quadruples services ; cette superfluité croissante des vins les plus délicats auxquels Dieu semble avoir enlevé leur saveur par un miracle inverse de celui des noces de Cana, et qu'il change en poison pour ceux qui perdent la raison au point de devenir insensibles aux avertissements de leur instinct animal ? Quand le Spiritisme, répandu dans les hautes classes de la société, n'aurait pour effet que de mettre un frein à la gloutonnerie et aux orgies de la table des riches, il rendrait à la société un service immense, que la médecine officielle n'a pu lui rendre, puisque les médecins eux-mêmes partagent volontiers ces excès qui leur fournissent le plus de malades, le plus d'estomacs à désobstruer, le plus de rates à désopiler, le plus de goutteux à consoler, car ils ne savent pas les guérir.
Je vous dirai, cher maître, que j'ai trouvé à Metz des maisons d'ancienne noblesse, très religieuses, dont les grands-mères, les mères, les filles, les petits enfants, et jusqu'aux ecclésiastiques leurs gouverneurs, obtiennent par la typtologie des dictées magnifiques, bien que d'un ordre inférieur à celles des savants médiums de la Société dont je vous parle.
Ayant demandé à deux Esprits ce qu'ils pensaient de certain livre, l'un nous dit qu'il l'avait lu et médité, et en fit le plus grand éloge ; l'autre avoua qu'il ne l'avait pas lu, mais qu'il en avait entendu dire le plus grand bien autour de lui ; un autre le trouvait bon, mais lui reprochait quelque obscurité. Exactement comme on juge ici-bas.
Un autre nous exposa une cosmogonie des plus séduisantes, qu'il nous donnait comme la pure vérité, et comme il allait jusqu'à l'affirmation des secrets de Dieu sur l'avenir, je lui demandai s'il était Dieu lui-même, ou si sa théorie n'était qu'une belle hypothèse de sa part ; il balbutia, et reconnut qu'il s'était trop avancé, mais que pour lui c'était une conviction. A la bonne heure !
Dans peu de jours vous recevrez la première publication des Spirites de Metz, dont ils ont bien voulu me prier d'être le parrain ; vous en serez content, car c'est bien. Vous y trouverez deux discours de Lamennais sur la prière qu'un prêtre a lu au prône, en déclarant que ce ne pouvait être l'œuvre d'un homme. Madame de Girardin les visite comme vous, et vous y reconnaîtrez son esprit, son cœur et son style.
Le cercle de Metz m'a prié de le mettre en communion avec le cercle belge, qui ne se compose encore que de deux médiums, dont l'un Français et l'autre Anglais. Les Belges sont infiniment plus raisonnables ; ils plaignent de tout leur cœur un homme d'une intelligence aussi grande que la mienne, sur toutes les matières de l'industrie et des sciences, de donner dans cette folie de croire à l'existence, et de plus à l'immortalité de l'âme. Ils se détournent avec pitié en disant : « Qu'est-ce que c'est que de nous ! » C'est ce qui m'est arrivé hier soir en leur lisant votre Revue, que je croyais devoir les intéresser, et qu'ils prennent pour un recueil de canards composés pour amuser les
Jobard.
Remarque. Nous savions depuis longtemps que la ville de Metz marche à grands pas dans la voie du progrès spirite, et que MM. les officiers ne sont pas les derniers à la suivre ; nous sommes heureux d'en avoir la confirmation par notre honorable collègue M. Jobard ; aussi nous ferons-nous un plaisir de rendre compte des travaux de ce cercle qui se pose sur des bases véritablement sérieuses ; il ne peut manquer d'exercer une grande influence par la position sociale de ses membres. Nous aurons aussi bientôt à parler de celui de Bordeaux qui se fonde sous les auspices de la Société de Paris, avec des éléments déjà très nombreux et dans des conditions qui ne peuvent manquer de le placer aux premiers rangs.
Nous connaissons trop les principes de M. Jobard pour être certain qu'en énumérant les titres et qualités des Spirites de Metz à côté des modestes ouvriers que nous avons visités l'année dernière à Lyon, il n'a voulu faire aucune comparaison offensante ; son but a été uniquement de constater que le Spiritisme compte des adeptes dans tous les rangs. C'est un fait bien connu que, par une vue providentielle, il s'est d'abord recruté dans les classes éclairées, afin de prouver à ses adversaires qu'il n'est pas le privilège des sots et des ignorants, et aussi afin de n'arriver aux masses qu'après avoir été épuré et dégagé de toute idée superstitieuse. Ce n'est que depuis peu qu'il a pénétré parmi les travailleurs ; mais là aussi il fait de rapides progrès, parce qu'il apporte de suprêmes consolations au milieu de souffrances matérielles qu'il apprend à supporter avec résignation et courage.
M. Jobard se trompe s'il croit que mous n'avons trouvé à Lyon des Spirites que parmi les ouvriers ; la haute industrie, le grand commerce, les arts et les sciences, là comme ailleurs, fournissent leur contingent. Les ouvriers, il est vrai, y sont en majorité par des circonstances toutes locales. Ces ouvriers sont pauvres, comme le dit M. Jobard ; c'est une raison pour leur tendre la main ; mais ils sont pleins de cœur, de zèle et de dévouement ; s'ils n'ont qu'un morceau de pain, ils savent le partager avec leurs frères ; ils sont simples, c'est encore vrai ; c'est-à-dire, qu'ils n'ont ni l'orgueil, ni la présomption du savoir ; ils sont illettrés ; oui, relativement, mais non dans le sens absolu. A défaut de science, ils ont assez de jugement et de bon sens pour apprécier ce qui est juste, et distinguer, dans ce qu'on leur enseigne, ce qui est rationnel de ce qui est absurde. Voilà ce dont nous avons pu juger par nous-même ; c'est pourquoi nous saisissons cette occasion de leur rendre justice. La lettre suivante, par laquelle ils viennent de nous engager à aller les visiter encore cette année, témoigne de l'heureuse influence qu'exercent les idées spirites, et des résultats qu'on doit en attendre lorsqu'elles se seront généralisées.
Lyon, 20 août 1861.
Mon bon monsieur Allan Kardec,
Si je suis resté si longtemps sans vous écrire, il ne faut pas croire qu'il y ait indifférence de ma part ; c'est que, sachant la volumineuse correspondance que vous avez, je ne vous écris que lorsque j'ai quelque chose d'important à vous mander. Je viens donc vous dire que nous comptons sur vous cette année, et vous prier de m'informer de l'époque aussi précise que possible de votre arrivée, et de l'endroit où vous descendrez, parce que cette année le nombre des Spirites a beaucoup augmenté, surtout dans les classes ouvrières ; ils veulent tous vous voir, vous entendre ; et quoiqu'ils sachent bien que ce sont les Esprits qui ont dicté vos ouvrages, ils sont désireux de voir l'homme que Dieu a choisi pour cette belle mission ; ils veulent vous dire combien ils sont heureux de vous lire, et vous faire juge du progrès moral qu'ils ont tiré de vos instructions, car ils s'efforcent d'être doux, patients et résignés dans leur misère, qui est très grande à Lyon, surtout dans la soierie. Ceux qui murmurent, ceux qui se plaignent encore, sont les commençants ; les plus instruits leur disent : Courage ! nos peines et nos souffrances sont des épreuves ou les conséquences de nos vies antérieures ; Dieu, qui est bon et juste, nous rendra plus heureux et nous récompensera dans de nouvelles incarnations. Allan Kardec nous le dit, et il nous le prouve par ses écrits.
