REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1866

Allan Kardec

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REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1866



Janvier

Les femmes ont-elles une âme ?

Les femmes ont-elles une âme ? On sait que la chose n'a pas toujours été tenue pour certaine, puisqu'elle fut, dit-on, mise en délibération dans un concile. La négation est encore un principe de foi chez certains peuples. On sait à quel degré d'avilissement cette croyance les a réduites dans la plupart des contrées de l'Orient. Bien qu'aujourd'hui, chez les peuples civilisés, la question soit résolue en leur faveur, le préjugé de leur infériorité morale s'est perpétué au point qu'un écrivain du siècle dernier, dont le nom ne nous revient pas en mémoire, définissait ainsi la femme : « Instrument des plaisirs de l'homme, » définition plus musulmane que chrétienne. De ce préjugé est née leur infériorité légale, qui n'est point encore effacée de nos codes. Longtemps elles acceptèrent cet asservissement comme une chose naturelle, tant est puissant l'empire de l'habitude. Il en est ainsi de ceux qui, voués au servage de père en fils, finissent par se croire d'une autre nature que leurs seigneurs.

Cependant le progrès des lumières a relevé la femme dans l'opinion ; elle s'est mainte fois affirmée par l'intelligence et le génie, et la loi, quoique la considérant encore comme mineure, a peu à peu relâché les liens de la tutelle. On peut la considérer comme émancipée moralement, si elle ne l'est légalement ; c'est ce dernier résultat auquel elle arrivera un jour par la force des choses.

On lisait dernièrement dans les journaux qu'une jeune demoiselle de vingt ans venait de soutenir avec un plein succès l'examen du baccalauréat, devant la faculté de Montpellier. C'est, disait-on, le quatrième diplôme de bachelier concédé à une femme. Il n'y a pas encore bien longtemps la question fut agitée de savoir si le grade de bachelier pouvait être conféré à une femme. Bien que cela parût à quelques-uns une monstrueuse anomalie, on reconnut que les règlements sur la matière ne faisant pas mention des femmes, elles ne se trouvaient pas exclues légalement. Après avoir reconnu qu'elles ont une âme, on leur reconnaît le droit de conquérir les grades de la science, c'est déjà quelque chose. Mais leur affranchissement partiel n'est que le résultat du développement de l'urbanité, de l'adoucissement des mœurs, ou, si l'on veut, d'un sentiment plus exact de la justice ; c'est une sorte de concession qu'on leur fait, et, il faut bien le dire, qu'on leur marchande le plus possible.

La mise en doute de l'âme de la femme serait aujourd'hui ridicule, mais une question bien autrement sérieuse se présente ici, et dont la solution peut seule établir si l'égalité de position sociale entre l'homme et la femme est de droit naturel, ou si c'est une concession faite par l'homme. Remarquons en passant que si cette égalité n'est qu'un octroi de l'homme par condescendance, ce qu'il donne aujourd'hui, il peut le retirer demain, et qu'ayant pour lui la force matérielle, sauf quelques exceptions individuelles, en masse il aura toujours le dessus ; tandis que si cette égalité est dans la nature, sa reconnaissance est un résultat du progrès, et une fois reconnue, elle est imprescriptible.

Dieu a-t-il créé des âmes mâles et des âmes femelles, et a-t-il fait celles-ci inférieures aux autres ? Là est toute la question. S'il en est ainsi, l'infériorité de la femme est dans les décrets divins, et aucune loi humaine ne saurait y contrevenir. Les a-t-il, au contraire, créées égales et semblables, les inégalités fondées par l'ignorance et la force brutale, disparaîtront avec le progrès et le règne de la justice.

L'homme livré à lui-même ne pouvait établir à ce sujet que des hypothèses plus ou moins rationnelles, mais toujours controversables ; rien, dans le monde visible, ne pouvait lui donner la preuve matérielle de l'erreur ou de la vérité de ses opinions. Pour s'éclairer, il fallait remonter à la source, fouiller dans les arcanes du monde extracorporel qu'il ne connaissait pas. Il était réservé au Spiritisme de trancher la question, non plus par des raisonnements, mais par les faits, soit par les révélations d'outre-tombe, soit par l'étude qu'il est à même de faire journellement sur l'état des âmes après la mort. Et, chose capitale, ces études ne sont le fait ni d'un seul homme, ni des révélations d'un seul Esprit, mais le produit d'innombrables observations identiques faites journellement par des milliers d'individus, dans tous les pays, et qui ont ainsi reçu la sanction puissante du contrôle universel, sur lequel s'appuient toutes les doctrines de la science spirite. Or, voici ce qui résulte de ces observations.

Les âmes ou Esprits n'ont point de sexe. Les affections qui les unissent n'ont rien de charnel, et, par cela même, sont plus durables, parce qu'elles sont fondées sur une sympathie réelle, et ne sont point subordonnées aux vicissitudes de la matière.

Les âmes s'incarnent, c'est-à-dire revêtent temporairement une enveloppe charnelle semblable pour elles à un lourd vêtement dont la mort les débarrasse. Cette enveloppe matérielle les mettant en rapport avec le monde matériel, dans cet état elles concourent au progrès matériel du monde qu'elles habitent ; l'activité qu'elles sont obligées de déployer, soit pour la conservation de la vie, soit pour s'y procurer le bien-être, aide à leur avancement intellectuel et moral. A chaque incarnation l'âme arrive plus développée ; elle apporte de nouvelles idées et les connaissances acquises dans les existences antérieures ; ainsi s'effectue le progrès des peuples ; les hommes civilisés d'aujourd'hui sont les mêmes qui ont vécu au moyen âge et dans les temps de barbarie, et qui ont progressé ; ceux qui vivront dans les siècles futurs seront ceux d'aujourd'hui, mais encore plus avancés intellectuellement et moralement.

Les sexes n'existent que dans l'organisme ; ils sont nécessaires à la reproduction des êtres matériels ; mais les Esprits, étant la création de Dieu, ne se reproduisent pas les uns par les autres, c'est pour cela que les sexes seraient inutiles dans le monde spirituel.

Les Esprits progressent par les travaux qu'ils accomplissent et les épreuves qu'ils ont à subir, comme l'ouvrier se perfectionne dans son art par le travail qu'il fait. Ces épreuves et ces travaux varient selon leur position sociale. Les Esprits devant progresser en tout et acquérir toutes les connaissances, chacun est appelé à concourir aux divers travaux et à subir les différents genres d'épreuves ; c'est pour cela qu'ils renaissent alternativement riches ou pauvres, maîtres ou serviteurs, ouvriers de la pensée ou de la matière.

Ainsi se trouve fondée, sur les lois mêmes de la nature, le principe de l'égalité, puisque le grand de la veille peut être le petit du lendemain et réciproquement. De ce principe découle celui de la fraternité, puisque, dans nos rapports sociaux, nous retrouvons d'anciennes connaissances, et que dans le malheureux qui nous tend la main peut se trouver un parent ou un ami.

C'est dans le même but que les Esprits s'incarnent dans les différents sexes ; tel qui a été homme pourra renaître femme, et tel qui a été femme pourra renaître homme, afin d'accomplir les devoirs de chacune de ces positions, et d'en subir les épreuves.

La nature a fait le sexe féminin plus faible que l'autre, parce que les devoirs qui lui incombent n'exigent pas une égale force musculaire, et seraient même incompatibles avec la rudesse masculine. Chez lui la délicatesse des formes et la finesse des sensations sont admirablement appropriées aux soins de la maternité. Aux hommes et aux femmes sont donc dévolus des devoirs spéciaux, également importants dans l'ordre des choses ; ce sont deux éléments qui se complètent l'un par l'autre.

L'Esprit incarné subissant l'influence de l'organisme, son caractère se modifie selon les circonstances et se plie aux nécessités et aux besoins que lui impose ce même organisme. Cette influence ne s'efface pas immédiatement après la destruction de l'enveloppe matérielle, de même qu'il ne perd pas instantanément les goûts et les habitudes terrestres ; puis il peut arriver que l'Esprit parcoure une série d'existences dans le même sexe, ce qui fait que pendant longtemps il peut conserver, à l'état d'Esprit, le caractère d'homme ou de femme dont l'empreinte est restée en lui. Ce n'est qu'arrivé à un certain degré d'avancement et de dématérialisation que l'influence de la matière s'efface complètement, et avec elle le caractère des sexes. Ceux qui se présentent à nous comme hommes ou comme femmes, c'est pour rappeler l'existence dans laquelle nous les avons connus.

Si cette influence se répercute de la vie corporelle à la vie spirituelle, il en est de même lorsque l'Esprit passe de la vie spirituelle à la vie corporelle. Dans une nouvelle incarnation, il apportera le caractère et les inclinations qu'il avait comme Esprit ; s'il est avancé, il fera un homme avancé ; s'il est arriéré, il fera un homme arriéré. En changeant de sexe, il pourra donc, sous cette impression et dans sa nouvelle incarnation, conserver les goûts, les penchants et le caractère inhérents au sexe qu'il vient de quitter. Ainsi s'expliquent certaines anomalies apparentes que l'on remarque dans le caractère de certains hommes et de certaines femmes.

Il n'existe donc de différence entre l'homme et la femme que dans l'organisme matériel qui s'anéantit à la mort du corps ; mais quant à l'Esprit, à l'âme, à l'être essentiel, impérissable, il n'en existe pas puisqu'il n'y a pas deux espèces d'âmes ; ainsi l'a voulu Dieu, dans sa justice, pour toutes ses créatures ; en donnant à toutes un même principe, il a fondé la véritable égalité ; l'inégalité n'existe que temporairement dans le degré d'avancement ; mais toutes ont droit à la même destinée, à laquelle chacune arrive par son travail, car Dieu n'en a favorisé aucune aux dépens des autres.

La doctrine matérialiste place la femme dans une infériorité naturelle dont elle n'est relevée que par le bon vouloir de l'homme. En effet, selon cette doctrine, l'âme n'existe pas, ou, si elle existe, elle s'éteint avec la vie ou se perd dans le tout universel, ce qui revient au même. Il ne reste donc à la femme que sa faiblesse corporelle qui la place sous la dépendance du plus fort. La supériorité de quelques-unes n'est qu'une exception, une bizarrerie de la nature, un jeu des organes, et ne saurait faire loi. La doctrine spiritualiste vulgaire reconnaît bien l'existence de l'âme individuelle et immortelle, mais elle est impuissante à prouver qu'il n'existe pas une différence entre celle de l'homme et celle de la femme, et partant une supériorité naturelle de l'une sur l'autre.

Avec la doctrine spirite, l'égalité de la femme n'est plus une simple théorie spéculative ; ce n'est plus une concession de la force à la faiblesse, c'est un droit fondé sur les lois mêmes de la nature. En faisant connaître ces lois, le Spiritisme ouvre l'ère de l'émancipation légale de la femme, comme il ouvre celle de l'égalité et de la fraternité.

Considérations sur la prière dans le Spiritisme

Chacun est libre d'envisager les choses à sa manière, et nous, qui réclamons cette liberté pour nous, nous ne pouvons la refuser aux autres. Mais, de ce qu'une opinion est libre, il ne s'ensuit pas qu'on ne puisse la discuter, en examiner le fort et le faible, en peser les avantages ou les inconvénients.

Nous disons ceci, à propos de la négation de l'utilité de la prière, que quelques personnes voudraient ériger en système, pour en faire le drapeau d'une école dissidente. Cette opinion peut se résumer ainsi :

« Dieu a établi des lois éternelles auxquelles tous les êtres sont soumis ; nous ne pouvons rien lui demander, et nous n'avons à le remercier d'aucune faveur spéciale, donc il est inutile de le prier.

Le sort des Esprits est tracé, il est donc inutile de prier pour eux. Ils ne peuvent changer l'ordre immuable des choses, donc il est inutile de les prier.

Le Spiritisme est une science purement philosophique ; non seulement ce n'est point une religion, mais il ne doit avoir aucun caractère religieux. Toute prière dite dans les réunions tend à maintenir la superstition et la bigoterie. »

La question de la prière a été depuis assez longtemps discutée pour qu'il soit inutile de répéter ici ce que l'on sait à ce sujet. Si le Spiritisme en proclame l'utilité, ce n'est point par esprit de système, mais parce que l'observation a permis d'en constater l'efficacité et le mode d'action. Dès lors que, par les lois fluidiques, nous comprenons la puissance de la pensée, nous comprenons aussi celle de la prière, qui est elle-même une pensée dirigée vers un but déterminé.

Pour quelques personnes, le mot prière ne réveille qu'une idée de demande ; c'est une grave erreur. A l'égard de la Divinité c'est un acte d'adoration, d'humilité et de soumission auquel on ne peut se réfuter sans méconnaître la puissance et la bonté du Créateur. Dénier la prière à Dieu, c'est reconnaître Dieu comme un fait, mais c'est refuser de lui rendre hommage ; c'est encore là une révolte de l'orgueil humain.

A l'égard des Esprits, qui ne sont autres que les âmes de nos frères, la prière est une identification de pensées, un témoignage de sympathie ; la repousser, c'est repousser le souvenir des êtres qui nous sont chers, car ce souvenir sympathique et bienveillant est lui-même une prière. On sait d'ailleurs que ceux qui souffrent la réclament avec insistance comme un allégement à leur peines ; s'ils la demandent, c'est donc qu'ils en ont besoin ; la leur refuser, c'est refuser le verre d'eau au malheureux qui a soif.

Outre l'action purement morale, le Spiritisme nous montre, dans la prière, un effet en quelque sorte matériel, résultant de la transmission fluidique. Son efficacité, dans certaines maladies, est constatée par l'expérience, comme elle est démontrée par la théorie. Rejeter la prière c'est donc se priver d'un puissant auxiliaire pour le soulagement des maux corporels.

Voyons maintenant quel serait le résultat de cette doctrine, et si elle a quelque chance de prévaloir.

Tous les peuples prient, depuis les sauvages jusqu'aux hommes civilisés ; ils y sont portés par instinct, et c'est ce qui les distingue des animaux. Sans doute ils prient d'une manière plus ou moins rationnelle, mais enfin ils prient. Ceux qui, par ignorance ou présomption, ne pratiquent pas la prière, forment, dans le monde, une infime minorité.

La prière est donc un besoin universel, indépendant des sectes et des nationalités. Après la prière, si l'on est faible, on se sent plus fort ; si l'on est triste, on se sent consolé ; ôter la prière, c'est priver l'homme de son plus puissant soutien moral dans l'adversité. Par la prière il élève son âme, il entre en communion avec Dieu, il s'identifie avec le monde spirituel, il se dématérialise, condition essentielle de son bonheur futur ; sans la prière, ses pensées restent sur la terre, s'attachent de plus en plus aux choses matérielles ; de là un retard dans son avancement.

En contestant un dogme, on ne se met en opposition qu'avec la secte qui le professe ; en déniant l'efficacité de la prière, on froisse le sentiment intime de la presque unanimité des hommes. Le Spiritisme doit les nombreuses sympathies qu'il rencontre aux aspirations du cœur, et dans lesquelles les consolations que l'on puise dans la prière entrent pour une large part. Une secte qui se fonderait sur la négation de la prière, se priverait du principal élément de succès, la sympathie générale, parce qu'au lieu de réchauffer l'âme, elle la glacerait ; au lieu de l'élever, elle la rabaisserait. Si le Spiritisme doit gagner en influence, c'est en augmentant la somme des satisfactions morales qu'il procure. Que ceux qui veulent à tout prix du nouveau dans le Spiritisme, pour attacher leur nom à un drapeau, s'efforcent de donner plus que lui ; mais ce n'est pas en donnant moins qu'ils le supplanteront. L'arbre dépouillé de ses fruits savoureux et nourrissants sera toujours moins attrayant que celui qui en est paré. C'est en vertu du même principe que nous avons toujours dit aux adversaires du Spiritisme : Le seul moyen de le tuer, c'est de donner quelque chose de mieux, de plus consolant, qui explique plus et qui satisfasse davantage. C'est ce que personne n'a encore fait.

On peut donc considérer le rejet de la prière, de la part de quelques croyants aux manifestations spirites, comme une opinion isolée qui peut rallier quelques individualités, mais qui ne ralliera jamais la majorité. Ce serait à tort qu'on imputerait cette doctrine au Spiritisme, puisqu'il enseigne positivement le contraire.

Dans les réunions spirites, la prière prédispose au recueillement, à la gravité, condition indispensable, comme on le sait, pour les communications sérieuses. Est-ce à dire qu'il faille les transformer en assemblées religieuses ? En aucune façon ; le sentiment religieux n'est pas synonyme de religionnaire ; on doit même éviter ce qui pourrait donner aux réunions ce dernier caractère. C'est dans ce but que nous y avons constamment désapprouvé les prières et les symboles liturgiques d'un culte quelconque. Il ne faut pas oublier que le Spiritisme doit tendre au rapprochement des diverses communions ; déjà il n'est pas rare de voir dans ces réunions fraterniser des représentants de différents cultes, c'est pourquoi aucun ne doit s'y arroger la suprématie. Que chacun en son particulier prie comme il l'entend, c'est un droit de conscience ; mais dans une assemblée fondée sur le principe de la charité, on doit s'abstenir de tout ce qui pourrait blesser des susceptibilités, et tendre à maintenir un antagonisme que l'on doit au contraire s'efforcer de faire disparaître. Des prières spéciales au Spiritisme ne constituent point un culte distinct, dès l'instant qu'elles ne sont pas imposées et que chacun est libre de dire celles qui lui conviennent ; mais elles ont l'avantage de servir pour tout le monde et de ne froisser personne.

Le même principe de tolérance et de respect pour les convictions d'autrui nous fait dire que toute personne raisonnable qu'une circonstance amène dans le temple d'un culte dont il ne partage pas les croyances doit s'abstenir de tout signe extérieur qui pourrait scandaliser les assistants ; qu'elle doit, au besoin même, sacrifier à des usages de pure forme qui ne peuvent en rien engager sa conscience. Que Dieu soit adoré dans un temple d'une manière plus ou moins logique, ce n'est pas un motif pour froisser ceux qui trouvent cette manière bonne.

Le spiritisme donnant à l'homme une certaine somme de satisfactions et prouvant un certain nombre de vérités, nous avons dit qu'il ne pourrait être remplacé que par quelque chose qui donnerait plus et prouverait mieux que lui. Voyons si cela est possible. Ce qui fait la principale autorité de la doctrine, c'est qu'il n'est pas un seul de ses principes qui soit le produit d'une idée préconçue ou d'une opinion personnelle ; tous, sans exception, sont le résultat de l'observation des faits ; c'est par les faits seuls que le Spiritisme est arrivé à connaître la situation et les attributions des Esprits, ainsi que les lois, ou mieux une partie des lois qui régissent leurs rapports avec le monde visible ; ceci est un point capital. En continuant à nous appuyer sur l'observation, nous faisons de la philosophie expérimentale et non spéculative. Pour combattre les théories du Spiritisme, il ne suffit donc pas de dire qu'elles sont fausses : il faudrait leur opposer des faits dont elles seraient impuissantes à donner la solution. Et dans ce cas même il se tiendra toujours au niveau, parce qu'il serait contraire à son essence de s'obstiner dans une idée fausse, et qu'il s'efforcera toujours de combler les lacunes qu'il peut présenter, n'ayant pas la prétention d'être arrivé à l'apogée de la vérité absolue. Cette manière d'envisager le Spiritisme n'est pas nouvelle ; on peut la voir de tous temps formulée dans nos ouvrages. Dès lors que le Spiritisme ne se déclare ni stationnaire ni immuable, il s'assimilera toutes les vérités qui seront démontrées, de quelque part quelles viennent, fût-ce de celle de ses antagonistes, et ne restera jamais en arrière du progrès réel. Il s'assimilera ces vérités, disons-nous, mais alors seulement qu'elles seront clairement démontrées, et non parce qu'il plaisait à quelqu'un de donner pour telles, ou ses désirs personnels ou les produits de son imagination. Ce point établi, le Spiritisme ne pourrait perdre que s'il se laissait distancer par une doctrine qui donnerait plus que lui ; il n'a rien à craindre de celles qui donneraient moins et en retrancheraient ce qui fait sa force et sa principale attraction.

Si le Spiritisme n'a pas encore tout dit, il est cependant une certaine somme de vérités acquises à l'observation et qui constituent l'opinion de l'immense majorité des adeptes ; et si ces vérités sont aujourd'hui passées à l'état d'articles de foi, pour nous servir d'une expression employée ironiquement par quelques-uns, ce n'est ni par nous, ni par personne, ni même par nos Esprits instructeurs qu'elles ont été ainsi posées et encore moins imposées, mais par l'adhésion de tout le monde, chacun étant à même de les constater.

Si donc une secte se formait en opposition avec les idées consacrées par l'expérience et généralement admises en principe, elle ne saurait conquérir les sympathies de la majorité, dont elle froisserait les convictions. Son existence éphémère s'éteindrait avec son fondateur, peut-être même avant, ou tout au moins avec les quelques adeptes qu'elle aurait pu rassembler. Supposons le Spiritisme partagé en dix, en vingt sectes, celle qui aura la suprématie et le plus de vitalité sera naturellement celle qui donnera la plus grande somme de satisfactions morales, qui comblera le plus grand nombre de vides de l'âme, qui sera fondée sur les preuves les plus positives, et qui se mettra le mieux à l'unisson de l'opinion générale.

Or le Spiritisme, prenant le point de départ de tous ses principes dans l'observation des faits, ne peut être renversé par une théorie ; se tenant constamment au niveau des idées progressives, il ne pourra être dépassé ; s'appuyant sur le sentiment de la majorité, il satisfait les aspirations du plus grand nombre ; fondé sur ces bases, il est impérissable, car là est sa force.

Là aussi est la cause de l'insuccès des tentatives faites pour se mettre à la traverse ; en fait de Spiritisme, il est des idées profondément antipathiques à l'opinion générale et que celle-ci repousse instinctivement ; bâtir sur ces idées, comme point d'appui, un édifice ou des espérances quelconques, c'est s'accrocher maladroitement à des branches cassées ; voilà où en sont réduits ceux qui, n'ayant pu renverser le Spiritisme par la force, essayent de le renverser par lui-même.

Nécrologie

Mort de M. Didier, libraire-éditeur

Le Spiritisme vient de perdre un de ses adeptes les plus sincères et les plus dévoués dans la personne de M. Didier, mort le samedi 2 décembre 1865. Il était membre de la Société Spirite de Paris depuis sa fondation, en 1858, et, comme on le sait, l'éditeur de nos ouvrages sur la doctrine. La veille il assistait à la séance de la Société, et le lendemain, à six heures du soir, il mourait subitement dans un bureau d'omnibus, à quelques pas de chez lui, où, fort heureusement, se trouvait un de ses amis qui put le faire transporter à son domicile. Ses obsèques ont eu lieu le mardi 5 décembre.

Le Petit Journal, en annonçant sa mort, ajoute : « Dans ces derniers temps, M. Didier avait édité M. Allan Kardec, et était devenu, par politesse d'éditeur, ou par conviction, un adepte du Spiritisme. »

Nous ne pensons pas que la plus exquise politesse fasse à un éditeur l'obligation d'épouser les opinions de ses clients, ni qu'il soit tenu de se faire juif, par exemple, parce qu'il éditerait les ouvrages d'un rabbin. De telles restrictions ne sont pas dignes d'un écrivain sérieux. Le Spiritisme est une croyance comme une autre qui compte plus d'un libraire dans ses rangs ; pourquoi serait-il plus étrange qu'un libraire fût spirite que d'être catholique, protestant, juif, saint-simonien, fouriériste ou matérialiste ? Quand donc messieurs les libres penseurs admettront-ils la liberté de conscience pour tout le monde ? Auraient-ils, par hasard, la singulière prétention d'exploiter l'intolérance à leur profit, après l'avoir combattue chez les autres ? Les opinions spirites de M. Didier étaient connues, et jamais il n'en a fait mystère, car il rompait souvent des lances avec les incrédules. C'était chez lui une conviction profonde et de vieille date, et non, comme le suppose l'auteur de l'article, une question de circonstance ou une politesse d'éditeur ; mais il est si difficile à ces messieurs, pour qui la doctrine spirite est tout entière dans l'armoire des frères Davenport, de convenir qu'un homme d'une valeur intellectuelle notoire croie aux Esprits ! Il faudra pourtant bien qu'ils s'accoutument à cette idée, car il y en a plus qu'ils ne supposent, ce dont ils ne tarderont pas à avoir la preuve.

Le Grand Journal en rend compte en ces termes :

« Mort aussi, M. Didier, éditeur qui a publié beaucoup de beaux et bons livres, dans sa modeste boutique du quai des Grands-Augustins. En ces derniers temps, M. Didier était un adepte, ‑ et ce qui vaut mieux encore, ‑ un éditeur fervent des livres spirites. Le pauvre homme doit savoir maintenant à quoi s'en tenir sur les doctrines de M. Allan Kardec. »

Il est triste de voir que la mort n'est pas même respectée de messieurs les incrédules, et qu'ils poursuivent de leurs railleries les adeptes les plus honorables jusqu'au-delà de la tombe. Ce que M. Didier pensait de la doctrine de son vivant ? Un fait lui prouvait l'impuissance des attaques dont elle est l'objet, c'est qu'au moment de sa mort il faisait imprimer la 14° édition du Livre des Esprits. Ce qu'il en pense maintenant ? c'est qu'il y aura de grands désappointements et plus d'une défection parmi ses antagonistes.

Ce que nous pourrions dire en cette circonstance se trouve résumé dans l'allocution suivante, prononcée à la Société de Paris, dans sa séance du 8 décembre.

Messieurs et chers collègues,

Encore un des nôtres qui vient de partir pour la céleste patrie ! Notre collègue, M. Didier, a laissé sur la terre sa dépouille mortelle pour revêtir l'enveloppe des Esprits.

Quoique depuis longtemps sa santé chancelante ait mis plusieurs fois sa vie en danger, et quoique l'idée de la mort n'ait rien d'effrayant pour nous, Spirites, sa fin arrivée aussi inopinément, le lendemain du jour où il assistait à notre séance, a causé parmi nous tous une profonde émotion.

Il y a dans cette mort, pour ainsi dire foudroyante, un grand enseignement, ou mieux un grand avertissement : c'est que notre vie tient à un fil qui peut se rompre au moment où nous nous y attendons le moins, car bien souvent la mort frappe sans dire gare ! Elle avertit ainsi les survivants de se tenir toujours prêts à répondre à l'appel du Seigneur pour rendre compte de l'emploi de la vie qu'il nous a donnée.

Bien que M. Didier ne prît pas une part personnelle très active aux travaux de la Société, où il prenait assez rarement la parole, il n'en était pas moins un des membres les plus considérables par son ancienneté, comme membre fondateur, par son assiduité, et surtout par sa position, son influence et les incontestables services qu'il a rendus à la cause du Spiritisme, comme propagateur et comme éditeur. Les rapports que j'ai eus avec lui pendant sept ans m'ont mis à même d'apprécier sa droiture, sa loyauté et ses capacités spéciales. Il avait sans doute, comme chacun de nous, ses petits travers qui ne plaisaient pas à tout le monde, parfois même une brusquerie avec laquelle il fallait se familiariser, mais qui n'ôtait rien à ses éminentes qualité, et le plus bel éloge qu'on en puisse faire, c'est de dire qu'en affaires on pouvait aller avec lui les yeux fermés.

Commerçant, il devait envisager les choses commercialement, mais il ne le faisait point avec petitesse et parcimonie ; il était grand, large, sans lésinerie dans ses opérations ; l'appât du gain ne lui eût point fait entreprendre une publication qui ne lui aurait pas convenu, quelque avantageuse qu'elle pût être. En un mot, M. Didier n'était point le marchand de livres calculant sou à sou son profit, mais l'éditeur intelligent, juste appréciateur, consciencieux et prudent, tel qu'il le fallait pour fonder une maison sérieuse comme la sienne. Ses relations avec le monde savant, dont il était aimé et estimé, avaient développé ses idées et contribué à donner à sa librairie académique le caractère grave qui en a fait une maison de premier ordre, moins par le chiffre des affaires que par la spécialité des ouvrages qu'elle exploitait, et la considération commerciale dont elle jouissait depuis longues années à juste titre.

En ce qui me concerne, je me félicite de l'avoir rencontré sur ma route, ce que je dois sans doute à l'assistance des bons Esprits, et c'est en toute sincérité que je dis que le Spiritisme perd en lui un appui, et moi un éditeur d'autant plus précieux qu'entrant parfaitement dans l'esprit de la doctrine, il éprouvait à la propager une véritable satisfaction.

Quelques personnes ont été surprises que je n'aie pas pris la parole à son enterrement ; les motifs de mon abstention sont très simples.

Je dirai d'abord que la famille ne m'en ayant point exprimé le désir, je ne savais si cela lui serait agréable ou non. Le Spiritisme, qui reproche à d'autres de s'imposer, ne doit pas encourir le même reproche ; il ne s'impose jamais : il attend qu'on vienne à lui.

Je prévoyais, en outre, que l'assistance serait nombreuse, et que dans le nombre se trouveraient beaucoup de personnes peu sympathiques ou même hostiles à nos croyances ; outre qu'il eût été peu convenable de venir en ce moment solennel froisser publiquement des convictions contraires, cela pouvait fournir à nos adversaires un prétexte à de nouvelles agressions. Par ce temps de controverse, c'eût été peut-être une occasion de faire connaître ce qu'est la doctrine ; mais n'aurait-ce pas été oublier le pieux motif qui nous rassemblait ? manquer au respect dû à la mémoire de celui que nous venions saluer à son départ ? Était-ce sur une tombe entrouverte qu'il convenait de relever le gant qu'on nous jette ? Vous conviendrez, messieurs, que le moment eût été mal choisi. Le Spiritisme gagnera toujours plus à la stricte observation des convenances qu'il ne perdra à laisser échapper une occasion de se montrer. Il sait qu'il n'a pas besoin de violence ; il vise au cœur : ses moyens de séduction sont la douceur, la consolation et l'espérance ; c'est pour cela qu'il trouve des complices jusque dans les rangs ennemis. Sa modération et son esprit conciliant nous mettent en relief par le contraste ; ne perdons pas ce précieux avantage. Cherchons les cœurs affligés, les âmes tourmentées par le doute : le nombre en est grand ; ce seront là nos plus utiles auxiliaires ; avec eux nous ferons plus de prosélytes qu'avec la réclame et la mise en scène.

J'aurais pu, sans doute, me renfermer dans des généralités et faire abstraction du Spiritisme ; mais de ma part cette réticence aurait pu être interprétée comme une crainte ou une sorte de désaveu de nos principes. En pareille circonstance je ne puis que parler carrément ou me taire ; c'est ce dernier parti que j'ai pris. S'il s'était agi d'un discours ordinaire et sur un sujet banal, il en eût été autrement ; mais ici ce que j'aurais pu dire devait avoir un caractère spécial.

J'aurais pu encore me borner à la prière qui se trouve dans l'Évangile selon le Spiritisme pour ceux qui viennent de quitter la terre, et qui produit toujours en pareil cas une sensation profonde ; mais ici se présentait un autre inconvénient. L'ecclésiastique qui a accompagné le corps au cimetière est resté jusqu'à la fin de la cérémonie, contrairement aux habitudes ordinaires ; il a écouté avec une attention soutenue le discours de M. Flammarion, et peut-être s'attendait-il, en raison des opinions bien connues de M. Didier et de ses rapports avec les Spirites, à quelque manifestation plus explicite. Après les prières qu'il venait de dire, et qui, dans son âme et conscience sont suffisantes, venir en sa présence en dire d'autres qui sont toute une profession de foi, un résumé de principes qui ne sont pas les siens, cela aurait eu l'air d'une bravade qui n'est pas dans l'esprit du Spiritisme. Peut-être quelques personnes n'eussent-elles pas été fâchées de voir l'effet du conflit tacite qui pouvait en résulter : c'est ce que les simples convenances me commandaient d'éviter. Les prières que chacun de nous a dites en particulier et que nous pouvons dire entre nous, seront tout aussi profitables à M. Didier, s'il en a besoin, que si elles l'eussent été avec ostentation.

Croyez bien, messieurs, que j'ai autant que qui que ce soit à cœur les intérêts de la doctrine, et que lorsque je fais ou ne fais pas une chose, c'est avec mûre réflexion et après en avoir pesé les conséquences.

Notre collègue, madame R… est venue de la part de quelques assistants me solliciter de prendre la parole. Des personnes qu'elle ne connaissait pas, a-t-elle ajouté, venaient de lui dire qu'elles étaient venues tout exprès jusqu'au cimetière dans l'espoir de m'entendre ; c'était flatteur sans doute pour moi, mais, de la part de ces personnes, c'était se méprendre étrangement sur mon caractère de penser qu'un stimulant d'amour-propre pût m'exciter à parler pour satisfaire la curiosité de ceux qui étaient venus par un autre motif que celui de rendre hommage à la mémoire de M. Didier. Ces personnes ignorent, sans doute, que s'il me répugne de m'imposer, je n'aime pas davantage à poser. C'est ce que madame R… aurait pu leur répondre, en ajoutant qu'elle me connaissait et m'estimait assez pour être certaine que le désir de me mettre en évidence n'aurait aucune influence sur moi.

Dans d'autres circonstances, messieurs, je me serais fait un devoir, j'aurais été heureux de rendre à notre collègue un témoignage public d'affection au nom de la Société, représentée à ses obsèques par un grand nombrede ses membres ; mais comme les sentiments sont plus dans le cœur que dans la démonstration, chacun de nous, sans doute, le lui avait déjà rendu dans son for intérieur ; en ce moment où nous sommes rassemblés, payons-lui entre nous le tribut de regrets, d'estime et de sympathie qu'il mérite, et espérons qu'il voudra bien revenir parmi nous comme par le passé, et continuer, comme Esprit, la tâche spirite qu'il avait entreprise comme homme.



Correspondance

Lettre de M Jaubert

« Je vous prie, mon cher monsieur Kardec, d'insérer la lettre suivante dans le plus prochain numéro de votre Revue. Je suis certes bien peu de chose, mais enfin j'ai mon appréciation, et je l'impose à votre modestie. D'un autre côté, quand la bataille se livre, je tiens à prouver que je suis toujours sous le drapeau avec mes épaulettes de laine.

Jaubert. »

Sans l'obligation qui nous en est faite, en termes si précis, on comprendra les motifs qui nous auraient empêché de publier cette lettre ; nous nous serions contenté de la conserver comme un honorable et précieux témoignage, et de l'ajouter aux nombreuses causes de satisfaction morale qui viennent nous soutenir et nous encourager dans notre rude labeur, et compenser les tribulations inséparables de notre tâche. Mais, d'un autre côté, la question personnelle mise à part, en ce temps de déchaînement contre le Spiritisme, les exemples du courage de l'opinion sont d'autant plus influents qu'ils partent de plus haut. Il est utile que la voix des hommes de cœur, de ceux qui, par leur caractère, leurs lumières et leur position commandent le respect et la confiance, se fasse entendre ; et si elle ne peut dominer les clameurs, de telles protestations ne sont perdues ni pour le présent ni pour l'avenir.



Carcassonne, 12 décembre 1865.

Monsieur et cher Maître,

Je ne veux pas laisser mourir l'année 1865 sans lui rendre grâce pour tout le bien qu'elle a fait au Spiritisme. Nous lui devons la Pluralité des existences de l'âme, par André Pezzani ; la Pluralité des mondes habités, par Camille Flammarion : deux jumeaux qui naissent à peine et marchent à si grands pas dans le monde philosophique.

Nous lui devons un livre, petit par ses pages, grand par ses pensées ; la simplicité nerveuse de son style le dispute à la sévérité de sa logique. Il contient en germe la théologie de l'avenir ; il a le calme de la force, et la force de la vérité. Je voudrais que le volume ayant pour titre : Ciel et Enfer, fût édité à des millions d'exemplaires. Pardonnez-moi cet éloge : j'ai trop vécu pour être enthousiaste, et j'abhorre la flatterie.

L'année 1865 nous donne Spirite, nouvelle fantastique. La littérature se décide à faire invasion dans notre domaine. L'auteur n'a pas tiré du Spiritisme tous les enseignements qu'il renferme. Il met en saillie l'idée capitale, essentielle : la démonstration de l'âme immortelle par les phénomènes. Les tableaux du peintre m'ont paru ravissants ; je ne puis résister au plaisir d'une citation.

« Spirite, l'amante ignorée, sur la terre, de Guy de Malivert, vient de mourir. Elle décrit elle-même ses premières sensations.

L'instinct de la nature luttait encore contre la destruction ; mais bientôt cette lutte inutile cessa, et, dans un faible soupir, mon âme s'exhala de mes lèvres.

Des mots humains ne peuvent rendre la sensation d'une âme qui, délivrée de sa prison corporelle, passe de cette vie dans l'autre, du temps dans l'éternité, et du fini dans l'infini. Mon corps immobile et déjà revêtu de cette blancheur mate, livrée de la mort, gisait sur sa couche funèbre, entouré des religieuses en prières, et j'en étais aussi détachée que le papillon peut l'être de sa chrysalide, coque vide, dépouille informe, pour ouvrir ses jeunes ailes à la lumière inconnue et soudainement révélée. A une intermittence d'ombre profonde avait succédé un éblouissement de splendeur, un élargissement d'horizon, une disparition de toute limite et de tout obstacle qui m'enivraient d'une joie indicible. Des explosions de sens nouveaux me faisaient comprendre les mystères impénétrables à la pensée et aux organes terrestres. Débarrassée de cet argile soumise aux lois de la pesanteur, qui m'alourdissait naguère encore, je m'élançais avec une célérité folle dans l'insondable éther. Les distances n'existaient plus pour moi, et mon simple désir me rendait présente où je voulais être. Je traçais de grands cercles, d'un vol plus rapide que la lumière, à travers l'azur vague des espaces, comme pour prendre possession de l'immensité, me croisant avec des essaims d'âmes et d'Esprits. »

Et la toile se déroule toujours plus splendide ; j'ignore si, au fond de l'âme, M. Théophile Gautier est Spirite ; mais à coup sûr il sert aux matérialistes, aux incroyants le breuvage salutaire dans des coupes d'or magnifiquement ciselées.

Je bénis encore l'année 1865 pour les grosses colères qu'elle renfermait dans ses flancs. Personne ne s'y trompe : les frères Davenport sont moins la cause que le prétexte de la croisade. Soldats de tous uniformes ont pointé contre nous leurs canons rayés. Qu'ont-ils donc prouvé ? La force et la résistance de la citadelle assiégée. Je connais un journal du Midi très répandu, très estimé, et à bon droit, qui, depuis bien longtemps, enterre le Spiritisme pauvrement une fois par mois ; d'où la conséquence que le Spiritisme ressuscite au moins douze fois par an. Vous verrez qu'ils le rendront immortel à force de le tuer.

Je n'ai plus maintenant que mes souhaits de bonne année ; mes premiers vœux sont pour vous, monsieur et cher maître, pour votre bonheur, pour votre œuvre si vaillamment entreprise et si dignement poursuivie.

Je fais des vœux pour l'union intime de tous les Spirites. J'ai vu avec douleur quelques légers nuages tomber dans notre horizon. Qui nous aimera si nous ne savons nous aimer ? Comme vous le dites très bien dans le dernier numéro de votre Revue : « Quiconque croit à l'existence et à la survivance des âmes, et à la possibilité des relations entre les hommes et le monde spirituel, est Spirite. » Que cette définition reste, et sur ce terrain solide nous serons toujours d'accord. Et maintenant, si des détails de doctrine, même importants, parfois nous divisent, discutons-les, non pas en fratricides, mais en hommes qui n'ont qu'un but : le triomphe de la raison, et par la raison la recherche du vrai et du beau, le progrès de la science, le bonheur de l'humanité.

Restent mes vœux les plus ardents, les plus sincères ; je les adresse à tous ceux qui se disent nos ennemis : que Dieu les éclaire !

Adieu, monsieur ; recevez pour vous et pour tous nos frères de Paris la nouvelle assurance de mes sentiments affectueux et de ma considération distinguée.

T. Jaubert,

Vice-président du Tribunal.



Tout commentaire sur cette lettre serait superflu ; nous n'ajouterons qu'un mot, c'est que des hommes comme M. Jaubert honorent le drapeau qu'ils portent. Son appréciation si judicieuse sur l'ouvrage de M. Théophile Gautier nous dispense du compte rendu que nous nous proposions d'en faire ce mois-ci ; nous en reparlerons dans le prochain numéro.

La jeune cataleptique de Souabe

Étude psychologique

Sous le titre de Seconde vue, plusieurs journaux ont reproduit le fait suivant, entre autres la Patrie du 26 et l'Evénement du 28 novembre.

« On attend à Paris la prochaine arrivée d'une jeune fille, originaire de la Souabe, dont l'état mental présente des phénomènes qui laissent bien loin les jongleries des frères Davenport et autres Spirites.

Agée de seize ans et demi, Louise B… demeure chez ses parents, propriétaires cultivateurs au lieu dit le Bondru (Seine-et-Marne), où ils se sont établis après avoir quitté l'Allemagne.

A la suite d'un violent chagrin, causé par la mort de sa sœur, Louise est tombée dans un sommeil léthargique qui s'est prolongé pendant cinquante-six heures. Après ce laps de temps elle s'est éveillée, non à la vie réelle et normale, mais à une existence étrange qui se résume dans les phénomènes suivants :

Louise a subitement perdu sa vivacité et sa gaieté, sans souffrir cependant, mais en prenant possession d'une sorte de béatitude qui s'allie au calme le plus profond. Pendant toute la durée du jour, elle reste immobile sur une chaise, ne répondant que par monosyllabes aux questions qui lui sont adressées. Le soir venu, elle tombe dans un état cataleptique, caractérisé par la rigidité des membres et la fixité du regard.

En ce moment, les facultés et les sens de la jeune fille acquièrent une sensibilité et une portée qui dépassent les limites assignées à la puissance humaine. Elle possède non seulement le don de seconde vue, mais encore celui de seconde ouïe, c'est-à-dire qu'elle entend les paroles proférées près d'elle, et qu'elle entend celles qui sont émises dans un endroit plus ou moins éloigné, vers lequel se concentre son attention.

Entre les mains de la cataleptique, chaque objet prend pour elle une image double. Comme tout le monde, elle a le sentiment de la forme et de l'apparence extérieure de cet objet ; elle voit en outre distinctement la représentation de son intérieur, c'est-à-dire l'ensemble des propriétés qu'il possède et des usages auxquels il est destiné dans l'ordre de la création.

Dans une quantité de plantes, d'échantillons métalliques et minéralogiques, soumis à son inconsciente appréciation, elle a signalé des vertus latentes et inexplorées qui reportent la pensée vers les découvertes des alchimistes du moyen âge.

Louise éprouve un effet analogue à l'aspect des personnes avec lesquelles elle entre en communication par le contact des mains. Elle les voit à la fois telles qu'elles sont et telles qu'elles ont été dans un âge moins avancé. Les ravages du temps et de la maladie disparaissent à ses yeux, et si l'on a perdu quelque membre, il subsiste encore pour elle.

La jeune paysanne prétend qu'à l'abri de toutes les modifications de l'action vitale extérieure, la forme corporelle demeure intégralement reproduite par le fluide nerveux.

Transportée dans les endroits où se trouvent des tombeaux, Louise voit et dépeint de la manière que nous venons de rapporter les personnes dont la dépouille a été confiée à la terre. Elle éprouve alors des spasmes et des crises nerveuses, de même que lorsqu'elle approche des lieux où existent, à n'importe quelle profondeur dans le sol, de l'eau ou des métaux.

Quand la jeune Louise passe de la vie ordinaire à ce mode de vie qu'on peut appeler supérieur, il lui semble qu'un voile épais tombe de ses yeux.

La création, éclairée pour elle d'une manière nouvelle, fait l'objet de son intarissable admiration, et, quoique illettrée, elle trouve, pour exprimer son enthousiasme, des comparaisons et des images véritablement poétiques.

Aucune préoccupation religieuse ne se mêle à ces impressions. Les parents, loin de trouver dans ces phénomènes insolites un sujet de spéculation, les cachent avec le plus grand soin. S'ils se décident à amener sans bruit la jeune fille à Paris, c'est parce que cette surexcitation constante du système nerveux exerce sur ses organes une influence destructive et qu'elle dépérit à vue d'œil. Les médecins qui la soignent ont émis l'avis de la conduire dans la capitale, autant pour réclamer le secours des maîtres en l'art de guérir, que pour soumettre à la science des faits sortant du cercle ordinaire de ses investigations, et dont l'explication n'est pas encore trouvée. »

Les phénomènes que présente cette jeune fille, dit l'auteur de l'article, laissent bien les jongleries des frères Davenport et autres Spirites. Si ces phénomènes sont réels, quels rapports peuvent-ils avoir avec des tours d'adresse ? Pourquoi cette comparaison entre choses dissemblables, et dire que l'une dépasse l'autre ? Avec l'intention de lancer une petite méchanceté contre le Spiritisme, l'auteur énonce, sans le vouloir, une grande vérité à l'appui de ce qu'il veut dénigrer ; il proclame un fait essentiellement spirite, que le Spiritisme reconnaît et accepte comme tel, tandis qu'il n'a jamais pris MM. Davenport sous son patronage, et les a encore moins présentés comme des adeptes et des apôtres ; c'est ce que messieurs les journalistes sauraient s'ils avaient tenu compte des innombrables protestations qui leur sont arrivées de toutes parts contre l'assimilation qu'ils ont prétendu établir entre une doctrine essentiellement morale et philosophique et des exhibitions théâtrales.

L'explication de ces phénomènes n'est, dit-on, pas encore donnée : par la science officielle ; cela est certain ; mais pour la science spirite, il y a longtemps que ce n'est plus un mystère. Ce ne sont cependant pas les moyens de s'éclairer qui ont fait défaut ; les cas de catalepsie, de double vue, de somnambulisme naturel, avec les étranges facultés qui se développent dans ces différents états, ne sont pas rares. Pourquoi la science en est-elle encore à en chercher l'explication ? C'est que la science s'obstine à la chercher où elle n'est pas, où elle ne la trouvera jamais : dans les propriétés de la matière.

Voilà un homme qui vit : il pense, il raisonne ; une seconde après, il meurt ; il ne donne plus aucun signe d'intelligence. Il y avait donc en lui, alors qu'il pensait, quelque chose qui n'existe plus depuis qu'il ne pense plus. Qui donc pensait en lui ? La matière, dites-vous ; mais la matière est toujours là, intacte, sans une parcelle de moins ; pourquoi donc pensait-elle tout à l'heure et ne pense-t-elle plus maintenant ? ‑ C'est qu'elle est désorganisée ; les molécules se sont sans doute désagrégées ; une fibre s'est peut-être rompue ; un rien s'est dérangé et le mouvement intellectuel s'est arrêté. ‑ Ainsi voilà le génie, les plus grandes conceptions humaines à la merci d'une fibre, d'un atome imperceptible, et les efforts de toute une vie de labeur sont perdus ! De tout ce mobilier intellectuel acquis à grande peine, il ne reste rien ; la plus vaste intelligence n'est qu'une pendule bien montée qui, une fois disloquée, n'est bonne qu'à mettre à la ferraille ! C'est peu logique et peu encourageant ; avec une telle perspective, mieux vaudrait sans doute ne s'occuper qu'à boire et manger ; mais enfin c'est un système.

L'âme, selon vous, n'est qu'une hypothèse. Mais cette hypothèse ne devient-elle pas une réalité dans les cas analogues à celui de la jeune fille en question ? Ici l'âme se montre à découvert ; vous ne la voyez pas, mais vous la voyez penser et agir isolément de l'enveloppe matérielle ; elle se transporte au loin ; elle voit et elle entend malgré l'état d'insensibilité des organes. Peut-on expliquer par les organes seuls des phénomènes qui se passent en dehors de leur sphère d'activité, et n'est-ce pas la preuve que l'âme en est indépendante ? Comment donc ne la reconnaît-on pas à ces signes si évidents ? C'est qu'il faudrait, pour cela, admettre l'intervention de l'âme dans les phénomènes pathologiques et physiologiques, qui cesseraient ainsi d'être exclusivement matériels ; or, comment reconnaître un élément spirituel dans les phénomènes de la vie, alors qu'on a constamment dit le contraire ? C'est ce à quoi l'on ne peut se résoudre, car il faudrait convenir qu'on s'est trompé, et il est dur, pour certains amours-propres, de recevoir un démenti de l'âme même qu'on a niée. Aussi, dès qu'elle se montre quelque part avec trop d'évidence, vite on se hâte de la couvrir d'un boisseau, et l'on n'en entend plus parler. Ainsi en a-t-il été de l'hypnotisme et de tant d'autres choses ; Dieu veuille qu'il n'en soit pas de même de Louise B… Pour couper court, on dit que ces phénomènes sont des illusions, et que leurs promoteurs sont des fous ou des charlatans.

Telles sont les raisons qui ont fait négliger l'étude si intéressante et si féconde en résultats moraux, des phénomènes psychophysiologiques ; telle est aussi la cause de la répulsion du matérialisme pour le Spiritisme, qui repose tout entier sur les manifestations ostensibles de l'âme, pendant la vie et après la mort.

Mais, dira-t-on, le parti religieux, battu en brèche par le matérialisme, doit accueillir avec empressement des phénomènes qui viennent terrasser l'incrédulité par l'évidence ; pourquoi donc, au lieu de s'en faire une arme, les repousse-t-il ? C'est que l'âme est une indiscrète qui vient se présenter dans des conditions tout autres que celles de l'état où on nous la montre, et sur lequel on a bâti tout un système ; il faudrait revenir sur des croyances que l'on a dit être immuables ; puis elle voit trop clair ; donc il fallait lui interdire la parole. Mais on a compté sans sa subtilité ; on ne l'enferme pas, comme un oiseau dans une cage ; si on lui ferme une porte, elle en ouvre mille. Aujourd'hui elle se fait entendre partout, pour dire d'un bout du monde à l'autre : voilà ce que nous sommes. Bien habiles seront ceux qui l'en empêcheront.

Revenons à notre sujet. La jeune fille en question offre le phénomène, très ordinaire en pareil cas, de l'extension des facultés. Cette extension, dit l'article, atteint une portée qui dépasse les limites assignées à la puissance humaine. Il faut distinguer ici deux ordres de facultés : les facultés perceptives, c'est-à-dire la vue et l'ouïe, et les facultés intellectuelles. Les premières sont mises en activité par les agents extérieurs dont l'action se répercute à l'intérieur ; les secondes constituent la pensée qui rayonne de l'intérieur à l'extérieur. Parlons d'abord des premières.

Dans l'état normal, l'âme perçoit par l'intermédiaire des sens. Ici, la jeune file perçoit ce qui est hors de la portée de la vue et de l'ouïe ; elle voit dans l'intérieur des choses, pénètre les corps opaques, décrit ce qui se passe au loin, donc elle voit autrement que par les yeux et entend autrement que par les oreilles, et cela dans un état où l'organisme est frappé d'insensibilité. S'il s'agissait d'un fait unique, exceptionnel, on pourrait l'attribuer à une bizarrerie de la nature, à une sorte de monstruosité ; mais il est très commun ; il se montre d'une manière identique, quoique à différents degrés, dans la plupart des cas de catalepsie, dans la léthargie, dans le somnambulisme naturel et artificiel, et même chez de nombreux individus qui ont toutes les apparences de l'état normal. Il se produit donc en vertu d'une loi ; comment la science, qui porte ses investigations sur le mouvement attractif du moindre grain de poussière, a-t-elle négligé un fait aussi capital ?

Le développement des facultés intellectuelles est plus extraordinaire encore. Voilà une jeune fille, une paysanne illettrée qui non seulement s'exprime avec élégance, avec poésie, mais en qui se révèlent des connaissances scientifiques sur des choses qu'elle n'a pas apprises, et, circonstance non moins singulière, cela a lieu dans un état particulier, au sortir duquel tout est oublié : elle redevient tout aussi ignorante qu'auparavant. Rentre-t-elle dans l'état extatique, le souvenir lui revient avec les mêmes facultés et les mêmes connaissances ; ce sont pour elle deux existences distinctes.

Si, selon l'école matérialiste, les facultés sont le produit direct des organes ; si, pour nous servir de l'expression de cette école, « le cerveau sécrète la pensée comme le foie sécrète la bile, » il sécrète donc aussi des connaissances toutes faites, sans le secours d'un professeur ; c'est une propriété qu'on ne connaissait pas encore à cet organe. Dans cette hypothèse même, comment expliquer ce développement intellectuel extraordinaire, ces facultés transcendantes, alternativement possédées, perdues et recouvrées presque instantanément, alors que le cerveau est toujours le même ? N'est-ce pas la preuve patente de la dualité dans l'homme, de la séparation du principe matériel et du principe spirituel ?

Là, encore rien d'exceptionnel : ce phénomène est aussi commun que celui de l'extension de la vue et de l'ouïe. Comme ce dernier, il dépend donc d'une loi ; ce sont ces lois que le Spiritisme a recherchées et que l'observation lui a fait connaître.

L'âme est l'être intelligent ; en elle est le siège de toutes les perceptions et de toutes les sensations ; elle sent et pense par elle-même ; elle est individuelle, distincte, perfectible, préexistante et survivante au corps. Le corps est son enveloppe matérielle : c'est l'instrument de ses rapports avec le monde visible. Pendant son union avec le corps, elle perçoit par l'intermédiaire des sens, elle transmet sa pensée à l'aide du cerveau ; séparée du corps, elle perçoit directement et pense plus librement. Les sens ayant une portée circonscrite, les perceptions reçues par leur intermédiaire sont bornées et, en quelque sorte, amorties ; reçues sans intermédiaire, elles sont indéfinies et d'une subtilité qui nous étonne, parce qu'elle surpasse, non la puissance humaine, mais tous les produits de nos moyens matériels. Par la même raison, la pensée transmise par le cerveau se tamise pour ainsi dire à travers cet organe. La grossièreté et les défectuosités de l'instrument la paralysent et l'étouffent en partie, comme certains corps transparents absorbent une partie de la lumière qui les traverse. L'âme, obligée de se servir du cerveau, est comme un très bon musicien devant un instrument imparfait. Délivrée de cet auxiliaire gênant, elle déploie toutes ses facultés.

Telle est l'âme pendant la vie et après la mort ; il y a donc pour elle deux états : celui d'incarnation ou de contrainte, et celui de désincarnation ou de liberté ; en d'autres termes : celui de la vie corporelle et celui de la vie spirituelle. La vie spirituelle est la vie normale, permanente de l'âme ; la vie corporelle est transitoire et passagère.

Durant la vie corporelle, l'âme ne subit pas constamment la contrainte du corps, et là est la clef de ces phénomènes physiques qui ne nous paraissent si étranges que parce qu'ils nous transportent hors de la sphère habituelle de nos observations ; on les a qualifiés de surnaturels, quoiqu'en réalité ils soient soumis à des lois parfaitement naturelles, mais parce que ces lois nous étaient inconnues. Aujourd'hui, grâce au Spiritisme qui a fait connaître ces lois, le merveilleux a disparu.

Pendant la vie extérieure de relation, le corps a besoin de son âme ou Esprit pour guide, afin de le diriger dans le monde ; mais dans les moments d'inactivité du corps, la présence de l'âme n'est plus nécessaire ; elle s'en dégage, sans toutefois cesser d'y tenir par un lien fluidique qui l'y rappelle dès que le besoin de sa présence se fait sentir ; dans ces moments elle recouvre en partie la liberté d'agir et de penser dont elle ne jouira complètement qu'après la mort du corps, alors qu'elle en sera complètement séparée. Cette situation a été spirituellement et très véridiquement dépeinte par l'Esprit d'une personne vivante, qui se comparait à un ballon captif, et par un autre, l'Esprit d'un idiot vivant, qui disait être comme un oiseau attaché par la patte. (Revue spirite, juin 1860, p. 173.)

Cet état, que nous appelons émancipation de l'âme, a lieu normalement et périodiquement pendant le sommeil ; le corps seul repose pour récupérer ses pertes matérielles ; mais l'Esprit, qui n'a rien perdu, profite de ce répit pour se transporter où il veut. Il a en outre lieu exceptionnellement toutes les fois qu'une cause pathologique ou simplement physiologique produit l'inactivité totale ou partielle des organes de la sensation et de la locomotion ; c'est ce qui se passe dans la catalepsie, la léthargie, le somnambulisme. Le dégagement ou, si l'on veut, la liberté de l'âme est d'autant plus grande que l'inertie du corps est plus absolue ; c'est pour cette raison que le phénomène acquiert son plus grand développement dans la catalepsie et la léthargie. Dans cet état, l'âme ne perçoit plus par les sens matériels, mais, si l'on peut s'exprimer ainsi, par le sens psychique ; c'est pourquoi ses perceptions dépassent les limites ordinaires ; sa pensée agit sans l'intermédiaire du cerveau, c'est pour cela qu'elle déploie des facultés plus transcendantes que dans l'état normal. Telle est la situation de la jeune B… ; aussi dit-elle avec raison que « lorsqu'elle passe de la vie ordinaire à ce mode de vie supérieure, il lui semble qu'un voile épais tombe de ses yeux. » Telle est aussi la cause du phénomène de la seconde vue, qui n'est autre que la vue directe pour l'âme ; de la vue à distance, qui résulte du transport de l'âme dans le lieu qu'elle décrit ; de la lucidité somnambulique, etc.

Quand Louise B… voit des personnes vivantes, les ravages du temps disparaissent, et si l'on a perdu quelque membre, il subsiste encore pour elle ; la forme corporelle demeure intégralement reproduite par le fluide nerveux. » Si elle voyait simplement le corps, elle le verrait tel qu'il est ; ce qu'elle voit, c'est l'enveloppe fluidique ; le corps matériel peut être amputé : le périsprit ne l'est pas ; ce que l'on désigne ici par fluide nerveux n'est autre que le fluide périsprital.

Elle voit aussi ceux qui sont morts : il en reste donc quelque chose. Que voit-elle ? ce ne peut être le corps, qui n'existe plus ; cependant elle les voit avec une forme humaine, celle qu'ils avaient de leur vivant. Ce qu'elle voit, c'est l'âme revêtue de son corps fluidique ou périsprit ; les âmes survivent donc au corps ; ce ne sont donc pas des êtres abstraits, des étincelles, des flammes, des souffles perdus dans l'immensité du réservoir commun, mais des êtres réels, distincts, circonscrits, individuels. Si elle voit les morts comme les vivants, c'est donc que les vivants ont, comme les morts, le même corps fluidique impérissable, tandis que la grossière enveloppe matérielle se dissout à la mort. Elle ne voit point les âmes perdues dans les profondeurs infinies de l'espace, mais au milieu de nous, ce qui prouve l'existence du monde invisible qui nous entoure, et au milieu duquel nous vivons sans nous en douter.

De telles révélations ne donnent-elles pas sérieusement à réfléchir ? Qui a pu donner de telles idées à cette jeune fille ? La lecture des ouvrages spirites ? Elle ne sait pas lire. - La fréquentation des Spirites ? Elle n'en a pas entendu parler. C'est donc spontanément qu'elle décrit toutes ces choses. Est-ce le produit de son imagination ? mais elle n'est pas la seule : des milliers de voyants ont dit et disent tous les jours la même chose, ce dont la science ne se doute pas. Or, c'est de ce concours universel d'observations que le Spiritisme a déduit sa théorie.

La science cherchera en vain la solution de ces phénomènes tant qu'elle fera abstraction de l'élément spirituel, car là est la clef de tous ces prétendus mystères. Qu'elle l'admette, ne fût-ce qu'à titre d'hypothèse, et tout s'expliquera sans difficulté.

Des observations de cette nature, sur des sujets comme Louise B…, exigent beaucoup de tact et de prudence. Il ne faut pas perdre de vue que, dans cet état d'excessive susceptibilité, la moindre commotion peut être funeste ; l'âme, heureuse d'être dégagée du corps, n'y tient que par un fil qu'un rien peut rompre sans retour. En pareil cas, des expériences faites sans ménagement peuvent tuer.

Poésies spirites

Alfred de Musset

M. Timothée Trimm a publié, dans le Petit Journal du 23 octobre 1865, des strophes qu'un de ses amis lui avait données comme ayant été dictées médianimiquement par Alfred de Musset à une dame de sa connaissance, car la folie du Spiritisme gagne jusqu'aux amis de ces messieurs, qui n'osent trop les envoyer publiquement à Charenton, surtout quand ces amis sont, comme celui-ci, des hommes d'une intelligence notoire, placés à la tête de la haute industrie artistique. Par égard sans doute pour cet ami, il n'avait pas trop maltraité la provenance de ces vers ; il s'était contenté de les encadrer dans une mise en scène de fantaisie semi-burlesque. Il disait entre autres :

« Je n'invente rien, je constate. Dans un château des environs de Paris, on a fait venir l'auteur de Rolla et de la Coupe et les lèvres… dans une table. On lui demanda des vers ! ! !… inédits. Un secrétaire spirite, s'est assis au pupitre enchanté ; il dit avoir écrit sous la dictée de l'immortel… et voici ce qu'il montra à l'assistance. »

La vérité est que ces vers n'ont été obtenus ni dans un château des environs de Paris ni par une table, mais par l'écriture ordinaire, et qu'on n'avait nullement demandé Alfred de Musset. L'idée de faire venir le poète dans une table avait sans doute, aux yeux de l'écrivain, quelque chose de plus trivial à l'endroit du Spiritisme. Voici comment les choses se sont passées.

Madame X… est une femme du monde, instruite comme toutes celles qui ont reçu de l'éducation, mais nullement poète. Elle est douée d'une puissante faculté médianimique, psychographique et voyante, et a donné en mainte occasion des preuves irrécusables de l'identité des Esprits qui se communiquent par son entremise. Étant allée passer la belle saison avec son mari, fervent Spirite comme elle, dans un petit chalet, au milieu des dunes du département du Nord, elle se trouvait un soir à son balcon, par un magnifique clair de lune, contemplant la voûte azurée et la vaste étendue des dunes, dans un solennel silence qui n'était interrompu que par les aboiements du chien de la maison, circonstances à remarquer, parce qu'elles donnent aux vers un cachet d'actualité. Tout à coup elle se sentit agitée et comme enveloppée d'un fluide, et, sans dessein prémédité, elle fut poussée à prendre la plume ; elle traça d'un seul jet, sans rature ni hésitation, en quelques minutes, les vers en question, avec la signature d'Alfred de Musset, auquel elle ne songeait nullement. Nous les reproduisons dans leur intégrité. C'était le 1er septembre 1865.



Ainsi, te voilà, pauvre Esprit,

Contemplant le jour et la nuit

La triste dune,

N'ayant, pour te désennuyer,

Que le chien qui vient aboyer

Au clair de lune.

Quand je te vois, seule et troublée,

Lever vers la voûte étoilée

Ton œil humide,

Je me souviens des tristes jours

Où je maudissais pour toujours

La terre aride.

Tout autant que toi, j'ai souffert,

En sentant dans ce grand désert

Mon cœur en flamme ;

Comme une perle au fond des mers,

J'ai cherché dans tout l'univers

Un cri de l'âme.

Pour apaiser ma tête en feu,

J'ai voyagé sous le ciel bleu

De l'Italie ;

Florence et Venise m'ont vu,

Parmi leurs filles au sein nu,

Traîner ma vie.

Parfois le pêcheur indolent

M'a vu pleurer, comme un enfant,

Près de la grève,

Et s'arrêtant, plein de piété,

Laisser ses filets qu'à moitié

La mer enlève.

Pauvre enfant, reviens près de nous ;

Comme on berce sur les genoux

L'enfant qui pleure,

Nous te conduirons à ton tour

Dans les terres pleines d'amour

Où je demeure.

Si dans ces vers écrits pour toi,

J'ai pris encore et malgré moi

Cette facture,

C'est pour affirmer aux savants,

Qui se moquent des revenants,

Ma signature.

A. de Musset.



En publiant ces vers, le Petit Journal leur a fait subir plusieurs altérations qui en dénaturent le sens et prêtent au ridicule. Dans la première strophe, 6° vers, au lieu de : Au clair de lune, il a mis : Au clair de la lune, ce qui estropie le vers et tourne au grotesque.

La seconde strophe a été supprimée, ce qui rompt l'enchaînement de l'idée.

Dans la troisième, 2° vers, au lieu de : Ce grand désert, qui peint la localité, il a mis : Le grand désert.

Dans la sixième, au 5° vers, au lieu de : Dans les terres pleines d'amour, qui a un sens, il a mis : Dans les serres pleines d'amour, qui n'en a pas.

Ces rectifications ayant été adressées au Petit Journal, il est regrettable qu'il se soit refusé à les insérer. Cependant l'auteur de l'article a dit : « Je n'invente rien ; je constate. »

A propos du roman de M. Théophile Gauthier, intitulé Spirite, le même Esprit a dicté au médium les strophes suivantes, le 2 décembre 1865 :



Me voici revenu. Pourtant j'avais, Madame,

Juré sur mes grands dieux de ne jamais rimer.

C'est un triste métier que de faire imprimer

Les œuvres d'un auteur réduit à l'état d'âme.

J'avais fui loin de vous, mais un Esprit charmant

Risque, en parlant de nous, d'exciter le sourire.

Je pense qu'il en sait bien plus qu'il n'en veut dire,

Et qu'il a, quelque part, trouvé son revenant.

Un revenant ! Vraiment cela paraît étrange ;

Moi-même j'en ai ri quand j'étais ici-bas ;

Mais lorsque j'affirmais que je n'y croyais pas,

J'aurais, comme un sauveur, accueilli mon bon ange.

Que je l'aurais aimé, lorsque, le front jauni,

Appuyé sur ma main, la nuit, dans la fenêtre,

Mon esprit, en pleurant, sondait le grand peut-être,

En parcourant au loin les champs de l'infini !

Amis, qu'espérez-vous d'un siècle sans croyance ?

Quand vous aurez pressé votre fruit le plus beau,

L'homme trébuchera toujours sur un tombeau

Si, pour le soutenir, il n'a plus l'espérance.

Mais ces vers, dira-on, ils ne sont pas de lui.

Que m'importe, après tout, le blâme du vulgaire !

Lorsque j'étais vivant, il ne m'occupait guère ;

A plus forte raison en rirais-je aujourd'hui.

A. de Musset.



Voici le jugement porté sur ces vers par un des rédacteurs du Monde Illustré, M. Junior, qui n'est pas Spirite. (Voir le Monde Illustré du 16 décembre 1865.)

« M. T. Gautier a reçu d'une dame une pièce de vers signée Alfred de Musset, et qu'on pourrait intituler : A une dame Spirite qui m'avait demandé des vers pour son album. Il est bien entendu, puisqu'il s'agit de Spiritisme, que la dame prétend avoir été l'intermédiaire, le médium obéissant dont la main a tracé les vers sous la dictée d'Alfred de Musset, mort depuis bien des années déjà.

Jusque-là, rien que de très simple, car dès qu'on fouille dans l'infini, tous ceux qui croient au Spiritisme se tournent vers vous et vous inondent de communications plus ou moins intéressantes. Mais les vers signés de Musset sont tels que celui ou celle qui les a tracés est un poète de premier ordre. C'est le tour de Musset, c'est sa langue charmante, son sans-façon cavalier, son charme et sa gracieuse allure. Ce n'est point excessif comme le pastiche, ce n'est pas voulu ce n'est pas forcé, et vous pensez bien que si un maître comme T. Gautier s'y trompe, il faut que le tableau soit bien admirablement pastiché. Le côté curieux, c'est que l'honorable M. Charpentier, l'éditeur des œuvres complètes de Musset, auquel on a fait lire ces vers charmants, que j'espère vous communiquer bientôt, s'est pris à crier « Au voleur ! »

Vous supposez bien que je ne crois pas un mot de tout ce que racontent les Allan Kardec et les Delaage, mais cela me trouble et m'agace, et il me faut supposer que ces vers sont inédits et sont du poète des Nuits, ‑ ce qui est bien inadmissible, car enfin sous quel prétexte la dame en question aurait-elle ces vers dans son tiroir ? ‑ ou alors un poète de race aurait inventé cette mystification, et les poètes ne perdent pas ainsi leur copie. Quelle est donc, la solution possible ? ‑ J'entends d'ici un homme pratique me dire : « Mon cher monsieur, vous voulez une solution ? elle est dans votre imagination, qui s'exagère la portée et l'excellence de ces vers ; ils sont gentils et rien de plus, et le premier médium un peu bas-bleu qui sait bien son Musset en fera autant.

Monsieur l'homme pratique, vous avez raison ; cela arrive quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent ; mais si vous saviez à quel point je suis de sang-froid ! Je les ai lus ces vers que je n'ai pas encore le droit de vous communiquer, je les lis, je les relis encore, et je maintiens que Gautier lui-même, le grand linguiste, le grand ciseleur du Poème de la femme, ne ferait pas mieux du Musset que cela. »

Remarque. Il y a une circonstance dont l'auteur ne tient pas compte, et qui ôte toute possibilité à ce que ces vers aient été faits par Musset de son vivant, ce sont les actualités et les allusions aux choses présentes. Quant au médium, il n'est ni poète ni bas-bleu, cela est certain, et de plus sa position dans le monde écarte toute suspicion de supercherie.



Le Spiritisme prend rang dans la philosophie et les connaissances usuelles

Il se publie en ce moment un important ouvrage qui intéresse au plus haut degré la doctrine spirite, et que nous ne pouvons mieux faire connaître que par l'analyse du prospectus.

Nouveau Dictionnaire universel, panthéon littéraire et encyclopédie illustrée, par Maurice Lachatre, avec le concours de savants, d'artistes et d'hommes de lettres, d'après les travaux de : Allan Kardec, Ampère, Andral, Arago, Audouin, Balbi, Becquerel, Berzelius, Biot, Brongnard, Burnouf, Chateaubriand, Cuvier, Flourens, Gay-Lussac, Guizot, Humboldt, Lamartine, Lamennais, Laplace, Magendie, Michelet, Ch. Nodier, Orfila, Payen, Raspail, de Sacy, J. B. Say, Thiers, etc., etc.

Deux magnifiques volumes grand in-4° à trois colonnes, illustrés de vingt mille sujets, gravés sur bois, intercalés dans le texte. ‑ Deux livraisons par semaine, ‑ 10 centimes la livraison. ‑ Chaque livraison contient 95,768 lettres, c'est-à-dire la matière de la moitié d'un volume in-8°. L'ouvrage contient 200 livraisons par volume, et ne coûtera en tout que 40 francs. Cette œuvre, la plus gigantesque des entreprises littéraires de notre époque, renferme l'analyse de plus de 400,000 ouvrages, et peut être considérée à bon droit comme le plus vaste répertoire des connaissances humaines. Le Nouveau Dictionnaire universel est le plus exact, le plus complet et le plus progressif de tous les dictionnaires, le seul qui embrasse dans ses développements tous les dictionnaires spéciaux de la langue usuelle, la langue poétique, des synonymes, du vieux langage, des difficultés grammaticales, de la théologie, des religions, sectes et hérésies, des fêtes et cérémonies chez tous les peuples, de la mythologie, du magnétisme, du Spiritisme, des doctrines philosophiques et sociales, de l'histoire, de la biographie, des sciences, de la physique, de la chimie, de l'histoire naturelle, de l'astronomie, des inventions, de la médecine, de la géographie, de la marine, de la jurisprudence, de l'économie politique, de la franc-maçonnerie, de l'agriculture, du commerce, de l'économie domestique, du ménage, etc., etc. ‑ Paris, Docks de la librairie, 38, boulevard Sébastopol. »

Cet ouvrage compte en ce moment vingt mille souscripteurs.

Nous devons tout d'abord faire observer que si notre nom se trouve en tête des auteurs dont les ouvrages ont été consultés, c'est l'ordre alphabétique qui l'a voulu ainsi, et non la prééminence.

Tous les termes spéciaux du vocabulaire spirite se trouvent dans ce vaste répertoire, non point avec une simple définition, mais avec tous les développements qu'ils comportent ; de sorte que leur ensemble formera un véritable traité du Spiritisme. En outre, toutes les fois qu'un mot peut donner lieu à une déduction philosophique, l'idée spirite est mise en parallèle comme point de comparaison. L'ouvrage, étant conçu dans un esprit d'impartialité, ne présente pas plus l'idée spirite que toute autre comme la vérité absolue ; il laisse le lecteur libre de l'accepter ou de la rejeter, mais il donne à celui-ci les moyens de l'apprécier, en la présentant avec une scrupuleuse exactitude, et non tronquée, altérée ou jugée d'avance ; il se borne à dire : sur tel point les uns pensent de telle manière, le Spiritisme l'explique de telle autre.

Un dictionnaire n'est pas un traité spécial sur une matière, où l'auteur développe son opinion personnelle ; c'est un ouvrage de recherches, destiné à être consulté, et qui s'adresse à toutes les opinions. Si l'on y cherche un mot, c'est pour savoir ce qu'il signifie en réalité, et non pour avoir l'appréciation du rédacteur, qui peut être juste ou fausse. Un juif, un musulman, doivent y trouver l'idée juive ou musulmane exactement reproduite, ce qui n'oblige pas d'épouser cette idée. Le dictionnaire n'a pas à décider si elle est bonne ou mauvaise, absurde ou rationnelle, parce que ce qui est approuvé, par les uns peut être blâmé par les autres ; en la présentant dans son intégrité, il n'en assume point la responsabilité. S'agit-il d'une question scientifique qui divise les savants, de l'homéopathie et de l'allopathie, par exemple, il a pour mission de faire connaître les deux systèmes, mais non de préconiser l'un aux dépens de l'autre. Tel doit être le caractère d'un dictionnaire encyclopédique ; à cette condition seule il peut être consulté avec fruit, dans tous les temps et par tout le monde ; avec l'universalité il acquiert la perpétuité.

Tel est, et tel devait être, le sentiment qui a présidé à la partie qui concerne le Spiritisme. Que les critiques émettent leur opinion dans des ouvrages spéciaux, rien de mieux, c'est leur droit ; mais un dictionnaire est un terrain neutre où chaque chose doit être présentée sous ses couleurs véritables, et où l'on doit pouvoir puiser toute espèce de renseignements avec la certitude d'y trouver la vérité.

Dans de telles conditions, le Spiritisme, ayant trouvé place dans un ouvrage aussi important et aussi populaire que le Nouveau Dictionnaire universel, a pris rang parmi les doctrines philosophiques et les connaissances usuelles ; son vocabulaire, déjà accepté par l'usage, a reçu sa consécration, et désormais aucun ouvrage du même genre ne pourra l'omettre sans être incomplet. C'est encore là un des produits de l'année 1865, que M. le vice-président Jaubert a omis de mentionner dans sa nomenclature des résultats de cette année.

A l'appui des observations ci-dessus et comme spécimen de la manière dont les questions spirites sont traitées dans cet ouvrage, nous citerons l'explication qui se trouve au mot Ame. Après avoir longuement et impartialement développé les différentes théories de l'âme, selon Aristote, Platon, Leibniz, Descartes et autres philosophes, que nous ne pouvons reproduire à cause de leur étendue, l'article se termine ainsi :

« Selon la doctrine spirite, l'âme est le principe intelligent qui anime les êtres de la création et leur donne la pensée, la volonté et la liberté d'agir. Elle est immatérielle ; individuelle et immortelle ; mais son essence intime est inconnue : nous ne pouvons la concevoir isolée absolument de la matière que comme une abstraction. Unie à l'enveloppe fluidique éthérée ou périsprit, elle constitue l'être spirituel concret, défini et circonscrit appelé Esprit. (V. esprit, périsprit.) Par métonymie, on emploie souvent les mots âme et esprit l'un pour l'autre ; on dit : les âmes souffrantes et les esprits souffrants ; les âmes heureuses et les esprits heureux ; évoquer l'âme ou l'esprit de quelqu'un ; mais le mot âme réveille plutôt l'idée d'un principe, d'une chose abstraite, et le mot esprit celle d'une individualité.

« L'esprit uni au corps matériel par l'incarnation constitue l'homme ; de sorte qu'en l'homme il y a trois choses : l'âme proprement dite, ou principe intelligent ; le périsprit, ou enveloppe fluidique de l'âme ; le corps, ou enveloppe matérielle. L'âme est ainsi un être simple ; l'esprit, un être double composé de l'âme et du périsprit ; l'homme, un être triple composé de l'âme, du périsprit et du corps. Le corps séparé de l'esprit est une matière inerte ; le périsprit séparé de l'âme est une matière fluidique sans vie et sans intelligence. L'âme est le principe de la vie et de l'intelligence ; c'est donc à tort que quelques personnes ont prétendu qu'en donnant à l'âme une enveloppe fluidique semi-matérielle, le Spiritisme en faisait un être matériel.

L'origine première de l'âme est inconnue, parce que le principe des choses est dans les secrets de Dieu, et qu'il n'est pas donné à l'homme, dans son état actuel d'infériorité, de tout comprendre. On ne peut, sur ce point, formuler que des systèmes. Selon les uns, l'âme est une création spontanée de la Divinité ; selon d'autres, c'est une émanation même, une portion, une étincelle du fluide divin. C'est là un problème sur lequel on ne peut établir que des hypothèses, car il y a des raisons pour et contre. A la seconde opinion on oppose toutefois cette objection fondée : Dieu étant parfait, si les âmes sont des portions de la Divinité, elles devraient être parfaites, en vertu de l'axiome que la partie est de la même nature que le tout ; dès lors, on ne comprendrait pas que les âmes fussent imparfaites et qu'elles eussent besoin de se perfectionner. Sans s'arrêter aux différents systèmes touchant la nature intime et l'origine de l'âme, le Spiritisme la considère dans l'espèce humaine ; il constate, par le fait de son isolement et de son action indépendante de la matière, pendant la vie et après la mort, son existence, ses attributs, sa survivance et son individualité. Son individualité ressort de la diversité qui existe entre les idées et les qualités de chacune dans le phénomène des manifestations, diversité qui accuse pour chacune une existence propre.

Un fait non moins capital ressort également de l'observation : c'est que l'âme est essentiellement progressive, et qu'elle acquiert sans cesse en savoir et en moralité, puisqu'on en voit à tous les degrés de développement. D'après l'enseignement unanime des Esprits, elle est créée simple et ignorante, c'est-à-dire sans connaissances, sans conscience du bien et du mal, avec une égale aptitude pour l'un et pour l'autre et pour tout acquérir. La création étant incessante et pour toute éternité, il y a des âmes arrivées au sommet de l'échelle alors que d'autres naissent à la vie ; mais, toutes ayant le même point de départ, Dieu n'en crée pas de mieux douées les unes que les autres, ce qui est conforme à sa souveraine justice : une parfaite égalité présidant à leur formation, elles avancent plus ou moins rapidement, en vertu de leur libre arbitre et selon leur travail. Dieu laisse ainsi à chacune le mérite et le démérite de ses actes, et la responsabilité croît à mesure que se développe le sens moral. De sorte que de deux âmes créées en même temps, l'une peut arriver au but plus vite que l'autre si elle travaille plus activement à son amélioration ; mais celles qui sont restées en arrière arriveront également, quoique plus tard et après de rudes épreuves, car Dieu ne ferme l'avenir à aucun de ses enfants.

L'incarnation de l'âme dans un corps matériel est nécessaire à son perfectionnement ; par le travail que nécessite l'existence corporelle, l'intelligence se développe. Ne pouvant, dans une seule existence, acquérir toutes les qualités morales et intellectuelles qui doivent la conduire au but, elle y arrive en passant par une série illimitée d'existences, soit sur la terre, soit dans d'autres mondes, à chacune desquelles elle fait un pas dans la voie du progrès et se dépouille de quelques imperfections. Dans chaque existence l'âme apporte ce qu'elle a acquis dans les existences précédentes. Ainsi s'explique la différence qui existe dans les aptitudes innées et dans le degré d'avancement des races et des peuples. (V. Esprit, Réincarnation.)

Allan Kardec




Février

Le Spiritisme selon les Spirites

Extrait du journal la Discussion


La Discussion, journal hebdomadaire, politique et financier, imprimé à Bruxelles, n'est point une de ces feuilles légères qui visent à l'amusement du public frivole par le fond et par la forme ; c'est un journal sérieux, accrédité surtout dans le monde de la finance, et qui en est à sa onzième année[1]. Sous le titre de : Le Spiritisme selon les Spirites, le numéro du 31 décembre 1865 contient l'article suivant :

« Spirites et Spiritisme sont deux mots maintenant bien connus et fréquemment employés, quoiqu'ils fussent encore ignorés il y a seulement quelques mois. Cependant la plupart des personnes qui se servent de ces mots en sont à se demander ce qu'ils signifient exactement, et bien que chacune se fasse cette question, nulle ne l'adresse, parce que toutes veulent passer pour connaître le mot de la charade.

Quelquefois pourtant, la curiosité intrigue jusqu'à amener l'interrogation sur les lèvres, et, à votre désir, chacun vous renseigne.

Les uns prétendent que le Spiritisme c'est le truc de l'armoire des frères Davenport ; d'autres affirment que ce n'est rien autre chose que la magie et la sorcellerie d'autrefois qu'on veut remettre en faveur sous un nouveau nom. Selon les bonnes femmes de tous les quartiers, les Spirites ont des entretiens mystérieux avec le diable, auquel ils ont préalablement signé un compromis. Enfin, si ont lit les journaux, on y apprend que les Spirites sont tous des fous, ou tout au moins les dupes de certains charlatans appelés médiums. Ces charlatans s'en viennent, avec ou sans armoire, donner des représentations à qui veut les payer, et, pour mieux accréditer leur jonglerie, ils disent opérer sous l'influence occulte des Esprits d'outre-tombe.

Voilà ce que j'avais appris ces derniers temps ; vu le désaccord de ces réponses, j'étais résolu, pour m'éclairer, à aller voir le diable, dût-il m'emporter, ou à me faire duper par un médium, dussé-je lui laisser ma raison. Je me souvins alors, très à propos, d'un ami que je soupçonnais de spiritisme, et je fus le trouver, afin qu'il me procurât les moyens de satisfaire ma curiosité.

Je lui fis part des opinions diverses que j'avais recueillies et lui exposai l'objet de ma visite. Mais mon ami rit beaucoup de ce qu'il appelait ma naïveté et me donna à peu près l'explication que voici :

Le Spiritisme n'est pas, comme on le croit vulgairement, une recette pour faire danser des tables ou pour exécuter des tours d'escamotage, et c'est à tort que chacun veut y trouver du merveilleux.

Le Spiritisme est une science ou, pour mieux dire, une philosophie spiritualiste, qui enseigne la morale.

Elle n'est pas une religion, en ce qu'elle n'a ni dogmes, ni culte, ni prêtres, ni articles de foi ; elle est plus qu'une philosophie, parce que sa doctrine est établie sur la preuve certaine de l'immortalité de l'âme : c'est pour fournir cette preuve que les Spirites évoquent les Esprits d'outre-tombe.

Les médiums sont doués d'une faculté naturelle qui les rend propres à servir d'intermédiaires aux Esprits et à produire avec eux les phénomènes qui passent pour des miracles ou pour de la prestidigitation aux yeux de quiconque en ignore l'explication. Mais la faculté médianimique n'est pas le privilège exclusif de certains individus ; elle est inhérente à l'espèce humaine, quoique chacun la possède à différents degrés, ou sous différentes formes.

Ainsi pour qui connaît le Spiritisme, toutes les merveilles dont on accuse cette doctrine ne sont tout simplement que des phénomènes de l'ordre physique, c'est-à-dire des effets dont la cause réside dans les lois de la nature.

Cependant les Esprits ne se communiquent pas aux vivants dans le seul but de prouver leur existence : ce sont eux qui ont dicté et développent tous les jours la philosophie spiritualiste.

Comme toute philosophie, celle-ci a son système, qui consiste dans la révélation des lois qui régissent l'univers et dans la solution d'un grand nombre de problèmes philosophiques devant lesquels, jusqu'ici, l'humanité impuissante a été contrainte de s'incliner.

C'est ainsi que le Spiritisme démontre, entre autres choses, la nature de l'âme, sa destinée, la cause de notre existence ici-bas ; il dévoile le mystère de la mort ; il donne raison des vices et des vertus de l'homme ; il dit ce qu'est l'homme, ce qu'est le monde, ce qu'est l'univers ; il fait enfin le tableau de l'harmonie universelle, etc.

Ce système repose sur des preuves logiques et irréfutables qui ont elles-mêmes pour arbitre de leur vérité des faits palpables et la raison la plus pure. Ainsi, dans toutes les théories qu'il expose, il agit comme la science et n'avance pas un point que le précédant ne soit complètement certifié. Aussi, le Spiritisme n'impose-t-il pas la confiance, parce qu'il n'a besoin, pour être accepté, que de l'autorité du bon sens.

Ce système établi, il en est déduit, comme conséquence immédiate, un enseignement moral.

Cette morale n'est autre que la morale chrétienne, la morale qui est écrite dans le cœur de tout être humain, et elle est de toutes les religions et de toutes les philosophies, par cela même qu'elle appartient à tous les hommes. Mais, dégagée de tout fanatisme, de toute superstition, de tout esprit de secte ou d'école, elle resplendit dans toute sa pureté.

C'est à cette pureté qu'elle demande toute sa grandeur et toute sa beauté, de sorte que c'est la première fois que la morale nous apparaît revêtue d'un éclat aussi majestueux et aussi splendide.

L'objet de toute morale est d'être pratiquée ; mais celle-ci surtout tient cette condition comme absolue, car elle nomme Spirites, non ceux qui acceptent ses préceptes, mais seulement ceux qui mettent ses préceptes en action.

Dirai-je quelles sont ses doctrines ? Je ne prétends pas enseigner ici, et l'énoncé des maximes me conduirait nécessairement à les développer.

Je dirai seulement que la morale spirite nous apprend à supporter le malheur sans le mépriser, à jouir du bonheur sans nous y attacher ; elle nous abaisse sans nous humilier, elle nous élève sans nous enorgueillir ; elle nous place au-dessus des intérêts matériels, sans pour cela les marquer d'avilissement, car elle nous enseigne, au contraire, que tous les avantages dont nous sommes favorisés sont autant de forces qui nous sont confiées et de l'emploi desquelles nous sommes responsables envers les autres et envers nous-mêmes.

Vient alors la nécessité de spécifier cette responsabilité, les peines qui sont attachées à l'infraction au devoir, et les récompenses dont jouissent ceux qui lui ont obéi. Mais là encore, les assertions ne sont tirées que des faits et peuvent se vérifier jusqu'à parfaite conviction.