Nous avons choisi un plus grand local que la dernière fois, parce que nous serons plus de cent ; notre repas sera modeste, car il y aura bien des petites bourses ; ce sera plutôt le plaisir de la réunion. Je fais en sorte qu'il y ait des Spirites de tous les rangs et de toutes les conditions, afin de leur faire comprendre qu'ils sont tous frères. M. Déjou s'en occupe avec zèle, il y amènera tout son groupe, qui est nombreux.
Votre dévoué et affectionné,
C. Rey.
Une invitation toute aussi flatteuse nous est adressée de Bordeaux.
Bordeaux, 7 août 1861.
Mon cher monsieur Kardec,
Votre dernière Revue annonce que la Société Spirite de Paris prend ses vacances du 15 août au 1° octobre ; pouvons-nous espérer que, dans cet intervalle, vous honorerez les Spirites bordelais de votre présence ; nous en serions tous bien heureux. Les adeptes les plus fervents de la doctrine, dont le nombre augmente chaque jour, désirent organiser une Société qui dépendrait de celle de Paris pour le contrôle des travaux. Nous avons formulé un règlement sur le modèle de la Société parisienne ; nous vous le soumettrons. A part la Société principale, il y aura sur différents points de la ville des groupes de dix à douze personnes, principalement pour les ouvriers, où les membres de la Société se rendront de temps en temps à tour de rôle, pour y donner les conseils nécessaires. Tous nos guides spirituels sont d'accord sur ce point, que Bordeaux doit avoir une Société d'études, parce que cette ville sera le centre de la propagation du Spiritisme dans tout le Midi.
Nous vous attendons avec confiance et bonheur pour le jour mémorable de l'inauguration, et nous espérons que vous serez content de notre zèle et de notre manière de travailler. Nous sommes prêts à nous soumettre aux sages conseils de votre expérience. Venez donc nous voir à l'ouvrage : à l'œuvre on connaît l'ouvrier.
Votre bien dévoué serviteur,
A. SABÔ
Dissertations et enseignements spirites - Un Esprit israélite à ses coreligionnaires
Nos lecteurs se rappellent la belle communication que nous avons publiée dans le numéro de mars dernier, sur la loi de Moïse et la loi du Christ, signée Mardochée, obtenue par M. R… de Mulhouse. Ce monsieur en a obtenu d'autres également remarquables du même Esprit et que nous publierons. Celle que nous donnons ci-après est d'un autre parent décédé il y a quelques mois. Elle a été dictée à trois reprises différentes.
A tous ceux que j'ai connus.
I
Mes amis,
Soyez Spirites, je vous en conjure tous. Le Spiritisme est la loi de Dieu : c'est la loi de Moïse appliquée à l'époque actuelle. Lorsque Moïse donna la loi aux enfants d'Israël, il la fit telle que Dieu la lui donna, et Dieu l'appropria aux hommes de ce temps-là ; mais depuis les hommes ont fait des progrès ; ils se sont améliorés dans tous les sens ; ils ont progressé en science et en moralité ; chacun d'eux sait aujourd'hui se conduire ; chacun d'eux sait ce qu'il doit à son créateur, à son prochain, à soi-même. Il faut donc aujourd'hui élargir les bases de l'enseignement ; ce que la loi de Moïse vous a appris ne suffit plus pour faire avancer l'humanité, et Dieu ne veut pas que vous restiez toujours au même point, car ce qui était bon il y a 5,000 ans ne l'est plus aujourd'hui. Lorsque vous voulez faire avancer vos enfants et leur donner une éducation un peu forte, les envoyez-vous toujours à la même école, où ils n'apprendraient que les mêmes choses ? non ; vous les envoyez à une école supérieure. Eh bien ! mes amis, les temps sont arrivés où Dieu veut que vous élargissiez le cadre de vos connaissances. Le Christ lui-même, quoiqu'il ait fait faire un pas en avant à la loi mosaïque, n'a pas tout dit, parce qu'il n'aurait pas été compris, mais il a jeté des semences qui devaient être recueillies et mises à profit par les générations futures. Dieu, dans sa bonté infinie, vous envoie aujourd'hui le Spiritisme dont toutes les bases sont dans la loi biblique et dans la loi évangélique, pour vous élever et vous apprendre à vous aimer les uns les autres. Oui, mes amis : la mission du Spiritisme est d'éteindre toutes les haines d'homme à homme, de nation à nation ; c'est l'aurore de la fraternité universelle qui se lève ; avec le Spiritisme seulement vous pouvez arriver à une paix générale et durable.
Levez-vous donc, peuples ! soyez debout ; car voilà Dieu, le créateur de toutes choses qui vous envoie les Esprits de vos parents pour vous ouvrir une nouvelle voie plus grande et plus large que celle que vous suivez encore. Oh ! mes amis, ne soyez pas les derniers à vous rendre à l'évidence, car Dieu appesantira sa main sur les incrédules et les endurcis qui devront disparaître de dessus la terre, afin qu'ils ne troublent pas le règne du bien qui se prépare. Croyez-en les avertissements de celui qui fut et qui est toujours votre parent et votre ami.
Que les Israélites prennent les devants ! Qu'ils arborent vivement et sans tarder la bannière que Dieu envoie aux hommes pour les rallier en une seule famille ; armez-vous de courage et de résolution ; n'hésitez pas ; ne vous laissez pas arrêter par les traînards qui voudraient vous retenir en vous parlant de sacrilèges. Non, mes amis, il n'y a pas de sacrilège, et plaignez ceux qui essaieraient de retarder votre marche par de pareils prétextes. Votre raison ne vous dit-elle pas qu'il n'y a rien d'immuable dans ce monde ? Dieu seul est immuable ; mais tout ce qu'il a créé doit suivre, et suit une marche progressive que rien ne peut arrêter, parce qu'elle est dans les desseins du Créateur. Tâchez donc d'empêcher que la terre ne tourne !