Telle est cette philosophie, où tout est grand, car tout y est simple ; où rien n'est obscur, car tout y est prouvé ; où tout est sympathique, parce que chaque question y intéresse intimement chacun de nous.

Telle est cette science qui, projetant une vive lumière sur les ténèbres de la raison, dévoile tout à coup les mystères que nous croyions impénétrables, et recule jusqu'à l'infini l'horizon de l'intelligence.

Telle est cette doctrine qui prétend rendre heureux, en les améliorant, tous ceux qui consentent à la suivre, et qui ouvre enfin à l'humanité une voie sûre au progrès moral.

Telle est enfin la folie dont sont atteints les Spirites et la sorcellerie qu'ils pratiquent. »

Ainsi, en souriant, termina mon ami, qui, à ma prière, me donna rendez-vous pour visiter ensemble quelques réunions spirites, où les expériences se joignent à l'enseignement.

Rentré chez moi, je me rappelai ce que j'avais dit, de concert avec tout le monde, contre le Spiritisme, avant de connaître seulement la signification de ce mot, et ce souvenir me remplit d'une amère confusion.

Je pensai alors que, malgré les démentis sévères infligés à l'orgueil humain par les découvertes de la science moderne, nous ne songions guère, dans le temps de progrès où nous vivons, à mettre à profit les enseignements de l'expérience ; et que ces mots écrits par Pascal, il y a deux cents ans, seront encore pendant des siècles d'une rigoureuse exactitude : « C'est une maladie naturelle à l'homme de croire qu'il possède la vérité directement ; et de là vient qu'il est toujours disposé à nier ce qui lui est incompréhensible.

A. Briquel. »



Comme on le voit, l'auteur de cet article a voulu présenter le Spiritisme sous son véritable jour, dégagé des travestissements que lui fait subir la critique, tel, en un mot, que l'admettent les Spirites, et nous sommes heureux de dire qu'il a parfaitement réussi. Il est impossible, en effet, de résumer la question d'une manière plus claire et plus précise. Nous devons aussi des félicitations à la direction du journal qui, dans un esprit d'impartialité que l'on aimerait voir chez tous ceux qui font profession de libéralisme, et se posent en apôtres de la liberté de penser, a accueilli une profession de foi aussi explicite.

Au reste, ses intentions touchant le Spiritisme sont nettement formulées dans l'article suivant, publié dans le numéro du 28 janvier :






[1] Bureaux à Bruxelles, 17, Montagne de Sion ; Paris, 31, rue Bergère. ‑ Prix pour la France, 12 fr. par an ; 7 fr. pour six mois ; chaque numéro de huit pages gr. in-folio : 25 centimes.


Comment nous entendons parler du Spiritisme.

L'article publié dans notre numéro du 31 décembre, sur le Spiritisme, a provoqué de nombreuses demandes à l'effet de savoir si nous nous proposons de traiter ultérieurement cette question, et si nous nous en faisons l'organe. Une explication catégorique à ce sujet étant nécessaire pour éviter toute méprise, voici notre réponse :

« La Discussion est un journal ouvert à toutes les idées progressives ; or le progrès ne peut se faire que par les idées nouvelles qui viennent de temps à autre changer le cours des idées reçues. Les repousser parce qu'elles détruisent celles dont on a été bercé, c'est, à nos yeux, manquer de logique. Sans nous faire les apologistes de toutes les élucubrations de l'esprit humain, ce qui ne serait pas plus rationnel, nous considérons comme un devoir d'impartialité de mettre le public à même de les juger ; pour cela, il suffit de les présenter telles qu'elles sont, sans prendre prématurément parti ni pour ni contre ; car, si elles sont fausses, ce n'est pas notre adhésion qui les rendra justes, et si elles sont justes, notre désaveu ne les rendrait pas fausses. En tout, c'est l'opinion publique et l'avenir qui prononcent en dernier ressort ; mais, pour apprécier le fort et le faible d'une idée, il faut la connaître dans son essence, et non telle que la présentent ceux qui ont intérêt à la combattre, c'est-à-dire le plus souvent tronquée et défigurée. Si donc nous exposons les principes d'une théorie nouvelle, nous ne voulons pas que ses auteurs ou ses partisans puissent nous faire le reproche de leur faire dire le contraire de ce qu'ils disent. Agir ainsi, n'est pas en assumer la responsabilité : c'est dire ce qui est et réserver l'opinion de tout le monde. Nous mettons l'idée en évidence dans toute sa vérité ; si elle est bonne, elle fera son chemin, et nous lui aurons ouvert la porte ; si elle est mauvaise, nous aurons donné les moyens de la juger en connaissance de cause.

C'est ainsi que nous procéderons à l'égard du Spiritisme. Quelle que soit la manière de voir à ce sujet, nul ne peut se dissimuler l'extension qu'il a prise en quelques années ; par le nombre et la qualité de ses partisans, il a conquis sa place parmi les opinions reçues. Les tempêtes qu'il soulève, l'acharnement qu'on met à le combattre dans un certain monde, sont, pour les moins clairvoyants, l'indice qu'il renferme quelque chose de grave, puisqu'il met tant de gens en émoi. Que l'on en pense ce qu'on voudra, c'est incontestablement une des grandes questions à l'ordre du jour ; nous ne serions donc pas conséquents avec notre programme si nous la passions sous silence. Nos lecteurs ont droit de nous demander que nous leur fassions connaître ce que c'est que cette doctrine qui fait un si grand bruit ; notre intérêt est de les satisfaire, et notre devoir est de le faire avec impartialité. Notre opinion personnelle sur la chose leur importe peu ; ce qu'ils attendent de nous, c'est un compte rendu exact des faits et gestes de ses partisans, sur lequel ils puissent former leur propre opinion. Comment nous y prendrons-nous ? C'est bien simple : Nous irons à la source même ; nous ferons pour le Spiritisme ce que nous faisons pour les questions de politique, de finance, de science, d'art ou de littérature ; c'est-à-dire que nous en chargerons des hommes spéciaux. Les questions de Spiritisme seront donc traitées par des Spirites, comme celles d'architecture par des architectes, afin qu'on ne nous qualifie pas d'aveugles raisonnant des couleurs, et qu'on ne nous applique pas cette parole de Figaro : Il fallait un calculateur, on prit un danseur.

En somme, la Discussion ne se pose ni en organe ni en apôtre du Spiritisme ; elle lui ouvre ses colonnes comme à toutes les idées nouvelles, sans prétendre imposer cette opinion à ses lecteurs, toujours libres de la contrôler, de l'accepter ou de la rejeter. Elle laisse à ses rédacteurs spéciaux toute liberté de discuter les principes dont ils assument seuls la responsabilité ; mais ce que, dans l'intérêt de sa propre dignité, elle repoussera toujours, c'est la polémique agressive et personnelle. »

Cures d'obsessions

On nous écrit de Cazères, 7 janvier 1866 :

« Voici un deuxième cas d'obsession que nous avons entrepris et mené à bonne fin dans le courant du mois de juillet dernier. L'obsédée était âgée de vingt-deux ans ; elle jouissait d'une santé parfaite ; malgré cela, elle fut tout à coup en proie à des accès de folie ; ses parents la firent soigner par des médecins, mais inutilement, car le mal, au lieu de disparaître, devenait de plus en plus intense, au point que, pendant les crises, il était impossible de la contenir. Voyant cela, les parents, d'après l'avis des médecins, obtinrent son admission dans une maison d'aliénés, où son état n'éprouva aucune amélioration. Ni eux ni la malade ne s'étaient jamais occupés du Spiritisme, qu'ils ne connaissaient même pas ; mais ayant entendu parler de la guérison de Jeanne R…, dont je vous ai entretenu, ils vinrent nous trouver pour nous demander si nous pourrions faire quelque chose pour leur malheureuse enfant. Nous répondîmes que nous ne pouvions rien affirmer avant de connaître la véritable cause du mal. Nos guides, consultés à notre première séance, nous dirent que cette jeune fille était subjuguée par un Esprit très rebelle, mais que nous finirions par le ramener dans la bonne voie, et que la guérison qui s'ensuivrait nous donnerait la preuve de la vérité de cette assertion. J'écrivis en conséquence aux parents, éloignés de notre ville de 35 kilomètres, que leur fille guérirait, et que la guérison ne se ferait pas longtemps attendre, sans toutefois pouvoir leur en préciser l'époque.

Nous avons évoqué l'Esprit obsesseur pendant huit jours de suite, et nous avons été assez heureux pour changer ses mauvaises dispositions et lui faire renoncer à tourmenter sa victime. En effet, la malade guérit, comme l'avaient annoncé nos guides.

Les adversaires du Spiritisme répètent sans cesse que la pratique de cette doctrine conduit à l'hôpital. Eh bien ! nous, nous pouvons leur dire, dans cette circonstance, que le Spiritisme en a fait sortir ceux qu'ils y avaient fait entrer. »

Ce fait, entre mille, est une nouvelle preuve de l'existence de la folie obsessionnelle, dont la cause est toute autre que celle de la folie pathologique, et devant laquelle la science échouera tant qu'elle s'obstinera à nier l'élément spirituel et son influence sur l'économie. Le cas est ici bien évident : voilà une jeune fille présentant tellement les caractères de la folie, que les médecins s'y sont mépris, et qui est guérie, à plusieurs lieues de distance, par des personnes qui ne l'ont jamais vue, sans aucun médicament ni traitement médical, et par la seule moralisation de l'Esprit obsesseur. Il y a donc des Esprits obsesseurs dont l'action peut être pernicieuse pour la raison et la santé. N'est-il pas certain que si la folie eût été occasionnée par une lésion organique quelconque, ce moyen aurait été impuissant ? Si l'on objectait que cette guérison spontanée peut être due à une cause fortuite, nous répondrions que si l'on n'avait à citer qu'un fait unique, il serait sans doute téméraire d'en déduire l'affirmation d'un principe aussi important, mais les exemples de guérisons semblables sont très nombreux ; ils ne sont point le privilège d'un individu et se répètent tous les jours en diverses contrées, signes indubitables qu'ils reposent sur une loi de nature.

Nous avons cité plusieurs cures de ce genre, notamment dans les mois de février 1864 et janvier 1865, qui contiennent deux relations complètes éminemment instructives. Voici un autre fait, non moins caractéristique, obtenu dans le groupe de Marmande.

Dans un village, à quelques lieues de cette ville, était un paysan atteint d'une folie tellement furieuse, qu'il poursuivait les gens à coups de fourche pour les tuer, et qu'à défaut de gens il s'attaquait aux animaux de la basse-cour. Il courait sans cesse les champs et ne rentrait plus chez lui. Sa présence était dangereuse ; aussi obtint-on sans peine l'autorisation de le faire entrer à la maison des aliénés de Cadillac. Ce n'était pas sans un vif chagrin que sa famille se vit forcée de prendre ce parti. Avant de l'emmener, un de ses parents ayant entendu parler des guérisons obtenues à Marmande, dans des cas semblables, vint trouver M. Dombre et lui dit : « Monsieur, on m'a dit que vous guérissiez les fous, c'est pourquoi je viens vous trouver ; » puis il lui raconta ce dont il s'agissait, ajoutant : « C'est que, voyez-vous, cela nous fait tant de peine de nous séparer de ce pauvre J…, que j'ai voulu voir auparavant s'il n'y avait pas moyen de l'empêcher.

‑ Mon brave homme, lui dit M. Dombre, je ne sais qui m'a fait cette réputation ; j'ai réussi quelquefois, il est vrai, à rendre la raison à de pauvres insensés, mais cela dépend de la cause de la folie. Quoique je ne vous connaisse pas, je vais voir néanmoins si je puis vous être utile. » S'étant immédiatement rendu avec l'individu chez son médium habituel, il obtint de son guide l'assurance qu'il s'agissait d'une obsession grave, mais qu'avec de la persévérance il en viendrait à bout. Là-dessus il dit au paysan : « Attendez encore quelques jours avant de conduire votre parent à Cadillac ; nous allons nous en occuper ; revenez tous les deux jours me dire comment il se trouve. »

Dès le jour même ils se mirent à l'œuvre. L'Esprit se montra tout d'abord, comme ses pareils, peu traitable ; petit à petit, il finit par s'humaniser, et finalement par renoncer à tourmenter ce malheureux. Un fait assez particulier, c'est qu'il déclara n'avoir aucun sujet de haine contre cet homme ; que, tourmenté du besoin de faire le mal, il s'en était pris à lui comme à tout autre ; qu'il reconnaissait maintenant avoir tort et en demandait pardon à Dieu. Le paysan revint au bout de deux jours, et dit que son parent était plus calme, mais qu'il n'était pas encore rentré chez lui, et se cachait dans les haies. A la visite suivante, il était revenu à la maison, mais il était sombre, et se tenait à l'écart ; il ne cherchait plus à frapper personne. Quelques jours après, il allait à la foire et faisait ses affaires comme d'habitude. Ainsi, huit jours avaient suffi pour le ramener à l'état normal, et cela sans aucun traitement physique. Il est plus que probable que si on l'eût enfermé avec des fous, il aurait tout à fait perdu la raison.

Les cas d'obsession sont tellement fréquents, qu'il n'y a aucune exagération à dire que dans les maisons d'aliénés il y en a plus de la moitié qui n'ont que l'apparence de la folie, et sur lesquels la médication vulgaire est par cela même impuissante.

Le Spiritisme nous montre dans l'obsession une des causes perturbatrices de l'économie, et nous donne en même temps le moyen d'y remédier : c'est là un de ses bienfaits. Mais comment cette cause a-t-elle été reconnue, si ce n'est par les évocations ? Les évocations sont donc bonnes à quelque chose, quoi qu'en disent leurs détracteurs.

Il est évident que ceux qui n'admettent ni l'âme individuelle, ni sa survivance, ou qui, s'ils l'admettent, ne se rendent pas compte de l'état de l'Esprit après la mort, doivent regarder l'intervention d'êtres invisibles, en pareille circonstance, comme une chimère ; mais le fait brutal du mal et des guérisons est là. On ne saurait mettre sur le compte de l'imagination des cures opérées à distance, sur des personnes que l'on n'a jamais vues, sans l'emploi d'aucun agent matériel quelconque. La maladie ne peut être attribuée à la pratique du Spiritisme, puisqu'elle atteint même ceux qui n'y croient pas, et des enfants qui n'en ont aucune idée. Il n'y a pourtant ici rien de merveilleux, mais des effets naturels qui ont existé de tout temps, que l'on ne comprenait pas alors, et qui s'expliquent de la manière la plus simple, maintenant que l'on connaît les lois en vertu desquelles ils se produisent.

Ne voit-on pas, parmi les vivants, des êtres méchants en tourmenter d'autres plus faibles, jusqu'à les rendre malades, à les faire mourir même, et cela sans autre motif que le désir de faire le mal ? Il y a deux moyens de rendre la paix à la victime : la soustraire d'autorité à leur brutalité, ou développer en eux le sentiment du bien. La connaissance que nous avons maintenant du monde invisible nous le montre peuplé des mêmes êtres qui ont vécu sur la terre, les uns bons, les autres mauvais. Parmi ces derniers, il en est qui se complaisent encore au mal, par suite de leur infériorité morale, et qui n'ont pas encore dépouillé leurs instincts pervers ; ils sont au milieu de nous comme de leur vivant, avec la seule différence qu'au lieu d'avoir un corps matériel visible, ils en ont un fluidique invisible ; mais ce n'en sont pas moins les mêmes hommes, au sens moral peu développé, cherchant toujours les occasions de faire le mal, s'acharnant sur ceux qui leur donnent prise et qu'ils parviennent à soumettre à leur influence ; d'obsesseurs incarnés qu'ils étaient, ils sont obsesseurs désincarnés, d'autant plus dangereux qu'ils agissent sans être vus. Les éloigner par la force n'est pas chose facile, attendu qu'on ne peut les appréhender au corps ; le seul moyen de les maîtriser, c'est l'ascendant moral à l'aide duquel, par le raisonnement et de sages conseils, on parvient à les rendre meilleurs, ce à quoi ils sont plus accessibles à l'état d'Esprit qu'à l'état corporel. Dès l'instant où on les a amenés à renoncer volontairement à tourmenter, le mal disparaît, si ce mal est le fait d'une obsession ; or, on comprend que ce ne sont ni les douches, ni les remèdes administrés au malade qui peuvent agir sur l'Esprit obsesseur. Voilà tout le secret de ces guérisons, pour lesquelles il n'y a ni paroles sacramentelles, ni formules cabalistiques : on cause avec l'Esprit désincarné, on le moralise, on fait son éducation, comme on l'eût fait de son vivant. L'habileté consiste à savoir le prendre selon son caractère, à diriger avec tact les instructions qu'on lui donne, comme le ferait un instituteur expérimenté. Toute la question se réduit à ceci : Y a-t-il, oui ou non, des Esprits obsesseurs ? A cela on répond ce que nous avons dit plus haut : Les faits matériels sont là.

On demande parfois pourquoi Dieu permet aux mauvais Esprits de tourmenter les vivants. On pourrait avec autant de raison demander pourquoi il permet aux vivants de se tourmenter entre eux. On perd trop de vue l'analogie, les rapports et la connexité qui existent entre le monde corporel et le monde spirituel, qui se composent des mêmes êtres sous deux états différents ; là est la clef de tous ces phénomènes réputés surnaturels.

Il ne faut pas plus s'étonner des obsessions que des maladies et autres maux qui affligent l'humanité ; elles font partie des épreuves et des misères qui tiennent à l'infériorité du milieu où nos imperfections nous condamnent à vivre, jusqu'à ce que nous nous soyons suffisamment améliorés pour mériter d'en sortir. Les hommes subissent ici-bas les conséquences de leurs imperfections, car s'ils étaient plus parfaits, ils n'y seraient pas.

Le naufrage du Borysthène

La plupart de nos lecteurs ont lu sans doute dans les journaux l'émouvant récit du naufrage du Borysthène, sur les côtes de l'Algérie, le 15 décembre 1865. Nous extrayons le passage suivant de la relation d'un des passagers échappés au désastre, publiée dans le Siècle du 26 janvier :

« … Au même instant, un craquement terrible, indéfinissable, se fait entendre, accompagné de secousses si violentes, que je tombai par terre ; puis j'entends un matelot qui crie : « Mon Dieu ! nous sommes perdus ; priez pour nous ! » Nous venions de toucher le rocher, et le navire s'entrouvrait ; l'eau entrait dans la cale, on l'entendait bouillonner. Les soldats, qui couchaient sur le pont, se sauvent pêle-mêle, n'importe où, en poussant des cris affreux ; les passagers, à demi-nus, s'élancent hors des cabines ; les pauvres femmes s'accrochaient à tout le monde, en suppliant qu'on les sauvât. On priait le bon Dieu tout haut ; on se disait adieu. Un négociant arme un pistolet et veut se brûler la cervelle : on lui arrache son arme.

Les secousses continuaient ; la cloche du bord sonnait le tocsin, mais le vent mugissait si affreusement, que la cloche n'était point entendue à cinquante mètres. C'étaient des cris, des hurlements, des prières ; c'était je ne sais quoi d'affreux, de lugubre, d'épouvantable. Jamais je n'ai rien vu, jamais je n'ai rien lu de scène aussi horrible, aussi poignante. Être là, plein de vie, de santé, et en face d'une mort que l'on croit certaine, et une mort affreuse !

En ce moment suprême et indescriptible, le vicaire, M. Moisset, nous donna à tous sa bénédiction. La voix pleine de larmes de ce pauvre prêtre, recommandant à Dieu deux cent cinquante malheureux que la mer allait engloutir, remuait toutes les entrailles. »

N'y a-t-il pas un grand enseignement dans cette spontanéité de la prière en face d'un péril imminent ? Parmi cette foule entassée sur le navire, il y avait certes des incrédules qui ne songeaient guère auparavant ni à Dieu ni à leur âme, et voilà qu'en présence d'une mort qu'ils croient certaine, ils tournent leurs regards vers l'Être Suprême, comme vers leur unique planche de salut. C'est qu'au moment où l'on entend sonner la dernière heure, involontairement le cœur le plus endurci se demande ce qu'il va devenir. Le malade, dans son lit, espère jusqu'au dernier moment, c'est pourquoi il brave toute puissance surhumaine, et quand la mort le frappe, le plus souvent il a déjà perdu la conscience de lui-même. Sur un champ de bataille, il y a une surexcitation qui fait oublier le danger ; et puis tout le monde n'est pas atteint, et l'on a une chance d'échapper ; mais au milieu de l'Océan, quand on voit s'engloutir son navire, on n'espère plus qu'en un secours de cette Providence que l'on avait oubliée, et à laquelle l'athée est tout prêt à demander un miracle. Mais, hélas ! le danger passé, combien y en a-t-il qui en rendent grâce au hasard et à leur bonne chance, ingratitude que tôt ou tard ils payeront chèrement. (Évangile selon le Spiritisme, ch. xxvii, n° 8.)

En pareille circonstance, quelle est la pensée du Spirite sincère ? « je sais, dit-il, que je dois m'efforcer de conserver ma vie corporelle ; je ferai donc tout ce qui est en mon pouvoir pour échapper au danger, car, si je m'y abandonnais volontairement, ce serait un suicide ; mais s'il plait à Dieu de me la retirer, qu'importe que ce soit d'une manière ou d'une autre, un peu plus tôt ou un peu plus tard ! La mort n'a pour moi aucune appréhension, parce que je sais que le corps seul meurt, et que c'est l'entrée de la véritable vie, de celle de l'Esprit libre, où je retrouverai tous ceux qui me sont chers. » Il entrevoit, par la pensée, le monde spirituel, but de ses aspirations, dont quelques instants seulement le séparent encore, et dont la mort de son corps, qui le retenait sur la terre, va enfin lui ouvrir l'accès ; il s'en réjouit au lieu de s'en affliger, comme le prisonnier qui voit s'ouvrir les portes de sa prison. Une seule chose l'attriste, c'est de quitter ceux qu'il aime ; mais il s'en console par la certitude qu'il ne les abandonnera pas, qu'il sera plus souvent et plus facilement près d'eux que pendant sa vie, qu'il pourra les voir et les protéger. A-t-il, au contraire, échappé au danger, il se dira : « Puisque Dieu me laisse encore vivre sur la terre, c'est que ma tâche ou mes épreuves n'y sont pas achevées. Le danger que j'ai couru est un avertissement que Dieu me donne de me tenir prêt à partir au premier moment, et de faire en sorte que ce soit dans les meilleures conditions possibles. » Puis il le remerciera de ce sursis qui lui est accordé, et s'efforcera de le mettre à profit pour son avancement.

Un des plus curieux épisodes de ce drame est le fait de ce passager qui voulait se brûler la cervelle, se donnant ainsi une mort certaine, tandis qu'en courant les chances du naufrage, il pouvait surgir un secours inespéré. Quel mobile pouvait le porter à cet acte insensé ? Beaucoup diront qu'il avait perdu la tête, ce qui serait possible ; mais peut-être était-il mû, à son insu, par une intuition dont il ne se rendait pas compte. Quoique nous n'ayons aucune preuve matérielle de la véritable explication qui est donnée ci-après, la connaissance des rapports qui subsistent entre les différentes existences lui donne tout au moins un grand degré de probabilité.

Les deux communications suivantes ont été données dans la séance de la Société de Paris du 12 janvier.



I

La prière est le véhicule des fluides spirituels les plus puissants, et qui sont comme un baume salutaire pour les blessures de l'âme et du corps. Elle attire tous les êtres vers Dieu, et fait en quelque sorte sortir l'âme de l'espèce de léthargie dans laquelle elle est plongée lorsqu'elle oublie ses devoirs envers son Créateur. Dite avec foi, elle provoque chez ceux qui l'entendent le désir d'imiter ceux qui prient, car l'exemple et la parole portent aussi des fluides magnétiques d'une très grande force. Celles qui furent dites sur le navire naufragé, par le prêtre, avec l'accent de la conviction la plus touchante et de la résignation la plus sainte, ont touché le cœur de tous ces malheureux qui croyaient leur dernière heure arrivée.

Quant à cet homme qui voulait se suicider en face d'une mort certaine, cette idée lui est venue d'une répulsion instinctive pour l'eau, car c'est la troisième fois qu'il meurt de cette manière, et il a supporté en quelques instants les plus horribles angoisses. A ce moment, il a eu l'intuition de tous ses malheurs passés, qui se sont retracés vaguement à son esprit : c'est pourquoi il voulait finir différemment. Deux fois il s'était noyé volontairement, et avait entraîné toute sa famille avec lui. L'impression confuse qui lui était restée des souffrances qu'il avait endurées lui donnait l'appréhension de ce genre de mort.

Priez pour ces malheureux, mes bons amis ; la prière de plusieurs personnes forme un faisceau qui soutient et fortifie l'âme pour laquelle elle est faite ; elle lui donne la force et la résignation.

Saint Benoît (méd., Mad. Delanne).



II

Il n'est pas rare de voir des gens qui, depuis longtemps, n'avaient pensé à prier, le faire lorsqu'ils sont menacés d'un danger imminent et terrible. D'où peut donc venir cette propension instinctive à se rapprocher de Dieu dans les moments critiques ? De ce même penchant qui porte à s'approcher de quelqu'un qu'on sait pouvoir nous défendre quand on est dans un grand péril. Alors les douces croyances des premières années, les sages instructions, les pieux conseils des parents, reviennent comme un rêve à la mémoire de ces hommes tremblants qui naguère trouvaient Dieu trop loin d'eux, ou niaient l'utilité de son existence. Ces esprits forts, devenus pusillanimes, ressentent d'autant plus les angoisses de la mort, que longtemps ils n'ont cru à rien ; ils n'avaient pas besoin de Dieu, pensaient-ils, et pouvaient se suffire. Dieu, pour leur faire sentir l'utilité de son existence, a permis qu'ils fussent exposés à une fin terrible, sans l'espoir d'être aidés par aucun secours humain. Ils se rappellent alors qu'autrefois ils ont prié, et que la prière dissipe les tristesses, fait supporter les souffrances avec courage, et adoucit les derniers moments de l'agonisant.

Tout cela lui apparaît, à cet homme en danger ; tout cela l'incite à prier de nouveau Celui qu'il a prié dans son enfance. Il se soumet alors, et prie Dieu du plus profond de son cœur, avec une foi vive qui tient d'une sorte de désespoir, de lui pardonner ses égarements passés. A cette heure suprême il ne pense plus à toutes les vaines dissertations sur l'existence de Dieu, car il ne la met plus en doute. En ce moment il croit, et c'est là une preuve que la prière est un besoin de l'âme ; que, fût-elle sans autre résultat, elle la soulagerait du moins et devrait, pour cela même, être répétée plus souvent ; mais heureusement elle a une action plus positive, et il est reconnu, ainsi que cela vous a été démontré, que la prière a pour tous une immense utilité : pour ceux qui la font, comme pour ceux à qui elle s'applique.

Ce que j'ai dit n'est vrai que du plus grand nombre ; car, hélas ! il en est qui ne recouvrent pas ainsi la foi à leur heure dernière ; qui, le vide dans l'âme, vont être, croient-ils, abîmés dans le néant et, par une sorte de frénésie, veulent s'y précipiter eux-mêmes. Ceux-là sont les plus malheureux, et vous qui savez toute l'utilité et tous les effets de la prière, priez surtout pour eux.

André (méd., M. Charles B.)

Anthropophagie

On lit dans le Siècle du 26 décembre 1865 :

« L'amirauté anglaise vient d'adresser aux villes maritimes qui font des armements pour l'Océanie une circulaire dans laquelle elle annonce que, depuis quelque temps, on remarque parmi les habitants des îles du grand Océan un redoublement d'anthropophagie. Dans cette circulaire, elle engage les capitaines des navires du commerce à prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter que leurs équipages ne soient victimes de cette affreuse coutume.

Depuis environ un an, les équipages de quatre navires ont été dévorés par les anthropophages des Nouvelles-Hébrides, de la baie le Jervis ou de la Nouvelle-Calédonie, et toutes les mesures doivent être prises pour éviter le renouvellement d'aussi cruels malheurs. »

Voici comment le journal le Monde explique cette recrudescence de l'anthropophagie :

« Nous avons eu le choléra, l'épizootie, la petite vérole ; les légumes, les animaux sont malades. Voici une épidémie plus douloureuse encore, que l'amirauté anglaise nous fait connaître : les sauvages de l'Océanie redoublent, dit-on, d'anthropophagie. Plusieurs faits horribles sont parvenus à la connaissance des lords de l'amirauté. Les équipages de plusieurs navires anglais ont disparu. Nul doute que nos autorités maritimes ne prennent aussi des mesures, car deux navires français ont été attaqués, les équipages pris et dévorés par les sauvages. L'esprit s'arrête devant ces horreurs, dont tous les efforts de notre civilisation n'ont pu triompher. Qui sait d'où viennent ces criminelles inspirations ?

Quel mot d'ordre a été donné à tous ces païens disséminés sur des centaines et des milliers d'îles dans les immensités de la mer du Sud ? Leur passion monstrueuse, un moment apaisée, reparaît au point d'appeler la répression, d'inquiéter les puissances de la terre. Il est de ces problèmes dont le dogme catholique seul peut donner la solution. L'esprit des ténèbres agit à de certains moments en toute liberté. Avant des événements graves, il s'agite, il pousse ses créatures, il les soutient et les inspire. De grands événements se préparent. La révolution croit l'heure venue de procéder au couronnement de l'édifice ; elle se recueille pour la lutte suprême ; elle s'attaque à la clef de voûte de la société chrétienne. L'heure est grave, et il semble que la nature entière en pressent et en prévoit la gravité. »

Nous nous étonnons de ne pas voir, parmi les causes de ce redoublement de férocité chez les sauvages, figurer le Spiritisme, ce bouc émissaire de tous les maux de l'humanité, comme le fut jadis le Christianisme à Rome. Il y est peut-être implicitement compris, comme étant, selon quelques-uns, l'œuvre de l'Esprit des ténèbres. « Le dogme catholique, dit le Monde, peut seul donner l'explication de ce problème. » Nous ne voyons pas que l'explication qu'il en donne soit très claire, ni ce que l'esprit révolutionnaire de l'Europe a de commun avec ces barbares. Nous trouvons même dans ce dogme une complication de la difficulté.

Les anthropophages sont des hommes : personne n'en a jamais douté. Or, le dogme catholique n'admettant pas la préexistence de l'âme, mais la création d'une âme nouvelle à la naissance de chaque corps, il en résulte que Dieu crée là-bas des âmes de mangeurs d'hommes, et ici des âmes capables de devenir des saints. Pourquoi cette différence ? C'est un problème dont l'Église n'a jamais donné la solution, et cependant c'est une clef de voûte essentielle. Selon sa doctrine, la recrudescence de l'anthropophagie ne peut que s'expliquer ainsi : c'est qu'en ce moment il plaît à Dieu de créer un plus grand nombre d'âmes anthropophages ; solution peu satisfaisante, et surtout peu conséquente avec la bonté de Dieu.

La difficulté augmente si l'on considère l'avenir de ces âmes. Que deviennent-elles après la mort ? Sont-elles traitées à l'égal de celles qui ont la conscience du bien et du mal ? Cela ne serait ni juste ni rationnel. Avec son dogme, l'Église, au lieu d'expliquer, est dans une impasse d'où elle ne peut sortir que par la constante fin de non recevoir du mystère, qu'il ne faut pas chercher à comprendre, sorte de non possumus qui coupe court aux questions embarrassantes.

Eh bien ! ce problème que l'Église ne peut résoudre, le Spiritisme en trouve la solution la plus simple et la plus rationnelle dans la loi de la pluralité des existences, à laquelle tous les êtres sont soumis, et en vertu de laquelle ils progressent. Les âmes des anthropophages sont ainsi des âmes rapprochées de leur origine, dont les facultés intellectuelles et morales sont encore obtuses et peu développées, et en qui, par cela même, dominent les instincts de la brute.

Mais ces âmes ne sont pas destinées à rester perpétuellement dans cet état inférieur, qui les priverait à jamais du bonheur des âmes plus avancées ; elles croissent en raison ; elles s'éclairent, s'épurent, s'améliorent, s'instruisent dans des existences successives. Elles revivent dans les races sauvages, tant qu'elles n'ont pas dépassé les limites de la sauvagerie. Arrivées à un certain degré, elles quittent ce milieu pour s'incarner dans une race un peu plus avancée ; de celle-ci dans une autre, et ainsi de suite, elles montent en grade en raison des mérites qu'elles acquièrent et des imperfections dont elles se dépouillent, jusqu'à ce qu'elles aient atteint le degré de perfection dont est susceptible la créature. La voie du progrès n'est fermée à aucune ; de telle sorte que l'âme la plus arriérée peut prétendre à la suprême félicité. Mais les unes, en vertu de leur litre arbitre, qui est l'apanage de l'humanité, travaillent avec ardeur à leur épuration, à leur instruction, à se dépouiller des instincts matériels et des langes de leur origine, parce qu'à chaque pas qu'elles font vers la perfection elles voient plus clair, comprennent mieux et sont plus heureuses ; celles-là avancent plus promptement, jouissent plus tôt : c'est là leur récompense. D'autres, toujours en vertu de leur libre arbitre, s'attardent en chemin, comme des écoliers paresseux et de mauvaise volonté, ou comme des ouvriers négligents ; elles arrivent plus tard, souffrent plus longtemps : c'est là leur punition, ou, si l'on veut, leur enfer. Ainsi se confirme, par la pluralité des existences progressives, l'admirable loi d'unité et de justice qui caractérise toutes les œuvres de la création. Comparez cette doctrine à celle de l'Église sur le passé et l'avenir des âmes, et voyez celle qui est la plus rationnelle, la plus conforme à la justice divine, et qui explique le mieux les inégalités sociales.

L'anthropophagie est assurément un des plus bas degrés de l'échelle humaine sur la terre, car le sauvage qui ne mange pas son semblable est déjà en progrès. Mais d'où vient la recrudescence de cet instinct bestial ? Il est à remarquer d'abord qu'elle n'est que locale, et qu'en somme, le cannibalisme a disparu en grande partie de la terre. Elle est inexplicable sans la connaissance du monde invisible, et de ses rapports avec le monde visible. Par les morts et par les naissances, ils s'alimentent l'un l'autre, se déversent incessamment l'un dans l'autre. Or, des hommes imparfaits ne peuvent fournir au monde invisible des âmes parfaites, et des âmes mauvaises, en s'incarnant, ne peuvent faire que des hommes méchants. Lorsque des catastrophes, des fléaux, emportent à la fois un grand nombre d'hommes, c'est une arrivée en masse d'âmes dans le monde des Esprits. Ces mêmes âmes devant revivre, en vertu de la loi de nature, et pour leur avancement, des circonstances peuvent également les ramener en masses sur la terre.

Le phénomène dont il s'agit tient donc simplement à l'incarnation accidentelle, dans les milieux infimes, d'un plus grand nombre d'âmes arriérées, et non à la malice de Satan, ni au mot d'ordre donné aux peuplades de l'Océanie. En aidant au développement du sens moral de ces âmes, pendant leur séjour terrestre, et c'est la mission des hommes civilisés, on les améliore ; et quand elles reprendront une nouvelle existence corporelle pour avancer encore, elles feront des hommes moins mauvais qu'ils n'étaient, plus éclairés, aux instincts moins féroces, parce que le progrès acquis ne se perd jamais. C'est ainsi que s'accomplit graduellement le progrès de l'humanité.

Le Monde est dans le vrai, en disant que de grands événements se préparent. Oui, une transformation s'élabore dans l'humanité. Déjà les premiers tressaillements de l'enfantement se font sentir ; le monde corporel et le monde spirituel s'agitent, car c'est la lutte entre ce qui finit et ce qui commence. Au profit de qui sera cette transformation ? Le progrès étant la loi providentielle de l'humanité, elle ne peut avoir lieu qu'au profit du progrès. Mais les grands enfantements sont laborieux ; ce n'est pas sans secousses et sans de larges déchirements au sol, qu'on extirpe des terrains à défricher les mauvaises herbes qui ont de longues et profondes racines.

L'épinette d'Henry III

Le fait ci-après est une suite de l'intéressante histoire de l'Air et paroles du roy Henry III, rapportée dans la Revue de juillet 1865, page 193. Depuis lors, M. Bach est devenu médium écrivain, mais il pratique peu, à cause de la fatigue qui en résulte pour lui. Il ne le fait que lorsqu'il y est incité par une force invisible, qui se traduit par une vive agitation et un tremblement de la main, car alors la résistance est plus pénible que l'exercice. Il est mécanique, dans le sens le plus absolu du mot, n'ayant ni conscience ni souvenir de ce qu'il écrit. Un jour qu'il se trouvait dans cette disposition, il écrivit le quatrain suivant :

Le roy Henry donne cette grande espinette

A Baldazzarini, très-bon musicien.

Si elle n'est bonne ou pas assez coquette

Pour souvenir, du moins, qu'il la conserve bien.

L'explication de ces vers, qui, pour M. Bach, n'avaient pas de sens, lui fut donnée en prose.

« Le roy Henry mon maître, qui m'a donné l'espinette que tu possèdes, avait écrit un quatrain sur un morceau de parchemin qu'il avait fait clouer sur l'étui, et me l'envoya un matin. Quelques années plus tard, ayant un voyage à faire, et craignant, puisque j'emportais mon espinette avec moi pour faire de la musique, que le parchemin ne fût arraché et perdu, je l'ai enlevé, et, pour ne pas le perdre, je l'ai mis dans une petite niche, à gauche du clavier, où il est encore. »

L'épinette est l'origine des pianos actuels dans leur plus grande simplicité, et se jouait de la même manière ; c'était un petit clavecin à quatre octaves, d'environ un mètre et demi de long sur quarante centimètres de large, et sans pieds. Les cordes, à l'intérieur, étaient disposées comme dans les pianos, et frappées à l'aide de touches. On le transportait à volonté en l'enfermant dans un étui, comme on fait pour les basses et les violoncelles. Pour s'en servir, on le posait sur une table ou sur un X mobile.

L'instrument était alors à l'exposition du musée rétrospectif, aux Champs-Élysées, où il n'était pas possible de faire la recherche indiquée. Lorsqu'il lui fut rapporté, M. Bach, de concert avec son fils, s'empressa d'en fureter tous les recoins, mais inutilement, de sorte qu'il crut d'abord à une mystification. Néanmoins, pour n'avoir rien à se reprocher, il le démonta complètement, et découvrit, à gauche du clavier, entre deux planchettes, un intervalle si étroit, qu'on n'y pouvait introduire la main. Il fouilla ce réduit, plein de poussière et de toiles d'araignées, et en retira un morceau de parchemin plié, noirci par le temps, long de trente et un centimètres sur sept et demi de large, sur lequel était écrit le quatrain suivant, en assez gros caractères de l'époque :

Moy le Roy Henry trois octroys cette espinette

A Baltasarini, mon gay musicien,

Mais sis dit mal soñe, ou bien ma moult simplette

Lors pour mon souvenir dans lestuy garde bien.

Henry.



Ce parchemin est percé aux quatre coins de trous qui sont évidemment ceux des clous ayant servi à le fixer sur la boîte. Il porte en outre, sur les bords, une multitude de trous alignés et régulièrement espacés, qui paraissent avoir été faits par de très petits clous. Il a été exposé dans la salle des séances de la Société, et nous avons eu tout le loisir de l'examiner, ainsi que l'épinette, sur laquelle M. Bach nous a fait entendre l'air et les paroles dont nous avons rendu compte, et qui lui ont été, comme on le sait, révélés en songe.

Les premiers vers dictés reproduisaient, comme on le voit, la même pensée que ceux du parchemin, dont ils sont la traduction en langage moderne, et cela avant que ceux-ci ne fussent découverts.

Le troisième vers est obscur, et contient surtout le mot ma qui semble n'avoir aucun sens, et ne point se lier à l'idée principale, et qui, dans l'original, est entouré d'un filet en carré ; nous en avions inutilement cherché l'explication, et M. Bach lui-même n'en savait pas davantage. Étant un jour chez ce dernier, il eut spontanément, en notre présence, une communication de Baldazzarini, donnée à notre intention et ainsi conçue :


« Amico mio,

Je suis content de toi ; tu as écrit ces vers dans mon espinette ; mon vœu est accompli, je suis tranquille à présent. (Allusion à d'autres vers dictés à M. Bach et que Baldazzarini lui avait dit d'écrire dans l'instrument.) Je veux dire un mot au savant président qui vient te visiter.

O toi, Allan Kardec, dont les travaux utiles

Instruisent chaque jour des spirites nouveaux,

Tu ne nous fais jamais des questions futiles ;

Aussi les bons Esprits éclairent tes travaux.

Mais il te faut lutter contre les ignorants

Qui, sur notre terre, se croyent des savants.

Ne te rebute pas ; la tâche est difficile ;

Pour tout propagateur fût-ce jamais facile ?

Le roy plaisantait mon accent dans ses vers ; je disais toujours ma au lieu de mais. Adio, amico.

Baldazzarini. »



Ainsi a été donnée, sans question préalable, l'explication de ce mot ma. C'est le mot italien signifiant mais, intercalé par plaisanterie, par lequel le roi désignait Baldazzarini, qui, comme beaucoup de ceux de sa nation, le prononçait souvent. Ainsi le roi, en donnant cette épinette à son musicien, lui dit : Si elle n'est pas bonne, si elle sonne mal, ou si ma (Baldazzarini) la trouve trop simple, de trop peu de valeur, qu'il la garde dans son étui, en souvenir de moi. Le mot ma est entouré d'un filet, comme un mot entre parenthèses. Nous aurions, certes, longtemps cherché cette explication, qui ne pouvait être le reflet de la pensée de M. Bach. puisque lui-même n'y comprenait rien. Mais l'Esprit a vu que nous en avions besoin pour compléter notre compte rendu, et il a profité de l'occasion pour nous la donner sans que nous ayons eu la pensée de la lui demander, car, lorsque M. Bach se mit à écrire, nous ignorions, ainsi que lui, quel était l'Esprit qui se communiquait.

Une importante question restait à résoudre, c'était de savoir si l'écriture du parchemin était bien réellement de la main d'Henri III. M. Bach se rendit à la Bibliothèque impériale pour la comparer avec celle des manuscrits originaux. On en trouva d'abord avec lesquels il n'y avait pas une similitude parfaite, mais seulement un même caractère d'écriture. Avec d'autres pièces, l'identité était absolue, tant pour le corps de l'écriture que pour la signature ; cette différence provenait de ce que l'écriture du roi était variable, circonstance qui sera expliquée tout à l'heure.

Il ne pouvait donc rester de doute sur l'authenticité de cette pièce, quoique certaines personnes, qui professent une incrédulité radicale à l'endroit des choses dites surnaturelles, aient prétendu que ce n'était qu'une imitation très exacte. Or nous ferons observer qu'il ne s'agit point ici d'une écriture médianimique donnée par l'Esprit du roi, mais d'un manuscrit original écrit par le roi lui-même, de son vivant ; et qui n'a rien de plus merveilleux que ceux que des circonstances fortuites font chaque jour découvrir. Le merveilleux, si merveilleux il y a, n'est que dans la manière dont son existence a été révélée. Il est bien certain que si M. Bach se fût contenté de dire qu'il l'avait trouvé par hasard dans son instrument, on n'eût élevé aucune objection.

Ces faits avaient été rapportés dans la séance de la Société du 19 janvier 1866, à laquelle assistait M. Bach. M. Morin, membre de la Société, médium somnambule très lucide, et qui, dans son sommeil magnétique, voit parfaitement les Esprits et s'entretient avec eux, assistait à cette séance en état de somnambulisme. Pendant la première partie de la séance, consacrée à des lectures diverses, à la correspondance et au récit des faits, M. Morin, dont on ne s'occupait pas, paraissait en conversation mentale avec des êtres invisibles ; il leur souriait, échangeait avec eux des poignées de main. Lorsque vint son tour de parler, on lui demanda de désigner les Esprits qu'il voyait et de les prier de nous transmettre, par son intermédiaire, ce qu'ils voudraient nous dire pour notre instruction. Il ne lui fut pas adressé une seule question directe. Nous ne mentionnons sommairement que quelques-uns des faits qui se sont passés, pour donner une idée de la physionomie de la séance, et pour en venir au sujet principal qui nous occupe ici.

Vous les nommer tous, dit-il, serait chose impossible, car le nombre en est trop grand ; il y en a d'ailleurs beaucoup que vous ne connaissez pas, et qui viennent pour s'instruire. La plupart voudraient parler, mais ils cèdent la place à ceux qui ont, pour le moment, des choses plus importantes à dire.

Il y a d'abord ici, à côté de nous, notre ancien collègue, le dernier parti pour le monde des Esprits, M. Didier, qui ne manque pas une de nos séances, et que je vois exactement comme de son vivant, avec la même physionomie ; on dirait qu'il est là avec son corps matériel ; seulement il ne tousse plus. Il me fait part de ses impressions, de son opinion sur les choses actuelles, et me charge de vous transmettre ses paroles.

Vint ensuite un jeune homme tout récemment suicidé dans des circonstances exceptionnelles et dont il décrivit la situation, qui présente une phase en quelque sorte nouvelle de l'état de certains suicidés, après la mort, en raison des causes déterminantes du suicide et de la nature de leurs pensées.

Puis vint M. B…, fervent Spirite, mort depuis quelques jours à la suite d'une opération chirurgicale, et qui avait puisé dans sa croyance et dans la prière la force de supporter courageusement et avec résignation ses longues souffrances. « Quelle reconnaissance, dit-il, ne dois-je pas au Spiritisme ! sans lui, j'aurais certainement mis fin à mes tortures, et je serais comme ce malheureux jeune homme que vous venez de voir. La pensée du suicide m'est venue plus d'une fois ; mais chaque fois je l'ai repoussée ; sans cela, que mon sort serait triste ! Aujourd'hui je suis heureux, oh ! bien heureux, et je remercie nos frères qui m'ont assisté de leurs prières pleines de charité. Ah ! si l'on savait quelles douces et salutaires effluves la prière du cœur verse sur les souffrances !

« Mais où donc me conduit-on ? continue le somnambule ; dans un misérable logement ! Il y a là un homme jeune encore qui se meurt de la poitrine…, le dénuement est complet : rien pour se chauffer, rien pour sa nourrir ! Sa femme, épuisée par la fatigue et les privations, ne peut plus travailler… Ah ! dernière et triste ressource !… elle n'a plus de cheveux… elle les a coupés et vendus pour avoir quelques sous !… Combien de jours cela les fera-t-il vivre ?… C'est affreux ! »

Sur la demande qui lui est faite s'il peut indiquer le domicile de ces pauvres gens, il dit : « Attendez ! » Puis il semble écouter ce qu'on lui dit ; il prend un crayon et écrit un nom avec indication de la rue et du numéro. Vérification en ayant été faite dès le lendemain matin, tout fut trouvé parfaitement exact.

Remis de son émotion, et son Esprit revenu au lieu de la séance, il parla encore de plusieurs autres personnes et de diverses choses qui furent pour nos guides spirituels le sujet d'instructions d'une haute portée, et que nous aurons occasion de rapporter une autre fois.

Tout à coup il s'écrie : « Mais il y a ici des Esprits de toutes sortes ! Il y en a qui ont été princes, rois ! En voici un qui s'avance ; il a la figure longue et blême, une barbiche pointue, une espèce de bonnet surmonté d'une flammèche. Il me dit de vous dire :

« Le parchemin dont vous avez parlé et que vous avez sous les yeux a bien été écrit de ma propre main, mais je vous dois à ce sujet une explication.

De mon temps on n'écrivait pas avec autant de facilité qu'aujourd'hui, surtout les hommes dans ma position. Les matériaux étaient moins commodes et moins perfectionnés ; l'écriture était plus lente, plus grosse, plus lourde ; aussi reflétait-elle mieux les impressions de l'âme. Je n'étais pas, vous le savez, d'une humeur égale, et, selon que j'étais en bonne ou mauvaise disposition, mon écriture changeait de caractère. C'est ce qui explique la différence que l'on remarque dans les manuscrits qui restent de moi. Quand j'ai écrit ce parchemin pour mon musicien en lui envoyant l'épinette, j'étais dans un de mes moments de satisfaction. Si vous recherchez dans mes manuscrits ceux dont l'écriture ressemble à celle-ci, vous reconnaîtrez, par le sujet qu'ils traitent, que je devais être dans un de ces bons moments, et vous aurez là une autre preuve d'identité. »

A l'occasion de la découverte de cet écrit, dont le Grand Journal a parlé dans son numéro du 14 janvier, le même journal contient, dans celui du 21 janvier, l'article suivant :

Coulons à fond la question de correspondance, en mentionnant la lettre de madame la comtesse de Martino, relative à l'épinette de M. Bach. Madame la comtesse de Martino est persuadée que le correspondant surnaturel de M. Bach est un imposteur, attendu qu'il devrait signer Baldazzarini et non Baltazarini, ce qui est de l'italien de cuisine. »

Nous ferons remarquer d'abord que cette chicane à propos du l'orthographe d'un nom propre est passablement puérile, et que l'épithète d'imposteur, à défaut du correspondant invisible, auquel madame la comtesse ne croit pas, retombe sur un homme honorable, ce qui n'est pas de fort bon goût. En second lieu, Baldazzarini, simple musicien, espèce de troubadour, pouvait bien ne pas posséder la langue italienne dans sa pureté, à une époque où l'on ne se piquait pas d'instruction. Contesterait-on l'identité d'un Français qui écrirait en français de cuisine, et n'en voit-on pas qui ne savent pas écrire correctement leur propre nom ? Baldazzarini, par son origine, ne devait pas être beaucoup au-dessus de la cuisine. Mais cette critique tombe devant un fait, c'est que les Français, peu familiarisés avec les nuances de l'orthographe italienne, en entendant prononcer ce nom, l'écrivent naturellement à la française. Le roi Henri III lui-même, dans le quatrain retrouvé et cité plus haut, l'écrit simplement Baltasarini, et cependant il n'était pas un cuisinier. Ainsi en a-t-il été de ceux qui ont adressé au Grand Journal le récit du fait en question. Quant au musicien, dans les diverses communications qu'il a dictées à M. Bach et dont nous avons plusieurs originaux entre les mains, il a signé Baldazzarini et quelquefois Baldazzarrini, ainsi qu'on peut s'en convaincre ; la faute n'en est donc point à lui, mais ceux qui, par ignorance, ont francisé son nom, et à nous tout le premier.

Il est vraiment curieux de voir les puérilités auxquelles s'attachent les adversaires du Spiritisme, preuve évidente de la pénurie de bonnes raisons.

Les rats d'Équihen

Un de nos abonnés de Boulogne-sur-Mer nous mande ce qui suit à la date du 24 décembre 1865 :

« Il y a quelques jours, j'ai appris qu'à Équihen, village de pêcheurs, près Boulogne, chez le sieur L…, très riche fermier, se passaient des faits ayant le caractère des manifestations physiques spontanées, et qui rappellent ceux des Grandes-Ventes, près Dieppe, de Poitiers, de Marseille, etc. Tous les jours, vers sept heures du soir, des coups et des roulements très bruyants se font entendre sur les planchers. Une armoire fermée à clef s'ouvre tout à coup, et le linge qu'elle renferme est jeté au milieu de la chambre ; les lits, surtout celui de la fille de la maison, sont brusquement découverts à plusieurs reprises.

Quoique cette population fût bien loin de s'occuper de Spiritisme, et même de savoir ce que c'est, on pensa que l'auteur de ce vacarme, dont toutes les recherches et la surveillance la plus minutieuse n'avaient pu faire découvrir la cause, pourrait bien être un frère du sieur L…, ancien militaire, mort en Algérie depuis deux ans. Il avait, paraît-il, reçu de ses parents la promesse que, s'il mourait au service, ceux-ci feraient rapporter son corps à Équihen. Cette promesse n'ayant pas reçu son exécution, on supposait que c'était l'Esprit de ce frère, qui venait chaque jour, depuis six semaines, mettre en émoi la maison, et par suite tout le village.

Le clergé s'est ému de ces phénomènes ; quatre curés de la localité et des environs, puis cinq Rédemptoristes et trois ou quatre religieuses, sont venus ; ils ont exorcisé l'Esprit, mais inutilement. Voyant qu'ils ne pouvaient réussir à faire cesser le tapage, ils conseillèrent au sieur L… de partir pour l'Algérie à la recherche du corps de son frère, ce qu'il fit sans désemparer. Avant son départ, ces messieurs firent confesser et communier toute la famille ; ils dirent ensuite qu'il fallait faire dire des messes, surtout une messe chantée, puis des messes basses chaque jour ; la première eut lieu, et les Rédemptoristes furent chargés des autres. Ils firent aux femmes L… la recommandation expresse d'étouffer ces bruits, et de dire à tous ceux qui viendraient s'informer si cela continuait, que tout ce vacarme était occasionné par les rats. Il faut, ajoutèrent-ils, vous garder d'ébruiter ces choses, car ce serait une grave offense envers Dieu, parce qu'il existe une secte qui cherche à détruire la religion ; que si elle apprenait ce qui se passe, elle ne manquerait pas de s'en prévaloir pour lui nuire, ce dont la famille serait responsable devant Dieu ; qu'il était très malheureux que la chose fût déjà si répandue. Dès ce moment, les portes furent barricadées, la barrière de la cour soigneusement fermée à clef, et l'entrée interdite à tous ceux qui venaient chaque soir entendre les bruits. Mais si l'on a mis des clefs aux portes, on n'a pu en mettre à toutes les langues, et les rats ont si bien fait, qu'ils se sont fait entendre à dix lieues à la ronde. De mauvais plaisants ont dit qu'ils avaient bien vu des rats ronger le linge, mais pas encore le lancer à travers les chambres, ni ouvrir des portes fermées à clef ; c'est que, disaient-ils, ce sont probablement des rats d'une nouvelle espèce, importés par quelque navire étranger. Nous attendons avec impatience qu'on les montre au public. »

Le même fait nous est rapporté par deux autres de nos correspondants. Il en ressort une première considération, c'est que ces messieurs du clergé, qui étaient nombreux, et qui avaient intérêt à y découvrir une cause vulgaire, n'auraient pas manqué de la signaler si elle avait existé, et n'auraient pas surtout prescrit le petit mensonge des rats, sous peine d'encourir la disgrâce de Dieu. Ils ont donc reconnu l'intervention d'une puissance occulte. Mais alors pourquoi l'exorcisme est-il toujours impuissant en pareil cas ? A cela, il y a d'abord une première raison péremptoire, c'est que l'exorcisme s'adresse aux démons ; or, les Esprits obsesseurs et tapageurs n'étant pas des démons, mais des êtres humains, l'exorcisme ne va pas à leur adresse. En second lieu, l'exorcisme est un anathème et une menace qui irrite l'Esprit malfaisant, et non une instruction capable de le toucher et de l'amener au bien.

Dans la circonstance présente, ces messieurs ont reconnu que ce pouvait être l'Esprit du frère mort en Algérie ; autrement, ils n'auraient pas conseillé d'aller chercher son corps, afin d'accomplir la promesse qui lui a été faite ; ils n'auraient pas recommandé des messes qui ne pouvaient être dites au profit des démons. Que devient donc la doctrine de ceux qui prétendent que les démons seuls peuvent se manifester, et que ce pouvoir est refusé aux âmes des hommes ? Si un Esprit humain a pu le faire dans le cas dont il s'agit, pourquoi ne le ferait-il pas en d'autres ? Pourquoi un Esprit bon et bienveillant ne se communiquerait-il pas par d'autres moyens que la violence, pour se rappeler au souvenir de ceux qu'il a aimés, ou pour leur donner de sages conseils ?

Il faut être conséquent avec soi-même. Dites carrément, une fois pour toutes, que ce sont toujours les démons, sans exception : on en croira ce qu'on voudra ; ou bien, reconnaissez que les Esprits sont les âmes des hommes, et que dans le nombre, il y en a de bons et de mauvais qui peuvent se communiquer.

Ici se présente une question spéciale au point de vue spirite. Comment des Esprits peuvent-ils tenir à ce que leur corps soit plutôt dans un endroit que dans un autre ? Les Esprits d'une certaine élévation n'y tiennent nullement ; mais les moins avancés ne sont pas tellement détachés de la matière, qu'ils n'attachent encore de l'importance aux choses terrestres, ainsi que le Spiritisme en offre de nombreux exemples. Mais ici l'Esprit peut être sollicité par un autre motif, celui de rappeler à son frère qu'il a manqué à sa promesse, négligence que celui-ci ne pouvait excuser par la gêne, puisqu'il est riche. Il s'était peut-être dit : « Bah ! mon frère est mort, il ne viendra pas faire sa réclamation, et ce sera une grande dépense de moins. » Or, supposons que le frère, fidèle à ses engagements, se fût, dès le principe, rendu en Algérie, mais qu'il eût été dans l'impossibilité de retrouver le corps, ou que, vu la confusion inévitable en temps de guerre, il eût rapporté au village un autre corps que celui de son parent, ce dernier n'en eût pas moins été satisfait, car le devoir moral eût été accompli. Les Esprits nous disent sans cesse : La pensée est tout ; la forme n'est rien, et nous n'y tenons pas.

Nouvel et définitif enterrement du Spiritisme

Que de fois n'a-t-on pas dit que le Spiritisme était mort et enterré ! Que d'écrivains se sont flattés de lui avoir donné le coup de grâce, les uns parce qu'ils avaient dit de gros mots assaisonnés de gros sel, les autres parce qu'ils avaient découvert un charlatan s'affublant du nom de Spirite, ou quelque grossière imitation d'un phénomène ! Sans parler de tous les sermons, mandements et brochures de même source dont le moindre croyait avoir lancé la foudre, l'apparition des spectres sur les théâtres fut saluée par un hourra ! sur toute la ligne. « Nous tenons le secret de ces Spirites, disaient à l'envi les journaux, petits et grands, depuis Perpignan jusqu'à Dunkerque ; jamais ils ne se relèveront de ce coup de massue ! » Les spectres ont passé, et le Spiritisme est resté debout. Puis vinrent les frères Davenport, apôtres et grands-prêtres du Spiritisme qu'ils ne connaissaient pas, et qu'aucun Spirite ne connaissait. Là encore, M. Robin a eu la gloire de sauver une seconde fois la France et l'humanité, tout en faisant très bien les affaires de son théâtre ; la presse a tressé des couronnes à ce courageux défenseur du bon sens, à ce savant qui avait découvert les ficelles du Spiritisme, comme M. le docteur Jobert (de Lamballe) avait découvert la ficelle du muscle craqueur. Cependant les frères Davenport sont partis sans les honneurs de la guerre ; le muscle craqueur est tombé dans l'eau, et le Spiritisme se porte toujours bien. Cela prouve évidemment une chose, c'est qu'il ne consiste ni dans les spectres de M. Robin, ni dans les cordes et les tambours de basque de MM. Davenport, ni dans le muscle court péronier[1]. C'est donc encore un coup manqué ; mais cette fois, voici le bon, le véritable, il est impossible que le Spiritisme s'en relève : c'est l'Événement, l'Opinion nationale et le Grand Journal qui nous l'apprennent et qui l'affirment. Une chose assez bizarre, c'est que le Spiritisme se plaît à reproduire tous les faits qu'on lui oppose, et qui, selon ses adversaires, doivent le tuer. S'il les croyait bien dangereux, il les tairait. Voici ce dont il s'agit :

« Le célèbre acteur anglais Sothem vient d'écrire à un journal de Glascow une lettre qui donne le dernier coup au Spiritisme. Ce journal lui reprochait d'attaquer sans ménagement les frères Davenport et les adeptes des influences occultes, après avoir lui-même donné des séances de Spiritisme en Amérique, sous le nom de Sticart, qui était alors son pseudonyme de théâtre. M. Sothem avoue très bien avoir fréquemment montré à ses amis qu'il était capable d'exécuter toutes les jongleries des Spirites, et même d'avoir fait des tours encore plus merveilleux ; mais jamais ses expériences n'ont été exécutées en dehors d'un petit cercle d'amis et de connaissances. Jamais il n'a fait payer un sou à qui que ce soit ; il faisait lui-même les frais de ses expériences, à la suite desquelles lui et ses amis se réunissaient dans un joyeux souper.

Avec le concours d'un Américain très actif, il a obtenu les résultats les plus curieux : l'apparition des fantômes, le bruit des instruments, les signatures de Shakspeare, les mains invisibles passant dans les cheveux des spectateurs en leur appliquant des soufflets, etc., etc.

M. Sothem a toujours dit que tous ces tours étaient le résultat de combinaisons ingénieuses, d'adresse et de dextérité, sans que les Esprits de l'autre monde y eussent aucune part.

En résumé, le célèbre artiste déclare qu'il met au défi les Hume, les Davenport, et tous les Spirites du monde, de faire aucune manifestation qu'il ne puisse surpasser.

Il n'a jamais entendu faire métier de son adresse, mais seulement déconcerter les fourbes, qui outragent la religion et volent l'argent du public, en lui faisant croire qu'ils ont une puissance surnaturelle, qu'ils entretiennent des relations avec l'autre monde, qu'ils peuvent évoquer les âmes des morts, M. Sothem ne prend pas de circonlocutions pour dire son opinion ; il dit les choses par leur noms et appelle un chat un chat et les Rollets… des fripons. »

MM. Davenport avaient contre eux deux choses que nos adversaires ont reconnues : les exhibitions théâtrales et l'exploitation. Croyant de bonne foi, du moins nous aimons à le penser, que le Spiritisme consiste dans des tours de force de la part des Esprits, les adversaires s'attendaient à ce que les Spirites allaient prendre fait et cause pour ces messieurs ; ils ont été un peu désappointés quand ils les ont vus, au contraire, désavouer ce genre de manifestations comme nuisible aux principes de la doctrine, et démontrer qu'il est illogique d'admettre que des Esprits soient à toute heure aux ordres du premier venu qui voudrait s'en servir pour gagner de l'argent. Certains critiques même ont, de leur propre mouvement, fait valoir cet argument contre MM. Davenport, sans se douter qu'ils plaidaient la cause du Spiritisme. L'idée de mettre en scène les Esprits et de les faire servir de comparses dans un but d'intérêt a fait éprouver un sentiment général de répulsion, presque de dégoût, même chez les incrédules, qui se sont dit : « Nous ne croyons pas aux Esprits, mais s'il y en a, ce n'est pas dans de telles conditions qu'ils doivent se montrer, et on doit les traiter avec plus de respect. » Ils ne croyaient pas à des Esprits venant à tant par séance, et en cela ils avaient parfaitement raison ; d'où il faut conclure que les exhibitions de choses extraordinaires et l'exploitation sont les plus mauvais moyens de faire des prosélytes. Si le Spiritisme patronnait ces choses-là, ce serait son côté faible ; ses adversaires le comprennent si bien, que c'est celui sur lequel ils ne négligent aucune occasion de frapper, croyant atteindre la doctrine. M. Gérôme, de l'Univers illustré, répondant à M. Blanc de Lalésie (voir notre Revue de décembre), qui lui reprochait de parler de ce qu'il ne connaissait pas, dit : « Pratiquement j'ai étudié le Spiritisme chez les frères Davenport, cela m'a coûté 15 francs. Il est vrai qu'aujourd'hui les frères Davenport travaillent dans les prix doux : pour 3 ou 5 francs on en peut voir la farce ; les prix de Robin, à la bonne heure ! »

L'auteur de l'article sur la jeune cataleptique de Souabe, lequel n'est nullement spirite (voir le n° de janvier, page 18), a soin de faire ressortir, comme un titre à la confiance dans ces phénomènes extraordinaires, que les parents ne songent nullement à tirer parti des étranges facultés de leur fille.

L'exploitation de l'idée spirite est donc bien et dûment un sujet de discrédit. Les Spirites désavouent la spéculation, c'est pour cela qu'on a soin de présenter l'acteur Sothem comme complètement désintéressé, dans l'espoir de s'en faire un argument victorieux. C'est toujours cette idée que le Spiritisme ne vit que de faits merveilleux et de jongleries.

Que la critique frappe donc tant qu'elle voudra sur les abus, qu'elle démasque les trucs et les ficelles des charlatans, le Spiritisme, qui n'use d'aucun procédé secret, et dont la doctrine est toute morale, ne peut que gagner à être débarrassée des parasites qui s'en font, un marchepied, et de ceux qui en dénaturent le caractère.

Le Spiritisme a eu pour adversaires des hommes d'une valeur réelle, comme savoir et comme intelligence, qui ont déployé contre lui sans succès tout l'arsenal de l'argumentation. Nous verrons si l'acteur Sothem réussira mieux que les autres à l'enterrer. Il le serait depuis longtemps s'il avait reposé sur les absurdités qu'on lui prête. Si donc, après avoir tué la jonglerie et décrié les pratiques ridicules, il existe toujours, c'est qu'il y a en lui quelque chose de plus sérieux qu'on n'a pu atteindre.


[1]Voir la Revue Spirite de juin 1859, page 141 : Le muscle craqueur. Le Moniteur et d'autres journaux ont annoncé, il y a déjà quelque temps, que M. le docteur Jobert (de Lamballe) avait été atteint d'aliénation mentale, et se trouvait actuellement dans une maison de santé. Ce triste événement n'est assurément pas l'effet de sa croyance aux Esprits.



Les quiproquos

L'avidité avec laquelle les détracteurs du Spiritisme saisissent les moindres nouvelles qu'ils croient lui être défavorables, les expose à de singulières méprises. Leur empressement à les publier est tel qu'ils ne se donnent pas le temps d'en vérifier l'exactitude. A quoi bon, d'ailleurs, se donner cette peine ! la vérité du fait est une question secondaire ; pourvu qu'il en rejaillisse du ridicule, c'est l'essentiel. Cette précipitation a parfois ses inconvénients, et dans tous les cas atteste une légèreté qui est loin d'ajouter à la valeur de la critique.

Jadis, les bateleurs s'appelaient tout simplement escamoteurs ; ce nom étant tombé en discrédit, ils y substituèrent le mot prestidigitateurs, mais qui rappelait encore trop le joueur de gobelets. Le célèbre Conte fut, croyons-nous, le premier qui se décora du titre de physicien et qui obtint le privilège, sous la Restauration, de mettre sur ses affiches et sur l'enseigne de son théâtre : Physicien du roi. Depuis lors, il n'y eut si mince escamoteur courant les foires qui ne s'intitulât aussi : physicien, professeur de physique, etc., manière comme une autre de jeter de la poudre aux yeux d'un certain public qui, n'en sachant pas davantage, les mit de bonne foi sur la même ligne que les physiciens de la Faculté des sciences. Assurément, l'art de la prestidigitation a fait d'immenses progrès, et l'on ne peut contester à quelques-uns de ceux qui le pratiquent avec éclat, des connaissances spéciales, un talent réel, et un caractère honorable ; mais ce n'est toujours que l'art de produire des illusions avec plus ou moins d'habileté, et non une science sérieuse ayant sa place à l'Institut.

M. Robin s'est acquis dans ce genre une célébrité à laquelle n'a pas peu contribué le rôle qu'il a joué dans l'affaire des frères Davenport. Ces messieurs, à tort ou à raison, ont prétendu qu'ils opéraient à l'aide des Esprits ; était-ce de leur part un nouveau moyen de piquer la curiosité en sortant des sentiers battus ? Ce n'est pas ici le lieu d'exprimer la question. Quoi qu'il en soit, par cela seul qu'ils se sont dits agents des Esprits, ceux qui n'en veulent à aucun prit ont crié haro ! M. Robin, en homme habile à saisir l'à propos, monte aussitôt sur la brèche ; il déclare produire les mêmes effets par de simples tours d'adresse ; la critique, croyant les Esprits morts, chante victoire le proclame vainqueur.

Mais l'enthousiasme est aveugle, et commet parfois d'étranges maladresses. Il y a bien des Robin dans le monde, comme il y a bien des Martin. Voilà qu'un M. Robin, professeur de physique, vient d'être élu membre de l'Académie des sciences. Plus de doute ; ce ne peut être que M. Robin, le physicien du boulevard du Temple, le rival des frères Davenport, qui chaque soir pourfend les Esprits sur son théâtre, et sans plus ample informé, un journal sérieux, l'Opinion nationale, dans son feuilleton du samedi, 20 janvier publie l'article suivant :

« Les événements de la semaine auront tort. Il y en avait pourtant d'assez curieux dans le nombre. Par exemple, l'élection de Charles Robin à l'Académie des sciences. Il y avait longtemps que nous plaidions ici dans l'intérêt de sa candidature ; mais on prêchait bien haut contre elle en plus d'un endroit. Le fait est que ce nom de Robin a quelque chose de diabolique. Souvenez-vous de Robin des Bois. Le héros des Mémoires du Diable ne s'appelle-t-il pas Robin ? C'est un physicien aussi savant qu'aimable, M. Robin, qui a attaché le grelot au cou des Davenport. Le grelot a grossi, grossi ; il est devenu plus énorme et plus retentissant que le bourdon de Notre-Dame ; les pauvres farceurs, abasourdis par le bruit qu'ils faisaient, ont dû s'enfuir en Amérique, et l'Amérique elle-même n'en veut plus. Grande victoire du bon sens ; défaite du surnaturel ! Il comptait prendre une revanche à l'Académie des sciences, et il a fait des efforts héroïques pour exclure cet ennemi, ce positiviste, ce mécréant illustre qui s'appelle Charles Robin. Et voilà qu'au sein même d'une Académie si bien pensante, le surnaturel est encore battu. Charles Robin va s'asseoir à la gauche de M. Pasteur. Et nous ne sommes plus au temps des douces fables, au temps heureux et regretté où la houlette du pasteur imposait à Robin mouton !

Ed. About. »

Pour qui est la mystification ? Nous serions vraiment tentés de croire que quelque Esprit malin a conduit la plume de l'auteur de l'article.

Voici un autre quiproquo qui, pour être moins amusant, ne prouve pas moins la légèreté avec laquelle la critique accueille, sans examen, tout ce qu'elle croit contraire au Spiritisme, qu'elle s'obstine, malgré tout ce qui a été dit, à incarner dans les frères Davenport ; d'où elle conclut que tout ce qui est un échec pour ces messieurs en est un pour la doctrine, qui n'est pas plus solidaire de ceux qui en prennent le nom, que la véritable physique n'est solidaire de ceux qui usurpent le nom de physicien.

Plusieurs journaux se sont empressés de reproduire l'article suivant d'après le Messager franco-américain ; ils devraient pourtant, mieux que personne, savoir que tout ce qui est imprimé n'est pas parole d'Évangile :

« Ces pauvres frères Davenport ne pouvaient échapper au ridicule qui attend les charlatans de toute espèce. Crus et prônés aux États-Unis, où ils ont longtemps battu monnaie, puis dévoilés et moqués dans la capitale de la France, moins facile à subir le humbug, il fallait qu'ils reçussent, dans la salle même de leurs grands exploits à New-York, le dernier démenti qu'ils méritaient.

Ce démenti, c'est leur ancien compagnon et compère, M. Fay, qui vient de le leur donner publiquement, dans la salle du Cooper Institute, samedi soir, en présence d'une nombreuse assemblée.

Là, M. Fay a tout dévoilé, les secrets de la fameuse armoire, le secret des cordes et des nœuds et de toutes les jongleries si longtemps employées avec succès. Comédie humaine ! Et dire qu'il y a des gens, sérieux et instruits, qui ont admiré et défendu les frères Davenport, et qui ont appelé Spiritisme des farces qui seraient peut-être tolérées en carnaval ! »

Nous n'avons pas à prendre fait et cause pour MM. Davenport, dont nous avons toujours condamné les exhibitions comme contraires aux principes de la simple doctrine spirite. Mais, quelque opinion que l'on se fasse à leur sujet, nous devons à la vérité de dire que c'est à tort qu'on a inféré de cet article qu'ils étaient à New-York et y avaient été bafoués. Nous tenons de source certaine qu'en quittant Paris, ils sont retournés en Angleterre, où ils sont encore en ce moment. Le M. Fay qui aurait dévoilé leurs secrets n'est point leur beau-frère, William Fay, qui les accompagne, mais un nommé H. Melleville Fay, qui produisait des effets semblables en Amérique, et dont il est question dans leur biographie, avec recommandation de ne pas les confondre. Il n'y a rien d'étonnant à ce que ce monsieur, qui leur faisait concurrence, ait jugé à propos de profiter de leur absence pour leur jouer pièce, et les discréditer à son profit. Dans cette lutte au phénomène on ne saurait voir du Spiritisme. C'est ce que donne à entendre la fin de l'article, par cette phrase : « Et dire qu'il y a des gens sérieux qui ont appelé spiritisme des farces qui seraient peut-être tolérées en carnaval ! » Cette exclamation a tout l'air d'un blâme à l'adresse de ceux qui confondent des choses aussi disparates.

Les frères Davenport ont fourni aux détracteurs du Spiritisme l'occasion ou le prétexte d'une formidable levée de boucliers, en présence de laquelle il est resté debout, calme et impassible, continuant sa route sans s'émouvoir du tapage qu'on faisait autour de lui. Un fait digne de remarque, c'est que ses adeptes, loin de s'en effrayer, ont été unanimes pour considérer cette effervescence comme éminemment utile à leur cause, certains que le Spiritisme ne peut que gagner à être connu. La critique est tombée à bras raccourcis sur MM. Davenport, croyant tuer en eux le Spiritisme ; si celui-ci n'a pas crié, c'est qu'il ne s'est pas senti frappé. Ce qu'elle a tué, c'est précisément ce qu'il condamne et désavoue : l'exploitation, les exhibitions publiques, le charlatanisme, les manœuvres frauduleuses, les imitations grossières de phénomènes naturels qui se produisent dans des conditions tout autres, l'abus d'un nom qui représente une doctrine toute morale, d'amour et de charité. Après cette rude leçon, nous croyons qu'il serait téméraire de tenter la fortune par de pareils moyens.

Il en est résulté, il est vrai, une certaine confusion momentanée dans l'esprit de quelques personnes, une sorte d'hésitation assez naturelle chez celles qui n'ont entendu que le blâme jeté avec partialité, sans faire la part du vrai et du faux ; mais de ce mal est sorti un grand bien : le désir de connaître, qui ne peut tourner qu'au profit de la doctrine.

Merci donc à la critique d'avoir fait, à l'aide des puissants moyens dont elle dispose, ce que les Spirites n'auraient pas pu faire par eux-mêmes ; elle a avancé la question de plusieurs années, et convaincu une fois de plus ses adversaires d'impuissance. Au reste, le public a tellement été rebattu du nom des Davenport, que cela commence à lui sembler aussi fastidieux que le cri de Lambert ; il est temps pour la chronique qu'il lui arrive quelque nouveau sujet à exploiter.



Notice bibliographique

A l'occasion de notre article du mois dernier sur le Dictionnaire universel, beaucoup de personnes nous ont demandé des renseignements sur le mode de souscription et de payement. Voici la note qui nous a été donnée à ce sujet par la direction.

Prix de chaque livraison de 8 pages : 10 c. Il parait deux livraisons par semaine. ‑ Les envois par la poste ne se font que par séries de 40 livraisons, dont le prix est de 4 fr. pour Paris, 5 fr. pour les départements, et 6 fr. pour l'étranger. ‑ On peut souscrire pour un nombre quelconque de séries ; il suffit d'en envoyer le prix au directeur, 38, boulevard Sébastopol, à Paris. La première série est en vente ; la deuxième sera complète sous peu. ‑ Les personnes qui désirent recevoir l'ouvrage par livraisons doivent s'adresser aux libraires de leur localité.





Mars

Introduction à l'étude des fluides spirituels

I


Les fluides spirituels jouent un rôle important dans tous les phénomènes spirites, ou mieux, ils sont le principe même de ces phénomènes. Jusqu'à présent on s'est borné à dire que tel effet est le résultat d'une action fluidique ; mais cette donnée générale, suffisante au début, ne l'est plus lorsqu'on veut scruter les détails. Les Esprits ont sagement borné leur enseignement dans le principe ; plus tard ils ont appelé l'attention sur cette grave question des fluides, et ce n'est pas dans un seul centre qu'ils l'ont abordée, c'est à peu près partout.

Mais les Esprits ne viennent pas nous apporter cette science, plus qu'une autre, toute faite ; ils nous mettent sur la voie, nous fournissent les matériaux, c'est à nous de les étudier, de les observer, de les analyser, de les coordonner et de les mettre en œuvre. C'est ce qu'ils ont fait pour la constitution de la doctrine, et ils ont agi de même à l'égard des fluides. Dans mille endroits divers, à notre connaissance, ils en ont ébauché l'étude ; partout nous trouvons quelques faits, quelques explications, une théorie partielle, une idée, mais nulle part un travail d'ensemble complet. Pourquoi cela ? est-ce impuissance de leur part ? Non, certes, car ce qu'ils eussent pu faire comme hommes, ils le peuvent à plus forte raison comme Esprits ; mais c'est, comme nous l'avons dit, qu'ils ne viennent, pour aucune chose, nous affranchir du travail de l'intelligence, sans lequel nos forces, restées inactives, s'étioleraient, car nous trouverions commode qu'ils travaillassent pour nous.

Le travail est donc laissé à l'homme, mais son intelligence, sa vie, son temps, étant bornés, il n'est donné à aucun d'élaborer tout ce qui est nécessaire pour la constitution d'une science ; c'est pourquoi il n'en est pas une seule qui soit, de toutes pièces, l'œuvre d'un seul homme, pas une découverte que son premier inventeur ait portée à la perfection ; à chaque édifice intellectuel, plusieurs hommes et plusieurs générations ont apporté leur contingent de recherches et d'observations.

Ainsi en est-il de la question qui nous occupe, dont les diverses parties ont été traitées séparément, puis colligées en un corps méthodique, lorsque des matériaux suffisants ont pu être réunis. Cette partie de la science spirite se trouve dès lors être, non plus une conception systématique individuelle, d'un homme ou d'un Esprit, mais le produit d'observations multiples, qui tirent leur autorité de la concordance qui existe entre elles.

Par le motif que nous venons d'exprimer, nous ne saurions prétendre que ce soit là le dernier mot. Les Esprits, comme nous l'avons dit, graduent leurs enseignements et les proportionnent à la somme et à la maturité des idées acquises. Il ne saurait donc être douteux que, plus tard, ils mettront sur la voie de nouvelles observations ; mais dès aujourd'hui il y a des éléments suffisants pour former un corps qui sera ultérieurement et graduellement complété.

L'enchaînement des faits nous oblige à prendre notre point de départ de plus haut, afin de procéder du connu à l'inconnu.



II


Tout se lie dans l'œuvre de la création. Jadis on considérait les trois règnes comme entièrement indépendants l'un de l'autre, et l'on eût ri de celui qui aurait prétendu trouver une corrélation entre le minéral et le végétal, entre le végétal et l'animal. Une observation attentive a fait disparaître la solution de continuité, et prouvé que tous les corps forment une chaîne non interrompue ; de telle sorte, que les trois règnes ne subsistent, en réalité, que pour les caractères généraux les plus tranchés ; mais sur leurs limites respectives ils se confondent, au point que l'on hésite à savoir où l'un finit et où l'autre commence, et dans lequel certains êtres doivent être rangés ; tels sont, par exemple, les zoophytes ou animaux plantes, ainsi nommés, parce qu'ils tiennent à la fois de l'animal et de la plante.

La même chose a lieu pour ce qui concerne la composition des corps. Longtemps les quatre éléments ont servi de base aux sciences naturelles ; ils sont tombés devant les découvertes de la chimie moderne, qui a reconnu un nombre indéterminé de corps simples. La chimie nous montre tous les corps de la nature formés de ces éléments combinés en diverses proportions ; c'est de la variété infinie de ces combinaisons que naissent les innombrables propriétés des différents corps. C'est ainsi, par exemple, qu'une molécule de gaz oxygène et deux de gaz hydrogène, combinées, forment de l'eau. Dans leur transformation en eau, l'oxygène et l'hydrogène perdent leurs qualités propres ; il n'y a plus, à proprement parler, d'oxygène et d'hydrogène, mais de l'eau. En décomposant l'eau, on retrouve les deux gaz dans les mêmes proportions. Si, au lieu d'une molécule d'oxygène, il y en a deux, c'est-à-dire deux de chaque gaz, ce n'est plus de l'eau, mais un liquide très corrosif. Il a donc suffi d'un simple changement dans la proportion de l'un des éléments pour transformer une substance salutaire en une substance vénéneuse. Par une opération inverse, que les éléments d'une substance délétère, de l'arsenic, par exemple, soient simplement combinés dans d'autres proportions, sans addition ni retranchement d'aucune autre substance, elle deviendra inoffensive, ou même salutaire. Il y a plus : plusieurs molécules réunies, d'un même élément, jouiront de propriétés différentes, selon le mode d'agrégation et les conditions du milieu où elles se trouvent. L'ozone, récemment découvert dans l'air atmosphérique, en est un exemple. On a reconnu que cette substance n'est autre que l'oxygène, un des principes constituants de l'air, dans un état particulier qui lui donne des propriétés distinctes de l'oxygène proprement dit. L'air n'en est pas moins toujours formé d'oxygène et d'azote, mais ses qualités varient selon qu'il contient une quantité plus ou moins grande d'oxygène à l'état d'ozone.

Ces observations, qui paraissent étrangères à notre sujet, s'y rattachent néanmoins d'une manière directe, comme on le verra plus tard ; elles sont, en outre, essentielles comme points de comparaison.

Ces compositions et ces décompositions s'obtiennent artificiellement et en petit dans les laboratoires, mais elles s'opèrent en grand et spontanément dans le grand laboratoire de la nature. Sous l'influence de la chaleur, de la lumière, de l'électricité, de l'humidité, un corps se décompose, ses éléments se séparent, d'autres combinaisons s'opèrent, et de nouveaux corps se forment. Ainsi, la même molécule d'oxygène, par exemple, qui fait partie de notre propre corps, après la destruction de celui-ci, entre dans la composition d'un minéral, d'une plante, ou d'un corps animé. Dans notre corps actuel se trouvent donc les mêmes parcelles de matière qui ont été parties constituantes d'une multitude d'autres corps.

Citons un exemple pour rendre la chose plus claire.

Une petite graine est mise en terre, elle pousse, croît et devient un grand arbre, qui, chaque année donne des feuilles, des fleurs et des fruits. Est-ce à dire que cet arbre tout entier se trouvait dans la graine ? Assurément non, car il contient une quantité de matière de beaucoup plus considérable. D'où lui est donc venue cette matière ? Des liquides, des sels, des gaz que la plante a puisés dans la terre et dans l'air, qui se sont infiltrés dans sa tige, et en ont, petit à petit, augmenté le volume. Mais ni dans la terre ni dans l'air on ne trouve du bois, des feuilles, des fleurs et des fruits. C'est que ces mêmes liquides, sels et gaz, dans l'acte d'absorption, se sont décomposés ; leurs éléments ont subi de nouvelles combinaisons qui les ont transformés en sève, bois, écorce, feuilles, fleurs, fruits, essences volatiles odorantes, etc. Ces mêmes parties vont à leur tour se détruire, se décomposer ; leurs éléments, se mêler de nouveau à la terre et à l'air ; recomposer les substances nécessaires à la fructification ; être réabsorbés, décomposés et transformés une autre fois en sève, bois, écorce, etc. En un mot, la matière n'éprouve ni augmentation, ni diminution, elle se transforme, et, par suite de ces transformations successives, la proportion des diverses substances est toujours en quantité suffisante pour les besoins de la nature. Supposons, par exemple, qu'une quantité donnée d'eau soit décomposée, dans le phénomène de la végétation, pour fournir l'oxygène et l'hydrogène nécessaires à la formation des diverses parties de la plante ; c'est une quantité d'eau qui existe en moins dans la masse ; mais ces parties de la plante, lors de leur décomposition, vont rendre libres l'oxygène et l'hydrogène qu'elles renfermaient, et ces gaz, se combinant entre eux, vont reformer une quantité d'eau équivalente à celle qui avait disparu.

Un fait qu'il n'est pas inopportun de signaler ici, c'est que l'homme, qui peut opérer artificiellement les compositions et les décompositions qui s'opèrent spontanément dans la nature, est impuissant à reconstituer le moindre corps organisé, fût-ce même un brin d'herbe ou une feuille morte. Après avoir décomposé un minéral, il peut le reformer de toutes pièces, tel qu'il était auparavant ; mais lorsqu'il a séparé les éléments d'une parcelle de matière végétale ou animale, il ne peut la reconstituer, à moins forte raison lui donner la vie. Sa puissance s'arrête à la matière inerte : le principe de vie est dans la main de Dieu.

La plupart des corps simples sont appelés pondérables, parce qu'on en peut mesurer le poids, et ce poids est en raison de la somme des molécules contenues dans un volume donné. D'autres sont dits impondérables, parce qu'ils n'ont aucun poids pour nous, et qu'en quelque quantité qu'ils soient accumulés dans un autre corps, ils n'en augmentent pas le poids. Ce sont : le calorique, la lumière, l'électricité, le fluide magnétique ou de l'aimant ; ce dernier n'est qu'une variété de l'électricité. Quoique impondérables, ces fluides n'en ont pas moins une très grande puissance. Le calorique divise les corps les plus durs, les réduit en vapeurs, et donne aux liquides évaporés une force d'expansion irrésistible. Le choc électrique brise les arbres et les pierres, courbe des barres de fer, fond les métaux, transporte au loin des masses énormes. Le magnétisme donne au fer une puissance d'attraction capable de soutenir des poids considérables. La lumière ne possède pas ce genre de force, mais elle exerce une action chimique sur la plupart des corps, et sous son influence s'opèrent incessamment des compositions et des décompositions. Sans la lumière, les végétaux et les animaux s'étiolent, les fruits n'ont ni saveur ni coloration.



III


Tous les corps de la nature, minéraux, végétaux, animaux, animés ou inanimés, solide, liquides ou gazeux, sont donc formés des mêmes éléments, combinés de manière à produire l'infinie variété des différents corps. La science va plus loin aujourd'hui ; ses investigations la conduisent peu à peu à la grande loi de l'unité. Il est maintenant à peu près généralement admis que les corps réputés simples ne sont que des modifications, des transformations d'un élément unique, principe universel désigné sous les noms d'éther, fluide cosmique ou fluide universel ; de telle sorte que, selon le mode d'agrégation des molécules de ce fluide, et sous l'influence de circonstances particulières, il acquiert des propriétés spéciales qui constituent les corps simples ; ces corps simples, combinés entre eux en diverses proportions, forment, comme nous l'avons dit, l'innombrable variété des corps composés. Selon cette opinion, le calorique, la lumière, l'électricité et le magnétisme ne seraient également que des modifications du fluide primitif universel. Ainsi ce fluide qui, selon toute probabilité, est impondérable, serait à la fois le principe des fluides impondérables et des corps pondérables.