Les institutions qui étaient magnifiques il y a 5,000 ans sont vieilles aujourd'hui ; le but qu'elles étaient destinées à atteindre est dépassé ; elles ne peuvent pas plus suffire à la société actuelle que ce que l'on appelle en France l'ancien régime ne pourrait suffire à la France d'aujourd'hui. Un nouveau progrès se prépare, sans lequel toutes les autres améliorations sociales sont sans bases solides ; ce progrès, c'est la fraternité universelle dont le Christ a jeté les semences et qui germe dans le Spiritisme. Seriez-vous donc les derniers à entrer dans cette voie ? Ne voyez-vous pas que le vieux monde est dans un travail d'enfantement pour se renouveler ? Jetez les yeux sur la carte, je ne dis pas de l'Europe, mais du monde, et voyez si toutes les institutions surannées ne tombent pas une à une, et soyez assurés qu'elles ne se relèveront jamais. Pourquoi cela ? C'est que l'aurore de la liberté se lève et chasse les despotismes de toutes sortes, comme les premiers rayons du soleil chassent les ténèbres de la nuit. Les peuples sont las d'avoir été ennemis ; ils comprennent que leur bonheur est dans la fraternité, et ils veulent être libres, parce qu'ils ne peuvent s'améliorer et devenir frères qu'autant qu'ils seront libres. Ne reconnaissez-vous pas à la tête d'un grand peuple un homme éminent qui remplit une mission assignée par Dieu et prépare les voies ? N'entendez-vous pas les sombres craquements du vieux monde qui s'écroule pour faire place à l'ère nouvelle ? Bientôt vous verrez surgir à la chaire de Saint-Pierre un pontife qui proclamera les principes nouveaux, et cette croyance, devenue celle de tous les peuples, réunira toutes les sectes dissidentes en une seule et même famille. Soyez donc prêts ; arborez ; vous dis-je, le drapeau de cet enseignement si grand et si saint, afin de n'être pas les derniers.
Israélites de Bordeaux et de Bayonne, vous qui avez marché à la tête du progrès, levez-vous ; acclamez le Spiritisme, car c'est la loi du Seigneur, et bénissez-le de vous apporter les moyens d'arriver plus promptement au bonheur éternel qui est destiné à ses élus.
II
Mes amis,
Ne soyez pas surpris en lisant cette communication. Elle vient de moi, Edouard Pereyre, votre parent, votre ami, votre compatriote. C'est bien moi qui l'ai dictée à mon neveu Rodolphe, à qui je tiens la main pour la lui faire écrire suivant mon écriture. Je prends cette peine pour mieux vous convaincre, car c'est une fatigue pour le médium et pour moi, le médium devant suivre un mouvement contraire à celui qui lui est habituel.
Oui, mes amis, le Spiritisme est une nouvelle révélation, et comprenez la portée de ce mot dans toute son acception. C'est une révélation, puisqu'elle vous dévoile une nouvelle force de la nature que vous ne soupçonniez pas, et cependant elle est aussi ancienne que le monde ; elle était connue des hommes d'élite de notre histoire religieuse à l'époque de Moïse, et c'est par elle que vous avez reçu les premiers enseignements sur les devoirs de l'homme envers son créateur, mais elle ne donna que ce qui était alors compatible avec les hommes de cette époque.
Aujourd'hui que le progrès est fait ; que la lumière se répand dans les masses ; que la stupidité et l'ignorance des premiers âges commencent à faire place à la raison et au sens moral ; aujourd'hui que l'idée de Dieu est comprise de tous, ou tout au moins de l'immense majorité, il se fait une nouvelle révélation, et elle se produit simultanément chez tous les peuples instruits, en se modifiant toutefois selon le degré de leur avancement, et cette révélation vous dit que l'homme ne meurt pas, que l'âme survit au corps, et qu'elle habite l'espace parmi vous et à vos côtés.
Oui, mes amis ; consolez-vous quand vous perdez un être qui vous est cher, car vous ne perdez que son corps matériel ; mais son Esprit vit au milieu de vous pour vous guider, vous instruire et vous inspirer. Séchez vos larmes surtout s'il a été bon, charitable et sans orgueil, car alors il est heureux dans ce monde nouveau où toutes les religions se confondent dans une seule et même adoration, bannissant toutes les haines et toutes les jalousies de sectes. Aussi nous sommes heureux quand nous pouvons inspirer ces mêmes sentiments aux hommes que nous sommes chargés d'instruire, et notre plus grand bonheur est de vous voir rentrer dans la bonne voie, car alors vous ouvrez la porte par laquelle vous devez venir nous rejoindre. Demandez au médium quels sont les sublimes enseignements qu'il reçoit de son grand-père Mardochée ; s'il suit la route qui lui est tracée, il se prépare un avenir de bonheur ; mais aussi, s'il manquait à ses devoirs après un tel enseignement, il en subirait toute la responsabilité, et ce serait pour lui à recommencer jusqu'à ce qu'il ait convenablement rempli sa tâche.
Oui, mes amis, nous avons déjà vécu corporellement, et nous vivrons encore ; le bonheur dont nous jouissons n'est que relatif ; il y a des états bien supérieurs à celui où nous sommes et auxquels on n'arrive que par des incarnations successives et progressives dans d'autres mondes ; car ne croyez pas que de tous les globes de l'univers la terre soit le seul habité. Pauvre orgueil de l'homme qui croit que Dieu n'a créé tous les astres que pour réjouir sa vue ! Sachez donc que tous les mondes sont habités, et, parmi ces mondes, si vous saviez le rang qu'occupe la terre, vous n'auriez pas raison de vous en glorifier ! Si ce n'était pour remplir la mission qui nous est donnée de vous inspirer et de vous instruire, combien nous aimerions mieux aller visiter ces mondes et nous instruire nous-mêmes ! Mais notre devoir et nos affections nous attachent encore à la terre ; plus tard, lorsque nous céderons la place aux derniers venus, nous irons prendre d'autres existences dans des mondes meilleurs, nous purifiant ainsi par degrés jusqu'à ce que nous arrivions à Dieu, notre Créateur.
Voilà le Spiritisme ; voilà ce qu'il enseigne, et ceci est la vérité qu'aujourd'hui vous pouvez comprendre et qui doit vous aider à vous régénérer.
Comprenez bien que tous les hommes sont frères, qu'ils soient noirs ou blancs, riches on pauvres, musulmans, juifs ou chrétiens. Comme ils doivent, pour progresser, renaître plusieurs fois, selon la révélation qu'en a faite le Christ, Dieu permet que ceux que les liens du sang ou de l'amitié ont unis dans des existences antérieures se rencontrent de nouveau sur la terre sans se connaître, mais dans des positions relatives aux expiations qu'ils ont à subir pour leurs fautes passées ; de sorte que celui qui est votre serviteur peut avoir été votre maître dans une autre existence ; le malheureux à qui vous refusez assistance est peut-être un de vos ancêtres dont vous tirez vanité, ou un ami qui vous fut cher. Comprenez-vous maintenant la portée de ce commandement du Décalogue : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Voilà, mes amis, la révélation qui doit vous mener à la fraternité universelle quand elle sera comprise de tous. Voilà pourquoi vous ne devez pas rester immuables dans vos principes, mais suivre la marche du progrès tracé par Dieu sans jamais vous arrêter ; voilà pourquoi je vous ai exhortés à prendre en main le drapeau du Spiritisme. Oui, soyez Spirites, car c'est la loi de Dieu, et souvenez-vous que dans cette voie est le bonheur, parce que c'est celle qui conduit à la perfection. Je vous soutiendrai, moi et tous ceux que vous avez connus, qui, comme moi, agissent dans le même sens.