La chimie nous fait pénétrer dans la constitution intime des corps ; mais, expérimentalement parlant, elle ne va pas au delà des corps considérés comme simples ; ses moyens d'analyse sont impuissants pour isoler l'élément primitif et en déterminer l'essence. Or, entre cet élément dans sa pureté absolue et le point où s'arrêtent les investigations de la science, l'intervalle est immense. En raisonnant par analogie, on arrive à cette conclusion qu'entre ces deux points extrêmes, ce fluide doit subir des modifications qui échappent à nos instruments et à nos sens matériels. C'est dans ce champ nouveau, jusqu'ici fermé à l'exploration, que nous allons essayer de pénétrer.



IV


Jusqu'à ce jour on n'avait que des idées très incomplètes sur le monde spirituel ou invisible ; on se figurait les Esprits comme des êtres en dehors de l'humanité ; les anges étaient aussi des créatures à part, d'une nature plus parfaite. Quant à l'état des âmes après la mort, les connaissances n'étaient guère plus positives. L'opinion la plus générale en faisait des êtres abstraits, dispersés dans l'immensité, et n'ayant plus de rapports avec les vivants, soit qu'ils fussent, selon la doctrine de l'Église, dans les béatitudes du ciel ou dans les ténèbres de l'enfer. De plus, les observations de la science s'arrêtant à la matière tangible, il en résultait, entre le monde corporel et le monde spirituel, un abîme qui semblait exclure tout rapprochement. C'est cet abîme que de nouvelles observations et l'étude de phénomènes encore peu connus viennent combler, du moins en partie.

Le Spiritisme nous apprend d'abord que les Esprits sont les âmes des hommes qui ont vécu sur la terre ; qu'ils progressent sans cesse, et que les anges sont ces mêmes âmes ou Esprits arrivés à un état de perfection qui les rapproche de la Divinité.

En second lieu, il nous apprend que les âmes passent alternativement de l'état d'incarnation à celui d'erraticité ; qu'à ce dernier état elles constituent la population invisible du globe, auquel elles restent attachées jusqu'à ce qu'elles y aient acquis le développement intellectuel et moral que comporte la nature de ce globe, après quoi elles le quittent pour passer dans un monde plus avancé.

Par la mort du corps, l'humanité corporelle fournit des âmes ou Esprits au monde spirituel ; par les naissances, le monde spirituel alimente le monde corporel ; il y a donc transmutation ou déversion incessante de l'un dans l'autre. Cette relation constante les rend solidaires, car ce sont les mêmes êtres qui entrent dans notre monde et qui en sortent alternativement. C'est là un premier trait d'union, un point de contact qui diminue déjà la distance qui semblait séparer le monde visible du monde invisible.

La nature intime de l'âme, c'est-à-dire du principe intelligent, source de la pensée, échappe complètement à nos investigations ; mais on sait maintenant que l'âme est revêtue d'une enveloppe ou corps fluidique qui en fait, après la mort du corps matériel, comme auparavant, un être distinct, circonscrit et individuel. L'âme est le principe intelligent considéré isolément ; c'est la force agissante et pensante que nous ne pouvons concevoir isolée de la matière que comme une abstraction. Revêtue de son enveloppe fluidique, ou périsprit, l'âme constitue l'être appelé Esprit, comme lorsqu'elle est revêtue de l'enveloppe corporelle, elle constitue l'homme ; or, bien qu'à l'état d'Esprit elle jouisse de propriétés et de facultés spéciales, elle n'a pas cessé d'appartenir à l'humanité. Les Esprits sont donc des êtres semblables à nous, puisque chacun de nous devient Esprit après la mort de son corps, et que chaque Esprit redevient homme par la naissance.

Cette enveloppe n'est point l'âme, car elle ne pense pas : ce n'est qu'un vêtement ; sans l'âme, le périsprit, de même que le corps, est une matière inerte privée de vie et de sensations. Nous disons matière, parce qu'en effet le périsprit, quoique d'une nature éthérée et subtile, n'en est pas moins de la matière tout aussi bien que les fluides impondérables, et, de plus, matière de même nature et de même origine que la matière tangible la plus grossière, ainsi que nous le verrons tout à l'heure.

L'âme ne revêt pas seulement le périsprit à l'état d'Esprit ; elle est inséparable de cette enveloppe, qui la suit dans l'incarnation comme dans l'erraticité. Dans l'incarnation, c'est le lien qui l'unit à l'enveloppe corporelle, l'intermédiaire à l'aide duquel elle agit sur les organes et perçoit les sensations des choses extérieures. Pendant la vie, le fluide périsprital s'identifie avec le corps, dont il pénètre toutes les parties ; à la mort il s'en dégage ; le corps privé de vie se dissout, mais le périsprit, toujours uni à l'âme, c'est-à-dire au principe vivifiant, ne périt pas ; seulement l'âme, au lieu de deux enveloppes, n'en conserve qu'une : la plus légère, celle qui est le plus en harmonie avec son état spirituel.

Quoique ces principes soient élémentaires pour les Spirites, il était utile de les rappeler pour l'intelligence des explications subséquentes et la liaison des idées.



V


Quelques personnes ont contesté l'utilité de l'enveloppe périspritale de l'âme, et par suite son existence. L'âme, disent-elles, n'a pas besoin d'intermédiaire pour agir sur le corps ; et une fois séparée du corps, c'est un accessoire superflu.

A cela nous répondons d'abord que le périsprit n'est point une création imaginaire, une hypothèse inventée pour arriver à une solution ; son existence est un fait constaté par l'observation. Quant à son utilité, soit pendant la vie, soit après la mort, il faut bien admettre que, puisqu'il existe, c'est qu'il sert à quelque chose. Ceux qui contestent son utilité sont comme un individu qui, ne comprenant pas les fonctions de certains rouages dans un mécanisme, en conclurait qu'ils ne servent qu'à compliquer la machine sans nécessité. Il ne voit pas que si la moindre pièce était supprimée, tout serait désorganisé. Que de choses, dans le grand mécanisme de la nature, semblent inutiles aux yeux de l'ignorant, et même de certains savants, qui croient de bonne foi que s'ils eussent été chargés de la construction de l'univers, ils l'auraient bien mieux fait !

Le périsprit est un des rouages les plus importants de l'économie ; la science l'a observé dans quelques-uns de ses effets, et on l'a tour à tour désigné sous les noms de fluide vital, fluide ou influx nerveux, fluide magnétique, électricité animale, etc., sans se rendre un compte précis de sa nature et de ses propriétés, et encore moins de son origine. Comme enveloppe de l'Esprit après la mort, il a été soupçonné dès la plus haute antiquité. Toutes les théologies attribuent aux êtres du monde invisible un corps fluidique. Saint Paul dit en termes précis que nous renaissons avec un corps spirituel (1° ép. aux Corinth., ch. xv, v, de 35 à 44 et 50).

Il est de même de toutes les grandes vérités fondées sur les lois de la nature, et dont, à toutes les époques, des hommes de génie ont eu l'intuition. C'est ainsi que, dès avant notre ère, des savants philosophes avaient soupçonné la rondeur de la terre et son mouvement de rotation, ce qui n'ôte rien au mérite de Copernic et de Galilée, en supposant même que ces derniers aient profité des idées de leurs devanciers. Grâce à leurs travaux, ce qui n'était qu'une opinion individuelle, une théorie incomplète et sans preuve, inconnue des masses, est devenu une vérité scientifique, pratique et populaire.

La Doctrine du périsprit est dans le même cas ; le Spiritisme ne l'a point découvert le premier ; mais, de même que Copernic pour le mouvement de la terre, il l'a étudié, démontré, analysé, défini, et en a tiré de féconds résultats. Sans les études modernes plus complètes, cette grande vérité, comme beaucoup d'autres, serait encore à l'état de lettre morte.



VI


Le périsprit est le trait d'union qui relie le monde spirituel au monde corporel. Le Spiritisme nous les montre en relation si intime et si constante, que de l'un à l'autre la transition est presque insensible ; or, de même que, dans la nature, le règne végétal se lie au règne animal par des êtres semi-végétaux et semi-animaux, l'état corporel se lie à l'état spirituel non seulement par le principe intelligent, qui est le même, mais encore par l'enveloppe fluidique, à la fois semi-matérielle et semi-spirituelle, de ce même principe. Pendant la vie terrestre, l'être corporel et l'être spirituel sont confondus et agissent de concert ; la mort du corps ne fait que les séparer. La liaison de ces deux états est telle, et ils réagissent l'un sur l'autre avec tant de force, qu'un jour viendra où l'on reconnaîtra que l'étude de l'histoire naturelle de l'homme ne saurait être complète sans l'étude de l'enveloppe périspritale, c'est-à-dire sans mettre un pied dans le domaine du monde invisible.

Ce rapprochement est encore plus grand quand on observe l'origine, la nature, la formation et les propriétés du périsprit, observation qui découle naturellement de l'étude des fluides.



VII


Il est reconnu que toutes les matières animales ont pour principes constituants l'oxygène, l'hydrogène, l'azote et le carbone, combinés en différentes proportions. Or, comme nous l'avons dit, ces corps simples ont eux-mêmes un principe unique, qui est le fluide cosmique universel ; par leurs diverses combinaisons ils forment toutes les variétés de substances qui composent le corps humain, le seul dont nous parlons ici, quoiqu'il en soit de même à l'égard des animaux et des plantes. Il en résulte que le corps humain n'est, en réalité, qu'une sorte de concentration, de condensation ou, si l'on veut, de solidification de fluide universel, comme le diamant est une solidification de gaz carbonique. En effet, supposons la désagrégation complète de toutes les molécules du corps, nous retrouvons l'oxygène, l'hydrogène, l'azote et le carbone, en d'autres termes, le corps sera volatilisé. Ces quatre éléments ramenés à leur état primitif par une nouvelle et plus complète décomposition, si nos moyens d'analyse le permettaient, donneraient le fluide cosmique. Ce fluide, étant le principe de toute matière, est lui-même de la matière, bien que dans un état complet d'éthérisation.

Un phénomène analogue se passe dans la formation du corps fluidique, ou périsprit : c'est également une condensation du fluide cosmique autour du foyer d'intelligence, ou âme. Mais ici la transformation moléculaire s'opère différemment, car le fluide conserve son impondérabilité et ses qualités éthérées. Le corps périsprital et le corps humain ont donc leur source dans le même fluide ; l'un et l'autre sont de la matière, quoique sous deux états différents. Nous avons donc eu raison de dire que le périsprit est de même nature et de même origine que la matière la plus grossière. Il n'a, comme on le voit, rien de surnaturel, puisqu'il se lie par son principe aux choses de la nature, dont il n'est qu'une variété.

Le fluide universel étant le principe de tous les corps de la nature, animés et inanimés, et par conséquent de la terre, des pierres, Moïse était dans le vrai quand il dit : « Dieu forma le corps de l'homme du limon de la terre. » Ce qui ne veut point dire que Dieu prit de la terre, la pétrit et en façonna le corps de l'homme, comme on façonne une statue avec de la terre glaise, ainsi que l'ont cru ceux qui prennent les paroles bibliques à la lettre, mais que le corps était formé des mêmes principes ou éléments que le limon de la terre, ou qui avaient servi à former le limon de la terre.

Moïse ajoute : « Et il lui donna une âme vivante, faite à sa ressemblance. » Il fait ainsi une distinction entre l'âme et le corps ; il indique qu'elle est d'une nature différente, qu'elle n'est point matière, mais spirituelle et immatérielle comme Dieu. Il dit : une âme vivante, pour spécifier qu'en elle seule est le principe de vie, tandis que le corps, formé de matière, par lui-même ne vit pas. Ces mots : à sa ressemblance, impliquent une similitude et non une identité. Si Moïse eût regardé l'âme comme une portion de la Divinité, il aurait dit : Dieu l'anima en lui donnant une âme tirée de sa propre substance, comme il dit que le corps était tiré de la terre.

Ces réflexions sont une réponse aux personnes qui accusent le Spiritisme de matérialiser l'âme, parce qu'il lui donne une enveloppe semi-matérielle.



VIII


Dans l'état normal, le périsprit est invisible pour nos yeux, et impalpable pour notre toucher, comme le sont une infinité de fluides et de gaz. Cependant l'invisibilité, l'impalpabilité, et même l'impondérabilité du fluide périsprital ne sont pas absolues ; c'est pourquoi nous disons dans l'état normal. Il subit, dans certains cas, soit peut-être une condensation plus grande, soit une modification moléculaire d'une nature spéciale qui le rend momentanément visible ou tangible : c'est ainsi que se produisent les apparitions. Sans qu'il y ait apparition, beaucoup de personnes ressentent l'impression fluidique des Esprits par la sensation du toucher, ce qui est l'indice d'une nature matérielle.

De quelque manière que s'opère la modification atomique du fluide, il n'y a pas cohésion comme dans les corps matériels ; l'apparence se forme instantanément et se dissipe de même, ce qui explique les apparitions et les disparitions subites. Les apparitions, étant le produit d'un fluide matériel invisible, rendu visible par suite d'un changement momentané dans sa constitution moléculaire, ne sont pas plus surnaturelles que les vapeurs rendues alternativement visibles ou invisibles par la condensation ou la raréfaction. Nous citons la vapeur comme point de comparaison, sans prétendre qu'il y ait similitude de cause et d'effet.



IX


Quelques personnes ont critiqué la qualification de semi-matérielle donnée au périsprit, en disant qu'une chose est matière ou ne l'est pas. En admettant que l'expression soit impropre, il faudrait s'en prendre à l'absence d'un terme spécial pour exprimer cet état particulier de la matière. S'il en existe un mieux approprié à la chose, les critiques auraient dû l'indiquer. Le périsprit est matière, ainsi que nous venons de le voir, philosophiquement parlant, et par son essence intime ; personne ne saurait le contester ; mais il n'a pas les propriétés de la matière tangible, telle qu'on la conçoit vulgairement ; il ne peut être soumis à l'analyse chimique ; car, bien qu'il ait le même principe que la chair et le marbre, et qu'il puisse en prendre les apparences, ce n'est, en réalité, ni de la chair ni du marbre. Par sa nature éthérée, il tient à la fois de la matérialité par sa substance, et de la spiritualité par son impalpabilité, et le mot semi-matériel n'est pas plus ridicule que celui de semi-double, et tant d'autres, car on peut dire aussi qu'une chose est double ou ne l'est pas.



X

Le fluide cosmique, en tant que principe élémentaire universel, offre deux états distincts : celui d'éthérisation ou d'impondérabilité, que l'on peut considérer comme l'état normal primitif, et celui de matérialisation ou de pondérabilité, qui n'est en quelque sorte que consécutif. Le point intermédiaire est celui de la transformation du fluide en matière tangible ; mais, là encore, il n'y a pas de transition brusque, car on peut considérer nos fluides impondérables comme un terme moyen entre les deux états.

Chacun de ces deux états donne nécessairement lieu à des phénomènes spéciaux ; au second appartiennent ceux du monde visible, et au premier ceux du monde invisible. Les uns, appelés phénomènes matériels, sont du ressort de la science proprement dite ; les autres, qualifiés de phénomènes spirituels, parce qu'ils se lient à l'existence des Esprits, sont dans les attributions du Spiritisme ; mais ils ont entre eux de si nombreux points de contact, qu'ils servent à s'éclairer mutuellement, et que, comme nous l'avons dit, l'étude des uns ne saurait être complète sans l'étude des autres.

C'est à l'explication de ces derniers que conduit l'étude des fluides dont nous ferons ultérieurement le sujet d'un travail spécial.


Le spiritisme et la magistrature

Des poursuites judiciaires contre les Spirites. Lettres d'un juge d'instruction

Le Spiritisme compte dans ses rangs plus d'un magistrat, ainsi que nous l'avons dit maintes fois, non seulement en France, mais en Italie, en Espagne, en Belgique, en Allemagne, et dans la plupart des pays étrangers. La plupart des détracteurs de la doctrine, qui croient avoir le privilège du bon sens, et traitent d'insensé quiconque ne partage pas leur scepticisme à l'endroit des choses spirituelles, nous ne disons pas surnaturelles, puisque le Spiritisme ne les admet pas, s'étonnent que des hommes d'intelligence et de valeur donnent, selon eux, dans un pareil travers. Les magistrats ne sont-ils pas libres d'avoir leur opinion, leur foi, leur croyance ? n'y a-t-il pas parmi eux des catholiques, des protestants, des libres penseurs, des francs-maçons ? Qui donc pourrait incriminer ceux qui sont Spirites ? Nous ne sommes plus au temps où l'on eût cassé, et peut-être brûlé, le juge qui eût osé affirmer publiquement que c'est la terre qui tourne.

Chose étrange ! il y a des gens qui voudraient faire revivre ce temps pour les Spirites. Dans la dernière levée de boucliers, n'a-t-on pas vu des hommes, qui se disent apôtres de la libre pensée, les signaler à la vindicte des lois comme des malfaiteurs, exciter les populations à leur courir sus, les stigmatiser et leur jeter l'injure à la face dans les feuilles publiques et dans des pamphlets ? Ce fut, dans un moment, non plus de la raillerie, mais une véritable rage, qui, grâce au temps où nous vivons, s'est exhalée en paroles. Il a fallu toute la force morale dont se sentent animés les Spirites, toute la modération dont les principes mêmes de la doctrine font une loi, pour conserver le calme et le sang-froid en pareille circonstance, et s'abstenir de représailles qui eussent pu devenir regrettables. Ce contraste a frappé tous les hommes impartiaux.

Le Spiritisme est-il donc une association, une affiliation ténébreuse, dangereuse pour la société, obéissant à un mot d'ordre ? ses adeptes font-ils entre eux un pacte ? L'ignorance, la mauvaise foi seules peuvent avancer de telles absurdités, puisque leur doctrine n'a de secrets pour personne, et qu'ils agissent au grand jour. Le Spiritisme est une philosophie comme une autre, que l'on accepte librement si elle convient, et que l'on rejette si elle ne convient pas ; qui repose sur une foi inaltérable en Dieu et en l'avenir, et qui n'oblige moralement ses adhérents qu'à une seule chose : regarder tous les hommes comme des frères, sans acception de croyance, et faire du bien, même à ceux qui nous font du mal. Pourquoi donc un magistrat ne pourrait-il pas s'en dire ouvertement le partisan, la déclarer bonne s'il la trouve bonne, comme il peut se dire partisan de la philosophie d'Aristote, de Descartes ou de Leibnitz ? Craindrait-on que sa justice n'en souffrît ? que cela ne le rendit trop indulgent pour les adeptes ? Quelques observations, à ce sujet, trouvent naturellement ici leur place.
Dans un pays comme le nôtre, où les opinions et les religions sont libres de par la loi, ce serait une monstruosité de poursuivre un individu parce qu'il croit aux Esprits et à leurs manifestations. Si donc un Spirite était déféré à la justice, ce ne serait pas à cause de sa croyance, comme cela se faisait à un autre âge, mais parce qu'il aurait commis une infraction à la loi ; c'est donc la faute que l'on poursuivrait et non la croyance, et, s'il était coupable, il serait justement passible de la loi. Pour incriminer la doctrine, il faudrait voir si elle renferme quelque principe ou maxime qui autoriserait ou justifierait la faute ; si, au contraire, on y trouve le blâme de cette faute et des instructions en sens opposé, la doctrine ne saurait être responsable de ceux qui ne la comprennent pas ou ne la pratiquent pas. Eh bien ! qu'on scrute la doctrine spirite avec impartialité, et nous défions d'y trouver un seul mot sur lequel on puisse s'appuyer pour commettre un acte quelconque répréhensible aux yeux de la morale, ou à l'égard du prochain, ou même qui puisse être interprété à mal, car tout y est clair et sans équivoque.

Quiconque se conforme aux préceptes de la doctrine ne saurait donc encourir de poursuites judiciaires, à moins qu'on ne poursuive en lui la croyance même, ce qui rentrerait dans les persécutions contre la foi. Nous n'avons pas encore connaissance de poursuites de cette nature en France, ni même à l'étranger, sauf la condamnation, suivie de l'autodafé de Barcelone, et encore était-ce une sentence de l'évêque et non du tribunal civil, et l'on n'a brûlé que des livres. A quel titre, en effet, poursuivrait-on des gens qui ne prêchent que l'ordre, la tranquillité, le respect des lois ; qui pratiquent la charité, non pas seulement entre eux, comme dans les sectes exclusives, mais envers tout le monde ; dont le but principal est de travailler à leur propre amélioration morale ; qui abjurent, contre leurs ennemis, tout sentiment de haine et de vengeance ? Des hommes qui professent de tels principes ne peuvent être des perturbateurs de la société ; ce ne sont pas eux assurément qui y porteront le trouble, et c'est ce qui faisait dire à un commissaire de police que si tous ses administrés étaient Spirites, il pourrait fermer son bureau.

La plupart des poursuites, en pareil cas, ont pour objet l'exercice illégal de la médecine, ou des accusations de charlatanisme, jonglerie, ou escroquerie, par la voie de la médiumnité. Nous dirons d'abord que le Spiritisme ne peut être responsable des individus qui prennent indûment la qualité de médium, pas plus que la science véritable n'est responsable des escamoteurs qui se disent physiciens. Un charlatan peut donc dire qu'il opère à l'aide des Esprits, comme un prestidigitateur dit qu'il opère à l'aide de la physique ; c'est unmoyen comme un autre de jeter de la poudre aux yeux ; tant pis pour ceux qui s'y laissent prendre. En second lieu, le Spiritisme, condamnant l'exploitation de la médiumnité, comme contraire aux principes de la doctrine au point de vue moral, et démontrant de plus qu'elle ne doit ni ne peut être un métier ni une profession, tout médium qui ne tire de sa faculté aucun profit direct ou indirect, ostensible ou dissimulé, écarte, par cela même, jusqu'à la suspicion d'escroquerie ou de charlatanisme ; dès lors qu'il n'est sollicité par aucun intérêt matériel, la jonglerie serait sans but. Le médium qui comprend ce qu'il y a de grave et de saint dans un don de cette nature croirait le profaner en le faisant servir à des choses mondaines, pour lui et pour les autres, ou s'il en faisait un objet d'amusement et de curiosité ; il respecte les Esprits comme il voudrait qu'on le respectât lui-même quand il sera Esprit, et ne les met pas en parade. Il sait en outre que la médiumnité ne peut être un moyen de divination ; qu'elle ne peut faire découvrir des trésors, des héritages, ni faciliter la réussite dans les chances aléatoires, et ne se fera jamais diseur de bonne aventure, ni pour de l'argent ni pour rien ; donc il n'aura jamais de démêlés avec la justice. Quant à la médiumnité guérissante, elle existe, cela est certain ; mais elle est subordonnée à des conditions restrictives qui excluent la possibilité de tenir bureau ouvert de consultations, sans suspicion de charlatanisme. C'est une œuvre de dévouement et de sacrifice, et non de spéculation. Exercée avec désintéressement, prudence et discernement, et renfermée dans les limites tracées par la doctrine, elle ne peut tomber sous le coup de la loi.

En résumé, le médium selon les vues de la Providence et le spiritisme, qu'il soit artisan ou prince, car il y en a dans les palais et dans les chaumières, a reçu un mandat qu'il accomplit religieusement et avec dignité ; il ne voit dans sa faculté qu'un moyen de glorifier Dieu et de servir son prochain, et non un instrument pour servir ses intérêts ou satisfaire sa vanité ; il se fait estimer et respecter par sa simplicité, sa modestie et son abnégation, ce qui n'est pas le fait de ceux qui cherchent à s'en faire un marchepied.

La justice, en sévissant contre les médiums exploiteurs, ceux qui mésusent d'une faculté réelle, ou simulent une faculté qu'ils n'ont pas, ne frappe donc point la doctrine, mais l'abus ; or, le Spiritisme vrai et sérieux, qui ne vit point d'abus, ne peut qu'y gagner en considération, et ne saurait prendre sous son patronage ceux qui ne peuvent qu'égarer l'opinion publique sur son compte ; en prenant fait et cause pour eux, il assumerait la responsabilité de ce qu'ils font, car ceux-là ne sont pas vraiment Spirites, fussent-ils même réellement médiums.

Tant qu'on ne poursuit dans un Spirite, ou dans ceux qui se donnent pour tels, que les actes répréhensibles aux yeux de la loi, le rôle du défenseur est de discuter l'acte en lui-même, abstraction faite de la croyance de l'accusé ; ce serait un tort grave de chercher à justifier l'acte au nom de la doctrine ; il doit, au contraire, s'attacher à démontrer qu'elle y est étrangère ; l'accusé tombe alors dans le droit commun.

Un fait incontestable, c'est que plus les connaissances d'un magistrat sont étendues et variées, plus il est apte à apprécier les faits sur lesquels il est appelé à se prononcer. Dans un cas de médecine légale, par exemple, il est évident que celui qui ne serait pas totalement étranger à la science saura mieux juger la valeur des arguments de l'accusation et de la défense que celui qui n'en sait pas le premier mot. Dans une affaire où le Spiritisme serait en cause, et aujourd'hui qu'il est à l'ordre du jour, il peut se présenter incidemment, comme principal ou accessoire, dans une foule de cas, il y a un intérêt réel pour les magistrats à savoir au moins ce que c'est, sans être tenus pour cela d'être Spirites. Dans un des cas précités, ils sauraient incontestablement mieux discerner l'abus de la vérité.

Le Spiritisme s'infiltrant de plus en plus dans les idées, et prenant déjà rang parmi les croyances reçues, le temps n'est pas éloigné où il ne sera pas plus permis à tout homme éclairé d'ignorer ce qu'il en est au juste de cette doctrine, qu'il ne l'est aujourd'hui d'ignorer les premiers éléments des sciences. Or, comme il touche à toutes les questions scientifiques et morales, on comprendra mieux une foule de choses qui, au premier abord, y semblent étrangères. C'est ainsi, par exemple, que le médecin y découvrira la véritable cause de certaines affections, que l'artiste y puisera de nombreux sujets d'inspirations, qu'il sera dans maintes circonstances une source de lumière pour le magistrat et pour l'avocat.

C'est dans ce sens que l'apprécie M. Jaubert, l'honorable vice-président du tribunal de Carcassonne. Chez lui, c'est plus qu'une connaissance ajoutée à celles qu'il possède, c'est une affaire de conviction, parce qu'il en comprend la portée morale. Quoique n'ayant jamais caché son opinion à cet égard, convaincu d'être dans le vrai, et de la puissance moralisatrice de la doctrine, aujourd'hui que la foi s'éteint dans le scepticisme, il a voulu y donner l'appui de l'autorité de son nom, au moment même où elle était le plus violemment attaquée, bravant résolument la raillerie, et montrant à ses adversaires le peu de cas qu'il fait pour lui-même de leurs sarcasmes. Dans sa position, et vu les circonstances, la lettre qu'il nous a prié de publier, et que nous avons insérée dans le numéro de janvier dernier, est un acte de courage dont tous les Spirites sincères garderont précieusement la mémoire. Elle marquera dans l'histoire de l'établissement du Spiritisme.

La lettre suivante, que nous sommes également autorisés à publier, prend rang à côté de celle de M. Jaubert. C'est une de ces adhésions carrément explicites et motivées à laquelle la position de l'auteur donne d'autant plus de poids qu'elle est spontanée, puisque nous n'avions pas l'honneur de connaître ce monsieur. Il juge la doctrine par la seule impression des ouvrages, car il n'avait rien vu. C'est la meilleure réponse à l'accusation d'ineptie et de jonglerie lancée sans distinction contre le Spiritisme et ses adhérents.

21 novembre 1865.

« Monsieur,

Permettez-moi, en nouvel et fervent adepte, de vous témoigner toute ma reconnaissance de m'avoir, par vos écrits, initié à la science spirite. Par curiosité, j'ai lu le Livre des Esprits ; mais après une lecture attentive, l'étonnement, puis la conviction la plus entière ont succédé chez moi à une méfiante incrédulité. En effet, la doctrine qui en découle donne la solution la plus logique, la plus satisfaisante pour la raison, de toutes les questions qui ont si sérieusement préoccupé les penseurs de tous les âges, pour définir les conditions de l'existence de l'homme sur cette terre, expliquer les vicissitudes qui incombent à l'humanité, et déterminer ses fins dernières. Cette admirable doctrine est incontestablement la sanction de la morale la plus pure et la plus féconde, l'exaltation démontrée de la justice, de la bonté de Dieu et de l'œuvre sublime de la création, ainsi que la base la plus sûre, la plus ferme de l'ordre social.

Je n'ai pas été témoin de manifestations spirites, mais cet élément de preuve, nullement contraire aux enseignements de ma religion (la religion catholique), n'est pas nécessaire à ma conviction. D'abord il me suffit de trouver dans l'ordre de la Providence la raison d'être de l'inégalité des conditions sur cette terre, en un mot, la raison d'être du mal matériel et du mal moral.

En effet ma raison admet pleinement, comme justifiant l'existence du mal matériel et moral, l'âme sortant simple et ignorante des mains du Créateur, ennoblie par le libre arbitre, progressant par des épreuves et des expiations successives, et n'arrivant au souverain bonheur qu'en acquérant la plénitude de son essence éthérée, par l'affranchissement complet des étreintes de la matière, qui, tout en altérant les conditions de la béatitude, a dû servir à son avancement.

Et quoi de plus rationnel que, dans cet ordre d'idées, les Esprits, aux différentes phases de leur épuration progressive, communiquent entre eux d'un monde à l'autre, incarné ou invisible, pour s'éclairer, s'entraider, concourir réciproquement à leur avancement, faciliter leurs épreuves et entrer dans la voie réparatrice du repentir et du retour vers Dieu ! Quoi de plus rationnel, dis-je, qu'une telle continuité, un tel affermissement des liens de famille, d'amitié et de charité qui, unissant les hommes à leur passage sur cette terre, doivent, comme dernière fin, les réunir un jour en une seule famille au sein de Dieu !

Quel trait d'union sublime : l'amour partant du ciel pour embraser de son souffle divin l'humanité entière, peuplant l'immense univers, et la ramener à Dieu pour la faire participer à la béatitude éternelle dont cet amour est la source ! Quoi de plus digne de la sagesse, de la justice et de la bonté infinie du Créateur ! Quelle grandiose idée de l'œuvre dont le Spiritisme révèle ainsi l'harmonie et l'immensité, en soulevant un coin du voile qui ne permet pas encore à l'homme d'en pénétrer tous les secrets ! Combien les hommes n'en avaient-ils pas restreint l'incommensurable grandeur, en parquant l'humanité sur un point imperceptible, perdu dans l'espace, et en n'accordant qu'à un petit nombre d'élus le bonheur éternel réservé à tous ! Ils ont ainsi ravalé le divin artisan aux proportions infimes de leurs perceptions, des aspirations tyranniques, vindicatives et cruelles inhérentes à leurs imperfections.

Enfin, il suffit à ma raison de trouver dans cette sainte doctrine la sérénité de l'âme, couronnant une existence résignée aux tribulations providentielles de la vie honnêtement remplie par l'accomplissement de ses devoirs et la pratique de la charité, l'affermissement dans sa foi, par la solution des doutes qui compriment les aspirations vers Dieu, et enfin cette pleine et entière confiance en la justice, la bonté et la miséricordieuse et paternelle sollicitude de son Créateur.

Veuillez, monsieur, me compter au nombre de vos frères en Spiritisme, et agréer, etc. Bonnamy, juge d'instruction. »

Une communication donnée par l'Esprit du père de M. Bonnamy a provoqué la lettre suivante. Nous ne reproduisons pas cette communication, à cause de son caractère intime et personnel, mais nous en publions ci-après une seconde qui est d'un intérêt général.

« Monsieur et cher maître, merci mille fois d'avoir bien voulu évoquer mon père. Il y avait si longtemps que je n'avais entendu cette voix aimée ! Éteinte pour moi depuis tant d'années, elle revit donc aujourd'hui ! Ainsi se réalise le rêve de mon imagination attristée, rêve conçu sous l'impression de notre séparation douloureuse. Quelle douce, quelle consolante révélation, si pleine d'espérance pour moi ! Oui, je vois mon père et ma mère dans le monde des Esprits, veillant sur moi, me prodiguant le bienfait de cette anxieuse sollicitude dont ils m'entouraient sur la terre ; ma sainte mère, dans sa tendre préoccupation de l'avenir, me pénétrant de son effluve sympathique pour m'amener à Dieu et me montrer la voie des vérités éternelles qui scintillaient pour moi dans un lointain nébuleux !

Que je serais heureux si, conformément au désir exprimé par mon père de se communiquer de nouveau, son évocation pouvait être jugée utile au progrès de la science spirite, et rentrer dans l'ordre des enseignements providentiels réservés à l'œuvre ! je trouverais ainsi, dans votre journal, les éléments des instructions spirites, mêlés quelquefois aux douceurs de l'entretien de famille. C'est un simple vœu, vous le comprenez, cher maître ; je fais une trop large part aux exigences de la mission qui vous incombe, pour faire d'un tel vœu une prière.

Je donne pleinement les mains à la publicité de ma lettre ; volontiers j'apporterai mon grain de sable à l'érection de l'édifice spirite ; heureux si, au contact de ma conviction profonde, les doutes s'évanouissaient pour quelques-uns, et si les incrédules pensaient devoir plus sérieusement réfléchir !

Permettez-moi, cher maître, de vous adresser quelques paroles de sympathie et d'encouragement pour votre dur labeur. Le Spiritisme est un phare providentiel dont l'éclatante et féconde lumière doit dessiller tous les yeux, confondre l'orgueil des hommes, émouvoir toutes les consciences ; son rayonnement sera irrésistible ; et quels trésors de consolation, de miséricorde et d'amour dont vous êtes le distributeur !
Agréez, etc.

Bonnamy. »


La loi humaine

Instruction de l'Esprit de M. Bonnamy père

La loi humaine, comme toutes choses, est soumise au progrès ; progrès lent, insensible, mais constant.

Quelque admirables que soient, pour certaines gens, les législations antiques des Grecs et des Romains, elles sont bien inférieures à celles qui gouvernent les populations avancées de votre époque ! ‑ Que voyons-nous, en effet, à l'origine de tout peuple ? ‑ Un code de coutumes et d'us puisant sa sanction dans la force et ayant pour moteur l'égoïsme le plus absolu. Quel est le but de tous les législateurs primitifs ? ‑ Détruire le mal et ses instruments pour la plus grande paix de la société. A-t-on souci du criminel ? ‑ Non. ‑ Le frappe-t-on pour le corriger et lui montrer la nécessité d'une conduite plus modérée à l'égard de ses concitoyens ? Est-ce en vue de son amélioration ? ‑ Point du tout ; c'est exclusivement pour préserver la société de ses atteintes, société égoïste qui rejette impitoyablement de son sein tout ce qui peut troubler sa tranquillité. Aussi toutes les répressions sont-elles excessives et la peine de mort est le plus généralement appliquée.

Cela est concevable, lorsque l'on considère la liaison intime qui existe entre la loi et le principe religieux. Tous deux avancent de concert vers un but unique, en se soutenant mutuellement.

La religion consacre-t-elle les jouissances matérielles et toutes les satisfactions des sens ? la loi dure et excessive frappe le criminel pour débarrasser la société d'un hôte importun. La religion se transforme-t-elle, consacre-t-elle la vie de l'âme et son indépendance de la matière ? Elle réagit aussitôt sur la législation, lui démontre la responsabilité qui lui incombe, dans l'avenir du violateur de la loi ; de là, l'assistance du ministre, quel qu'il soit, aux derniers moments du condamné. On le frappe encore, mais déjà on a souci de cet être qui ne meurt pas tout entier avec son corps et dont la partie spirituelle va recevoir le châtiment que les hommes ont infligé à l'élément matériel.

Au moyen âge et depuis l'ère chrétienne, la législation reçoit du principe religieux une influence de plus en plus notable. Elle perd peu de sa cruauté, mais ses mobiles encore absolus et cruels ont complètement changé de direction.

Tout comme la science, la philosophie et la politique, la jurisprudence a ses révolutions, qui ne doivent s'opérer que lentement pour être acceptées par la généralité des êtres qu'elles intéressent. Une nouvelle institution, pour porter fruit, ne doit pas être imposée. L'art du législateur est de préparer les esprits de manière à la faire désirer et considérer comme un bienfait… Tout novateur, de quelques bonnes intentions qu'il soit animé, quelque louables que soient ses desseins, sera considéré comme un despote dont il faut secouer le joug, s'il veut s'imposer, fût-ce même par des bienfaits. ‑ L'homme, par son principe, est essentiellement libre, et veut accepter sans contrainte. De là, les difficultés que rencontrent les hommes trop avancés pour leur temps ; de là, les persécutions dont ils sont accablés. Ils vivent dans l'avenir ! d'un siècle ou deux en avance sur la masse de leurs contemporains, ils ne peuvent qu'échouer et se briser contre la routine réfractaire.

Au moyen âge donc, on avait souci de l'avenir du criminel ; on songeait à son âme, et pour l'amener à résipiscence, on l'effrayait des châtiments de l'enfer, des flammes éternelles que lui infligerait, pour un entraînement coupable, un Dieu infiniment juste et infiniment bon !

Ne pouvant s'élever à la hauteur de Dieu, les hommes pour se grandir le ravalaient à leurs mesquines proportions ! On s'inquiétait de l'avenir du criminel ; on songeait à son âme, non pour elle-même, mais en raison d'une nouvelle transformation de l'égoïsme, qui consistait à se mettre la conscience en repos, en réconciliant le pécheur avec son Dieu.

Peu à peu, dans le cœur et la pensée d'un petit nombre, l'iniquité d'un pareil système parut évidente. D'éminents esprits tentèrent des modifications prématurées, mais qui, néanmoins, portèrent fruit en établissant des précédents sur lesquels se base la transformation qui s'accomplit aujourd'hui en toutes choses.

Longtemps encore sans doute, la loi sera répressive et châtiera les coupables. Nous ne sommes pas encore arrivés à ce moment où la seule conscience de la faute sera le plus cruel châtiment de celui qui l'aura commise ; mais, vous le voyez tous les jours, les peines s'adoucissent ; on a en vue la moralisation de l'être ; on crée des institutions pour préparer sa rénovation morale ; on rend son abaissement utile à lui-même et à la société. Le criminel ne sera plus la bête fauve dont il faut à tout prit purger le monde ; ce sera l'enfant égaré dont il faut redresser le jugement faussé par les mauvaises passions et l'influence d'un milieu pervers !

Ah ! le magistrat et le juge ne sont pas les seuls responsables et les seuls à agir en cette affaire ; tout homme de cœur, prince, sénateur, journaliste, romancier, législateur, professeur et artisan, tous doivent mettre la main à l'œuvre et apporter leur obole à la régénération de l'humanité.

La peine de mort, vestige infamant de la cruauté antique, disparaîtra par la force des choses. La répression, nécessaire dans l'état actuel, s'adoucira chaque jour ; et, dans quelques générations, la seule condamnation, la mise hors loi d'un être intelligent sera le dernier degré de l'infamie, jusqu'à ce que, de transformations en transformations, la conscience de chacun demeure seule juge et bourreau du criminel.

Et à qui devra-t-on tout ce travail ? Au Spiritisme, qui, depuis le commencement du monde, agit par ses révélations successives, comme mosaïsme, christianismes et spiritisme proprement dit ! – Partout, à chaque période, son influence bienfaisante éclate à tous les yeux, et il y a encore des êtres assez aveugles pour ne pas le reconnaître, assez intéressés à le terrasser pour en nier l'existence ! Ah ! ceux-là sont à plaindre, car ils luttent contre une force invincible : contre le doigt de Dieu.

Bonnamy père (Méd., M. Desliens).



Médiumnité mentale

Un de nos correspondants nous écrit de Milianah (Algérie) :

« … A propos du dégagement de l'Esprit, qui s'opère chez tout le monde pendant le sommeil, mon guide spirituel m'y exerce pendant la veille. Tandis que le corps est engourdi, l'Esprit se transporte au loin, visite les personnes et les lieux qu'il aime, et rentre ensuite sans effort. Ce qui me paraît plus surprenant, c'est que, pendant que je suis comme en catalepsie, j'ai le sentiment de ce dégagement. Je m'exerce aussi au recueillement, ce qui me procure l'agréable visite d'Esprits sympathiques incarnés et désincarnés. Cette dernière étude n'a lieu que pendant la nuit, vers deux ou trois heures, et quand le corps, reposé, s'éveille. Je reste quelques instants dans l'attente, comme après une évocation. Je sens alors la présence de l'Esprit par une impression physique, et tout aussitôt une image qui me le fait reconnaître surgit dans ma pensée. La conversation mentale s'établit, comme dans la communication intuitive, et ce genre d'entretien a quelque chose d'adorablement intime. Souvent mon frère et ma sœur, incarnés, me visitent, accompagnés parfois de mon père et de ma mère, du monde des Esprits.

Il a quelques jours à peine, J'ai eu votre visite, cher maître, et à la douceur du fluide qui me pénétrait, je croyais que c'était un de nos bons protecteurs célestes ; jugez de ma joie en reconnaissait, dans ma pensée ou plutôt dans mon cerveau, comme le timbre même de votre voix. Lamennais nous a donné une communication à cet égard, et doit encourager mes efforts. Je ne saurais vous dire le charme que donne ce genre de médiumnité. Si vous avez près de vous quelques médiums intuitifs, habitués au recueillement et à la tension d'esprit, ils peuvent essayer de même. On évoque, et, au lieu d'écrire, on converse, en exprimant bien son idée, sans verbiage.

Mon guide m'a souvent fait l'observation que j'avais un Esprit souffrant, un ami qui vient s'instruire ou chercher des consolations. Oui, le Spiritisme est un bienfait inappréciable ; il ouvre un vaste champ à la charité, et celui qui est inspiré de bons sentiments, s'il ne peut venir au secours de son frère matériellement, le peut toujours spirituellement. »

Cette médiumnité, à laquelle nous donnons le nom de médiumnité mentale, n'est certes pas faite pour convaincre les incrédules, car elle n'a rien d'ostensible, ni de ces effets qui frappent les sens ; elle est toute pour la satisfaction intime de celui qui la possède ; mais il faut bien reconnaître aussi qu'elle prête beaucoup à l'illusion, et que c'est le cas de se défier des apparences. Quant à l'existence de la faculté, on n'en saurait douter ; nous pensons même que ce doit être la plus fréquente ; car le nombre des personnes qui subissent, à l'état de veille, l'influence des Esprits et reçoivent l'inspiration d'une pensée qu'ils sentent n'être pas la leur, est considérable ; l'impression agréable ou pénible que l'on ressent parfois à la vue de quelqu'un que l'on voit pour la première fois ; le pressentiment que l'on a de l'approche d'une personne ; la pénétration et la transmission de la pensée, sont autant d'effets qui tiennent à la même cause et constituent une sorte de médiumnité, qu'on peut dire universelle, parce que chacun en possède au moins les rudiments ; mais pour en éprouver des effets marqués, il faut une aptitude spéciale, ou mieux un degré de sensibilité qui est plus ou moins développé selon les individus. A ce titre, comme nous l'avons dit depuis longtemps, tout le monde est médium, et Dieu n'a déshérité personne du précieux avantage de recevoir les salutaires effluves du monde spirituel, qui se traduisent de mille manières différentes ; mais les variétés qui existent dans l'organisme humain ne permettent pas à tout le monde d'obtenir des effets identiques et ostensibles.

Cette question ayant été discutée à la Société de Paris, les instructions suivantes ont été données sur ce sujet par divers Esprits.


I


On peut développer le sens spirituel, comme on voit chaque jour une aptitude se développer par un travail constant. Or, sachez que la communication du monde incorporel avec vos sens est constante ; elle a lieu à chaque heure, à chaque minute, par la loi des rapports spirituels. Que les incarnés osent nier ici une loi même de la nature !

On vient de vous dire que les Esprits se voient et se visitent les uns les autres pendant le sommeil : vous en avez maintes preuves ; pourquoi voudriez-vous que cela n'ait pas lieu pendant la veille ? Les Esprits n'ont pas de nuit. Non ; constamment ils sont à vos côtés ; ils vous surveillent ; vos familiers vous inspirent, vous suscitent des pensées, vous guident ; ils vous parlent, vous exhortent ; ils protégent vos travaux, vous aident à élaborer vos desseins à moitié formés, vos rêves encore indécis ; ils prennent note de vos bonnes résolutions, luttent lorsque vous luttez. Ils sont là, ces bons amis, au début de votre incarnation ; ils vous rient au berceau, vous éclairent dans vos études ; puis se mêlent à tous les actes de votre passage ici-bas ; ils prient lorsqu'ils vous voient vous préparer à aller les rejoindre.

Oh ! non, ne niez jamais votre assistance de chaque jour ! ne niez jamais votre médiumnité spirituelle ; car vous blasphémeriez Dieu, et vous vous feriez taxer d'ingratitude par les Esprits qui vous aiment.

H. Dozon. (Méd., M. Delanne.)


II


Oui, ce genre de communication spirituelle est bien une médiumnité, comme, du reste, vous en aurez encore d'autres à constater dans le cours de vos études spirites. C'est une sorte d'état cataleptique très agréable pour celui qui en est l'objet ; il procure toutes les joies de la vie spirituelle à l'âme emprisonnée qui y trouve un charme indéfinissable qu'elle voudrait subir toujours ; mais il faut rentrer quand même ; et, semblable au prisonnier auquel on permet de prendre l'air dans un préau, l'âme rentre contrainte dans la cellule humaine.

C'est une médiumnité bien agréable que celle qui permet à un Esprit incarné de voir ses anciens amis, de pouvoir converser avec eux, de leur faire part de ses impressions terrestres, et de pouvoir épancher son cœur dans le sein d'amis discrets, qui ne cherchent point à trouver ridicule ce que vous leur confiez, mais bien à vous donner de bons conseils, s'ils vous sont utiles. Ces conseils, donnés ainsi, ont pour le médium qui les reçoit plus de poids, en ce que l'Esprit qui les lui a donnés, en se montrant à lui, a laissé une impression profonde dans son cerveau, et, par ce moyen, a mieux gravé dans son cœur la sincérité et la valeur de ces conseils.

Cette médiumnité existe à l'état inconscient chez beaucoup de personnes. Sachez qu'il y a toujours près de vous un ami sincère, toujours prêt à soutenir et à encourager celui dont la direction lui est confiée par le Tout-Puissant. Non, mes amis, cet appui ne vous manquera jamais ; c'est à vous à savoir distinguer les bonnes inspirations entre toutes celles qui se heurtent dans le labyrinthe de vos consciences. En sachant comprendre ce qui vient de votre guide, vous ne pouvez vous écarter du droit chemin que doit suivre toute âme qui aspire à la perfection.

Esprit protecteur (Méd., Mme Causse).



III


Il vous a été dit que la médiumnité se révèlerait sous différentes formes. Celle que votre Président a qualifiée de mentale est bien nommée ; c'est le premier degré de la médiumnité voyante et parlante.

Le médium parlant entre en communication avec les Esprits qui l'assistent ; il parle avec eux ; son esprit les voit, ou plutôt les devine ; seulement il ne fait que transmettre ce qu'on lui dit, tandis que le médium mental peut, s'il est bien formé, adresser des questions et recevoir des réponses, sans intermédiaire de plume ni de crayon, plus facilement que le médium intuitif ; car ici l'Esprit du médium, étant plus dégagé, est un interprète plus fidèle. Mais pour cela il faut un ardent désir d'être utile, travailler en vue du bien avec un sentiment pur de toute pensée d'amour-propre ou d'intérêt. De toutes les facultés médianimiques, c'est la plus subtile et la plus délicate : le moindre souffle impur suffit pour la ternir. C'est dans ces conditions seules que le médium mental obtiendra des preuves de la réalité des communications. Sous peu, vous verrez surgir parmi vous des médiums parlants qui vous surprendront par leur éloquence et leur logique.

Espérez, pionniers qui avez hâte de voir vos travaux s'agrandir ; de nouveaux ouvriers vont venir renforcer vos rangs, et cette année verra se terminer la première grande phase du Spiritisme et en commencer une non moins importante.

Et vous, cher maître, que Dieu bénisse vos travaux ; qu'il vous soutienne, et nous conserve la faveur spéciale qu'il nous a accordée en nous permettant de vous guider et de vous soutenir dans votre tâche, qui est aussi la nôtre.

Comme Président spirituel de la Société de Paris, je veille sur elle et sur chacun de ses membres en particulier, et je prie le Seigneur de répandre sur vous toutes ses grâces et ses bénédictions.

S. Louis (Méd., Mme Delanne).



IV


Assurément, mes amis, la médiumnité, qui consiste à converser avec les Esprits, comme avec des personnes vivant de la vie matérielle, se développera davantage à mesure que le dégagement de l'Esprit s'effectuera avec plus de facilité par l'habitude du recueillement. Plus les Esprits incarnés seront avancés moralement, plus cette facilité des communications mentales sera grande ; ainsi que vous le disiez, elle ne sera pas d'une bien grande importance au point de vue de la conviction à donner aux incrédules, mais elle a pour celui qui en est l'objet une grande douceur, et elle l'aide à se dématérialiser de plus en plus. Le recueillement, la prière, cet élan de l'âme auprès de son Auteur pour lui exprimer son amour et sa reconnaissance en réclamant aussi son secours, sont les deux éléments de la vie spirituelle ; ce sont eux qui versent dans l'âme cette rosée céleste qui aide au développement des facultés qui y sont à l'état latent. Qu'ils sont donc malheureux ceux qui disent que la prière est inutile parce qu'elle ne change point les décrets de Dieu ! Sans doute, les lois qui régissent les divers ordres de phénomènes ne seront point troublées selon le bon plaisir de tel ou tel, mais la prière n'aurait-elle pour effet que d'améliorer l'individu qui, par cet acte, élève sa pensée au-dessus des préoccupations matérielles, qu'il ne faudrait pas la négliger.

C'est par la rénovation partielle des individus que la société finira par être régénérée, et Dieu sait si elle en a besoin !

Vous êtes révoltés lorsque vous songez aux vices de la société païenne, au temps où le Christ est venu apporter sa réforme humanitaire ; mais de vos jours, les vices, pour être voilés sous des formes plus empreintes de politesse et d'urbanité, n'en existent pas moins. Ils n'ont pas de magnifiques temples comme ceux de la Grèce antique, mais, hélas ! ils en ont dans le cœur de la plupart d'entre les hommes, et ils causent parmi eux les mêmes ravages qu'ils occasionnaient parmi ceux qui ont devancé l'ère chrétienne. Ce n'est donc pas sans une grande utilité que les Esprits sont venus rappeler les enseignements donnés il y a dix-huit siècles, puisque, les ayant oubliés ou mal compris, vous ne pouviez en profiter et les répandre selon la volonté du divin crucifié.

Remerciez donc le Seigneur, vous tous qui avez été appelés à coopérer à l'œuvre des Esprits, et que votre désintéressement et votre charité ne faiblissent jamais, car c'est à cela que l'on reconnaîtra parmi vous les vrais Spirites.

Louis de France (Méd., Mm Breul).



Notices bibliographiques

Histoire fantastique par Théophile Gautier

Dans la Revue de décembre dernier, nous avons dit quelques mots de ce roman qui a paru en feuilletons dans le Moniteur universel et qui est aujourd'hui publié en un volume. Nous regrettons que l'espace ne nous permette pas d'en donner une analyse détaillée, et surtout d'en citer quelques passages dont les idées sont incontestablement puisées à la source même du Spiritisme, mais la plupart de nos lecteurs l'ayant déjà lu sans doute, un compte rendu développé serait superflu. Nous dirons seulement que la part faite au fantastique est certainement un peu large, et qu'il faudrait se garder de prendre tous les faits à la lettre ; il faut considérer qu'il ne s'agit point d'un traité de Spiritisme. La vérité est dans le fond des idées et des pensées, qui sont essentiellement spirites et rendues avec une délicatesse et une grâce charmantes, bien plus que dans les faits, dont la possibilité est parfois contestable. Quoique roman, cet ouvrage n'en a pas moins une grande importance par le nom de l'auteur d'abord, et parce que c'est la première œuvre capitale sortie des écrivains de la presse, où l'idée spirite soit carrément affirmée, et qu'il a paru dans un moment où il semblait être un démenti jeté au milieu du flot d'attaques dirigées contre cette idée. La forme même du roman avait son utilité ; elle était certainement préférable, comme transition, à la forme doctrinale aux allures sévères ; grâce à une légèreté apparente, il a pénétré partout, et l'idée avec lui.

Quoique Théophile Gautier soit un des auteurs favoris de la presse, celle-ci a été, contre son ordinaire, d'une sobriété parcimonieuse à l'égard de ce dernier ouvrage. Elle ne savait si elle devait le louer ou le blâmer. Blâmer Théophile Gautier, un ami, un confrère, un écrivain aimé du public ; dire qu'il avait fait une œuvre absurde, était chose difficile ; louer l'ouvrage, c'était louer et prôner l'idée ; garder le silence à l'égard d'un nom populaire, c'eût été un affront. La forme romanesque a levé l'embarras ; elle a permis de dire que l'auteur avait fait une belle œuvre d'imagination et non de conviction ; on a donc parlé, mais peu parlé ; c'est ainsi qu'avec l'incrédulité même il y a des accommodements. On a remarqué une chose assez singulière : le jour où l'ouvrage a paru en volume, il était chez tous les libraires détaillants avec une petite affiche placée à l'extérieur ; quelques jours après, toutes les affiches avaient disparu.

Dans les rares et maigres comptes rendus des journaux, on trouve des aveux significatifs, échappés par mégarde, sans doute, à la plume de l'écrivain. Dans le Courrier du Monde illustré du 16 décembre 1865, on lit ce qui suit :

« Il faut croire que, sans s'en douter, sans professer la doctrine, sans même avoir beaucoup sondé ces insondables questions de spiritisme et de somnambulisme, le poète Théophile Gautier, par la seule intuition de son génie poétique, a mis dans le mille de l'infini, mangé la grenouille de l'inexplicable et trouvé le Sésame des évocations mystérieuses, car le roman qu'il a publié en feuilletons dans le Moniteur, sous le titre de Spirite, a violemment agité tous ceux qui s'occupent de ces dangereuses questions. L'émotion a été immense, et il faut, pour en mesurer toute la portée, être obligé de parcourir, comme nous le faisons, les journaux de l'Europe entière.

Toute l'Allemagne spirite s'est levée comme un seul homme, et comme tous ceux qui vivent dans la contemplation d'une idée n'ont d'yeux et d'oreilles que pour elle, un des organes les plus sérieux de l'Autriche prétend que l'empereur a commandé à Théophile Gautier ce prodigieux roman afin de détourner l'attention de la France des questions politiques. Première assertion, dont je n'exagère absolument pas la portée. La deuxième assertion m'a frappé à cause de son côté fantastique.

Selon la feuille allemande, le poète de la Comédie de la Mort, très agité à la suite d'une vision, serait gravement malade, aurait été transporté à Genève, et là, sous l'empire de la fièvre, aurait été forcé de garder le lit pendant plusieurs semaines, en proie à des cauchemars, étranges, à des hallucinations lumineuses, jouet constant des Esprits errants. Au matin, on aurait retrouvé au pied de son lit les feuillets épars de son manuscrit de Spirite.

Sans assigner à l'inspiration qui a guidé la plume de l'auteur d'Avatar une source aussi fantastique, nous croyons fermement qu'une fois entré dans son sujet, l'écrivain du Roman de la Momie se sera enivré de ces visions, et qu'au paroxysme il aura tracé cette description admirable du ciel qui est une de ses plus belles pages.

La correspondance qu'a fait naître la publication de Spirite est extrêmement curieuse. Nous regrettons qu'un sentiment de convenance ne nous ait pas permis de demander copie d'une des lettres reçues par le poète des Emaux et camées ».

Nous ne faisons pas ici de critique littéraire, sans cela nous pourrions trouver d'un bon goût douteux l'espèce de catalogue que l'auteur saisit l'occasion de placer dans son article, lequel, du reste, nous semble aussi pécher un peu par le défaut de clarté. Nous avouons n'avoir pas compris la phrase de la grenouille ; elle est cependant citée textuellement. Cela tient peut-être à l'embarras d'expliquer où le célèbre romancier a puisé de pareilles idées, et comment il a osé les présenter sans rire. Mais ce qui est plus important, c'est l'aveu de la sensation produite par cet ouvrage dans l'Europe entière. Il faut donc que l'idée spirite soit bien vivace et bien répandue ; ce n'est donc pas un avorton mort-né. Que de gens sont rangés d'un trait de plume, par nos adversaires, dans la catégorie des crétins et des idiots ! Heureusement leur jugement n'est pas définitif ; MM. Jaubert, Bonnamy et bien d'autres interjettent appel.

L'auteur qualifie ces questions de dangereuses. Mais, selon lui et ses confrères en scepticisme, ce sont des billevesées ridicules ; or, qu'est-ce qu'une billevesée peut avoir de dangereux pour la société ? De deux choses l'une : il a ou il n'y a pas au fond de tout cela quelque chose de sérieux. S'il n'y a rien, où est le danger ? Si l'on eût écouté à l'origine tous ceux qui ont déclaré dangereuses la plupart des grandes vérités qui brillent aujourd'hui, où en serions-nous du progrès ? La vérité n'a de dangers que pour les poltrons qui n'osent la regarder en face, et les intéressés.

Un fait non moins grave, que plusieurs journaux se sont empressés de reproduire, comme s'il était prouvé, c'est que l'empereur aurait commandé ce prodigieux roman pour détourner l'attention de la France des questions politiques. Ce n'est évidemment là qu'une supposition, car, en admettant la réalité de cette origine, il n'est pas présumable qu'on ait été la divulguer. Mais cette supposition même est un aveu de la puissance de l'idée spirite, puisqu'on reconnaît qu'un souverain, le plus grand politique de nos jours, a pu la juger propre à produire un pareil résultat. Si telle eût été la pensée qui a présidé à l'exécution de cet ouvrage, il nous semble que la chose était superflue, car il a paru au moment même où les journaux se chargeaient à l'envi les uns des autres de préoccuper l'attention par le tapage qu'ils faisaient à propos des frères Davenport.

Ce qu'il y a de plus clair dans tout ceci, c'est que les détracteurs du Spiritisme ne peuvent s'expliquer la prodigieuse rapidité du progrès de l'idée, malgré tout ce qu'ils font pour l'arrêter ; ne pouvant nier le fait qui devient chaque jour de plus en plus évident, ils s'évertuent à en chercher la cause partout où elle n'est pas, dans l'espoir d'en atténuer la portée.

Dans un article intitulé : Livres d'aujourd'hui et de demain, signé Émile Zola, l'Evénement du 16 février donne un résumé très exigu du sujet de l'ouvrage en question, accompagné des réflexions suivantes :

« Le Moniteur a donné dernièrement une nouvelle fantastique de Théophile Gautier : Spirite, que la librairie Charpentier vient de publier en un volume.

L'œuvre est à la plus grande gloire des Davenport ; elle nous promène dans le pays des Esprits, nous montre l'invisible, nous révèle l'inconnu. Le journal officiel a donné là les bulletins de l'autre monde.

Mais je me défie de la foi de Théophile Gautier. Il a une bonhomie ironique qui sent l'incrédulité d'une lieue. Je le soupçonne d'être entré dans l'invisible pour le seul plaisir de décrire à sa guise des horizons imaginaires.

Au fond, il ne croit pas un mot des histoires qu'il conte, mais il se plaît à les conter, et les lecteurs se plairont à les lire. Tout est donc pour le mieux dans la meilleure des incrédulités possibles.

Quoi qu'il écrive, Théophile Gautier est toujours écrivain pittoresque et poète original. S'il croyait à ce qu'il dit, il serait parfait, ‑ et ce serait peut-être dommage. »

Singulier aveu, singulière logique, et plus singulière conclusion ! Si Théophile Gautier croyait à ce qu'il dit dans Spirite, il serait parfait ! Les doctrines spirites conduisent donc à la perfection ceux qui se les assimilent ; d'où la conséquence que si tous les hommes étaient Spirites, ils seraient tous parfaits. Un autre aurait conclu : « Hâtons-nous de répandre le Spiritisme ; »… mais, non ; ce serait dommage !

Que de gens repoussent les croyances spirites, non par la crainte de devenir parfaits, mais simplement par celle d'être obligés de s'amender ! Les Esprits leur font peur, parce qu'ils parlent de l'autre monde, et ce monde a pour eux des terreurs ; c'est pourquoi ils se bouchent les yeux et les oreilles.

La Femme du Spirite par Ange de Kéraniou

L'Evénement du 19 février contient, sur cet ouvrage, l'article suivant, signé Zola, comme le précédent.

« Décidément, les romanciers, à court d'imagination en ces temps de production incessante, vont s'adresser au Spiritisme pour trouver des sujets nouveaux et étranges. Dans mon dernier article, je parlais de Spirite, de Théophile Gautier ; aujourd'hui, j'ai à annoncer la mise en vente chez Lemer de la Femme du Spirite, par Ange de Kéraniou.

Peut-être le Spiritisme va-t-il fournir au génie français le merveilleux nécessaire à toute épopée bien conditionnée.

Les Davenport nous auront ainsi apporté un des éléments du poème épique que la littérature française attend encore.

Le livre de M. de Kéraniou est un peu diffus ; on ne sait s'il raille ou s'il parle sérieusement ; mais il est plein de détails curieux qui en font une œuvre intéressante à feuilleter.

Le conte Humbert de Luzy, un spirite émérite, une sorte d'Antéchrist qui fait valser les tables, a épousé une jeune femme à qui il inspire tout naturellement une peur effroyable.

La jeune femme, c'était à craindre, veut prendre un amant. C'est ici que l'histoire devient vraiment originale. Les Esprits se font les gardiens de l'honneur du mari, et, à deux reprises, dans des circonstances désespérées, ils sauvent cet honneur à l'aide d'apparitions et de tremblements de terre.

Si j'étais marié, je me ferais Spirite. »

L'idée spirite fait décidément son entrée dans la presse par le roman. Elle y entre parée : la vérité toute nue choquerait la vue de ces messieurs. Nous ne connaissons ce nouvel ouvrage que par l'article ci-dessus, nous n'en pouvons donc rien dire. Nous constaterons seulement que l'auteur de ce compte rendu énonce, sans en voir peut-être toute la portée, une grande et féconde vérité, c'est que la littérature et les arts trouveront dans le Spiritisme une riche mine à exploiter. Nous l'avons dit depuis longtemps : il y aura un jour l'art spirite comme il y a eu l'art païen et l'art chrétien. Oui, le poète, le littérateur, le peintre, le sculpteur, le musicien, l'architecte même puiseront à pleines mains à cette source nouvelle des sujets d'inspirations sublimes quand ils l'auront exploré ailleurs que dans le fond d'une armoire. Théophile Gautier est entré le premier dans la lice par une œuvre capitale pleine de poésie ; il aura des imitateurs, cela n'est pas douteux. « Peut-être le spiritisme va-t-il fournir les éléments du poème épique que la littérature française attend encore ; » ce ne serait déjà pas un résultat si fort à dédaigner. (Voir Revue spirite de décembre 1860, page 366, l'Art païen et l'Art chrétien.)

Des forces naturelles inconnues

Par Hermès *

Ceci n'est plus du roman ; c'est une réfutation, au point de vue de la science, des critiques dirigées contre les phénomènes spirites, à propos des frères Davenport, et de l'assimilation qu'on prétend établir entre ces phénomènes et les tours de la prestidigitation. L'auteur fait la part du charlatanisme, qui se glisse dans tout, et des conditions défavorables dans lesquelles se sont présentés les Davenport, conditions qu'il ne cherche point à justifier ; il examine les phénomènes eux-mêmes, abstraction faite des personnes, et parle avec l'autorité du savant. Il relève vigoureusement le gant jeté par une partie de la presse en cette circonstance, et stigmatise ses excentricités de langage, qu'il traduit à la barre du bon sens, en montrant jusqu'à quel point elle s'est écartée d'une loyale discussion. Nous pouvons ne pas partager le sentiment de l'auteur sur tous les points, mais nous n'en disons pas moins que son livre est une réfutation difficile à réfuter ; aussi la presse hostile l'a-t-elle généralement passé sous silence. Cependant l'Événement du 1er février en a rendu compte en ces termes :

« J'ai entre les mains un livre qui aurait dû paraître l'automne dernier. Il y est question des Davenport. Ce livre, qui est signé du pseudonyme « Hermès, » a pour titre : Des forces naturelles inconnues, et prétend que nous devions accepter l'armoire et les deux frères, parce que nos sens sont débiles et que nous ne pouvons expliquer tout dans la nature. Inutile de dire que ce livre a été édité à la librairie Didier.

« Je ne parlerais pas de ces feuilles qui se trompent de saison, si elles ne contenaient un violent réquisitoire contre la presse parisienne tout entière. M. Hermès dit carrément leur fait aux rédacteurs de l'Opinion, du Temps, de la France, du Figaro, du Petit Journal, etc. Ils ont été insolents et cruels, leur mauvaise foi n'a eu d'égale que leur sottise. Ils ne comprenaient pas, donc ils ne devaient pas parler. Ignorance, fausseté, grossièreté, ces journalistes ont commis tous les crimes.

M. Hermès est bien dur. Louis Ulbach est appelé « l'homme aux lunettes, » sanglante injure s'il en fut. Edmond About, qui avait demandé quelle différence il y avait entre les médiums et le docteur Lapommerais, reçoit largement la monnaie de sa pièce. M. Hermès déclare « qu'il ne s'étonne pas que certains amateurs de calembours aient traîné à fleur du sol le nom de son gracieux contradicteur. » Sentez-vous toute la délicatesse de ce jeu de mots par à peu près ?

M. Hermès finit par avouer qu'il vit dans un jardin retiré et qu'il n'a souci que de la vérité. Il serait préférable qu'il vécût dans la rue et qu'il eût tout le calme et toute la charité chrétienne de la solitude. »

N'est-il pas curieux de voir ces messieurs donner des leçons théoriques de calme et de charité chrétienne à ceux qu'ils injurient gratuitement, et trouver mauvais qu'ils leur répondent ? Et cependant on ne reprochera pas à M. Hermès de manquer de modération, puisque, par excès d'égards, il ne cite aucun nom propre. Il est vrai que les citations, ainsi groupées, forment un bouquet assez peu gracieux. A qui la faute si ce bouquet n'exhale pas un parfum d'urbanité et de bon goût ? Pour avoir droit de se plaindre de quelques appréciations un peu sévères, il aurait fallu ne pas les provoquer.


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* Broch. In-18. Prix : 1 fr. - Librairie Didier.







Avril

De la révélation

La révélation, dans le sens liturgique, implique une idée de mysticisme et de merveilleux. Le matérialisme la repousse naturellement, parce qu'elle suppose l'intervention de puissances et d'intelligences extra-humaines. En dehors de la négation absolue, beaucoup de personnes se posent aujourd'hui ces questions : Y a-t-il eu ou non une révélation ? La révélation est-elle nécessaire ? En apportant aux hommes la vérité toute faite, n'aurait-elle pas pour effet de les empêcher de faire usage de leurs facultés, puisqu'elle leur épargnerait le travail de la recherche ? Ces objections naissent de la fausse idée que l'on se fait de la révélation. Prenons-la d'abord dans son acception la plus simple, pour la suivre jusqu'à son point le plus élevé.

Révéler, c'est faire connaître une chose qui n'est pas connue ; c'est apprendre à quelqu'un ce qu'il ne sait pas. A ce point de vue, il y a pour nous une révélation pour ainsi dire incessante. Quel est le rôle du professeur vis-à-vis de ses élèves, si ce n'est celui d'un révélateur ? Il leur enseigne ce qu'ils ne savent pas, ce qu'ils n'auraient ni le temps, ni la possibilité de découvrir eux-mêmes, parce que la science est l'œuvre collective des siècles et d'une multitude d'hommes qui y ont apporté chacun leur contingent d'observations, et dont profitent ceux qui viennent après eux. L'enseignement est donc, en réalité, la révélation de certaines vérités scientifiques ou morales, physiques ou métaphysiques, faite par des hommes qui les connaissent, à d'autres hommes qui les ignorent, et qui, sans cela, les eussent toujours ignorées. Trouverait-on plus logique de les laisser chercher eux-mêmes ces vérités ? d'attendre pour leur apprendre à se servir de la vapeur qu'ils eussent inventé la mécanique ? Ne pourrait-on pas dire qu'en leur révélant ce que d'autres ont trouvé, on les empêche d'exercer leurs facultés ? N'est-ce pas, au contraire, en s'appuyant sur la connaissance des découvertes antérieures qu'ils arrivent aux découvertes nouvelles ? Faire connaître au plus grand nombre possible la plus grande somme possible de vérités connues, c'est donc provoquer l'activité de l'intelligence au lieu de l'étouffer, et pousser au progrès ; sans cela, l'homme resterait stationnaire.

Mais le professeur n'enseigne que ce qu'il a appris ; c'est un révélateur de second ordre ; l'homme de génie enseigne ce qu'il a trouvé lui-même : c'est le révélateur primitif ; c'est lui qui a apporté la lumière qui, de proche en proche, s'est vulgarisée. Où en serait l'humanité, sans la révélation des hommes de génie qui apparaissent de temps à autre ?

Mais qu'est-ce que les hommes de génie ? Pourquoi sont-ils hommes de génie ? D'où viennent-ils ? Que deviennent-ils ? Remarquons que la plupart apportent en naissant des facultés transcendantes et des connaissances innées, qu'un peu de travail suffit pour développer. Ils appartiennent bien réellement à l'humanité, puisqu'ils naissent, vivent et meurent comme nous. Où donc ont-ils puisé ces connaissances qu'ils n'ont pu acquérir de leur vivant ? Dira-t-on, avec les matérialistes, que le hasard leur a donné la matière cérébrale en plus grande quantité et de meilleure qualité ? Dans ce cas, ils n'auraient pas plus de mérite qu'un légume plus gros et plus savoureux qu'un autre.

Dira-t-on, avec certains spiritualistes, que Dieu les a doués d'une âme plus favorisée que celle du commun des hommes ? Supposition tout aussi illogique, puisqu'elle accuserait Dieu de partialité. La seule solution rationnelle de ce problème est dans la préexistence de l'âme et dans la pluralité des existences. L'homme de génie est un Esprit qui a vécu plus longtemps, qui a, par conséquent, plus acquis et plus progressé que ceux qui sont moins avancés. En s'incarnant, il apporte ce qu'il sait, et comme il sait beaucoup plus que les autres, sans avoir besoin d'apprendre, il est ce qu'on appelle un homme de génie. Mais ce qu'il sait n'en est pas moins le fruit d'un travail antérieur et non le résultat d'un privilège. Avant de renaître, il était donc Esprit avancé ; il se réincarne soit pour faire profiter les autres de ce qu'il sait, soit pour acquérir davantage.

Les hommes progressent incontestablement par eux-mêmes et par les efforts de leur intelligence ; mais livrés à leurs propres forces, ce progrès est très lent, s'ils ne sont aidés par des hommes plus avancés, comme l'écolier l'est par ses professeurs. Tous les peuples ont eu leurs hommes de génie qui sont venus, à diverses époques, donner une impulsion et les tirer de leur inertie.

Dès lors qu'on admet la sollicitude de Dieu pour ses créatures, pourquoi n'admettrait-on pas que des Esprits capables, par leur énergie et la supériorité de leurs connaissances, de faire avancer l'humanité, s'incarnent par la volonté de Dieu en vue d'aider au progrès dans un sens déterminé ; qu'ils reçoivent une mission, comme un ambassadeur en reçoit une de son souverain ? Tel est le rôle des grands génies. Que viennent-ils faire, sinon apprendre aux hommes des vérités que ceux-ci ignorent, et qu'ils eussent ignorées pendant encore de longues périodes, afin de leur donner un marchepied à l'aide duquel ils pourront s'élever plus rapidement ? Ces génies qui apparaissent à travers les siècles, comme des étoiles brillantes, laissant après elles une longue traînée lumineuse sur l'humanité, sont des missionnaires, ou, si l'on veut, des messies. S'ils n'apprenaient aux hommes rien autre que ce que savent ces derniers, leur présence serait complètement inutile ; les choses nouvelles qu'ils leur enseignent, soit dans l'ordre physique, soit dans l'ordre moral, sont des révélations.

Si Dieu suscite des révélateurs pour les vérités scientifiques, il peut, à plus forte raison, en susciter pour les vérités morales, qui sont un des éléments essentiels du progrès. Tels sont les philosophes dont les idées ont traversé les siècles.

Dans le sens spécial de la foi religieuse, les révélateurs sont plus généralement désignés sous les noms de prophètes ou messies. Toutes les religions ont eu leurs révélateurs, et quoique tous soient loin d'avoir connu toute la vérité, ils avaient leur raison d'être providentielle, car ils étaient appropriés au temps et au milieu où ils vivaient, au génie particulier des peuples auxquels ils parlaient, et auxquels ils étaient relativement supérieurs. Malgré les erreurs de leurs doctrines, ils n'en ont pas moins remué les esprits, et par cela même semé des germes de progrès qui, plus tard, devaient s'épanouir, ou s'épanouiront un jour, au soleil du christianisme. C'est donc à tort qu'on leur jette l'anathème au nom de l'orthodoxie, car un jour viendra où toutes ces croyances, si diverses pour la forme, mais qui reposent en réalité sur un même principe fondamental : Dieu et l'immortalité de l'âme, se fondront dans une grande et vaste unité, lorsque la raison aura triomphé des préjugés.

Malheureusement, les religions ont de tous temps été des instruments de domination ; le rôle de prophète a tenté les ambitions secondaires, et l'on a vu surgir une multitude de prétendus révélateurs ou messies qui, à la faveur du prestige de ce nom, ont exploité la crédulité au profit de leur orgueil, de leur cupidité ou de leur paresse, trouvant plus commode de vivre aux dépens de leurs dupes. La religion chrétienne n'a pas été à l'abri de ces parasites. A ce sujet, nous appelons une attention sérieuse sur le chapitre xxi de l'Evangile selon le Spiritisme : « Il y aura de faux Christs et de faux prophètes. » Le langage symbolique de Jésus a singulièrement favorisé les interprétations les plus contradictoires ; chacun, s'efforçant d'en torturer le sens, a cru y trouver la sanction de ses vues personnelles, souvent même la justification des doctrines les plus contraires à l'esprit de charité et de justice qui en est la base. Là est l'abus qui disparaîtra par la force même des choses, sous l'empire de la raison. Ce n'est point ce dont nous avons à nous occuper ici. Nous constatons seulement les deux grandes révélations sur lesquelles s'appuie le christianisme : celle de Moïse et celle de Jésus, parce qu'elles ont eu une influence décisive sur l'humanité. L'islamisme peut être considéré comme un dérivé de conception humaine, du mosaïsme et du christianisme. Pour accréditer la religion qu'il voulait fonder, Mahomet dut s'appuyer sur une prétendue révélation divine.

Y a-t-il des révélations directes de Dieu aux hommes ? C'est une question que nous n'oserions résoudre ni affirmativement ni négativement d'une manière absolue. La chose n'est point radicalement impossible, mais rien n'en donne la preuve certaine. Ce qui ne saurait être douteux, c'est que les Esprits les plus rapprochés de Dieu par la perfection se pénètrent de sa pensée et peuvent la transmettre. Quant aux révélateurs incarnés, selon l'ordre hiérarchique auquel ils appartiennent et le degré de leur savoir personnel, ils peuvent puiser leurs instructions dans leurs propres connaissances, ou les recevoir d'Esprits plus élevés, voire même des messagers directs de Dieu. Ceux-ci, parlant au nom de Dieu, ont pu parfois être pris pour Dieu lui-même.

Ces sortes de communications n'ont rien d'étrange pour quiconque connaît les phénomènes spirites et la manière dont s'établissent les rapports entre les incarnés et les désincarnés. Les instructions peuvent être transmises par divers moyens : par l'inspiration pure et simple, par l'audition de la parole, par la vue des Esprits instructeurs dans les visions et apparitions, soit en rêve, soit à l'état de veille, ainsi qu'on en voit maints exemples dans la Bible, l'Évangile, et dans les livres sacrés de tous les peuples. Il est donc rigoureusement exact de dire que la plupart des révélateurs sont des médiums inspirés, auditifs ou voyants ; d'où il ne suit pas que tous les médiums soient des révélateurs, et encore moins les intermédiaires directs de la Divinité ou de ses messagers.

Les purs Esprits seuls reçoivent la parole de Dieu avec mission de la transmettre ; mais on sait maintenant que les Esprits sont loin d'être tous parfaits, et qu'il en est qui se donnent de fausses apparences ; c'est ce qui a fait dire à saint Jean : « Ne croyez point à tout Esprit, mais voyez auparavant si les Esprits sont de Dieu. » (Ép. 1er, ch. iv, v. 4.)

Il peut donc y avoir des révélations sérieuses et vraies, comme il y en a d'apocryphes et de mensongères. Le caractère essentiel de la révélation divine est celui de l'éternelle vérité. Toute révélation entachée d'erreur ou sujette à changement ne peut émaner de Dieu, car Dieu ne peut ni tromper sciemment ni se tromper lui-même. C'est ainsi que la loi du Décalogue a tous les caractères de son origine, tandis que les autres lois mosaïques, essentiellement transitoires, souvent en contradiction avec la loi du Sinaï, sont l'œuvre personnelle et politique du législateur hébreu. Les mœurs du peuple s'adoucissant, ces lois sont d'elles-mêmes tombées en désuétude, tandis que le Décalogue est resté debout comme le phare de l'humanité. Christ en a fait la base de son édifice, tandis qu'il a aboli les autres lois ; si elles eussent été l'œuvre de Dieu, il se serait gardé d'y toucher. Christ et Moïse sont les deux grands révélateurs qui ont changé la face du monde, et là est la preuve de leur mission divine. Une œuvre purement humaine n'aurait pas un tel pouvoir.

Une nouvelle et importante révélation s'accomplit à l'époque actuelle ; c'est celle qui nous montre la possibilité de communiquer avec les êtres du monde spirituel. Cette connaissance n'est point nouvelle, sans doute, mais elle était restée jusqu'à nos jours en quelque sorte à l'état de lettre morte, c'est-à-dire sans profit pour l'humanité. L'ignorance des lois qui régissent ces rapports l'avait étouffée sous la superstition ; l'homme était incapable d'en tirer aucune déduction salutaire ; il était réservé à notre époque de la débarrasser de ses accessoires ridicules, d'en comprendre la portée, et d'en faire sortir la lumière qui devait éclairer la route de l'avenir.

Les Esprits n'étant autres que les âmes des hommes, en communiquant avec eux nous ne sortons pas de l'humanité, circonstance capitale à considérer. Les hommes de génie qui ont été les flambeaux de l'humanité sont donc sortis du monde des Esprits, comme ils y sont rentrés en quittant la terre. Dès lors que les Esprits peuvent se communiquer aux hommes, ces mêmes génies peuvent leur donner des instructions sous la forme spirituelle, comme ils l'ont fait sous la forme corporelle ; ils peuvent nous instruire après leur mort, comme ils le faisaient de leur vivant ; ils sont invisibles au lieu d'être visibles, voilà toute la différence. Leur expérience et leur savoir ne doivent pas être moindres, et si leur parole comme hommes avait de l'autorité, elle n'en doit pas avoir moins parce qu'ils sont dans le monde des Esprits.

Mais ce ne sont pas seulement les Esprits supérieurs qui se manifestent, ce sont aussi les Esprits de tous ordres, et cela était nécessaire pour nous initier au véritable caractère du monde des Esprits, en nous le montrant sous toutes ses faces ; par là, les relations entre le monde visible et le monde invisible sont plus intimes, la connexité est plus évidente ; nous voyons plus clairement d'où nous venons et où nous allons ; tel est le but essentiel de ces manifestations. Tous les Esprits, à quelque degré qu'ils soient parvenus, nous apprennent donc quelque chose ; mais comme ils sont plus ou moins éclairés, c'est à nous de discerner ce qu'il y a en eux de bon ou de mauvais, et de tirer le profit que comporte leur enseignement ; or tous, quels qu'ils soient, peuvent nous apprendre ou nous révéler des choses que nous ignorons et que sans eux nous ne saurions pas.

Les grands Esprits incarnés sont des individualités puissantes, sans contredit, mais dont l'action est restreinte et nécessairement lente à se propager. Qu'un seul d'entre eux, fût-il même Élie ou Moïse, soit venu en ces derniers temps révéler aux hommes l'état du monde spirituel, qui aurait prouvé la vérité de ses assertions, par ce temps de scepticisme ? Ne l'aurait-on pas regardé comme un rêveur ou un utopiste ? Et en admettant qu'il fût dans le vrai absolu, des siècles se fussent écoulés avant que ses idées fussent acceptées par les masses. Dieu, dans sa sagesse n'a pas voulu qu'il en fût ainsi ; il a voulu que l'enseignement fût donné par les Esprits eux-mêmes, et non par des incarnés, afin de convaincre de leur existence, et qu'il eût lieu simultanément par toute la terre, soit pour le propager plus rapidement, soit pour que l'on trouvât dans la coïncidence de l'enseignement une preuve de la vérité, chacun ayant ainsi les moyens de se convaincre par soi-même. Tels sont le but et le caractère de la révélation moderne.

Les Esprits ne viennent pas affranchir l'homme du travail, de l'étude et des recherches ; ils ne lui apportent aucune science toute faite ; sur ce qu'il peut trouver lui-même, ils le laissent à ses propres forces ; c'est ce que savent parfaitement aujourd'hui les Spirites. Depuis longtemps l'expérience a démontré l'erreur de l'opinion qui attribuait aux Esprits tout savoir et toute sagesse, et qu'il suffisait de s'adresser au premier Esprit venu pour connaître toutes choses. Sortis de l'humanité, les Esprits en sont une des faces ; comme sur la terre, il y en a de supérieurs et de vulgaires ; beaucoup en savent donc scientifiquement et philosophiquement moins que certains hommes ; ils disent ce qu'ils savent, ni plus ni moins ; comme parmi les hommes, les plus avancés peuvent nous renseigner sur plus de choses, nous donner des avis plus judicieux que les arriérés. Demander des conseils aux Esprits, ce n'est donc point s'adresser à des puissances surnaturelles, mais à ses pareils, à ceux mêmes à qui on se serait adressé de leur vivant, à ses parents, à ses amis, ou à des individus plus éclairés que nous. Voilà ce dont il importe de se persuader et ce qu'ignorent ceux qui, n'avait pas étudié le Spiritisme, se font une idée complètement fausse sur la nature du monde des Esprits et des relations d'outre-tombe.

Quelle est donc l'utilité de ces manifestations, ou si l'on veut de cette révélation, si les Esprits n'en savent pas plus que nous, ou s'ils ne nous disent pas tout ce qu'ils savent ? D'abord, comme nous l'avons dit, ils s'abstiennent de nous donner ce que nous pouvons acquérir par le travail ; en second lieu, il est des choses qu'il ne leur est pas permis de révéler, parce que notre degré d'avancement ne le comporte pas. Mais cela à part, les conditions de leur nouvelle existence étendent le cercle de leurs perceptions ; ils voient ce qu'ils ne voyaient pas sur la terre ; affranchis des entraves de la matière, délivrés des soucis de la vie corporelle, ils jugent les choses d'un point plus élevé, et par cela même plus sainement ; leur perspicacité embrasse un horizon plus vaste ; ils comprennent leurs erreurs, rectifient leurs idées et se débarrassent des préjugés humains. C'est en cela que consiste leur supériorité sur l'humanité corporelle, et que leurs conseils peuvent être, eu égard à leur degré d'avancement, plus judicieux et plus désintéressés que ceux des incarnés. Le milieu dans lequel ils se trouvent leur permet en outre de nous initier aux choses de la vie future que nous ignorons, et que nous ne pouvons apprendre dans celui où nous sommes. Jusqu'à ce jour l'homme n'avait créé que des hypothèses sur son avenir ; voilà, pourquoi ses croyances sur ce point ont été partagées en systèmes si nombreux et si divergents, depuis le néantisme jusqu'aux fantastiques descriptions de l'enfer et du paradis. Aujourd'hui ce sont les témoins oculaires, les acteurs mêmes de la vie d'outre-tombe, qui viennent nous dire ce qu'il en est, et qui seuls pouvaient le faire. Ces manifestations ont donc servi à nous faire connaître le monde invisible qui nous entoure, et que nous ne soupçonnions pas ; et cette connaissance seule serait d'une importance capitale, en supposant que les Esprits fussent incapables de rien nous apprendre de plus.

Une comparaison vulgaire fera encore mieux comprendre la situation.

Un navire chargé d'émigrants part pour une destination lointaine ; il emporte des hommes de toutes conditions, des parents et des amis de ceux qui restent. On apprend que ce navire a fait naufrage ; nulle trace n'en est restée, aucune nouvelle n'est parvenue sur son sort ; on pense que tous les voyageurs ont péri, et le deuil est dans toutes les familles. Cependant l'équipage tout entier, sans en excepter un seul homme, a abordé une terre inconnue, terre abondante et fertile, où tous vivent heureux sous un ciel clément ; mais on l'ignore. Or voilà qu'un jour un autre navire aborde cette terre ; il y trouve tous les naufragés sains et saufs. L'heureuse nouvelle se répand avec la rapidité de l'éclair ; chacun se dit : « Nos amis ne sont donc point perdus ! » Et ils en rendent grâces à Dieu. Ils ne peuvent se voir, mais ils correspondent ; ils échangent des témoignages d'affection, et voilà que la joie succède à la tristesse.

Telle est l'image de la vie terrestre et de la vie d'outre-tombe, avant et après la révélation moderne ; celle-ci, semblable au second navire, nous apporte la bonne nouvelle de la survivance de ceux qui nous sont chers, et la certitude de les rejoindre un jour ; le doute sur leur sort et sur le nôtre n'existe plus ; le découragement s'efface devant l'espérance.

Mais d'autres résultats viennent féconder cette révélation. Dieu, jugeant l'humanité mûre pour pénétrer le mystère de sa destinée et contempler de sang-froid de nouvelles merveilles, a permis que le voile qui séparait le monde visible du monde invisible fût levé. Le fait des manifestations n'a rien d'extrahumain ; c'est l'humanité spirituelle qui vient causer avec l'humanité corporelle et lui dire :

« Nous existons, donc le néant n'existe pas ; voilà ce que nous sommes, et voilà ce que vous serez ; l'avenir est à vous comme il est à nous. Vous marchiez dans les ténèbres, nous venons éclairer votre route et vous frayer la voie ; vous alliez au hasard, nous vous montrons le but. La vie terrestre était tout pour vous, parce que vous ne voyiez rien au delà ; nous venons vous dire, en vous montrant la vie spirituelle : La vie terrestre n'est rien. Votre vue s'arrêtait à la tombe, nous vous montrons au delà un horizon splendide. Vous ne saviez pas pourquoi vous souffrez sur la terre ; maintenant, dans la souffrance, vous voyez la justice de Dieu ; le bien était sans fruits apparents pour l'avenir, il aura désormais un but et sera une nécessité ; la fraternité n'était qu'une belle théorie, elle est maintenant assise sur une loi de la nature. Sous l'empire de la croyance que tout finit avec la vie, l'immensité est vide, l'égoïsme règne en maître parmi vous, et votre mot d'ordre est : « Chacun pour soi » ; avec la certitude de l'avenir, les espaces infinis se peuplent à l'infini, le vide et la solitude ne sont nulle part, la solidarité relie tous les êtres par delà et en deçà de la tombe ; c'est le règne de la charité, avec la devise : « Chacun pour tous et tous pour chacun. » Enfin, au terme de la vie vous disiez un éternel adieu à ceux qui vous sont chers, maintenant vous leur direz : « Au revoir ! »

Tels sont, en résumé, les résultats de la révélation nouvelle ; elle est venue combler le vide creusé par l'incrédulité, relever les courages abattus par le doute ou la perspective du néant, et donner à toute chose sa raison d'être. Ce résultat est-il donc sans importance, parce que les Esprits ne viennent pas résoudre les problèmes de la science, donner le savoir aux ignorants, et aux paresseux le moyen de s'enrichir sans peine ? Cependant les fruits que l'homme doit en retirer ne sont pas seulement pour la vie future ; il les cueillera sur la terre par la transformation que ces nouvelles croyances doivent nécessairement opérer sur son caractère, ses goûts, ses tendances et, par suite, sur les habitudes et les relations sociales. En mettant fin au règne de l'égoïsme, de l'orgueil et de l'incrédulité, elles préparent celui du bien, qui est le règne de Dieu.

La révélation a donc pour objet de mettre l'homme en possession de certaines vérités qu'il ne pourrait acquérir par lui-même, et cela en vue d'activer le progrès. Ces vérités se bornent en général à des principes fondamentaux destinés à le mettre sur la voie des recherches, et non à le conduire par la lisière ; ce sont des jalons qui lui montrent le but : à lui la tâche de les étudier et d'en déduire les applications ; loin de l'affranchir du travail, ce sont de nouveaux élément fournis à son activité.

Le Spiritisme sans les Esprits

Nous avons vu dernièrement une secte tenter de se former, en arborant pour drapeau : La négation de la prière. Accueillie, à son début, par un sentiment général de réprobation, elle n'a pas même vécu. Les hommes et les Esprits se sont unis pour repousser une doctrine qui était à la fois une ingratitude et une révolte contre la Providence. Cela n'était pas difficile, car, en froissant le sens intime de l'immense majorité, elle portait en elle son principe destructeur. (Revue de janvier 1866).

En voici maintenant une autre qui s'essaie sur un nouveau terrain ; elle a pour devise : Plus de communications des Esprits. Il est assez singulier que cette opinion soit aujourd'hui préconisée par quelques-uns de ceux qui ont jadis exalté l'importance et la sublimité des enseignements spirites, et qui se faisaient gloire de ce qu'ils recevaient eux-mêmes comme médiums. A-t-elle plus de chance de succès que la précédente ? C'est ce que nous allons examiner en quelques mots.

Cette doctrine, si l'on peut donner ce nom à une opinion restreinte à quelques individualités, se fonde sur les données suivantes :

« Les Esprits qui se communiquent ne sont que des Esprits ordinaires qui ne nous ont, jusqu'à ce jour, appris aucune vérité nouvelle, et qui prouvent leur incapacité en ne sortant pas des banalités de la morale. Le critérium que l'on prétend établir sur la concordance de leur enseignement est illusoire, par suite de leur insuffisance. C'est à l'homme qu'il appartient de sonder les grands mystères de la nature, et de soumettre ce qu'ils disent au contrôle de sa propre raison. Leurs communications ne pouvant rien nous apprendre, nous les proscrivons de nos réunions. Nous discuterons entre nous ; nous chercherons et nous déciderons, dans notre sagesse, les principes qui doivent être acceptés ou rejetés, sans recourir à l'assentiment des Esprits. »

Remarquons qu'il ne s'agit point de nier le fait des manifestations, mais d'établir la supériorité du jugement de l'homme, ou de quelques hommes, sur celui des Esprits ; en un mot, de dégager le Spiritisme de l'enseignement des Esprits : les instructions de ces derniers étant au-dessous de ce que peut l'intelligence des hommes.

Cette doctrine conduit à une singulière conséquence, qui ne donnerait pas une haute idée de la supériorité de la logique de l'homme sur celle des Esprits. Nous savons, grâce à ces derniers, que ceux de l'ordre le plus élevé ont appartenu à l'humanité corporelle qu'ils ont depuis longtemps dépassée, comme le général a dépassé la classe du soldat d'où il était sorti. Sans les Esprits, nous en serions encore à la croyance que les anges sont des créatures privilégiées, et les démons des créatures prédestinées au mal pour l'éternité. « Non, dira-t-on, car il y a eu des hommes qui ont combattu cette idée. » Soit ; mais qu'étaient ces hommes, sinon des Esprits incarnés ? Quelle influence leur opinion isolée a-t-elle eue sur la croyance des masses ? Demandez au premier venu s'il connaît seulement de nom la plupart de ces grands philosophes ? Tandis que les Esprits, venant sur toute la surface de la terre se manifester au plus humble comme au plus puissant, la vérité s'est propagée avec la rapidité de l'éclair.

Les Esprits peuvent se diviser en deux grandes catégories : ceux qui, parvenus au plus haut point de l'échelle, ont définitivement quitté les mondes matériels, et ceux qui, par la loi de la réincarnation, appartiennent encore au tourbillon de l'humanité terrienne. Admettons que ces derniers seuls aient le droit de se communiquer aux hommes, ce qui est une question : dans le nombre il y en a qui, de leur vivant, ont été des hommes éclairés, dont l'opinion fait autorité, et que l'on serait heureux de consulter s'ils vivaient encore. Or, de la doctrine ci-dessus il résulterait que ces mêmes hommes supérieurs sont devenus des nullités ou des médiocrités en passant dans le monde des Esprits, incapables de nous donner une instruction de quelque valeur, tandis qu'on s'inclinerait respectueusement devant eux s'ils se présentaient en chair et en os dans les assemblées mêmes où l'on refuse de les écouter comme Esprits. Il en résulte encore que Pascal, par exemple, n'est plus une lumière depuis qu'il est Esprit ; mais que, s'il se réincarnait dans Pierre ou Paul, nécessairement avec le même génie, puisqu'il n'aurait rien perdu, il serait un oracle. Cette conséquence est tellement rigoureuse, que les partisans de ce système admettent la réincarnation comme une des plus grandes vérités. Il faudra en induire enfin que ceux qui placent, de très bonne foi nous le supposons, leur propre intelligence si fort au-dessus de celle des Esprits, seront eux-mêmes des nullités ou des médiocrités dont l'opinion sera sans valeur ; de telle sorte qu'il faudrait croire à ce qu'ils disent, aujourd'hui qu'ils vivent, et qu'il n'y faudrait plus croire demain, quand ils seront morts, lors même qu'ils viendraient dire la même chose, et encore moins s'ils viennent dire qu'ils se sont trompés.

Je sais qu'on objecte la grande difficulté de la constatation de l'identité. Cette question a été assez amplement traitée pour qu'il soit superflu d'y revenir. Nous ne pouvons assurément savoir, par une preuve matérielle, si l'Esprit qui se présente sous le nom de Pascal est bien réellement celui du grand Pascal. Que nous importe, s'il dit de bonnes choses ! C'est à nous de peser la valeur de ses instructions, non à la forme du langage, qu'on sait porter souvent l'empreinte de l'infériorité de l'instrument, mais à la grandeur et à la sagesse des pensées. Un grand Esprit qui se communique par un médium peu lettré est comme un habile calligraphe qui se sert d'une mauvaise plume ; l'ensemble de l'écriture portera le cachet de son talent, mais les détails d'exécution, qui ne dépendent pas de lui, seront imparfaits.

Jamais le Spiritisme n'a dit qu'il fallait faire abnégation de son jugement, et se soumettre aveuglément au dire des Esprits ; ce sont les Esprits eux-mêmes qui nous disent de passer toutes leurs paroles au creuset de la logique, tandis que certains incarnés disent : « Ne croyez qu'à ce que nous disons, et ne croyez pas à ce que disent les Esprits. » Or, comme la raison individuelle est sujette à erreur, et que l'homme est assez généralement porté à prendre sa propre raison et ses idées pour l'unique expression de la vérité, celui qui n'a pas l'orgueilleuse prétention de se croire infaillible en réfère à l'appréciation de la majorité. Est-il tenu pour cela d'abdiquer son opinion ? Nullement ; il est parfaitement libre de croire qu'il a seul raison contre tous, mais il n'empêchera pas l'opinion du plus grand nombre de prévaloir, et d'avoir, en définitive, plus d'autorité que l'opinion d'un seul ou de quelques-uns.

Examinons maintenant la question sous un autre point de vue. Qui est-ce qui a fait le Spiritisme ? Est-ce une conception humaine personnelle ? Tout le monde sait le contraire. Le Spiritisme est le résultat de l'enseignement des Esprits ; de telle sorte que, sans les communications des Esprits, il n'y aurait point de Spiritisme. Si la doctrine spirite était une simple théorie philosophique éclose dans un cerveau humain, elle n'aurait que la valeur d'une opinion personnelle ; sortie de l'universalité de l'enseignement des Esprits, elle a la valeur d'une œuvre collective, et c'est par cela même qu'en si peu de temps elle s'est propagée par toute la terre, chacun recevant par soi-même, ou par ses relations intimes, des instructions identiques et la preuve de la réalité des manifestations.

Eh bien ! c'est en présence de ce résultat patent, matériel, que l'on essaie d'ériger en système l'inutilité des communications des Esprits. Convenons que si elles n'avaient pas la popularité qu'elles ont acquise, on ne les attaquerait pas, et que c'est la prodigieuse vulgarisation de ces idées qui suscite tant d'adversaires au Spiritisme. Ceux qui rejettent aujourd'hui les communications ne ressemblent-ils pas à ces enfants ingrats qui renient et méprisent leurs parents ? N'est-ce pas de l'ingratitude envers les Esprits, à qui ils doivent ce qu'ils savent ? N'est-ce pas se servir de ce qu'ils en ont appris pour les combattre, retourner contre eux, contre ses propres parents, les armes qu'ils nous ont données ? Parmi les Esprits qui se manifestent, n'est-ce pas de l'Esprit d'un père, d'une mère, des êtres qui nous sont le plus chers, qu'on reçoit ces touchantes instructions qui vont directement au cœur ? N'est-ce pas à eux que l'on doit d'avoir été arraché à l'incrédulité, aux tortures du doute sur l'avenir ? Et c'est alors qu'on jouit du bienfait, qu'on méconnaît la main du bienfaiteur !

Que dire de ceux qui, prenant leur opinion pour celle de tout le monde, affirment sérieusement que, maintenant, nulle part on ne veut de communications ? Étrange illusion ! qu'un regard jeté autour d'eux suffirait pour faire évanouir. De leur côté, que doivent penser les Esprits qui assistent aux réunions où l'on discute si l'on doit condescendre à les écouter, si l'on doit ou non leur permettre exceptionnellement la parole pour complaire à ceux qui ont la faiblesse de tenir à leurs instructions ? Là se trouvent sans doute des Esprits devant lesquels on tomberait à genoux si, à ce moment, ils se présentaient à la vue. A-t-on songé au prix dont pouvait être payée une telle ingratitude ?

Les Esprits ayant la liberté de se communiquer, sans égard au degré de leur savoir, il en résulte une grande diversité dans la valeur des communications, comme dans les écrits, chez un peuple où tout le monde a la liberté d'écrire, et où certes toutes les productions littéraires ne sont pas des chefs-d'œuvre. Selon les qualités individuelles des Esprits, il y a donc des communications bonnes pour le fond et pour la forme, d'autres qui sont bonnes pour le fond et mauvaises pour la forme, d'autres enfin qui ne valent rien, ni pour le fond ni pour la forme ; c'est à nous de choisir. Il ne serait pas plus rationnel de les rejeter toutes parce qu'il y en a de mauvaises, qu'il le serait de proscrire toutes les publications parce qu'il y a des écrivains qui donnent des platitudes. Les meilleurs écrivains, les plus grands génies, n'ont-ils pas des parties faibles dans leurs œuvres ? Ne fait-on pas des recueils de ce qu'ils ont produit de mieux ? Faisons de même à l'égard des productions des Esprits ; profitons de ce qu'il y a de bon et rejetons ce qui est mauvais ; mais pour arracher l'ivraie, n'arrachons pas le bon grain.

Considérons donc le monde des Esprits comme la doublure du monde corporel, comme une fraction de l'humanité, et disons-nous que nous ne devons pas plus dédaigner de les entendre, maintenant qu'ils sont désincarnés, que nous ne l'eussions fait alors qu'ils étaient incarnés ; ils sont toujours au milieu de nous, comme jadis ; seulement, ils sont derrière le rideau, au lieu d'être devant : voilà toute la différence.

Mais, dira-t-on, quelle est la portée de l'enseignement des Esprits, même dans ce qu'il a de bon, s'il ne dépasse pas ce que les hommes peuvent savoir par eux-mêmes ? Est-il bien certain qu'ils ne nous apprennent rien de plus ? Dans leur état d'Esprit ne voient-ils pas ce que nous ne pouvons voir ? Sans eux, connaîtrions-nous leur état, leur manière d'être, leurs sensations ? Connaîtrions-nous, comme nous le connaissons aujourd'hui, ce monde où nous serons peut-être demain ? Si ce monde n'a plus pour nous les mêmes terreurs, si nous envisageons sans effroi le passage qui y conduit, n'est-ce pas à eux que nous le devons ? Ce monde est-il complètement exploré ? Chaque jour ne nous en révèle-t-il pas une nouvelle face ? et n'est-ce rien de savoir où l'on va, et ce que l'on peut être en sortant d'ici ? Jadis on y entrait à tâtons et en frémissant, comme dans un gouffre sans fond ; maintenant ce gouffre est resplendissant de lumière, et l'on y entre joyeux ; et l'on ose dire que le Spiritisme ne nous a rien appris ! (Revue spirite, août 1865, page 225 : « Ce qu'apprend le Spiritisme. »)

Sans doute, l'enseignement des Esprits a ses limites ; il ne faut lui demander que ce qu'il peut donner, ce qui est dans son essence, dans son but providentiel, et il donne beaucoup à celui qui sait chercher ; mais, tel qu'il est, en avons-nous fait toutes les applications ? Avant de lui demander plus, avons-nous sondé la profondeur des horizons qu'il nous découvre ? Quant à sa portée, elle s'affirme par un fait matériel, patent, gigantesque, inouï dans les fastes de l'histoire : c'est qu'à peine à son aurore, il révolutionne déjà le monde et met en émoi les puissances de la terre. Quel est l'homme qui aurait eu ce pouvoir ?

Le Spiritisme tend à la réforme de l'humanité par la charité ; il n'est donc pas étonnant que les Esprits prêchent sans cesse la charité ; ils la prêcheront aussi longtemps qu'elle n'aura pas déraciné du cœur des hommes l'égoïsme et l'orgueil. S'il en est qui trouvent les communications inutiles, parce qu'elles répètent sans cesse les leçons de morale, il faut les féliciter, s'ils sont assez parfaits pour n'en avoir plus besoin ; mais ils doivent songer que ceux qui n'ont pas autant de confiance dans leur propre mérite et qui ont à cœur de s'améliorer, ne se lassent pas de recevoir de bons conseils. Ne cherchez donc point à leur enlever cette consolation.

Cette doctrine a-t-elle des chances de prévaloir ? Les communications des Esprits ont, comme nous l'avons dit, fondé le Spiritisme. Les repousser après les avoir acclamées, c'est vouloir saper le Spiritisme par sa base, lui enlever sa pierre d'assise ; telle ne peut être la pensée de Spirites sérieux et dévoués, car ce serait absolument comme celui qui se dirait chrétien en déniant la valeur des enseignements du Christ, sous le prétexte que sa morale est identique à celle de Platon. C'est dans ces communications que les Spirites ont trouvé la joie, la consolation, l'espérance ; c'est par elles qu'ils ont compris la nécessité du bien, de la résignation, de la soumission à la volonté de Dieu ; c'est par elles qu'ils supportent avec courage les vicissitudes de la vie, par elles qu'il n'y a plus de séparation réelle entre eux et les objets de leurs plus tendres affections. N'est-ce pas se méprendre sur le cœur humain, de croire qu'il puisse renoncer à une croyance qui fait le bonheur !

Nous répétons ici ce que nous avons dit à propos de la prière : Si le Spiritisme doit gagner en influence, c'est en augmentant la somme des satisfactions morales qu'il procure. Que ceux qui le trouvent insuffisant tel qu'il est s'efforcent de donner plus que lui ; mais ce n'est pas en donnant moins, en lui ôtant ce qui en fait le charme, la force et la popularité qu'ils le supplanteront.

Le Spiritisme indépendant

Une lettre, qui nous a été écrite il y a quelque temps, nous parlait du projet de donner à une publication périodique le titre de Journal du Spiritisme indépendant. Cette idée étant évidemment le corollaire de celle du Spiritisme sans les Esprits, nous allons essayer de poser la question sur son véritable terrain.

Qu'est-ce d'abord que le Spiritisme indépendant ? Indépendant de quoi ? Une autre lettre le dit nettement : c'est le Spiritisme affranchi, non seulement de la tutelle des Esprits, mais de toute direction ou suprématie personnelle, de toute subordination aux instructions d'un chef, dont l'opinion ne peut faire loi, attendu qu'il n'est pas infaillible.

Ceci est la chose du monde la plus facile : elle existe de fait, puisque le Spiritisme, proclamant la liberté absolue de conscience, n'admet aucune contrainte en matière de croyance, et que jamais il n'a contesté à personne le droit de croire à sa manière en matière de Spiritisme comme en toute autre chose. A ce point de vue, nous nous trouvons parfaitement indépendant nous-mêmes, et nous entendons profiter de cette indépendance. S'il y a subordination, elle est donc toute volontaire ; bien plus, ce n'est pas la subordination à un homme, mais à une idée que l'on adopte parce qu'elle convient, qui survit à l'homme si elle est juste, qui tombe avec lui ou avant lui si elle est fausse.

Pour s'affranchir des idées des autres, il faut nécessairement avoir des idées à soi ; ces idées, on cherche naturellement à les faire prévaloir, sans cela on les garderait pour soi ; on les proclame, on les soutient, on les défend, parce qu'on les croit l'expression de la vérité, car nous admettons la bonne foi, et non l'unique désir de renverser ce qui existe ; le but est d'y rallier le plus de partisans possible, et voilà que celui qui ne veut point de chef se pose lui-même en chef de secte, cherchant à subordonner les autres à ses propres idées. Celui qui dit, par exemple : « Il ne faut plus recevoir les instructions des Esprits, » n'émet-il pas un principe absolu ? N'exerce-t-il pas une pression sur ceux qui en veulent, en les détournant d'en recevoir ? S'il fonde une réunion sur cette base, il doit en exclure les partisans des communications, parce que, si ces derniers étaient en majorité, ils lui feraient la loi. S'il les admet, et qu'il refuse d'obtempérer à leur désir, il attente à la liberté qu'ils ont d'en réclamer. Qu'il inscrive sur son programme : « Ici on ne donne point la parole aux Esprits, » et alors ceux qui désirent les entendre se le tiendront pour dit et ne s'y présenteront pas.

Nous avons toujours dit qu'une condition essentielle de toute réunion Spirite, c'est l'homogénéité, sans quoi il y a dissension. Celui qui en fonderait une sur la base du rejet des communications serait dans son droit ; s'il n'y admet que ceux qui pensent comme lui, il fait bien, mais il n'est pas fondé à dire que, parce qu'il n'en veut pas, personne ne doit en vouloir. Il est, certes, libre d'agir comme il l'entend ; mais, s'il veut la liberté pour lui, il doit la vouloir pour les autres ; puisqu'il défend ses idées et critique celles des autres, s'il est conséquent avec lui-même, il ne doit pas trouver mauvais que les autres défendent les leurs et critiquent les siennes.

On oublie trop, en général, qu'au-dessus de l'autorité d'un homme il en est une à laquelle quiconque se pose en représentant d'une idée ne peut se soustraire : c'est celle de tout le monde ; l'opinion générale est la suprême juridiction qui sanctionne ou renverse l'édifice des systèmes ; nul ne peut s'affranchir de la subordination qu'elle impose. Cette loi n'est pas moins toute-puissante en Spiritisme. Quiconque froisse le sentiment de la majorité et l'abandonne doit s'attendre à en être abandonné ; là est la cause de l'insuccès de certaines théories et de certaines publications, abstraction faite du mérite intrinsèque de ces dernières, sur lequel on se fait souvent illusion.

Il ne faut pas perdre de vue que le Spiritisme n'est inféodé ni dans un individu, ni dans quelques individus, ni dans un cercle, ni même dans une ville, mais que ses représentants sont dans le monde entier, et que parmi eux il y a une opinion dominante et profondément accréditée ; se croire fort contre tous, parce qu'on a l'approbation de son entourage, c'est s'exposer à de grandes déceptions.

Il y a deux parties dans le Spiritisme : celle des faits matériels, et celle de leurs conséquences morales. La première est nécessaire comme preuve de l'existence des Esprits, aussi est-ce celle par laquelle les Esprits ont commencé ; la seconde, qui en découle, est la seule qui puise amener la transformation de l'humanité par l'amélioration individuelle. L'amélioration est donc le but essentiel du Spiritisme. C'est celui vers lequel doit tendre tout spirite sérieux. Ayant déduit ces conséquences d'après les instructions des Esprits, nous avons défini les devoirs qu'impose cette croyance ; le premier nous avons inscrit sur le drapeau du Spiritisme : Hors la charité, point de salut, maxime acclamée, à son apparition, comme le flambeau de l'avenir, et qui bientôt a fait le tour du monde en devenant le mot de ralliement de tous ceux qui voient dans le Spiritisme autre chose qu'un fait matériel. Partout elle a été accueillie comme le symbole de la fraternité universelle, comme un gage de sécurité dans les relations sociales, comme l'aurore d'une ère nouvelle, où doivent s'éteindre les haines et les dissensions. On en comprend si bien l'importance, que déjà on en recueille les fruits ; entre ceux qui s'en font une règle de conduite, règnent la sympathie et la confiance qui font le charme de la vie sociale ; dans tout Spirite de cœur, on voit un frère avec lequel on est heureux de se trouver, car on sait que celui qui pratique la charité ne peut ni faire ni vouloir du mal.

Est-ce donc de notre autorité privée que nous avons promulgué cette maxime ? Et quand nous l'eussions fait, qui pourrait le trouver mauvais ? Mais non ; elle découle de l'enseignement des Esprits, qui eux-mêmes l'ont puisée dans ceux du Christ, où elle est écrite en toutes lettres, comme pierre angulaire de l'édifice chrétien, mais où elle était restée ensevelie pendant dix-huit siècles. L'égoïsme des hommes n'avait garde de la faire sortir de l'oubli pour la mettre en lumière, parce que c'eût été proclamé leur propre condamnation ; ils ont préféré chercher leur salut dans des pratiques plus commodes et moins gênantes. Cependant tout le monde avait lu et relu l'Évangile, et, à bien peu d'exceptions près, personne n'y avait vu cette grande vérité reléguée au second plan. Or, voilà que par l'enseignement des Esprits elle est subitement connue et comprise de tout le monde. Combien d'autres vérités recèlent l'Évangile, et qui ressortiront en leur temps ! (Évangile selon le Spiritisme, ch. xv.)

En inscrivant au frontispice du Spiritisme la suprême loi du Christ, nous avons ouvert la voie du Spiritisme chrétien ; nous sommes donc fondé à en développer les principes, ainsi que les caractères du vrai spirite à ce point de vue.

Que d'autres puissent mieux faire que nous, nous n'allons pas à l'encontre, car nous n'avons jamais dit : « Hors de nous point de vérité. » Nos instructions sont donc pour ceux qui les trouvent bonnes ; elles sont acceptées librement et sans contrainte ; nous traçons une route, la suit qui veut ; nous donnons des conseils à ceux qui nous en demandent, et non à ceux qui croient pouvoir s'en passer ; nous ne donnons d'ordres à personne, parce que nous n'avons pas qualité pour cela.

Quant à la suprématie, elle est toute morale et dans l'adhésion de ceux qui partagent notre manière de voir ; nous ne sommes investi, même pour ceux-là, d'aucun pouvoir officiel, nous n'avons sollicité ni revendiqué aucun privilège ; nous ne nous sommes décerné aucun titre, et le seul que nous prenions avec les partisans de nos idées est celui de frère en croyance ; s'ils nous considèrent comme leur chef, c'est par suite de la position que nous donnent nos travaux, et non en vertu d'une décision quelconque. Notre position est celle que chacun pouvait prendre avant nous ; notre droit, celui qu'a tout le monde de travailler comme il l'entend et de courir la chance du jugement du public.

De quelle autorité gênante ceux qui veulent le Spiritisme indépendant entendent-ils donc s'affranchir, puisqu'il n'y a ni pouvoir constitué, ni hiérarchie fermant la porte à qui que ce soit, puisque nous n'avons sur eux aucune juridiction, et que, s'il leur plait de s'écarter de notre route, nul ne peut les contraindre d'y rentrer ? Nous sommes-nous jamais fait passer pour prophète ou messie ? Prendraient-ils donc au sérieux les titres de grand-prêtre, de souverain pontife, de pape même dont il a plu à la critique de nous gratifier ? Non seulement nous ne nous les sommes jamais octroyés, mais les Spirites ne nous les ont jamais donnés. – Est-ce de l'ascendant de nos écrits ? Le champ leur est ouvert comme à nous pour se concilier les sympathies du public. S'il y a pression, elle ne vient donc pas de nous, mais de l'opinion générale qui pose son veto sur ce qui ne lui convient pas, et qui elle-même subit l'ascendant de l'enseignement général des Esprits. C'est donc à ces derniers qu'il faut s'en prendre, en définitive, de l'état des choses, et c'est peut-être bien ce qui fait qu'on ne veut plus les écouter. – Est-ce des instructions que nous donnons ? Mais nul n'est forcé de s'y soumettre. – Ont-ils à se plaindre de notre blâme ? Nous ne nommons jamais personne, si ce n'est quand nous avons à louer, et nos instructions sont données sous une forme générale, comme développement de nos principes, à l'usage de tout le monde. Si d'ailleurs elles sont mauvaises, si nos théories sont fausses, en quoi cela peut-il les offusquer ? Le ridicule, si ridicule il y a, sera pour nous. Ont-ils donc tellement à cœur les intérêts du Spiritisme, qu'ils craignent de les voir péricliter entre nos mains ? ‑ Nous sommes trop absolu dans nos idées ? Nous sommes un entêté dont on ne peut rien faire ? Eh ! mon Dieu, chacun a ses petits défauts ; nous avons celui de ne pas penser tantôt blanc, tantôt noir ; nous avons une ligne tracée, et nous n'en dévions pour complaire à personne ; il est probable que nous serons comme cela jusqu'à la fin.

Est-ce notre fortune qu'on envie ? Où sont nos châteaux, nos équipages et nos laquais ? Certes, si nous avions la fortune qu'on nous suppose, ce ne serait toutefois pas en dormant qu'elle serait venue, et bien des gens amassent des millions par un labeur moins rude. ‑ Que faisons-nous donc de l'argent que nous gagnons ? Comme nous ne demandons de comptes à personne, nous n'avons à en rendre à personne ; ce qui est certain, c'est qu'il ne sert pas à nos plaisirs. Quant à l'employer à soudoyer les agents et des espions, nous renvoyons cette calomnie à son adresse. Nous avons à nous occuper de choses plus importantes que de savoir ce que font tels ou tels ; s'ils font bien, ils n'ont à craindre aucune investigation ; s'ils font mal, cela les regarde. S'il en est qui ambitionnent notre position, est-ce dans l'intérêt du Spiritisme ou dans le leur ? Qu'ils la prennent donc avec toutes ses charges, et probablement ils ne trouveront pas que ce soit une sinécure aussi agréable qu'ils le supposent. S'ils trouvent que nous conduisons mal la barque, qui les empêchait d'en prendre le gouvernail avant nous ? et qui les en empêche encore aujourd'hui ? ‑ Se plaint-on de nos intrigues pour nous faire des partisans ? Nous attendons qu'on vienne à nous et nous n'allons chercher personne ; nous ne courons même pas après ceux qui nous quittent, parce que nous savons qu'ils ne peuvent entraver la marche des choses ; leur personnalité s'efface devant l'ensemble. D'un autre côté, nous ne sommes pas assez vains pour croire que ce soit pour notre personne qu'on se rallie à nous ; c'est évidemment pour l'idée dont nous sommes le représentant ; c'est donc à cette idée que nous reportons les témoignages de sympathie qu'on veut bien nous donner.

En résumé, le Spiritisme indépendant serait à nos yeux un non-sens, puisque l'indépendance existe de fait et de droit, et qu'il n'y a de discipline imposée à personne. Le champ d'exploration est ouvert à tout le monde ; le juge suprême du tournoi, c'est le public ; la palme est pour celui qui sait la conquérir. Tant pis pour ceux qui tombent avant d'avoir atteint le but.

Parler de ces opinions divergentes qui, en définitive, se réduisent à quelques individualités, et ne font corps nulle part, n'est-ce pas, diront peut-être quelques personnes, y attacher trop d'importance, effrayer les adeptes en leur faisant croire à des scissions plus profondes qu'elles ne le sont ? n'est-ce pas aussi fournir des armes aux ennemis du Spiritisme ?

C'est précisément pour prévenir ces inconvénients que nous en parlons. Une explication nette et catégorique qui réduit la question à sa juste valeur, est bien plus propre à rassurer qu'à effrayer les adeptes ; ils savent à quoi s'en tenir et y trouvent à l'occasion des arguments pour la réplique. Quant aux adversaires, ils ont maintes fois exploité le fait, et c'est parce qu'ils en exagèrent la portée, qu'il est utile de montrer ce qu'il en est. Pour plus ample réponse, nous renvoyons à l'article de la Revue d'octobre 1865, page 297, et plus spécialement à la page 307.

La Saint-Charlemagne au collège de Chartres

Au collège de Chartres on a eu cette année l'idée de joindre à la solennité du banquet de la Saint-Charlemagne une conférence littéraire. Deux élèves de philosophie ont soutenu une controverse dont le sujet était le Spiritisme. Voici le compte rendu qu'en donne le Journal de Chartres du 11 mars 1866 :

« Pour clore la séance, deux élèves de philosophie, MM. Ernest Clément et Gustave Jumentié, ont mis sur le tapis, dans un dialogue vif et animé, une question qui a le privilège de passionner aujourd'hui bien des têtes : nous voulons dire le Spiritisme.

J. reproche à son compagnon, de tout temps si enjoué, un air sombre et farouche qui le fait ressembler à un auteur de mélodrames, et il lui demande d'où peut provenir un si grand changement.

C. répond qu'il est tombé la tête la première dans une doctrine sublime, le Spiritisme, qui est venue confirmer d'une manière irréfutable l'immortalité de l'âme et les autres conceptions de la philosophie spiritualiste. Ce n'est point une chimère, comme le prétend son interlocuteur ; c'est un système appuyé sur des faits authentiques, tels que les tables tournantes, les médiums, etc.

Certes, reprend J., je ne serai pas assez insensé, mon pauvre ami, pour discuter avec toi sur de folles rêveries, dont tout le monde est aujourd'hui complètement désabusé ; et quand on ne fait plus que rire au nez des Spirites, je n'irai pas, par une vaine dispute, donner à vos idées plus de poids qu'elles n'en méritent et leur faire l'honneur d'une réfutation sérieuse. Les admirables expériences des Davenport ont démontré quelle était votre puissance et la foi qu'il fallait avoir en vos miracles. Mais, heureusement, ils ont reçu la juste punition de leur fourberie ; après quelques jours d'un triomphe usurpé, ils ont été forcés de retourner dans leur patrie, et nous ont une fois de plus prouvé qu'il n'y a qu'un pas du Capitole à la roche Tarpéienne.

Je vois bien, dit à son tour C., que tu n'es pas partisan du progrès. Tu devrais, au contraire, t'apitoyer sur le sort de ces infortunés. Toutes les sciences, à leur début, ont eu leurs détracteurs. N'a-t-on pas vu Fulton repoussé par l'ignorance et traité comme un fou ? N'a-t-on pas vu aussi Lebon méconnu dans sa patrie, mourir misérablement sans avoir joui de ses travaux ? Et pourtant aujourd'hui la surface des mers est sillonnée de bateaux à vapeur, et le gaz répand partout sa vive lumière.

J. Oui, mais ces inventions reposaient sur des bases solides ; la science était le guide de ces génies et devait forcer la postérité plus éclairée à réparer les erreurs de leurs contemporains. Mais quelles sont les inventions des Spirites ? Quel est le secret de leur science ? Tout le monde a pu l'admirer ; tout le monde a pu applaudir à l'ingénieux mécanisme de leur baguette…

C. Encore des railleries ? Je te l'ai dit, pourtant ; il y a parmi les adeptes du Spiritisme des gens fort honorables, des gens dont la conviction est profonde.

J. Ce n'est que trop vrai ; mais qu'est-ce que cela prouve ? Que le bon sens n'est pas une chose aussi commune qu'on le pense, et que, comme l'a dit le poète de la Raison :

Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.

C. Boileau n'aurait pas parlé de la sorte s'il avait vu les tables tournantes. Qu'as-tu à dire contre cela ?

J. Que je n'ai jamais pu mouvoir le moindre guéridon.

C. C'est parce que tu es un profane ; pour moi, jamais table ne m'a résisté. J'en ai fait tourner qui pesaient 200 kilogrammes, avec les plats, les assiettes, les bouteilles…

J. Tu me ferais trembler pour la table de Saint-Charlemagne, si l'appétit des convives ne l'avait si prudemment dégarnie…

C. Je ne te parle pas des chapeaux ; mais je leur imprimais une rotation puissante au plus léger contact.

J. Je ne m'étonne pas si ta pauvre tête a tourné avec eux.

C. Mais enfin des plaisanteries ne sont pas des raisons : c'est l'argument de l'impuissance. Tu ne prouves rien, tu ne réfutes rien.

J. C'est que ta doctrine n'est qu'un rien, une chimère, un gaz incolore, impalpable, ‑ j'aime mieux le gaz à éclairage, ‑ une exhalaison, une vapeur, une fumée. ‑ Ma foi, mon choix est fait, j'aime mieux celle du Champagne. ‑ O Michel Cervantès ! Pourquoi faut-il que tu sois né deux siècles trop tôt ! C'est à ton immortel Don Quichotte qu'il appartenait de réduire en poudre le Spiritisme. Il a brandi sa lance valeureuse contre les moulins à vent. Et pourtant ils tournaient bien ceux-là ! Comme il aurait pourfendu les armoires parlantes et sonnantes ! Et toi, son fidèle écuyer, illustre Sancho Pança, c'est ta philosophie profonde, c'est ta morale sublime qui serait seule capable de dénouer ces graves théories.

C. Vous avez beau dire, messieurs les philosophes, vous niez le Spiritisme parce que vous ne savez qu'en faire, parce qu'il vous embarrasse.

J. Oh ! il ne me cause aucun embarras, et je sais bien ce que j'en ferais si j'avais voix au chapitre. Spirites, magnétistes, somnanbules, armoires, tables parlantes, chapeaux tournants, avec les têtes qu'ils ombragent, je les enverrais tous faire un tour… à Bonneval. »

Quelques personnes s'étonneront, se scandaliseront peut-être de voir les élèves du collège de Chartres aborder, sans autres armes que la plaisanterie, une question qui s'intitule la plus sérieuse des temps modernes. Franchement, après l'aventure toute récente des frères Davenport, peut-on reprocher à des jeunes gens de s'être égayés de cette mystification ? Cet âge est sans pitié.

Sans doute on pourrait, en retournant une de leurs phrases d'emprunt, apprendre à ces malins enfants que les grandes découvertes passent souvent par la roche Tarpéienne avant d'arriver au Capitole, et que, pour le Spiritisme, le jour de la réhabilitation n'est peut-être pas éloigné. Déjà les journaux nous annoncent qu'un musicien de Bruxelles, qui est en même temps Spirite, prétend être en rapport avec les Esprits de tous les compositeurs morts ; qu'il va nous transmettre leurs inspirations, et que sous peu nous aurons des œuvres vraiment posthumes des Beethoven, des Mozart, des Weber, des Mendelssohn !… Eh bien ! soit ; les écoliers sont de bonne composition : ils ont voulu rire, ils ont ri ; Quand il sera temps de faire des excuses, ils en feront. »

Nous ignorons dans quel but on a permis de traiter cette question dans une solennité de collège ; nous doutons cependant que ce soit par sympathie pour le Spiritisme et en vue de le propager parmi les élèves. Quelqu'un disait à ce sujet que cela ressemblait à certaines conférences en usage à Rome, dans lesquelles il y a l'avocat de Dieu et l'avocat du diable. Quoi qu'il en soit, il faut convenir que les deux champions n'étaient très forts ni l'un ni l'autre ; ils auraient sans doute été plus éloquents s'ils avaient mieux connu leur sujet, qu'ils n'ont guère étudié, comme on le voit, que dans les articles de journaux à propos des frères Davenport. Le fait n'en a pas moins son importance, et si le but a été de détourner les jeunes gens de l'étude du Spiritisme, nous doutons fort qu'il ait été atteint, car la jeunesse est curieuse. Jusqu'à présent le nom du Spiritisme n'avait franchi que clandestinement la porte des collèges, et ne s'y prononçait qu'en cachette ; le voici maintenant officiellement installé sur les bancs où il fera son chemin. Puisque la discussion est permise, il faudra bien étudier ; c'est tout ce que nous demandons. Les réflexions du journal à ce propos sont extrêmement judicieuses.

Une vision de Paul Ier

Le czar Paul Ier, qui n'était alors que le grand-duc Paul, se trouvant à Bruxelles, dans une réunion de quelques amis, où l'on parlait de phénomènes regardés comme surnaturels, raconta le fait suivant[1] :

« J'étais, un soir, ou plutôt une nuit, dans les rues de Saint-Pétersbourg, avec Kourakin et deux valets. Nous étions restés longtemps à causer et à fumer, et l'idée nous vint de sortir du palais, incognito, pour voir la ville au clair de lune. Il ne faisait point froid, les jours se rallongeaient ; c'était un de ces moments les plus doux de notre printemps, si pâle en comparaison de ceux du Midi. Nous étions gais ; nous ne pensions à rien de religieux ni de sérieux même, et Kourakin me débitait mille plaisanteries sur les passants très rares que nous rencontrions. Je marchais devant ; un de nos gens me précédait néanmoins ; Kourakin restait de quelques pas en arrière, et l'autre domestique nous suivait un peu plus loin. La lune était claire, on aurait pu lire une lettre ; aussi les ombres, par opposition, étaient longues et épaisses.

Au détour d'une rue, dans l'enfoncement d'une porte, j'aperçus un homme grand et maigre, enveloppé d'un manteau, comme un Espagnol, avec un chapeau militaire très rabattu sur ses yeux. Il paraissait attendre, et dès que nous passâmes devant lui, il sortit de sa retraite et se mit à ma gauche, sans dire un mot, sans faire un geste. Il était impossible de distinguer ses traits ; seulement, ses pas, en heurtant les dalles rendaient un son étrange, semblable à celui d'une pierre qui en frappe une autre. Je fus d'abord étonné de cette rencontre ; puis, il me parut que tout le côté qu'il touchait presque se refroidissait peu à peu. Je sentis un frisson glacial pénétrer mes membres, et, me retournant vers Kourakin, je lui dis :

« Voilà un singulier compagnon que nous avons là ! ‑ Quel compagnon ? me demanda-t-il. ‑ Mais, celui qui marche à ma gauche et qui fait assez de bruit, ce me semble. »

Kourakin ouvrait des yeux étonnés, et m'assura qu'à ma gauche il ne voyait personne. ‑ Comment ! tu ne vois pas à ma gauche un homme en manteau qui est là entre le mur et moi ? ‑ Votre Altesse touche le mur elle-même, et il n'y a de place pour personne entre le mur et vous. »

J'allongeai un peu le bras ; en effet, je sentis de la pierre. Cependant l'homme était là, toujours marchant de ce même pas de marteau qui se réglait sur le mien. Je l'examinai attentivement alors, et je vis briller sous ce chapeau, d'une forme singulière, je l'ai dit, l'œil le plus étincelant que j'aie rencontré jamais. Cet œil me regardait, me fascinait ; je ne pouvais pas en fuir le rayon. Ah ! dis-je à Kourakin, je ne sais ce que j'éprouve, mais c'est étrange !

Je tremblais, non de peur, mais de froid. Je me sentais peu à peu gagner jusqu'au cœur par une impression que rien ne peut rendre. Mon sang se figeait dans mes veines. Tout à coup une voit creuse et mélancolique sortit de ce manteau qui cachait sa bouche et m'appela par mon nom : « Paul ! » Je répondis machinalement, poussé par je ne sais quelle puissance : « Que veux-tu ? Paul ! répéta-t-il. » ‑ Et cette fois l'accent était plus affectueux et plus triste encore. Je ne répliquai rien, j'attendis, il m'appela de nouveau et ensuite il s'arrêta tout court. Je fus contraint d'en faire autant. « Paul ! pauvre Paul ! pauvre prince ! »

Je me retournai vers Kourakin, qui s'était arrêté aussi. « Entends-tu ? lui dis-je. ‑ Rien absolument, monseigneur ; et vous ? » Quant à moi, j'entendais ; la plainte résonnait encore à mon oreille. Je fis un effort immense, et je demandai à cet être mystérieux qui il était et ce qu'il voulait. « Pauvre Paul ! qui je suis ? Je suis celui qui s'intéresse à toi. Ce que je veux ? je veux que tu ne t'attaches pas trop à ce monde, car tu n'y resteras pas longtemps. Vis en juste, si tu désires mourir en paix ; et ne méprise pas le remords, c'est le supplice le plus poignant des grandes âmes. »

Il reprit son chemin en me regardant toujours de cet œil qui semblait se détacher de sa tête, et de même que j'avais été forcé de m'arrêter comme lui, je fus forcé de marcher comme lui. Il ne me parla plus et je ne me sentis plus le désir de lui adresser la parole. Je le suivais, car c'était lui qui dirigeait la marche, et cette course dura plus d'une heure encore, en silence, sans que je puisse dire par où j'ai passé. Kourakin et les laquais n'en revenaient point. Regardez-le sourire : il croit encore que j'ai rêvé tout cela.

Enfin nous approchâmes de la Grande-Place, entre le pont de la Newa et le palais des Sénateurs. L'homme alla droit vers un point de cette place, où je le suivis, bien entendu, et là il s'arrêta encore. « Paul, adieu. Tu me reverras ici et ailleurs encore. » Puis, comme s'il l'eût touché, son chapeau se souleva légèrement tout seul ; je distinguai alors très facilement son visage. Je reculai malgré moi : c'était l'œil d'aigle, c'était le front basané, le sourire sévère de mon aïeul Pierre le Grand. Avant que je fusse revenu de ma surprise, de ma terreur, il avait disparu.

C'est à cette même place que l'impératrice élève le monument célèbre qui va bientôt faire l'admiration de toute l'Europe, et qui représente le czar Pierre à cheval. Un immense bloc de granit est la base de cette statue. Ce n'est pas moi qui ai désigné à ma mère cet endroit, choisi ou plutôt deviné d'avance par le fantôme. Et j'avoue qu'en y retrouvant cette statue, je ne sais quel sentiment s'empara de moi. J'ai peur d'avoir peur, malgré le prince Kourakin, qui veut me persuader que j'ai rêvé tout éveillé, en me promenant dans les rues. Je me souviens du moindre détail de cette vision, car c'en était une, je persiste à le soutenir. Il me semble que j'y suis encore. Je revins au palais, brisé comme si j'avais fait une longue route et littéralement gelé du côté gauche. Il me fallut plusieurs heures pour me réchauffer dans un lit brûlant et sous des couvertures. »

Le grand-duc Paul regretta plus tard d'avoir parlé de cette aventure, et chercha à la mettre sur le compte de la plaisanterie, mais les préoccupations qu'elle lui causait firent penser qu'elle avait quelque chose de sérieux.

Le fait ayant été lu à la Société de Paris, mais sans intention de faire aucune question à ce sujet, un des médiums obtint spontanément et sans évocation la communication suivante :


Société de Paris, 9 mars 1866. ‑ Médium, M. Morin.

Dans la phase nouvelle où vous êtes entrés avec la clef que vous a donnée le Spiritisme, ou révélation des Esprits, tout doit s'expliquer, au moins ce que vous êtes aptes à comprendre.

L'existence de la médiumnité voyante a été la première de toutes les facultés données à l'homme pour correspondre avec ce monde invisible, cause de tant de faits restés jusqu'à ce jour encore sans explication rationnelle. Faites en effet un retour sur les différents âges de l'humanité, et observez avec attention toutes les traditions qui sont parvenues jusqu'à vous, et partout, chez ceux qui vous ont précédés, vous rencontrerez des êtres qui ont été mis, par la vision, en relation avec le monde des Esprits.

De tous les temps, chez tous les peuples, les croyances religieuses se sont établies sur les révélations de visionnaires ou médiums voyants.

Les hommes, trop petits par eux-mêmes, ont toujours été assistés par ceux des invisibles qui les avaient précédés dans l'erraticité, et qui, obéissant à la loi de réciprocité universelle, venaient leur apporter, par des communications souvent inconscientes, les connaissances acquises par eux, et leur tracer la conduite à suivre pour découvrir la vérité.

La première des facultés médianimiques, je l'ai dit, a été la vision ; combien n'a-t-elle pas trouvé d'adversaires parmi les intéressés de tous les temps ! Mais il ne faudrait pas induire de mon langage que toutes les visions sont le résultat de communications réelles ; beaucoup sont dues à l'hallucination de cerveaux affaiblis ou le résultat d'un complot ourdi pour servir un calcul ou satisfaire un orgueil.

Croyez-moi, le médium voyant est de tous le plus impressionnable ; ce que l'on a vu se grave mieux dans l'esprit. Lorsque votre grand-duc[2], fanfaron et vain comme la plupart de ceux de sa race, vit son aïeul lui apparaître, car c'était bien une vision, qui avait sa raison d'être dans la mission que Pierre le Grand avait acceptée en faveur de son petit-fils, et qui consistait à le conduire et à l'inspirer, dès cet instant, la médiumnité a été chez le duc en permanence, et la crainte seule du ridicule l'a empêché de raconter toutes ses visions à son ami.

La médiumnité voyante n'était pas la seule qu'il possédait ; il avait aussi l'intuition et l'audition ; mais, trop imbu des principes de sa première éducation, il a refusé de mettre à profit les sages avertissements que lui donnaient ses guides. C'est par l'audition qu'il a eu la révélation de sa fin tragique. Depuis ce temps, son Esprit a beaucoup progressé ; aujourd'hui il ne craindrait plus le ridicule en croyant à la vision, c'est pourquoi il vient vous dire :

« Grâce à mes chers instructeurs spirituels et à l'observation des faits, je crois à la manifestation des Esprits, à la survivance de l'âme, à la toute-puissance éternelle de Dieu, à la progression constante vers le bien des hommes et des peuples, et me tiens pour fort honoré qu'une de mes puérilités ait donné lieu à une dissertation où j'ai tout à gagner et vous rien à perdre.

Paul. »



[1] Extrait du Grand Journal du 3 mars 1866, et tiré d'un ouvrage de M. Hortensius de Saint Albin, intitulé : Le Culte de Satan.


[2] Plusieurs Russes assistaient à la séance dans laquelle cette communication a été donnée ; c'est sans doute ce qui a motivé l'expression : Votre grand duc.



Le réveil du seigneur de Cosnac

Notre collègue de la société de Paris, M. Leymarie, étant allé dernièrement faire un voyage dans la Corrèze, s'y entretenait fréquemment du Spiritisme, et y reçut plusieurs communications médianimiques, entre autres celle que nous donnons ci-après, et qui, certes, ne pouvait être dans sa pensée, car il ignorait s'il y avait jamais eu dans le monde un individu du nom de Cosnac. Cette communication est remarquable en ce qu'elle peint la position singulière d'un Esprit qui, depuis deux siècles et demi, ne se croyait pas vivant, mais se trouvait sous l'impression des idées et de la vue des choses de son temps, sans s'apercevoir combien tout avait changé depuis.

(Tulle, 7 mars 1866.)

Il y a deux siècles et demi, qu'inconscient de ma position, je vois sans cesse le château fort de mes ancêtres, les fossés profonds, le seigneur de Cosnac toujours attaché à son roi, à son nom, à ses souvenirs de grandeur ; il y a des pages, des varlets partout ; des hommes d'armes partant pour une expédition secrète. Je suis tous ces mouvements, tout ce bruit ; j'entends les plaintes des prisonniers et des colons, des serfs craintifs qui passent humblement devant la demeure du maître ;… et tout cela n'est qu'un rêve !…

Mes yeux se sont ouverts aujourd'hui pour voir tout le contraire de mon rêve séculaire ! Je vois une grande habitation bourgeoise, mais plus de lignes de défense ; tout est calme. Les grands bois ont disparu ; on dirait qu'une main de fée a transformé la demeure féodale et le paysage agreste qui l'entoure. Pourquoi ce changement ?… Le nom que je porte a donc disparu et le bon vieux temps avec lui ?… Hélas ! il faut perdre mes rêves, mes désirs, mes fictions, car un nouveau monde vient de m'être révélé ! Jadis évêque, fier de mes titres, de mes alliances, conseiller d'un roi, je n'admettais que nos personnalités, qu'un Dieu créant des races privilégiées à qui le monde appartenait de droit, qu'un nom qui devait se perpétuer, et, comme base de ce système, la compression et la souffrance pour le serf et l'artisan.

Quelques mots ont pu réveiller !… Une attraction involontaire (autrefois, j'eus dit diabolique) m'a attiré vers celui qui écrit. Il a discuté avec un prêtre qui emploie, pour la défense de l'Église, tous les arguments que je répétais autrefois, tandis que lui se sert de mots nouveaux, qu'il explique simplement, et, l'avouerai-je ? c'est son raisonnement qui permet à mes yeux de voir, à mes oreilles d'entendre.

Par lui, je perçois les choses telles qu'elles sont, et, ce qui est plus étrange, après l'avoir suivi en plus d'un endroit où il défend le Spiritisme, je reviens au sentiment de mon existence comme Esprit ; j'apprécie mieux, je définis mieux les grandes lois du vrai et du juste ; je rabaisse mon orgueil, cause de la cataracte qui a pu troubler ma raison, mon jugement, pendant deux siècles et demi, et pourtant voyez la force de l'habitude, de l'orgueil de race !… malgré le changement radical opéré dans les biens de mes aïeux, dans les mœurs, les lois et le gouvernement ; malgré les causeries du médium qui transmet ma pensée, malgré ma visite aux groupes spirites de Paris, et même à ceux des Esprits qui se préparent à l'émigration dans les mondes avancés, ou bien aux réincarnations terriennes, il m'a fallu huit jours de réflexion pour me rendre à l'évidence.

Dans ce long combat entre un passé disparu et la présent qui nous emporte vers les grandes espérances, mes résistances sont tombées, une à une, comme les vieilles armures brisées de nos anciens chevaliers. Je viens faire acte de foi devant l'évidence, et moi, de Cosnac, ancien évêque, j'affirme que je vis, que je sens, que je juge. En attendant ma réincarnation, je prépare mes armes spirituelles ; je sens Dieu partout et en tout ; je ne suis pas un démon, je récuse mon orgueil de caste, et dans mon enveloppe fluidique, je rends hommage au Dieu créateur, au Dieu d'harmonie qui appelle à lui tous ses enfants, afin qu'après des vies plus ou moins accidentées, ils arrivent purifiés dans les sphères éthérées où ce Dieu si magnanime les fera jouir de la suprême sagesse.

De Cosnac.



Nota. ‑ L'avant-dernier archevêque de Sens se nommait Jean-Joseph-Marie-Victoire de Cosnac ; il était né, en 1764, au château de Cosnac, en Limousin, et y mourut en 1843. Le Bulletin de la Société archéologique de Sens, t. 7, p. 301, dit qu'il était le onzième prélat que sa famille avait donné à l'Eglise. Il n'y a donc rien d'impossible à ce qu'un évêque de ce nom ait existé au commencement du dix-septième siècle.



Pensées spirites Poésie de M. Eugène Nus

Les strophes suivantes sont tirées de l'ouvrage les Dogmes nouveaux, de M. Eugène Nus. Quoique ce ne soit point une œuvre médianimique, on nous saura sans doute gré de les reproduire, à cause des pensées qui y sont si gracieusement exprimées. Sous le titre de : les Grands mystères, le même auteur a publié dernièrement un autre remarquable ouvrage dont nous rendrons compte, et dans lequel on retrouve tous les principes fondamentaux de la doctrine spirite, comme solution rationnelle.



O morts aimés, que cette terre

A vus passer, mêlés à nous,

Révélez-nous le grand mystère :

O morts aimés, où vivez-vous ?

Globes flamboyants, qui peuplez l'espace,

Sœurs de notre terre, étoiles des cieux,

Laquelle de vous prépare ma place,

Et me garde un sort sombre ou glorieux ?

Laquelle de vous a reçu les âmes

De ceux que j'aimais et que j'ai perdus ?

Dans un blanc rayon de votre douce flamme,

Sur mon front rêveur sont-ils descendus ?

Ou bien, attachés au sort de la terre

Par la destinée ou par leur amour,

Sont-ils emportés dans notre atmosphère,

Attendant là-haut l'heure du retour ?

Ou, plus près encore, Esprits invisibles,

Sont-ils parmi nous mêlés à nos jours,

Prêchant la concorde aux cœurs sensibles,

Et pleurant tout bas de les trouver sourds ?

Mystère profond de l'âme infinie !

Depuis bien longtemps je te cherche en vain.

J'ai pâli mon front à creuser la vie

Sans pouvoir trouver le secret divin.

Mais, ô morts chéris, qu'importe où vous êtes !

De loin ou de près vous venez à moi ;

J'ai cédé souvent à vos voix secrètes,

Et votre chaleur réchauffe ma foi.

O morts aimés, que cette terre

A vus passer, mêlés à nous,

Révélez-nous le grand mystère :

O morts aimés, où vivez-vous ?

Lettre de M. F. Blanchard au journal la Liberté.

On nous prie d'insérer la lettre suivante, adressée à M. le rédacteur en chef du journal la Liberté.

« Monsieur,

Il faut, il est vrai, remplir les colonnes d'un journal, mais lorsque ce garni est plein d'insultes adressées à ceux qui ne pensent pas comme vos rédacteurs, du moins comme celui qui a écrit cette platitude, au sujet des frères Davenport, numéro de lundi, il est permis de trouver mauvais de donner son argent à ceux qui ne craignent point de vous traiter de sot, d'ignorant, etc. Or, je suis Spirite, et j'en remercie Dieu. Aussi lorsque mon abonnement à votre journal sera terminé, soyez certain qu'il ne sera pas renouvelé.

Votre feuille porte un titre sublime ; ne mentez donc pas à ce titre, et sachez que ce mot implique le respect des opinions de chacun. N'oubliez pas surtout que Liberté et Spiritisme c'est absolument la même chose. Cette synonymie vous étonne ? Lisez, étudiez cette doctrine qui vous paraît si noire ; vous pourrez alors rendre un service à la Vérité et à la Liberté que vous portez si haut, mais que vous offensez.

Florentin Blanchard, libraire, à Marennes. »

P. S. Si ma signature ne vous semblait pas assez lisible, la griffe qui ferme ma lettre vous édifiera.

Notices bibliographiques

Suis-je Spirite ? par Sylvain Alquié, de Toulouse ; brochure in-12, prix : 50 c. Toulouse, chez Caillol et Baylac, 34, rue de la Pomme.

L'auteur, nouvel adepte, ne connaissait le Spiritisme que par les diatribes des journaux à propos des frères Davenport, lorsque le premier article publié par le journal la Discussion (voir la Revue spirite de février 1866) lui étant tombé sous les yeux, au café, le lui fit voir sous un tout autre jour, et le porta à l'étudier. Ce sont ces impressions qu'il décrit dans sa brochure ; il passe en revue les raisonnements qui l'ont amené à la croyance, et à chacun desquels il se demandait : suis-je Spirite ? Sa conclusion est résumée dans le dernier chapitre par ces simples mots : je suis Spirite. Cette brochure, écrite avec élégance, clarté et conviction, est une profession de foi sagement raisonnée ; elle mérite les sympathies de tous les adeptes sincères auxquels nous nous faisons un devoir de la recommander, regrettant que le défaut d'espace nous empêche de justifier notre appréciation par quelques citations.


Lettre à MM. les directeurs et rédacteurs des journaux antispirites par A. Grelez, officier d'administration en retraite. Brochure in-8°, prix : 50 c. Paris, Bordeaux, chez les principaux libraires.

Cette lettre, ou mieux ces lettres, datées de Sétif (Algérie), ont été publiées par l'Union Spirite Bordelaise dans ses nos 34, 35, 36. C'est un exposé clair et succinct des principes de la doctrine en réponse aux diatribes de certains journalistes dont l'auteur relève avec convenance les fausses et injustes appréciations. Il ne se flatte assurément pas de les convertir, mais ces réfutations, multipliées dans des brochures à bon marché, ont l'avantage d'éclairer les masses sur le véritable caractère du Spiritisme, et de montrer qu'il trouve partout des défenseurs sérieux qui n'ont besoin que du raisonnement, pour combattre ses adversaires. Nous devons donc des remerciements à M. Grelez, et des félicitations à l'Union spirite bordelaise pour avoir pris l'initiative de cette publication.


Philosophie spirite extraite du divin Livre des Esprits par Allan Kardec par Augustin Babin, de Cognac. 1 vol. in-12 de 200 pages, prix : 1 fr.


Le guide du bonheur, ou Devoirs généraux de l'homme par amour pour Dieu par le même. Brochure in-12 de 100 pages, prix : 60 c.


Notions d'astronomie scientifique, psychologique et morale, par le même. Brochure in-12 de 100 pages, prix : 75 c. ‑ Angoulême, chez Nadaud et Ce, 26, rempart Desaix.

Nous ferons remarquer que l'épithète de divin est donnée au Livre des Esprits par l'auteur et non par nous ; elle caractérise la manière dont il envisage la question. M. Babin est un Spirite de vieille date, et qui prend la doctrine au sérieux, au point de vue moral. Ces trois ouvrages sont le fruit d'une conviction profonde, inaltérable, et à l'abri de toute fluctuation. Ce n'est pas un enthousiaste, mais un homme qui a puisé dans le Spiritisme tant de forces, de consolations et de bonheur qu'il regarde comme un devoir d'aider à propager une croyance qui lui est chère. Son zèle est d'autant plus méritoire qu'il est totalement désintéressé. Il déclare mettre ses livres dans le domaine public à la condition de n'y rien changer et de n'en pas augmenter le prix. Il a bien voulu en mettre une centaine d'exemplaires à notre disposition pour être distribués gratuitement, ce dont nous le prions d'agréer nos biens sincères remerciements.






Mai

Dieu est partout

Comment Dieu si grand, si puisant, si supérieur à tout, peut-il s'immiscer dans des détails infimes, se préoccuper des moindres actes et des moindres pensées de chaque individu ? Telle est la question que l'on se pose souvent.

Dans leur état actuel d'infériorité, les hommes ne peuvent que difficilement comprendre Dieu infini, parce qu'ils sont eux-mêmes bornés et limités, c'est pourquoi ils se le figurent borné et limité comme eux ; ils se le représentent comme un être circonscrit, et s'en font une image à leur image. Nos tableaux qui le peignent sous des traits humains ne contribuent pas peu à entretenir cette erreur dans l'esprit des masses, qui adorent en lui la forme plus que la pensée. C'est pour le plus grand nombre un souverain puissant, sur un trône inaccessible, perdu dans l'immensité des cieux, et parce que leurs facultés et leurs perceptions sont bornées, ils ne comprennent pas que Dieu puisse ou daigne intervenir directement dans les plus petites choses.

Dans l'impuissance où est l'homme de comprendre l'essence même de la divinité, il ne peut s'en faire qu'une idée approximative à l'aide de comparaisons nécessairement très imparfaites, mais qui peuvent du moins lui montrer la possibilité de ce qui, au premier abord, lui semble impossible.

Supposons un fluide assez subtil pour pénétrer tous les corps, il est évident que chaque molécule de ce fluide produira sur chaque molécule de la matière avec laquelle elle est en contact une action identique à celle que produirait la totalité du fluide. C'est ce que la chimie nous montre à chaque pas.

Ce fluide, étant inintelligent, agit mécaniquement par les seules forces matérielles ; mais si nous supposons ce fluide doué d'intelligence, de facultés perceptives et sensitives, il agira, non plus aveuglément, mais avec discernement, avec volonté et liberté ; il verra, entendra et sentira.

Les propriétés du fluide périsprital peuvent nous en donner une idée. Il n'est point intelligent par lui-même puisqu'il est matière, mais il est le véhicule de la pensée, des sensations et des perceptions de l'esprit ; c'est par suite de la subtilité de ce fluide que les Esprits pénètrent partout, qu'ils scrutent nos pensées, qu'ils voient et agissent à distance ; c'est à ce fluide, arrivé à un certain degré d'épuration, que les Esprits supérieurs doivent le don d'ubiquité ; il suffit d'un rayon de leur pensée dirigé sur divers points, pour qu'ils puissent y manifester leur présence simultanément. L'extension de cette faculté est subordonnée au degré d'élévation et d'épuration de l'Esprit.

Mais les Esprits, quelque élevés qu'ils soient, sont des créatures bornées dans leurs facultés, leur puissance et l'étendue de leurs perceptions ne sauraient, sous ce rapport, approcher de Dieu ; cependant ils peuvent nous servir de point de comparaison. Ce que l'Esprit ne peut accomplir que dans une limite restreinte, Dieu, qui est infini, l'accomplit dans des proportions infinies. Il y a encore cette différence que l'action de l'Esprit est momentanée et subordonnée aux circonstances : celle de Dieu est permanente ; la pensée de l'Esprit n'embrasse qu'un temps et un espace circonscrits : celle de Dieu embrasse l'univers et l'éternité. En un mot, entre les Esprits et Dieu, il y a la distance du fini à l'infini.

Le fluide périsprital n'est pas la pensée de l'Esprit, mais l'agent et l'intermédiaire de cette pensée ; comme c'est le fluide qui la transmet, il en est en quelque sorte imprégné, et dans l'impossibilité où nous sommes d'isoler la pensée, elle semble ne faire qu'un avec le fluide, comme le son semble ne faire qu'un avec l'air, de sorte que nous pouvons, pour ainsi dire, la matérialiser. De même que nous disons que l'air devient sonore, nous pourrions, en prenant l'effet pour la cause, dire que le fluide devient intelligent.

Qu'il en soit ou non ainsi de la pensée de Dieu, c'est-à-dire qu'elle agisse directement ou par l'intermédiaire d'un fluide, pour la facilité de notre intelligence, représentons-nous cette pensée sous la forme concrète d'un fluide intelligent remplissant l'univers infini, pénétrant toutes les parties de la création : la nature entière est plongée dans le fluide divin ; tout est soumis à son action intelligente, à sa prévoyance, à sa sollicitude ; pas un être, quelque infime qu'il soit, qui n'en soit en quelque sorte saturé.

Nous sommes ainsi constamment en présence de la divinité ; il n'est pas une seule de nos actions que nous puissions soustraire à son regard ; notre pensée est en contact avec sa pensée, et c'est avec raison qu'on dit que Dieu lit dans les plus profonds replis de notre cœur ; nous sommes en lui comme il est en nous, selon la parole du Christ. Pour étendre sa sollicitude sur les plus petites créatures, il n'a donc pas besoin de plonger son regard du haut de l'immensité, ni de quitter le séjour de sa gloire, car ce séjour est partout ; nos prières, pour être entendues de lui, n'ont pas besoin de franchir l'espace, ni d'être dites d'une voix retentissante, car, sans cesse pénétrés par lui, nos pensées se répercutent en lui.

L'image d'un fluide intelligent universel n'est évidemment qu'une comparaison, mais propre à donner une idée plus juste de Dieu que les tableaux qui le représentent sous la figure d'un vieillard à longue barbe, drapé dans un manteau. Nous ne pouvons prendre nos points de comparaison que dans les choses que nous connaissons ; c'est pour cela qu'on dit tous les jours : L'œil de Dieu, la main de Dieu, la voix de Dieu, le souffle de Dieu, la face de Dieu. Dans l'enfance de l'humanité, l'homme prend ces comparaisons à la lettre ; plus tard, son esprit, plus apte à saisir les abstractions, spiritualise les idées matérielles. Celle d'un fluide universel intelligent, pénétrant tout, comme serait le fluide lumineux, le fluide calorique, le fluide électrique ou tous autres, s'ils étaient intelligents, a pour objet de faire comprendre la possibilité pour Dieu d'être partout, de s'occuper de tout, de veiller sur le brin d'herbe comme sur les mondes. Entre lui et nous la distance est supprimée ; nous comprenons sa présence, et cette pensée, lorsque nous nous adressons à lui, augmente notre confiance, car nous ne pouvons plus dire que Dieu est trop loin et trop grand pour s'occuper de nous. Mais cette pensée, si consolante pour l'humble et l'homme de bien, est trop terrifiante pour le méchant et l'orgueilleux endurcis, qui espéraient se soustraire à lui à la faveur de la distance, et qui, désormais, se sentiront sous les étreintes de sa puissance.

Rien n'empêche d'admettre, pour le principe de souveraine intelligence, un centre d'action, un foyer principal rayonnant sans cesse, inondant l'univers de ses effluves, comme le soleil de sa lumière. Mais où est-il ce foyer ? Il est probable qu'il n'est pas plus fixé sur un point déterminé que ne l'est son action. Si de simples Esprits ont le don d'ubiquité, cette faculté en Dieu doit être sans limites. Dieu remplissant l'univers, on pourrait admettre, à titre d'hypothèse, que ce foyer n'a pas besoin de se transporter, et qu'il se forme sur tous les points où sa souveraine volonté juge à propos de se produire, d'où l'on pourrait dire qu'il est partout et nulle part.

Devant ces problèmes insondables, notre raison doit s'humilier. Dieu existe : nous n'en saurions douter ; il est infiniment juste et bon : c'est son essence ; sa sollicitude s'étend à tout : nous le comprenons maintenant ; sans cesse en contact avec lui, nous pouvons le prier avec la certitude d'en être entendu ; il ne peut vouloir que notre bien, c'est pourquoi nous devons avoir confiance en lui. Voilà l'essentiel ; pour le surplus, attendons que nous soyons dignes de le comprendre.

La vue de Dieu

Puisque Dieu est partout, pourquoi ne le voyons-nous pas ? Le verrons-nous en quittant la terre ? Telles sont aussi les questions que l'on se pose journellement. La première est facile à résoudre : nos organes matériels ont des perceptions bornées, qui les rendent impropres la vue de certaines choses, même matérielles. C'est ainsi que certains fluides échappent totalement à notre vue et à nos instruments d'analyse. Nous voyons les effets de la peste et nous ne voyons pas le fluide qui la transporte ; nous voyons les corps se mouvoir sous l'influence de la force de gravitation, et nous ne voyons pas cette force.

Les choses d'essence spirituelle ne peuvent être perçues par des organes matériels ; ce n'est que par la vue spirituelle que nous pouvons voir les Esprits et les choses du monde immatériel ; notre âme seule peut donc avoir la perception de Dieu. Le voit-elle immédiatement après la mort ? C'est ce que les communications d'outre-tombe peuvent seules nous apprendre. Par elles, nous savons que la vue de Dieu n'est le privilège que des âmes les plus épurées, et qu'ainsi bien peu possèdent, en quittant leur enveloppe terrestre, le degré de dématérialisation nécessaire. Quelques comparaisons vulgaires le feront aisément comprendre.

Celui qui est au fond d'une vallée, environné d'une brume épaisse, ne voit pas le soleil ; cependant, à la lumière diffuse, il juge de la présence du soleil. S'il gravit la montagne, à mesure qu'il s'élève le brouillard s'éclaircit, la lumière devient de plus en plus vive, mais il ne voit pas encore le soleil. Quand il commence à l'apercevoir, il est encore voilé, car la moindre vapeur suffit pour en affaiblir l'éclat. Ce n'est qu'après s'être complètement élevé au-dessus de la couche brumeuse, que, se trouvant dans un air parfaitement pur, il le voit dans toute sa splendeur.

Il en est de même de celui dont la tête serait enveloppée de plusieurs voiles ; d'abord, il ne voit rien du tout ; à chaque voile qu'on enlève, il distingue une lueur de plus en plus claire ; ce n'est que lorsque le dernier voile a disparu qu'il perçoit nettement les choses.

Il en est encore de même d'une liqueur chargée de matières étrangères ; elle est trouble d'abord ; à chaque distillation sa transparence augmente, jusqu'à ce qu'étant complètement épurée, elle acquiert une limpidité parfaite et ne présente aucun obstacle à la vue.

Ainsi en est-il de l'âme. L'enveloppe périspritale, bien qu'invisible et impalpable pour nous, est pour elle une véritable matière, trop grossière encore pour certaines perceptions. Cette enveloppe se spiritualise à mesure que l'âme s'élève en moralité. Les imperfections de l'âme sont comme des voiles qui obscurcissent sa vue ; chaque imperfection dont elle se défait est un voile de moins, mais ce n'est qu'après s'être complètement épurée qu'elle jouit de la plénitude de ses facultés.

Dieu, étant l'essence divine par excellence, ne peut être perçu dans tout son éclat que par les Esprits arrivés au plus haut degré de dématérialisation. Si les Esprits imparfaits ne le voient pas, ce n'est pas qu'ils en soient plus éloignés que les autres ; comme eux, comme tous les êtres de la nature, ils sont plongés dans le fluide divin ; comme nous le sommes dans la lumière, les aveugles aussi sont plongés dans la lumière, et cependant ils ne la voient pas. Les imperfections sont des voiles qui dérobent Dieu à la vue des Esprits inférieurs ; quand le brouillard sera dissipé, ils le verront resplendir : pour cela, ils n'auront besoin, ni de monter, ni d'aller le chercher dans les profondeurs de l'infini ; la vie spirituelle étant débarrassée des taies morales qui l'obscurcissaient, ils le verront en quelque lieu qu'ils se trouvent, fût-ce même sur la terre, car il est partout.

L'Esprit ne s'épure qu'à la longue, et les différentes incarnations sont les alambics au fond desquels il laisse à chaque fois quelques impuretés. En quittant son enveloppe corporelle, il ne se dépouille pas instantanément de ses imperfections ; c'est pourquoi il en est qui, après la mort, ne voient pas plus Dieu que de leur vivant ; mais, à mesure qu'ils s'épurent, ils en ont une intuition plus distincte ; s'ils ne le voient pas, ils le comprennent mieux ; la lumière est moins diffuse. Lors donc que des Esprits disent que Dieu leur défend de répondre à telle question, ce n'est pas que Dieu leur apparaisse ou leur adresse la parole pour leur prescrire ou leur interdire telle ou telle chose. Non ; mais ils le sentent, ils reçoivent les effluves de sa pensée, comme cela nous arrive à l'égard des Esprits qui nous enveloppent de leur fluide, quoique nous ne les voyions pas.

Aucun homme ne peut donc voir Dieu avec les yeux de la chair. Si cette faveur était accordée à quelques-uns, ce ne serait qu'à l'état d'extase, alors que l'âme est autant dégagée des liens de la matière que cela est possible pendant l'incarnation.

Un tel privilège ne serait d'ailleurs que celui des âmes d'élite, incarnées en mission et non en expiation. Mais comme les Esprits de l'ordre le plus élevé resplendissent d'un éclat éblouissant, il se peut que des Esprits moins élevés, incarnés ou désincarnés, frappés de la splendeur qui les entoure, aient cru voir Dieu lui-même. Tel on voit parfois un ministre pris pour son souverain.

Sous quelle apparence Dieu se présente-t-il à ceux qui se sont rendus dignes de cette faveur ? Est-ce sous une forme quelconque ? Sous une figure humaine, ou comme un foyer resplendissant de lumière ? C'est ce que le langage humain est impuissant à décrire parce qu'il n'existe pour nous aucun point de comparaison qui puisse en donner une idée ; nous sommes comme des aveugles à qui l'on chercherait en vain à faire comprendre l'éclat du soleil. Notre vocabulaire est borné à nos besoins et au cercle de nos idées ; celui des sauvages ne saurait dépeindre les merveilles de la civilisation ; celui des peuples les plus civilisés est trop pauvre pour décrire les splendeurs des cieux, notre intelligence trop bornée pour les comprendre, et notre vue trop faible en serait éblouie.

Une résurrection

La Concorde, journal de Versailles, du 22 février 1866, relate l'épisode suivant d'un récit publié en feuilleton sous le titre de : En Corse, croquis à la plume.

Une jeune fille avait une vieille tante qui lui servait de mère, et à laquelle elle portait une tendresse filiale. La tante tomba malade et mourut. On éloigna la jeune fille, mais celle-ci se tint à la porte de la chambre mortuaire, pleurant et priant. Tout à coup elle croit entendre un faible cri et comme un gémissement sourd ; elle ouvre précipitamment la porte et voit sa tante qui avait écarté le drap dont on l'avait recouverte, et qui lui faisait signe d'approcher. Elle lui dit alors d'une voix éteinte et en faisant un effort suprême : « Saveria, j'étais morte tout à l'heure,… oui, morte… J'ai vu le Seigneur… Il m'a permis de revenir un instant sur cette terre, pour que je puisse te faire un dernier adieu, une dernière recommandation. »

Alors elle lui renouvela un conseil très important qu'elle lui avait donné quelques jours auparavant, et dont dépendait son avenir. Il s'agissait de garder un secret absolu sur un fait dont la divulgation devait entraîner une de ces terribles vengeances si communes dans ce pays. Sa nièce lui ayant promis de se conformer à sa volonté, elle ajouta : « Je puis mourir maintenant, car Dieu te protégera comme il me protége à cette heure, puisque je n'emporterai pas en m'en allant le regret de laisser derrière moi une vengeance à assouvir dans un sillon de sang et de malédictions… Adieu, ma pauvre enfant, je te bénis. » Après ces paroles, elle expira.

Un de nos correspondants, qui connaît personnellement l'auteur, lui demanda si son récit était un conte puisé dans son imagination. « Non, répondit celui-ci, c'est l'exacte vérité. Je tiens le fait de la bouche même de Saveria, alors que j'étais en Corse ; j'ai cité ses propres paroles, et encore ai-je omis certains détails, dans la crainte qu'on ne m'accusât d'exagération. »

Les faits de cette nature ne sont pas sans exemple ; nous en avons cité un très remarquable dans la Revue d'août 1863, page 251, sous le titre de : M. Cardon, médecin. Ils sont la preuve évidente de l'existence et de l'indépendance de l'âme ; car, si le principe intelligent était inhérent à la matière, il s'éteindrait avec elle. La question est de savoir si, par un acte de la volonté, l'âme peut rentrer momentanément en possession du corps qu'elle vient de quitter.

Il ne faut pas assimiler le fait ci-dessus, ni celui du médecin Cardon, à l'état léthargique. La léthargie est une suspension accidentelle de la sensibilité nerveuse et du mouvement qui offre l'image de la mort, mais qui n'est pas la mort, puisqu'il n'y a pas décomposition, et que des léthargiques ont vécu de longues années après leur réveil. La vitalité, pour être latente, n'en est pas moins dans toute sa force, et l'âme n'est pas plus détachée du corps que dans le sommeil ordinaire. Dans la mort véritable, au contraire, la matière se désorganise, la vitalité s'éteint, le périsprit se sépare ; le travail de la dissolution commence avant même que la mort ne soit accomplie. Tant qu'elle n'est pas consommée, il peut y avoir des retours passagers à la vie, comme ceux que nous avons cités, mais toujours de courte durée, attendu que la volonté peut bien retarder de quelques instants la séparation définitive du périsprit, mais qu'elle est impuissante à arrêter le travail de la dissolution, quand le moment est venu. Quelles que soient les apparences extérieures, on peut dire que, toutes les fois qu'il y a retour à la vie, c'est qu'il n'y a pas mort dans l'acception pathologique du mot. Lorsque la mort est complète, ces retours sont impossibles, les lois physiologiques s'y opposent.

Dans la circonstance dont nous parlons, on pouvait donc rationnellement admettre que la mort n'était pas consommée. Le fait ayant été rapporté à la Société de Paris, le guide d'un de nos médiums habitués en donna l'explication suivante, que nous reproduisons sous toute réserve, comme une chose possible, mais non matériellement prouvée, et à titre d'observation.



Société spirite de Paris, 2 mars 1866. – Médium, M. Morin.

Dans le cas qui fait le sujet de votre discussion, il y a un fait positif, celui de la morte qui a parlé à sa nièce. Il reste à savoir si ce fait est du domaine matériel, c'est-à-dire s'il y a eu retour momentané à la vie corporelle, ou s'il est de l'ordre spirituel ; c'est cette dernière hypothèse qui est la vraie, car la vieille femme était bien réellement morte. Voici ce qui s'est passé.

La jeune fille, agenouillée au seuil mortuaire, a subi une impulsion irrésistible qui l'a poussée auprès du lit de sa tante, qui, comme je l'ai dit, était bien morte. C'est l'ardente volonté de l'Esprit de cette femme qui a provoqué le phénomène. Se sentant mourir sans pouvoir faire la recommandation si vivement désirée, elle a demandé à Dieu, dans une dernière et suprême prière, de pouvoir dire à sa nièce ce qu'elle désirait lui dire. La séparation étant déjà faite, le fluide périsprital, encore imprégné de son désir, enveloppa la jeune fille et l'entraîna vers sa dépouille. Là, par une permission de Dieu, elle devint médium voyant et auditif ; elle vit et entendit sa tante, parlant et agissant, non avec son corps, mais bien au moyen de son périsprit encore adhérent au corps ; de sorte qu'il y a eu vision et audition spirituelles et non matérielles.

La recommandation de la tante, faite dans un pareil moment et dans des circonstances qui avaient l'air d'une résurrection, devait impressionner plus vivement la jeune fille, et lui en faire mieux comprendre toute l'importance. Bien qu'elle la lui eût déjà faite de son vivant, elle voulait emporter la certitude que sa nièce s'y conformerait, pour éviter les malheurs qui seraient résultés d'une indiscrétion.Sa volonté n'a pu faire revivre son corps, contrairement aux lois de la nature, mais elle a pu donner à son enveloppe fluidique les apparences de son corps.

Ebelman.



Entretiens d'outre-tombe

L'Abbé Laverdet

M. Laverdet était un des pasteurs de l'Eglise française et le coadjuteur de l'abbé Châtel. C'était un homme d'un grand savoir et jouissant, par l'élévation de son caractère, de l'estime de ceux qui l'ont connu. Il est mort à Paris, au mois de novembre dernier. Un de ses plus intimes amis, M. Monvoisin, l'éminent peintre d'histoire, Spirite fervent, ayant désiré avoir de lui quelques paroles d'outre-tombe, nous pria de le faire évoquer. La communication qu'il a donnée ayant, pour son ami et pour son frère, un cachet incontestable d'identité, nous accédons au désir exprimé par ces deux messieurs en la publiant, et cela d'autant plus volontiers qu'elle est instructive à plus d'un égard.



Société de Paris, 5 janvier 1866. ‑ Médium, M. Desliens.

Évocation. Votre ami, M. Monvoisin, m'a informé de votre mort aujourd'hui, et, quoique nous n'ayons pas eu l'avantage de vous connaître personnellement, nous vous connaissons de réputation pour la part que vous avez prise à la formation de l'Église française. L'estime dont vous jouissiez à juste titre, et l'étude que vous aviez faite du Spiritisme avant de mourir, jointes au désir de votre ami et de votre frère, nous donnent celui de nous entretenir avec vous si Dieu le permet. Nous serons heureux si vous voulez bien nous faire part de vos impressions comme Esprit, soit sur la réforme religieuse à laquelle vous avez travaillé et les causes qui en ont arrêté le progrès, soit sur la doctrine spirite.

Réponse. Cher monsieur, je suis heureux, bien heureux du bon souvenir de mon cher ami M. Monvoisin. Grâce à lui, je puis aujourd'hui, dans cette honorable assemblée, exprimer mon admiration pour l'homme dont les savantes études ont porté le bonheur dans tous les cœurs déshérités et blessés par l'injustice des hommes. Réformateur moi-même, je suis plus que tout autre en position d'apprécier toute la prudence, toute la sagesse de votre conduite, cher monsieur et maître, si vous voulez bien me permettre de vous donner ce titre.

Peu satisfait des tendances générales du clergé orthodoxe, de sa manière parcimonieuse de répandre la lumière due à tous, j'ai voulu, de concert avec l'abbé Châtel, établir sur de nouvelles bases un enseignement, portant le titre de religion, plus en rapport avec les besoins généraux des classes pauvres. Notre but fut louable d'abord, mais notre entreprise péchait par sa base, par son titre, qui était tel qu'on devait venir à nous plutôt pour faire pièce à la religion établie que par conviction intime. Nous le reconnûmes bientôt, mais, trop faciles, nous acceptions avec empressement les enfants que repoussaient d'autres prêtres, faute d'instruction suffisante ou de formalités nécessaires.

Le Spiritisme procède tout autrement ; il est ferme et prudent ; il ne cherche pas le nombre, mais la qualité des adeptes. C'est un enseignement sérieux et non une spéculation.

Notre réforme, qui dès l'abord était complètement désintéressée, fut bientôt considérée, par l'abbé Châtel surtout, comme un moyen de faire fortune. Ce fut là la principale cause de sa ruine. Nous n'avions pas assez d'éléments de résistance, et il faut bien le dire, pas assez d'intrigue, heureusement sans doute, pour mener une telle entreprise à bonne fin. Le premier primat français n'eut pas de successeur. Je n'essayai pas de me poser comme chef d'une secte dont j'avais été un des fondateurs de second ordre, parce qu'en premier lieu je n'approuvais pas toutes les tendances de l'abbé Châtel, tendances que le cher homme a expiées et qu'il expie encore dans le monde des Esprits. D'autre part, ma simplicité y répugnait ; je m'abstins, et j'en suis heureux aujourd'hui.

Lorsqu'on vint me proposer de nouveau de reprendre l'œuvre interrompue, la lecture de vos ouvrages, cher monsieur, avait déjà jeté de profondes racines chez moi. Je compris qu'il s'agissait non-seulement de modifier la forme de l'enseignement, mais aussi l'enseignement lui-même. Par sa nature, notre réforme ne pouvait nécessairement avoir qu'un temps ; fondée sur une idée arrêtée, sur une conception humaine, entièrement développée et bornée à son début, elle devait, même avec toutes chances de succès, se trouver bientôt débordée par les semences progressistes dont nous voyons aujourd'hui la germination.

Le Spiritisme n'a pas ce défaut ; il marche avec le progrès, il est le progrès même et ne saurait être dépassé par celui qu'il précède constamment. Acceptant toutes les idées nouvelles fondées sur la raison et la logique, les développant et en faisant surgir d'inconnues, son avenir est assuré. Permettez-moi, cher monsieur, de vous remercier en particulier du plaisir que j'ai éprouvé à étudier les sages enseignements publiés par vos soins. Mon esprit, troublé par le désir de savoir ce que cachaient tous les mystères de la nature, a été frappé, à leur lecture, de la plus vive lumière.

Je sais que, par modestie, vous repoussez tout éloge personnel ; je sais aussi que ces enseignements ne sont pas votre conception, mais la réunion des instructions de vos guides ; néanmoins, ce n'en est pas moins à votre prudente réserve, à votre habileté à présenter chaque chose en son temps, à votre sage lenteur, à votre modération constante, que le Spiritisme doit, après Dieu et les bons Esprits, de jouir de la considération qu'on lui accorde. Malgré toutes les diatribes, toutes les attaques illogiques et grossières, il n'en est pas moins aujourd'hui une opinion qui fait loi et qui est acceptée par nombre de gens sensés et sérieux, et à l'abri des soupçons. C'est une œuvre d'avenir ; il est sous l'égide du Tout-Puissant, et le concours de tous les hommes supérieurs et intelligents lui sera acquis dès qu'ils connaîtront ses véritables tendances, défigurées par ses adversaires.

Malheureusement le ridicule est une arme puissante en ce pays de progrès ! Quantité de gens éclairés se refusent à étudier certaines idées, même en secret, lorsqu'elles ont été stigmatisées par de plates railleries. Mais il est des choses qui bravent tous les obstacles ; le Spiritisme est de celles-là, et son heure de victoire sonnera bientôt. Il ralliera autour de lui toute la France, toute l'Europe intelligente, et bien sots et bien confus seront ceux qui oseront encore mettre sur le compte de l'imagination des faits reconnus par des intelligences hors ligne.

Quant à mon état personnel, il est présentement satisfaisant ; je ne vous en dirai donc rien ; j'appellerai seulement votre attention et vos prières sur mon ancien collègue, l'abbé Châtel. Priez pour lui. Plus tard, son esprit égaré, mais élevé, pourra vous dicter de sages instructions. Je vous remercie de nouveau de votre bienveillance à mon égard, et me tiens tout à votre disposition, si je puis vous être utile en quoi que ce soit.

L'abbé Laverdet.

Un père insouciant pour ses enfants

Charles-Emmanuel Jean était un artisan bon et doux de caractère, mais adonné à l'ivrognerie dès sa jeunesse. Il avait conçu une vive passion pour une jeune fille de sa connaissance qu'il avait inutilement demandée en mariage ; celle-ci l'avait toujours repoussé, disant qu'elle n'épouserait jamais un ivrogne. Il en épousa une autre dont il eut plusieurs enfants ; mais, absorbé qu'il était par la boisson, il ne se préoccupa en rien ni de leur éducation, ni de leur avenir. Il mourut vers 1823, sans qu'on sût ce qu'il était devenu. L'un de ses fils marcha sur les traces de son père ; il partit pour l'Afrique et l'on n'en entendit plus parler. L'autre était d'une nature toute différente ; sa conduite fut toujours régulière. Entré de très bonne heure en apprentissage, il se fit aimer et estimer de ses patrons comme ouvrier rangé, laborieux, actif et intelligent. Par son travail et ses économies, il se fit une position honorable dans l'industrie, et éleva d'une manière très convenable une nombreuse famille. C'est aujourd'hui un Spirite fervent et dévoué.