Que dans chaque famille on étudie le Spiritisme ; que dans chaque famille on forme des médiums afin de multiplier les interprètes de la volonté de Dieu ; ne vous laissez pas décourager par les entraves des premières épreuves : elles sont souvent entourées de difficultés et ne sont pas toujours sans danger, car il n'y a pas de récompense là où il n'y a pas un peu de peine. Vous pouvez tous acquérir cette faculté, mais avant d'essayer de l'obtenir, étudiez afin de vous prémunir contre les obstacles ; purifiez-vous de vos souillures ; amendez votre cœur et vos pensées, afin d'écarter de vous les mauvais Esprits ; priez surtout pour ceux qui cherchent à vous obséder, car c'est la prière qui les convertit et vous en délivre. Que l'expérience de vos devanciers vous profite et vous empêche de tomber dans les mêmes fautes !
Je continuerai mes instructions.
III
La religion israélite fut la première qui émit aux yeux des hommes l'idée d'un Dieu spirituel. Jusqu'alors les hommes adoraient : les uns le soleil, les autres la lune ; ici le feu, là les animaux ; mais l'idée de Dieu n'était représentée nulle part dans son essence spirituelle et immatérielle.
Moïse arriva ; il apportait une loi nouvelle qui renversait toutes les idées reçues avant cette époque. Il avait à lutter contre les prêtres égyptiens qui entretenaient les peuples dans l'ignorance la plus absolue, l'asservissement le plus abject ; et ces prêtres, qui retiraient de cet état de choses une puissance illimitée, ne pouvaient voir sans effroi la propagation d'une foi nouvelle, qui venait détruire l'échafaudage de leur puissance, et menaçait de les renverser. Cette foi apportait avec elle la lumière, l'intelligence et la liberté de penser ; c'était une révolution sociale et morale. Aussi les adeptes de cette foi, qui s'étaient recrutés parmi toutes les classes de l'Égypte, et non pas seulement parmi les descendants de Jacob, comme on l'a dit par erreur, étaient-ils persécutés, traqués, soumis aux plus dures vexations, et enfin chassés du pays, comme infestant la population d'idées subversives et antisociales. Il en est toujours ainsi, toutes les fois qu'un progrès paraît à l'horizon et éclate sur l'humanité ; les mêmes persécutions et les mêmes traitements accompagnent les novateurs qui jettent sur le sol de la nouvelle génération les germes féconds du progrès et de la morale ; parce que toute innovation progressive amenant la destruction de certains abus, a nécessairement pour ennemis tous ceux qui sont intéressés au maintien de ces abus.
Mais Dieu tout-puissant, qui conduit avec sa sagesse infinie les événements d'où doit jaillir le progrès, inspira Moïse ; il lui donna un pouvoir que n'avait eu aucun homme, et par le rayonnement de ce pouvoir dont les effets frappaient les yeux des plus incrédules, Moïse acquit une immense influence sur une population qui, se confiant aveuglément à sa destinée, accomplit un des miracles dont l'impression devait se perpétuer de générations en générations, comme un souvenir impérissable de la puissance de Dieu et de son prophète.
Le passage de la mer Rouge fut le premier acte de la délivrance de ce peuple ; mais son éducation était à faire ; il fallait le dompter par la force du raisonnement et par des miracles souvent renouvelés ; il fallait lui inculquer la foi et la morale ; il fallait lui apprendre à mettre sa force et sa confiance dans un Dieu créateur, être infini, immatériel, infiniment bon, infiniment juste, et les quarante années d'épreuves qu'il passa dans le désert au milieu des privations, des souffrances, et des vicissitudes de toutes sortes, les exemples d'insubordination qui furent si sévèrement réprimés, par une justice providentielle, tout cela contribua à développer en lui la foi dans cet être tout-puissant dont chaque jour il éprouvait tantôt la main bienfaisante, tantôt la main sévère qui punit celui qui le brave.
Sur le mont Sinaï eut lieu cette première révélation, cet éclatant mystère qui étonna le monde, le subjugua, et répandit sur la terre les premiers bienfaits d'une morale qui délivrait l'Esprit des étreintes de la chair et d'un despotisme abrutissant ; qui plaçait l'homme au-dessus de la sphère des animaux, et qui en faisait un être supérieur, capable de s'élever par le progrès à la suprême intelligence.
Les premiers pas de ce peuple qui avait confié sa destinée à l'homme de Dieu furent entravés par des guerres dont l'effet devait être le germe fécond d'un renouvellement social parmi les peuplades qu'il combattait. Le judaïsme devenait le foyer de la lumière, de l'intelligence et de la liberté, et il rayonnait d'un éclat brillant sur toutes les nations voisines, dont il provoquait l'hostilité et la haine. Ce résultat immédiat était dans les desseins de Dieu, sans cela le progrès eût été trop lent ; et en même temps que ces guerres fécondaient les germes du progrès, elles étaient un enseignement pour les Juifs, dont elles ranimaient la foi.
Ce peuple, tiré de chez un autre peuple, qui s'était confié sans réflexion à la conduite d'un homme qui l'avait étonné par une puissance miraculeuse, ce peuple avait donc une mission, c'était un peuple prédestiné.
Ce n'est pas sans raison qu'on l'a dit : il remplissait une mission dont il ne se rendait pas compte, ni lui, ni les autres peuples ; il allait en aveugle, exécutant sans les comprendre les desseins de la Providence. Cette mission aride fut remplie de fiel et d'amertume ; ces apôtres souffrirent toutes les avanies possibles, ils furent persécutés, poursuivis, lapidés et dispersés, et partout ils apportaient avec eux cette foi vive et intelligente, cette confiance en leur Dieu dont ils avaient mesuré la puissance, éprouvé la bonté et dont ils acceptaient les épreuves qui devaient apporter sur l'humanité les bienfaits de la civilisation.
Voilà ces apôtres obscurs, bafoués, méprisés ; voilà les premiers pionniers de la liberté ; ont-ils assez souffert depuis leur sortie d'Egypte jusqu'à nos jours ?
L'heure de leur réhabilitation ne tardera pas à sonner pour eux, et un jour qui n'est pas éloigné saluera ces premiers soldats de la civilisation moderne avec reconnaissance et vénération, et on rendra justice aux descendants de ces anciennes familles qui, inébranlables dans leur foi, l'ont apportée en dot dans toutes les nations où Dieu permit qu'ils fussent dispersés.