Un jour, dans une conversation intime, il nous exprimait le regret de n'avoir pu assurer à ses enfants une fortune indépendante ; nous cherchâmes à rassurer sa conscience en le félicitant, au contraire, sur la manière dont il avait rempli ses devoirs de père. Comme il est bon médium, nous le priâmes de demander une communication, sans faire appel à un Esprit déterminé. Il écrivit :

« C'est moi, Charles-Emmanuel. »

C'est mon père, dit-il ; pauvre père ! Il n'est pas heureux.

L'Esprit continue : Oui, le maître a raison ; tu as plus fait pour tes enfants que je n'ai fait pour toi ; aussi ai-je une tâche rude à remplir. Bénis Dieu, qui t'a donné l'amour de la famille.

Demande (par M. Allan Kardec). D'où vous venait votre penchant à l'ivrognerie ? ‑ Réponse. Une habitude de mon père, dont j'ai hérité ; c'était une épreuve que j'aurais dû combattre.

Remarque. Son père avait, en effet, le même défaut, mais il n'est pas exact de dire que c'était une habitude dont il avait hérité ; il a tout simplement cédé à l'influence du mauvais exemple. On n'hérite pas des vices de caractère, comme on hérite des vices de conformation ; le libre arbitre peut tout sur les premiers, et ne peut rien sur les seconds.

D. Quelle est votre position actuelle dans le monde des Esprits ? ‑ R. Je suis sans cesse à chercher mes enfants et celle qui m'a tant fait souffrir ; celle qui m'a toujours repoussé.

D. Vous devez avoir une consolation dans votre fils Jean, qui est un homme honoré et estimé, et qui prie pour vous, quoique vous vous soyez peu occupé de lui ? ‑ R. Oui, je le sais, il l'a fait, et il le fait encore ; c'est pourquoi il m'est permis de vous parler. Je suis toujours près de lui à tâcher de soulager ses fatigues ; c'est ma mission ; elle ne finira qu'à la venue de mon fils parmi nous.

D. Dans quelle situation vous êtes-vous trouvé comme Esprit, après votre mort ? ‑ R. D'abord je ne me croyais pas mort ; je buvais sans cesse ; je voyais Antoinette, que je voulais atteindre et qui me fuyait. Puis, je cherchais mes enfants, que j'aimais malgré tout, et que ma femme ne voulait point me rendre. Alors je me révoltais en reconnaissant mon néant et mon impuissance, et Dieu m'a condamné à veiller sur mon fils Jean, qui ne mourra jamais par accident, car partout et toujours je le sauve d'une mort violente.

Remarque. En effet, M. Jean a maintes fois échappé, comme par miracle, à des dangers imminents ; il a failli être noyé, être brûlé, être broyé dans les engrenages d'une mécanique, sauter avec une machine à vapeur ; dans sa jeunesse, il a été pendu par accident, et toujours un secours inespéré l'a sauvé au moment le plus critique, ce qui est dû, à ce qu'il paraît à la surveillance exercée par son père.

D. Vous dites que Dieu vous a condamné à veiller à la sécurité de votre fils ; je ne vois pas que ce soit là une punition ; puisque vous l'aimez, ce doit être, au contraire, une satisfaction pour vous. Une foule d'Esprits sont préposés à la garde des incarnés, dont ils sont les protecteurs, et c'est là une tâche qu'ils sont heureux de remplir. ‑ R. Si, maître ; je devais ne point délaisser mes enfants comme je l'ai fait ; alors la loi de justice me condamne à réparer. Je ne le fais point à contrecœur ; je suis heureux de le faire par amour pour mon fils ; mais la douleur qu'il éprouverait dans les accidents dont je le sauve, c'est moi qui la supporte ; s'il devait être percé de dix balles, je ressentirais le mal qu'il endurerait si la chose s'accomplissait. Voilà la punition que je me suis justement attirée en ne remplissant pas auprès de lui mes devoirs de père pendant ma vie.

D. (Par M. Jean.) Voyez-vous mon frère Numa, et pouvez-vous me dire où il est ? (Celui qui était adonné à l'ivrognerie et dont le sort est resté ignoré.) ‑ R. Non, je ne le vois pas, je le cherche. Ta fille Jeanne l'a vu sur les côtes d'Afrique tomber à la mer ; je n'étais pas là pour le secourir ; je ne le pouvais pas.

Remarque. La fille de M. Jean, dans un moment d'extase, l'avait effectivement vu tomber à la mer à l'époque de sa disparition.

La punition de cet Esprit offre cette particularité qu'il ressent les douleurs qu'il est chargé d'épargner à son fils ; on comprend, dès lors, que cette mission soit pénible ; mais, comme il ne s'en plaint pas, qu'il la considère comme une juste réparation, et que cela ne diminue pas son affection pour lui, cette expiation lui est profitable

Souvenirs rétrospectifs d'un Esprit

Communication spontanée. ‑ Tulle, 26 février 1866. ‑ Médium, M. Leymarie

Savez-vous, mes amis, de quel endroit est datée ma communication ? D'une gorge perdue où les maisons ont disputé leurs assises aux difficultés accumulées par la création. Sur le penchant de collines presque à pic, serpentent des rues étagées ou plutôt pendues aux flancs des rochers. Pauvres demeures qui ont abrité bien des générations ; au-dessus des toits se trouvent les jardins où les oiseaux chantent leur prière. Quand les premières fleurs annoncent de beaux jours pleins d'air et de soleil, cette musique semble sortir des couches aériennes, et l'habitant qui tord et travaille le fer, l'usine et son bruit discordant, marient leur rythme aigre et bruyant à l'harmonie des petits artistes du bon Dieu.

Mais au-dessus de ces maisons éclopées, échevelées, originales, disloquées, il y a de hautes montagnes avec une verdure sans pareille ; le promeneur à chaque pas voit s'élargir l'horizon ; les villages, les églises semblent sortir de l'abîme, et ce panorama étrange, sauvage, changeant, se perd dans le lointain, dominé par des montagnes à la tête blanchie par les neiges.

Mais j'oubliais : vous devez sans doute apercevoir un ruban argenté, clair, capricieux, transparent comme un miroir : c'est la Corrèze. Tantôt encaissée entre des rochers, elle est silencieuse et grave ; tantôt elle s'échappe gaie, joyeuse, à travers les prairies, les saules et les peupliers, en offrant sa coupe aux lèvres de nombreux troupeaux, et sa transparence bienfaisante aux ébats des baigneurs ; elle purifie la ville, qu'elle partage gracieusement.

Je l'aime, ce pays, avec ses vieilles demeures, son gigantesque clocher, sa rivière, son bruit, sa couronne de châtaigniers ; je l'aime parce que j'y suis né, parce que tout ce que je rappelle à votre esprit bienveillant fait partie des souvenirs de ma dernière incarnation. Des parents aimés, des amis sincères m'ont toujours entouré de tendres soins ; ils aidèrent à mon avancement spirituel. Parvenu aux grandeurs, je leur devais mes sentiments fraternels ; mes travaux les honoraient, et lorsque je viens comme Esprit visiter la ville de mon enfance, je ne puis m'empêcher de monter au Puy-Saint-Clair, la dernière demeure des citoyens de Tulle, saluer les restes terriens des Esprits aimés.

Étrange fantaisie ! Ce cimetière est à cinq cents pieds au-dessus de la ville ; tout autour l'horizon infini. On est seul entre la nature, ses prestiges et Dieu, le roi de toutes les grandeurs, de toutes les espérances. Nos aïeux avaient-ils voulu rapprocher les morts aimés de leur vraie demeure, pour leur dire : Esprits ! dégagez-vous ! l'air ambiant vous appelle. Sortez resplendissants de votre prison, afin que le spectacle enchanteur de cet horizon immense vous prépare aux merveilles que vous êtes appelés à contempler. S'ils ont eu cette pensée, je l'approuve, car la mort n'est pas si lugubre qu'on veut la dépeindre. N'est-elle pas pour les Spirites la vraie vie, la séparation désirée, la bienvenue de l'exilé dans les groupes de l'erraticité, où il vient étudier, apprendre et se préparer à de nouvelles épreuves ?

Dans quelques années, au lieu de gémir, de se couvrir de noir, ce sera une fête pour les Esprits incarnés que cette séparation, lorsque le mort aura rempli les devoirs spirites dans toute l'acception du mot ; mais on pleurera, on gémira pour le terrien égoïste qui ne pratiqua jamais la charité, la fraternité, toutes les vertus, tous les devoirs si bien précisés dans le Livre des Esprits.

Après avoir parlé des morts, me permettrez-vous de parler des vivants ? Je m'attache beaucoup à toutes les espérances, et mon pays, où il y a tant à faire, mérite bien des vœux sincères.

Le progrès, ce niveleur inflexible, est lent, il est vrai, à s'implanter dans les pays montagneux, mais il sait à temps s'imprégner dans les habitudes, dans les mœurs ; il écarte une à une les oppositions, pour laisser entrevoir enfin des lueurs nouvelles à ces parias du travail, dont le corps, toujours penché sur une terre ingrate, est aussi rude que le tracé des sillons.

La vigoureuse nature de ces braves habitants attend la rédemption spirituelle. Ils ne savent pas ce que c'est que penser, juger sainement et utiliser toutes les ressources de l'esprit ; l'intérêt seul les domine dans toute son âpreté, et la nourriture lourde et commune se prête à cette stérilité de l'esprit. Vivant éloignés du bruit de la politique, des découvertes scientifiques, ils sont comme des bœufs, ignorant leur force, prêts à accepter le joug, et sous le coup de l'aiguillon, ils vont à la messe, au cabaret, au village, non par intérêt, mais par habitude, dormant aux prêches, sautant aux sons discordants d'une musette, poussant des cris insensés, et obéissant brutalement aux mouvements de la chair.

Le prêtre se garde bien de changer ces vieux us et coutumes ; il parle de foi, de mystères, de passion, du diable toujours, et ce mélange incohérent trouve un écho sans harmonie dans les têtes de ces braves gens qui font des vœux, des pèlerinages pieds nus, et se livrent aux coutumes superstitieuses les plus étranges.

Ainsi, quand un enfant est maladif, peu ouvert, manquant d'intelligence, on s'empresse de le porter à un village appelé Saint-Pao (dites Saint-Paul) ; il est d'abord plongé dans une eau privilégiée, mais que l'on paye ; puis on le fait asseoir sur une enclume bénite, et un forgeron, armé d'un lourd marteau, frappe vigoureusement sur l'enclume ; la commotion éprouvée par les coups répétés guérit infailliblement (dit-on) le patient. On appelle cela se faire forger à Saint-Pao. Les femmes qui ont la rate vont aussi se baigner dans l'eau miraculeuse et se faire forger. Jugez par cet exemple sur cent ce qu'est l'enseignement des desservants de ce pays.

Cependant prenez cette brute et parlez-lui intérêt, aussitôt le paysan rusé, prudent comme un sauvage, se défend avec aplomb et déroute les juges les plus fins. Faites un peu de lumière dans son cerveau, apprenez-lui les premiers éléments des sciences, et vous aurez des hommes vrais, forts en santé, des esprits virils et pleins de bonne volonté. Que les chemins de fer croisent ce pays et aussitôt vous aurez un sol plantureux avec du vin, des fruits délicieux, du grain choisi, la truffe parfumée, le marron exquis, le cep ou champignon sans pareil, des bois magnifiques, des mines de charbon inépuisables, du fer, du cuivre, des bestiaux de premier ordre, de l'air, de la verdure, des paysages splendides.

Et lorsque tant d'espérances ne demandent qu'à s'épanouir, lorsque tant d'autres pays sont, comme celui-là, dans une prostration mortelle, désirons que, dans tous les cœurs, dans tous les recoins perdus de ce monde, pénètre le Livre des Esprits. La doctrine qu'il renferme peut seule changer l'esprit des populations, en les arrachant à la pression absurde de ceux qui ignorent les grandes lois de l'erraticité, et qui veulent immobiliser la croyance humaine dans un dédale où ils ont eux-mêmes tant de peine à se reconnaître. Travaillons donc tous avec ardeur à cette rénovation désirée qui doit renverser toutes les barrières, et créer la fin promise à la génération qui nous viendra bientôt.

Baluze.

Remarque. ‑ Le nom de Baluze est connu de nos lecteurs par les excellentes communications qu'il dicte souvent à son compatriote et médium de prédilection, M. Leymarie. C'est pendant un voyage de ce dernier dans son pays qu'il lui a donné la communication ci-dessus. Baluze, savant historiographe, né à Tulle en 1630, mort à Paris en 1718, a publié un grand nombre d'ouvrages estimés ; il fut bibliothécaire de Colbert. Sa biographie (Dictionnaire de Feller) dit « que les gens de lettres regrettèrent en lui un savant profond, et ses amis un homme doux et bienfaisant. » Il y a à Tulle un quai qui porte son nom. M. Leymarie, qui ignorait l'histoire de Saint-Pao, s'en est informé, et a acquis la certitude que ces pratiques superstitieuses sont encore en usage.


Nécrologie - Mort du docteur Cailleux

Président du groupe spirite de Montreuil-sur-Mer.

Le Spiritisme vient de perdre un de ses plus dignes et de ses plus fervents adeptes en la personne de M. le docteur Cailleux, mort le vendredi 20 avril 1866. Nous ne pouvons rendre un plus éclatant hommage à sa mémoire qu'en reproduisant un des articles publiés à ce sujet par le Journal de Montreuil du 5 avril.

« Un homme de bien vient de s'éteindre au milieu de la douleur générale. M. Cailleux, docteur en médecine depuis près de trente ans, membre du Conseil municipal, membre du Bureau de bienfaisance, médecin des pauvres, médecin des épidémies, est mort vendredi dernier, à 7 heures du soir.

Lundi, une foule immense, composée de toutes les classes de la société, le conduisait à sa dernière demeure. Le silence religieux qui régna dans tout le parcours du convoi donnait à cette triste et imposante cérémonie le caractère d'une manifestation publique. Ce simple cercueil, suivi de près de trois mille personnes en pleurs ou plongées dans une douleur muette, eût touché les cœurs les plus durs. C'était toute une ville qui était accourue rendre les derniers devoirs à l'un de ses plus chers habitants ; c'était toute une population qui voulait conduire jusqu'au cimetière celui qui s'était tant de fois sacrifié pour elle.

Les pauvres que M. Cailleux avait si souvent comblés de ses bienfaits ont montré qu'ils avaient un cœur reconnaissant ; un grand nombre d'ouvriers ont enlevé des mains des porteurs le cercueil de leur bienfaiteur et se sont fait une gloire de porter jusqu'au cimetière ce précieux fardeau !…

Les coins du drap étaient tenus par M. Lecomte, 1er adjoint ; M. Cosyn, 1er conseiller municipal ; M. Hacot, membre du Bureau de bienfaisance, et M. Delplanque, médecin et conseiller municipal. ‑ En avant du cortège marchait le Conseil municipal, précédé de M. Emile Delhomel, maire. Dans l'assemblée, on remarquait M. Charbonnier, sous-préfet ; M. Martinet, procureur impérial ; M. le commandant de place, toutes les notabilités de la ville et les médecins des localités voisines.

Un grand nombre de soldats de la garnison, que M. Cailleux avait soignés à l'Hôtel-Dieu, avaient obtenu la faveur d'assister à l'enterrement et s'étaient empressés de venir se mêler à la foule.

Lorsqu'on fut arrivé au cimetière, un ouvrier fendit la foule, et, s'arrêtant devant la tombe, prononça d'une voix émue, au milieu du silence général, ces quelques paroles : « Homme de bien, qui avez été le bienfaiteur des pauvres et qui êtes mort victime de votre sublime dévouement, recevez nos derniers adieux, votre souvenir demeurera éternellement dans nos cœurs. » Après ces paroles, dictées par un sentiment de reconnaissance, la foule s'est retirée dans un recueillement religieux. La tristesse qui régnait sur tous les fronts montrait assez quelle immense perte la ville de Montreuil venait de faire.

M. Cailleux, en effet, avait su, par ses nombreuses qualités, se conquérir l'estime universelle. Toute sa vie n'a été qu'une longue suite d'actes de dévouement ; il a travaillé jusqu'au dernier jour sans vouloir jamais prendre de repos, et, mardi dernier, il alla encore visiter plusieurs malades à la campagne. Quand on lui parlait de son âge avancé et qu'on l'engageait à se reposer de ses nombreuses fatigues, il eût volontiers répondu comme Arnauld : « J'ai l'éternité tout entière pour me reposer. » Chaque heure de sa vie fut consacrée à soigner les malades, à consoler les affligés ; il ne vivait pas pour lui, mais pour ses semblables, et toute son existence peut se résumer en ces trois mots : Charité, Dévouement, Abnégation.

Dans ces derniers temps, lorsque l'épidémie sévit à Étaples et dans les villages des alentours, le docteur Cailleux se mit tout entier au service des malades, il parcourut les villages infestés, visitant les pauvres, soignant les uns, secourant les autres, et ayant des consolations pour tous. Il visita ainsi plus de 800 malades, entrant dans les habitations les plus malsaines, s'asseyant au chevet des moribonds et leur administrant lui-même les remèdes, sans jamais se plaindre, demeurant au contraire d'une humeur toujours égale et d'une gaieté proverbiale. Le malade qui le voyait était déjà à moitié guéri par cette humeur joviale, toujours accompagnée du mot pour rire.

Huit jours avant sa mort, M. Cailleux est allé visiter ses malades de Berck, Lefaux, Camiers et Étaples, puis sa soirée fut consacrée aux malades de la ville : voilà quel était pour lui l'œuvre d'une seule journée !

Tant d'abnégation allait lui être funeste, et il devait être la dernière victime du fléau. Le 29 mars, il commença à ressentir une forte diarrhée… Il allait se reposer quand on le demande pour un malade de la campagne. Malgré des conseils amis, il part en disant : « Je ne veux pas exposer un malade par ma faute ; s'il en mourait, j'en serais cause. Je ne fais qu'accomplir mon devoir. » Quand il revint le soir, par un mauvais temps, de nouveaux symptômes de maladie apparaissaient. Il se mit au lit, le mal augmenta, le lendemain la maladie était déclarée, et vendredi il expirait…

On est effrayé quand on songe aux douleurs terribles que doit ressentir un homme qui connaît sa position, qui se voit mourir. M. Cailleux indiquait lui-même le traitement à suivre à deux de ses confrères accourus auprès de lui pour l'assister. Il savait bien qu'il n'en guérirait pas. « Si le mieux ne se fait pas bientôt sentir, disait-il, dans douze heures je n'existerai plus. » Il se voyait mourir, il sentait la force vitale diminuer et s'éteindre peu à peu, sans pouvoir arrêter cette marche vers la tombe. Ses derniers moments furent calmes et sereins, et je ne saurais mieux appeler cette mort que le repos dans le Seigneur. Beati qui moriuntur in Domino.

Quelques heures avant sa mort, on lui demandait quel remède il fallait employer. « La science humaine, dit-il, a employé tous les remèdes qui sont en son pouvoir, Dieu seul peut maintenant arrêter le mal, il faut se confier en sa divine providence. » ‑ Il se pencha alors sur son lit, et, les yeux fixés vers le ciel, comme s'il eût éprouvé un avant-goût de la béatitude céleste, il expira sans douleur, sans aucun cri, de la mort la plus douce et la plus calme.

« Homme de bien, dont toute la vie ne fut qu'un long dévouement, vous avez travaillé sur cette terre, maintenant vous jouissez de la récompense que Dieu réserve à ceux qui ont toujours observé sa loi. Alors que l'égoïsme coulait à pleins bords sur la terre, vous, vous débordiez d'abnégation et de charité. Visiter les pauvres, secourir les malades, consoler les affligés, voilà quelle fut votre œuvre. Oh ! que de familles vous ont béni ! que de pères à qui vous avez sauvé leurs enfants pendant la dernière épidémie, que d'enfants qui allaient être orphelins et que vous avez ravis au fléau destructeur, que de familles sauvées par votre dévouement sont venues, lundi, de plusieurs lieues pour vous accompagner à votre dernière demeure et pleurer sur votre tombeau.

Votre vie fut toujours pure et sans tache ; votre mort fut héroïque ; soldat de la charité, vous avez succombé en sauvant vos frères de la mort, vous avez péri frappé par le fléau que vous combattiez. Ce glorieux dévouement allait recevoir sa récompense, et bientôt la croix d'honneur, que vous aviez si noblement gagnée, allait briller sur votre poitrine… Mais Dieu avait sur vous d'autres desseins, il vous préparait une récompense plus belle que les récompenses des hommes, il vous préparait le bonheur qu'il réserve à ses fidèles serviteurs. Votre âme s'est envolée dans ces mondes supérieurs où, débarrassée de cette lourde enveloppe matérielle, délivrée de tous les liens qui, sur cette terre, pèsent sur nous, elle jouit maintenant de la perfection et du bonheur qui l'attendaient.

En ce jour de félicité, ne nous oubliez pas, pensez aux nombreux amis que vous laissez sur cette terre et que votre séparation plonge dans une profonde douleur. Fasse le Ciel qu'un jour nous vous retrouvions là-haut pour y jouir d'un bonheur éternel… C'est cette espérance qui nous console et qui nous donnera la force de supporter avec patience votre absence…A.J. »

Pour copie conforme : Jules Duval.

Qu'on me permette, comme complément de cet article, de citer quelques fragments du magnifique discours funèbre prononcé, il y a un an, par Victor Hugo.

(Suit un extrait de ce discours que nous avons publié dans la Revue de février 1865, p. 59.)

Ce ne sont certainement pas des apôtres du néantisme qui écrivent de telles paroles.

La lettre par laquelle on nous informe de cet événement contient le passage suivant :

« M. Cailleux, docteur en médecine, président du groupe spirite de Montreuil, vient de mourir victime de son dévouement pendant le choléra qui a désolé nos contrées. Il est mort en spirite convaincu, et le clergé de la ville a cru devoir, pour cette raison, lui refuser la sépulture ecclésiastique ; mais, comme vous le verrez par le numéro du journal que je vous envoie, toute la population a rendu un solennel hommage à ses vertus. Néanmoins la famille a fait des démarches à l'évêché pour qu'un service funèbre fût chanté à l'église, quoiqu'il n'y ait eu qu'un enterrement civil. On l'a obtenu, et le service a eu lieu le jeudi 5 avril.

Le Spiritisme fait une grande perte par la mort de M. Cailleux, et je suis persuadé que tous mes frères en croyance s'associeront à mes légitimes regrets. Grâce à son dévouement et à son zèle éclairé, la doctrine a fait de si rapides progrès dans nos contrées que dans la ville et les environs on compte plusieurs centaines de spirites.

Le Conseil municipal de la ville de Montreuil a décidé, à l'unanimité, sur la proposition de M. le maire, qu'un monument public serait élevé aux frais de la ville, comme hommage rendu à la mémoire de cet homme de bien. »

On nous a adressé l'extrait suivant d'une communication donnée par lui à ses collègues de Montreuil ; on en a supprimé ce qui a trait à des choses personnelles :

… Vous revenez à ma mort. Eh bien ! elle a été utile à notre cause, en ce sens qu'elle a éveillé l'attention endormie de nombre d'âmes privées de vérité, et par conséquent, de vie. Toute chose qui disparaît laisse toujours un vide dans la place qu'elle occupait ; mais, sachez-le, ce vide n'est qu'apparent, il n'existe que pour vous qui voyez court, car il se trouve comblé d'une autre part. Vous ne perdez donc rien, je le répète, à ma mort ; au contraire, vous y gagnerez beaucoup, non que j'aie fait pendant ma vie corporelle des prodiges de charité propres à mettre en relief la doctrine que nous professions ensemble, mais parce que, fidèle aux principes spirites, j'ai été l'objet de manifestations hostiles qui devaient nécessairement appeler des manifestations contraires. Il n'en est jamais autrement sur la terre : le bien et le mal ne se heurtent-ils pas chaque fois qu'ils se rencontrent ?

Il résulte donc de tout ceci, qu'à l'heure qu'il est vous entrez dans une phase nouvelle que nos bons guides avaient préparée depuis longtemps par leurs enseignements. Mais de décomposition de votre société, ‑ point, ‑ si vous persistez toujours dans les sentiments dont je vous vois animés en ce moment. Savez-vous quelle est ma récompense ? C'est de voir le bonheur relatif que vous éprouvez par la doctrine dont je me suis montré, en toute circonstance, le zélé champion. Il vous est difficile de concevoir une joie plus pure. Que sont, à côté d'elle, les joies grossières de votre monde ? Que sont les honneurs sous lesquels vous cachez les misères de vos âmes ? que sont les plaisirs que vous recherchez pour étourdir vos tristes retours ? qu'est tout cela en comparaison de ce que je ressens ? Rien ! moins qu'une fumée.

Persévérez dans vos sentiments, persévérez-y jusqu'à la mort.

J'ai vu que vous vous proposez de vous organiser régulièrement : c'est une sage mesure ; la faiblesse doit se précautionner toujours contre les embûches et les surprises de l'esprit du mal. Ah ! l'esprit du mal ! ce n'est pas Satan. On le rencontre à chaque pas dans le monde que vous coudoyez. Réglez donc l'ordre de vos séances, de vos évocations, de vos études. Liez-vous les uns aux autres par les liens volontaires de la charité, de la bienveillance et de la soumission. Voilà la meilleure manière de récolter des fruits abondants et doux. »

Voici la première communication qu'il a donnée à la société de Paris :



13 avril 1866. ‑ Médium, M. Morin.

Évocation

Cher et vénéré docteur Cailleux,

Nous avions su, de votre vivant, vous apprécier comme spirite fervent et dévoué ; appelé sans doute par la Providence à implanter la doctrine dans votre contrée, vous en avez tenu le drapeau haut et ferme, bravant sans défaillance les sarcasmes et la persécution ; aussi le succès a couronné vos efforts. Ce n'est pas seulement le frère en croyance que nous venons saluer aujourd'hui à son départ de la terre, c'est l'homme de bien, celui qui non-seulement a prêché le Spiritisme par ses paroles, mais qui a su le faire aimer et respecter par son exemple et la pratique des vertus chrétiennes. Recevez donc ici l'expression de nos plus vives sympathies et l'espoir que vous voudrez bien venir souvent au milieu de nous et vous associer à nos travaux.

Réponse. ‑ Me voici, merci. ‑ Vous parliez tout à l'heure des tendances inhérentes à l'organisme humain. On observe plus spécialement celles qui tiennent des mauvais instincts, parce que les hommes sont toujours portés à se garder de ce qui peut leur être nuisible ou leur causer quelque embarras ; mais les tendances au bien passent souvent inaperçues aux yeux de la société, parce qu'il est beaucoup plus difficile de trouver et de montrer la violette que de rencontrer le Chardon.

Si je commence ainsi, n'en soyez pas surpris. Comme vous le disiez tout à l'heure, l'Esprit est seul responsable de ses actes ; il ne peut s'excuser en attribuant sa faute à Dieu ; non, les bons et les mauvais sentiments sont le résultat d'acquêts antérieurs. De mon vivant, porté d'instinct vers le bien, au soulagement de mes frères en Dieu, je décline l'honneur de toutes vos louanges, car je n'ai pas eu de peine à suivre la voie que me traçait mon cœur ; je n'ai point eu de lutte à soutenir contre les instincts contraires ; je n'ai fait que me laisser aller tout doucement sur la pente de mon goût, qui me disait bien haut : « Marche ! tu es dans la bonne route » ; et la satisfaction morale de tout mon être intelligent était si grande, que j'étais certainement aussi heureux que l'avare qui assouvit sa passion pour l'or en le contemplant et en le caressant. Je vous le répète, je n'ai point de mérite à cet égard ; néanmoins je vous remercie de vos bonnes paroles, qui ne sont pas entendues en vain par ceux à qui elles s'adressent. Si élevés qu'ils soient, les Esprits ressentent toujours du bonheur d'une pensée sympathique.

Je n'ai point tardé à revenir de l'émotion bien naturelle résultant du passage de la vie matérielle à celle des Esprits, mais la conviction profonde d'entrer dans un monde plus vivant m'a aidé à me faire revenir à moi ; je ne puis mieux comparer mon passage de vie à trépas qu'à un évanouissement sans souffrances, sans fatigues. Je me suis réveillé de l'autre côté aux doux attouchements fluidiques de mes chers parents et amis spirituels. J'ai ensuite vu ma pauvre dépouille mortelle, et je l'ai bénie de ses bons et loyaux services ; car, docile à ma volonté, je n'ai eu, de ma vie, de luttes sérieuses à soutenir entre mon Esprit et ma matière ; c'est donc avec joie que j'ai accompagné au champ du repos mon pauvre corps, qui m'avait aidé à empêcher beaucoup de mes co-incarnés de faire ce voyage qu'ils n'envisageaient pas tous comme moi.

Je pardonne à tous ceux qui, de façon ou d'autre, ont cru me faire du mal ; quant à ceux qui ont refusé de prier pour moi dans le temple consacré, je serai plus charitable que la charité qu'ils prêchent : je prie pour eux. C'est ainsi qu'il faut faire, mes bons frères en croyance ; croyez-moi, et pardonnez à ceux qui luttent contre vous, car ils ne savent ce qu'ils font. Docteur Cailleux.



Remarque. ‑ Les premières paroles de cette communication prouvent que l'Esprit était présent et avait assisté aux discussions de la séance. On avait en effet discuté un fait remarquable d'instinct incendiaire précoce chez un enfant de quatre ans et demi, rapporté par le Salut public de Lyon. Ce fait, qui a fourni le sujet d'une étude importante, sera publié dans le prochain numéro.

Remarquons aussi chez M. Cailleux l'absence de tous les préambules ordinaires chez les Esprits qui viennent de quitter la terre. On voit de suite que ce n'est pas un faiseur de phrases ni de compliments. Il dit merci, et pense que ce mot suffit pour faire comprendre sa pensée et qu'on doit s'en contenter ; puis il entre brusquement en matière, comme un homme qui se trouve sur son terrain et ne veut pas perdre son temps en paroles inutiles ; il parle comme s'il n'y avait eu aucune interruption dans son existence : on dirait M. Cailleux de Montreuil venu faire visite à la société de Paris.

S'il décline le mérite de ses actes, c'est certainement par modestie ; ceux qui font le bien sans effort sont arrivés à un degré d'avancement qui le leur rend naturel ; s'ils n'ont plus à lutter aujourd'hui, ils ont lutté dans d'autres circonstances : la victoire est remportée ; ceux qui ont à combattre des tendances mauvaises en sont encore à la lutte ; plus tard, le bien ne leur coûtera aucun effort, ils le feront sans y penser. Pour avoir vaincu plus tôt, le mérite n'en existe pas moins.

Le docteur Cailleux est un de ces hommes qui, comme le docteur Demeure et tant d'autres, honorent la doctrine qu'ils professent, et donnent le plus éclatant démenti aux détracteurs du Spiritisme.





Dissertations spirites

Instruction pour M. Allan Kardec

(Paris, 23 avril 1866. ‑ Médium, M. Desliens.)

La santé de M. Allan Kardec s'affaiblissant de jour en jour par suite de travaux excessifs auxquels il ne peut suffire, je me vois dans la nécessité de lui répéter de nouveau ce que je lui ai déjà dit maintes fois : Vous avez besoin de repos ; les forces humaines ont des bornes que votre désir de voir progresser l'enseignement vous porte souvent à enfreindre ; vous avez tort, car, en agissant ainsi, vous ne hâterez pas la marche de la doctrine, mais vous ruinerez votre santé et vous vous mettrez dans l'impossibilité matérielle d'achever la tâche que vous êtes venu remplir ici-bas. Votre maladie actuelle n'est que le résultat d'une dépense incessante de forces vitales qui ne laisse pas à la réparation le temps de se faire, et d'un échauffement du sang produit pas le manque absolu de repos. Nous vous soutenons, sans doute, mais à la condition que vous ne déferez pas ce que nous faisons. Que sert-il de courir ? Ne vous a-t-on pas dit maintes fois que chaque chose viendrait en son temps et que les Esprits préposés au mouvement des idées sauraient faire surgir des circonstances favorables quand le moment d'agir serait venu ?

Lorsque chaque Spirite recueille ses forces pour la lutte, pensez-vous qu'il soit de votre devoir d'épuiser les vôtres ? – Non ; en tout, vous devez donner l'exemple et votre place sera sur la brèche au moment du danger. Qu'y feriez-vous si votre corps affaibli ne permettait plus à votre esprit de se servir des armes que l'expérience et la révélation vous ont mises entre les mains ? – Croyez-moi, remettez à plus tard les grands ouvrages destinés à compléter l'œuvre ébauchée dans vos premières publications ; vos travaux courants et quelques petites brochures urgentes ont de quoi absorber votre temps, et doivent être les seuls objets de vos préoccupations actuelles.

Je ne vous parle pas seulement en mon propre nom, je suis ici le délégué de tous ces Esprits qui ont contribué si puissamment à la propagation de l'enseignement par leurs sages instructions. Ils vous disent par mon intermédiaire que ce retard que vous pensez nuisible à l'avenir de la doctrine est une mesure nécessaire à plus d'un point de vue, soit parce que certaines questions ne sont pas encore complètement élucidées, soit pour préparer les Esprits à se les mieux assimiler. Il faut que d'autres aient déblayé le terrain, que certaines théories aient prouvé leur insuffisance et fait un plus grand vide. En un mot, le moment n'est pas opportun ; ménagez-vous donc, car lorsqu'il en sera temps, toute votre vigueur de corps et d'esprit vous sera nécessaire. Le Spiritisme a été jusqu'ici l'objet de bien des diatribes, il a soulevé bien des tempêtes ! croyez-vous que tout mouvement soit apaisé, que toutes les haines soient calmées et réduites à l'impuissance ? Détrompez-vous, le creuset épurateur n'a pas encore rejeté toutes les impuretés ; l'avenir vous garde d'autres épreuves et les dernières crises ne seront pas les moins pénibles à supporter.

Je sais que votre position particulière vous suscite une foule de travaux secondaires qui emploient la meilleure partie de votre temps. Les demandes de toutes sortes vous accablent, et vous vous faites un devoir d'y satisfaire autant que possible. Je ferai ici ce que vous n'oseriez sans doute faire vous-même, et, m'adressant à la généralité des Spirites, je les prierai, dans l'intérêt du Spiritisme lui-même, de vous épargner toute surcharge de travail de nature à absorber des instants que vous devez consacrer presque exclusivement à l'achèvement de l'œuvre. Si votre correspondance en souffre un peu, l'enseignement y gagnera. Il est quelquefois nécessaire de sacrifier les satisfactions particulières à l'intérêt général. C'est une mesure urgente que tous les adeptes sincères sauront comprendre et approuver.

L'immense correspondance que vous recevez est pour vous une source précieuse de documents et de renseignements ; elle vous éclaire sur la marche vraie et les progrès réels de la doctrine ; c'est un thermomètre impartial ; vous y puisez en outre des satisfactions morales qui ont plus d'une fois soutenu votre courage en voyant l'adhésion que rencontrent vos idées sur tous les points du globe ; sous ce rapport, la surabondance est un bien et non un inconvénient, mais à la condition de seconder vos travaux et non de les entraver, en vous créant un surcroît d'occupations.

Doct. Demeure.



Bon monsieur Demeure, je vous remercie de vos sages conseils. Grâce à la résolution que j'ai prise de me faire suppléer, sauf les cas exceptionnels, la correspondance courante souffre peu maintenant, et ne souffrira plus à l'avenir ; mais que faire de cet arriéré de plus de cinq cents lettres que, malgré toute ma bonne volonté, je ne puis parvenir là mettre à jour ?

R. Il faut, comme on dit en terme de commerce, les passer en bloc par compte de profits et pertes. En annonçant cette mesure dans la Revue, vos correspondants sauront à quoi s'en tenir ; ils en comprendront la nécessité, et ils la trouveront surtout justifiée par les conseils qui précèdent. Je le répète, il serait impossible que les choses allassent longtemps comme cela ; tout en souffrirait, et votre santé et la doctrine. Il faut, au besoin, savoir faire les sacrifices nécessaires. Tranquille désormais sur ce point, vous pourrez vaquer plus librement à vos travaux obligatoires. Voilà ce que vous conseille celui qui sera toujours votre ami dévoué. Demeure.



Déférant à ce sage conseil, nous prions ceux de nos correspondants avec lesquels nous sommes depuis si longtemps en retard d'agréer nos excuses et nos regrets de n'avoir pu répondre en détail, et comme nous l'aurions désiré, à leurs bienveillantes lettres. Ils voudront bien recevoir ici collectivement l'expression de nos sentiments fraternels.

De l'acquiescement à la prière

Paris, avril 1866. ‑ Médium, madame D…

Vous vous figurez presque toujours que ce que vous demandez dans la prière doit s'accomplir par une sorte de miracle ; cette croyance erronée est la source d'une foule de pratiques superstitieuses et de bien des déceptions. Elle conduit aussi à la négation de l'efficacité de la prière ; de ce que votre demande n'est pas accueillie de la manière que vous l'entendiez, vous en concluez qu'elle était inutile, et alors, parfois, vous murmurez contre la justice de Dieu. D'autres pensent que, Dieu ayant établi des lois éternelles auxquelles tous les êtres sont soumis, il n'y peut déroger pour accéder aux demandes qui lui sont faites. C'est pour vous prémunir contre l'erreur, ou mieux contre l'exagération de ces deux idées que je me propose de vous donner quelques explications sur le mode d'acquiescement à la prière.

Il est une vérité incontestable, c'est que Dieu n'intervertit et ne suspend pour personne le cours des lois qui régissent l'univers ; sans cela, l'ordre de la nature serait incessamment bouleversé par le caprice du premier venu. Il est donc certain que toute prière qui ne pourrait être exaucée que par une dérogation à ces lois demeure sans effet ; telle serait, par exemple, celle qui aurait pour objet le retour à la vie d'un homme véritablement mort, ou le rétablissement de la santé si le désordre de l'organisme est irrémédiable.

Il n'est pas moins certain qu'il n'est donné aucune attention aux demandes futiles ou inconsidérées ; mais soyez persuadés que toute prière pure et désintéressée est écoutée, et qu'il est toujours tenu compte de l'intention, lors même que Dieu, dans sa sagesse, jugerait à propos de n'y pas faire droit ; c'est alors surtout qu'il vous faut faire preuve d'humilité et de soumission à sa volonté, en vous disant qu'il sait mieux que vous ce qui peut vous être utile.

Il y a certainement des lois générales auxquelles l'homme est fatalement soumis ; mais c'est une erreur de croire que les moindres circonstances de la vie sont arrêtées d'avance d'une manière irrévocable ; si cela était, l'homme serait une machine sans initiative, et par conséquent sans responsabilité. Le libre arbitre est une des prérogatives de l'homme ; dès l'instant qu'il est libre d'aller à droite ou à gauche, d'agir selon les circonstances, ses mouvements ne sont pas réglés comme ceux d'une mécanique. Selon qu'il fait ou ne fait pas une chose, et selon qu'il la fait d'une manière ou d'une autre, les événements qui en dépendent suivent un cours différent ; puisqu'ils sont subordonnés à la décision de l'homme, ils ne sont pas soumis à la fatalité. Ceux qui sont fatals sont ceux qui sont indépendants de sa volonté ; mais toutes les fois que l'homme peut réagir en vertu de son libre arbitre, il n'y a pas fatalité.

L'homme a donc un cercle dans lequel il peut se mouvoir librement ; cette liberté d'action a pour limites les lois de la nature, que nul ne peut franchir ; ou pour mieux dire, cette liberté, dans la sphère d'activité où elle s'exerce, fait partie de ces lois ; elle est nécessaire, et c'est par elle que l'homme est appelé à concourir à la marche générale des choses ; et comme il le fait librement, il a le mérite de ce qu'il fait de bien, et le démérite de ce qu'il fait de mal, de sa nonchalance, de sa négligence, de son inactivité. Les fluctuations que sa volonté peut faire subir aux événements de la vie ne troublent donc en aucune façon l'harmonie universelle, ces fluctuations mêmes faisaient partie des épreuves qui incombent à l'homme sur la terre.

Dans la limite des choses qui dépendent de la volonté de l'homme, Dieu peut donc, sans déroger à ses lois, accéder à une prière lorsqu'elle est juste, et que l'accomplissement peut en être utile ; mais il arrive souvent qu'il en juge l'utilité et l'opportunité autrement que nous, c'est pour cela qu'il n'y acquiesce pas toujours. S'il lui plaît de l'exaucer, ce n'est pas en modifiant ses décrets souverains qu'il le fait, mais par des moyens qui ne sortent pas de l'ordre légal, si l'on peut s'exprimer ainsi. Les Esprits, exécuteurs de ses volontés, sont alors chargés de provoquer les circonstances qui doivent amener le résultat désiré. Ce résultat requiert presque toujours le concours de quelque incarné ; c'est donc ce concours que les Esprits préparent en inspirant à ceux qui doivent y coopérer la pensée d'une démarche, en les incitant à se rendre sur un point plutôt que sur un autre, en provoquant des rencontres propices qui semblent dues au hasard ; or, le hasard n'existe pas plus dans l'assistance qu'on reçoit que dans les malheurs qu'on éprouve.

Dans les afflictions, la prière est non-seulement une preuve de confiance et de soumission à la volonté de Dieu, qui l'écoute, si elle est pure et désintéressée, mais elle a encore pour effet, comme vous le savez, d'établir un courant fluidique qui porte au loin, dans l'espace, la pensée de l'affligé, comme l'air porte les accents de sa voix. Cette pensée se répercute dans les cœurs sympathiques à la souffrance, et ceux-ci, par un mouvement inconscient et comme attirés par une puissance magnétique, se dirigent vers le lieu où leur présence peut être utile. Dieu, qui veut secourir celui qui l'implore, pourrait sans doute le faire pur lui-même, instantanément, mais, je l'ai dit, il ne fait pas de miracles, et les choses doivent suivre leur cours naturel ; il veut que les hommes pratiquent la charité en se secourant les uns les autres. Par ses messagers, il porte la plainte où elle peut trouver de l'écho, et là, de bons Esprits soufflent une bonne pensée. Bien que suscitée, la pensée, par cela même que la source en est inconnue, laisse à l'homme toute sa liberté ; rien ne le contraint ; il a, par conséquent, tout le mérite de la spontanéité s'il cède à la voix intime qui fait en lui appel au sentiment du devoir, et tout le démérite si, dominé par une indifférence égoïste, il résiste.

D. Il y a des cas, comme dans un danger imminent, où l'assistance doit être prompte ; comment peut-elle arriver en temps utile, s'il faut attendre le bon vouloir d'un homme, et si ce bon vouloir fait défaut par suite du libre arbitre ? ‑ R. Vous ne devez pas oublier que les anges gardiens, les Esprits protecteurs, dont la mission est de veiller sur ceux qui leur sont confiés, les suivent pour ainsi dire pas à pas. Ils ne peuvent leur épargner les appréhensions des dangers qui font partie de leurs épreuves ; mais si les suites du danger peuvent être évitées, comme ils l'ont prévu d'avance, ils n'ont pas attendu au dernier moment pour préparer les secours. Si, parfois, ils s'adressent aux hommes de mauvaise volonté, c'est en vue de chercher à éveiller en eux de bons sentiments, mais ils ne comptent pas sur eux.

Lorsque, dans une position critique, une personne se trouve, comme à point nommé, pour vous assister, et que vous vous écriez : « C'est la Providence qui l'envoie, » vous dites une vérité plus grande que vous ne le croyez souvent.

S'il y a des cas pressants, d'autres qui le sont moins exigent un certain temps pour amener un concours de circonstances favorables, surtout quand il faut que les Esprits triomphent, par l'inspiration, de l'apathie des gens dont la coopération est nécessaire pour le résultat à obtenir. Ces retards dans l'accomplissement du désir sont des épreuves pour la patience et la résignation ; puis, quand arrive la réalisation de ce que l'on a souhaité, c'est presque toujours par un enchaînement de circonstances si naturelles, que rien absolument ne décèle une intervention occulte, rien n'affecte la plus légère apparence de merveilleux ; les choses semblent s'arranger d'elles-mêmes. Cela doit être ainsi par le double motif que les moyens d'action ne s'écartent pas des lois générales, et, en second lieu, que, si l'assistance des Esprits était trop évidente, l'homme se fierait sur eux et s'habituerait à ne pas compter sur lui-même. Cette assistance doit être comprise de lui par la pensée, par le sens moral, et non par les sens matériels ; sa croyance doit être le résultat de sa foi et de sa confiance en la bonté de Dieu. Malheureusement, parce qu'il n'a pas vu le doigt de Dieu faire pour lui un miracle, il oublie trop souvent Celui à qui il doit son salut pour en glorifier le hasard ; c'est une ingratitude qui, tôt ou tard, reçoit son expiation.

Un Esprit protecteur.

Le Spiritisme oblige

Paris, avril 1866. – Médium, madame B…

Le Spiritisme est une science essentiellement morale ; dès lors ceux qui se disent ses adeptes ne peuvent, sans commettre une inconséquence grave, se soustraire aux obligations qu'il impose.

Ces obligations sont de deux sortes.

La première concerne l'individu qui, aidé des clartés intellectuelles que répand la doctrine, peut mieux comprendre la valeur de chacun de ses actes, mieux sonder tous les replis de sa conscience, mieux apprécier l'infinie bonté de Dieu, qui ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive, et, pour lui laisser la possibilité de se relever de ses chutes, lui a donné la longue suite des existences successives à chacune desquelles, en portant la peine de ses fautes passées, il peut acquérir de nouvelles connaissances et de nouvelles forces, lui faisant éviter le mal et pratiquer ce qui est conforme à la justice, à la charité. Que dire de celui qui, ainsi éclairé sur ses devoirs envers Dieu, envers ses frères, reste orgueilleux, cupide, égoïste ? Ne semble-t-il pas que la lumière l'ait aveuglé parce qu'il n'était pas préparé à la recevoir ? Dès lors, il marche dans les ténèbres, bien qu'étant au milieu de la lumière ; il n'est Spirite que de nom. La charité fraternelle de ceux qui voient véritablement doit s'efforcer de le guérir de cette cécité intellectuelle ; mais, pour beaucoup de ceux qui lui ressemblent, il faudra la lumière qu'apporte la tombe, parce que leur cœur est trop attaché aux jouissances matérielles, et que leur esprit n'est pas mûr pour recevoir la vérité. Dans une nouvelle incarnation, ils comprendront que les planètes inférieures comme la terre ne sont qu'une sorte d'école mutuelle où l'âme commence à développer ses facultés, ses aptitudes, pour les appliquer ensuite à l'étude des grands principes d'ordre, de justice d'amour et d'harmonie, qui règlent les rapports des âmes entre elles, et les fonctions qu'elles remplissent dans la direction de l'univers ; ils sentiront qu'appelée à une si haute dignité que celle de devenir messagère du Très-haut, l'âme humaine ne doit pas s'avilir, se dégrader au contact des immondes jouissances de la volupté ; des ignobles convoitises de l'avarice qui retranche à quelques-uns des enfants de Dieu la jouissance des biens qu'il a donnés pour tous ; ils comprendront que l'égoïsme, né de l'orgueil, aveugle l'âme et lui fait violer les droits de la justice, de l'humanité, dès lors engendre tous les maux qui font de la terre un séjour de douleurs et d'expiations. Instruits par les dures leçons de l'adversité, leur esprit sera mûri par la réflexion, et leur cœur, après avoir été broyé par la douleur, deviendra bon et charitable ; c'est ainsi que ce qui nous paraît un mal est quelquefois nécessaire pour ramener les endurcis. Ces pauvres retardataires, régénérés par la souffrance, éclairés de cette lumière intérieure qu'on peut appeler le baptême de l'Esprit, veilleront avec soin sur eux-mêmes, c'est-à-dire sur les mouvements de leur cœur et l'emploi de leurs facultés pour les diriger selon les lois de la justice et de la fraternité. Ils comprendront qu'ils ne sont pas seulement obligés à s'améliorer eux-mêmes, calcul égoïste empêchant d'atteindre le but voulu par Dieu, mais que le second ordre d'obligations du Spirite, découlant nécessairement du premier et le complétant, est celui de l'exemple qui est le meilleur des moyens de propagation et de rénovation.

En effet, celui qui est convaincu de l'excellence des principes qui lui sont enseignés et doivent, s'il y conforme sa conduite, lui procurer un bonheur durable, ne peut, s'il est vraiment animé de cette charité fraternelle qui est dans l'essence même du Spiritisme, que désirer qu'ils soient compris par tous les hommes. De là, l'obligation morale de conformer sa conduite à sa croyance, et d'être un exemple vivant, un modèle, comme Christ le fut pour l'humanité.

Vous, faibles étincelles parties de l'éternel foyer de l'amour divin, vous ne pouvez assurément pas prétendre à un aussi vaste rayonnement que celui du Verbe de Dieu incarné sur la terre, mais, chacun dans votre sphère d'action, vous pouvez répandre les bienfaits du bon exemple ; vous pouvez faire aimer la vertu en l'entourant du charme de cette bienveillance constante qui attire, captive et montre enfin que la pratique du bien est chose facile, qu'elle fait le bonheur intime de la conscience qui s'est rangée sous sa loi, car elle est l'accomplissement de la volonté divine qui nous a fait dire par son Christ : Soyez parfaits parce que votre Père céleste est parfait.

Or, le Spiritisme n'est autre chose que l'application vraie des principes de la morale enseignée par Jésus, car ce n'est que dans le but de la faire comprendre à tous, afin que, par elle, tous progressent plus rapidement, que Dieu permet cette universelle manifestation de l'Esprit venant vous expliquer ce qui vous paraissait obscur et vous enseigner toute vérité. Il vient, comme le christianisme bien compris, montrer à l'homme l'absolue nécessité de sa rénovation intérieure par les conséquences mêmes qui résultent de chacun de ses actes, de chacune de ses pensées ; car aucune émanation fluidique, bonne ou mauvaise, ne s'échappe du cœur ou du cerveau de l'homme sans laisser, quelque part, une empreinte ; le monde invisible qui vous environne est pour vous ce Livre de vie où tout s'inscrit avec une incroyable fidélité, et la Balance de la justice divine n'est autre qu'une figure exprimant que chacun de vos actes, chacun de vos sentiments est, en quelque sorte, le poids qui charge votre âme et l'empêche de s'élever, ou celui qui amène l'équilibre entre le bien et le mal.

Heureux celui dont les sentiments partent d'un cœur pur ; il répand autour de lui comme une suave atmosphère qui fait aimer la vertu et attire les bons Esprits ; sa puissance de rayonnement est d'autant plus grande qu'il est plus humble, dès lors plus dégagé des influences matérielles qui attirent l'âme et l'empêchent de progresser.

Les obligations qu'impose le Spiritisme sont donc d'une nature essentiellement morale, elles sont une conséquence de la croyance ; chacun est juge et partie dans sa propre cause ; mais les clartés intellectuelles qu'il apporte à celui qui veut véritablement se connaître soi-même et travailler à son amélioration sont telles qu'elles effraient les pusillanimes, et c'est pourquoi il est rejeté par un si grand nombre. D'autres tâchent de concilier la réforme que leur raison leur démontre être une nécessité, avec les exigences de la société actuelle. De là, un mélange hétérogène, un manque d'unité qui fait de l'époque actuelle un état transitoire ; il est si difficile à votre pauvre nature corporelle de se dépouiller de ses imperfections pour revêtir l'homme nouveau, c'est-à-dire l'homme vivant suivant les principes de justice et d'harmonie voulus par Dieu. Avec des efforts persévérants, vous y arriverez néanmoins, car les obligations que s'impose la conscience, lorsqu'elle est suffisamment éclairée, ont plus de force que n'en auront jamais les lois humaines basées sur la contrainte d'un obscurantisme religieux ne pouvant supporter l'examen ; mais si, grâce aux lumières d'en haut, vous êtes plus instruits et comprenez davantage, vous devez aussi être plus tolérants et n'employer, comme moyen de propagation, que le raisonnement, car toute croyance sincère est respectable. Si votre vie est un beau modèle où chacun puisse trouver de bons exemples et de solides vertus, où la dignité s'allie à une gracieuse aménité, réjouissez-vous, car vous aurez, en partie, compris ce à quoi le Spiritisme oblige.

Louis de France.






Juin

Monomanie incendiaire précoce - Etude morale

On lit dans le Salut public de Lyon du 23 février 1866 :

« La question médico-légale de monomanie homicide et de monomanie incendiaire, dit le Moniteur judiciaire, a été et sera, selon toute probabilité, souvent encore agitée devant les tribunaux et les cours d'assises.

A propos de monomanie incendiaire, nous pouvons citer un jeune enfant de Lyon, aujourd'hui âgé de quatre ans et demi, fils d'honnêtes ouvriers en soie, domiciliés à la Guillotière, qui semble porter en lui, au dernier degré, l'instinct de l'incendie. A peine ses yeux s'ouvraient-ils à la lumière, que la vue des flammes semblait le réjouir. A dix-huit mois, il prenait plaisir à faire jaillir le feu d'une allumette chimique ; à deux ans, il mettait le feu aux quatre coins d'une paillasse, et anéantissait en partie le modeste mobilier de ses parents. Aujourd'hui, aux réprimandes qui lui sont faites, il ne répond que par des menaces d'incendie, et la semaine dernière encore, il essayait, à l'aide de quelques brins de paille et de divers morceaux de papier, de mettre le feu à l'alcôve où couchent son père et sa mère.

Nous laissons aux spécialistes le soin de rechercher les causes d'une telle monomanie. Si elle ne disparaissait avec l'âge, quel sort serait réservé au malheureux qui en est atteint ? »

L'auteur de l'article dit qu'il laisse aux spécialistes le soin de rechercher les causes d'une telle monomanie. De quels spécialistes veut-il parler ? Est-ce des médecins en général, des aliénistes, des savants, des phrénologistes, des philosophes ou des théologiens ? Chacun d'eux envisagera la question au point de vue de ses croyances matérialistes, spiritualistes ou religieuses. Les matérialistes, niant tout principe, intelligent distinct de la matière, sont incontestablement les moins propres à la résoudre d'une manière complète. En faisait de l'organisme l'unique source des facultés et des penchants, ils font de l'homme une machine mue fatalement par une force irrésistible, sans libre arbitre, et par conséquent sans responsabilité morale de ses actes. Avec un tel système, tout criminel peut s'excuser sur sa constitution, qu'il n'a pas dépendu de lui de faire meilleure. Dans une société où ce principe serait admis comme vérité absolue, il n'y aurait pas de coupables moralement parlant, et il serait aussi illogique de traduire en justice les hommes que les animaux.

Nous ne parlons ici que des conséquences sociales des doctrines matérialistes ; quant à leur impuissance à résoudre tous les problèmes moraux, elle est suffisamment démontrée. Dira-t-on, avec quelques-uns, que les penchants sont héréditaires comme les vices de constitution ? On leur opposerait les innombrables faits où les parents les plus vertueux ont des enfants instinctivement vicieux, et réciproquement. Dans celui qui nous occupe, il est notoire que l'enfant n'a hérité de sa monomanie incendiaire d'aucun membre de sa famille.

Les spiritualistes reconnaîtront sans doute que ce penchant tient à une imperfection de l'âme ou Esprit, mais ils n'en seront pas moins arrêtés par des difficultés insurmontables avec les seuls éléments que l'on a possédés jusqu'à ce jour ; et la preuve que les données actuelles de la science, de la philosophie et de la théologie ne fournissent aucun principe solide pour la solution des problèmes de cette nature, c'est qu'il y en a pas une seule qui soit assez évidente, assez rationnelle pour rallier la majorité, et que l'on en est réduit aux opinions individuelles, toutes divergentes les unes des autres.

Les théologiens qui admettent comme point de dogme la création de l'âme à la naissance de chaque corps sont peut-être les plus embarrassés pour concilier ces perversités natives avec la justice et la bonté de Dieu. Selon leur doctrine, voilà donc un enfant créé avec l'instinct incendiaire, voué, dès sa formation, au crime et à toutes ses conséquences pour la vie présente et la vie future ! Comme il y a des enfants instinctivement bons et d'autres mauvais, Dieu crée donc des âmes bonnes et d'autres mauvaises ? C'est la conséquence logique. Pourquoi cette impartialité ? Avec la doctrine matérialiste, le coupable s'excuse sur son organisation ; avec celle de l'Église, il peut s'en prendre à Dieu, en disant que ce n'est pas sa faute s'il l'a créé avec des défauts.

Faut-il s'étonner qu'il y ait des gens qui renient Dieu quand on le leur montre injuste et cruel dans ses actes, partial envers ses créatures ? C'est la manière dont la plupart des religions le représentent qui fait les incrédules et les athées. Si l'on en eût toujours fait un tableau de tous points conciliable avec la raison, il n'y aurait point d'incrédules ; c'est faute de pouvoir l'accepter tel qu'on le fait, avec les petitesses et les passions humaines qu'on lui prête, que tant de gens cherchent en dehors de lui l'explication des choses.

Toutes les fois que la théologie, pressée par l'inexorable logique des faits, se trouve dans une impasse, elle se retranche derrière ces mots : « Mystère incompréhensible ! » Eh bien ! chaque jour voit se lever un coin du voile de ce qui jadis était mystère, et la question qui nous occupe est de ce nombre.

Cette question est loin d'être puérile, et l'on aurait tort de n'y voir qu'un fait isolé, ou, si l'on veut, une anomalie, une bizarrerie de la nature sans conséquence. Elle touche à toutes les questions d'éducation et de moralisation de l'humanité, et, par cela même, aux plus graves problèmes d'économie sociale. C'est en recherchant la cause première des instincts et des penchants innés qu'on découvrira les moyens les plus efficaces de combattre les mauvais et de développer les bons. Quand cette cause sera connue, l'éducation possèdera le plus puissant levier moralisateur qu'elle ait jamais eu.

On ne peut nier l'influence du milieu et de l'exemple sur le développement des bons et des mauvais instincts, car, la contagion morale est aussi manifeste que la contagion physique. Cependant cette influence n'est pas exclusive, puisqu'on voit des êtres pervers dans les familles les plus honorables, tandis que d'autres sortent purs de la fange. Il y a donc incontestablement des dispositions natives, et si l'on en doutait, le fait qui nous occupe en serait une preuve irrécusable. Ainsi voilà un enfant qui, avant de savoir parler, se complaît à la vue de la destruction par le feu ; qui, à deux ans, incendie volontairement un mobilier, et qui, à quatre ans, comprend tellement ce qu'il fait, qu'il répond aux réprimandes par des menaces d'incendie.

O vous tous, médecins et savants qui recherchez avec tant d'avidité les moindres cas pathologiques insolites, pour en faire le sujet de vos méditations, que n'étudiez-vous avec le même soin ces phénomènes étranges qu'on peut, avec raison, qualifier de pathologie morale ! Que ne cherchez-vous à vous en rendre compte, à en découvrir la source ! L'humanité y gagnerait au moins autant qu'à la découverte d'un filet nerveux. Malheureusement, la plupart de ceux qui ne dédaignent pas de s'occuper de ces questions, le font en parlant d'une idée préconçue à laquelle ils veulent tout assujettir : le matérialiste aux lois exclusives de la matière, le spiritualiste à l'idée qu'il s'est faite de la nature de l'âme suivant ses croyances. Avant de conclure, le plus sage est d'étudier tous les systèmes, toutes les théories, avec impartialité, et de voir celui qui résout le mieux et le plus logiquement le plus grand nombre de difficultés.

La diversité des aptitudes intellectuelles et morales innées, indépendantes de l'éducation et de toute acquisition dans la vie présente, est un fait notoire : c'est le connu. Partant de ce fait pour arriver à l'inconnu, nous dirons que si l'âme est créée à la naissance du corps, il demeure évident que Dieu crée des âmes de toutes qualités. Or, cette doctrine étant inconciliable avec le principe de souveraine justice, doit forcément être écartée. Mais si l'âme n'est pas créée à la naissance de l'individu, c'est qu'elle existait avant. C'est en effet dans la préexistence de l'âme qu'on trouve la seule solution possible et rationnelle de la question et de toutes les anomalies apparentes des facultés humaines. Les enfants qui ont instinctivement des aptitudes transcendantes pour un art ou une science, qui possèdent certaines connaissances sans les avoir apprises, comme les calculateurs naturels, comme ceux auxquels la musique semble familière en naissant ; ces linguistes nés, comme une dame dont nous aurons plus tard occasion de parler, qui, à neuf ans, donnait des leçons de grec et de latin à ses frères, et à douze ans lisait et traduisait l'hébreu, ont dû apprendre ces choses quelque part ; puisque ce n'est pas dans cette existence, ce doit être dans une autre.

Oui, l'homme a déjà vécu, non pas une fois, mais peut-être mille fois ; à chaque existence ses idées se sont développées ; il a acquis des connaissances dont il apporte l'intuition dans l'existence suivante et qui l'aident à en acquérir de nouvelles. Il en est de même du progrès moral. Les vices dont il s'est défait ne reparaissent plus ; ceux qu'il a conservés se reproduisent jusqu'à ce qu'il s'en soit définitivement corrigé.

En un mot, l'homme naît ce qu'il s'est fait lui-même. Ceux qui ont le plus vécu, le plus acquis et le mieux profité, sont plus avancés que les autres ; telle est la cause de la diversité des instincts et des aptitudes que l'on remarque parmi eux ; telle est aussi celle pour laquelle nous voyons sur la terre des sauvages, des barbares et des hommes civilisés. La pluralité des existences est la clef d'une foule de problèmes moraux, et c'est faute d'avoir connu ce principe que tant de questions sont restées insolubles. Qu'on l'admette seulement à titre de simple hypothèse, si l'on veut, et l'on verra toutes ces difficultés s'aplanir.

L'homme civilisé est arrivé à un point où il ne se contente plus de la foi aveugle ; il veut se rendre compte de tout, savoir le pourquoi et le comment de chaque chose ; il préférera donc une philosophie qui explique à celle qui n'explique pas. Au reste, l'idée de la pluralité des existences, comme toutes les grandes vérités, germe dans une foule de cerveaux, en dehors du Spiritisme, et comme elle satisfait la raison, le temps n'est pas loin où elle sera mise au rang des lois qui régissent l'humanité.

Que dirons-nous maintenant de l'enfant qui fait le sujet de cet article ? Ses instincts actuels s'expliquent par ses antécédents. Il est né incendiaire, comme d'autres sont nés poètes ou artistes, parce que, sans aucun doute, il a été incendiaire dans une autre existence, et qu'il en a conservé l'instinct.

Mais alors, dira-t-on, si chaque existence est un progrès, le progrès est nul pour lui dans celle-ci.

Ce n'est pas une raison. De ses instincts actuels, il ne faut pas conclure que le progrès soit nul. L'homme ne se dépouille pas subitement de toutes ses imperfections. Cet enfant en avait probablement d'autres qui le rendaient pire qu'il ne le serait aujourd'hui ; or, n'eût-il avancé que d'un pas, n'eût-il même que le repentir et le désir de s'améliorer, ce serait toujours un progrès. Si cet instinct se manifeste chez lui d'une manière si précoce, c'est pour appeler de bonne heure l'attention sur ses tendances, afin que ses parents et ceux qui seront chargés de son éducation s'attachent à les réprimer avant qu'elles ne se soient développées. Peut-être lui-même a-t-il demandé qu'il en fût ainsi, et de naître dans une famille honorable, par le désir de progresser.

C'est une grande tâche pour ses parents, car c'est une âme égarée qui leur est confiée pour la ramener dans le droit chemin, et leur responsabilité serait grande s'ils ne faisaient pas, dans ce but, tout ce qui est en leur pouvoir. Si leur enfant était malade, ils le soigneraient avec sollicitude ; ils doivent le regarder comme atteint d'une maladie morale grave qui requiert des soins non moins assidus.

D'après toutes ces considérations, nous croyons, sans vanité, que les Spirites sont les meilleurs spécialistes en pareille circonstance, précisément parce qu'ils s'attachent à l'étude des phénomènes moraux, et qu'ils les apprécient, non d'après des idées personnelles, mais d'après des lois naturelles.

Ce fait ayant été présenté à la Société de Paris comme sujet d'étude, la question suivante fut posée aux Esprits :

Quelle est l'origine de l'instinct incendiaire précoce chez cet enfant, et quels seraient les moyens de le combattre par l'éducation ?

Quatre réponses concordantes ont été faites ; nous ne citerons que les deux suivantes.


Société de Paris, 13 avril 1866. ‑ Médium, M. Br…

I

Vous demandez quelle a été l'existence de cet enfant qui montre un penchant si précoce pour la destruction, et particulièrement pour l'incendie. Hélas ! son passé est horrible et ses tendances actuelles vous disent assez ce qu'il a pu faire. Il est venu pour expier, et doit lutter contre ses instincts incendiaires. Il est une grande épreuve pour ses parents, qui sont constamment sous le coup de ses méfaits, et ne savent comment réprimer ce funeste penchant. La connaissance du spiritisme leur serait d'un puissant secours, et Dieu, dans sa miséricorde, leur accordera cette grâce, car c'est par cette connaissance seule que l'on peut espérer d'améliorer cet Esprit.

Cet enfant est une preuve évidente de l'antériorité de l'âme à l'incarnation présente. Vous le voyez : cet étrange état moral éveille l'attention et fait réfléchir. Dieu se sert de tous les moyens pour vous faire parvenir à la connaissance de la vérité touchant votre origine, votre progression et votre fin.

Un Esprit.


Médium, mademoiselle Lat…

II

Le Spiritisme a déjà joué un grand rôle dans votre monde, mais ce que vous avez vu n'est que le prélude de ce que vous êtes appelés à voir. Lorsque la science reste muette devant certains faits, et que la religion ne peut non plus les résoudre, le Spiritisme vient en donner la solution. Quand la science fait défaut à vos savants, ils laissent la cause de côté, faute de suffisantes explications. En maintes circonstances, les lumières du Spiritisme pourraient leur être d'un grand secours, notamment dans ce cas de monomanie incendiaire. Pour eux, c'est un genre de folie, car ils regardent toutes les monomanies comme des folies ; c'est là une grande erreur. Ici la médecine n'a rien à faire, c'est aux Spirites à agir.

Il n'est pas admissible pour vous que ce penchant à détruire par le feu ne date que de la présente existence ; il faut remonter plus haut, et voir dans les inclinations perverses de cet enfant un reflet de ses actes antérieurs.

Il est de plus poussé par ceux-là mêmes qui ont été ses victimes, car pour satisfaire son ambition, il n'a reculé ni devant l'incendie, ni devant le sacrifice de ceux qui pouvaient lui faire obstacle. En un mot, il est sous l'influence d'Esprits qui ne lui ont pas encore pardonné les tourments qu'il leur a fait subir. Ils attendent la vengeance.

Il a pour épreuve de sortir victorieux de la lutte ; mais Dieu, dans sa souveraine justice, a placé le remède à côté du mal ; en effet, ce remède est dans son jeune âge et dans la bonne influence du milieu où il est. Aujourd'hui l'enfant ne peut rien pour le moment : c'est aux parents de veiller ; plus tard il devra vaincre lui-même, et tant qu'il ne sera pas maître de la position, la lutte se perpétuera. Il faudrait qu'il fût élevé dans les principes du Spiritisme ; il y puiserait la force, et, comprenant son épreuve, il aurait plus de volonté pour en triompher.

Bons Esprits, chargés d'éclairer les incarnés, tournez vos regards vers ce pauvre petit être dont le châtiment est juste ; allez vers lui, aidez-le, dirigez ses pensées vers le Spiritisme, afin qu'il triomphe plus vite, et que la lutte se termine à son avantage.

Un Esprit.

Tentative d'assassinat sur l'empereur de Russie

Etude psychologique


L'Indépendance belge du 30 avril, sous le titre de : Nouvelles de Russie, correspondance de Saint-Pétersbourg, donne un récit détaillé des circonstances qui ont suivi l'attentat dont le czar a été l'objet. Il parle en outre de certains indices précurseurs du crime et contient à ce sujet le passage suivant :

« On raconte que le gouverneur de Saint-Pétersbourg, le prince Souwouroff, avait reçu une lettre anonyme signée N. N. N., dans laquelle on lui offrait, moyennant certaines indications, de dévoiler un mystère important, en lui demandant une réponse dans la Gazette de la police. Cette réponse a paru ; elle était conçue comme suit : « La chancellerie du général gouverneur invite N. N. N. à venir demain entre onze heures et deux heures pour donner certaines explications. » Mais l'anonyme n'a pas paru ; il envoya une seconde lettre annonçant qu'il était trop tard, qu'il n'était plus libre de venir.

« L'invitation fut réitérée deux jours après l'attentat, mais sans résultat.

Enfin, comme dernier indice, quelques personnes viennent de se rappeler que trois semaines avant l'attentat, le journal allemand Die Gartenlaube publiait un récit d'une séance spirite tenue à Heildelberg, et dans laquelle l'Esprit de Catherine II annonçait que l'empereur Alexandre était menacé d'un grand danger.

On s'explique difficilement, après tout cela, comment la police secrète russe n'a pu être instruite à temps du crime qui se préparait. Cette police, qui coûte fort cher, et qui inonde d'espions inutiles tous nos cercles et nos assemblées publiques, n'a pas su, non-seulement découvrir à temps le complot, mais même entourer le souverain de sa vigilance, ce qui est élémentaire et de toute nécessité, surtout avec un prince qui sort presque toujours seul, suivi de son grand chien ; qui fait des promenades pédestres à des heures matinales, sans être accompagné d'un aide de camp de service. Le jour même de l'attentat, j'ai rencontré l'empereur dans la rue Millonaïa, à neuf heures et demie du matin ; il était complètement seul, et saluait avec affabilité ceux qui le reconnaissaient. La rue était presque déserte, les sergents de ville fort rares. »

Ce qu'il y a surtout de remarquable dans cet article, c'est la mention, sans commentaire, de l'avertissement donné par l'Esprit de Catherine II dans une séance spirite. Aurait-on mis ce fait au nombre des indices précurseurs, si l'on eût considéré les communications spirites comme des jongleries ou des illusions ? Dans une question aussi grave, on se serait gardé de faire intervenir une croyance considérée comme ridicule. C'est une preuve nouvelle de la réaction qui s'opère dans l'opinion à l'endroit du Spiritisme.

Nous avons à examiner le fait de l'attentat à un autre point de vue. On sait que l'empereur a dû son salut à un jeune paysan nommé Joseph Kommissaroff, qui, se trouvant sur son passage, a désarmé le bras de l'assassin. On sait aussi les faveurs de toute nature dont ce dernier a été comblé ; il a été anobli, et les dons qu'il a reçus lui assurent une fortune considérable.

Ce jeune homme se rendait à une chapelle située de l'autre côté de la Newa, à l'occasion de l'anniversaire de sa naissance ; à ce moment la débâcle des glaces avait lieu, et la circulation étant interrompue, il dut renoncer à son projet. Par suite de cette circonstance, il resta sur l'autre rive du fleuve, et se trouva sur le passage de l'empereur, qui sortait du jardin d'été. S'étant mêlé à la foule il aperçut un individu qui cherchait à s'approcher, et dont les allures lui parurent suspectes ; il le suivit, et l'ayant vu sortir de sa poche un pistolet qu'il dirigea vers l'empereur, il eut la présence d'esprit de lui frapper sous le bras, ce qui fit partir le coup en l'air.

Quel heureux hasard, diront certaines gens, que juste à point nommé la débâcle ait empêché Kommissaroff de traverser la Newa ! Pour nous, qui ne croyons pas au hasard, mais que tout est soumis à une direction intelligente, nous dirons qu'il était dans les épreuves du czar de courir ce danger (V. Évangile selon le spiritisme, chap. xxv, Prière dans un danger imminent), mais que son heure n'étant pas venue, Kommissaroff avait été choisi pour empêcher le crime de s'accomplir, et que les choses, qui semblent un effet du hasard, étaient combinées pour amener le résultat voulu.

Les hommes sont les instruments inconscients des desseins de la Providence ; c'est par eux qu'elle les accomplit, sans qu'il soit besoin d'avoir recours à des prodiges ; il suffit de la main invisible qui les dirige, et rien ne sort de l'ordre des choses naturelles.

S'il en est ainsi, dira-t-on, l'homme n'est qu'une machine, et ses actions sont fatales. ‑ Nullement, car s'il est sollicité de faire une chose, il n'y est pas contraint ; il n'en conserve pas moins son libre arbitre en vertu duquel il peut la faire ou ne la pas faire, et la main qui le conduit reste invisible, précisément pour lui laisser plus de liberté. Ainsi Kommissaroff pouvait très bien ne pas céder à l'impulsion occulte qui le dirigeait sur le passage de l'empereur ; il pouvait rester indifférent, comme tant d'autres, à la vue de l'homme aux allures suspectes ; enfin, il aurait pu regarder d'un autre côté au moment où ce dernier sortait le pistolet de sa poche. ‑ Mais alors, s'il avait résisté à cette impulsion, l'empereur aurait donc été tué ? ‑ Pas davantage ; les desseins de la Providence ne sont pas à la merci du caprice d'un homme. La vie de l'empereur devait être préservée ; à défaut de Kommissaroff, c'eût été par un autre moyen ; une mouche pouvait piquer la main de l'assassin et lui faire faire un mouvement involontaire ; un courant fluidique dirigé sur lui aurait pu lui donner un éblouissement ; seulement, si Kommissaroff n'eût pas écouté la voix intime qui le guidait à son insu, il aurait perdu le bénéfice de l'action qu'il était chargé d'accomplir : voilà tout ce qui en serait résulté. Mais si l'heure fatale avait sonné pour le czar, rien n'aurait pu le préserver ; or, les dangers imminents que nous courons ont précisément pour but de nous montrer que notre vie tient à un fil qui peut se rompre au moment où nous y pensons le moins, et, par là, de nous avertir d'être toujours prêts à partir.

Mais pourquoi ce jeune paysan plutôt qu'un autre ? Pour quiconque ne voit pas dans les évènements un simple jeu du hasard, toute chose a sa raison d'être. Il devait donc y avoir un motif dans le choix de ce jeune homme, et lors même que ce motif ne nous serait pas connu, la Providence nous donne assez de preuves de sa sagesse, pour ne pas douter que ce choix avait son utilité.

Cette question ayant été posée, comme sujet d'étude, dans une réunion spirite tenue chez une famille russe habitant Paris, un Esprit donna l'explication suivante :


Paris, 1er mai 1866. ‑ Médium, M. Desliens.

Même dans l'existence de l'être le plus infime, rien n'est laissé au hasard. Les principaux événements de sa vie sont déterminés par son épreuve : les détails sont influencés par son libre arbitre ; mais l'ensemble des situations a été prévu et combiné à l'avance par lui-même et par ceux que Dieu a préposés à sa garde.

Dans le cas qui nous occupe ici, les choses se sont passées selon le cours ordinaire. Ce jeune homme étant déjà avancé et intelligent, a choisi, comme épreuve, de naître dans une condition misérable après avoir occupé une haute position sociale ; son intelligence et sa moralité étant déjà très développées, il a demandé une condition humble et obscure pour éteindre les dernières semences d'orgueil que l'esprit de caste avait laissées en lui. Il a librement choisi, mais Dieu et les bons Esprits se sont réservé de le récompenser à la première manifestation de dévouement désintéressé, et vous voyez en quoi consiste sa récompense.

Il lui reste maintenant, au milieu des honneurs et de la fortune, à conserver intact le sentiment d'humilité qui a été la base de sa nouvelle incarnation ; aussi est-ce encore une épreuve et une double épreuve, en sa qualité d'homme, et en sa qualité de père. Comme homme, il doit résister à l'enivrement d'une haute et subite fortune ; comme père, il doit préserver ses enfants de la morgue des parvenus. Il peut leur créer une position admirable ; il peut profiter de sa position intermédiaire pour en faire des hommes utiles à leur pays. Plébéiens de naissance, nobles par le mérite de leur père, ils pourront, comme beaucoup de ceux qui s'incarnent présentement en Russie, travailler puissamment à la fusion de tous les éléments hétérogènes, à la disparition de l'élément serf, qui de longtemps cependant ne pourra être détruit d'une manière radicale.

Dans cette élévation, il y a une récompense, sans doute, mais il y a plus encore une épreuve. Je sais qu'en Russie le mérite récompensé trouve merci devant les grands, mais là, comme ailleurs, le parvenu orgueilleux et bouffi de sa valeur est en butte aux railleries ; il devient le jouet d'une société qu'il s'efforce en vain d'imiter. L'or et les grandeurs ne lui ont pas donné l'élégance et l'esprit du monde. Méprisé et envié de ceux parmi lesquels il est né, il est souvent isolé et malheureux au milieu de son faste.

Comme vous le voyez, tout n'est pas agréable dans ces élévations subites, et surtout quand elles atteignent de telles proportions. Pour ce jeune homme, nous espérons, en raison de ses excellentes qualités, qu'il saura jouir en paix des avantages que lui a procurés son action, et éviter les pierres d'achoppement qui pourraient retarder sa marche sur la route de la progression.

Moki.

Remarque. A défaut de preuves matérielles sur l'exactitude de cette explication, on ne peut disconvenir qu'elle soit éminemment rationnelle et instructive ; et comme l'Esprit qui l'a donnée s'est toujours distingué par la gravité et la haute portée de ses communications, nous regardons celle-ci comme ayant tous les caractères de la probabilité.

La nouvelle position de Kommissaroff est en effet très glissante pour lui, et son avenir dépend de la manière dont il subira cette épreuve, plus dangereuse cent fois que les malheurs matériels auxquels on se résigne par force, tandis qu'il est bien plus difficile de résister aux tentations de l'orgueil et de l'opulence. Quelle force ne puiserait-il pas dans la connaissance du Spiritisme et de toutes les vérités qu'il enseigne !

Mais, comme on a pu le remarquer, les vues de la Providence ne s'arrêtent pas à ce jeune homme ; tout en subissant son épreuve, et par le fait de son épreuve même, il peut, par l'enchaînement des circonstances, devenir un élément de progrès pour son pays, en aidant à la destruction des préjugés de caste. Ainsi tout se lie dans le monde par le concours des puissances intelligentes qui le dirigent ; rien n'est inutile, et les plus petites choses en apparence peuvent conduire aux plus grands résultats, et cela sans déroger aux lois de la nature. Si nous pouvions voir ce mécanisme que nous dérobent notre nature matérielle et notre infériorité, de quelle admiration ne serions-nous pas transportés ! mais si nous ne pouvons le voir, le spiritisme, en nous révélant ces lois, nous le fait comprendre par la pensée, et c'est par là qu'il nous élève, augmente notre foi et notre confiance en Dieu, et qu'il combat victorieusement l'incrédulité.


Un rêve instructif

Pendant la dernière maladie que nous avons faite dans le courant d'avril 1866, nous étions sous l'empire d'une somnolence et d'une absorption presque continuelles ; dans ces moments-là nous rêvions constamment de choses insignifiantes, et auxquelles nous ne prêtions aucune attention ; mais dans la nuit du 24 avril, la vision offrit un caractère si particulier que nous en fûmes vivement frappé.

Dans un lieu qui ne rappelait rien à notre souvenir et qui ressemblait à une rue, se trouvait une réunion d'individus qui causaient ensemble ; dans le nombre, quelques-uns seulement nous étaient connus en rêve, mais sans que nous pussions les désigner nominativement. Nous considérions cette foule et nous cherchions à saisir l'objet de la conversation, lorsque tout à coup parut dans l'angle d'une muraille une inscription en petits caractères, brillants comme du feu, et que nous nous efforcions de déchiffrer ; elle était ainsi conçue : « Nous avons découvert que le caoutchouc roulé sous la roue fait une lieue en dix minutes, pourvu que la route… » Pendant que nous cherchions la fin de la phrase, l'inscription s'effaça peu à peu, et nous nous réveillâmes. Dans la crainte d'oublier ces paroles singulières, nous nous hâtâmes de les transcrire.

Quel pouvait être le sens de cette vision, que rien absolument dans nos pensées ni dans nos préoccupations ne pouvait avoir provoquée ? Ne nous occupant ni d'inventions ni de recherches industrielles, ce ne pouvait être un reflet de nos idées. Puis, que pouvait signifier ce caoutchouc qui, roulé sous une roue, fait une lieue en dix minutes ? Etait-ce la révélation de quelque nouvelle propriété de cette substance ? Serait-elle appelée à jouer un rôle dans la locomotion ? Voulait-on nous mettre sur la voie d'une découverte ? Mais alors pourquoi s'adresser à nous plutôt qu'à des hommes spéciaux, ayant les loisirs de faire les études et les expériences nécessaires ? Cependant ce rêve était trop caractéristique, trop spécial, pour être rangé parmi les rêves de fantaisie ; il devait avoir un but ; quel était-il ? C'est ce que nous cherchions inutilement.

Dans la journée, avant eu occasion de consulter le docteur Demeure sur notre santé, nous en profitâmes pour le prier de nous dire si ce rêve présentait quelque chose de sérieux. Voici ce qu'il répondit :

« Les rêves nombreux qui vous ont assiégé en ces derniers jours sont le résultat de la souffrance même que vous éprouvez. Toutes les fois qu'il y a affaiblissement du corps, il y a tendance au dégagement de l'Esprit ; mais lorsque le corps souffre, le dégagement ne s'opère pas d'une manière régulière et normale ; l'Esprit est incessamment rappelé à son poste ; de là une sorte de lutte, de conflit, entre les besoins matériels et les tendances spirituelles ; de là aussi des interruptions et des mélanges qui confondent les images et en font des ensembles bizarres et dépourvus de sens. Le caractère des rêves se lie, plus qu'on ne le croit, à la nature de la maladie ; c'est une étude à faire, et les médecins y trouveront souvent des diagnostics précieux, lorsqu'ils reconnaîtront l'action indépendante de l'Esprit et le rôle important qu'il joue dans l'économie. Si l'état du corps réagit sur l'Esprit, de son côté l'état de l'Esprit influe puissamment sur la santé, et, dans certains cas, il est aussi utile d'agir sur l'Esprit que sur le corps ; or, la nature des rêves peut souvent être un indice de l'état de l'Esprit. C'est, je le répète, une étude à faire, négligée jusqu'à ce jour par la science, qui ne voit partout que l'action de la matière et ne tient aucun compte de l'élément spirituel.

Le rêve que vous me signalez, celui dont vous avez gardé un souvenir si net, me semble appartenir à une autre catégorie ; il contient un fait remarquable et digne d'attention ; il a certainement été motivé, mais je ne saurais vous en donner présentement une explication satisfaisante ; je ne pourrais vous donner que mon opinion personnelle, dont je ne suis pas assez sûr. Je prendrai mes informations à bonne source, et demain je vous ferai part de ce que j'aurai appris. »

Le lendemain il nous donna l'explication suivante :

« Ce que vous avez vu dans le rêve que je me suis chargé de vous expliquer n'est point une de ces images fantastiques provoquées par la maladie ; c'est bien réellement une manifestation, non d'Esprits désincarnés, mais d'Esprits incarnés. Vous savez que, dans le sommeil, on peut se trouver avec des personnes connues ou inconnues, mortes ou vivantes ; c'est ce dernier cas qui a eu lieu en cette circonstance. Ceux que vous avez vus sont des incarnés qui s'occupent séparément, et sans se connaître pour la plupart, d'inventions tendant à perfectionner les moyens de locomotion, en annihilant, autant que possible, l'excès de dépense causée par l'usure des matériaux aujourd'hui en usage. Les uns ont pensé au caoutchouc, d'autres à d'autres matières ; mais ce qu'il y a de particulier, c'est qu'on a voulu appeler votre attention, comme sujet d'étude psychologique, sur la réunion, dans un même lieu, des Esprits de différents hommes poursuivant le même but. La découverte n'a pas de rapport avec le Spiritisme ; c'est seulement le conciliabule des inventeurs qu'on a voulu vous faire voir, et l'inscription n'avait d'antre but que de spécifier à vos yeux l'objet principal de leur préoccupation, car il en est qui cherchent d'autres applications du caoutchouc. Soyez persuadé qu'il en est souvent ainsi, et que lorsque plusieurs hommes découvrent en même temps, soit une nouvelle loi, soit un nouveau corps, sur différents ponts du globe, leur Esprit a étudié ensemble la question pendant le sommeil, et au réveil chacun travaille de son côté, en mettant à profit le fruit de ses observations.

Remarquez bien que ce sont là les idées d'incarnés, et qui ne préjugent rien sur le mérite de la découverte ; il se peut que de tous ces cerveaux en ébullition il sorte quelque chose d'utile, comme il est possible qu'il n'en sorte que des chimères. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il serait inutile d'interroger les Esprits à cet égard ; leur mission, comme vous l'avez dit dans vos ouvrages, n'est pas d'épargner à l'homme le travail des recherches en lui apportant des inventions toutes faites qui seraient autant de primes d'encouragement pour la paresse et l'ignorance. Dans ce grand tournoi de l'intelligence humaine chacun y est pour son propre compte, et la victoire est au plus habile, au plus persévérant, au plus courageux.

Demande. Que faut-il penser des découvertes attribuées au hasard ? N'y en a-t-il pas qui ne sont le fruit d'aucune recherche ?

Réponse. Le hasard, vous le savez bien, n'existe pas ; les choses qui vous semblent le plus fortuites ont leur raison d'être, car il faut compter avec les innombrables intelligences occultes qui président à toutes les parties de l'ensemble. Si le temps d'une découverte est venu, les éléments en sont mis au jour par ces mêmes intelligences ; vingt hommes, cent hommes passeront à côté sans la remarquer : un seul y portera son attention ; le fait insignifiant pour la foule est pour lui un trait de lumière ; ce n'était pas tout de le trouver, l'essentiel était de savoir le mettre en œuvre. Ce n'est pas le hasard qui le lui a mis sous les yeux, mais les bons Esprits qui lui ont dit : Regarde, observe et profite si tu le veux. Puis lui-même, dans les moments de liberté de son Esprit, pendant le sommeil de son corps, a pu être mis sur la voie, et à son réveil, instinctivement, il se dirige sur le lieu où il doit trouver la chose qu'il est appelé à faire fructifier par son intelligence.

Non, il n'y a point de hasard : tout est intelligent dans la nature. »

Vue rétrospective des diverses incarnations d'un Esprit

Sommeil des Esprits par le Docteur Cailleux
Société spirite de Paris, 11 mai 1866. - Médium, M. Morin.

Votre bon accueil et les bonnes prières que vous avez dites à mon intention me font un devoir de vous en remercier vivement et de vous assurer de mon éternel dévouement. Depuis mon entrée dans la vraie vie, j'ai été bien vite familiarisé avec toutes les nouvelles, mais bien douces exigences de ma situation actuelle. De tous côtés, aujourd'hui, on m'appelle, non plus comme autrefois, pour donner mes soins aux corps malades, mais pour apporter du soulagement aux maladies de l'âme. La tâche est douce à remplir, et avec tout autant de rapidité qu'autrefois je mettais à me transporter au chevet des malades, je me rends aujourd'hui à l'appel des âmes souffrantes ; je puis même, et cela n'a rien d'étonnant pour moi, me transporter presque instantanément d'un point à un autre, avec la même facilité qu'a ma pensée de passer d'un sujet à un autre. Ce qui m'étonne seulement, c'est que je puisse le faire, moi !…

J'ai, mes bons amis, à vous entretenir d'un fait spirituel qui m'arrive et que je viens soumettre à votre jugement pour que vous m'aidiez à reconnaître mon erreur, si je m'étais trompé dans mes appréciations à son sujet. Médecin, vous le savez, dans ma dernière incarnation, je m'étais adonné avec ardeur aux études de ma profession. Tout ce qui s'y rapportait était pour moi un sujet d'observations. Je dois le dire, sans orgueil, j'avais acquis quelques connaissances, peut-être en raison de ce que je ne suivais pas toujours à la lettre la route tracée par la routine. Je cherchais souvent dans le moral ce qui pouvait apporter une perturbation dans le physique ; c'est peut-être pour cela que je connaissais un peu mieux mon métier que certains de mes collègues. Enfin voici : Il y a quelques jours, je sentis une espèce de lourdeur s'emparer de mon Esprit, et tout en conservant la conscience de mon moi je me sentis transporté dans l'espace ; arrivé à un endroit qui n'a pas de nom pour vous, je me trouvai dans une réunion d'Esprits qui, de leur vivant, avaient acquis quelque célébrité par les découvertes qu'ils avaient faites.

Là, je ne fus pas peut surpris de reconnaître dans ces anciens de tous les âges, dans ces noms de toutes les époques, une ressemblance périspritale avec moi. Je me demandai ce que tout cela voulait dire ; je leur adressai les questions que me suggérait ma position, mais mon étonnement fut plus grand encore, en m'entendant me répondre moi-même. Je me tournai alors vers eux et je me trouvai seul.

Voici mes déductions…

Dr Cailleux.



Nota. ‑ L'Esprit, s'étant arrêté là, continua dans la séance suivante.

La question des fluides qui fait le fond de vos études a joué un bien grand rôle dans le fait que je vous signalais à la dernière séance. Je puis aujourd'hui vous expliquer mieux ce qui s'est passé, et, au lieu de vous dire quelles étaient mes conjectures, je puis vous dire ce que m'ont révélé les bons amis qui me guident dans le monde des Esprits.

Lorsque mon Esprit a subi une espèce d'engourdissement, j'étais pour ainsi dire magnétisé par le fluide de mes amis spirituels ; par une permission de Dieu, il devait en résulter une satisfaction morale qui, disent-ils, est ma récompense, et de plus un encouragement à marcher dans une voie que suit mon Esprit depuis déjà bon nombre d'existences.

J'étais donc endormi d'un sommeil magnético-spirituel ; j'ai vu le passé se former en un présent fictif ; j'ai reconnu des individualités disparues par la suite des temps, ou plutôt qui n'avaient été qu'un seul individu. J'ai vu un être commencer un ouvrage médical ; un autre, plus tard, continuer l'ouvrage laissé ébauché par le premier, et ainsi de suite. J'en suis arrivé à voir en moins de temps que je n'en mets à vous le dire, d'âge en âge, se former, grandir et devenir science, ce qui, dans le principe, n'était que les premiers essais d'un cerveau occupé d'études pour le soulagement de l'humanité souffrante. J'ai vu tout cela, et lorsque arrivé au dernier de ces êtres qui, successivement, avaient apporté un complément à l'ouvrage, alors je me suis reconnu. Là, tout s'évanouit, et je redevins l'Esprit encore en retard de votre pauvre docteur. Or, l'explication, la voici. Je ne vous la donne pas pour en tirer vanité, loin de là, mais bien plutôt pour vous fournir un sujet d'étude, en vous parlant du sommeil spirituel, qui, étant élucidé par vos guides, ne peut que m'être utile, puisque j'assiste à tous vos travaux.

J'ai vu, dans ce sommeil, les différents corps que mon Esprit a animés depuis un certain nombre d'incarnations, et tous ont travaillé la science médicale sans jamais s'écarter des principes que le premier avait élaborés. Cette dernière incarnation n'était pas pour augmenter le savoir, mais simplement pour pratiquer ce qu'enseignait ma théorie.

Avec tout cela je reste toujours votre débiteur ; mais si vous le permettez, je viendrai vous demander des leçons, et quelquefois vous donner mon opinion personnelle sur certaines questions.

Dr Cailleux.

Étude


Il y a ici un double enseignement : c'est d'abord le fait de la magnétisation d'un Esprit par d'autres Esprits, et du sommeil qui en est la suite ; et, en second lieu, de la vue rétrospective des différents corps qu'il a animés.

Il y a donc, pour les Esprits, une sorte de sommeil, ce qui est un point de contact de plus entre l'état corporel et l'état spirituel. Il s'agit ici, il est vrai, d'un sommeil magnétique, mais existerait-il pour eux un sommeil naturel semblable au nôtre ? Cela n'aurait rien de surprenant, quand on voit des Esprits encore tellement identifiés avec l'état corporel, qu'ils prennent leur corps fluidique pour un corps matériel, qu'ils croient travailler comme ils le faisaient sur la terre, et qu'ils en éprouvent de la fatigue. S'ils ressentent de la fatigue, ils doivent éprouver le besoin de repos, et peuvent croire se coucher et dormir, comme ils croient travailler, et aller en chemin de fer. Nous disons qu'ils le croient, pour parler à notre point de vue ; car, tout est relatif, et par rapport à leur nature fluidique, la chose est tout aussi réelle que les choses matérielles le sont pour nous.

Ce ne sont que des Esprits d'un ordre inférieur qui ont de semblables illusions ; moins ils sont avancés, plus leur état se rapproche de l'état corporel. Or, ce ne peut être le cas du docteur Cailleux, Esprit avancé qui se rend parfaitement compte de sa situation. Mais il n'en est pas moins vrai qu'il a eu la conscience d'un engourdissement analogue au sommeil pendant lequel il a vu ses diverses individualités.

Un membre de la société explique ce phénomène de cette manière : Dans le sommeil humain, le corps seul repose, mais l'Esprit ne dort pas. Il doit en être de même à l'état spirituel ; le sommeil magnétique ou autre ne doit affecter que le corps spirituel ou périsprit, et l'Esprit doit se trouver dans un état relativement analogue à celui de l'Esprit incarné perdant le sommeil du corps, c'est-à-dire conserver la conscience de son être. Les différentes incarnations de M. Cailleux, que ses guides spirituels voulaient lui faire voir pour son instruction, ont pu se présenter à lui, comme souvenir, de la même manière que les images s'offrent dans les rêves.

Cette explication est parfaitement logique ; elle a été confirmée par les Esprits qui, en provoquant le récit du docteur Cailleux, ont voulu nous faire connaître une nouvelle phase de la vie d'outre-tombe.


Questions et problèmes

C'est dans l'air

Paris, 13 mai 1866. ‑ Médium, M. Tail…

Demande. Lorsque quelque chose est pressenti par les masses, on dit ordinairement que c'est dans l'air. Quelle est l'origine de cette expression ?

Réponse. Son origine est, comme celle d'une foule de choses dont on ne se rend pas compte et que le Spiritisme vient expliquer, dans le sentiment intime et intuitif de la réalité ; cette expression est plus vraie qu'on ne le pense.

Ce pressentiment général à l'approche de quelque grave événement a deux causes : la première vient des masses innombrables d'Esprits qui parcourent incessamment l'espace, et qui ont connaissance de choses qui se préparent ; par suite de leur dématérialisation, ils sont plus à même d'en suivre la filière et d'en prévoir l'issue. Ces Esprits, qui frôlent sans cesse l'humanité, lui communiquent leurs pensées par les courants fluidiques qui relient le monde corporel au monde spirituel. Quoique vous ne les voyiez pas, leurs pensées vous arrivent comme l'arôme des fleurs cachées sous le feuillage, et vous vous les assimilez à votre insu. L'air est littéralement sillonné de ces courants fluidiques qui sèment partout l'idée, de telle sorte que l'expression : c'est dans l'air, n'est pas seulement une figure, mais positivement vraie. Certains Esprits sont plus spécialement chargés, par la Providence, de transmettre aux hommes le pressentiment des choses inévitables, en vue de leur donner un secret avertissement, et ils s'acquittent de cette mission en se répandant parmi eux. Cc sont comme des voix intimes qui retentissent dans leur for intérieur.

La seconde cause de ce phénomène est dans le dégagement de l'Esprit incarné pondant le repos du corps. Dans ces moments de liberté, il se mêle aux Esprits similaires, ceux avec lesquels il a le plus d'affinité ; il se pénètre de leurs pensées, il voit ce qu'il ne peut voir avec les yeux du corps, en rapporte l'intuition au réveil, comme d'une idée qui lui est toute personnelle. Ceci explique comment la même idée surgit en même temps en cent endroits différents et dans des milliers de cerveaux.

Certains individus, comme vous le savez, sont plus aptes que d'autres à recevoir l'influx spirituel, soit par la communication directe des Esprits étrangers, soit par le dégagement plus facile de leur propre Esprit. Beaucoup jouissent à des degrés différents de la seconde vue ou vue spirituelle, faculté bien plus commune que vous ne le pensez et qui se révèle de mille manières ; d'autres conservent un souvenir plus ou moins net de ce qu'ils ont vu dans les moments d'émancipation de l'âme. Par suite de cette aptitude, ils ont des notions plus précises des choses ; ce n'est pas chez eux un simple pressentiment vague, mais l'intuition, et chez quelques-uns la connaissance de la chose même dont ils prévoient l'accomplissement et qu'ils annoncent. Si on leur demande comment ils le savent, la plupart ne sauront pas l'expliquer : les uns diront qu'une voix intérieure leur a parlé, d'autres qu'ils ont eu une vision révélatrice ; d'autres enfin qu'ils le sentent sans savoir comment. Dans les temps d'ignorance, et aux yeux des gens superstitieux, ils passent pour des devins et des sorciers, tandis que ce sont tout simplement des personnes douées d'une médiumnité spontanée et inconsciente, faculté inhérente à la nature humaine, et qui n'a rien de surnaturel, mais que ne peuvent comprendre ceux qui n'admettent rien en dehors de la matière.

Cette faculté a existé dans tous les temps, mais il est à remarquer qu'elle se développe et se multiplie sous l'empire des circonstances qui donnent un surcroît d'activité à l'esprit, dans les moments de crise, et aux approches des grands événements. Les révolutions, les guerres, les persécutions de partis et de sectes ont toujours fait naître un grand nombre de voyants et d'inspirés qu'on a qualifiés d'illuminés.

Dr Demeure.



Remarque. Les rapports du monde corporel et du monde spirituel n'ont rien qui étonne, si l'on considère que ces deux mondes sont formés des mêmes éléments, c'est-à-dire des mêmes individus qui passent alternativement de l'un dans l'autre. Tel qui est aujourd'hui parmi les incarnés de la terre sera demain parmi les désincarnés de l'espace, et réciproquement. Le monde des Esprits n'est donc point un monde à part, c'est l'humanité elle-même dépouillée de son enveloppe matérielle, et qui continue son existence sous une nouvelle forme et avec plus de liberté.

Les rapports de ces deux mondes, sans cesse en contact, font donc partie des lois naturelles ; l'ignorance de la loi qui les régit a été la pierre d'achoppement de toutes les philosophies ; c'est faute de la connaître que tant de problèmes sont demeurés insolubles. Le Spiritisme, qui est la science de ces rapports, nous donne la seule clef qui puisse les résoudre. Que de choses, grâce à lui, ne sont déjà plus des mystères !



Poésies Spirites

A ton livre

Société de Paris, 11 mai 1866. ‑ Médium, M. V…


Bientôt, enfant, tu vas quitter

Cet humble toit qui t'a vu naître,

Pour courir le monde, affronter

Ses dangers, et mourir peut-être

Sans avoir pu toucher au port.

Avant de fuir notre rivage,

Comme autrefois, écoute encor

La voix qui guida ton jeune âge.



Hélas ! mon fils, sur ton chemin,

Bien souvent la ronce orgueilleuse

Déchirera ta blanche main,

Et son épine vénéneuse

Fera boiter ton pied meurtri,

Plus d'une fois, dans la carrière.

N'importe ! Il faudra, loin d'ici,

Suivre l'étoile qui t'éclaire,

Et marcher toujours en avant ;

Ne point regretter ta patrie,

Ton hameau, ton foyer absent,

Et mourir sans pleurer ta vie,

Si tu devais la perdre un jour,

En prêchant à tous pour doctrine

La foi, la charité, l'amour,

Seuls devoirs de ta loi divine ;

En arrachant partout l'orgueil,

Le faux savoir et l'égoïsme

Qui s'étendent, comme un linceul,

Sur le berceau du Spiritisme ;

En répétant ce que la voix

De tous ces mondes invisibles

Semble te révéler parfois

Dans des murmures indicibles ;

En plaignant un siècle grossier,

Qui joindra l'insulte à l'injure

Quand il t'appellera sorcier,

Ou diseur de bonne aventure ;

En lui pardonnant son mépris ;

En essayant, par la prière,

De ranger ses nombreux amis

Sous ton humble et sainte bannière.



J'ai dit : Pars, mon enfant, adieu ;

Ta tâche est lourde et difficile,

Mais crois et espère en ton Dieu,

Il te la rendra plus facile.

Un Esprit Poète.



Dans la séance suivante, 18 mai, le même médium écrivit spontanément ce qui suit : Réponse à une critique de mes vers intitulés : A ton livre, faite un peu trop légèrement vendredi dernier par un inconnu que je ne vois pas ici ce soir.



Dans un mystérieux bocage,

Caché sous le naissant feuillage

De verts lilas, tous les ans

On entendait au printemps

Une gracieuse fauvette

Chanter sa fraîche chansonnette.

Les oiseaux du bois voisin

Accouraient chaque matin

Se placer près d'elle en silence,

Pour écouter mieux la cadence

Que sa voix pure égrenait,

Filait, perlait, modulait

Avec une grâce infinie.

La foule étonnée et ravie

Applaudissait la diva,

Quand, par hasard, arriva

Un jeune merle au noir plumage

Qui se mit à siffler de rage

La monotone chanson

Qu'on admirait sans raison.

La fauvette soudain s'arrête,

Sourit, et dit au trouble-fête :

Vous qui sifflez si bien, vous devez bien chanter.

Ne pourrait-on, beau merle, un jour vous écouter ?

Le merle, sans répondre, aussitôt prit la fuite.

Pourquoi ? Devinez-le… Bonsoir ; moi, je vous quitte.


Alfred de Musset.
La Chenille et le Papillon

Fable de l'Esprit frappeur de Carcassonne.


D'un bouquet de jasmin labourant les contours,

Tremblante, une chenille au déclin de ses jours

Se disait : « Je suis bien malade,

Je ne digère plus la feuille de salade ;

A peine si le chou tente mon appétit ;

Je me meurs petit à petit ;

C'est triste de mourir ! Mieux valait ne pas naître.

Sans murmurer il faut se soumettre ;

A d'autres après moi de tracer leur sillon.

‑ Mais tu ne mourras pas, lui dit un papillon ;

Si j'ai bon souvenir, sur la même charmille

Avec toi j'ai rampé, je suis de la famille ;

L'avenir te prépare un destin plus heureux ;

Peut-être un même amour nous unira tous deux.

Espère !… du sommeil le passage est rapide.

Tout comme je le fus, tu seras chrysalide ;

Comme moi tu pourras, brillante de couleurs,

Respirer le parfum des fleurs. »

La vieille répondit : « Imposture, imposture !

Rien ne saurait changer les lois de la nature ;

L'aubépine jamais ne deviendra jasmin.

A mes anneaux brisés, à mes ressorts si frêles

Quel habile ouvrier viendra fixer des ailes ?

Jeune fou, passe ton chemin.

‑ Chenille ! bien touché ; le possible a ses bornes,

Reprit un escargot, triomphant sous ses cornes. »

Un crapaud applaudit. De son dard, un frelon

Insulta le beau papillon.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Non, ce n'est pas toujours la vérité qui brille.

Ici-bas, que d'aveugles-nés

Niant l'âme des morts. Docteurs, vous raisonnez

A peu près comme la chenille.



Dissertations spirites

Occupations des Esprits

Société de Paris, 16 février 1866. ‑ Médium, M. Leymarie.


Vous avez été si bons à mon égard, messieurs, si obligeants pour un nouveau venu, que je viens encore vous demander quelques instants d'attention.

Depuis mon séjour dans le monde des Esprits, je suis à même de faire quelques remarques dont je fais mon profit, puisqu'elles me donnent la faculté toute-puissante de changer complètement mes idées acquises dans ma dernière incarnation. Je vais donc, si vous voulez bien le permettre, vous faire part de quelques-unes de ces réflexions suggérées par les fausses idées de certains détracteurs du Spiritisme.

Il n'est pas rare d'entendre dire à tous les détracteurs : Mais ceux qui ont fait la trouvaille spirite devraient bien nous renseigner sur le travail des Esprits, rentrés en possession de cette fameuse erraticité. Ont-ils un corps correspondant au nôtre ou un corps fluidique ? Ont-ils la science infuse ? Savent-ils plus que nous ? Alors, pourquoi tant de communications terre à terre, dans un français ordinaire à la portée de tout le monde ? Mais le premier venu peut en dire autant !…

Ils ajoutent encore : mais, ces farceurs d'Esprits, à quelle gymnastique se livrent-ils donc sur des balançoires éternelles ? De quoi vivent-ils ? De quoi s'amusent-ils ? Mais s'ils sont dans l'air ambiant, occupés à nous regarder faire, ils ne doivent pas trouver amusantes toutes nos vilaines actions, toutes nos ridicules pensées. Peut-être sont-ils dans la contemplation éternelle. Et s'ils voient Dieu, comment est faite la Divinité ? Quelle idée peuvent-ils nous donner de sa grandeur ? Hélas ! Dérision ! répètent-ils, et dire qu'il y a des gens soi-disant sensés, qui croient à toutes ces billevesées !

Ces idées-là, je les ai entendu répéter, et, riant comme d'autres, ou plaignant amèrement les adeptes d'une doctrine qui menait à la folie, selon nous, je me suis bien des fois demandé l'explication d'une telle aberration mentale au dix-neuvième siècle.

Un jour, je me suis trouvé libre comme tous mes frères terriens, et parvenu dans ce monde qui m'avait tant fait hausser les épaules, voici ce que j'ai vu :

Les Esprits, selon les facultés acquises sur terre, cherchent le milieu qui leur est propre, à moins que, ne pouvant être dégagés, ils soient dans la nuit, ne percevant et n'entendant rien, dans cette terrible attente qui est bien le véritable enfer de l'Esprit.

La faculté qu'a l'Esprit dégagé de se porter partout par un simple effet de sa volonté lui permet de trouver un milieu où ses facultés puissent se développer par les contrastes et la différence des idées. Lors de la séparation de l'Esprit et du corps, on est conduit par des âmes sympathiques auprès de ceux qui vous attendaient, prévoyant votre arrivée.

Naturellement, j'ai été accueilli par des amis aussi incrédules que moi ; mais comme dans ce monde tant conspué, toutes les vertus sont en évidence, tous les mérites se font jour, toutes les réflexions sont bien reçues, tous les contrastes deviennent la diffusion des lumières. Appelé, par la curiosité, à visiter des groupes nombreux qui préparent d'autres incarnations en étudiant tous les côtés que doit élucider l'Esprit appelé à revenir sur terre, je me suis fait une grande idée de la réincarnation.

Lorsqu'un Esprit se prépare à une nouvelle existence, il soumet ses idées aux décisions du groupe auquel il appartient. Celui-ci discute ; les Esprits qui le composent vont dans les groupes plus avancés ou bien sur terre ; ils cherchent chez vous les éléments d'application. L'Esprit conseillé, fortifié, éclairé sur tous les points pourra désormais, s'il le veut, suivre sa route sans broncher. Il aura dans son pèlerinage terrien une foule d'invisibles qui ne le perdront pas de vue ; ayant participé à ses travaux préparatoires, ils applaudissent à ses résultats, à ses efforts pour vaincre, à sa ferme volonté qui, maîtrisant la matière, lui a permis d'apporter aux autres incarnés un contingent d'acquits et d'amour, c'est-à-dire le bien, selon les grandes instructions, selon Dieu enfin, qui les dicte dans toutes les affirmations de la science, de la végétation, de tous les problèmes enfin, qui sont la lumière de l'Esprit quand il sait les résoudre dans un sens rationnel.

Appartenant au groupe de quelques savants qui s'occupent d'économie politique, j'ai appris à ne mépriser aucune des facultés dont j'ai tant ri jadis ; j'ai compris que l'homme, trop enclin à l'orgueil, se refuse à admettre, même sans étude, tout ce qui est nouveau et en dehors de son genre d'esprit. Je me suis dit aussi que beaucoup de mes anciens amis faisaient fausse route, prenant l'ombre pour la réalité. Néanmoins, j'ai suivi l'ensemble des travaux de l'humanité, où rien n'est inutile. J'ai même compris la grande loi d'égalité et d'équité que Dieu a versée dans tout l'élément humain, et je me suis dit que celui qui ne croit à rien, et qui malgré cela fait le bien et aime ses semblables, sans espoir de rémunération, est un noble Esprit, bien plus noble que beaucoup de ceux qui, prévoyant une autre vie et croyant à l'avancement de l'Esprit, espèrent une récompense. J'ai appris enfin à être tolérant, en voyant ces légions d'Esprits livrés à tant de travaux divers, fourmilière intelligente qui pressent Dieu et cherche à coordonner tous les éléments de l'avenir. Je me suis dit que l'homme, ce pygmée, est tellement orgueilleux qu'il s'aime et s'adore en méprisant les autres, au lieu de se livrer à ses grands instincts et surtout aux idées saines et consciencieuses qu'enseigne la vie future, développées par les idées spiritualistes et surtout par le spiritisme, cette loi magnifique qui fortifie chaque jour de plus en plus la solidarité du monde terrestre et de celui de l'erraticité ; c'est lui qui vous initie à nos pensées, à nos espérances, à tout ce que nous préparons pour votre avancement, pour la fin désirée de la génération qui doit bientôt émigrer dans les régions supérieures.

A une autre fois, merci.

Gui…


Remarque. Cet Esprit, dont nous avons donné une remarquable communication dans la Revue de décembre 1865, page 382, était, de son vivant, un économiste distingué, mais imbu des idées matérialistes, et l'un des railleurs du spiritisme. Cependant, comme c'était un homme avancé intellectuellement et moralement, et cherchant le progrès, il ne fut pas longtemps à reconnaître son erreur, et son plus grand désir eût été de ramener ses amis dans la voie de la vérité. C'est à leur intention qu'il a dicté plusieurs communications. Quelque profonde et logique que soit celle-ci, on voit que le monde des Esprits ne lui est pas encore parfaitement connu. Il est dans l'erreur quand il dit que la génération actuelle doit bientôt émigrer dans les régions supérieures. Sans doute, dans le grand mouvement régénérateur qui s'opère, une partie de cette génération quittera la terre pour des mondes plus avancés ; mais, comme la terre régénérée sera elle-même plus avancée qu'elle ne l'est, beaucoup trouveront une récompense en s'y réincarnant. Quant aux endurcis qui en sont la plaie, comme ils y seraient déplacés et seraient une entrave au progrès, en y perpétuant le mal, c'est dans des mondes plus arriérés qu'ils iront attendre que la lumière se fasse pour eux ; c'est ce qui résulte de la généralité des instructions données sur ce sujet par les Esprits.

Douai, 13 octobre 1865.


Dans un groupe modèle, comme tenue et mise en pratique des devoirs spirites, on remarquait avec surprise que certains Esprits d'élite habitués s'abstenaient depuis quelque temps d'y donner des instructions, ce qui motiva la question suivante :

Demande. D'où vient que les Esprits élevés qui nous assistent d'ordinaire se communiquent plus rarement à nous ?

Réponse. Chers amis, il y a deux causes à cet abandon dont vous vous plaignez. Mais d'abord, ce n'est point un abandon, ce n'est qu'un éloignement momentané et nécessaire. Vous êtes comme des écoliers qui, bien sermonnés et bien pourvus de répétitions préliminaires, sont obligés de faire leurs devoirs sans le concours des professeurs ; ils cherchent dans leur mémoire ; ils guettent un signe, ils épient un mot de secours : rien ne vient, rien ne doit venir.

Vous attendez nos encouragements, des conseils sur votre conduite, sur vos déterminations : rien ne vous satisfait, parce que rien ne doit vous satisfaire. Vous avez été pourvus d'enseignements sages, affectueux, d'encouragements fréquents, pleins d'aménité et de véritable sagesse ; vous avez eu quantité de preuves de notre présence, de l'efficacité de notre aide ; la foi vous a été donnée, communiquée ; vous l'avez saisie, raisonnée, adoptée ; en un mot, comme l'écolier, vous avez été pourvus pour le devoir : il faut le faire sans fautes, avec vos propres ressources, et non plus avec notre concours ; où serait votre mérite ? Nous ne pourrions que vous répéter sans cesse la même chose ; à vous maintenant d'appliquer ce que nous vous avons appris ; il faut voler de vos propres ailes et marcher sans lisières.

A chaque homme, Dieu, à un moment donné, fournit une arme et une force pour continuer à vaincre de nouveaux dangers. Le moment où une force nouvelle se révèle à lui est toujours pour l'homme une heure de joie, d'enthousiasme. La foi ardente accepte alors toute douleur sans l'analyser, car l'amour ne compte pas les peines ; mais après ces soudainetés qui sont la fête, il faut le travail, et le travail seul ; l'âme s'est calmée, le cœur se ralentit, et voilà que la lutte et l'épreuve arrivent ; voilà l'ennemi, il faut soutenir le choc ; c'est le moment décisif. Alors, que l'amour vous transporte et vous fasse dédaigner la terre ! Il faut que votre cœur reste victorieux des lâches instincts d'égoïsme et d'abattement : c'est l'épreuve.

Nous vous l'avons dit depuis longtemps, nous vous avons avertis que vous auriez besoin de vous resserrer, de vous unir, de vous fortifier pour la lutte. Le moment est venu, vous y êtes. Comment allez-vous la soutenir ? Nous ne pouvons plus rien faire, pas plus que le maître ne peut souffler à l'élève sa composition. Gagnera-t-il le prix ? Cela dépend du profit qu'il aura tiré des leçons qu'il a reçues. Ainsi en est-il de vous. Vous possédez un code d'instructions suffisant pour vous conduire jusqu'à un point déterminé. Relisez ces instructions, méditez-les et n'en demandez pas d'autres avant de les avoir sérieusement appliquées, ce dont nous seuls sommes juges, et quand vous serez arrivés au point où elles seront insuffisantes, eu égard à votre avancement moral, nous saurons bien vous en donner d'autres.

La seconde raison de cette sorte d'isolement dont vous vous plaignez est celle-ci : beaucoup de vos conseillers sympathiques ont, auprès d'autres hommes, des missions analogues à celles qu'ils ont voulu d'abord remplir près de vous, et ces multitudes d'évocations dont ils sont l'objet les détournent souvent d'être assidus à votre groupe. Votre amie, Madeleine, remplit au loin un mandat difficile, et ses sollicitudes, tout en étant près de vous, se portent aussi sur ceux qu'elle s'est dévouée à sauver. Mais tout votre monde vous reviendra ; vous retrouverez, dans un temps donné, vos amis réunis comme jadis, dans la même pensée de sympathique concours auprès de leurs protégés. Mettez ce temps à profit pour votre amélioration, afin que, lorsqu'ils reviendront, ils puissent vous dire : nous sommes contents de vous.

Pamphile, Esprit protecteur.


Remarque. Cette communication est une réponse à ceux qui se plaignent de l'uniformité de l'enseignement des Esprits. Si l'on réfléchit au nombre des vérités qu'ils nous ont apprises, on trouvera qu'elles offrent un assez vaste champ à la méditation, jusqu'à ce que nous nous les soyons assimilées, et que nous en ayons déduit toutes les applications. Que dirait-on d'un malade qui demanderait tous les jours un nouveau remède à son médecin, sans suivre ses prescriptions ? Si les Esprits ne nous apprennent pas tous les jours du nouveau, à l'aide de la clef qu'ils ont mise entre nos mains, et des lois qu'ils nous ont révélées, nous apprenons nous-mêmes chaque jour du nouveau, en expliquant ce qui, pour nous, était inexplicable.


Le Travail

Extrait du journal spirite italien : la Voce di Dio ; traduit de l'italien.


La mesure du travail imposé à chaque Esprit incarné ou désincarné est la certitude d'avoir accompli scrupuleusement la mission qui lui a été confiée. Or, chacun a une mission à remplir : celui-ci sur une grande échelle, celui-là sur une plus petite. Cependant, relativement, les obligations sont toutes égales et Dieu vous demandera compte de l'obole qu'il a remise entre vos mains. Si vous avez gagné un intérêt, si vous avez doublé la somme, vous avez certes accompli votre devoir, parce que vous avez obéi à l'ordre suprême. Si, au lieu d'avoir augmenté cette obole, vous l'avez perdue, il est certain que vous avez abusé de la confiance que votre Créateur avait mise en vous ; aussi, serez-vous traité comme un voleur, parce que vous avez pris et non restitué ; loin d'accroître, vous avez dissipé. Or, si, comme je viens de le dire, chaque créature est obligée de recevoir et de donner, combien plus, Spirites, êtes-vous tenus d'obéir à cette loi divine, combien devez-vous faire d'efforts pour remplir ce devoir devant le Seigneur, qui vous a choisis pour partager ses travaux, qui vous a invités à sa table. Songez, mes frères, que le don qui vous est fait est un des souverains biens de Dieu. N'en tirez pas vanité, mais faites tous vos efforts pour mériter cette haute faveur. Si les titres que vous pourriez recevoir d'un grand de la terre, si ses faveurs sont quelque chose de beau à vos yeux, combien plus vous devez vous estimer heureux des dons du maître des mondes ; dons incorruptibles et impérissables, qui vous élèvent au-dessus de vos frères, et seront pour vous la source de joies pures et saintes !

Mais voulez-vous en être les seuls possesseurs ? Voudriez-vous, comme des égoïstes, garder pour vous seuls tant de bonheur et de joie ? Oh ! non, vous avez été choisis comme dépositaires. Les richesses qui brillent à vos yeux ne sont point à vous, mais appartiennent à tous vos frères en général. Vous devez donc les accroître et les distribuer. Comme le bon jardinier qui conserve et multiplie ses fleurs, et vous présente au cœur de l'hiver les délices du printemps ; comme au triste mois de novembre, naissent les roses et les lis, ainsi vous êtes chargés de semer et de cultiver dans votre champ moral des fleurs de toutes les saisons, fleurs qui défieront le souffle de l'aquilon et le vent suffoquant du désert ; fleurs qui, une fois épanouies sur leurs tiges, ne passeront et ne se faneront jamais, mais brillantes et vivaces, seront l'emblème de la verdure et des couleurs éternelles. Le cœur humain est un sol fertile en affection et en doux sentiments, un champ plein de sublimes aspirations quand il est cultivé par les mains de la charité et de la religion.

Oh ! ne réservez pas pour vous seuls ces tiges sur lesquelles poussent toujours de si doux fruits ! Offrez-les à vos frères, invitez-les à venir goûter, sentir le parfum de vos fleurs, à apprendre à cultiver votre champ ; nous vous assisterons, nous trouverons de frais ruisseaux qui, coulant doucement, donneront de la force aux plantes exotiques qui sont les germes de la terre céleste ; venez, nous travaillons avec vous, nous partagerons votre fatigue, afin que vous aussi, vous puissiez amasser de ces biens et en faire part à d'autres frères dans le besoin. Dieu nous donne, et nous, reconnaissants de ses dons, nous les multiplions le plus possible. Dieu nous commande d'améliorer les autres et nous-mêmes, nous remplirons nos obligations et nous sanctifierons sa volonté sublime.

Spirites, c'est à vous que je m'adresse. Nous avons préparé votre champ ; maintenant agissez de manière que tous ceux qui en auront besoin, puissent en jouir largement. Rappelez-vous que toutes les haines, toutes les rancunes, toutes les inimitiés doivent disparaître devant vos devoirs : instruire les ignorants, assister les faibles, avoir compassion des affligés, soutenir les innocents, plaindre ceux qui sont dans l'erreur, pardonner aux ennemis. Toutes ces vertus doivent croître en abondance dans votre champ, et vous devez les implanter dans celui de vos frères. Vous recueillerez une ample moisson et vous serez bénis de notre Père qui est dans les cieux !

Mes chers enfants, j'ai voulu vous dire toutes ces choses afin de vous encourager à supporter avec patience tous ceux qui, ennemis de la nouvelle doctrine, cherchent à vous dénigrer et à vous affliger. Dieu est avec vous, n'en doutez pas. La parole de notre Père céleste est descendue sur votre globe, comme au jour de la création. Il vous envoie une nouvelle lumière, lumière pleine de splendeur et de vérité.

Approchez-vous, attachez-vous étroitement à lui, et suivez courageusement le chemin qui s'ouvre devant vous.

Saint Augustin.

Notices bibliographiques

Les Évangiles expliqués par M. Roustaing[1].


Cet ouvrage comprend l'explication et l'interprétation des Évangiles, article par article, à l'aide de communications dictées par les Esprits. C'est un travail considérable, et qui a, pour les Spirites, le mérite de n'être sur aucun point en contradiction avec la doctrine enseignée par le Livre des Esprits et celui des médiums. Les parties correspondantes à celles que nous avons traitées dans l'Evangile selon le Spiritisme le sont dans un sens analogue. Du reste, comme nous nous sommes bornés aux maximes morales qui, à peu d'exceptions près, sont généralement claires, elles ne sauraient être interprétées de diverses manières ; aussi n'ont-elles jamais fait le sujet des controverses religieuses. C'est pour cette raison que nous avons commencé par là, afin d'être accepté sans conteste, attendant pour le reste que l'opinion générale fût plus familiarisée avec l'idée spirite.

L'auteur de ce nouvel ouvrage a cru devoir suivre une autre marche ; au lieu de procéder par gradation, il a voulu atteindre le but tout d'un coup. Il a donc traité certaines questions que nous n'avons pas jugé opportun d'aborder encore, et dont, par conséquent, nous lui laissons la responsabilité, ainsi qu'aux Esprits qui les ont commentées. Conséquent avec notre principe, qui consiste à régler notre marche sur le développement de l'opinion, nous ne donnerons, jusqu'à nouvel ordre, à ses théories, ni approbation, ni désapprobation, laissant au temps le soin de les sanctionner ou de les contredire. Il convient donc de considérer ces explications comme des opinions personnelles aux Esprits qui les ont formulées, opinions qui peuvent être justes ou fausses, et qui, dans tous les cas, ont besoin de la sanction du contrôle universel, et jusqu'à plus ample confirmation ne sauraient être regardées comme parties intégrantes de la doctrine spirite.

Lorsque nous traiterons ces questions, nous le ferons carrément ; mais c'est qu'alors nous aurons recueilli des documents assez nombreux dans les enseignements donnés de tous côtés par les Esprits, pour pouvoir parler affirmativement et avoir la certitude d'être d'accord avec la majorité ; c'est ainsi que nous avons fait toutes les fois qu'il s'est agi de formuler un principe capital. Nous l'avons dit cent fois, pour nous l'opinion d'un Esprit, quel que soit le nom qu'il porte, n'a que la valeur d'une opinion individuelle ; notre critérium est dans la concordance universelle, corroborée par une rigoureuse logique, pour les choses que nous ne pouvons contrôler par nos propres yeux. A quoi nous servirait de donner prématurément une doctrine comme une vérité absolue, si, plus tard, elle devait être combattue par la généralité des Esprits ?

Nous avons dit que le livre de M. Roustaing ne s'écarte pas des principes du Livre des Esprits et de celui des médiums ; nos observations portent donc sur l'application de ces mêmes principes à l'interprétation de certains faits. C'est ainsi, par exemple, qu'il donne au Christ, au lieu d'un corps charnel, un corps fluidique concrétionné, ayant toutes les apparences de la matérialité, et en fait un agénère. Aux yeux des hommes qui n'auraient pu comprendre alors sa nature spirituelle, il a dû passer en apparence, ce mot est incessamment répété dans tout le cours de l'ouvrage, par toutes les vicissitudes de l'humanité. Ainsi s'expliquerait le mystère de sa naissance : Marie n'aurait eu que les apparences de la grossesse. Ce point, posé comme prémisse et pierre angulaire, est la base sur laquelle il s'appuie pour l'explication de tous les faits extraordinaires ou miraculeux de la vie de Jésus.

Il n'y a sans doute là rien de matériellement impossible pour quiconque connaît les propriétés de l'enveloppe périspritale ; sans nous prononcer pour ou contre cette théorie, nous dirons qu'elle est au moins hypothétique, et que si un jour elle était reconnue erronée, la base faisant défaut, l'édifice s'écroulerait. Nous attendrons donc les nombreux commentaires qu'elle ne manquera pas de provoquer de la part des Esprits, et qui contribueront à élucider la question. Sans la préjuger, nous dirons qu'il a déjà été fait des objections sérieuses à cette théorie, et que, selon nous, les faits peuvent parfaitement s'expliquer sans sortir des conditions de l'humanité corporelle.

Ces observations, subordonnées à la sanction de l'avenir, ne diminuent en rien l'importance de cet ouvrage qui, à côté de choses douteuses à notre point de vue, en renferme d'incontestablement bonnes et vraies, et sera consulté avec fruit par les Spirites sérieux.

Si le fond d'un livre est le principal, la forme n'est pas à dédaigner, et entre aussi pour quelque chose dans le succès. Nous trouvons que certaines parties sont développées trop longuement sans profit pour la clarté. A notre sens, si, en se bornant au strict nécessaire, on avait pu réduire l'ouvrage à deux, ou même à un seul volume, il aurait gagné en popularité.



[1] Les quatre Évangiles, suivis des commandements expliqués en esprit et en vérité par les évangélistes assistés des apôtres. Recueillis et mis en ordre par J. B. Roustaing, avocat à la cour impériale de Bordeaux, ancien bâtonnier. 3 vol. in-12. Prix : 10 fr. 50. Paris, Librairie centrale, 24, boulevard des Italiens. Bordeaux, tous les libraires.


La Voce di Dio

La Voix de Dieu, journal dicté par les Esprits, à la société de Scordia (Sicile) *

L'Italie compte une nouvelle publication spirite périodique. Celle-ci est exclusivement consacrée à l'enseignement des Esprits. Le premier numéro ne contient en effet que des productions médianimiques, y compris même la préface et le discours préliminaire. Voici la liste des sujets traités dans ce numéro :

Préface, conseils donnés à la Société pour la formation du journal. ‑ Discours préliminaire, signé saint Augustin. ‑ Allégorie sur le Spiritisme. ‑ Réverbération de l'âme. ‑ Prévisions. ‑ Résipiscence d'un Esprit souffrant, entretien. ‑ Le travail. ‑ La mort du Christ. ‑ La prière collective. Réponse à une question proposée.

Toutes ces communications portent un incontestable cachet de supériorité au point de vue de la morale et de l'élévation des pensées. On en peut juger par celle sur le Travail que nous publions ci-dessus.

Les Esprits auront donc leur journal, et certes les rédacteurs ne manqueront pas ; mais, de même que chez les incarnés, il y en a de tous les degrés de mérite ; nous comptons sur le jugement des éditeurs pour faire un choix rigoureux parmi ces productions d'outre-tombe, qui ne pourront que gagner en clarté et en intérêt, si, selon les circonstances, elles sont accompagnées de quelques commentaires.


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* Petit in-8°, une livraison par mois. Prix, pour l'Italie : 6 fr. par an ; 3 fr. pour six mois. Un numéro, 60 cent. Adresse : Al signor Dr Gioseppe Modica, in Scordia (Sicile).






Juillet

Du projet de caisse générale de secours et autres institutions pour les Spirites

Dans un des groupes spirites de Paris un médium reçut dernièrement la communication suivante de l'Esprit de sa grand'mère :

« Mon cher enfant, je vais te parler un instant des questions de charité qui te préoccupaient ce matin en allant à ton travail.

Les enfants qui sont livrés à des nourrices mercenaires ; les femmes pauvres qui sont forcées, au mépris de la pudeur qui leur est chère, de servir, dans les hôpitaux, de matière expérimentale aux médecins et aux élèves en médecine, ce sont deux grandes plaies que tous les bons cœurs doivent s'appliquer à guérir, et cela n'est pas impossible ; que les Spirites fassent comme les catholiques, qu'ils s'imposent des sous par semaine et qu'ils capitalisent ces ressources, ils arriveront à des fondations sérieuses, grandes et véritablement efficaces. La charité qui soulage un mal présent est une charité sainte que j'encourage de toutes mes forces ; mais la charité qui se perpétue dans des fondations immortelles comme les misères qu'elle est destinée à soulager, c'est là une charité intelligente et que je serais heureuse de voir mettre en pratique.

Je voudrais qu'un travail fût élaboré qui aurait pour but de créer d'abord un premier établissement dans des proportions restreintes. Quand on aurait vu le bon résultat de cette première création, on passerait à une autre, et l'on grandirait peu à peu comme Dieu veut que l'on grandisse, car le progrès s'accomplit par une marche lente, sage, calculée. Je répète que ce que je propose n'est pas difficile ; il n'y aurait pas un seul spirite véritable qui oserait manquer à l'appel pour le soulagement de ses semblables, et les Spirites sont assez nombreux pour former, par l'accumulation du sou par semaine, un capital suffisant pour un premier établissement à l'usage des femmes malades qui seraient soignées par des femmes et qui cesseraient alors de cacher leurs souffrances pour sauver leur pudeur.

Je livre ces réflexions aux méditations des personnes bienveillantes qui assistent à la séance, et je suis bien convaincue qu'elles porteront de bons fruits. Les groupes de province se rallieraient promptement à une idée si belle, et en même temps si utile et si paternelle ; ce serait d'ailleurs un monument de la valeur morale du spiritisme tant calomnié, et qui le sera longtemps encore avec acharnement.

Je l'ai dit, la charité locale est bonne, elle profite à un individu, mais elle n'élève pas l'esprit des masses comme une œuvre durable. Ne serait-il pas beau que l'on pût repousser la calomnie en disant aux calomniateurs : « Voilà ce que nous avons fait. A l'arbre on reconnaît le fruit ; un mauvais arbre ne donne pas de bons fruits, et un bon arbre n'en donne pas de mauvais. »

Songez aussi aux pauvres enfants qui sortent des hôpitaux, et qui vont mourir entre des mains mercenaires, deux crimes à la fois : celui de livrer l'enfant désarmé et faible, et le crime de celui qui l'a sacrifié sans pitié. Que tous les cœurs élèvent leurs pensées vers les tristes victimes de la société imprévoyante, et qu'ils tâchent de trouver une bonne solution pour les sauver de leurs misères. Dieu veut qu'on essaie, et il donne les moyens d'arriver, il faut agir ; on réussit quand on à la foi, et la foi transporte les montagnes. Que M. Kardec traite la question dans son journal, et vous verrez comment elle sera acclamée avec entraînement et enthousiasme.

J'ai dit qu'il fallait un monument matériel qui attestât la foi des Spirites, comme les pyramides d'Egypte attestent la vanité des Pharaons ; mais, au lieu de faire des folies, faites des œuvres qui portent le cachet de Dieu lui-même. Tout le monde doit me comprendre, je n'insiste pas.

Je me retire, mon cher enfant ; ta bonne grand'mère, comme tu le vois, aime toujours ses petits enfants, comme elle t'aimait quand tu étais tout petit. Je veux que tu les aimes comme moi, et que tu songes à trouver une bonne organisation ; tu le peux si tu le veux, et au besoin nous t'aiderons. Je te bénis.

« Marie G… »

L'idée d'une caisse centrale et générale de secours formée entre les Spirites a déjà été conçue et émise par des hommes animés d'excellentes intentions ; mais il ne suffit pas qu'une idée soit grande, belle et généreuse, il faut avant tout qu'elle soit praticable. Nous avons, certes, donné assez de gages de notre dévouement à la cause du Spiritisme pour n'être pas suspecté d'indifférence à son endroit ; or, c'est précisément par suite de notre sollicitude même que nous cherchons à mettre en garde contre l'enthousiasme qui aveugle ; avant d'entreprendre une chose, il faut en calculer froidement le pour et le contre, afin d'éviter des échecs toujours fâcheux qui ne manqueraient pas d'être exploités par nos adversaires. Le Spiritisme ne doit marcher qu'à coup sûr, et quand il pose le pied quelque part, il doit être assuré d'y trouver un terrain solide. La victoire n'est pas toujours au plus pressé, mais plus sûrement à celui qui sait attendre le moment propice. Il est des résultats qui ne peuvent être que l'œuvre du temps et de l'infiltration de l'idée dans l'esprit des masses ; sachons donc attendre que l'arbre soit formé, avant de lui demander une abondante récolte.

Depuis longtemps nous vous proposions de traiter à fond la question dont il s'agit, pour la poser sur son véritable terrain, et prémunir contre les illusions de projets plus généreux que réfléchis et dont l'avortement aurait des suites fâcheuses. La communication relatée ci-dessus, et sur laquelle on a bien voulu nous demander notre avis, nous en fournit l'occasion toute naturelle. Nous examinerons donc soit le projet de centralisation des secours, soit celui de quelques autres institutions et établissements spéciaux pour le Spiritisme.

Avant tout il convient de se rendre compte de l'état réel des choses. Les Spirites sont très nombreux sans doute, et leur nombre croît sans cesse : sous ce rapport il offre un spectacle unique, celui d'une propagation inouïe dans l'histoire des doctrines philosophiques, car il n'en est aucune, sans en excepter le christianisme, qui ait rallié autant de partisans dans un aussi petit nombre d'années ; ceci est un fait notoire qui confond même ses antagonistes. Et ce qui n'est pas moins caractéristique, c'est que cette propagation, au lieu de se faire autour d'un centre unique, s'opère simultanément sur toute la surface du globe et dans des milliers de centres. Il en résulte que les adeptes, tout en étant très nombreux, ne forment encore nulle part une agglomération compacte.

Cette dispersion qui, au premier abord, semble une cause de faiblesse, est au contraire un élément de force. Cent mille Spirites disséminés sur la surface d'un pays font plus pour la propagation de l'idée que s'ils étaient massés dans une ville ; chaque individualité est un foyer d'action, un germe qui produit des rejetons ; chaque rejeton en produit à son tour plus ou moins, dont les rameaux se réunissant peu à peu, couvriront le pays bien plus promptement que si l'action ne partait que d'un seul point ; c'est absolument comme si une poignée de graines était jetée au vent, au lieu qu'elles soient mises toutes ensemble dans le même trou. Par cette multitude de petits centres, la doctrine est en outre moins vulnérable que si elle n'en avait qu'un seul contre lequel ses ennemis pourraient diriger toutes leurs forces. Une armée primitivement compacte qui est dispersée par la force ou toute autre cause, est une armée perdue ; ici le cas est tout différent : la dissémination des Spirites n'est pas le fait d'une dispersion, c'est l'état primitif tendant à la concentration pour former une vaste unité ; la première est à sa fin, la seconde est à sa naissance.

A ceux donc qui se plaignent de leur isolement dans une localité, nous répondons : Remerciez le ciel, au contraire, de vous avoir choisis pour les premiers pionniers de l'œuvre dans votre contrée. A vous d'en jeter les premières semences ; peut-être ne germeront-elles pas tout de suite ; peut-être n'en recueillerez-vous pas les fruits ; peut-être même aurez-vous à souffrir dans votre labeur, mais songez qu'on ne défriche pas une terre sans travail, et soyez assurés que tôt ou tard ce que vous aurez semé fructifiera ; plus la tâche sera ingrate, plus vous aurez de mérite, n'eussiez-vous fait que frayer la voie à ceux qui viendront après vous.

Sans doute, si les Spirites devaient toujours rester à l'état d'isolement, ce serait une cause permanente de faiblesse ; mais l'expérience prouve à quel point la doctrine est vivace, et l'on sait que pour un rameau abattu, il y en a dix qui renaissent. Sa généralisation est donc une question de temps ; or, quelque rapide que soit sa marche, encore faut-il le temps nécessaire, et tout en travaillant à l'œuvre, il faut savoir attendre que le fruit soit mûr avant de le cueillir.

Cette dissémination momentanée des Spirites, essentiellement favorable à la propagation de la doctrine, est un obstacle pour l'exécution d'œuvres collectives d'une certaine importance, par la difficulté, si ce n'est même l'impossibilité, de réunir sur un même point des éléments assez nombreux.

C'est précisément, dira-t-on, pour obvier à cet inconvénient, pour resserrer les liens de confraternité entre les membres isolés de la grande famille spirite, qu'on a proposé la création d'une caisse centrale de secours. C'est certes là une pensée grande et généreuse qui séduit au premier abord ; mais a-t-on réfléchi aux difficultés de l'exécution ?

Une première question se présente. Jusqu'où s'étendrait l'action de cette caisse ? Serait-elle bornée à la France, ou comprendrait-elle les autres contrées ? Il y a des Spirites sur tout le globe ; est-ce que ceux de tous les pays, de toutes les castes, de tous les cultes, ne sont pas nos frères ? Si donc la caisse recevait des dons de Spirites étrangers, ce qui arriverait infailliblement, aurait-elle le droit de limiter son assistance à une seule nationalité ? Pourrait-elle consciencieusement et charitablement demander à celui qui souffre s'il est Russe, Polonais, Allemand, Espagnol, Italien ou Français ? A moins de manquer à son titre, à son but, à son devoir, elle devrait étendre son action du Pérou jusqu'à la Chine. Il suffit de songer à la complication des rouages d'une telle entreprise pour voir combien elle est chimérique.

Supposons-la circonscrite à la France, ce n'en serait pas moins une administration colossale, un véritable ministère. Qui voudrait assumer la responsabilité d'un tel maniement de fonds ? Pour une gestion de cette nature l'intégrité et le dévouement ne suffiraient pas, il faudrait une haute capacité administrative. Admettons cependant les premières difficultés vaincues, comment exercer un contrôle efficace sur l'étendue et la réalité des besoins, sur la sincérité de la qualité de Spirite ? Une pareille institution verrait bientôt des adeptes, ou soi-disant tels, surgir par millions, mais ce ne serait pas de ceux qui alimenteraient la caisse. Du moment où celle-ci existerait, on la croirait inépuisable, et elle se verrait bientôt dans l'impuissance de satisfaire toutes les exigences de son mandat. Fondée sur une aussi vaste échelle, nous la regardons comme impraticable, et pour notre compte personnel nous n'y prêterions pas la main.

N'aurait-elle pas à craindre, en outre, de rencontrer de l'opposition à sa constitution même ? Le Spiritisme naît à peine, et n'est pas encore partout tellement en odeur de sainteté qu'il soit à l'abri des suppositions malveillantes. Ne pourrait-on se méprendre sur ses intentions dans une opération de ce genre ; supposer que, sous un manteau, il cache un autre but ; faire, en un mot, des assimilations dont exciperaient ses adversaires, pour exciter la défiance contre lui ? Le Spiritisme, par sa nature, n'est et ne peut être ni une affiliation, ni une congrégation ; il doit donc, dans son propre intérêt, éviter tout ce qui en aurait l'apparence.

Faut-il donc que, par crainte, le Spiritisme reste stationnaire ? n'est-ce pas en agissant, dira-t-on, qu'il montrera ce qu'il est, qu'il dissipera les défiances et déjouera la calomnie ? Sans aucun doute, mais il ne faut pas demander à l'enfant ce qui exige les forces de l'âge viril. Loin de servir le Spiritisme, ce serait le compromettre et l'offrir aux coups ou à la risée de ses adversaires, que de mêler son nom à des choses chimériques. Certes, il doit agir, mais dans la limite du possible. Laissons-lui donc le temps d'acquérir les forces nécessaires, et alors il donnera plus qu'on ne croit. Il n'est pas même encore complètement constitué en théorie ; comment veut-on qu'il donne ce qui ne peut être que le résultat du complément de la doctrine ?

Il est d'ailleurs d'autres considérations dont il importe de tenir compte.

Le Spiritisme est une croyance philosophique, et il suffit de sympathiser avec les principes fondamentaux de la doctrine pour être Spirite. Nous parlons des Spirites convaincus et non de ceux qui en prennent le masque, par des motifs d'intérêt ou autres tout aussi peu avouables ; ceux-là ne font pas nombre : chez eux il n'y a aucune conviction ; ils se disent Spirites aujourd'hui, par l'espoir d'y trouver leur avantage ; ils seront adversaires demain, s'ils n'y trouvent pas ce qu'ils cherchent ; ou bien ils se poseront en victimes de leur dévouement factice, et accuseront les Spirites d'ingratitude de ne pas les soutenir. Ce ne seraient pas les derniers à exploiter la caisse générale, pour se relever de spéculations avortées, ou réparer des désastres causés par leur incurie ou leur imprévoyance, et à lui jeter la pierre si elle ne les satisfaisait pas. Il ne faut pas s'en étonner, toutes les opinions comptent de pareils auxiliaires et voient se jouer de semblables comédies.

Il y a aussi la masse considérable des Spirites d'intuition ; ceux qui le sont par la tendance et la prédisposition de leurs idées, sans étude préalable ; les indécis qui flottent encore en attendant les éléments de conviction qui leur sont nécessaires ; on peut, sans exagération, les évaluer au quart de la population. C'est la grande pépinière où se recrutent les adeptes, mais ils ne comptent pas encore dans le nombre.

Parmi les Spirites réels, ceux qui constituent le véritable corps des adhérents, il y a certaines distinctions à faire. En première ligne il faut mettre les adeptes de cœur, animés d'une foi sincère, qui comprennent le but et la portée de la doctrine, et en acceptent toutes les conséquences pour eux-mêmes ; leur dévouement est à toute épreuve et sans arrière-pensée ; les intérêts de la cause, qui sont ceux de l'humanité, leur sont sacrés, et jamais ils ne les sacrifieront à une question d'amour-propre ou d'intérêt personnel ; pour eux le côté moral n'est pas une simple théorie : ils s'efforcent de prêcher d'exemple ; ils n'ont pas seulement le courage de leur opinion : ils s'en font gloire, et savent au besoin payer de leur personne.

Viennent ensuite ceux qui acceptent l'idée, comme philosophie, parce qu'elle satisfait leur raison, mais dont la fibre morale n'est pas suffisamment touchée pour comprendre les obligations que la doctrine impose à ceux qui se l'assimilent. Le vieil homme est toujours là, et la réforme de soi-même leur semble une tâche trop lourde ; mais comme ils n'en sont pas moins fermement convaincus, et l'on trouve parmi eux des propagateurs et des défenseurs zélés.

Puis il y a les gens légers pour qui le Spiritisme est tout entier dans les manifestations ; pour eux c'est un fait, et rien de plus ; le côté philosophique passe inaperçu ; l'attrait de la curiosité est leur principal mobile, ils s'extasient devant un phénomène, et restent froids devant une conséquence morale.

Il y a enfin le nombre encore très grand des Spirites plus ou moins sérieux qui n'ont pu se mettre au-dessus des préjugés et du qu'en dira-t-on, que la crainte du ridicule retient ; ceux que des considérations personnelles ou de famille, des intérêts souvent respectables à ménager, forcent en quelque sorte à se tenir à l'écart ; tous ceux, en un mot, qui, par une cause ou par une autre, bonne ou mauvaise, ne se mettent pas en évidence. La plupart ne demanderaient pas mieux de s'avouer, mais ils n'osent pas ou ne le peuvent pas ; cela viendra plus tard, à mesure qu'ils verront les autres le faire et qu'il n'y a pas de danger ; ce seront les Spirites du lendemain, comme d'autres sont ceux de la veille. On ne peut cependant pas trop leur en vouloir, car il faut une force de caractère qui n'est pas donnée à tout le monde, pour braver l'opinion dans certain cas. Il faut donc faire la part de la faiblesse humaine ; le Spiritisme n'a pas le privilège de transformer subitement l'humanité, et si l'on peut s'étonner d'une chose, c'est du nombre des réformes qu'il a déjà opérées en si peu de temps. Tandis que chez les uns, où il trouve le terrain préparé, il entre pour ainsi dire tout d'une pièce, chez d'autres il ne pénètre que goutte à goutte, selon la résistance qu'il rencontre dans le caractère et les habitudes.

Tous ces adeptes comptent dans le nombre, et quelque imparfaits qu'ils soient, ils sont toujours utiles, quoique dans une limite restreinte. Ne serviraient-ils, jusqu'à nouvel ordre, qu'à diminuer les rangs de l'opposition, ce serait déjà quelque chose ; c'est pourquoi il ne faut dédaigner aucune adhésion sincère, même partielle.

Mais quand il s'agit d'une œuvre collective importante où chacun doit apporter son contingent d'action, comme serait celle d'une caisse générale, par exemple, il convient de faire entrer ces considérations en ligne de compte, car l'efficacité du concours que l'on peut espérer est en raison de la catégorie à laquelle appartiennent les adeptes. Il est bien évident qu'on ne peut faire grand fond sur ceux qui ne prennent pas à cœur le côté moral de la doctrine, et encore moins sur ceux qui n'osent pas se montrer.

Restent donc les adeptes de la première catégorie ; de ceux-là, certes, on peut tout attendre, ce sont les soldats de l'avant-garde, et qui le plus souvent n'attendent pas l'appel quand il s'agit de faire preuve d'abnégation et de dévouement ; mais dans une coopération financière, chacun y contribue selon ses ressources et le pauvre ne peut donner que son obole. Aux yeux de Dieu cette obole a une grande valeur, mais pour les besoins matériels elle n'a que sa valeur intrinsèque. En défalquant tous ceux dont les moyens d'existence sont bornés, ceux qui eux-mêmes vivent au jour le jour de leur travail, le nombre de ceux qui pourraient contribuer un peu largement et d'une manière efficace est relativement restreint.

Une remarque à la fois intéressante et instructive est celle de la proportion des adeptes suivant les catégories. Cette proportion a sensiblement varié, et se modifie en raison des progrès de la doctrine ; mais en ce moment elle peut être approximativement évaluée de la manière suivante : 1re catégorie, Spirites complets de cœur et de dévouement, 10 sur 100 adeptes ; 2e catégorie, Spirites incomplets, cherchant plus le côté scientifique que le côté moral, 25 sur 100 ; 3e catégorie, Spirites légers, ne s'intéressant qu'aux faits matériels, 5 sur 100 (cette proportion était inverse il y a dix ans) ; 4e catégorie, Spirites non avoués ou qui se cachent, 60 sur 100.

Relativement à la position sociale, on peut faire deux classes générales : d'une part, ceux dont la fortune est indépendante ; de l'autre, ceux qui vivent de leur travail. Sur 100 Spirites de la première catégorie, il y a, en moyenne, 5 riches contre 95 travailleurs ; dans la seconde, 70 riches et 30 travailleurs ; dans la troisième, 80 riches et 20 travailleurs ; dans la quatrième, 99 riches et 1 travailleur.

Ce serait donc se faire illusion de croire qu'en de telles conditions une caisse générale pût satisfaire à tous les besoins, alors que celle du plus riche banquier n'y suffirait pas ; ce ne seraient pas quelques milliers de francs qu'il faudrait chaque année, mais des millions.

D'où vient cette différence dans la proportion des riches et de ceux qui ne le sont pas ? La raison en est bien simple : les affligés trouvent dans le Spiritisme une immense consolation qui les aide à supporter le fardeau des misères de la vie ; il leur donne la raison de ces misères et la certitude d'une compensation. Il n'est donc pas surprenant que, jouissant plus du bienfait, ils l'apprécient plus et le prennent plus à cœur que les heureux du monde.

On s'est étonné que, lorsque de semblables projets ont été mis en avant, nous ne nous soyons pas empressés de les appuyer et de les patronner : c'est qu'avant tout nous tenons aux idées positives et pratiques ; le spiritisme est pour nous une chose trop sérieuse pour l'engager prématurément dans les voies où il pourrait rencontrer des déceptions. Il n'y a là, de notre part, ni insouciance ni pusillanimité, mais prudence, et toutes les fois qu'il sera mûr pour aller de l'avant, nous ne resterons pas en arrière. Ce n'est pas que nous nous attribuons plus de perspicacité qu'aux autres ; mais, notre position nous permettant de voir l'ensemble, nous pouvons juger le fort et le faible mieux peut-être que ceux qui se trouvent dans un cercle plus restreint. Du reste, nous donnons notre opinion, et nous n'entendons l'imposer à personne.

Ce qui vient d'être dit au sujet de la création d'une caisse générale et centrale de secours, s'applique naturellement aux projets de fondation d'établissements hospitaliers et autres ; or, ici, l'utopie est plus évidente encore. S'il est facile de jeter un canevas sur le papier, il n'en est plus de même quand on arrive aux voies et moyens d'exécution. Construire un édifice ad hoc, c'est déjà énorme, et quand il serait fait, il faudrait le pourvoir d'un personnel suffisant et capable, puis assurer son entretien, car de tels établissements coûtent beaucoup et ne rapportent rien. Ce ne sont pas seulement de grands capitaux qu'il faut, mais de grands revenus. Admettons cependant qu'à force de persévérance et de sacrifices on arrive à créer, comme on le dit, un petit échantillon, combien minimes ne seraient pas les besoins auxquels il pourrait satisfaire, eu égard à la masse et à la dissémination des nécessiteux sur un vaste territoire ! Ce serait une goutte d'eau dans la rivière, et, s'il y a tant de difficultés pour un seul, même sur une petite échelle, ce serait bien pis s'il s'agissait de les multiplier. L'argent ainsi employé ne profiterait donc, en réalité, qu'à quelques individus, tandis que, judicieusement réparti, il aiderait à vivre un grand nombre de malheureux.

Ce serait un modèle, un exemple, soit ; mais pourquoi s'ingénier à créer des chimères, quand les choses existent toutes faites, toutes montées, toutes organisées, avec des moyens plus puissants que n'en posséderont jamais des particuliers ? Ces établissements laissent à désirer ; il y a des abus ; ils ne répondent pas à tous les besoins, cela est évident, et cependant, si on les compare à ce qu'ils étaient il y a moins d'un siècle, on constate une immense différence et un progrès constant ; chaque jour voit s'introduire quelque amélioration. On ne saurait donc douter qu'avec le temps de nouveaux progrès se réaliseront par la force des choses. Les idées spirites doivent infailliblement hâter la réforme de tous les abus, parce que, mieux que d'autres, elles pénètrent les hommes du sentiment de leurs devoirs ; partout où elles s'introduiront, les abus tomberont et le progrès s'accomplira. C'est donc à les répandre qu'il faut s'attacher : là est la chose possible et pratique, là est le véritable levier, levier irrésistible quand il aura acquis une force suffisante par le développement complet des principes et le nombre des adhérents sérieux. A juger de l'avenir par le présent, on peut affirmer que le Spiritisme aura amené la réforme de bien des choses longtemps avant que les Spirites n'aient pu achever le premier établissement du genre de ceux dont nous parlons, si jamais ils l'entreprenaient, dussent-ils même tous donner un sou par semaine. Pourquoi donc user ses forces en efforts superflus, au lieu de les concentrer sur le point accessible et qui doit mener sûrement au but ? Mille adeptes gagnés à la cause et répandus en mille lieux divers hâteront plus la marche du progrès qu'un édifice.

Le Spiritisme, dit l'Esprit qui a dicté la communication ci-dessus, doit s'affirmer et montrer ce qu'il est par un monument durable élevé à la charité. Mais que sertirait un monument à la charité, si la charité n'est pas dans le cœur ? Il en élève un plus durable qu'un monument de pierre : c'est la doctrine et ses conséquences pour le bien de l'humanité. C'est à celui-là que chacun doit travailler de toutes ses forces, car il durera plus que les pyramides d'Égypte.

De ce que cet Esprit se trompe, selon nous, sur ce point, cela ne lui ôte rien de ses qualités : il est incontestablement animé d'excellents sentiments ; mais un Esprit peut être très bon, sans être un appréciateur infaillible de toutes choses ; tout bon soldat n'est pas nécessairement bon général.

Un projet d'une réalisation moins chimérique est celui de la formation de sociétés de secours mutuels entre les Spirites d'une même localité ; mais encore ici on ne peut échapper à quelques-unes des difficultés que nous avons signalées : le défaut d'agglomération, et le chiffre encore restreint de ceux sur lesquels on peut compter pour un concours effectif. Une autre difficulté vient de la fausse assimilation que l'on fait des Spirites et de certaines classes d'individus. Chaque profession présente une délimitation nettement tranchée ; on peut facilement établir une société de secours mutuels entre gens d'une même profession, entre ceux d'un même culte, parce qu'ils se distinguent par quelque chose de caractéristique, et par une position en quelque sorte officielle et reconnue ; il n'en est pas ainsi des Spirites, qui ne sont enregistrés nulle part comme tels, et dont aucun brevet ne constate la croyance ; il y en a dans tous les rangs de la société, dans toutes les professions, dans tous les cultes, et nulle part ils ne constituent une classe distincte. Le Spiritisme étant une croyance fondée sur une conviction intime dont on ne doit compte à personne, on ne connaît guère que ceux qui se mettent en évidence ou fréquentent les groupes, et non le nombre bien autrement considérable de ceux qui, sans se cacher, ne font partie d'aucune réunion régulière. Voilà pourquoi, malgré la certitude où l'on est que les adeptes sont nombreux, il est souvent difficile d'arriver à un chiffre suffisant quand il s'agit d'une opération collective.

A l'égard des sociétés de secours mutuels, il se présente une autre considération. Le Spiritisme ne forme et ne doit pas former de classe distincte, puisqu'il s'adresse à tout le monde ; par son principe même il doit étendre sa charité indistinctement, sans s'enquérir de la croyance, parce que tous les hommes sont frères ; s'il fonde des institutions charitables exclusives pour les adeptes, il est forcé de dire à celui qui réclame assistance : « Etes-vous des nôtres, et quelle preuve en donnez-vous ? Sinon, nous ne pouvons rien pour vous. » Il mériterait ainsi le reproche d'intolérance qu'on adresse à d'autres. Non, pour faire le bien, le Spirite ne doit pas scruter la conscience et l'opinion, et eût-il devant lui un ennemi de sa foi malheureux, il doit lui venir en aide dans la limite de ses facultés. C'est en agissant ainsi que le Spiritisme montrera ce qu'il est, et prouvera qu'il vaut mieux que ce qu'on lui oppose.

Les sociétés de secours mutuels se multiplient de tous les côtés et dans toutes les classes de travailleurs. C'est une excellente institution, prélude du règne de la fraternité et de la solidarité dont on sent le besoin ; elles profitent aux Spirites qui en font partie, comme à tout le monde ; pourquoi donc en fonderaient-ils pour eux seuls d'où les autres seraient exclus ? Qu'ils aident à les propager, puisqu'elles sont utiles ; que, pour les rendre meilleures, ils y fassent pénétrer l'élément spirite en y entrant eux-mêmes, cela sera plus profitable pour eux et pour la doctrine. Au nom de la charité évangélique inscrite sur leur drapeau, au nom des intérêts du Spiritisme, nous les adjurons d'éviter tout ce qui peut établir une barrière entre eux et la société. Alors que le progrès moral tend à abaisser celles mêmes qui divisent les peuples, le Spiritisme ne doit pas en élever ; son essence est de pénétrer partout ; sa mission, d'améliorer tout ce qui existe ; il y faillirait s'il s'isolait.

La bienfaisance doit-elle dont rester individuelle, et, dans ce cas, son action n'est-elle pas plus bornée que si elle est collective ? La bienfaisance collective a d'incontestables avantages, et bien loin d'en détourner, nous l'encourageons. Rien n'est plus facile que de la pratiquer dans les groupes, en recueillant par voie de cotisations régulières ou de dons facultatifs les éléments d'un fonds de secours ; mais alors, agissant dans un cercle restreint, le contrôle des véritables besoins est facile ; la connaissance que l'on peut en avoir permet une répartition plus judicieuse et plus profitable ; avec une somme modique, bien distribuée et donnée à propos, on peut rendre plus de services réels qu'avec une grosse somme donnée sans connaissance de cause et pour ainsi dire au hasard. Il est donc nécessaire de pouvoir se rendre compte de certains détails, si l'on ne veut pas gaspiller inutilement ses ressources ; or on comprend que de tels soins seraient impossibles si l'on opérait sur une vaste échelle ; ici, point de dédale administratif, point de personnel bureaucratique ; quelques personnes de bonne volonté, et voilà tout.

Nous ne pouvons donc qu'encourager de toutes nos forces la bienfaisance collective dans les groupes spirites ; nous en connaissons à Paris, en Province et à l'Étranger qui sont fondés, sinon exclusivement, du moins principalement dans ce but, et dont l'organisation ne laisse rien à désirer ; là, des membres dévoués vont à domicile s'enquérir des souffrances, et porter ce qui vaut quelquefois mieux que les secours matériels : les consolations et les encouragements. Honneur à eux, car ils méritent bien du Spiritisme ! Que chaque groupe agisse ainsi dans sa sphère d'activité, et tous ensemble réaliseront plus de bien que ne pourrait le faire une caisse centrale quatre fois plus riche.

Statistique de la Folie

Le Moniteur du 16 avril 1866, contenait le rapport quinquennal adressé à l'Empereur par le Ministre de l'agriculture, du commerce et des travaux publics, sur l'état de l'aliénation mentale en France. Ce rapport très étendu, savamment et consciencieusement fait, est une preuve de la sollicitude que le Gouvernement apporte dans cette grave question d'humanité. Les documents précieux qu'il renferme attestent une observation attentive. Ils nous intéressent d'autant plus qu'ils sont le démenti formel et authentique des accusations lancées par les adversaires du Spiritisme, désigné par eux comme cause prépondérante de la folie. Nous en extrayons les passages les plus saillants.

Ces documents constatent, il est vrai, un accroissement considérable dans le nombre des aliénés, mais on verra que le Spiritisme y est complètement étranger. Ce nombre qui, dans les asiles spéciaux, était en 1835 de 10,539, se trouvait en 1861 de 30,229 ; c'est donc une augmentation de 19, 700 en 26 ans, soit en moyenne 750 par année, ainsi qu'il résulte du tableau suivant :



Au 1er janvier Au 1er janvierAu 1er janvier

183510,539 184416,255 185323,795

183611,091 184517,089 185424,524

183711,429 184618,013 185524,896

183811,982 184719,023 185625,485

183912,577 184819,570 185726,305

184013,283 184920,231 185827,028

184113,887 185020,061 185927,878

184215,280 185121,353 186028,761

184315,786 185222,495 186130,239



Le rapport constate en outre ce fait capital que l'augmentation a été progressive d'année en année de 1835 à 1846, et que, depuis lors, elle a été en décroissance, comme l'indique le tableau ci-après :

Période de 1836 à 1841, accroissement annuel 5.04 p. 100

Période de 1841 à 1846, accroissement annuel 5.94 p. 100

Période de 1846 à 1851, accroissement annuel 3.71 p. 100

Période de 1851 à 1856, accroissement annuel 3.87 p. 100

Période de 1856 à 1861, accroissement annuel 3.14 p. 100



« En présence de ce ralentissement, dit M. le Ministre, qui s'est également produit, comme je l'établirai plus loin, dans les admissions, il est probable que l'accroissement tout à fait exceptionnel dans la population de nos asiles s'arrêtera bientôt.

Le nombre de malades que pouvaient convenablement abriter nos asiles était, à la fin de 1860, de 31,550. L'effectif des malades entretenus à la même époque s'élevait à 30,239. Le nombre des places disponibles n'était en conséquence que de 1,321.

Au point de vue de la nature de leur infirmité, les malades en traitement le 1er janvier de chacune des années 1856-1861 (seules années pour lesquelles la distinction ait été faite) se classaient ainsi qu'il suit :



Années.Fous.Idiots. Crétins.

185622,602 2,84043

185723,283 2,97646

185823,851 3,13443

185924,395 3,44340

186025,147 3,57737

186126,450 3,74643



« Le fait saillant de ce tableau, c'est l'augmentation considérable, par rapport aux fous, du nombre des idiots traités dans les asiles. Elle a été, en cinq ans, de 32 p. 100, tandis que, dans le même intervalle, l'effectif des fous ne s'est élevé que de 14 p. 100. Cette différence est la conséquence de l'admission dans nos asiles d'un grand nombre d'idiots qui restaient antérieurement au sein des familles.

Divisé par sexes, l'effectif de la population totale des asiles offre, chaque année, un excédent numérique du sexe féminin sur le sexe masculin. Voici les chiffres constatés pour les malades présents à la fin de chacune des années 1854-1860 :



Années.Sexe masculin.Sexe féminin.

185412,036 12,860

185512,22113,264

185612,632 13,673

185712,930 14,098

185813,392 14,486

185913,876 14,885

186014,582 15,657



« La moyenne annuelle, calculée sur cette période de six années, est, pour 100 malades, de 51.99 femmes et 48.10 hommes. Cette disproportion des deux sexes, qui se reproduit chaque année depuis 1842, avec de faibles différences, est très remarquable en présence de la supériorité numérique bien constatée du sexe masculin dans les admissions, où l'on compte 52,91 hommes sur 100 malades admis. Elle est due, comme il a été expliqué dans la précédente publication, à la plus grande mortalité de ces derniers, et en outre à ce que leur séjour à l'asile est notablement moins long que celui des femmes.

A partir de 1856, les malades en traitement dans les asiles ont été classés d'après les chances de guérison que leur état paraissait offrir. Les chiffres ci-après résument les faits constatés pour la catégorie des fous en traitement le 1er janvier de chaque année :



Années.Présumés curablesPrésumés incurablesTotaux

18564,40418,198 22,602

18574,38918,894 23,283

18584,26619,585 24,851

18594,61319,782 24,395

18604,49919,648 25,147



« Ainsi, plus des quatre cinquièmes des fous entretenus dans nos asiles n'offrent aucune chance de guérison. Ce triste résultat est la conséquence de l'incurie ou de la tendresse aveugle de la plupart des familles, qui ne se séparent que le plus tard possible de leurs aliénés, c'est-à-dire lorsque leur mal invétéré ne laisse aucun espoir de guérison.

On sait avec quel soin les médecins de nos asiles d'aliénés, au moment de l'admission d'un malade, cherchent à déterminer la cause de sa folie, afin de pouvoir arriver à attaquer le mal dans son principe et y appliquer un remède approprié à sa nature. Si scrupuleuses, si consciencieuses que soient ces investigations médicales, leurs résultats, il ne faut pas l'oublier, sont loin d'équivaloir à des faits suffisamment établis. Ils ne reposent, en effet, que sur des appréciations dont l'exactitude peut souffrir de différentes circonstances. C'est d'abord l'extrême difficulté de découvrir entre les diverses influences qu'a subies la raison du malade, la cause décisive, celle dont l'aliénation est sortie. Mentionnons ensuite la répugnance des familles à faire au médecin des confidences complètes. Peut-être faut-il tenir compte également de la tendance actuelle de la plupart des médecins à considérer les causes morales comme tout à fait secondaires et accidentelles, pour attribuer de préférence le mal à des causes purement physiques.

C'est sous le bénéfice de ces observations que je vais aborder l'examen des tableaux relatifs aux causes présumées d'aliénation des 38,988 malades admis de 1856 à 1860.

La folie se produit-elle plus souvent sous l'influence de causes physiques que de causes morales ? Voici les faits recueillis sur ce point (élimination faite de l'hérédité), pour les fous admis dans chacune des cinq années de la période 1856 à 1860 :



Causes physiquesCauses morales



18562,7301,724

18573,2132,171

18583,2022,217

18593,2771,986

18603,4442,259

Totaux15,866 10,357



« D'après ces chiffres, sur 1,000 cas de folie, 607 ont été rapportés à des causes physiques et 393 à des causes morales. La folie se produirait donc beaucoup plus souvent sous des influences physiques. Cette observation est commune à l'un et l'autre sexe, avec cette différence toutefois que, pour les femmes, le nombre des cas dont l'origine a été attribuée à des causes morales est relativement plus élevé que pour les hommes.

Les 15,866 cas où la folie a paru provoquée par une cause physique se décomposent ainsi qu'il suit :

Effet de l'âge (démence sénile)…………….2,098

Dénuement et misère…………………….1,008

Onanisme et abus vénériens……………..1,026

Excès alcooliques………………………..3,455

Vice congénital………………………….4.74

Maladies propres à la femme………………1,592

Epilepsie…………………………………1,498

Autres maladies du système nerveux……1,136

Coups, chutes, blessures, etc…………….3.98

Maladies diverses………………………..2,866

Autres causes physiques…………………1,164



Total……………………………………..15,866



« Quant aux phénomènes de l'ordre moral, ceux qui paraissent produire le plus souvent la folie, sont : d'abord les chagrins domestiques et l'exaltation des sentiments religieux ; puis viennent ensuite les revers de fortune et l'ambition déçue. Voici, au surplus, l'énumération détaillée des 10,357 cas de folie signalés comme la conséquence immédiate de divers incidents de la vie morale :

Excès de travail intellectuel………………3.58

Chagrins domestiques……………………2,549

Chagrins résultant de la perte de la fortune..8.51

Chagrins résultant de la perte d'une personne chère 8.03

Chagrins résultant de l'ambition déçue……5.20

Remords…………………………………..1.02

Colère…………………………………….1.23

Joie …………………………………………0.31

Pudeur blessée……………………………0.69

Amour………………………………….. 7.67

Jalousie…………………………………. 4.56

Orgueil…………………………………..3.68

Événements politiques…………………. 1.23

Passage subit d'une vie active à une vie inactive, et vice-versa 0.82

Isolement et solitude…………………….1.15

Emprisonnement simple………………....1.13

Emprisonnement cellulaire……………0.26

Nostalgie…………………………………0.78

Sentiments religieux poussés à l'excès…..1,095

Autres causes morales……………………1,728

Totaux…………………………………….10,357



« En somme, abstraction faite de l'hérédité, il résulte des observations recueillies sur les malades admis dans nos asiles d'aliénés pendant la période 1856-1860, que, de toutes les causes qui concourent à provoquer la folie, la plus ordinaire est l'ivrognerie. Viennent ensuite les chagrins domestiques, l'âge, les maladies de différents organes, l'épilepsie, l'exaltation religieuse, l'onanisme et les privations de toutes sortes.

Le tableau suivant donne le nombre des paralytiques, épileptiques, sourds-muets, scrofuleux et goitreux parmi les malades admis pour la première fois de 1856 à 1860 :



Fous.Idiots-crétins

Paralytiques.377569

Epileptiques.1763347

Sourds-muets.13361

Scrofuleux. 381146

Goitreux.12332



« La folie se complique de la paralysie beaucoup plus souvent chez la femme. Parmi les épileptiques, il y a également plus d'hommes que de femmes, mais dans une proportion moins forte.

Si l'on recherche maintenant, en distinguant les sexes, dans quelles proportions les guérisons se sont produites chaque année, relativement au nombre des malades traités, on obtient les résultats qui suivent :



Années.Hommes.Femmes.2 Sexes.

18548.93 % 8.65 % 8.79 %

18558.92 % 8.81 % 8.86 %

18568.00 % 7.69 % 7.83 %

18578.11 % 7.45 % 7.62 %

18588.02 % 6.74 % 7.37 %

18597.69 % 6.71 % 7.19 %

18607.05 % 6.95 % 7.00 %



« On voit que, si la folie est curable, le nombre proportionnel des guérisons est encore bien restreint, malgré les améliorations de toute nature apportées dans le traitement des malades et l'appropriation des asiles. De 1856 à 1860, la proportion moyenne des guérisons a été, pour les fous des deux sexes réunis, de 8.24 sur 100 malades traités. C'est le douzième seulement. Cette proportion serait beaucoup plus élevée, si les familles n'avaient le tort grave de ne se séparer de leurs aliénés que lorsque la maladie a déjà fait des progrès inquiétants.

Un fait digne de remarque, c'est que le nombre proportionnel des hommes guéris excède, chaque année, celui des femmes. Sur 100 fous traités, on a compté en moyenne, de 1856 à 1860, 8.69 guérisons pour les hommes et 7.81 seulement pour les femmes, soit un neuvième environ en plus pour les aliénés du sexe masculin.

Parmi les 13,687 fous sortis après guérison, de 1856 à 1860, il en est seulement 9,789 pour lesquels on a pu déterminer les influences diverses qui avaient occasionné leur affection mentale. Voici le résumé des indications recueillies à ce point de vue :



Causes physiques 5,253guéris.

Causes morales4,536

Total9,789



« En représentant par 1,000 ce nombre total, on trouve que, chez 536 malades guéris, la folie était survenue à la suite de causes physiques, et, chez 464, à la suite d'influences morales. Ces proportions numériques diffèrent assez sensiblement de celles précédemment constatées, en ce qui concerne les admissions de 1856 à 1860, où l'on a compté, sur 1,000 admis, 393 malades seulement dont la folie avait une cause morale. D'où il résulte que, parmi cette catégorie de malades, les guérisons obtenues auraient été relativement plus nombreuses que parmi ceux dont la folie a eu une cause physique.

Près de la moitié des cas guéris, pour lesquels la cause du mal a été recueillie, était due aux circonstances ci-après : ivrognerie, 1,738 ; chagrins domestiques, 1,171 ; maladies diverses, 761 ; maladies propres à la femme, 723 ; exaltation des sentiments religieux, 460.

Chez 1,522 malades guéris, on a constaté une prédisposition héréditaire. C'est une proportion, de 15 p. 100 par rapport au chiffre des fous guéris. »

De ces documents, il résulte d'abord que l'accroissement de la folie, constaté depuis 1835, est de près de vingt ans antérieur à l'apparition du Spiritisme en France, où l'on ne s'est occupé des tables tournantes, comme amusement plutôt que comme chose sérieuse, que depuis 1852, et de la partie philosophique que depuis 1857. En second lieu, cette augmentation a suivi chaque année une marche ascendante de 1835 à 1846 ; de 1847 à 1861, elle a été en diminuant d'année en année ; et la diminution a été la plus forte de 1856 à 1861, précisément dans la période où le Spiritisme prenait son développement. Or, c'est précisément aussi vers cette époque qu'on publiait des brochures, et que les journaux s'empressaient de répéter que les maisons d'aliénés étaient encombrées de fous spirites, à tel point que plusieurs avaient été obligées d'augmenter leurs bâtiments ; qu'on y en comptait en tout plus de quarante mille. Comment pouvait-il y en avoir plus de 40,000 alors que le rapport constate un chiffre maximum de 30,339 ? A quelle source plus certaine que celle de l'autorité ces messieurs puisaient-ils leurs renseignements ? Ils provoquaient une enquête : la voilà faite aussi minutieusement que possible, et on voit si elle leur donne raison.

Ce qui ressort également du rapport, c'est le nombre des idiots et des crétins, qui entre pour une part considérable dans le compte général, et l'augmentation annuelle de ce nombre, qui ne peut évidemment être attribuée au Spiritisme.

Quant aux causes prédominantes de la folie, elles ont été, comme on le voit, minutieusement étudiées, et cependant le Spiritisme n'y figure ni nominativement ni par allusion. Aurait-il passé inaperçu si, comme quelques-uns le prétendent, il avait à lui seul peuplé les maisons d'aliénés ?

Nous ne pensons pas qu'on attribue au ministre la pensée d'avoir voulu ménager les Spirites en s'abstenant de les mentionner s'il y avait eu lieu de le faire. Dans tous les cas, certains chiffres viendraient récuser toute part prépondérante du Spiritisme dans l'état des choses ; s'il en était autrement, les causes morales l'emporteraient en nombre sur les causes physiques, tandis que c'est le contraire qui a lieu ; le chiffre des aliénés réputés incurables ne serait pas quatre et cinq fois plus fort que celui des malades présumés curables, et le rapport ne dirait pas que les quatre cinquièmes des fous entretenus dans les asiles n'offrent aucune chance de guérison.

Enfin, en présence du développement que prend chaque jour le Spiritisme, le ministre ne dirait pas qu'en raison du ralentissement qui s'est produit, il est probable que l'accroissement tout à fait exceptionnel dans la population des asiles s'arrêtera bientôt.

En résumé, ce rapport est la réponse la plus péremptoire que l'on puisse faire à ceux qui accusent le Spiritisme d'être une cause prépondérante de folie. Ici ce ne sont ni des hypothèses ni des raisonnements, ce sont des chiffres authentiques opposés à des chiffres de fantaisie, des faits matériels opposés aux allégations mensongères de ses détracteurs intéressés à le discréditer dans l'opinion.


Mort de Joseph Méry

Un homme de talent, intelligence d'élite, poète et littérateur distingué, M. Joseph Méry, est mort à Paris, le 17 juin 1866, à l'âge de 67 ans et demi. Bien qu'il ne fût pas adepte avoué du Spiritisme, il appartenait à la classe nombreuse de ceux qu'on peut appeler Spirites inconscients, c'est-à-dire en qui les idées fondamentales du Spiritisme existent à l'état d'intuition. A ce titre, nous pouvons, sans sortir de notre spécialité, lui consacrer quelques lignes qui ne seront pas inutiles à notre instruction.