Lorsque Jésus-Christ parut, c'était encore un envoyé de Dieu ; c'était un nouvel astre qui apparaissait sur la terre comme Moïse dont il reprenait la mission pour la continuer, la développer et l'approprier au progrès accompli, et lui-même était destiné à subir cette mort ignominieuse dont les Juifs avaient préparé les voies, amené les circonstances, et dont le crime fut commis par les Romains. Mais cessez donc de considérer l'histoire des peuples et des hommes comme vous l'avez considérée jusqu'à ce jour. Dans votre orgueil, vous vous imaginez que ce sont eux qui amènent les événements qui changent la face du monde, et vous oubliez qu'il y a un Dieu dans l'univers, qui régit cette admirable harmonie et dont vous subissez la loi, en croyant l'imposer vous-même. Regardez donc l'histoire de l'humanité d'un point plus élevé ; embrassez un horizon plus vaste, et remarquez que tout suit un système unique ; la loi du progrès dans chaque siècle, et non pas chaque jour, vous fait faire un pas.
Jésus-Christ fut donc la seconde phase, la seconde révélation, et ses enseignements ont mis dix-huit siècles à se répandre, à se vulgariser ; jugez par là si le progrès est lent, et ce que devaient être les hommes quand Moïse apporta au monde étonné l'idée d'un Dieu tout-puissant, infini et immatériel, dont la puissance se rendait visible pour ce peuple à qui sa mission apporta tant d'épines et de ronces. Le progrès ne s'effectue donc pas sans peine ; c'est à ses dépens, c'est par ses souffrances et ses cruelles vicissitudes que l'humanité apprend le but de sa destinée et la puissance de celui auquel elle doit d'exister.
Le christianisme fut donc le résultat de la seconde révélation. Mais cette doctrine dont le Christ avait apporté et développé la sublime morale, l'a-t-on comprise dans son admirable simplicité ? et comment la pratiquent la plupart de ceux qui la professent ? Ne l'a-t-on jamais fait dévier de son but ? N'en a-t-on jamais abusé pour la faire servir d'instrument au despotisme, à l'ambition et à la cupidité ? En un mot, tous ceux qui se disent chrétiens le sont-ils selon le fondateur ? Non ; voilà pourquoi eux aussi devaient passer par l'alambic du malheur qui purifie tout. L'histoire de christianisme est trop moderne pour en raconter toutes les péripéties ; mais enfin le but est près d'être atteint, et l'aurore nouvelle va se lever, qui, par des moyens différents, va vous faire marcher d'un pas plus rapide dans cette voie où vous avez mis six mille ans pour arriver.
Le Spiritisme est l'avènement d'une ère qui verra se réaliser cette révolution dans les idées des peuples ; car le Spiritisme détruira ces préventions incomprises, ces préjugés sans cause qui ont accompagné et suivi les Juifs dans leur long et pénible pèlerinage ; on comprendra qu'ils subissaient une destinée providentielle, dont ils étaient les instruments, tout comme ceux qui les poursuivaient de leur haine le faisaient poussés par la même puissance, dont les secrets desseins devaient s'accomplir par des voies mystérieuses et ignorées.
Oui, le Spiritisme est la troisième révélation ; il se révèle à une génération d'hommes plus avancés, ayant de plus nobles aspirations, aspirations généreuses et humanitaires qui doivent concourir à la fraternité universelle. Voilà le nouveau but assigné par Dieu à vos efforts, mais ce résultat, comme ceux atteints jusqu'à ce jour, ne s'obtiendra pas sans douleurs et sans souffrances. Que ceux qui se sentent le courage d'en être les apôtres se lèvent, qu'ils élèvent la voix, qu'ils parlent haut et clair, qu'ils exposent leurs doctrines, qu'ils attaquent les abus, et qu'ils montrent leur but. Ce but n'est point un éclatant mirage que vous poursuivez en vain ; ce but est réel, vous l'atteindrez à l'époque assignée par Dieu. Elle est peut-être éloignée, mais elle est là, assignée ; ne craignez pas, allez, apôtres du progrès, marchez hardiment, le front haut et le cœur résigné. Vous avez pour soutien une doctrine pure, exempte de tout mystère, faisant appel aux plus belles vertus de l'âme, et offrant cette certitude consolante que l'âme ne meurt jamais, qu'elle survit à la mort et aux supplices.
Voilà, mes amis, le but dévoilé. Quels seront les apôtres, direz-vous, et à quoi les reconnaîtrons-nous ? Dieu se charge de vous les faire connaître par les missions qui leur seront confiées et qu'ils accompliront. Vous les reconnaîtrez à leurs œuvres, mais non pas aux qualités qu'ils s'attribueront. Ceux qui reçoivent des missions d'en haut les remplissent, mais ne s'en glorifient pas ; car Dieu choisit les humbles pour répandre sa parole, et non les ambitieux et les orgueilleux. A ces signes vous reconnaîtrez les faux prophètes.
Edouard Pereyre.
A tous ceux que j'ai connus.
I
Mes amis,
Soyez Spirites, je vous en conjure tous. Le Spiritisme est la loi de Dieu : c'est la loi de Moïse appliquée à l'époque actuelle. Lorsque Moïse donna la loi aux enfants d'Israël, il la fit telle que Dieu la lui donna, et Dieu l'appropria aux hommes de ce temps-là ; mais depuis les hommes ont fait des progrès ; ils se sont améliorés dans tous les sens ; ils ont progressé en science et en moralité ; chacun d'eux sait aujourd'hui se conduire ; chacun d'eux sait ce qu'il doit à son créateur, à son prochain, à soi-même. Il faut donc aujourd'hui élargir les bases de l'enseignement ; ce que la loi de Moïse vous a appris ne suffit plus pour faire avancer l'humanité, et Dieu ne veut pas que vous restiez toujours au même point, car ce qui était bon il y a 5,000 ans ne l'est plus aujourd'hui. Lorsque vous voulez faire avancer vos enfants et leur donner une éducation un peu forte, les envoyez-vous toujours à la même école, où ils n'apprendraient que les mêmes choses ? non ; vous les envoyez à une école supérieure. Eh bien ! mes amis, les temps sont arrivés où Dieu veut que vous élargissiez le cadre de vos connaissances. Le Christ lui-même, quoiqu'il ait fait faire un pas en avant à la loi mosaïque, n'a pas tout dit, parce qu'il n'aurait pas été compris, mais il a jeté des semences qui devaient être recueillies et mises à profit par les générations futures. Dieu, dans sa bonté infinie, vous envoie aujourd'hui le Spiritisme dont toutes les bases sont dans la loi biblique et dans la loi évangélique, pour vous élever et vous apprendre à vous aimer les uns les autres. Oui, mes amis : la mission du Spiritisme est d'éteindre toutes les haines d'homme à homme, de nation à nation ; c'est l'aurore de la fraternité universelle qui se lève ; avec le Spiritisme seulement vous pouvez arriver à une paix générale et durable.
Levez-vous donc, peuples ! soyez debout ; car voilà Dieu, le créateur de toutes choses qui vous envoie les Esprits de vos parents pour vous ouvrir une nouvelle voie plus grande et plus large que celle que vous suivez encore. Oh ! mes amis, ne soyez pas les derniers à vous rendre à l'évidence, car Dieu appesantira sa main sur les incrédules et les endurcis qui devront disparaître de dessus la terre, afin qu'ils ne troublent pas le règne du bien qui se prépare. Croyez-en les avertissements de celui qui fut et qui est toujours votre parent et votre ami.