Il serait superflu de répéter ici les renseignements que la plupart des journaux ont publiés, à l'occasion de sa mort, sur sa vie et sur ses ouvrages. Nous reproduirons seulement le passage suivant de la notice du Siècle (19 juin), parce que c'est un juste hommage rendu au caractère de l'homme. Après avoir énuméré ses travaux littéraires, l'auteur de l'article le dépeint ainsi : « Joseph Méry se prodiguait dans la conversation ; causeur étincelant, improvisateur de stances et de bouts rimés, il semait les saillies, les paradoxes, avec une verve infatigable ; et, particularité qui l'honore, jamais il n'a sacrifié personne à un bon mot, jamais il n'a cessé d'être bienveillant pour tous. C'est un des plus beaux éloges qu'on puisse faire d'un écrivain. »

Nous avons dit que M. Méry était Spirite d'intuition ; il croyait non seulement à l'âme et à sa survivance, au monde spirituel qui nous environne, mais à la pluralité des existences, et cette croyance était chez lui le résultat des souvenirs. Il était persuadé avoir vécu à Rome sous Auguste, en Germanie, aux Indes, etc. ; certains détails même étaient si bien présents à sa mémoire qu'il décrivait avec exactitude des lieux qu'il n'avait jamais vus. C'est à cette faculté que l'auteur de l'article précité fait allusion quand il dit : « Son imagination inépuisable créait les contrées qu'il n'avait pas vues, devinait les mœurs, en peignait les habitants avec une fidélité d'autant plus merveilleuse qu'il la possédait à son insu. »

Nous avons cité les faits les plus saillants qui le concernent sous ce rapport, dans le numéro de la Revue de novembre 1864, page 328, en reproduisant, sous le titre de Souvenirs d'existences passées, l'article biographique publié par M. Dangeau, dans le Journal littéraire du 25 septembre 1864, et que nous avons fait suivre de quelques réflexions. Cette faculté était parfaitement connue de ses confrères en littérature ; qu'en pensaient-ils ? Pour quelques-uns, ce n'était qu'un singulier effet de l'imagination ; mais, comme M. Méry était un homme estimé, d'un caractère simple et droit, que l'on savait incapable d'une imposture ‑ l'exactitude de certaines descriptions locales avait d'ailleurs été reconnue, ‑ et qu'on ne pouvait rationnellement le taxer de folie, beaucoup se disaient qu'il pourrait bien y avoir là quelque chose de vrai ; aussi ces faits ont-ils été rappelés dans un des discours qui ont été prononcés sur sa tombe ; or, si on les eût considérés comme des aberrations de son esprit, on les eût passés sous silence. C'est donc en présence d'un immense concours d'auditeurs, de l'élite de la littérature et de la presse, dans une circonstance grave et solennelle, une de celles qui commandent le plus de respect, qu'il a été dit que M. Méry se souvenait avoir vécu à d'autres époques et le prouvait par des faits. Cela ne peut manquer de donner lieu à réfléchir, d'autant mieux, qu'en dehors du Spiritisme, beaucoup de personnes adoptent l'idée de la pluralité des existences comme étant la plus rationnelle. Les faits de cette nature concernant M. Méry, étant une des particularités saillantes de sa vie, et ayant eu du retentissement à l'occasion de sa mort, ne pourront que l'accréditer.

Or, quelles sont les conséquences de cette croyance, abstraction faite du Spiritisme ? Si l'on admet que l'on a déjà vécu une fois, on peut, on doit même avoir vécu plusieurs fois, et l'on peut revivre après cette existence. Si l'on revit plusieurs fois, ce ne peut être avec le même corps ; donc il y a en nous un principe intelligent indépendant de la matière et qui conserve son individualité ; c'est, comme on le voit, la négation des doctrines matérialistes et panthéistes. Ce principe, ou âme, revivant sur la terre, puisqu'elle peut conserver l'intuition de son passé, ne peut se perdre dans l'infini après la mort, comme on le croit vulgairement ; elle doit, dans l'intervalle de ses existences corporelles, rester dans le milieu humanitaire ; devant reprendre de nouvelles existences dans cette même humanité, elle ne doit pas la perdre de vue ; elle doit en suivre les péripéties : voilà donc le monde spirituel qui nous entoure, au milieu duquel nous vivons, reconnu ; dans ce monde, se trouvent naturellement nos parents, nos amis, qui doivent continuer à s'intéresser à nous, comme nous nous intéressons à eux, et qui ne sont pas perdus pour nous, puisqu'ils existent et peuvent être près de nous. Voilà ce qu'arrivent forcément à croire, les conséquences auxquelles ne peuvent manquer d'aboutir ceux qui admettent le principe de la pluralité des existences, et voilà ce que croyait Méry. Que fait de plus le Spiritisme ? il appelle Esprits ces mêmes êtres invisibles, et dit qu'étant au milieu de nous, ils peuvent manifester leur présence et se communiquer aux incarnés. Quand le surplus a été admis, ceci est-il donc si déraisonnable ?

Comme on le voit, la distance qui sépare le Spiritisme de la croyance intime d'une foule de gens est bien peu de chose. Le fait des manifestations n'est plus qu'un accessoire et une confirmation pratique du principe fondamental admis en théorie. Pourquoi donc quelques-uns de ceux qui admettent la base repoussent-ils ce qui doit y servir de preuve ? Par l'idée fausse qu'ils s'en font. Mais ceux qui se donnent la peine de l'étudier et de l'approfondir, reconnaissent bientôt qu'ils sont plus près du Spiritisme qu'ils ne le croyaient, et que la plupart d'entre eux sont Spirites sans le savoir : il ne leur manque que le nom. Voilà pourquoi on voit tant d'idées spirites émises à chaque instant par ceux mêmes qui repoussent le mot, et pourquoi ces mêmes idées sont si facilement acceptées par certaines personnes. Quand on en est à une question de mot, on est bien près de s'entendre.

Le Spiritisme touchant à tout entre dans le monde par une infinité de portes : les uns y sont amenés par le fait des manifestations ; d'autres, par le malheur qui les frappe et contre lequel ils trouvent dans cette croyance la seule consolation véritable ; d'autres, par l'idée philosophique et religieuse ; d'autres enfin par le principe de la pluralité des existences. Méry, contribuant à accréditer ce principe dans un certain monde, fera plus peut-être pour la propagation du Spiritisme que s'il s'était ouvertement avoué Spirite.

C'est précisément au moment où cette grande loi de l'humanité vient s'affirmer par des faits et le témoignage d'un homme honorable, que la Cour de Rome vient, de son côté, la désavouer en mettant à l'index la Pluralité des existences de l'âme, par Pezzani (journal le Monde, 22 juin 1866) ; cette mesure aura inévitablement pour effet d'appeler l'attention sur la question et d'en provoquer l'examen. La pluralité des existences n'est pas une simple opinion philosophique ; c'est une loi de nature qu'aucun anathème ne peut empêcher d'être, et avec laquelle il faudra tôt ou tard que la théologie se mette d'accord. C'est un peu trop se hâter que de condamner, au nom de la Divinité, une loi qui, comme toutes celles qui régissent le monde, est une œuvre de la Divinité ; il est fort à craindre qu'il n'en soit bientôt de cette condamnation comme de celles qui furent lancées contre le mouvement de la terre et les périodes de sa formation.

La communication suivante a été obtenue à la Société de Paris, le 22 juin 1866 ; (médium, M. Desliens).

Demande. Monsieur Méry, nous n'avions l'avantage de vous connaître que de réputation ; mais vos talents et l'estime méritée dont vous étiez entouré nous font espérer trouver, dans les entretiens que nous aurons avec vous, une instruction dont nous serons heureux de profiter toutes les fois que vous voudrez bien venir parmi nous.

Les questions que nous désirerions vous adresser aujourd'hui, si l'époque rapprochée de votre mort vous permet de répondre, sont celles-ci :

1° Comment s'est accompli pour vous le passage de cette vie dans l'autre, et quelles ont été vos impressions en entrant dans le monde spirituel ?

2° De votre vivant aviez-vous connaissance du Spiritisme, et qu'en pensiez-vous ?

3° Ce que l'on dit de vos souvenirs d'existences antérieures est-il exact, et quelle influence ces souvenirs ont-ils exercée sur votre vie terrestre et vos écrits ?

Nous pensons superflu de vous demander si vous êtes heureux dans votre nouvelle position ; la bonté de votre caractère et votre honorabilité nous donnent lieu de l'espérer.

Réponse. Messieurs, je suis extrêmement touché du témoignage de sympathie que vous voulez bien me donner, et qui est renfermé dans les paroles de votre honorable président. Je suis heureux de me rendre à votre appel, parce que ma situation actuelle m'affirme la réalité d'un enseignement dont j'avais apporté l'intuition en naissant, et aussi parce que vous songez à ce qui reste de Méry le romancier, à l'avenir de ma partie intime et vivante, à mon âme enfin, tandis que mes nombreux amis songeaient surtout, en me quittant, à la personnalité qui les abandonnait. Ils me jetaient leur dernier adieu en me souhaitant que la terre me soit légère ! Que reste-t-il de Méry pour eux ?… Un peu de poussière et des œuvres sur le mérite desquelles je ne suis pas appelé à me prononcer… De ma vie nouvelle, pas un mot !

On a rappelé mes théories comme une des singularités de mon caractère, l'imposition de mes convictions comme un effet magnétique, un charme qui disparaissait avec mon absence ; mais du Méry qui survit au corps, de cet être intelligent qui rend compte aujourd'hui de sa vie d'hier et qui songe à sa vie de demain, qu'en ont-ils dit ?… Rien !… ils n'y ont pas même songé… Le romancier si gai, si triste, si amusant parfois, est parti ; on lui a donné une larme, un souvenir ! Dans huit jours, on n'y songera plus, et les péripéties de la guerre feront oublier le retour du pauvre exilé dans sa patrie.

Les insensés ! ils se disaient depuis longtemps : « Méry est malade, il s'affaiblit, il vieillit. » Comme ils se trompaient !… J'allais à la jeunesse, croyez-le ; c'est l'enfant qui pleure en entrant dans la vie, qui s'avance vers la vieillesse ; l'homme mûr qui meurt retrouve la jeunesse éternelle au delà du tombeau !

La mort a été pour moi d'une douceur ineffable. Mon pauvre corps, affligé par la maladie, a eu quelques dernières convulsions, et tout a été dit ; mais mon Esprit sortait peu à peu de ses langes, il planait prisonnier encore et aspirant déjà à l'infini !… J'ai été délivré sans trouble, sans secousse ; je n'ai pas eu d'étonnement, car la tombe n'avait plus de voile pour moi. J'abordais un rivage connu ; je savais que des amis dévoués m'attendaient sur la plage, car ce n'était pas la première fois que je faisais ce voyage.

Comme je le disais à mes auditeurs étonnés, j'ai connu la Rome des Césars ; j'ai commandé en conquérant subalterne dans cette Gaule que j'habitais récemment comme citoyen ; j'ai aidé à conquérir votre patrie, à asservir vos fiers ancêtres, puis je suis parti pour retremper mes forces à la source de vie intellectuelle, pour choisir de nouvelles preuves et de nouveaux moyens d'avancement. J'ai vu les rives du Gange et celles des fleuves de la Chine ; je me suis assimilé ces civilisations si différentes de la vôtre, et cependant si grandes, si avancées dans leur genre. J'ai vécu sous la zone torride et dans les climats tempérés ; j'ai étudié les mœurs ici et là-bas, guerrier, poète, écrivain tour à tour, philosophe et rêveur toujours…

Cette dernière existence a été pour moi une sorte de résumé de toutes celles qui l'ont précédée. J'ai acquis naguère ; hier encore, je dépensais les trésors accumulés par une série d'existences, d'observations et d'études.

Oui, j'étais Spirite de cœur et d'esprit, sinon de raisonnement. La préexistence était pour moi un fait, la réincarnation une loi, le Spiritisme une vérité. Quant aux questions de détail, je vous avoue de bonne foi ne pas y avoir attaché une grande importance. Je croyais à la survivance de l'âme, à la pluralité de ses existences, mais je n'ai jamais tenté d'approfondir si elle pouvait, après avoir quitté son corps mortel, entretenir, libre, des relations avec ceux qui sont encore attachés à la chaîne. Ah ! Victor Hugo l'a dit avec vérité, « la terre n'est autre chose que le bagne du ciel !… » On brise quelquefois sa chaîne, mais pour la reprendre. On ne sort d'ici, à coup sûr, qu'en laissant à ses gardiens le soin de dénouer, quand le moment est venu, les liens qui nous rivent à l'épreuve.

Je suis heureux, bien heureux, car j'ai conscience d'avoir bien vécu !

Pardonnez-moi, messieurs, c'est encore Méry le rêveur qui vous parle, et permettez-moi de revenir dans une réunion où je me sens à l'aise. Il doit y avoir à apprendre avec vous, et, si vous voulez me recevoir au nombre de vos auditeurs invisibles, c'est avec bonheur que je demeurerai parmi vous, écoutant, m'instruisant et parlant si l'occasion s'en présente.

Questions et problèmes
Identité des Esprits dans les communications particulières

Pourquoi les Esprits que l'on évoque par un sentiment d'affection se refusent-ils souvent à donner des preuves certaines de leur identité ?

On conçoit tout le prix que l'on attache aux preuves d'identité de la part des Esprits qui nous sont chers ; ce sentiment est très naturel, et il semble que du moment que les Esprits peuvent se manifester, il doit leur être tout aussi facile d'attester leur personnalité. Le défaut de preuves matérielles est pour certaines personnes, celles surtout qui ne connaissent pas le mécanisme de la médiumnité, c'est-à-dire la loi des rapports entre les Esprits et les hommes, une cause de doute et de pénible incertitude. Quoique nous ayons plusieurs fois traité cette question, nous allons l'examiner de nouveau pour répondre à quelques demandes qui nous sont adressées.

Nous n'avons rien à ajouter à ce qui a été dit sur l'identité des Esprits qui viennent uniquement pour notre instruction, et qui ont quitté la terre depuis un certain temps ; on sait qu'elle ne peut-être attestée d'une manière absolue, et que l'on doit se borner à juger la valeur du langage.

L'identité ne peut être constatée avec certitude que pour les Esprits partis depuis peu, dont on connaît le caractère et les habitudes qui se reflètent dans leurs paroles. Chez ceux-là l'identité se révèle par mille particularités de détail. La preuve ressort quelquefois de faits matériels, caractéristiques, mais le plus souvent des nuances même du langage et d'une multitude de petits riens qui, pour être peu saillants, n'en sont pas moins significatifs.

Les communications de ce genre renferment souvent plus de preuves qu'on ne croit, et que l'on découvre avec plus d'attention et moins de préventions. Malheureusement, la plupart du temps on ne se contente pas de ce que l'Esprit veut ou peut donner ; on veut les preuves à sa manière ; on lui demande de dire ou de faire telle chose, de rappeler un nom on un fait, et cela à un moment donné, sans songer aux obstacles qui s'y opposent parfois, et paralysent sa bonne volonté. Puis, obtient-on ce qu'on désire, bien souvent on veut davantage ; on trouve que ce n'est pas encore assez concluant ; après un fait on en demande un autre, puis un autre ; en un mot, on n'en a jamais assez pour se convaincre. C'est alors que souvent l'Esprit, fatigué de cette insistance, cesse tout à fait de se manifester, en attendant que la conviction arrive par d'autres moyens. Mais bien souvent aussi son abstention lui est imposée par une volonté supérieure, comme punition pour le solliciteur trop exigeant, et aussi comme épreuve pour sa foi ; car si, pour quelques déceptions, et faute d'obtenir ce qu'il veut, et de la manière qu'il le veut, il venait à abandonner les Esprits, ceux-ci l'abandonneraient à leur tour, en le laissant plongé dans les angoisses et les tortures du doute, heureux quand leur abandon n'a pas des conséquences plus graves.

Mais, dans une foule de cas, les preuves matérielles d'identité sont indépendantes de la volonté de l'Esprit, et du désir qu'il a de des donner ; cela tient à la nature, ou à l'état de l'instrument par lequel il se communique. Il y a dans la faculté médianimique une variété infinie de nuances qui rendent le médium apte ou impropre à l'obtention de tels ou tels effets, qui, au premier abord, semblent identiques, et qui cependant dépendent d'influences fluidiques différentes. Le médium est comme un instrument à cordes multiples : il ne peut donner de son par les cordes qui lui manquent. En voici un exemple remarquable.

Nous connaissons un médium qu'on peut ranger parmi ceux de premier ordre, tant par la nature des instructions qu'il reçoit, que par son aptitude à communiquer avec presque tous les Esprits sans distinction. Maintes fois, dans des évocations particulières, il a obtenu des preuves irrécusables d'identité, par la reproduction du langage et du caractère de personnes qu'il n'avait jamais connues. Il y a quelque temps, il fit pour une personne qui venait de perdre subitement plusieurs enfants, l'évocation de l'un de ces derniers, une petite fille. La communication reflétait parfaitement le caractère de l'enfant, et elle était d'autant plus satisfaisante qu'elle répondait à un doute du père sur sa position comme Esprit. Cependant il n'y avait que des preuves en quelque sorte morales ; le père trouvait qu'un autre enfant aurait pu parler de même ; il aurait voulu quelque chose que sa fille seule pût dire ; il s'étonnait surtout qu'elle l'appelât père, au lieu du petit nom familier qu'elle lui donnait, et qui n'était pas un nom français, d'après cette idée que puisqu'elle disait un mot, elle pouvait en dire un autre. Le père lui en ayant demandé la raison, voici la réponse que le guide du médium fit à ce sujet.

« Votre petite fille, bien qu'entièrement dégagée, ne serait pas en état de vous faire comprendre comment il se fait qu'elle ne peut faire exprimer au médium les termes connus de vous, qu'elle lui souffle cependant. Elle obéit à une loi en se communiquant, mais elle ne la comprend pas assez pour en expliquer le mécanisme. La médiumnité est une faculté dont les nuances varient infiniment, et les médiums qui traitent d'ordinaire des sujets philosophiques n'obtiennent que rarement, et toujours spontanément, de ces particularités qui font reconnaître la personnalité de l'Esprit d'une manière évidente. Lorsque les médiums de ce genre demandent une preuve d'identité dans le désir de satisfaire l'évocateur, les fibres cérébrales tendues par son désir même ne sont plus assez malléables pour que l'Esprit les fasse mouvoir à son gré ; il s'ensuit que les mots caractéristiques ne peuvent être reproduits. La pensée reste, mais la forme n'existe plus. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que votre fille vous ait appelé père au lieu de vous donner la qualification familière à laquelle vous vous attendiez. Par un médium spécial, vous obtiendrez des résultats qui vous satisferont ; ce n'est qu'un peu de patience à avoir. »

A quelques jours de là, ce monsieur, se trouvant dans le groupe d'un de nos sociétaires, obtint d'un autre médium, par la typtologie, et en présence du premier, non-seulement le nom qu'il désirait sans qu'il l'eût spécialement demandé, mais d'autres faits de précision remarquables. Ainsi la faculté du premier médium, quelque développée et flexible qu'elle fût, ne se prêtait pas à ce genre de production médianimique. Il pouvait reproduire les mots qui sont la traduction de la pensée transmise, et non des termes qui exigent un travail spécial ; voilà pourquoi l'ensemble de la communication reflétait le caractère et la tournure des idées de l'Esprit, mais sans signes matériels caractéristiques. Un médium n'est pas une mécanique propre à tous les effets ; de même qu'on ne trouve pas deux personnes entièrement semblables au physique et au moral, il n'y a pas deux médiums dont la faculté soit absolument identique.

Il est à remarquer que les preuves d'identité viennent presque toujours spontanément, au moment où l'on y songe le moins, tandis qu'elles sont très rarement données sur la demande qui en est faite. Est-ce caprice de la part de l'Esprit ? Non ; il y a une cause matérielle que voici.

Les dispositions fluidiques qui établissent les rapports entre l'Esprit et le médium offrent des nuances d'une extrême délicatesse, inappréciables à nos sens, et qui varient d'un moment à l'autre chez le même médium. Souvent un effet qui n'est pas possible à un instant voulu, le sera une heure, un jour, une semaine plus tard, parce que les dispositions ou l'énergie des courants fluidiques auront changé. Il en est ici comme dans la photographie, où une simple variation dans l'intensité ou dans la direction de la lumière suffit pour favoriser ou empêcher la reproduction de l'image. Est-ce qu'un poète fait des vers à volonté ? Non ; il lui faut l'inspiration ; s'il n'est pas en disposition favorable, il a beau se creuser le cerveau, il n'obtient rien ; demandez-lui donc pourquoi ? Dans les évocations, l'Esprit laissé à sa volonté profite des dispositions qu'il rencontre chez le médium, il saisit le moment propice ; mais, lorsque ces dispositions n'existent pas, il ne peut pas plus que le photographe en l'absence de la lumière. Malgré son désir, il ne peut donc pas toujours satisfaire instantanément à une demande en fait de preuves d'identité ; c'est pourquoi il est préférable de les attendre que de les solliciter.

Il faut, en outre, considérer que les rapports fluidiques qui doivent exister entre l'Esprit et le médium ne s'établissent jamais complètement dès la première fois ; l'assimilation ne se fait qu'à la longue et graduellement. Il en résulte qu'en commençant l'Esprit éprouve toujours une difficulté qui influe sur la netteté, la précision et le développement des communications ; tandis que, lorsque l'Esprit et le médium sont habitués l'un à l'autre, que leurs fluides se sont identifiés, les communications se font naturellement, parce qu'il n'y a plus de résistance à vaincre.

On voit par là de combien de considérations il faut tenir compte dans l'examen des communications ; c'est faute de le faire, et de connaître les lois qui régissent ces sortes de phénomènes, qu'on demande souvent ce qui est impossible. C'est absolument comme si quelqu'un qui ne connaîtrait pas les lois de l'électricité s'étonnait que le télégraphe pût éprouver des variations et des interruptions, et en concluait que l'électricité n'existe pas.

Le fait de la constatation de l'identité de certains Esprits est un accessoire dans le vaste ensemble des résultats qu'embrasse le Spiritisme ; cette constatation fût-elle impossible, elle ne préjugerait rien contre les manifestations en général, ni contre les conséquences morales qui en découlent. Il faudrait plaindre ceux qui se priveraient des consolations qu'elle procure, faute d'avoir obtenu une satisfaction personnelle, car ce serait sacrifier le tout à la partie.

Qualification de Saint appliquée à certains Esprits

Dans un groupe de province, un Esprit s'étant présenté sous le nom de « Saint Joseph, saint, trois fois saint, » cela donna lieu de poser la question suivante :

Un Esprit, même canonisé de son vivant, peut-il se donner la qualification de saint, sans manquer à l'humilité qui est un des apanages de la véritable sainteté, et convient-il, en l'invoquant, de lui donner ce titre ? L'Esprit qui le prend, doit-il, pour ce fait, être tenu pour suspect ?

Un autre Esprit répondit :

« Vous devez le rejeter de suite, car autant vaudrait un grand capitaine se présentant à vous en étalant pompeusement ses nombreux faits d'armes avant de décliner son nom, ou un poète qui commencerait par vanter ses talents ; vous verriez dans ces paroles un orgueil déplacé. Ainsi doit-il en être des hommes qui ont eu quelques vertus sur la terre et qu'on a jugés dignes de la canonisation. S'ils se présentent à vous avec humilité, croyez en eux ; s'ils viennent en se faisant précéder de leur sainteté, remerciez-les et vous ne perdrez rien. L'incarné n'est pas saint parce qu'il a été canonisé : Dieu seul est saint, parce qu'il possède seul toutes les perfections. Voyez les Esprits supérieurs, que vous connaissez à la sublimité de leurs enseignements, ils n'osent pas se dire saints ; ils se qualifient simplement d'Esprits de vérité. »

Cette réponse demande elle-même quelques rectifications. La canonisation n'implique pas la sainteté dans le sens absolu, mais simplement un certain degré de perfection. Pour quelques-uns la qualification de saint est devenue une sorte de titre banal faisant partie intégrante du nom, pour les distinguer de leurs homonymes, ou qu'on leur donne par habitude. Saint Augustin, saint Louis, saint Thomas peuvent donc mettre le mot saint devant leur signature, sans que ce soit par un sentiment d'orgueil qui serait d'autant plus déplacé chez des Esprits supérieurs que, mieux que d'autres, ils ne font aucun cas des distinctions données par les hommes. Il en serait de même des titres nobiliaires ou des grades militaires ; assurément celui qui a été duc, prince ou général sur la terre, ne l'est plus dans le monde des Esprits, et cependant, en signant, ils pourront prendre ces qualifications, sans que cela tire à conséquence pour leur caractère. Quelques-uns signent : Celui qui, de son vivant sur la terre, fut le duc un tel. Le sentiment de l'Esprit se révèle par l'ensemble de ses communications et par des signes non équivoques dans son langage ; c'est ainsi qu'on ne peut se méprendre sur celui qui débute par se dire : « Saint Joseph, saint, trois fois saint ; » cela seul suffirait pour révéler un Esprit imposteur se parant du nom de saint Joseph ; aussi a-t-il pu voir que, grâce à la connaissance des principes de la doctrine, sa fourberie n'a pas trouvé de dupes dans le cercle où il a voulu s'introduire.

L'Esprit qui a dicté la communication ci-dessus est donc trop absolu en ce qui concerne la qualification de saint, et il n'est pas dans le vrai en disant que les Esprits supérieurs se disent simplement Esprits de vérité, qualification qui ne serait qu'un orgueil déguisé sous un autre nom, et qui pourrait induire en erreur si on le prenait la lettre, car aucun ne peut se flatter de posséder la vérité absolue, pas plus que la sainteté absolue. La qualification d'Esprit de vérité n'appartient qu'à un seul, et peut être considérée comme un nom propre ; elle est spécifiée dans l'Evangile. Du reste, cet Esprit se communique rarement, et seulement dans des circonstances spéciales ; on doit se tenir en garde contre ceux qui se parent indûment de ce titre : ils sont faciles à reconnaître, à la prolixité et à la vulgarité de leur langage.

Vue rétrospective des existences de l'Esprit

A propos du Docteur Cailleux

Un de nos correspondants, de Lyon, nous écrit ce qui suit :

« J'ai été surpris que l'Esprit du docteur Cailleux ait été mis dans un état magnétique pour voir se dérouler devant lui le tableau de ses existences passées. (Revue de juin 1866, page 175.) Cela paraît indiquer que l'Esprit en question ne les connaissait pas ; car je vois dans le livre des Esprits que : « Après la mort, l'âme voit et embrasse d'un coup d'œil ses émigrations passées. » (Chap. vi, n° 243.) Ce fait ne semble-t-il pas impliquer une contradiction ? »

Il n'y a là aucune contradiction, puisque le fait vient au contraire confirmer la possibilité, pour l'Esprit, de connaître ses existences passées. Le Livre des Esprits n'est pas un traité complet du Spiritisme ; il ne fait qu'en poser les bases et les points fondamentaux, qui doivent se développer successivement par l'étude et l'observation. Il dit, en principe, qu'après la mort l'âme voit ses émigrations passées, mais il ne dit ni quand, ni comment cela se fait : ce sont là les détails d'application qui sont subordonnés aux circonstances. On sait que chez les Esprits arriérés la vue est bornée au présent, ou à peu près, comme sur la terre ; elle se développe avec l'intelligence, et à mesure qu'ils acquièrent la conscience de leur situation. Il ne faudrait pas croire, d'ailleurs, que, même chez les Esprits avancés, comme M. Cailleux, par exemple, aussitôt entrés dans le monde spirituel, toutes choses leur apparaissent subitement comme dans un changement de décoration à vue, ni qu'ils ont constamment sous les yeux le panorama du temps et de l'espace ; quant à leurs existences antérieures, ils les voient en souvenir, comme nous voyons, par la pensée, ce que nous étions et ce que nous faisions dans les années antérieures, les scènes de notre enfance, les positions sociales que nous avons occupées ; ce souvenir est plus ou moins précis ou confus, quelquefois il est nul, selon la nature de l'Esprit, et selon que la Providence juge à propos de l'effacer ou de le raviver, comme récompense, punition ou instruction. C'est une grande erreur de croire que les aptitudes, les facultés et les perceptions sont les mêmes chez tous les Esprits ; comme dans l'incarnation, ils ont les perceptions morales et celles qu'on peut appeler matérielles, qui varient selon les individus.

Si le docteur Cailleux eût dit que les Esprits ne peuvent avoir connaissance de leurs existences passées, là serait la contradiction, parce que ce serait la négation d'un principe admis ; loin de là, il affirme le fait ; seulement, les choses se sont passées chez lui d'une manière différente que chez d'autres, sans doute par des motifs d'utilité pour lui, et pour nous c'est un sujet d'enseignement, puisque cela nous montre un des côtés du monde spirituel. M. Cailleux était mort depuis peu de temps ; ses existences passées pouvaient donc ne pas se retracer encore nettement à sa mémoire. Remarquons, en outre, qu'ici ce n'était pas un simple souvenir ; c'était la vue même des individualités qu'il avait animées, l'image de ses anciennes formes périspritales qui se présentait à lui ; or, l'état magnétique dans lequel il s'est trouvé, était probablement nécessaire à la production du phénomène.

Le Livre des Esprits a été écrit à l'origine du Spiritisme, à une époque où l'on était loin d'avoir fait toutes les études pratiques qu'on a faites depuis ; les observations ultérieures sont venues développer et compléter les principes dont il avait posé les germes, et il est même digne de remarque que, jusqu'à ce jour, elles n'ont fait que les confirmer, sans jamais les contredire dans les points fondamentaux.





Poésie Spirite

La prière pour les Esprits


Société de Paris, 4 mai 1866. – Médium M. V…

Je suis vraiment touché de te voir, cher enfant,

A mes ordres soumis, prier en m'évoquant,

Et blâmer hautement la logique trompeuse

Et les vains arguments d'une secte orgueilleuse,

Qui prétend que l'Esprit accomplit un devoir

En venant à ta voix, trop heureux de pouvoir,

En subissant ta loi, fuir et quitter plus vite

Le séjour ennuyeux du monde qu'il habite,

Pour s'envoler enfin, vers ces rives sans bords,

Que n'attristent plus l'ombre et la plainte des morts.

Ce sont là de grands mots et des phrases pompeuses.

Mais s'il vient dévoiler les beautés merveilleuses

Des mondes inconnus, ouvrir les horizons

Des temps, et l'enseigner, dans de longues leçons,

Le principe et la fin de ton âme immortelle,

La grandeur de ton Dieu, sa puissance éternelle,

Sa justice infinie et son sublime amour,

Noble railleur, sois franc : Diras-tu qu'en retour,

S'il te demande un jour une courte prière,

Il est trop exigeant, quand souvent sur la terre,

Pour avoir ou payer une mince faveur,

On te voit, suppliant, fouler toute pudeur,

Et mendier longtemps, comme un pauvre mendie,

En soupirant, le pain qui doit nourrir sa vie ?

Oh ! crois-moi, cher enfant, malheur ! trois fois malheur !

A celui qui toujours, oubliant la douleur

Et les larmes de sang de ce monde invisible,

En écoutant nos voix reste encore insensible,

Et ne vient à genoux

Prier son Dieu pour nous.



Casimir Delavigne.



Allan Kardec







Août

Mahomet et l'Islamisme

Il y a quelquefois sur les hommes et sur les choses des opinions qui s'accréditent et passent à l'état d'idées reçues, quelque erronées qu'elles soient, parce qu'on trouve plus commode de les accepter toutes faites. Ainsi en est-il de Mahomet et de sa religion, dont on ne connaît guère que le côté légendaire. L'antagonisme des croyances, soit par esprit de parti, soit par ignorance, s'est en outre plu à en faire ressortir les points les plus accessibles à la critique, laissant souvent à dessein dans l'ombre les parties favorables. Quant au public impartial et désintéressé, il faut dire à sa décharge, qu'il a manqué des éléments nécessaires pour juger par lui-même. Les ouvrages qui auraient pu l'éclairer, écrits dans une langue à peine connue de quelques rares savants, lui étaient inaccessibles ; et comme, en définitive, il n'y allait pour lui d'aucun intérêt direct, il a cru sur parole ce qu'on lui en a dit, sans en demander davantage. Il en est résulté que l'on s'est fait sur le fondateur de l'islamisme des idées souvent fausses ou ridicules, basées sur des préjugés qui ne trouvaient aucun correctif dans la discussion.

Les travaux persévérants et consciencieux de quelques savants orientalistes modernes, tels que Caussin de Perceval, en France, le docteur W. Muir, en Angleterre, G. Weil et Sprenger, en Allemagne, permettent aujourd'hui d'envisager la question sous son véritable jour[1]. Grâce à eux, Mahomet nous apparaît tout autre que ne l'ont fait les récifs populaires. La place considérable que sa religion occupe dans l'humanité, et son influence politique, font aujourd'hui de cette étude une nécessité. La diversité des religions a été pendant longtemps une des principales causes d'antagonisme entre les peuples ; au moment où ils ont une tendance manifeste à se rapprocher, à faire disparaître les barrières qui les séparent, il est utile de connaître ce qui, dans leurs croyances, peut favoriser ou retarder l'application du grand principe de fraternité universelle. De toutes les religions, l'islamisme est celle qui, au premier abord, semble renfermer les plus grands obstacles à ce rapprochement ; à ce point de vue, comme on le voit, ce sujet ne saurait être indifférent aux Spirites, et c'est la raison pour laquelle nous croyons devoir le traiter ici.

On juge toujours mal une religion, si l'on prend pour point de départ exclusif ses croyances personnelles, car alors il est difficile de se défendre d'un sentiment de partialité dans l'appréciation des principes. Pour en comprendre le fort et le faible, il faut la voir d'un point plus élevé, embrasser l'ensemble de ses causes et de ses effets. Si l'on se reporte au milieu où elle a pris naissance, on y trouve presque toujours, sinon une justification complète, du moins une raison d'être. Il faut surtout se pénétrer de la pensée première du fondateur et des motifs qui l'ont guidé. Loin de nous l'intention d'absoudre Mahomet de toutes ses fautes, ni sa religion de toute les erreurs qui blessent le plus vulgaire bon sens ; mais nous devons à la vérité de dire qu'il serait aussi peu logique de juger cette religion d'après ce que le fanatisme en a fait, qu'il le serait de juger le christianisme d'après la manière dont quelques chrétiens la pratiquent. Il est bien certain que, si les musulmans suivaient en esprit le Coran que le Prophète leur a donné pour guide, ils seraient, à plus d'un égard, tout autre qu'ils ne sont. Cependant ce livre, si sacré pour eux, qu'ils ne le touchent qu'avec respect, ils le lisent et relisent sans cesse ; les fervents le savent même par cœur ; mais combien y en a-t-il qui le comprennent ? Ils le commentent, mais au point de vue d'idées préconçues, dont ils se feraient un cas de conscience de s'écarter ; ils n'y voient donc que ce qu'ils veulent y voir. Le langage figuré permet d'ailleurs d'y trouver tout ce qu'on veut, et les prêtres qui, là comme ailleurs, gouvernent par la foi aveugle, ne cherchent pas à y trouver ce qui pourraient les gêner. Ce n'est donc pas auprès des ulémas qu'il faut aller s'enquérir de l'esprit de la loi de Mahomet.

Les chrétiens aussi ont l'Évangile, bien autrement explicite que le Coran, comme code de morale, ce qui n'empêche pas qu'au nom de ce même Évangile, qui commande d'aimer même ses ennemis, on a torturé et brûlé des milliers de victimes, et que d'une loi toute de charité on s'est fait une arme d'intolérance et de persécution. Peut-on exiger que des peuples encore à demi barbares fassent une interprétation plus saine de leurs Écritures sacrées que ne le font des chrétiens civilisés ?

Pour apprécier l'œuvre de Mahomet, il faut remonter à la source, connaître l'homme et le peuple qu'il s'était donné pour mission de régénérer, et alors seulement on comprend que, pour le milieu où il vivait, son code religieux était un progrès réel. Jetons d'abord un coup d'œil sur la contrée.

De temps immémorial l'Arabie était peuplée d'une multitude de tribus, presque toutes nomade, et perpétuellement en guerre les unes avec les autres, suppléant par le pillage au peu de richesses que procurait un travail pénible sous un climat brûlant. Les troupeaux étaient leur principale ressource ; quelques-unes s'adonnaient au commerce qui se faisait par caravanes partant chaque année du Sud pour aller en Syrie ou en Mésopotamie. Le centre de la presqu'île étant à peu près inaccessible, les caravanes s'éloignaient peu des bords de la mer ; les principales suivaient le Hidjâz, contrée qui forme, sur les bords de la mer Rouge, une bande étroite, longue de cinq cents lieues, et séparée du centre par une chaîne de montagnes, prolongement de celles de la Palestine. Le mot arabe Hidjâz signifie barrière, et se disait de la chaîne de montagnes qui borde cette contrée et la sépare du reste de l'Arabie. Le Hidjâz et l'Yémen au sud, sont les parties les plus fertiles ; le centre n'est à peu de chose près qu'un vaste désert.

Ces tribus avaient établi des marchés où l'on se rendait de toutes les parties de l'Arabie ; là se réglaient les affaires communes ; les tribus ennemies échangeaient leurs prisonniers de guerre, et vidaient souvent leurs différents par arbitres. Chose singulière, ces peuplades, toutes barbares qu'elles étaient, se passionnaient pour la poésie. Dans ces lieux de réunion, et pendant les intervalles de loisir que laissait le soin des affaires, il y avait assaut entre les poètes les plus habiles de chaque tribu ; le concours était jugé par les assistants, et c'était pour une tribu un grand honneur de remporter la victoire. Les poésies d'un mérite exceptionnel étaient transcrites en lettres d'or, et attachées aux murs sacrés de la Caaba, à la Mecque, d'où leur est venu le nom de Moudhahabat, ou poèmes dorés.

Comme pour se rendre à ces marchés annuels et en revenir avec sécurité il fallait un certain temps, il y avait quatre mois de l'année où les combats étaient interdits, et où l'on ne pouvait inquiéter les caravanes et les voyageurs. Combattre pendant ces mois réservés était regardé comme un sacrilège qui provoquait les plus terribles représailles.

Les points de station des caravanes, qui s'arrêtaient dans les lieux où elles trouvaient de l'eau et des arbres, devinrent des centres où se formèrent peu à peu des villes, dont les deux principales, dans le Hidjâz, sont la Mecque et Yathrib, aujourd'hui Médine.

La plupart de ces tribus prétendaient descendre d'Abraham ; aussi ce patriarche était-il en grand honneur parmi elles. Leur langue, par ses rapports avec l'hébreu, attestait en effet une communauté d'origine entre le peuple arabe et le peuple juif ; mais il ne paraît pas moins certain que le midi de l'Arabie a eu ses habitants indigènes.

C'était, parmi ces peuplades, une croyance tenue pour avérée que la fameuse source de Zemzem, dans la vallée de la Mecque, était celle que fit jaillir l'ange Gabriel, lorsque Agar, perdue dans le désert, allait périr de soif avec son fils Ismaël. La tradition rapportait également qu'Abraham, étant venu voir son fils exilé, avait construit de ses propres mains, non loin de cette source, la Caaba, maison carrée de neuf coudées de haut sur trente-deux de long et vingt-deux de large[2]. Cette maison, religieusement conservée, devint un lieu de grande dévotion, que l'on se faisait un devoir de visiter, et qui fut transformée en temple. Les caravanes s'y arrêtaient naturellement, et les pèlerins profitaient de leur compagnie pour voyager avec plus de sécurité. C'est ainsi que les pèlerinages de la Mecque ont existé de temps immémorial ; Mahomet n'a fait que consacrer et rendre obligatoire un usage établi. Il eut pour cela un but politique que nous verrons plus tard.

A l'un des angles extérieurs du temple était incrustée la fameuse pierre noire, apportée des cieux, dit-on, par l'ange Gabriel, pour marquer le point où doivent commencer les tournées que les pèlerins doivent accomplir sept fois autour de la Caaba. On prétend que, dans l'origine, cette pierre était d'une blancheur éblouissante, mais que les attouchements des pécheurs l'ont noircie. Au dire des voyageurs qui l'ont vue, elle n'a pas plus de six pouces de haut sur huit de long ; il paraîtrait que c'est un simple morceau de basalte, ou peut-être un aérolithe, ce qui expliquerait son origine céleste selon les croyances populaires.

La Caaba, construite par Abraham, n'avait pas de porte qui la fermât, et elle était au niveau du sol ; détruite par l'irruption d'un torrent vers l'an 150 de l'ère chrétienne, elle fut reconstruite, et élevée au-dessus du sol pour la mettre à l'abri de pareils accidents ; environ cinquante ans plus tard, un chef de tribu de l'Yémen y mit une couverture d'étoffes précieuses, et y fit poser une porte avec une serrure pour mettre en sûreté les dons précieux qu'accumulait sans cesse la piété des pèlerins.

La vénération des Arabes pour la Caaba et le territoire qui l'environnait était si grande, qu'ils n'avaient pas osé y construire d'habitations. Cette enceinte si respectée, appelée le Haram, comprenait toute la vallée de la Mecque, dont la circonférence est d'environ quinze lieues. L'honneur de garder ce temple vénéré était très envié ; les tribus se le disputaient, et le plus souvent cette attribution était un droit de conquête. Au cinquième siècle, Cossayy, chef de la tribu des Coraychites, cinquième ancêtre de Mahomet, étant devenu maître du Haram, et ayant été investi du pouvoir civil et religieux, se fit construire un palais à côté de la Caaba, et permit à ceux de sa tribu de s'y établir. C'est ainsi que fut fondée la ville de la Mecque. Il paraît que ce fut lui qui, le premier, fit mettre à la Caaba une couverture en bois. La Caaba est aujourd'hui dans l'enceinte d'une mosquée, et la Mecque une ville d'environ quarante mille habitants, après en avoir eu, dit-on, cent mille.

Dans le principe, la religion des Arabes consistait dans l'adoration d'un Dieu unique, aux volontés duquel l'homme doit être complètement soumis ; cette religion, qui était celle d'Abraham, s'appelait Islam, et ceux qui la professaient se disaient Musulmans, c'est-à-dire soumis à la volonté de Dieu. Mais peu à peu le pur Islam dégénéra en une grossière idolâtrie ; chaque tribu eut ses dieux et ses idoles, qu'elle défendait à outrance par les armes, pour prouver la supériorité de leur pouvoir ; ce fut là, bien souvent entre elles, les causes ou le prétexte de guerres longues et acharnées.

La foi d'Abraham avait donc disparu chez ces peuples, malgré le respect qu'ils conservaient pour sa mémoire, ou du moins elle avait été tellement défigurée, qu'elle n'existait plus en réalité. La vénération pour les objets regardés comme sacrés était descendue au plus absurde fétichisme ; le culte de la matière avait remplacé celui de l'esprit ; on attribuait un pouvoir surnaturel aux objets les plus vulgaires consacrés par la superstition, à une image, une statue ; la pensée ayant abandonné le principe pour son symbole, la piété n'était plus qu'une série de pratiques extérieures minutieuses, dont la moindre infraction était regardée comme un sacrilège.

Cependant on trouvait encore dans certaines tribus quelques adorateurs du Dieu unique, hommes pieux qui pratiquaient la plus entière soumission à sa volonté suprême, et repoussaient le culte des idoles ; on les appelait Hanyfes ; c'étaient les vrais musulmans, ceux qui avaient conservé la foi pure de l'Islam ; mais ils étaient peu nombreux et sans influence sur l'esprit des masses. Des colonies juives s'étaient depuis longtemps établies dans le Hydjâz et y avaient conquis un certain nombre de prosélytes au judaïsme, principalement parmi les hanyfes. Le christianisme y eut aussi ses représentants et ses propagateurs dans les premiers siècles de notre ère, mais ni l'une ni l'autre de ces deux croyances n'y produisirent des racines profondes et durables ; l'idolâtrie était restée la religion dominante ; elle convenait mieux, par sa diversité, à l'indépendance turbulente et à la division infinie des tribus, qui la pratiquaient avec le plus violent fanatisme. Pour triompher de cette anarchie religieuse et politique, il fallait un homme de génie, capable de s'imposer par son énergie et sa fermeté, assez habile pour faire la part des mœurs et du caractère de ces peuples, et dont la mission fût relevée à leurs yeux par le prestige de ses qualités de prophète. Cet homme fut Mahomet.

Mahomet est né à la Mecque le 27 août 570 de l'ère chrétienne, dans l'année dite de l'éléphant. Ce n'était point, comme on le croit vulgairement, un homme d'une condition obscure. Il appartenait, au contraire, à une famille puissante et considérée de la tribu des Coraychites, l'une des plus importantes de l'Arabie, et celle qui dominait alors à la Mecque. On le fait descendre en ligne directe d'Ismaël, fils d'Abraham, et d'Agar. Ses derniers ancêtres, Cossayy, Abd-Ménab, Hachim et Abd-el-Moutalib son grand-père, s'étaient illustrés par d'éminentes qualités et les hautes fonctions qu'ils avaient remplies. Sa mère, Amina, était d'une noble famille coraychite et descendait aussi de Cossayy. Son père Abd-Allah, étant mort deux mois avant sa naissance, il fut élevé avec beaucoup de tendresse par sa mère, qui le laissa orphelin à l'âge de six ans ; puis par son grand-père Abd-el-Moutalib, qui l'affectionnait beaucoup et se plaisait souvent à lui prédire de hautes destinées, mais qui, lui-même, mourut deux ans après.

Malgré le rang qu'avait occupé sa famille, Mahomet passa son enfance et sa jeunesse dans un état voisin de la misère ; sa mère lui avait laissé pour tout héritage un troupeau de moutons, cinq chameaux et une fidèle esclave noire, qui l'avait soigné, et pour laquelle il conserva toujours un vif attachement. Après la mort de son grand-père il fut recueilli par ses oncles, dont il garda les troupeaux jusqu'à l'âge de vingt ans ; il les accompagnait aussi dans leurs expéditions guerrières contre les autres tribus ; mais, étant d'une humeur douce et pacifique, il n'y prenait point une part active, sans cependant fuir ni redouter le danger, et se bornait à aller ramasser leurs flèches. Lorsqu'il fut parvenu au faîte de sa gloire, il se plaisait à rappeler que Moïse et David, tous deux prophètes, avaient été bergers comme lui.

Il avait l'esprit méditatif et rêveur ; son caractère, d'une solidité et d'une maturité précoces, joint à une extrême droiture, à un parfait désintéressement et à des mœurs irréprochables, lui acquirent une telle confiance de la part de ses compagnons qu'ils le désignaient par le surnom d'El-Amîn, « l'homme sûr, l'homme fidèle ; » et, quoique jeune et pauvre, on le convoquait aux assemblées de la tribu pour les affaires les plus importantes. Il faisait partie d'une association formée entre les principales familles coraychites en vue de prévenir les désordres de la guerre, de protéger les faibles et de leur faire rendre justice. Il se fit toujours gloire d'y avoir concouru, et, dans les dernières années de sa vie, il se regardait comme toujours lié par le serment qu'il avait prêté à ce sujet dans sa jeunesse. Il disait qu'il était prêt à répondre à l'appel que lui ferait l'homme le plus obscur au nom de ce serment, et qu'il ne voudrait pas, pour les plus beaux chameaux de l'Arabie, manquer à la foi qu'il avait jurée. Par ce serment, les associés juraient devant une divinité vengeresse, qu'ils prendraient la défense des opprimés, et qu'ils poursuivraient la punition des coupables tant qu'il y aurait une goutte d'eau dans l'Océan.

Au physique, Mahomet était d'une taille un peu au-dessus de la moyenne, fortement constitué ; la tête très grosse ; sa physionomie, empreinte d'une gravité douce, sans être belle, était agréable et respirait le calme et la tranquillité.

A l'âge de vingt-cinq ans il épousa sa cousine Khadidja, riche veuve, plus âgée que lui d'au moins quinze ans, dont il avait conquis la confiance par la probité intelligente qu'il avait déployée dans la conduite d'une de ses caravanes. C'était une femme supérieure ; cette union, qui dura vingt-quatre ans et ne finit qu'à la mort de Khadidja, à l'âge de soixante-quatre ans, fut constamment heureuse ; Mahomet en avait alors quarante-neuf, et cette perte lui causa une douleur profonde.

Après la mort de Khadidja, ses mœurs chargèrent ; il épousa plusieurs femmes ; il en eut jusqu'à douze ou treize en légitime mariage, et à sa mort il laissa neuf veuves. Ce fut incontestablement là un tort capital, dont nous verrons plus tard les fâcheuses conséquences.

Jusqu'à l'âge de quarante ans sa vie paisible n'offre rien de saillant. Un seul fait le tira un instant de l'obscurité ; il avait alors trente-cinq ans. Les Coraychites résolurent de rebâtir la Caaba, qui menaçait ruine. Ce ne fut qu'à grande peine qu'on apaisa, par la répartition des travaux, les différends suscités par la rivalité des familles qui voulaient y participer. Ces différends se réveillèrent avec une extrême violence quand il s'agit de replacer la fameuse pierre noire ; personne ne voulant céder son droit, les travaux avaient été interrompus, et de toutes parts on courait aux armes. Sur la proposition du doyen d'âge, on convint de s'en rapporter à la décision de la première personne qui entrerait dans la salle des délibérations : ce fut Mahomet. Dès qu'on le vit, chacun s'écria : « El-Amîn ! El-Amîn ! l'homme sûr et fidèle, » et l'on attendit son jugement. Par sa présence d'esprit, il trancha la difficulté. Ayant étendu son manteau par terre, il y posa la pierre, et pria quatre des principaux chefs factieux de le prendre chacun par un coin et de l'élever tous ensemble jusqu'à la hauteur que la pierre devait occuper, c'est-à-dire à quatre ou cinq pieds au-dessus du sol. Il la prit alors et la posa de sa propre main. Les assistants se déclarèrent satisfaits, et la paix fut rétablie.

Mahomet se plaisait à se promener seul aux environs de la Mecque, et, chaque année, pendant les mois sacrés de trêve, il se retirait sur le mont Hira, dans une grotte étroite, où il se livrait à la méditation. Il avait quarante ans lorsque, dans une de ses retraites, il eut une vision pendant son sommeil. L'ange Gabriel lui apparut, lui montrant un livre qu'il lui enjoignait de lire. Trois fois Mahomet résista à cet ordre, et ce ne fut que pour échapper à la contrainte exercée sur lui qu'il consentit à le lire. A son réveil il sentit, dit-il, « qu'un livre avait été écrit dans son cœur. » Le sens de cette expression est évident ; elle signifie qu'il avait eu l'inspiration d'un livre ; mais plus tard elle fut prise à la lettre, comme il arrive souvent des choses dites en langage figuré.

Un autre fait prouve à quelles erreurs d'interprétation peuvent conduire l'ignorance et le fanatisme. Mahomet dit quelque part, dans le Coran : « N'avons-nous pas ouvert ton cœur, et ôté le fardeau de tes épaules ? » Ces paroles rapprochées d'un accident arrivé à Mahomet lorsqu'il était en nourrice, ont donné lieu à la fable, accréditée chez les croyants, et enseignée par les prêtres comme un fait miraculeux, que deux anges ont ouvert le ventre de l'enfant et enlevé de son cœur une tache noire, signe du péché originel. Faut-il accuser Mahomet de ces absurdités, ou ceux qui ne l'ont pas compris ? Il en est ainsi d'une foule de contes ridicules sur lesquels on l'accuse d'avoir appuyé sa religion. C'est pourquoi nous n'hésitons pas à dire qu'un chrétien éclairé et impartial est plus à même de donner une saine interprétation du Coran qu'un musulman fanatique.

Quoi qu'il en soit, Mahomet fut profondément troublé de sa vision, qu'il s'empressa de raconter à sa femme. Étant retourné sur le mont Hira en proie à la plus vive agitation, il se crut posséder des Esprits malins, et, pour échapper au mal qu'il redoutait, il allait se précipiter du haut d'un rocher, lorsqu'une voix partie du ciel se fit entendre et lui dit : « O Mahomet ! tu es l'envoyé de Dieu ; je suis l'ange Gabriel. » Levant alors les yeux, il vit l'ange sous une forme humaine qui disparut peu à peu à l'horizon. Cette nouvelle vision ne fit qu'augmenter son trouble ; il en fit part à Khadidja, qui s'efforça de le calmer ; mais, peu rassurée elle-même, elle alla trouver son cousin Varaka, vieillard renommé pour sa sagesse et converti au christianisme, qui lui dit : « Si ce que tu viens de me dire est vrai, ton mari est visité par le grand Nâmous, qui jadis a visité Moïse ; il sera le prophète de ce peuple. Annonce-le lui, et qu'il se tranquillise. » A quelque temps de là, Varaka, ayant rencontré Mahomet, se fit raconter ses visions par lui, et lui répéta les paroles qu'il avait dites à sa femme, en ajoutant : « On te traitera d'imposteur ; on te chassera ; on te combattra violemment. Que ne puis-je vivre jusqu'à cette heure pour t'assister dans cette lutte ! »

Ce qui résulte de ces faits et de beaucoup d'autres, c'est que la mission de Mahomet ne fut pas un calcul prémédité de sa part ; elle était avérée pour d'autres qu'elle ne l'était pas encore pour lui ; il fut longtemps à en être persuadé ; mais dès qu'il le fut, il la prit très au sérieux. Pour se convaincre lui-même, il désirait une nouvelle apparition de l'ange, qui se fit attendre deux ans selon les uns, et six mois selon d'autres. C'est cet intervalle d'incertitude et d'hésitation que les musulmans appellent le fitreh ; pendant tout ce temps son esprit fut en proie aux perplexités et aux craintes les plus vives. Il lui semblait qu'il allait perdre la raison, et c'était aussi l'opinion de quelques-uns de ceux qui l'entouraient. Il était sujet à des défaillances et à des syncopes que des écrivains modernes ont attribuées, sans autres preuves que leur opinion personnelle, à des attaques d'épilepsie, et qui pourraient bien plutôt être l'effet d'un état extatique, cataleptique ou somnambulique spontané. Dans ces moments de lucidité extracorporelle, il se produit souvent, comme on le sait, des phénomènes étranges dont le Spiritisme rend parfaitement compte. Aux yeux de certaines gens, il devait passer pour fou ; d'autres voyaient dans ces phénomènes, singuliers pour eux, quelque chose de surnaturel qui plaçait l'homme au-dessus de l'humanité. « Quand on admet l'action le la Providence sur les affaires humaines, dit M. Barthélemy Saint-Hilaire (page 102), on ne peut se refuser à la trouver aussi dans ces intelligences dominatrices qui apparaissent, de loin en loin, pour éclairer et conduire le reste des hommes. »

Le Coran n'est point une œuvre écrite par Mahomet, à tête reposée et d'une manière suivie, mais le relevé fait par ses amis des paroles qu'il prononçait quand il était inspiré. Dans ces moments, dont il n'était point le maître, il tombait dans un état extraordinaire et très effrayant ; la sueur coulait de son front ; ses yeux devenaient rouges de sang ; il poussait des gémissements, et la crise se terminait le plus souvent par une syncope qui durait plus ou moins longtemps, ce qui lui arrivait quelquefois au milieu de la foule, et même quand il était sur son chameau, aussi bien que dans sa maison. L'inspiration était irrégulière et instantanée, et il ne pouvait prévoir le moment où il en serait saisi.

D'après ce que nous connaissons aujourd'hui de cet état par une foule d'exemples analogues, il est probable que, dans le principe surtout, il n'avait pas conscience de ce qu'il disait, et que si ses paroles n'eussent pas été recueillies, elles auraient été perdues ; mais plus tard, quand il eut pris au sérieux son rôle de réformateur, il est évident qu'il parla plus en connaissance de cause, et mêla aux inspirations le produit de ses propres pensées, selon les lieux et les circonstances, les passions ou les sentiments qui l'agitaient, en vue du but qu'il voulait atteindre, tout en croyant, peut-être de bonne foi, parler au nom de Dieu.

Ces fragments détachés, recueillis à diverses époques, et au nombre de 114, forment dans le Coran autant de chapitres appelés sourates ; ils restèrent épars pendant sa vie, et ce ne fut qu'après sa mort qu'ils furent rassemblés en corps officiel de doctrine, par les soins d'AbouBecr et d'Omar. De ces inspirations soudaines, recueillies à mesure qu'elles avaient lieu, est résulté un défaut absolu d'ordre et de méthode ; les sujets les plus disparates y sont traités pêle-mêle, souvent dans la même sourate, et présentent une telle confusion et de si nombreuses répétitions, qu'une lecture suivie en est pénible et fastidieuse pour tout autre que les fidèles.

Selon la croyance vulgaire, devenue article de foi, les feuilles du Coran ont été écrites dans le ciel et apportées toutes faites à Mahomet par l'ange Gabriel, parce que dans un passage il est dit : « Ton Seigneur est puissant et miséricordieux, et le Coran est une révélation du maître de l'univers. L'Esprit fidèle (l'ange Gabriel) l'a apporté d'en haut, et l'a déposé en ton cœur, ô Mahomet, pour que tu fusses apôtre. » Mahomet s'exprime de la même manière à l'égard du livre de Moïse et de l'Évangile ; il dit (sourate III, verset 2) : « Il a fait descendre d'en haut le Pentateuque et l'Évangile, pour servir de direction aux hommes ; » voulant dire par là que ces deux livres avaient été inspirés par Dieu à Moise et à Jésus, comme il lui avait inspiré le Coran.

Ses premières prédications furent secrètes pendant deux ans, et dans cet intervalle il rallia une cinquantaine d'adeptes parmi les membres de sa famille et ses amis. Les premiers convertis à la foi nouvelle furent Khadidja, sa femme ; Ali, son fils adoptif, âgé de dix ans ; Zeïd, Varaka et Abou-Becr, son ami le plus intime, qui devait être son successeur. Il avait quarante-trois ans quand il commença à prêcher publiquement, et dès ce moment se réalisa la prédiction que lui avait faite Varaka. Sa religion, fondée sur l'unité de Dieu et la réforme de certains abus, étant la ruine de l'idolâtrie et de ceux qui en vivaient, les Coraychites, gardiens de la Caaba et du culte national, se soulevèrent contre lui. D'abord on le traita de fou ; puis on l'accusa de sacrilège ; on ameuta le peuple ; on le poursuivit, et la persécution devint si violente que ses partisans durent, par deux fois, chercher un refuge en Abyssinie. Cependant, aux outrages il opposait toujours le calme, le sang-froid et la modération. Sa secte grandissait, et ses adversaires, voyant qu'ils ne pouvaient la réduire par la force, résolurent de le discréditer par la calomnie. La raillerie et le ridicule ne lui furent pas épargnés. Les poètes, comme on l'a vu, étaient nombreux chez les Arabes ; ils maniaient habilement la satire, et leurs vers étaient lus avec avidité ; c'était le moyen employé par la critique malveillante, et l'on ne manqua pas de s'en servir contre lui. Comme il résistait à tout, ses ennemis eurent enfin recours aux complots pour le faire périr, et il ne put échapper que par la fuite au danger qui le menaçait. C'est alors qu'il se réfugia à Yathrib, appelé depuis Médine (Médinet-en-Nabi, ville du Prophète), l'an 622, et c'est de cette époque que date l'Hégire ou ère des musulmans. Il avait envoyé d'avance dans cette ville, par petites troupes pour ne pas éveiller les soupçons, tous ses partisans de la Mecque, et il se retira le dernier, avec Abou-Becr et Ali, ses disciples les plus dévoués, quand il sut les autres en sûreté.

De cette époque date aussi pour Mahomet une nouvelle phase dans son existence ; de simple prophète qu'il était, il fut contraint de se faire guerrier.

La suite au prochain numéro.



[1]M. Barthélemy Saint-Hilaire, de l'Institut, a résumé ces travaux dans un intéressant ouvrage intitulé : Mahomet et le Coran. 1 vol. in-12. ‑ Prix : 3 fr. 50 c. Librairie Didier.


[2] La coudée équivaut à environ 45 centimètres. C'est une mesure naturelle des plus anciennes, et qui avait pour base la distance du coude à l'extrémité des doigts.



Les prophètes du passé

Un ouvrage intitulé les Prophètes du passé, par Barbey d'Aurévilly, contient l'éloge de Joseph de Maistre et de De Bonald, parce qu'ils sont restés ultramontains toute leur vie, tandis que Chateaubriand y est blâmé et Lamennais insulté et présenté sous un aspect odieux.

Le passage suivant montre dans quel esprit est conçu ce livre.

« Dans ce monde, où l'esprit et le corps sont unis par un indissoluble mystère, le châtiment corporel a sa raison spirituelle d'exister, car l'homme n'a pas charge de dédoubler la création. Eh bien ! si au lieu de brûler les écrits de Luther, dont les cendres retombèrent sur l'Europe comme une semence, on avait brûlé Luther lui-même, le monde était sauvé au moins pour un siècle. Luther brûlé, on va crier ; mais je ne tiens pas essentiellement au fagot, pourvu que l'erreur soit supprimée dans sa manifestation du moment, et dans sa manifestation continue, c'est-à-dire l'homme qui l'a dite ou écrite, et qui l'appelle vérité. Est-ce trop pour les agneaux de l'anarchie que ne bêlent que la liberté ! Un homme de génie, le plus positif qui ait vécu depuis Machiavel, et qui n'était pas du tout catholique, mais au contraire un peu libéral, disait, avec une brutalité d'une décision nécessaire : « Ma politique est de tuer deux hommes, quand il le faut, pour en sauver trois. » Or, en tuant Luther, ce n'est pas trois hommes qu'on sauvait au prix de deux : c'était des milliers d'hommes au prix d'un seul. Du reste, il y a plus que l'économie du sang des hommes, c'est le respect de la conscience et de l'intelligence du genre humain. Luther faussait l'une et l'autre. Puis, quand il y a un enseignement et une foi sociale, ‑ c'était le catholicisme alors, ‑ il faut bien les protéger et les défendre, sous peine de périr un jour ou l'autre comme société. De là des tribunaux et des institutions pour connaître des délits contre la foi et l'enseignement. L'inquisition est donc de nécessité logique dans une société quelconque. »

Si les principes que nous venons de citer n'étaient que l'opinion personnelle de l'auteur de cet ouvrage, il n'y aurait pas plus à s'en préoccuper que de maintes autres excentricités ; mais il ne parle pas en son nom seul, et le parti dont il se fait l'organe, en ne les désavouant pas, y donne au moins une adhésion tacite. Du reste, ce n'est pas la première fois que, de nos jours, ces mêmes doctrines sont publiquement préconisées, et il n'est que trop vrai qu'elles constituent encore aujourd'hui l'opinion d'une certaine classe de personnes. Si l'on ne s'en émeut pas davantage, c'est que la société a trop la conscience de sa force pour s'en effrayer. Chacun comprend que de tels anachronismes nuisent avant tout à ceux qui les commettent, car ils creusent plus profondément l'abîme entre le passé et le présent ; ils éclairent les masses et les tiennent en éveil.

L'auteur, comme on le voit, ne déguise pas sa pensée et ne prend pas de précautions oratoires ; il n'y va pas par quatre chemins : « Il aurait fallu brûler Luther ; il faudrait brûler tous les fauteurs d'hérésies pour la plus grande gloire de Dieu et le salut de la religion. » C'est net et précis. Il est triste, pour une religion, de fonder son autorité et sa stabilité sur de pareils expédients ; c'est montrer peu de confiance en son ascendant moral. Si sa base est la vérité absolue, elle doit défier tous les arguments contraires ; comme le soleil, il doit lui suffire de se montrer pour dissiper les ténèbres. Toute religion qui vient de Dieu n'a rien à craindre du caprice ni de la malice des hommes ; elle puise sa force dans le raisonnement, et s'il était au pouvoir d'un homme de la renverser, ce serait, de deux choses l'une, ou qu'elle ne serait pas l'œuvre de Dieu, ou que cet homme serait plus logique que Dieu, puisque ses arguments prévaudraient sur ceux de Dieu.

L'auteur eût préféré brûler Luther plutôt que ses livres, parce que, dit-il, les cendres de ceux-ci sont retombées sur l'Europe comme une semence. Il convient donc que les auto‑da‑fé de livres profitent plus à l'idée qu'on veut détruire qu'ils ne lui nuisent ; c'est là une grande et profonde vérité constatée par l'expérience. Aussi brûler l'homme lui semble plus efficace, car, selon lui, c'est arrêter le mal dans sa source. Mais croit-il donc que les cendres de l'homme sont moins fécondes que celles des livres ? A-t-il réfléchi à tous les rejetons qu'ont produits celles des quatre cent mille hérétiques brûlés par l'Inquisition, sans compter le nombre bien autrement grand de ceux qui ont péri dans d'autres supplices ? Les livres brûlés ne donnent que des cendres ; mais les victimes humaines donnent du sang qui fait des taches indélébiles et retombe sur ceux qui le répandent. C'est de ce sang qu'est sortie la fièvre d'incrédulité qui tourmente notre siècle, et si la foi s'éteint, c'est qu'on a voulu la cimenter par le sang, et non par l'amour de Dieu. Comment aimer un Dieu qui fait brûler ses enfants ? Comment croire à sa bonté, si la fumée des victimes est un encens qui lui est agréable ? Comment croire à sa puissance infinie, s'il a besoin du bras de l'homme pour faire prévaloir son autorité par la destruction ?

Ce n'est pas là la religion, dira-t-on, c'est l'abus. Si telle était en effet l'essence du christianisme, il n'aurait rien à envier au paganisme, même pour les sacrifices humains, et le monde n'eût guère gagné au change. Oui, certes, c'est l'abus ; mais quand l'abus est l'ouvrage de chefs qui ont autorité, qui en font une loi et le présentent comme la plus sainte orthodoxie, il ne faut pas s'étonner si, plus tard, les masses peu éclairées confondent le tout dans la même réprobation. Or, ce sont précisément les abus qui ont engendré les réformes, et ceux qui les ont préconisés recueillent ce qu'ils ont semé.

Il est à remarquer que les neuf dixièmes des trois cent soixante et quelques sectes qui ont divisé le christianisme depuis son origine, ont eu pour but de se rapprocher des principes évangéliques ; d'où il est rationnel de conclure que, si l'on ne s'en était pas écarté, ces sectes ne se seraient pas formées. Et par quelles armes les a-t-on combattues ? Toujours par le fer, le feu, les proscriptions et les persécutions : tristes et pauvres moyens de convaincre ! C'est dans le sang qu'on a voulu les étouffer. A défaut de raisonnement, la force a pu triompher des individus, les détruire, les disperser, mais elle n'a pu anéantir l'idée ; c'est pourquoi on la voit, à quelques variantes près, incessamment reparaître sous d'autres noms ou celui de nouveaux chefs.

L'auteur de ce livre en est, comme on l'a vu, pour les remèdes héroïques. Cependant, comme il craint que l'idée de brûler ne fasse crier dans le siècle où nous sommes, il déclare « ne pas tenir essentiellement au fagot, pourvu que l'erreur soit supprimée dans sa manifestation du moment et dans sa manifestation continue, c'est-à-dire l'homme qui l'a dite ou écrite, et qui l'appelle vérité. » Ainsi, pourvu que l'homme disparaisse, peu lui importe la manière ; on sait que les ressources ne manquent pas : la fin justifie le moyen. Voilà pour la manifestation du moment ; mais, pour que l'erreur soit détruite dans sa manifestation continue, il faut nécessairement faire disparaître tous les adhérents qui n'auront pas voulu se rendre de bonne volonté. On voit que cela nous conduit loin. Du reste, si le moyen est dur, il est infaillible pour se débarrasser de toute opposition.

De telles idées, dans le siècle où nous sommes, ne peuvent être que des importations et des réminiscences d'existences précédentes. Quant aux agneaux qui bêlent la liberté, c'est encore là un anachronisme, un souvenir du passé : jadis ils ne pouvaient en effet que bêler ; mais aujourd'hui les agneaux sont devenus béliers : ils ne bêlent plus la liberté, ils la prennent.

Voyons cependant si, en brûlant Luther, on eût arrêté le mouvement dont il fut l'instigateur. L'auteur ne paraît pas en être bien certain, puisqu'il dit : « Le monde était sauvé, au moins pour un siècle. » Un siècle de répit, voilà donc tout ce qu'on aurait gagné ! Et pourquoi cela ? En voici la raison.

Si les réformateurs n'exprimaient que leurs idées personnelles, ils ne réformeraient rien du tout, parce qu'ils ne trouveraient point d'échos ; un homme seul est impuissant à remuer les masses, si les masses sont inertes et ne sentent en elles aucune fibre vibrer. Il est à remarquer que les grandes rénovations sociales n'arrivent jamais brusquement ; comme les éruptions volcaniques, elles sont précédées de symptômes précurseurs. Les idées nouvelles germent, bouillonnent dans une foule de têtes ; la société est agitée d'une sorte de frémissement qui la met dans l'attente de quelque chose.

C'est à ces époques que surgissent les véritables réformateurs, qui se trouvent ainsi être les représentants, non d'une idée individuelle, mais d'une idée collective, vague, à laquelle le réformateur donne une forme précise et concrète, et il ne réussit que parce qu'il trouve les esprits prêts à la recevoir. Telle était la position de Luther. Mais Luther ne fut ni le premier ni le seul promoteur de la réforme ; avant lui, elle avait eu pour apôtres Wicklef, Jean Huss, Jérôme de Prague : ces deux derniers furent brûlés par ordre du concile de Constance ; les hussites, poursuivis à outrance après une guerre acharnée, furent vaincus et massacrés. Les hommes furent détruits, mais non l'idée, qui fut reprise plus tard sous une autre forme, et modifiée dans quelques détails par Luther, Calvin, Zwingle, etc. ; d'où il est permis de conclure que, si l'on eût brûlé Luther, cela n'eût servi à rien et n'eût pas même donné un siècle de répit, parce que l'idée de la réforme n'était pas dans la seule tête de Luther, mais dans des milliers de têtes, d'où devaient sortir des hommes capables de la soutenir. Ce n'eût été qu'un crime de plus, sans profit pour la cause qui l'eût provoqué ; tant il est vrai que, lorsqu'un courant d'idées nouvelles traverse le monde, rien ne saurait l'arrêter.

En lisant de telles paroles, on les croirait écrites aux époques de fièvre des guerres religieuses, et non dans un temps où l'on juge les doctrines avec le calme de la raison.

Des créations fantastiques de l'imagination

Les visions de Madame Cantianille B…

L'Événement du 19 juin 1866 contient l'article suivant :

« D'étranges faits, encore inexpliqués, se sont produits l'an dernier à Auxerre et ont ému la population. Les partisans du Spiritisme y ont vu des manifestations de leur doctrine, et le clergé les a considérés comme des exemples nouveaux de la possession : on a parlé d'exorcismes, comme si les beaux temps des Ursulines de Loudun étaient revenus. La personne autour de laquelle se faisait tout ce bruit, s'appelait Cantianille B… Un vicaire de la cathédrale de Sens, M. l'abbé Thorey, autorisé par son évêque, constata ces apparentes dérogations aux lois naturelles. Cet ecclésiastique publie aujourd'hui, sous ce titre : Rapports merveilleux de madame Cantianille B… avec le monde surnaturel, le résultat de ses observations. Il nous apporte une épreuve de son travail, et c'est avec plaisir que nous en détachons un morceau curieux à divers titres.

Dans sa préface, l'auteur, après avoir exposé le plan de son livre, ajoute :

Que mon lecteur, en parcourant ces pages, veuille bien ne pas précipiter son jugement ; ces faits lui paraîtront sans doute incroyables, mais je le prie de se rappeler que nous affirmons avec serment, Cantianille et moi, la vérité de ces faits. Dans le récit qui va suivre, rien d'exagéré ni d'inventé à plaisir, tout y est parfaitement exact.

D'ailleurs, ces faits, ces manifestations prodigieuses du monde supérieur, se reproduisant tous les jours, et toutes les fois que je le désire, nous ne demandons pas qu'on nous croie sur notre simple affirmation ; au contraire, nous demandons instamment qu'on les étudie ; qu'il se forme des réunions d'hommes compétents, ne désirant que la vérité et disposés à la chercher loyalement ; toutes ces merveilles se reproduiront devant eux et autant de fois que ce sera nécessaire pour les convaincre. Nous en prenons l'engagement.

Puissent les esprits à idées larges considérer ce livre comme une bonne nouvelle ! »

Dans le courant de l'ouvrage, Cantianille B… raconte elle-même comment elle devint membre et présidente d'une société d'Esprits, en 1840, pendant son séjour dans un couvent de religieuses :

Ossian (Esprit de second ordre), étant venu comme d'habitude me prendre au couvent, je me trouvai aussitôt transportée au milieu de la réunion. Il me déposa sur un trône où les applaudissements les plus bruyants accueillirent mon apparition.

On me fit faire le serment ordinaire : Je jure d'offenser Dieu par tous les moyens possibles et de ne reculer devant rien pour faire triompher l'enfer sur le ciel. J'aime Satan ! Je hais Dieu ! Je veux la chute du ciel et le règne de l'enfer !…

Après quoi, chacun vint me féliciter et m'encourager à me montrer forte dans les épreuves qui me restaient à subir. Je le promis.

Ces cris, ce tumulte, cet empressement de chacun, la musique et les gerbes de feu qui éclairaient la salle, tout m'électrisait, m'enivrait !… Je m'écriai donc d'une voix forte : « Je suis prête ; je ne crains pas vos épreuves ; vous aller voir si je suis digne d'être des vôtres. » Aussitôt, tout bruit cessa, toute lumière disparut. « Marche, » me dit une voix. J'avançai sans doute dans un étroit corridor, car je sentis de chaque côté comme deux murailles, et ces murailles semblaient se rapprocher de plus en plus. Je crus que j'allais être étouffée, et la terreur s'empara de moi. Je voulus retourner ; mais au même instant je me sentis entre les bras d'Ossian. Il exerça sur tout mon corps une pression si vive, que je jetai un cri perçant. « Tais-toi, me dit-il, ou tu es morte. » Le danger me rendit mon courage…

Non, je ne crierai plus, non, je ne reculerai pas ; » et faisant un effort surhumain, je franchis comme un trait ce long couloir qui devenait à chaque pas plus obscur et plus étroit. Malgré mes efforts, mon épouvante redoublait, et j'allais peut-être m'enfuir, quand tout à coup la terre se dérobant sous mes pieds, je tombai dans un abîme dont je ne pouvais apprécier la profondeur. Je fus un instant étourdie de cette chute, sans cependant me décourager. Une pensée infernale venait de me traverser l'esprit. «Ah ! ils veulent m'effrayer !… Ils verront si je crains les démons… » Et je me levai aussitôt pour chercher une issue. Mais… voilà que de tous côtés des flammes apparaissaient !… Elles approchaient de moi comme pour me brûler…

Et au milieu de ce feu les Esprits criant, hurlant, quelle terreur !

Que me veux-tu ? dis-je à Ossian.

‑ Je veux que tu sois la présidente de notre association… Je veux que tu nous aides à haïr Dieu ; je veux que tu jures d'être à nous, pour nous et avec nous, partout et toujours ? »

A peine eus-je fait ces promesses que le feu s'éteignit subitement.

Ne me fuis pas, me dit-il, je t'apporte le bonheur et la grandeur. Regarde. » Je me trouvai au milieu des associés, au milieu de la salle qu'on avait encore embellie pendant mon absence. ‑ Un repas somptueux était servi.

On m'y donna la place d'honneur, et vers la fin où tout le monde était échauffé par le vin et les liqueurs, et surexcité par la musique, je fus nommée présidente.

Celui qui m'avait livrée fit ressortir en quelques mots le courage que j'avais montré dans ces terribles épreuves, et, au milieu de mille bravos, j'acceptai ce titre fatal de présidente.

J'étais ainsi à la tête de plusieurs milliers de personnes attentives au moindre signe. ‑ Je n'eus donc qu'une seule pensée : mériter leur confiance et leur soumission. Je n'ai malheureusement que trop bien réussi. »

L'auteur a raison de dire que les partisans du Spiritisme peuvent voir dans ces faits des manifestations de leur doctrine ; c'est qu'en effet le Spiritisme, pour ceux qui l'ont étudié ailleurs qu'à l'école de messieurs Davenport et Robin, est la révélation d'un nouveau principe, d'une nouvelle loi de la nature qui nous donne la raison de ce que, faute de mieux, on est convenu d'attribuer à l'imagination. Ce principe est dans le monde extra-corporel intimement lié à notre existence. Celui qui n'admet pas l'âme individuelle et indépendante de la matière, rejetant la cause à priori, ne peut s'en expliquer les effets ; et cependant ces effets sont sans cesse sous nos yeux, innombrables et patents ; en les suivant de proche en proche dans leur filiation, on arrive à la source ; c'est ce que fait le Spiritisme, procédant toujours par voie d'observation, remontant de l'effet à la cause, et jamais par théorie préconçue.

C'est là un point capital sur lequel on ne saurait trop insister. Le Spiritisme n'a pas pris son point de départ dans l'existence des Esprits et du monde invisible, à titre de supposition gratuite, sauf à prouver plus tard cette existence, mais dans l'observation des faits, et des faits constatés, il a conclu à la théorie. Cette observation l'a conduit à reconnaître, non-seulement l'existence de l'âme comme être principal, puisqu'en lui résident l'intelligence et les sensations, et qu'il survit au corps, mais que des phénomènes d'un ordre particulier se passent dans la sphère d'activité de l'âme, incarnée ou désincarnée, en dehors de la perception des sens. Comme l'action de l'âme se lie essentiellement à celle de l'organisme pendant la vie, c'est un champ d'exploration vaste et nouveau ouvert à la psychologie et à la physiologie, et dans lequel la science trouvera ce qu'elle cherche inutilement depuis si longtemps.

Le Spiritisme a donc trouvé un principe fécond, mais il ne s'ensuit pas qu'il puisse encore tout expliquer. La connaissance des lois de l'électricité a donné l'explication des effets de la foudre ; nul n'a traité cette question avec plus de savoir et de lucidité qu'Arago, et cependant, dans ce phénomène si vulgaire de la foudre, il y a des effets qu'il déclare, tout savant qu'il est, ne pouvoir expliquer, comme par exemple celui des éclairs fourchus. Les nie-t-il pour cela ? Non, car il a trop de bon sens, et d'ailleurs on ne peut nier un fait. Que fait-il ? Il dit : observons, et attendons que nous soyons plus avancés. Le Spiritisme n'agit pas autrement ; il confesse son ignorance sur ce qu'il ne sait pas, et en attendant qu'il le sache, il cherche et observe.

Les visions de madame Cantianille appartiennent à cette catégorie de questions sur lesquelles on ne peut en quelque sorte, et jusqu'à plus ample informé, qu'essayer une explication. Nous croyons la trouver dans le principe des créations fluidiques par la pensée.

Lorsque les visions ont pour objet une chose positive, réelle, dont l'existence est constatée, l'explication en est fort simple : l'âme voit, par l'effet de son rayonnement, ce que les yeux du corps ne peuvent voir. Le Spiritisme, n'aurait-il expliqué que cela, aurait déjà levé le voile sur bien des mystères. Mais la question se complique quand il s'agit de visions qui, comme celles de madame Cantianille, sont purement fantastiques. Comment l'âme peut-elle voir ce qui n'existe pas ? D'où viennent ces images qui, pour ceux qui les voient, ont toutes les apparences de la réalité ? Ce sont, dit-on, des effets de l'imagination ; soit ; mais ces effets ont une cause ; en quoi consiste ce pouvoir de l'imagination ? Comment et sur quoi agit-elle ? Qu'une personne craintive entendant un bruit de souris pendant la nuit, soit saisie de frayeur, et se figure entendre les pas de voleurs ; qu'elle prenne une ombre ou une forme vague pour un être vivant qui la poursuit, ce sont là bien véritablement des effets de l'imagination ; mais dans les visions du genre de celles dont il s'agit ici, il y a quelque chose de plus, car ce n'est plus seulement une idée fausse, c'est une image avec ses formes et ses couleurs si nettes et si précises qu'on en pourrait faire le dessin ; et cependant ce n'est qu'une illusion ! d'où cela vient-il ?

Pour se rendre compte de ce qui se passe en cette circonstance, il faut nécessairement sortir de notre point de vue exclusivement matériel, et pénétrer, par la pensée, dans le monde incorporel, nous identifier avec sa nature et les phénomènes spéciaux qui doivent se passer dans un milieu tout différent du nôtre. Nous sommes ici-bas dans la position d'un spectateur qui s'étonne d'un effet de scène, parce qu'il n'en comprend pas le mécanisme ; mais qu'il aille derrière les coulisses, et tout lui sera expliqué.

Dans notre monde tout est matière tangible ; dans le monde invisible tout est, si l'on peut s'exprimer ainsi, matière intangible ; c'est-à-dire intangible pour nous qui ne percevons que par des organes matériels, mais tangible pour les êtres de ce monde qui perçoivent par des sens spirituels. Tout est fluidique dans ce monde, hommes et choses, et les choses fluidiques y sont aussi réelles, relativement, que les choses matérielles le sont pour nous. Voilà un premier principe.

Le second principe est dans les modifications que la pensée fait subir à l'élément fluidique. On peut dire qu'elle le façonne à son gré, comme nous façonnons un morceau de terre pour en faire une statue ; seulement, la terre étant une matière compacte et résistante, il faut, pour la manipuler, un instrument résistant, tandis que la matière éthérée subit sans effort l'action de la pensée. Sous cette action, elle est susceptible de revêtir toutes les formes et toutes les apparences. C'est ainsi qu'on voit les Esprits encore peu dématérialisés se figurer avoir sous la main les objets qu'ils avaient de leur vivant ; qu'ils se revêtent des mêmes costumes, qu'ils se parent des mêmes ornements, et prennent à leur gré les mêmes apparences. La reine d'Oude, dont nous avons rapporté l'entretien dans la Revue de mars 1858, page 82, se voyait toujours avec ses bijoux, et disait qu'ils ne l'avaient pas quittée. Il leur suffit pour cela d'un acte de la pensée, sans que, le plus souvent, ils se rendent compte de la manière dont la chose s'opère, comme parmi les vivants beaucoup de gens marchent, voient et entendent sans pouvoir dire comment et pourquoi. Tel était encore l'Esprit du zouave de Magenta (Revue de juillet 1859) qui disait avoir son même costume, et qui, lorsqu'on lui demandait où il l'avait pris, puisque le sien était resté sur le champ de bataille, répondit : Cela regarde mon tailleur. Nous avons cité plusieurs faits de ce genre, entre autres celui de l'homme à la tabatière (août 1859, page 197) et de Pierre, Legay (novembre 1864, page 339) qui payait sa place en omnibus. Ces créations fluidiques peuvent parfois revêtir, pour les vivants, des apparences momentanément visibles et tangibles, par la raison qu'elles sont dues en réalité à une transformation de la matière éthérée. Le principe des créations fluidiques paraît être une des lois les plus importantes du monde incorporel.

L'âme incarnée, dans ses moments d'émancipation, jouissant en partie des facultés de l'Esprit libre, peut produire des effets analogues. Là peut être la cause des visions dites fantastiques. Lorsque l'Esprit est fortement imbu d'une idée, sa pensée peut en créer une image fluidique qui a pour lui toutes les apparences de la réalité, aussi bien que l'argent de Pierre Legay, quoique la chose n'existe pas par elle-même. Tel est, sans doute, le cas où s'est trouvée Mme Cantianille. Préoccupée des récits qu'elle avait entendu faire de l'enfer, des démons et de leurs tentations, des pactes par lesquels ils s'emparent des âmes, des tortures des damnés, sa pensée en a créé un tableau fluidique qui n'avait de réalité que pour elle.

On peut ranger dans la même catégorie les visions de la sœur Elmerich qui affirmait avoir vu toutes les scènes de la Passion, et retrouvé le calice dans lequel avait bu Jésus, ainsi que d'autres objets analogues à ceux en usage dans le culte actuel, qui n'existaient certainement pas à cette époque, et dont elle donnait cependant une description minutieuse. En disant qu'elle avait vu tout cela, elle était de bonne foi, car elle avait véritablement vu, par les yeux de l'âme, mais une image fluidique, créée par sa pensée.

Toutes les visions ont leur principe dans les perceptions de l'âme, comme la vue corporelle a le sien dans la sensibilité du nerf optique ; mais elles varient dans leur cause et dans leur objet. Moins l'âme est développée, plus elle est susceptible de se faire illusion sur ce qu'elle voit ; ses imperfections la rendent sujette à erreur. Celles qui sont le plus dématérialisées sont celles dont les perceptions sont les plus étendues et les plus justes ; mais quelque imparfaites qu'elles soient, leurs facultés n'en sont pas moins utiles à étudier.

Si cette explication n'offre pas une certitude absolue, elle a au moins un caractère évident de probabilité. Elle prouve surtout une chose, c'est que les Spirites ne sont pas aussi crédules que le prétendent leurs détracteurs, et ne donnent pas tête baissée dans tout ce qui paraît merveilleux. Toutes les visions sont donc loin d'être pour eux des articles de foi ; mais quelles qu'elles soient, illusions ou vérités, ce sont des effets qu'on ne saurait nier ; ils les étudient et cherchent à s'en rendre compte, sans avoir la prétention de tout savoir et de tout expliquer. Ils n'affirment une chose que lorsqu'elle est démontrée par l'évidence. Il serait aussi inconséquent de tout accepter que tout nier.



Questions et problèmes

Enfants guides spirituels de leurs parents

Une mère ayant perdu un enfant de sept ans, et étant devenue médium, eut ce même enfant pour guide. Elle lui posa un jour cette question :

Cher et bien-aimé enfant, un spirite de mes amis ne comprend pas et n'admet point que tu puisses être le guide spirituel de ta mère, puisqu'elle existait avant toi et a dû indubitablement avoir un guide, ne fût-ce que le temps où nous avons eu le bonheur de t'avoir à côté de nous. Peux-tu nous donner quelques explications ?

Réponse de l'Esprit de l'enfant. ‑ Comment voulez-vous approfondir tout ce qui vous parait incompréhensible ? Celui qui vous paraît même le plus avancé dans le Spiritisme n'est qu'aux premiers éléments de cette doctrine, et n'en sait pas plus que tel ou tel qui vous paraît au fait de tout et capable de vous donner des explications. ‑ J'ai existé longtemps avant ma mère, et j'ai occupé dans une autre existence une position éminente par mes connaissances intellectuelles.

Mais un immense orgueil s'était emparé de mon Esprit, et pendant plusieurs existences consécutives, j'ai été soumis à la même épreuve, sans pouvoir en triompher, jusqu'à ce que je fusse arrivé à l'existence où j'étais près de vous ; mais comme j'étais déjà avancé, et que mon départ devait servir à votre avancement, à vous si arriérés dans la vie spirite, Dieu m'a rappelé avant la fin de ma carrière, considérant ma mission auprès de vous plus profitable comme Esprit que comme incarné.

Pendant mon dernier séjour sur la terre, ma mère a eu son ange gardien auprès d'elle, mais temporairement ; car Dieu savait que c'était moi qui devais être son guide spirituel, et que je l'amènerais plus efficacement dans la voie dont elle était si éloignée. Ce guide, qu'elle avait alors, a été appelé à une autre mission, lorsque je suis venu prendre sa place auprès d'elle.