Que les Israélites prennent les devants ! Qu'ils arborent vivement et sans tarder la bannière que Dieu envoie aux hommes pour les rallier en une seule famille ; armez-vous de courage et de résolution ; n'hésitez pas ; ne vous laissez pas arrêter par les traînards qui voudraient vous retenir en vous parlant de sacrilèges. Non, mes amis, il n'y a pas de sacrilège, et plaignez ceux qui essaieraient de retarder votre marche par de pareils prétextes. Votre raison ne vous dit-elle pas qu'il n'y a rien d'immuable dans ce monde ? Dieu seul est immuable ; mais tout ce qu'il a créé doit suivre, et suit une marche progressive que rien ne peut arrêter, parce qu'elle est dans les desseins du Créateur. Tâchez donc d'empêcher que la terre ne tourne !
Les institutions qui étaient magnifiques il y a 5,000 ans sont vieilles aujourd'hui ; le but qu'elles étaient destinées à atteindre est dépassé ; elles ne peuvent pas plus suffire à la société actuelle que ce que l'on appelle en France l'ancien régime ne pourrait suffire à la France d'aujourd'hui. Un nouveau progrès se prépare, sans lequel toutes les autres améliorations sociales sont sans bases solides ; ce progrès, c'est la fraternité universelle dont le Christ a jeté les semences et qui germe dans le Spiritisme. Seriez-vous donc les derniers à entrer dans cette voie ? Ne voyez-vous pas que le vieux monde est dans un travail d'enfantement pour se renouveler ? Jetez les yeux sur la carte, je ne dis pas de l'Europe, mais du monde, et voyez si toutes les institutions surannées ne tombent pas une à une, et soyez assurés qu'elles ne se relèveront jamais. Pourquoi cela ? C'est que l'aurore de la liberté se lève et chasse les despotismes de toutes sortes, comme les premiers rayons du soleil chassent les ténèbres de la nuit. Les peuples sont las d'avoir été ennemis ; ils comprennent que leur bonheur est dans la fraternité, et ils veulent être libres, parce qu'ils ne peuvent s'améliorer et devenir frères qu'autant qu'ils seront libres. Ne reconnaissez-vous pas à la tête d'un grand peuple un homme éminent qui remplit une mission assignée par Dieu et prépare les voies ? N'entendez-vous pas les sombres craquements du vieux monde qui s'écroule pour faire place à l'ère nouvelle ? Bientôt vous verrez surgir à la chaire de Saint-Pierre un pontife qui proclamera les principes nouveaux, et cette croyance, devenue celle de tous les peuples, réunira toutes les sectes dissidentes en une seule et même famille. Soyez donc prêts ; arborez ; vous dis-je, le drapeau de cet enseignement si grand et si saint, afin de n'être pas les derniers.
Israélites de Bordeaux et de Bayonne, vous qui avez marché à la tête du progrès, levez-vous ; acclamez le Spiritisme, car c'est la loi du Seigneur, et bénissez-le de vous apporter les moyens d'arriver plus promptement au bonheur éternel qui est destiné à ses élus.
II
Mes amis,
Ne soyez pas surpris en lisant cette communication. Elle vient de moi, Edouard Pereyre, votre parent, votre ami, votre compatriote. C'est bien moi qui l'ai dictée à mon neveu Rodolphe, à qui je tiens la main pour la lui faire écrire suivant mon écriture. Je prends cette peine pour mieux vous convaincre, car c'est une fatigue pour le médium et pour moi, le médium devant suivre un mouvement contraire à celui qui lui est habituel.
Oui, mes amis, le Spiritisme est une nouvelle révélation, et comprenez la portée de ce mot dans toute son acception. C'est une révélation, puisqu'elle vous dévoile une nouvelle force de la nature que vous ne soupçonniez pas, et cependant elle est aussi ancienne que le monde ; elle était connue des hommes d'élite de notre histoire religieuse à l'époque de Moïse, et c'est par elle que vous avez reçu les premiers enseignements sur les devoirs de l'homme envers son créateur, mais elle ne donna que ce qui était alors compatible avec les hommes de cette époque.
Aujourd'hui que le progrès est fait ; que la lumière se répand dans les masses ; que la stupidité et l'ignorance des premiers âges commencent à faire place à la raison et au sens moral ; aujourd'hui que l'idée de Dieu est comprise de tous, ou tout au moins de l'immense majorité, il se fait une nouvelle révélation, et elle se produit simultanément chez tous les peuples instruits, en se modifiant toutefois selon le degré de leur avancement, et cette révélation vous dit que l'homme ne meurt pas, que l'âme survit au corps, et qu'elle habite l'espace parmi vous et à vos côtés.
Oui, mes amis ; consolez-vous quand vous perdez un être qui vous est cher, car vous ne perdez que son corps matériel ; mais son Esprit vit au milieu de vous pour vous guider, vous instruire et vous inspirer. Séchez vos larmes surtout s'il a été bon, charitable et sans orgueil, car alors il est heureux dans ce monde nouveau où toutes les religions se confondent dans une seule et même adoration, bannissant toutes les haines et toutes les jalousies de sectes. Aussi nous sommes heureux quand nous pouvons inspirer ces mêmes sentiments aux hommes que nous sommes chargés d'instruire, et notre plus grand bonheur est de vous voir rentrer dans la bonne voie, car alors vous ouvrez la porte par laquelle vous devez venir nous rejoindre. Demandez au médium quels sont les sublimes enseignements qu'il reçoit de son grand-père Mardochée ; s'il suit la route qui lui est tracée, il se prépare un avenir de bonheur ; mais aussi, s'il manquait à ses devoirs après un tel enseignement, il en subirait toute la responsabilité, et ce serait pour lui à recommencer jusqu'à ce qu'il ait convenablement rempli sa tâche.
Oui, mes amis, nous avons déjà vécu corporellement, et nous vivrons encore ; le bonheur dont nous jouissons n'est que relatif ; il y a des états bien supérieurs à celui où nous sommes et auxquels on n'arrive que par des incarnations successives et progressives dans d'autres mondes ; car ne croyez pas que de tous les globes de l'univers la terre soit le seul habité. Pauvre orgueil de l'homme qui croit que Dieu n'a créé tous les astres que pour réjouir sa vue ! Sachez donc que tous les mondes sont habités, et, parmi ces mondes, si vous saviez le rang qu'occupe la terre, vous n'auriez pas raison de vous en glorifier ! Si ce n'était pour remplir la mission qui nous est donnée de vous inspirer et de vous instruire, combien nous aimerions mieux aller visiter ces mondes et nous instruire nous-mêmes ! Mais notre devoir et nos affections nous attachent encore à la terre ; plus tard, lorsque nous céderons la place aux derniers venus, nous irons prendre d'autres existences dans des mondes meilleurs, nous purifiant ainsi par degrés jusqu'à ce que nous arrivions à Dieu, notre Créateur.
Voilà le Spiritisme ; voilà ce qu'il enseigne, et ceci est la vérité qu'aujourd'hui vous pouvez comprendre et qui doit vous aider à vous régénérer.
Comprenez bien que tous les hommes sont frères, qu'ils soient noirs ou blancs, riches on pauvres, musulmans, juifs ou chrétiens. Comme ils doivent, pour progresser, renaître plusieurs fois, selon la révélation qu'en a faite le Christ, Dieu permet que ceux que les liens du sang ou de l'amitié ont unis dans des existences antérieures se rencontrent de nouveau sur la terre sans se connaître, mais dans des positions relatives aux expiations qu'ils ont à subir pour leurs fautes passées ; de sorte que celui qui est votre serviteur peut avoir été votre maître dans une autre existence ; le malheureux à qui vous refusez assistance est peut-être un de vos ancêtres dont vous tirez vanité, ou un ami qui vous fut cher. Comprenez-vous maintenant la portée de ce commandement du Décalogue : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Voilà, mes amis, la révélation qui doit vous mener à la fraternité universelle quand elle sera comprise de tous. Voilà pourquoi vous ne devez pas rester immuables dans vos principes, mais suivre la marche du progrès tracé par Dieu sans jamais vous arrêter ; voilà pourquoi je vous ai exhortés à prendre en main le drapeau du Spiritisme. Oui, soyez Spirites, car c'est la loi de Dieu, et souvenez-vous que dans cette voie est le bonheur, parce que c'est celle qui conduit à la perfection. Je vous soutiendrai, moi et tous ceux que vous avez connus, qui, comme moi, agissent dans le même sens.
Que dans chaque famille on étudie le Spiritisme ; que dans chaque famille on forme des médiums afin de multiplier les interprètes de la volonté de Dieu ; ne vous laissez pas décourager par les entraves des premières épreuves : elles sont souvent entourées de difficultés et ne sont pas toujours sans danger, car il n'y a pas de récompense là où il n'y a pas un peu de peine. Vous pouvez tous acquérir cette faculté, mais avant d'essayer de l'obtenir, étudiez afin de vous prémunir contre les obstacles ; purifiez-vous de vos souillures ; amendez votre cœur et vos pensées, afin d'écarter de vous les mauvais Esprits ; priez surtout pour ceux qui cherchent à vous obséder, car c'est la prière qui les convertit et vous en délivre. Que l'expérience de vos devanciers vous profite et vous empêche de tomber dans les mêmes fautes !
Je continuerai mes instructions.
III
La religion israélite fut la première qui émit aux yeux des hommes l'idée d'un Dieu spirituel. Jusqu'alors les hommes adoraient : les uns le soleil, les autres la lune ; ici le feu, là les animaux ; mais l'idée de Dieu n'était représentée nulle part dans son essence spirituelle et immatérielle.
Moïse arriva ; il apportait une loi nouvelle qui renversait toutes les idées reçues avant cette époque. Il avait à lutter contre les prêtres égyptiens qui entretenaient les peuples dans l'ignorance la plus absolue, l'asservissement le plus abject ; et ces prêtres, qui retiraient de cet état de choses une puissance illimitée, ne pouvaient voir sans effroi la propagation d'une foi nouvelle, qui venait détruire l'échafaudage de leur puissance, et menaçait de les renverser. Cette foi apportait avec elle la lumière, l'intelligence et la liberté de penser ; c'était une révolution sociale et morale. Aussi les adeptes de cette foi, qui s'étaient recrutés parmi toutes les classes de l'Égypte, et non pas seulement parmi les descendants de Jacob, comme on l'a dit par erreur, étaient-ils persécutés, traqués, soumis aux plus dures vexations, et enfin chassés du pays, comme infestant la population d'idées subversives et antisociales. Il en est toujours ainsi, toutes les fois qu'un progrès paraît à l'horizon et éclate sur l'humanité ; les mêmes persécutions et les mêmes traitements accompagnent les novateurs qui jettent sur le sol de la nouvelle génération les germes féconds du progrès et de la morale ; parce que toute innovation progressive amenant la destruction de certains abus, a nécessairement pour ennemis tous ceux qui sont intéressés au maintien de ces abus.
Mais Dieu tout-puissant, qui conduit avec sa sagesse infinie les événements d'où doit jaillir le progrès, inspira Moïse ; il lui donna un pouvoir que n'avait eu aucun homme, et par le rayonnement de ce pouvoir dont les effets frappaient les yeux des plus incrédules, Moïse acquit une immense influence sur une population qui, se confiant aveuglément à sa destinée, accomplit un des miracles dont l'impression devait se perpétuer de générations en générations, comme un souvenir impérissable de la puissance de Dieu et de son prophète.
Le passage de la mer Rouge fut le premier acte de la délivrance de ce peuple ; mais son éducation était à faire ; il fallait le dompter par la force du raisonnement et par des miracles souvent renouvelés ; il fallait lui inculquer la foi et la morale ; il fallait lui apprendre à mettre sa force et sa confiance dans un Dieu créateur, être infini, immatériel, infiniment bon, infiniment juste, et les quarante années d'épreuves qu'il passa dans le désert au milieu des privations, des souffrances, et des vicissitudes de toutes sortes, les exemples d'insubordination qui furent si sévèrement réprimés, par une justice providentielle, tout cela contribua à développer en lui la foi dans cet être tout-puissant dont chaque jour il éprouvait tantôt la main bienfaisante, tantôt la main sévère qui punit celui qui le brave.
Sur le mont Sinaï eut lieu cette première révélation, cet éclatant mystère qui étonna le monde, le subjugua, et répandit sur la terre les premiers bienfaits d'une morale qui délivrait l'Esprit des étreintes de la chair et d'un despotisme abrutissant ; qui plaçait l'homme au-dessus de la sphère des animaux, et qui en faisait un être supérieur, capable de s'élever par le progrès à la suprême intelligence.
Les premiers pas de ce peuple qui avait confié sa destinée à l'homme de Dieu furent entravés par des guerres dont l'effet devait être le germe fécond d'un renouvellement social parmi les peuplades qu'il combattait. Le judaïsme devenait le foyer de la lumière, de l'intelligence et de la liberté, et il rayonnait d'un éclat brillant sur toutes les nations voisines, dont il provoquait l'hostilité et la haine. Ce résultat immédiat était dans les desseins de Dieu, sans cela le progrès eût été trop lent ; et en même temps que ces guerres fécondaient les germes du progrès, elles étaient un enseignement pour les Juifs, dont elles ranimaient la foi.
Ce peuple, tiré de chez un autre peuple, qui s'était confié sans réflexion à la conduite d'un homme qui l'avait étonné par une puissance miraculeuse, ce peuple avait donc une mission, c'était un peuple prédestiné.
Ce n'est pas sans raison qu'on l'a dit : il remplissait une mission dont il ne se rendait pas compte, ni lui, ni les autres peuples ; il allait en aveugle, exécutant sans les comprendre les desseins de la Providence. Cette mission aride fut remplie de fiel et d'amertume ; ces apôtres souffrirent toutes les avanies possibles, ils furent persécutés, poursuivis, lapidés et dispersés, et partout ils apportaient avec eux cette foi vive et intelligente, cette confiance en leur Dieu dont ils avaient mesuré la puissance, éprouvé la bonté et dont ils acceptaient les épreuves qui devaient apporter sur l'humanité les bienfaits de la civilisation.
Voilà ces apôtres obscurs, bafoués, méprisés ; voilà les premiers pionniers de la liberté ; ont-ils assez souffert depuis leur sortie d'Egypte jusqu'à nos jours ?
L'heure de leur réhabilitation ne tardera pas à sonner pour eux, et un jour qui n'est pas éloigné saluera ces premiers soldats de la civilisation moderne avec reconnaissance et vénération, et on rendra justice aux descendants de ces anciennes familles qui, inébranlables dans leur foi, l'ont apportée en dot dans toutes les nations où Dieu permit qu'ils fussent dispersés.
Lorsque Jésus-Christ parut, c'était encore un envoyé de Dieu ; c'était un nouvel astre qui apparaissait sur la terre comme Moïse dont il reprenait la mission pour la continuer, la développer et l'approprier au progrès accompli, et lui-même était destiné à subir cette mort ignominieuse dont les Juifs avaient préparé les voies, amené les circonstances, et dont le crime fut commis par les Romains. Mais cessez donc de considérer l'histoire des peuples et des hommes comme vous l'avez considérée jusqu'à ce jour. Dans votre orgueil, vous vous imaginez que ce sont eux qui amènent les événements qui changent la face du monde, et vous oubliez qu'il y a un Dieu dans l'univers, qui régit cette admirable harmonie et dont vous subissez la loi, en croyant l'imposer vous-même. Regardez donc l'histoire de l'humanité d'un point plus élevé ; embrassez un horizon plus vaste, et remarquez que tout suit un système unique ; la loi du progrès dans chaque siècle, et non pas chaque jour, vous fait faire un pas.
Jésus-Christ fut donc la seconde phase, la seconde révélation, et ses enseignements ont mis dix-huit siècles à se répandre, à se vulgariser ; jugez par là si le progrès est lent, et ce que devaient être les hommes quand Moïse apporta au monde étonné l'idée d'un Dieu tout-puissant, infini et immatériel, dont la puissance se rendait visible pour ce peuple à qui sa mission apporta tant d'épines et de ronces. Le progrès ne s'effectue donc pas sans peine ; c'est à ses dépens, c'est par ses souffrances et ses cruelles vicissitudes que l'humanité apprend le but de sa destinée et la puissance de celui auquel elle doit d'exister.
Le christianisme fut donc le résultat de la seconde révélation. Mais cette doctrine dont le Christ avait apporté et développé la sublime morale, l'a-t-on comprise dans son admirable simplicité ? et comment la pratiquent la plupart de ceux qui la professent ? Ne l'a-t-on jamais fait dévier de son but ? N'en a-t-on jamais abusé pour la faire servir d'instrument au despotisme, à l'ambition et à la cupidité ? En un mot, tous ceux qui se disent chrétiens le sont-ils selon le fondateur ? Non ; voilà pourquoi eux aussi devaient passer par l'alambic du malheur qui purifie tout. L'histoire de christianisme est trop moderne pour en raconter toutes les péripéties ; mais enfin le but est près d'être atteint, et l'aurore nouvelle va se lever, qui, par des moyens différents, va vous faire marcher d'un pas plus rapide dans cette voie où vous avez mis six mille ans pour arriver.
Le Spiritisme est l'avènement d'une ère qui verra se réaliser cette révolution dans les idées des peuples ; car le Spiritisme détruira ces préventions incomprises, ces préjugés sans cause qui ont accompagné et suivi les Juifs dans leur long et pénible pèlerinage ; on comprendra qu'ils subissaient une destinée providentielle, dont ils étaient les instruments, tout comme ceux qui les poursuivaient de leur haine le faisaient poussés par la même puissance, dont les secrets desseins devaient s'accomplir par des voies mystérieuses et ignorées.
Oui, le Spiritisme est la troisième révélation ; il se révèle à une génération d'hommes plus avancés, ayant de plus nobles aspirations, aspirations généreuses et humanitaires qui doivent concourir à la fraternité universelle. Voilà le nouveau but assigné par Dieu à vos efforts, mais ce résultat, comme ceux atteints jusqu'à ce jour, ne s'obtiendra pas sans douleurs et sans souffrances. Que ceux qui se sentent le courage d'en être les apôtres se lèvent, qu'ils élèvent la voix, qu'ils parlent haut et clair, qu'ils exposent leurs doctrines, qu'ils attaquent les abus, et qu'ils montrent leur but. Ce but n'est point un éclatant mirage que vous poursuivez en vain ; ce but est réel, vous l'atteindrez à l'époque assignée par Dieu. Elle est peut-être éloignée, mais elle est là, assignée ; ne craignez pas, allez, apôtres du progrès, marchez hardiment, le front haut et le cœur résigné. Vous avez pour soutien une doctrine pure, exempte de tout mystère, faisant appel aux plus belles vertus de l'âme, et offrant cette certitude consolante que l'âme ne meurt jamais, qu'elle survit à la mort et aux supplices.
Voilà, mes amis, le but dévoilé. Quels seront les apôtres, direz-vous, et à quoi les reconnaîtrons-nous ? Dieu se charge de vous les faire connaître par les missions qui leur seront confiées et qu'ils accompliront. Vous les reconnaîtrez à leurs œuvres, mais non pas aux qualités qu'ils s'attribueront. Ceux qui reçoivent des missions d'en haut les remplissent, mais ne s'en glorifient pas ; car Dieu choisit les humbles pour répandre sa parole, et non les ambitieux et les orgueilleux. A ces signes vous reconnaîtrez les faux prophètes.
Edouard Pereyre.
Variétés - Un canard
Un journal, nous ne savons de quel pays, a publié il y a quelque temps, et d'autres l'ont répété, à ce qu'il paraît, qu'une conférence solennelle devait avoir lieu sur le Spiritisme entre MM. Home, Marcillet, Squire, Delaage, Sardou, Allan Kardec, etc., etc. Ceux de nos lecteurs qui pourraient en avoir entendu parler sont informés que tout ce qui est imprimé n'étant pas parole d'évangile, fût-ce même dans un journal, c'est tout simplement un canard accommodé au très gros sel, et à l'assaisonnement duquel on a oublié de mettre une chose, c'est de l'esprit. Nous ne serions pas surpris de voir un jour publier les décisions de ce congrès, et même citer les paroles qui y auraient été prononcées. Cela n'en coûtera pas davantage, et, faute de mieux, cela remplira les colonnes du journal.
Allan Kardec.