Demandez à ceux que vous savez plus avancés que vous, si cette explication est logique et bonne ; car il se peut que ce soit mon opinion personnelle, et même en l'émettant, je ne sais pas bien si je ne me trompe. Enfin, cela vous sera expliqué, si vous le demandez. Beaucoup de choses vous sont cachées encore, qui vous paraîtront claires plus tard. Ne veuillez pas trop approfondir, car alors de cette constante préoccupation naît la confusion de vos idées. Ayez patience ; et de même qu'un miroir terni par une légère haleine, s'éclaircit peu à peu, votre esprit tranquille et calme atteindra à ce degré de compréhension nécessaire à votre avancement.

Courage donc, bons parents ; marchez avec confiance, et un jour vous bénirez l'heure de l'épreuve terrible qui vous a ramenés dans la voie du bonheur éternel, et sans laquelle vous eussiez eu bien des existences malheureuses à parcourir encore.

Remarque. Cet enfant était d'une précocité intellectuelle rare pour son âge. Même en état de santé, il semblait pressentir sa fin prochaine ; il se plaisait dans les cimetières, et sans avoir jamais entendu parler du Spiritisme, auquel ses parents ne croyaient pas, il demandait souvent si, lorsqu'on est mort, on ne pouvait pas revenir vers ceux que l'on a aimés : il aspirait à mourir comme à un bonheur et disait que lorsqu'il mourrait, sa mère ne devait pas s'en affliger, parce qu'il reviendrait auprès d'elle. C'est en effet la mort de trois enfants en quelques jours qui a poussé les parents à chercher une consolation dans le Spiritisme. Cette consolation, ils l'ont largement trouvée, et leur foi a été récompensée par la possibilité de converser à chaque instant avec leurs enfants, la mère étant en très peu de temps devenue excellent médium, et ayant son fils même pour guide, Esprit qui se révèle par une grande supériorité.

Communication avec les êtres qui nous sont chers

Pourquoi toutes les mères qui pleurent leurs enfants, et seraient heureuses de communiquer avec eux, ne le peuvent-elles souvent pas ; pourquoi la vue leur en est-elle refusée, même en rêve, malgré leur désir et leurs ardentes prières ?

Outre le défaut d'aptitude spéciale qui, comme on le sait, n'est pas donnée à tout le monde, il y a parfois d'autres motifs dont la sagesse de la Providence apprécie mieux que nous l'utilité. Ces communications pourraient avoir des inconvénients pour les natures trop impressionnables ; certaines personnes pourraient en faire abus et s'y livrer avec un excès nuisible à leur santé. La douleur, en pareil cas, est sans doute naturelle et légitime ; mais elle est quelquefois poussée à un point déraisonnable. Chez les personnes d'un caractère faible, ces communications ravivent souvent la douleur au lieu de la calmer, c'est pourquoi il ne leur est pas toujours permis d'en recevoir, même par d'autres médiums, jusqu'à ce qu'elles soient devenues plus calmes et assez maîtresses d'elles-mêmes pour dominer l'émotion. Le manque de résignation, en pareil cas, est presque toujours une cause de retard.

Puis, il faut dire aussi que l'impossibilité de communiquer avec les Esprits qu'on affectionne le plus, alors qu'on le peut avec d'autres, est souvent une épreuve pour la foi et la persévérance, et, dans certains cas, une punition. Celui à qui cette faveur est refusée doit donc se dire que sans doute il l'a mérité ; c'est à lui d'en chercher la cause en lui-même, et non de l'attribuer à l'indifférence ou à l'oubli de l'être regretté.

Il est enfin des tempéraments qui, nonobstant la force morale, pourraient souffrir de l'exercice de la médiumnité avec certains Esprits, même sympathiques, selon les circonstances.

Admirons en tout la sollicitude de la Providence, qui veille sur les plus petits détails, et sachons nous soumettre à sa volonté sans murmure, car elle sait mieux que nous ce qui nous est utile ou nuisible. Elle est pour nous comme un bon père qui ne donne pas toujours à son enfant ce qu'il désire.

Les mêmes raisons ont lieu pour ce qui concerne les rêves. Les rêves sont le souvenir de ce que l'âme a vu à l'état de dégagement pendant le sommeil. Or, ce souvenir peut être interdit. Mais ce dont on ne se souvient pas n'est pas pour cela perdu pour l'âme ; les sensations éprouvées pendant les excursions qu'elle fait dans le monde invisible, laissent au réveil des impressions vagues, et l'on en rapporte des pensées et des idées dont, souvent, on ne soupçonne pas l'origine. On peut donc avoir vu, pendant le sommeil, les êtres qu'on affectionne, s'être entretenu avec eux, et ne pas s'en souvenir ; on dit alors qu'on n'a pas rêvé.

Mais si l'être regretté ne peut se manifester d'une manière ostensible quelconque, il n'en est pas moins auprès de ceux qui l'attirent par leur pensée sympathique ; il les voit, il entend leurs paroles ; et souvent on devine sa présence, par une sorte d'intuition, une sensation intime, quelquefois même par certaines impressions physiques. La certitude qu'il n'est pas dans le néant ; qu'il n'est perdu ni dans les profondeurs de l'espace, ni dans les gouffres de l'enfer ; qu'il est plus heureux, exempt désormais des souffrances corporelles et des tribulations de la vie ; qu'on le reverra, après une séparation momentanée, plus beau, plus resplendissant, sous son enveloppe éthérée impérissable, que sous sa lourde carapace charnelle : c'est là une immense consolation que se refusent ceux qui croient que tout finit avec la vie, et c'est ce que donne le Spiritisme.

En vérité, on ne comprend pas le charme qu'on peut trouver à se complaire dans l'idée du néant pour soi-même et pour les siens, et l'obstination de certaines gens à repousser jusqu'à l'espérance qu'il en peut être autrement, et les moyens d'en acquérir la preuve. Qu'on dise à un malade mourant : « Demain vous serez guéri, vous vivrez encore de longues années, gai, bien portant, » il en acceptera l'augure avec joie ; la pensée de la vie spirituelle, indéfinie, exempte des infirmités et des soucis de la vie, n'est-elle pas bien autrement satisfaisante ?

Eh bien ! le Spiritisme n'en donne pas seulement l'espérance, mais la certitude. C'est pour cela que les Spirites considèrent la mort tout autrement que les incrédules.

Perfectibilité des Esprits

Paris, 3 février 1866. Groupe de M. Lat… ‑ Médium, M. Desliens.


Demande. Si les Esprits ou âmes s'améliorent indéfiniment, d'après le Spiritisme, ils doivent devenir infiniment perfectionnés ou purs. Arrivés à ce degré, pourquoi ne sont-ils pas égaux à Dieu ? Ceci n'est pas selon la justice.

Réponse. L'homme est une créature véritablement singulière ! Toujours il trouve son horizon trop borné ; il veut tout comprendre, tout saisir, tout connaître ! Il veut pénétrer l'insondable et il néglige l'étude de ce qui le touche immédiatement ; on veut comprendre Dieu, juger ses actes, le faire juste ou injuste ; on dit comment on voudrait qu'il fût, sans se douter qu'il est tout cela et davantage encore !… Mais, misérable vermisseau, as-tu jamais pu comprendre d'une manière absolue rien de ce qui t'entoure ? Sais-tu d'après quelle loi la fleur se colore et se parfume sous les baisers vivifiants du soleil ? Sais-tu comment tu nais, continent tu vis, et pourquoi ton corps meurt ?… ‑ Tu vois des faits, mais les causes demeurent pour toi enveloppées d'un voile impénétrable, et tu voudrais juger le principe de toutes causes, la cause première, Dieu enfin ! ‑ Il est bien d'autres études plus nécessaires au développement de ton être, qui méritent toute ton attention !…
Lorsque tu résous un problème d'algèbre, ne vas-tu pas du connu à l'inconnu, et pour comprendre Dieu, ce problème insoluble depuis tant de siècles, tu veux t'adresser directement à lui ! As-tu donc tous les éléments nécessaires pour établir une telle équation ? Ne te manque-t-il aucun document pour juger ton créateur en dernier ressort ? Ne vas-tu pas croire que le monde soit borné à ce grain de poussière, perdu dans l'immensité des espaces, où tu t'agites plus imperceptible que le moindre des infusoires dont l'univers est une goutte d'eau ? ‑ Cependant, raisonnons et voyons pourquoi, d'après tes connaissances actuelles, Dieu serait injuste en ne se laissant jamais atteindre par sa créature.

Dans toutes les sciences, il est des axiomes ou vérités irrécusables que l'on admet comme bases fondamentales. Les sciences mathématiques, et en général toutes les sciences, sont basées sur cet axiome que la partie ne saurait jamais égaler le tout. L'homme, créature de Dieu, ne saurait donc jamais, d'après ce principe, atteindre celui qui le créa.

Supposez qu'un individu ait une route d'une longueur infinie à parcourir, d'une longueur infinie, pesez bien ce mot ; c'est là la position de l'homme par rapport à Dieu considéré comme son but.

Si peu que l'on avance, me direz-vous, la somme des années et des siècles de marche permettra d'atteindre le but. C'est là l'erreur !… Ce que vous ferez dans un an, dans un siècle, dans un million de siècles, sera toujours une quantité finie ; un autre espace égal ne vous permettra de fournir qu'une quantité également finie, et ainsi de suite. Or, pour le mathématicien le plus novice, une somme de quantités finies ne saurait jamais former une quantité infinie. Le contraire serait absurde, et dans ce cas l'infini pourrait se mesurer, ce qui lui ferait perdre sa qualité d'infini. ‑ L'homme progressera toujours et incessamment, mais d'une quantité finie ; la somme de ses progrès ne sera donc jamais qu'une perfection finie qui ne saurait atteindre Dieu, l'infini en tout. Il n'y a donc pas d'injustice de la part de Dieu à ce qu'une de ses créatures ne puisse jamais l'égaler. La nature de Dieu est un obstacle infranchissable à une telle fin de l'Esprit ; sa justice ne saurait non plus le permettre, car si un Esprit atteignait Dieu, il serait Dieu lui-même. Or, si deux Esprits sont tels qu'ils aient tous deux une puissance infinie sous tous les rapports et que l'un soit identique à l'autre, ils se confondent en un seul et il n'y a plus qu'un Dieu ; l'un devrait donc perdre son individualité, ce qui serait une injustice beaucoup plus évidente que de ne pouvoir atteindre un but infiniment éloigné tout en s'en rapprochant constamment. Dieu fait bien ce qu'il fait, et l'homme est bien trop petit pour se permettre de peser ses décisions.Moki.

Remarque. S'il est un mystère insondable pour l'homme, c'est le principe et la fin de toutes choses. La vue de l'infini lui donne le vertige. Pour le comprendre, il faut des connaissances et un développement intellectuel et moral qu'il est loin de posséder encore, malgré l'orgueil qui le porte à se croire arrivé au sommet de l'échelle humaine. Par rapport à certaines idées, il est dans la position d'un enfant qui voudrait faire du calcul différentiel et intégral avant de savoir les quatre règles. A mesure qu'il avancera vers la perfection, ses yeux s'ouvriront à la lumière, et le brouillard qui les couvre se dissipera. En travaillant à son amélioration présente, il arrivera plus tôt qu'en se perdant dans des conjectures.



Variétés - La reine Victoria et le Spiritisme

On lit dans le Salut public de Lyon du 3 juin 1866, aux nouvelles de Paris :

« Lord Granville, pendant le court séjour qu'il vient de faire à Paris, disait à quelques amis que la reine Victoria se montrait plus préoccupée qu'on ne l'avait jamais vue à aucune époque de sa vie, au sujet du conflit austro-prussien. La reine, ajoutait le noble lord, président du conseil privé de S. M. britannique, croit obéir à la voix du défunt prince Albert en n'épargnant rien afin de prévenir une guerre qui mettrait en feu l'Allemagne entière. C'est sous cette impression, qui ne la quitte pas, qu'elle a écrit à plusieurs reprises au roi de Prusse, ainsi qu'à l'empereur d'Autriche, et qu'elle aurait aussi adressé une lettre autographe à l'impératrice Eugénie, pour la supplier de joindre ses efforts aux siens en faveur de la paix. »

Ce fait confirme celui que nous avons publié dans la Revue spirite de mars 1864, page 85, sous le titre de : Une Reine médium. Il y était dit, d'après une correspondance de Londres reproduite par plusieurs journaux, que la reine Victoria s'entretenait avec l'Esprit du prince Albert et prenait son avis dans certaines circonstances, comme elle le faisait du vivant de ce dernier. Nous renvoyons à cet article pour les détails du fait et les réflexions auxquelles il a donné lieu. Du reste, nous pouvons affirmer que la reine Victoria n'est pas la seule tête couronnée, ou touchant à la couronne, qui sympathise avec les idées spirites, et toutes les fois que nous avons dit que la doctrine avait des adhérents jusque sur les plus hauts degrés de l'échelle sociale, nous n'avons rien exagéré.

On s'est souvent demandé pourquoi des souverains, convaincus de la vérité et de l'excellence de cette doctrine, ne se faisaient pas un devoir de l'appuyer ouvertement de l'autorité de leur nom. C'est que les souverains sont peut-être les hommes les moins libres ; plus que de simples particuliers, ils sont soumis aux exigences du monde, et tenus, par des raisons d'État, à certains ménagements. Nous ne nous serions pas permis de nommer la reine Victoria à propos du Spiritisme, si d'autres journaux n'avaient pris l'initiative, et puisqu'il n'y a eu pour ce fait ni démentis, ni réclamations, nous avons cru pouvoir le faire sans inconvénient. Un jour viendra sans doute où les souverains pourront s'avouer Spirites comme ils s'avouent protestants, catholiques grecs ou romains ; en attendant, leur sympathie n'est pas aussi stérile qu'on pourrait le croire, car, dans certaines contrées, si le Spiritisme n'est pas entravé et persécuté d'office, comme l'était le christianisme à Rome, il le doit à de hautes influences. Avant d'être officiellement protégé, il doit se contenter d'être toléré, accepter ce qu'on lui donne, et ne pas demander trop, de peur de ne rien obtenir. Avant d'être chêne, il n'est que roseau, et si le roseau ne se brise pas, c'est qu'il plie sous le vent.



Poésies Spirites

Méry le Rêveur

Groupe de M. L…, 4 juillet 1866, méd. M. Vavasseur.


Tout nouveau-né sur votre rive

Je vis une femme attentive

Dire en épiant mon réveil :

Ne troublez pas son doux sommeil,

Il rêve ; et je naissais à peine !

Un peu plus tard, quand dans la plaine

J'effeuillais le trèfle fleuri,

On disait que Joseph Méry

Rêvait ; et quand ma pauvre mère

M'asseyait sur la blanche pierre

Qui du ruisseau gardait le bord,

Elle aussi disait : Rêve encor,

Mon enfant. Plus tard, au collège,

Par haine ou par mépris, que sais-je !

Tous mes amis fuyaient au loin,

Et me laissaient seul, dans un coin,

Rêver. Et quand la folle ivresse

Des plaisirs troubla ma jeunesse,

La foule me montrait au doigt

En disant : C'est Méry qui doit

Encor rêver. Et quand, plus sage,

Presque à mi-chemin du voyage,

Je fus jugé comme écrivain,

On disait de moi : C'est en vain

Qu'il évoque la poésie

Dans ses vers, c'est la rêverie

Qui vient à son appel. Méry,

Quoi qu'il fasse, sera Méry.

Et quand la dernière prière

Eut béni ma froide poussière,

Attentif sous mon linceul,

Je n'entendis qu'un mot, un seul ;

Rêveur ! Eh bien ! oui, sur la terre

J'ai rêvé ; pourquoi donc le taire ?

Un rêve qui n'est pas fini,

Et que je recommence ici.


J. Méry.
La prière de la mort pour les morts

Société de Paris, 13 juillet 1866, méd. M. Vavasseur.


Les siècles ont roulé dans le gouffre des temps

Sans pitié, fleurs et fruits, froids hivers, doux printemps,

Et la mort a passé sans frapper à la porte

Qui cachait le trésor qu'en secret elle emporte ;

La vie !O mort ! la main qui dirige ta main

Lasse d'avoir frappé, ne peut-elle demain

Suspendre un peu ses coups ? Ta faim mal assouvie

Veut-elle encore troubler le banquet de la vie ?

Mais, si tu viens sans cesse, à toute heure du jour

Chercher chez nous des morts pour peupler ton séjour,

L'univers est trop peu pour tes profonds abîmes,

Ou ton gouffre est sans fond pour tes pauvres victimes.

O mort ! tu vois pleurer la vierge sans pleurer,

Et tu sèches les fleurs qui devaient la parer,

Sans permettre à son front de ceindre la couronne

De roses et de lys que son époux lui donne.

O mort ! tu n'entends pas les cris du pauvre enfant,

Et tu viens sans pitié le frapper en naissant,

Sans permettre à ses yeux de connaître la mère

Que lui donnait le ciel en lui donnant la terre.

O mort ! tu n'entends pas les vœux de ce vieillard

Implorant la faveur, à l'heure du départ,

Et d'embrasser son fils et de bénir sa fille,

Pour s'endormir plus vite et mourir plus tranquille.

Mais, cruelle ! dis-moi, que deviennent les morts

Qui quittent notre rive et s'en vont sur tes bords ?

Souffriraient-ils toujours les douleurs de la terre

Dans cette éternité des temps, et la prière

Ne pourrait-elle au moins les adoucir un jour ?

Et la mort répondit : Dans ce sombre séjour

Où, libre, j'ai fixé mon ténébreux empire,

La prière est puissante et c'est Dieu qui l'inspire

A mes sujets, à moi. Quand je reviens, le soir,

Sur mon trône sanglant pompeusement m'asseoir,

Je regarde les cieux et je suis la première

A réciter tout bas pour mes morts la prière.

Écoute, enfant, écoute : « O Dieu, Dieu tout puissant,

Du haut des cieux sur moi, sur eux, jette en passant

Un regard de pitié. Qu'un rayon d'espérance

Éclaire enfin les lieux où pleure la souffrance.

Fais-nous voir, ô mon Dieu ! la terre du pardon,

Ce rivage sans bord, cette plage sans nom,

La terre des élus, l'éternelle patrie

Où tu créas pour tous une éternelle vie ;

Fais que chacun de nous, devant ta volonté,

S'incline avec respect ; devant la majesté

De tes secrets desseins, se prosterne et adore ;

Devant ton nom se courbe et se relève encore,

En s'écriant : Seigneur ! Si vous m'avez banni

Du séjour des vivants, si vous m'avez puni

Dans le séjour des morts, devant vous je confesse

Avoir mérité plus ; frappez, frappez sans cesse,

Seigneur, je souffrirai sans jamais murmurer,

Et mes yeux ne pourront jamais assez pleurer

Pour laver du passé l'ineffaçable tache

Qui toujours au présent honteusement s'attache.

Je subirai vos coups, je porterai ma croix

Sans maudire un seul jour vos équitables lois,

Et quand vous jugerez mon épreuve finie,

Seigneur, si vous rendez à mon ombre pâlie

Les biens qu'elle a perdus dans sa captivité,

La brise, le soleil, l'air pur, la liberté,

Le repos et la paix, devant vous je m'engage

A prier à mon tour, sur mon nouveau rivage,

Pour mes frères courbés sous le lourd poids des fers

Qui les retient cloués au fond de leurs enfers ;

Pour leurs ombres en pleurs, aux bords de l'autre rive,

Muettes, regardant la mienne fugitive

S'enfuir en leur disant : Courage, mes amis,

je tiendrai dans les cieux ce qu'ici j'ai promis. »


Casimir Delavigne.



Nous avons déjà publié d'autres morceaux de poésie obtenues par ce médium, dans les nos de juin et juillet, sous les titres de : A ton livre et La prière pour les Esprits. M. Vavasseur est un médium versificateur dans l'acception du mot, car il n'obtient que très rarement des communications en prose, et, quoique très lettré et connaissant les règles de la poésie, de lui-même il n'a jamais pu faire des vers. Qu'en savez-vous, dira-t-on, et qui vous dit que ce qu'il est censé obtenir me médianimiquement, n'est pas le produit de sa composition personnelle ? Nous le croyons, d'abord, parce qu'il l'affirme, et que nous le tenons pour incapable de tromper ; en second lieu, parce que la médiumnité chez lui étant complètement désintéressée, il n'aurait aucune raison de se donner une peine inutile, et de jouer une comédie indigne d'un caractère honorable. La chose serait sans doute plus évidente et surtout plus extraordinaire s'il était complètement illettré, comme cela se voit chez certains médiums, mais les connaissances qu'il possède ne sauraient infirmer sa faculté, dès lors qu'elle est démontrée par d'autres preuves.

Qu'on explique pourquoi, par exemple, s'il veut composer quelque chose de lui-même, un simple sonnet, il n'obtient rien, tandis que, sans le chercher, et sans dessein prémédité, il écrit des morceaux de longue haleine, d'un seul jet, plus rapidement et plus couramment qu'on écrirait de la prose, sur un sujet impromptu auquel il ne songeait pas ? Quel est le poète capable d'un pareil tour de force, renouvelé presque chaque jour ? Nous n'en saurions douter, puisque les morceaux que nous citons et beaucoup d'autres ont été écrits sous nos yeux, dans la société et dans différents groupes, et en présence d'une assemblée souvent nombreuse. Que tous les faiseurs de tours lui prétendent dévoiler les prétendues ficelles des médiums en imitant plus ou moins grossièrement quelques effets physiques, viennent donc se mettre en lutte avec certains médiums écrivains, et traiter, même en simple prose, instantanément, sans préparation ni retouche, le premier sujet venu, et les questions les plus abstraites ! C'est une épreuve à laquelle aucun détracteur n'a encore voulu se soumettre.

Nous nous rappelons à ce propos qu'il y a six ou sept ans un écrivain journaliste, dont le nom figure quelquefois dans la presse parmi les railleurs du Spiritisme, vint nous trouver, se donnant pour leur médium écrivain intuitif, et offrit son concours à la Société. Nous lui dîmes qu'avant de profiter de son offre obligeante, il nous était nécessaire de connaître l'étendue et la nature de sa faculté ; nous le convoquâmes en conséquence à une séance particulière d'essai où se trouvaient quatre ou cinq médiums. A peine ceux-ci eurent-ils pris le crayon qu'ils se mirent à écrire avec une rapidité qui le stupéfia ; il griffonna trois ou quatre lignes avec force ratures, prétendit avoir mal à la tête, ce qui troublait sa faculté ; il promit de revenir, et nous ne le revîmes plus. Les Esprits, à ce qu'il paraît, ne l'assistent qu'à tête reposée et dans son cabinet.

On a vu, il est vrai, des improvisateurs, comme feu Eugène de Pradel, captiver les auditeurs par leur facilité. On s'est étonné qu'ils n'aient rien imprimé ; la raison en est bien simple, c'est que ce qui séduisait à l'audition, n'était pas supportable à la lecture ; ce n'était qu'un arrangement de mots sortis d'une source abondante, où brillaient exceptionnellement quelques traits spirituels, mais dont l'ensemble était vide de pensées sérieuses et profondes, et semé d'incorrections révoltantes. Ce n'est pas le reproche qu'on peut faire aux vers que nous citons, quoique obtenus avec presque autant de rapidité que les improvisations verbales. S'ils étaient le fruit d'un travail personnel, ce serait une singulière humilité de la part de l'auteur d'en attribuer le mérite à d'autres qu'à lui, et de se priver de l'honneur qu'il en pourrait tirer.

Quoique la médiumnité de M. Vavasseur soit récente, il possède déjà un recueil assez important de poésies d'un mérite réel qu'il se propose de publier. Nous nous empresserons d'annoncer cet ouvrage dès qu'il paraîtra, et qui, nous n'en doutons pas, sera lu avec intérêt.


Notice bibliographique

Cantate Spirite


Paroles de M. Herczka, et musique de M. Armand Toussaint, de Bruxelles, avec accompagnement de piano.

Ce morceau n'est pas donné comme une production médianimique, mais comme l'œuvre d'un artiste inspiré par sa foi spirite. Les personnes compétentes qui l'ont entendu exécuter, s'accordent à lui trouver un mérite réel, digne du sujet. Nous l'avons dit souvent, le Spiritisme bien compris sera une mine féconde pour les arts, où la poésie, la peinture, la sculpture et la musique puiseront de nouvelles inspirations. Il y aura l'art spirite, comme il y a eu l'art païen et l'art chrétien.

Se vend au profit des pauvres. Prix net, 1 fr. 50 c., franco pour la France, 1 fr. 60 c. ‑ Bruxelles, au siège de la Société spirite, 51, rue de la Montagne. ‑ Paris, au bureau de la Revue.


Allan Kardec





Septembre

Les frères Davenport à Bruxelles

Les frères Davenport viennent de passer quelque temps en Belgique où ils ont donné paisiblement leurs représentations ; nous avons de nombreux correspondants dans ce pays, et, ni par eux ni par les journaux, nous n'avons appris que ces messieurs y aient été en butte aux scènes regrettables qui ont eu lieu à Paris. Est-ce que les Belges donneraient des leçons d'urbanité aux Parisiens ? On pourrait le croire en comparant les deux situations. Ce qui est évident, c'est qu'à Paris il y avait un parti pris d'avance, une cabale organisée coutre eux ; et la preuve en est, c'est qu'on les a attaqués avant de savoir ce qu'ils allaient faire, avant même qu'ils eussent commencé. Qu'on siffle celui qui échoue, qui ne tient pas ce qu'il annonce, c'est un droit qu'on achète partout où l'on paye en entrant ; mais qu'on le bafoue, qu'on l'insulte, qu'on le maltraite, qu'on brise ses instruments, avant même qu'il entre en scène, c'est ce qu'on ne se permettrait pas chez le dernier bateleur de la foire ; quelle que soit la manière dont on considère ces messieurs, de tels procédés sont sans excuse chez un peuple civilisé.

De quoi les accusait-on ? de se donner pour des médiums ; de prétendre qu'ils opéraient à l'aide des Esprits ? Si c'était de leur part un moyen frauduleux pour piquer la curiosité du public, qui est-ce qui avait le droit de s'en plaindre ? Ce sont les Spirites qui pouvaient trouver mauvais de voir mettre en parade une chose respectable. Or, qui est-ce qui s'est plaint ? qui a crié au scandale, à l'imposture et à la profanation ? Précisément ceux qui ne croient pas aux Esprits. Mais parmi ceux qui crient le plus haut qu'il n'y en a pas, qu'en dehors de l'homme il n'y a rien, à force d'entendre parler de manifestations, quelques-uns finissent, sinon par croire, du moins par craindre qu'il n'y ait quelque chose. La peur que les frères Davenport ne vinssent le prouver trop clairement a déchaîné contre eux une véritable colère, qui, si l'on avait eu la certitude qu'ils n'étaient que d'habiles faiseurs de tours, n'avait pas plus de raison d'être que celle qui serait dirigée contre le premier escamoteur venu. Oui, nous en sommes convaincu, la peur de les voir réussir a été la cause principale de cette hostilité qui avait devancé leur apparition en public, et préparé les moyens de faire avorter leur première séance.

Mais les frères Davenport n'ont été qu'un prétexte ; ce n'est pas à leur personne qu'on en voulait, c'est au Spiritisme auquel on a cru qu'ils pouvaient donner une sanction, et qui, au grand déplaisir de ses antagonistes, déjoue les effets de la malveillance par la prudente réserve dont il ne s'est jamais départi, malgré tout ce qu'on a fait pour l'en faire sortir. Pour bien des gens, c'est un véritable cauchemar. Il fallait bien peu le connaître pour croire que ces messieurs, en se plaçant dans des conditions qu'il désavoue, pouvaient lui servir d'auxiliaires. Ils ont cependant servi sa cause, mais c'est en faisant parler de lui à leur occasion, et la critique y a donné la main, sans le vouloir, en provoquant l'examen de la doctrine. Il est à remarquer que tout le bruit qui s'est fait autour du Spiritisme est l'œuvre de ceux mêmes qui voulaient l'étouffer. Quoi qu'on ait fait contre lui, il n'a jamais crié ; ce sont ses adversaires qui ont crié comme s'ils se croyaient déjà morts.

Nous extrayons de l'Office de publicité, journal de Bruxelles, qui, dit-on, tire à 25 000, les passages suivants de deux articles publiés dans les nos des 8 et 22 juillet dernier sur les frères Davenport, ainsi que deux lettres de réfutation loyalement insérées dans ce même journal. Le sujet, quoique un peu usé, ne laisse pas d'avoir son côté instructif.


Chronique Bruxelloise

« Il est bien vrai que tout arrive et qu'il ne faut pas dire : « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau. » Si l'on m'avait dit que je verrais jamais l'armoire des frères Davenport ni ces illustres sorciers, j'aurais été homme à jurer qu'il n'en serait rien, parce qu'il suffit qu'on me dise de quelqu'un qu'il est sorcier pour m'ôter toute curiosité à son égard. Le surnaturel et la sorcellerie n'ont pas d'ennemi plus entêté que moi. Je n'irais pas voir un miracle quand on le montrerait pour rien : ces choses-là m'inspirent le même éloignement que les veaux à deux têtes, les femmes à barbe et tous les monstres ; je trouve idiots les Esprits frappeurs et les guéridons savants, et il n'est pas de superstition qui ne me puisse faire fuir jusqu'au bout du monde. Jugez si, avec de telles dispositions, j'aurais pu aller grossir la foule chez les fières Davenport lorsqu'on les disait en commerce réglé avec les Esprits ! J'avoue que l'idée ne me serait pas venue non plus de démasquer leur supercherie, de briser leur armoire et de prouver qu'ils n'étaient réellement pas sorciers, car il me semble que j'aurais donné par là la preuve que j'avais cru moi-même à leurs pompes et à leurs œuvres. Il m'aurait paru infiniment plus simple d'écarter tout d'abord cette prétendue sorcellerie et de supposer qu'ayant trompé tant de gens ils devaient être des gens fort adroits en leurs exercices. Quant à comprendre, je ne m'en serais pas beaucoup mis en peine. Dès que les Esprits ne s'en mêlaient pas, à quoi bon ? Et s'il y eût eu d'assez pauvres Esprits en l'autre monde pour venir faire en celui-ci métier de compères, à quoi bon encore ?

« Je lus dans le temps avec beaucoup d'attention, encore que j'eusse de quoi mieux employer mon temps, la plupart des livres à l'usage des Spirites, et j'y trouvai tout ce qu'il fallait pour faire au besoin une religion nouvelle, mais non de quoi me convertir à cette vieille nouveauté. Tous les Esprits consultés, et dont on cite les réponses, n'ont rien dit qui n'eût été dit avant eux, et en de meilleurs termes qu'ils ne l'ont redit. Ils nous ont appris qu'il faut aimer le bien et détester le mal, que la vérité est le contraire du mensonge, que l'âme est immortelle, que l'homme doit tendre sans cesse à devenir meilleur, et que la vie est une épreuve, toutes choses qu'on savait déjà assez bien depuis plusieurs milliers d'années, et pour la révélation desquelles il était inutile d'évoquer tant d'illustres morts et jusqu'à des personnages qui, tout célèbres qu'ils sont aussi, ont pourtant le tort de n'avoir pas existé. Je ne parle pas même du Juif-Errant, mais imaginez que j'aille évoquer don Quichotte et qu'il revienne, cela ne sera-t-il pas du dernier plaisant ?

« Je n'avais plus qu'une seule objection au sujet des frères Davenport dès qu'ils n'étaient plus que d'habiles faiseurs de tours ; cette objection se résumait en ceci, que, tout Spiritisme écarté de bonne grâce et d'un commun accord, leurs exercices pouvaient bien n'être que médiocrement amusants. Il est probable que l'idée ne me serait pas venue d'aller les voir, si, l'offre m'étant obligeamment faite de m'y conduire, je n'avais considéré que chronique oblige, que tout n'est pas rose dans la vie et que le chroniqueur doit aller où va le public et s'ennuyer un peu, à charge de revanche. Résolu à faire les choses en conscience, j'allai d'abord dans la journée à la salle du Cercle artistique et littéraire, où l'on était occupé à monter la fameuse armoire. Je la vis, incomplète encore, à la lumière du jour, et dépouillée de toute sa « poésie. » S'il faut aux ruines la solitude et les ombres du soir, il faut aux « trucs » des prestidigitateurs, la lumière du gaz, la foule crédule et la distance. Mais les frères Davenport sont beaux joueurs et jouent cartes sur table. On pouvait voir, et entrait qui voulait. Un domestique yankee montait l'armoire avec tranquillité ; les guitares, les tambours de basque, les cordes, les sonnettes étaient là pêle-mêle avec des coffres, des habits, des morceaux de tapis, des toiles d'emballage ; le tout à l'abandon, à la merci du premier venu, et comme un défi à la curiosité. Cela semblait dire : Tournez, retournez, examinez, cherchez, épluchez, évertuez-vous ! vous ne saurez rien.

Il n'y a rien de plus insolemment simple que l'armoire. C'est une armoire à linge, à habits, et qui n'a pas du tout l'air d'être fait pour loger des Esprits. Elle m'a paru de noyer ; elle a sur le devant trois portes au lieu de deux, et elle semble fatiguée des voyages qu'elle a faits ou des assauts qu'elle a subis. J'y jetai un coup d'œil, pas trop près, car, tout ouverte qu'elle était, je me figurais qu'un meuble si mystérieux devait sentir le renfermé, comme l'épinette magique dans laquelle on cachait Mozart tout enfant.

Je déclare formellement qu'à moins d'y mettre mon linge ou mes habits, je n'aurais su que faire de l'armoire des frères Davenport. Chacun son métier. Je la revis le soir, isolée sur l'estrade, devant la rampe : elle avait déjà un air monumental. La salle était comble, comme elle ne le fut jamais les jours où Mozart, Beethoven et leurs interprètes firent seuls les frais de la soirée. Le plus beau public qu'on puisse avoir : les plus aimables, les plus spirituelles, les plus jolies femmes de Bruxelles, puis des conseillers de la Cour de cassation, des présidents politiques, judiciaires et littéraires ; toutes les académies, des sénateurs, des ministres, des représentants, des journalistes, des artistes, des entrepreneurs de bâtisse, des ébénisses, « que c'était comme un bouquet de fleurs ! » L'honorable M. Rogier, ministre des affaires étrangères, était à cette soirée, où lui tenait compagnie un ancien président de la Chambre. M. Vervoort, qui, revenu des grandeurs humaines, n'a conservé que la présidence du Cercle, charmante royauté d'ailleurs. A cette vue, je me sentis tout rassuré. Un de nos meilleurs peintres, M. Robie, fit écho à ma pensée en me disant : « Vous voyez ! L'Autriche et la Prusse peuvent se battre tant qu'elles voudront. Puisque la crise européenne ne trouble pas autrement notre ministre des affaires étrangères, c'est que la Belgique peut dormir en paix. » Cela me parut péremptoire, vous en jugerez de même, et, sachant que M. Rogier a assisté souriant à la soirée des frères Davenport, vous dormirez sur les deux oreilles. C'est ce que vous avez de mieux à faire.

J'ai vu tous les exercices des frères Davenport, et je n'ai nullement cherché à en comprendre le mystère. Tout ce que je puis dire, sans songer le moins du monde à amoindrir leur succès, c'est qu'il m'est impossible de prendre le moindre plaisir à ces choses-là. Elles ne m'intéressent point. On a lié en ma présence les frères Davenport ; on les a même très bien liés, dit-on ; on leur a mis ensuite de la farine dans les mains, puis on les a enfermés dans leur armoire, on a baisé le gaz, et j'ai entendu dans l'armoire un grand bruit de guitares, de sonnettes et de tambours de basque. Tout d'un coup, l'armoire s'est ouverte ‑ brusquement, un tambour de basque a roulé violemment jusqu'à mes pieds, et les frères Davenport ont paru, déliés, saluant le public et secouant devant lui la farine qu'on avait mise dans leurs mains. On a beaucoup applaudi ; voilà !

‑ Enfin, comment expliquez-vous cela ?

‑ Il y a des personnes au Cercle qui l'expliquent fort bien ; quant à moi, j'ai beau me battre les flancs là-dessus, je ne me sens absolument aucune envie de me l'expliquer. Ils se sont déliés, voilà tout, et le tour de la farine est fait adroitement. Je trouve les préparatifs longs, le bruit ennuyeux, et le tout peu divertissant. Et pas d'esprit, ni au singulier ni au pluriel.

‑ Ainsi, vous ne croyez point ?

‑ Si fait ; je crois à l'ennui que j'ai ressenti.

‑ Et le Spiritisme, y croyez-vous ?

‑ C'est la question de Sganarelle à don Juan. Vous allez bientôt me demander si je crois au Moine-Bourru. Je vous répondrai, comme don Juan, que je crois que deux et deux font quatre et que quatre et quatre font huit. Encore ne sais-je point si, à voir ce qui se passe en Allemagne et ailleurs, je ne serais pas forcé de faire des réserves.

‑ Vous êtes donc un athée ?

‑ Non. Sans modestie, je suis l'homme le plus religieux de la terre.

‑ Ainsi vous croyez à Dieu, à l'immortalité de l'âme, à…

‑ J'y crois. C'est mon bonheur et mon espérance.

‑ Et tout cela se concilie avec vos : quatre et quatre font huit !

‑ Précisément. Tout est là-dedans. C'est une belle langue que le turc.

‑ Allez donc à la messe !

‑ Non. Mais je ne vous empêche pas d'y aller.

L'oiseau sur la branche, le ver luisant dans l'herbe, les globes dans l'espace et mon cœur plein d'adoration me chantent la messe nuit et jour. J'aime Dieu passionnément et sans crainte. Que voulez-vous que je fasse, avec cela, des religions et des autres variétés du davenportisme ?

‑ Et le Spiritisme, et Allan Kardec ?

‑ Je crois que M. Allan Kardec, qui ferait tout aussi bien de s'appeler de son vrai nom, est un aussi bon citoyen que vous et moi. Sa morale ne diffère point de la morale vulgaire, qui me suffit. Quant à ses révélations, j'aime autant l'armoire des Davenport, avec ou sans guitares. J'ai lu les révélations des Esprits ; leur style ne vaut pas celui de Bossuet, et, sauf les emprunts faits aux ouvrages des hommes illustres, il est lourd et souvent plat. Je ne voudrais pas écrire comme le plus fort de la bande : mon éditeur me dirait que le macaroni a du bon, mais qu'il ne faut pas en abuser. Le Spiritisme en est au surnaturel et aux dogmes, je me défie de ce bloc enfariné. Je l'ai dit il y a cinq ans en parlant de la doctrine, car c'est bien une doctrine : il y a là tout ce qu'il faut pour bâcler une religion nouvelle. Il vaudrait mieux être tout simplement religieux et s'en tenir aux révélations de l'univers.

« Je la vois poindre, cette religion. Elle est déjà une secte, et considérable, car vous ne pouvez vous imaginer le nombre et le sérieux des lettres que j'ai déjà reçues pour avoir effleuré dernièrement le Spiritisme. Il a ses fanatiques, il aura ses intolérants, ses prêtres, car le dogme prête à l'action intermédiaire, puisque les Esprits ont des rangs et des préférences. Sitôt qu'il y aura dix pour cent à gagner sur ce nouveau dogme, on lui verra un clergé. Je le crois destiné à hériter du catholicisme, en raison de ses côtés séduisants. Attendez seulement que les habiles s'en mêlent, et les prophètes et les évocateurs privilégiés pousseront au travers du mystère de la chose, qui est douce et poétique, comme les herbes parasites dans un champ de blé.

Voici deux lettres qui m'ont été adressées. Elles viennent de personnes loyales, naïves et convaincues ; c'est pour cela que je les publie.

A M. Bertram.



« Il y a quatre ans, j'étais ce qu'on peut appeler un franc retardataire ; catholique sincère, je croyais aux miracles, au diable, à l'infaillibilité papale ; ainsi, j'aurais accepté sans marchander l'Encyclique de Pie IX avec toutes ses conséquences dans l'ordre politique.

Mais à quoi bon cette confession d'un inconnu ? me direz-vous. Ma foi, monsieur Bertram, je vais vous l'apprendre, au risque d'exciter votre verve railleuse ou de vous faire sauver jusqu'au bout du monde.

J'ai vu un jour à Anvers un guéridon (vulgairement appelé une table parlante) qui m'a répondu à une question mentale dans mon idiome natal, inconnu des assistants ; parmi ceux-ci il y avait des Esprits forts, des maçons qui ne croyaient ni à Dieu ni à l'âme ; la chose leur a donné à réfléchir, ils ont lu avec avidité les ouvrages spirites d'Allan Kardec, j'ai fait comme eux, surtout quand plusieurs prêtres m'eurent assuré que ces phénomènes étaient exclusivement l'œuvre du… démon, et je vous assure, moi, que je n'ai pas regretté le temps que cela m'a coûté, bien au contraire. J'ai trouvé dans ces livres non-seulement une solution rationnelle et toute naturelle du phénomène ci-dessus, mais une issue à bien des questions, à bien des problèmes que je m'étais posés dans le temps ; vous y avez trouvé matière à une religion nouvelle, mais croyez-vous, monsieur Bertram, qu'il y aurait un grand mal à cela, le cas échéant ? Le catholicisme est-il tellement en rapport avec les besoins de notre société qu'il ne puisse être ni rajeuni ni remplacé avantageusement ? Ou bien croyez-vous que l'humanité puisse se passer de toute croyance religieuse ? Le libéralisme proclame de beaux principes, mais il est en grande partie septique et matérialiste ; dans ces conditions il ne ralliera jamais à lui les masses, aussi peu que le catholicisme ultramontain ; si le Spiritisme est appelé à devenir un jour une religion, ce sera la religion naturelle bien développée et bien comprise, et celle-ci certainement n'est pas nouvelle ; c'est comme vous dites : une vieille nouveauté ; mais c'est aussi un terrain neutre où toutes les opinions, tant politiques que religieuses, pourront se tendre un jour la main.

« Quoi qu'il en soit, depuis que je suis devenu Spirite, quelques méchantes langues m'accusent d'être devenu libre penseur ; il est vrai qu'à partir de cette époque, de même que les Esprits forts dont je parlais ci-dessus, je ne crois plus au surnaturel ni au diable ; mais par contre nous croyons tous un peu plus à Dieu, à l'immortalité de l'âme, à la pluralité des existences ; enfants du dix-neuvième siècle, nous avons aperçu une route sûre et nous voulons y pousser le char du progrès au lieu de le retarder. Vous voyez donc que le Spiritisme a encore du bon, s'il peut opérer de tels changements. ‑ Et maintenant, pour en venir aux frères Davenport, on aurait tort de fuir des expériences, ou de conclure avec parti pris contre elles, par là même qu'elles sont nouvelles ; plus les faits qu'on nous présente sont extraordinaires, plus ils méritent d'être observés consciencieusement et sans idées préconçues, car, qui pourrait se flatter de connaître tous les secrets de la nature ? Je n'ai jamais vu les frères Davenport, mais j'ai lu ce que la presse française a écrit sur leur compte, et j'ai été étonné de la mauvaise foi qu'elle y a mise. Les amateurs pourront lire avec fruit : Des forces naturelles inconnues, par Hermès. (Paris, Didier, 1865) ; c'est une réfutation au point de vue de la science des critiques dirigées contre eux. S'il est vrai que ces messieurs ne se donnent pas pour Spirites et qu'ils ne connaissent pas la doctrine, le Spiritisme n'a pas à prendre leur défense ; tout ce qu'on peut dire, c'est que des faits pareils à ceux qu'ils présentent sont possibles en vertu d'une loi naturelle aujourd'hui connue et par l'intervention d'Esprits inférieurs ; seulement, jusqu'ici ces faits ne s'étaient pas encore produits dans des conditions aussi peu favorables, à des heures fixes et avec autant de régularité.

J'espère, monsieur, que vous accueillerez ces observations désintéressées et que vous leur donnerez l'hospitalité dans votre journal ; puissent-elles contribuer à élucider une question plus intéressante pour vos lecteurs que vous ne pourriez le supposer.

Votre abonné,

H. Vanderyst. »



La voilà publiée ! on ne m'accusera pas de mettre « la lumière sous le boisseau. »

D'abord, je n'ai pas de boisseau ; ensuite, sans l'ombre de raillerie, je ne vois pas trop ici la lumière. Jamais je n'ai fait d'objection à la morale du Spiritisme ; elle est pure. Les Spirites sont honnêtes et bienfaisants, leurs dons pour les crèches me l'ont prouvé. S'ils tiennent à leurs Esprits supérieurs et inférieurs, je n'y vois point d'inconvénient. C'est une affaire entre leur instinct et leur raison.

Il y a un post-scriptum à la lettre, le voici :

Permettez que j'appelle votre attention sur un ouvrage qui vient d'avoir les honneurs de l'Index : la Pluralité des existences de l'âme, par Pezzani, avocat, où cette question est traitée en dehors de la révélation spirite. »



Passons à l'autre lettre :

(Suit une seconde lettre dans le même sens que la précédente, et qui se termine ainsi :)

« J'ai la conviction que, le jour où la presse se mêlera de développer tout ce que le Spiritisme renferme de beau, le monde fera des progrès immenses, moralement. Rendre sensible à l'homme que chacun porte en soi la vraie religion, la conscience, le laisser en présence de lui-même pour répondre de ses actes devant l'Être suprême, quelle chose importante ! Ne serait-ce pas tuer le matérialisme qui fait tant de mal dans le monde ? Ne serait-ce pas une barrière contre l'orgueil, l'ambition, l'envie, toutes choses qui rendent les hommes malheureux ? Apprendre à l'homme qu'il doit faire le bien pour mériter sa récompense : il y a certainement des hommes qui sont convaincus de tout cela, mais combien sur la généralité ? Et on peut apprendre tout cela à l'homme ; pour ma part, j'ai évoqué mon père, et d'après les réponses que j'ai reçues, le doute n'est plus possible.

Si j'avais le bonheur de manier la plume comme vous, je traiterais le Spiritisme comme appelé à nous inculquer une morale douce et agréable. Mon premier article aurait pour titre : Le Spiritisme, ou la destruction de tout fanatisme. La chute des Jésuites et de tous ceux qui vivent de la crédulité de l'homme. On puise toutes ces idées dans l'excellent livre d'Allan Kardec. Que je voudrais que vous eussiez ma manière d'envisager le Spiritisme ! Comme vous feriez du bien pour le moral ! Mais, mon cher Bertram, comment avez-vous pu trouver du surnaturel, de la sorcellerie dans le Spiritisme ? Je ne trouve pas plus extraordinaire que nous communiquions avec nos parents et nos amis passés dans un autre monde, au moyen du fluide qui nous met en rapport avec eux, que je ne trouve extraordinaire que nous communiquions avec nos frères de ce globe à des distances fabuleuses au moyen du fil électrique ! »



Le tout publié sans observation et sans commentaire, pour prouver seulement que le Spiritisme a en Belgique des partisans ardents en leur foi. La secte fait positivement des progrès, et le catholicisme aura bientôt à compter avec elle.

La presse parisienne n'a pas été de mauvaise foi avec les frères Davenport ; ce qui le fait bien voir, c'est que ceux-ci n'affichent plus de prétentions au surnaturel. Ils ne donnent plus de séances à cinquante francs par tête, du moins que je sache ; je crois cependant que les personnes qui voudraient payer leur place à ce prix-là ne seraient pas mal reçues. Pour conclure, j'affirme que leurs exercices ne me semblent pas faits pour exercer une grande influence sur l'avenir des sociétés humaines.

Bertram. »



Après les deux lettres qu'on vient de lire, nous n'aurons que peu de chose à dire sur cet article ; sa modération contraste avec l'acrimonie de la plupart de ceux qui ont été écrits jadis sur le même sujet. L'auteur, au moins, ne conteste pas aux Spirites le droit d'avoir une opinion qu'il respecte, quoique ne la partageant pas ; à l'encontre de certains apôtres du progrès, il reconnaît que la liberté de conscience est pour tout le monde ; c'est déjà quelque chose. Il convient même que les Spirites ont du bon et sont de bonne foi. Il constate enfin les progrès de la doctrine et avoue qu'elle a un côté séduisant. Nous ne ferons donc que de courtes observations.

M. Bertram veut bien nous tenir pour un aussi bon citoyen que lui, et nous l'en remercions ; mais il ajoute que nous ferions tout aussi bien de nous appeler de notre vrai nom. Nous nous permettrons à notre tour de lui demander pourquoi il signe ses articles Bertram, au lieu de Eugène Landois, ce qui n'ôte rien à ses qualités personnelles, car nous savons qu'il est le principal organisateur de la crèche de Saint-Josse-Tennoode, dont il s'occupe avec la plus louable sollicitude.

Si M. Bertram avait lu les livres spirites avec autant d'attention qu'il le dit, il saurait si les Spirites sont assez simples pour évoquer le Juif-Errant et don Quichotte ; il saurait ce que le Spiritisme accepte et ce qu'il désavoue ; il n'affecterait pas de le présenter comme une religion, car, au même titre, toutes les philosophies seraient des religions, puisqu'il est de leur essence de discuter les bases mêmes de toutes les religions : Dieu, et la nature de l'âme. Il comprendrait enfin que si jamais le Spiritisme devenait une religion, il ne pourrait se faire intolérant sans renier son principe qui est la fraternité universelle, sans distinction de secte et de croyance ; sans abjurer sa devise : Hors la charité point de salut, symbole le plus explicite de l'amour du prochain, de la tolérance et de la liberté de conscience. Jamais il ne dit : « Hors le Spiritisme point de salut. » Si une religion s'entait sur le Spiritisme à l'exclusion de ces principes, ce ne serait plus du Spiritisme.

Le Spiritisme est une doctrine philosophique qui touche à toutes les questions humanitaires ; par les modifications profondes qu'elle apporte dans les idées, elle fait envisager les choses à un autre point de vue ; delà, pour l'avenir, d'inévitables modifications dans les rapports sociaux ; c'est une mine féconde où les religions comme les sciences, comme les institutions civiles, puiseront des éléments de progrès ; mais de ce qu'elle touche à certaines croyances religieuses, elle ne constitue pas plus un culte nouveau qu'elle n'est un système particulier de politique, de législation ou d'économie sociale. Ses temples, ses cérémonies et ses prêtres sont dans l'imagination de ses détracteurs et de ceux qui ont peur de la voir devenir religion.

M. Bertram critique le style des Esprits et place le sien bien au-dessus : c'est son droit, et nous ne le lui disputerons pas. Nous ne lui contestons pas davantage ce point qu'en fait de morale les Esprits ne nous apprennent rien de nouveau ; cela prouve une chose, c'est que les hommes n'en sont que plus coupables de la pratiquer si peu. Faut-il donc s'étonner que Dieu, dans sa sollicitude, la leur répète sous toutes les formes ? Si, sous ce rapport, l'enseignement des Esprits est inutile, celui du Christ l'était également, puisqu'il n'a fait que développer les commandements du Sinaï ; les écrits de tous les moralistes sont pareillement inutiles, puisqu'ils ne font que dire la même chose en d'autres termes. Avec ce système-là, que de gens dont les travaux seraient inutiles ! sans y comprendre les chroniqueurs qui, par état, ne doivent rien inventer.

Il est donc convenu que la morale des Esprits est vieille comme le monde, ce qui n'a rien de surprenant, puisque la morale n'étant autre chose que la loi de Dieu, cette loi doit être de toute éternité, et que la créature ne peut rien ajouter à l'œuvre du Créateur. Mais n'y a-t-il rien de nouveau dans le mode d'enseignement ? Jusqu'à présent le code de morale n'avait été promulgué que par quelques individualités ; il a été reproduit dans des livres que tout le monde ne lit pas ou ne comprend pas. Eh bien ! aujourd'hui ce même code est enseigné, non plus par quelques hommes, mais par des millions d'Esprits, qui ont été des hommes, dans tous les pays, dans chaque famille, et pour ainsi dire à chaque individu. Croyez-vous que celui qui aura été indifférent à la lecture d'un livre, qui aura traité les maximes qu'il renferme de lieux communs, ne sera pas bien autrement impressionné si son père, sa mère, ou un être qui lui est cher et qu'il respecte, vient lui dire, fût-ce même dans un style inférieur à celui de Bossuet : « Je ne suis pas perdu pour toi comme tu l'as cru ; je suis là près de toi, je te vois et je t'entends, je te connais mieux que lorsque j'étais vivant, car je lis dans ta pensée ; pour être heureux dans le monde où je suis, voici la règle de conduite à suivre ; telle action est bonne et telle autre est mauvaise, etc. » Comme vous le voyez, c'est un enseignement direct, ou si vous aimez mieux, un nouveau moyen de publicité, d'autant plus efficace qu'il va droit au cœur ; qu'il ne coûte rien ; qu'il s'adresse à tout le monde, au petit comme au grand, au pauvre comme au riche, à l'ignorant comme au savant, et qu'il défie le despotisme humain qui voudrait y mettre une barrière.

Mais, direz-vous, cela est-il possible ? n'est-ce pas une illusion ? Ce doute serait naturel si de telles communications n'étaient faites qu'à un seul homme privilégié, car rien ne prouverait qu'il ne se trompe pas ; mais quand des milliers d'individus en reçoivent de pareilles tous les jours et dans tous les pays du monde, est-il rationnel de penser que tous sont hallucinés ? Si l'enseignement du Spiritisme était relégué dans les ouvrages spirites, il n'aurait pas conquis la centième partie des adeptes qu'il possède ; ces livres ne font que résumer et coordonner cet enseignement, et ce qui fait leur succès, c'est que chacun trouve en son particulier la confirmation de ce qu'ils renferment.

On sera fondé à dire que l'enseignement moral des Esprits est superflu, quand on aura prouvé que les hommes sont assez bons pour n'en avoir plus besoin ; jusque-là il ne faut pas s'étonner de le leur voir répéter sous toutes les formes et sur tous les tons.

Que m'importe, dites-vous, monsieur Bertram, qu'il y ait ou non des Esprits ! Il est possible que cela vous soit indifférent, mais il n'en est pas de même de tout le monde. C'est absolument comme si vous disiez : « Que m'importe qu'il y ait des habitants en Amérique, et que le câble électrique vienne me le prouver ! » Scientifiquement, c'est quelque chose que la preuve du monde invisible ; moralement, c'est beaucoup ; car les Esprits peuplant l'espace qu'on croyait inhabité, c'est la découverte de tout un monde, la révélation de l'avenir et de la destinée de l'homme, une révolution dans ses croyances ; or, si la chose existe, toute dénégation ne pourra l'empêcher d'exister. Ses résultats inévitables méritent bien qu'on s'en préoccupe. Vous êtes homme de progrès, et vous repoussez un élément de progrès ? un moyen d'améliorer l'humanité, de cimenter la fraternité entre les hommes ? une découverte qui conduit à la réforme des abus sociaux contre lesquels vous réclamez sans cesse ? Vous croyez à votre âme immortelle, et vous ne vous souciez nullement de savoir ce qu'elle devient, ce que sont devenus vos parents et vos amis ? Franchement, cela est peu rationnel. Ce n'est pas, direz-vous, dans l'armoire des frères Davenport que je le trouverai ; d'accord ; nous n'avons jamais dit que ce fût là du spiritisme. Cependant, cette même armoire, précisément parce que, à tort ou à raison, on y a fait intervenir les Esprits, a fait beaucoup parler des Esprits, même ceux qui n'y croyaient pas ; de là des recherches et des études qu'on n'aurait pas faites si ces messieurs se fussent donnés pour de simples prestidigitateurs. Si les Esprits n'étaient pas dans leur armoire, ils ont bien pu provoquer ce moyen de faire sortir une foule de gens de leur indifférence. Vous voyez que vous-même, à votre insu, avez été poussé à semer l'idée parmi vos nombreux lecteurs, ce que vous n'auriez point fait sans cette fameuse armoire.

Quant aux vérités nouvelles qui ressortent des révélations spirites en dehors de la morale, nous renvoyons à l'article publié dans la Revue de janvier 1865 sous le titre de : Ce qu'apprend le Spiritisme.

Le Spiritisme ne demande qu'à être connu

C'est un fait avéré que depuis que la critique a pris à partie le Spiritisme, elle a montré la plus complète ignorance de ses principes même les plus élémentaires ; elle l'a surabondamment prouvé en lui faisant dire précisément le contraire de ce qu'il dit, en lui attribuant des idées diamétralement opposées à celles qu'il professe. Pour elle, étant donné un Spiritisme de fantaisie, elle s'est dit : « Il doit dire et penser telle chose ; » en un mot, elle l'a jugé sur ce qu'elle s'est figuré qu'il pouvait être, et non sur ce qu'il est réellement. Il lui était sans doute bien facile de s'éclairer ; mais, pour cela, il fallait lire, étudier, approfondir une doctrine toute philosophique, analyser la pensée, sonder la portée des paroles ; or, c'est là un travail sérieux qui n'est pas du goût de tout le monde, trop fatigant même pour certains. La plupart des écrivains, trouvant dans les écrits de quelques-uns de leurs confrères un jugement tout fait, d'accord avec leurs idées sceptiques, en ont accepté le fond sans plus d'examen, se bornant à y broder quelques variantes dans la forme ; c'est ainsi que les idées les plus fausses se sont propagées comme des échos dans la Presse, et de là dans une partie du public.

Cela, cependant, ne pouvait avoir qu'un temps. La doctrine spirite, qui n'a rien de caché, qui est claire, précise, sans allégories ni ambiguïtés, sans formules abstraites, devait finir par être mieux connue ; la violence même avec laquelle elle était attaquée devait en provoquer l'examen ; c'est ce qui a eu lieu, et c'est ce qui amène la réaction que l'on remarque aujourd'hui. Ce n'est pas à dire que tous ceux qui l'étudient, même sérieusement, doivent s'en faire les apôtres ; non certes ; mais il est impossible qu'une étude attentive, faite sans parti pris, n'atténue pas au moins la prévention que l'on avait conçue, si elle ne la dissipe pas complètement. Il était évident que l'hostilité dont le Spiritisme était l'objet devait amener ce résultat ; c'est pour cela que nous n'en avons jamais pris souci.

Parce que le Spiritisme fait moins de bruit en ce moment, quelques personnes se figurent qu'il y a stagnation dans sa marche progressive ; mais comptent-elles pour rien le revirement qui s'opère dans l'opinion ? Est-ce une conquête insignifiante que d'être regardé d'un moins mauvais œil ? Le Spiritisme a dès l'abord rallié à lui tous ceux à qui ces idées étaient pour ainsi dire à l'état d'intuition ; il n'a eu qu'à se montrer pour être accepté avec empressement ; c'est ce qui explique son accroissement numérique rapide. Aujourd'hui qu'il a moissonné ce qui était mûr, il agit sur la masse réfractaire ; le travail est plus long ; les moyens d'action sont différents et appropriés à la nature des difficultés ; mais aux fluctuations de l'opinion, on sent que cette masse s'ébranle sous la cognée des Esprits qui la frappent sans cesse de mille manières. Le progrès, pour être moins apparent, n'en est pas moins réel ; c'est comme celui d'un bâtiment qui s'élève avec rapidité, et qui paraît s'arrêter quand on travaille à l'intérieur.

Quant aux Spirites, le premier moment a été celui de l'enthousiasme ; mais un état de surexcitation ne peut être permanent ; au mouvement expansif extérieur, a succédé un état plus calme ; la foi est aussi vive, mais elle est plus froide, plus raisonnée, et par cela même plus solide. L'effervescence a fait place à une satisfaction intime plus douce, chaque jour mieux appréciée, par la sérénité que procure l'inébranlable confiance en l'avenir.

Aujourd'hui donc le Spiritisme commence à être jugé à un autre point de vue ; on ne le trouve plus si étrange et si ridicule, parce qu'on le connaît mieux ; les Spirites ne sont plus montrés au doigt comme des bêtes curieuses ; si beaucoup de personnes repoussent encore le fait des manifestations qu'elles ne peuvent concilier avec l'idée qu'elles se font du monde invisible, elles ne contestent plus la portée philosophique de la doctrine ; que la morale en soit vieille ou neuve, ce n'en est pas moins une doctrine morale, qui ne peut qu'exciter au bien ceux qui la professent ; c'est ce que reconnaît quiconque juge en connaissance de cause. Tout ce qu'on reproche maintenant aux Spirites, c'est de croire à la communication des Esprits ; mais on leur passe cette petite faiblesse en faveur du reste. Sur ce point les Esprits se chargeront de montrer s'ils existent.

L'article de M. Bertram, de Bruxelles, rapporté ci-dessus, nous semble être l'expression du sentiment qui tend à se propager dans le monde des ci-devant railleurs, et se développera à mesure que le Spiritisme sera plus connu, L'article suivant est dans le même sens, mais il révèle une conviction plus complète. Il est extrait du Soleil du 5 mai.

« En même temps que paraissaient les Apôtres de M. Ernest Renan, M. J.-B. Roustaing, adepte éclairé du Spiritisme, publiait à la Librairie centrale un ouvrage considérable intitulé : les Quatre Evangiles, suivis des commandements expliqués en esprit et en vérité par les évangélistes assistés des apôtres.

La masse des Parisiens ne connaît guère, en fait de Spiritisme, que les échauffourées de quelques escamoteurs qui ont vainement tenté d'abuser de la crédulité d'un public incrédule. Ces charlatans ont été sifflés, ce qui est fort bien fait ; mais les Spirites, pleins d'ardeur et de foi, n'en ont pas moins continué leurs expériences et leur propagande rapide.

Les choses les plus sérieuses sont traitées à Paris à l'égal des choses les plus futiles. C'est ici qu'on se demande le plus souvent si l'on a affaire à un dieu, à une table ou à une cuvette. Les expériences sommaires tentées entre deux tasses de thé par quelques femmes adultères et quelques jeunes prétentieux ont suffi à la curiosité des Parisiens. Si la table faisait mine de tourner, on riait beaucoup ; si, au contraire, la table ne bougeait pas, on riait encore plus fort ; et c'est ainsi que la question se trouvait approfondie. Il en était autrement chez la population plus réfléchie de la province. Le moindre résultat animait les prosélytes, excitait leur ardeur ; l'esprit de leurs proches répondait à leur attente ; et chacun d'eux, conversant avec l'âme de son père et de son frère défunts, était convaincu d'avoir soulevé le voile de la mort qui, désormais, ne pouvait avoir de terreur pour lui.

S'il y eut jamais une consolante doctrine, c'est certainement celle-ci : l'individualité conservée au-delà du tombeau, la promesse formelle d'une autre vie qui est réellement la suite de la première. La famille subsiste, l'affection ne meurt point avec la personne ; il n'y a pas de séparation. Chaque soir, dans le midi et dans l'ouest de la France, les réunions de spirites attentifs deviennent plus nombreuses. On prie, on évoque, on croit. Des gens qui ne savent pas écrire, écrivent ; leur main est tenue par l'Esprit.

Le Spiritisme est sans danger social ; aussi le laisse-t-on s'étendre sans lui opposer de barrières. Si le Spiritisme était persécuté, il aurait ses martyrs comme le Babisme en Perse.

A côté des réponses médianimiques les plus graves se trouvent des indications et des conseils qui appellent le sourire. L'auteur des Quatre Évangiles, M. Roustaing, avocat à la cour impériale de Bordeaux, ancien bâtonnier, n'est point un naïf ‑ pas plus qu'un amuseur ‑ et, dans sa préface, se trouve la communication suivante :

Le moment est venu où tu dois te mettre en situation de livrer à la publicité cette œuvre ; nous ne fixons point de limites ; emploie avec sagesse et mesure tes heures, afin de ménager tes forces… La publication peut être commencée à compter du mois d'août prochain ; à partir de cette époque, travaille le plus promptement possible, mais sans dépasser les forces humaines ; de telle façon que la publication soit terminée au mois d'août 1866. »

Signé : Moïse, ‑ Mathieu, ‑ Marc, ‑ Luc, ‑ Jean,

Assistés des Apôtres. »



Le lecteur est surpris ne pas voir Moïse, Mathieu, Luc et Jean pousser jusqu'au bout leur conseil et ajouter : Tu feras imprimer l'ouvrage chez Lavertujon, 7, rue des Treilles, à Bordeaux, et tu le feras paraître à la Librairie centrale, 24, boulevard des Italiens, à Paris.

On s'arrête aussi un instant sur ce passage, qui dit à l'auteur de ne pas dépasser les forces humaines. L'auteur les eût donc dépassées, sans cette paternelle parole de messieurs Moïse, Mathieu, Marc et Jean ?

M. Renan, sans toucher d'abord au Spiritisme, fait de nombreuses allusions à cette nouvelle doctrine dont il paraît ne point méconnaître l'importance. L'auteur des Apôtres rappelle (page 8) un passage capital de saint Paul qui établit : 1° la réalité des apparitions ; 2° la longue durée des apparitions. Une seule fois, dans le cours de son ouvrage, M. Renan prend les Spirites au collet. Il dit, à la page 22, deuxième note :

« Pour concevoir la possibilité de pareilles illusions, il suffit de se rappeler les scènes de nos jours où des personnes réunies reconnaissent unanimement entendre des bruits sans réalité, et cela, avec une parfaite bonne foi. L'attente, l'effort de l'imagination, la disposition à croire, parfois des complaisances innocentes, expliquent ceux de ces phénomènes qui ne sont pas le produit direct de la fraude. Ces complaisances viennent, en général, de personnes convaincues, animées d'un sentiment bienveillant, ne voulant pas que la séance finisse mal, et désireuses de tirer d'embarras les maîtres de la maison. Quand on croit au miracle, on y aide toujours sans s'en apercevoir. Le doute et la négation sont impossibles dans ces sortes de réunions. On ferait de la peine à ceux qui croient et à ceux qui vous ont invité. Voilà pourquoi ces expériences, qui réussissent devant de petits comités, échouent d'ordinaire devant un public payant, et manquent toujours devant les commissions scientifiques. »

Ici, comme ailleurs, le livre de M. Renan manque de bonnes raisons. D'un style doux et charmant, remplaçant la logique par la poésie, les Apôtres devraient s'intituler les Derniers Abencérages. Les renvois à des documents inutiles, les fausses preuves dont l'ouvrage est surchargé lui donnent toutes les apparences de la puérilité avec laquelle il a été conçu. Il n'y a pas à s'y tromper.

M. Renan raconte que Marie de Magdala, pleurant au bord du sépulcre, eut une vision, une simple vision. ‑ Qui le lui a dit ? ‑ Elle a cru entendre une voix. ‑ Comment sait-il qu'elle ne l'a pas réellement entendue ? ‑ Toutes les affirmations contenues dans l'ouvrage sont à peu près de la même force.

Si les Spirites n'ont guère à offrir que leur bonne foi pour explication, M Renan n'a même pas cette ressource.

Nous ne pouvons ici que raconter le livre de M. Roustaing ; nous n'avons pas le droit de le discuter, pas plus que celui de voir où il nous mène. Du reste, ce ne serait pas le lieu d'entrer dans des considérations que le lecteur ne cherche point dans nos colonnes. L'ouvrage est sérieux, le style en est clair et ferme. L'auteur n'est pas tombé dans le travers ordinaire des commentateurs qui sont souvent plus obscurs que le texte même qu'ils veulent éclairer.

Le spiritisme, qui avait son catéchisme, aura désormais ses codes annotés et son cours de jurisprudence. Il ne lui manquera que l'épreuve du martyre. »

Aurélien Scholl.

Extrait du Progrès colonial de l'île Maurice
Communication Spirite

Ce n'est pas seulement dans nos contrées que les journaux, nous ne dirons pas encore sympathisent, mais s'humanisent avec le Spiritisme, auquel ils commencent à accorder droit de bourgeoisie. On lit dans le Progrès colonial, journal de Port-Louis, île Maurice, à la date du 15 juin 1866 :

« Tous, les jours nous recevons deux ou trois de ces communications spirites ; mais si nous nous sommes abstenus de les reproduire jusqu'ici, c'est parce que nous ne sommes pas encore en mesure de consacrer une place à cette chose extraordinaire qu'on appelle le Spiritisme. Que nos lecteurs, ceux qui sont par nature curieux, prennent un peu de patience : ils n'attendront pas longtemps. Si nous donnons ce petit écrit, signé Lazare, c'est qu'il s'agit de ce pauvre Georges, mort et enterré si malheureusement :

« Monsieur,

J'ai lu aujourd'hui une correspondance insérée dans votre journal, signé : « Un témoin oculaire, » relatant la manière dont on s'est servi pour mettre en terre le cadavre de l'infortuné G. Lemeure.

Depuis longtemps, monsieur, je savais parfaitement que si la misère n'est pas un vice, c'est du moins une des plus grandes calamités qu'il y ait au monde ; mais ce que je ne voulais pas admettre, c'est que les hommes fussent assez adorateur du veau d'or pour ne pas respecter davantage tout ce qu'il y a de plus solennel, de plus grand et de plus sacré pour nous : la mort !…

Ainsi, pauvre Georges, doué d'un caractère doux, honnête et modeste, condamné à vivre dans le plus grand dénuement, supportant les épreuves de ce monde avec courage et même avec gaieté, toujours prêt à rendre service à son prochain, tu es allé mourir ainsi isolé, loin de ceux qui t'aimaient, qui te regrettent peut-être ; et il faut encore, pour humilier ton ombre, que des hommes, que des frères, te creusent un trou dans la terre, seul, seul avec le néant ! comme si ta pauvreté te rendait indigne de partager, ainsi que tes semblables, un terrain consacré. Outre cela, on ne te fait même pas la charité d'un cercueil, de quatre bouts de planches ! tu es encore bien heureux, pense cette bonne humanité, de reposer sur la terre humide et froide, oublié de tous ! Que leur importe, du reste, que ton corps pourrisse là, sans qu'un ami vienne y répandre une larme, y jeter une fleur, y porter un souvenir ?

Je m'arrête ici, car je suis encore indigné de ce qu'on ne remplisse même pas les formes voulues en pareille occasion envers les malheureux ; dans tous les pays civilisés, on donne aux parents ou amis d'une personne morte, trouvée par l'autorité, vingt-quatre heures pour venir la reconnaître et la réclamer ; si au bout de ce temps on n'est pas venu, alors on la dépose en terre sainte, en observant toujours les égards dus à la mort ; mais ici, l'on s'abstient de pareilles formalités, on se contente, si vous n'avez pas de quoi payer les frais de votre cercueil, de vous jeter dans quelque coin, ainsi qu'une bête, et de vous couvrir de deux ou trois poignées de poussière.

Je le répète, monsieur, c'est un bien grand fléau que la misère.

Lazare. »



Les phénomènes apocryphes

Le fait suivant est rapporté par l'Événement du 2 août 1866 :

« Depuis plusieurs jours, les habitants du quartier avoisinant l'église Saint-Médard étaient mis en grand émoi par un fait singulier, mystérieux, qui donnait lieu aux commentaires et aux récits les plus lugubres.

Des démolitions se font autour de cette église ; la plupart des maisons abattues ont été élevées sur l'emplacement d'un cimetière auquel se rattache l'histoire des prétendus miracles qui, au commencement du dix-huitième siècle, motivèrent une ordonnance du gouvernement qui ordonna, le 27 janvier 1733, la fermeture de ce cimetière, sur la porte duquel on trouva le lendemain l'épigramme suivante :

De par le roi… défense à Dieu

De faire miracle en ce lieu.

Or, les maisons respectées par le marteau du démolisseur étaient, chaque nuit, ravagées par une grêle de pierres, souvent très grosses, qui brisaient les vitres des fenêtres et tombaient sur les toitures, qu'elles dégradaient.

Malgré les plus actives recherches, nul ne put découvrir d'où provenaient ces projectiles.

On ne manqua pas de dire que les morts du cimetière, troublés dans leur repos par les démolitions, manifestaient ainsi leur mécontentement. Mais des gens moins crédules, pensant bien que ces pierres qui continuaient à tomber toutes les nuits étaient lancées par un être vivant, allèrent réclamer l'intervention de M. Cazeaux, commissaire de police, qui fit organiser une surveillance par des agents.

Pendant qu'ils l'exerçaient, les pierres n'apparurent pas, mais dès qu'ils la cessèrent, elles retombèrent plus abondantes encore.

On ne savait que faire pour pénétrer ce mystère, lorsque la dame X…, propriétaire d'une maison de la rue Censier, vint déclarer au commissaire qu'effrayée parce qui se passait, elle avait été consulter une somnambule.

Elle m'a révélé, dit la déclarante, que les pierres étaient lancées par une jeune fille affectée d'un mal à la tête. Précisément ma bonne, Félicie F…, âgée de seize ans, est atteinte de dartres sur cette partie du corps.

Bien que n'attachant aucune importance à cette indication, le commissaire consentit cependant à interroger Félicie, et il en obtint des aveux complets. Agissant sous l'inspiration d'un Esprit qui lui est apparu, elle avait depuis plusieurs mois amassé dans un grenier une quantité considérable de pierres, et, chaque nuit, elle se levait pour en jeter une partie ‑ par la fenêtre de ce grenier ‑ sur les maisons voisines.

Dans la présomption que cette fille pouvait être aliénée, le commissaire l'a envoyée à la Préfecture, pour qu'elle y soit examinée par des médecins spéciaux. »

Ce fait prouve qu'il faut se garder d'attribuer à une cause occulte tous les faits de ce genre, et que, lorsqu'une cause matérielle existe, on arrive toujours à la découvrir, ce qui ne prouve rien contre la possibilité d'une autre origine dans certains cas dont on ne peut juger que par l'ensemble des circonstances, comme à Poitiers. A moins que la cause occulte ne soit démontrée par l'évidence, le doute est le parti le plus sage ; il convient donc de se tenir sur la réserve. Il faut se défier surtout des pièges tendus par la malveillance en vue de se donner le plaisir de mystifier les Spirites. L'idée fixe de la plupart des antagonistes est que le Spiritisme est tout entier dans les effets physiques, et ne peut vivre sans cela ; que la foi des Spirites n'a pas d'autre objet : c'est pourquoi ils s'imaginent le tuer en discréditant ces effets, soit qu'ils les fassent simuler, soit qu'ils en inventent dans des conditions ridicules. Leur ignorance du Spiritisme fait que, sans s'en apercevoir, ils frappent à côté de la question capitale qui est le point de vue moral et philosophique.

Quelques-uns, cependant, connaissent très bien ce côté de la doctrine ; mais comme il est inattaquable, ils se rejettent sur l'autre, plus vulnérable, et qui se prête plus facilement à la supercherie. Ils voudraient à tout prix faire passer les Spirites pour des admirateurs crédules et superstitieux du fantastique, acceptant tout les yeux fermés. C'est pour eux un grand désappointement de ne pas les voir s'extasier au moindre fait ayant quelque teinte de surnaturel, et de les trouver, à l'endroit de certains phénomènes, plus sceptiques que ceux qui ne connaissent pas le Spiritisme ; or, c'est précisément parce qu'ils le connaissent, qu'ils savent ce qui est possible et ce qui ne l'est pas, et qu'ils ne voient pas partout l'action des Esprits.

Dans le fait rapporté ci-dessus, il est assez curieux de voir la véritable cause révélée par une somnambule. C'est la consécration du phénomène de la lucidité. Quant à la jeune fille qui dit avoir agi sous l'impulsion d'un Esprit, il est certain que ce n'est pas la connaissance du Spiritisme qui lui a donné cette idée. D'où lui est-elle venue ? Il est très possible qu'elle se soit trouvée sous l'empire d'une obsession qu'on a prise, comme toujours, pour de la folie. Si cela est, ce n'est pas avec des remèdes qu'on la guérira. En pareil cas, on a maintes fois vu des personnes parler spontanément des Esprits, parce qu'elles les voient, et l'on dit alors qu'elles sont hallucinées.

Nous la supposons de bonne foi, parce que nous n'avons aucune raison de la suspecter ; mais il y a malheureusement des faits de nature à faire naître la défiance. Nous nous rappelons une femme qui a simulé la folie au sortir d'une réunion spirite où elle avait été admise sur ses instances, la seule à laquelle elle ait assisté ; conduite immédiatement dans une maison d'aliénés, elle a avoué depuis qu'elle avait reçu cinquante francs pour jouer cette comédie. C'était à l'époque où l'on cherchait à accréditer l'idée que les maisons de fous regorgeaient de Spirites. Cette femme s'est laissé séduire par l'appât de quelque argent, d'autres peuvent céder à d'autres influences. Nous ne prétendons pas qu'il en soit ainsi de la jeune fille ; nous avons simplement voulu montrer que lorsqu'on veut dénigrer une chose, tous les moyens sont bons ; c'est, pour les Spirites, une raison de plus d'être sur leurs gardes et de tout observer scrupuleusement. Du reste, si tout ce qui se trame par-dessous main prouve que la lutte n'est pas finie, et qu'il faut redoubler de vigilance et de fermeté, c'est également la preuve que tout le monde ne regarde pas le Spiritisme comme une chimère.

A coté de la guerre sourde, il y a la guerre à ciel ouvert, plus généralement faite par l'incrédulité railleuse ; celle-ci s'est évidemment modifiée. Les faits qui se multiplient, l'adhésion de personnes dont on ne peut suspecter la bonne foi ni la raison, l'impassibilité des Spirites, leur calme et leur modération en présence des orages qu'on a soulevés contre eux, ont donné à réfléchir. La presse enregistre chaque jour des faits spirites ; si, dans le nombre, il y en a de vrais, d'autres sont évidemment inventés pour les besoins de la cause de l'opposition. On ne nie plus les phénomènes, mais on cherche à les rendre ridicules par l'exagération. C'est une tactique assez inoffensive, car il n'est pas difficile aujourd'hui de faire, en ces matières, la part de l'invraisemblance. Les journaux d'Amérique ne sont pas en reste d'inventions sous ce rapport, et les nôtres s'empressent de les répéter. C'est ainsi que la plupart ont reproduit l'histoire suivante dans le courant de mars dernier :

« ÉTATS-UNIS. ‑ On a exécuté à Cleveland (Ohio) un homme, le docteur Hughes, qui, au moment de mourir, a fait un discours attestant un esprit d'une fermeté et d'une lucidité extraordinaires. Il a profité de l'occasion pour faire sur l'utilité et la justice de la peine de mort une dissertation qui n'a pas duré moins d'une demi-heure. Cette pénalité de la mort, a-t-il dit, est tout simplement ridicule. Quel avantage y a-t-il à prendre ma vie ? Aucun. Ce n'est certainement pas mon exemple qui en détournera d'autres du crime. Est-ce que je me souviens d'avoir tiré ce coup de pistolet ? Du tout, je n'en ai pas, même aujourd'hui, le moindre souvenir. Je puis admettre que la loi de l'Ohio me frappe justement, mais je dis en même temps qu'elle est folle et vaine.

Si vous prétendez que, parce que cette corde va être nouée autour de mon cou, et serrée jusqu'à ce que mort s'ensuive, elle aura pour effet de prévenir l'assassinat, je dis que votre pensée est folle et vaine ; car, dans la situation d'esprit où était John W. Hughes quand il a assassiné, il n'y a pas d'exemple sur la terre qui eût pu empêcher un homme, quel qu'il fût, de faire ce que j'ai fait. Je m'incline devant la loi du pays avec la pensée que c'est un meurtre inutile autant que cruel de prendre ma vie. J'espère que mon supplice ne restera pas comme un exemple de la peine de mort, mais comme un argument qui en prouve l'inanité.

Hughes a ensuite fait un examen de conscience, et s'est longuement étendu sur la religion et sur l'immortalité de l'âme. Ses doctrines en ces graves matières ne sont pas positivement orthodoxes ; mais elles attestent au moins un sang-froid singulier. Il a aussi parlé du Spiritualisme ou plutôt du Spiritisme. « Je sais, a-t-il dit, par ma propre expérience, qu'il y a entre ceux qui sortent de la vie et ceux qui restent des communications incessantes. Je vais aujourd'hui souffrir la suprême pénalité légale, mais en même temps je suis sûr que je serai avec vous après mon exécution comme j'y suis maintenant.

Mes juges et mes bourreaux me verront toujours devant leurs yeux, et vous-mêmes qui êtes venus ici pour me voir mourir, il n'en est pas un de vous qui ne me revoie en chair et en os, vêtu de noir comme je le suis, portant mon propre deuil prématuré, pendant son sommeil comme pendant les heures de ses occupations journalières. ‑ Adieu, messieurs, j'espère qu'aucun de vous ne fera ce que j'ai fait ; mais s'il en est quelqu'un qui se trouve dans l'état mental où j'étais moi-même quand j'ai commis le crime, ce n'est assurément pas le souvenir de cette journée qui l'en empêchera. Adieu. »

Après cette harangue, la trappe est tombée, et le docteur Hughes est resté pendu. Mais ses paroles avaient produit une profonde impression sur son auditoire, et il en est résulté de singuliers effets. Voici ce que nous trouvons aujourd'hui à ce sujet dans le Herald de Cleveland :

Le docteur Hughes, étant sur l'échafaud avec la corde au cou, a dit qu'il serait avec ceux qui l'entendaient aussi bien après qu'avant sa mort, et on dirait qu'il a pris à cœur de tenir sa parole. Parmi les personnes qui l'avaient visité dans sa cellule avant l'exécution, se trouvait un honnête boucher allemand. Cet homme, depuis son entrevue avec le condamné, n'a plus que le docteur Hughes dans la cervelle. Il a sans cesse devant les yeux, la nuit, le jour, à toute heure, des prisons, des gibets, des hommes pendus. Il ne dort plus, ne mange plus, n'a plus la tête à sa famille ni à ses affaires, et hier soir cette vision a failli le tuer.

Il venait d'entrer dans son écurie pour soigner les bestiaux, lorsqu'il vit debout, près de son cheval, le docteur Hughes, vêtu de ses mêmes habits noirs qu'il portait avant de quitter notre planète, et paraissant jouir d'une excellente santé. Le pauvre boucher jeta un cri perçant, un hurlement de l'autre monde, et tomba à la renverse.

On accourut, on le releva ; son œil était hagard, sa face livide, ses lèvres tremblantes, et d'une voix pantelante, il demanda, dès qu'il reprit connaissance, si le docteur Hughes était encore là. Il venait de le voir, disait-il, et, s'il n'était plus dans l'écurie, il ne pouvait être loin. Ce fut avec toutes les peines du monde qu'on le calma et qu'on l'entraîna dans sa maison. La vision le poursuit toujours, et aux dernières nouvelles encore, il était dans un état d'agitation que rien ne pouvait apaiser.

Mais voici qui est plus curieux encore. Le boucher n'est pas le seul à qui le docteur Hughes ait apparu depuis sa mort. Le surlendemain de l'exécution, tous les détenus l'ont vu, de leurs yeux vu, entrer dans la prison et parcourir les corridors. Il avait l'air parfaitement naturel : il était habillé de noir comme sur l'échafaud ; il passait souvent sa main autour de son cou, et en même temps laissait échapper de sa bouche un son guttural qui sifflait entre ses dents. Il a monté les escaliers qui conduisent à sa cellule, y est entré, s'est assis, et s'est mis à écrire des vers. Voilà ce qu'ont raconté les détenus, et rien au monde ne leur aurait persuadé qu'ils avaient été le jouet d'une illusion. »

Ce fait ne laisse pas d'avoir son côté instructif par les paroles du patient ; il est vrai quant au sujet principal ; mais comme celui-ci a cru devoir, dans sa dernière allocution, parler du Spiritualisme ou Spiritisme, le narrateur a trouvé bon d'enrichir son récit d'apparitions, qui n'ont existé qu'au bout de sa plume, sauf la première, celle au boucher, qui paraît être réelle.

‑ Tom l'aveugle n'est pas un conte de revenant, mais un phénomène d'intelligence inouï. Tom est un jeune nègre de dix-sept ans, aveugle de naissance, soi-disant doué d'un instinct musical merveilleux. Le Harpers Weekly, journal illustré de New-York, lui consacre un long article dont nous extrayons les passages suivants :

« Il n'avait pas deux ans qu'il traduisait par le chant tout ce qui frappait son oreille, et telle était la justesse et la facilité avec lesquelles il saisissait un motif, qu'en entendant les premières notes d'un chant il pouvait exécuter sa partie. Bientôt il commença à accompagner en faisant les seconds, bien qu'il n'en eût jamais entendu, mais un instinct de nature lui révélait que quelque chose de semblable devait se chanter.

A l'âge de quatre ans il entendit pour la première fois un piano. A l'arrivée de l'instrument, il était, selon son habitude, à s'amuser dans la cour ; la première vibration des touches l'attira au parloir (le salon). On lui permit de promener ses doigts sur les touches simplement pour satisfaire sa curiosité, et ne pas lui refuser l'innocent plaisir de faire un peu de bruit. Une fois, de minuit au jour, il put rester au parloir où il avait su pénétrer. Le piano n'avait pas été fermé, et les jeunes demoiselles de la maison furent réveillées par les sons de l'instrument. A leur grand étonnement, elles entendirent Tom jouant un de leurs morceaux, et le matin elles le trouvèrent encore au piano. On lui permit alors de jouer autant qu'il lui plairait ; il fit des progrès si rapides et si étonnants que le piano devint l'écho de tout ce qu'il entendit. Il développa ainsi de nouvelles et prodigieuses facultés, inconnues jusqu'alors au monde musical, et dont il semble que Dieu ait réservé le monopole à Tom. Il avait moins de cinq ans lorsque, après un orage, il en fit un qu'il intitula : Ce que me disent le vent, le tonnerre et la pluie.

Soixante-dix professeurs de musique, à Philadelphie, ont spontanément revêtu de leur signature une déclaration qui se termine ainsi : « En fait, sous toute forme d'examen musical, exécution, composition et improvisation, il a montré une puissance et une capacité qui le classent parmi les plus étonnants phénomènes dont l'histoire de la musique ait gardé le souvenir. Les soussignés pensent qu'il est impossible d'expliquer ces prodigieux résultats par aucune des hypothèses que peuvent fournir les lois de l'art ou de la science.

Aujourd'hui il joue la plus difficile musique des grands auteurs avec une délicatesse de touche, une puissance et une expression qui ont été rarement entendues. C'est au printemps prochain qu'il doit se rendre en Europe. »

Voici l'explication donnée à ce sujet par l'intermédiaire de M. Morin, médium, dans une réunion spirite de Paris, chez la princesse O… le 13 mars 1866, et à laquelle nous assistions. Elle peut servir de guide dans tous les cas analogues.

« Ne vous hâtez pas trop de croire à la venue du fameux musicien noir aveugle ; ses aptitudes musicales sont trop exaltées par les grands colporteurs de nouvelles, qui ne sont pas avares de faits imaginaires destinés à satisfaire la curiosité des abonnés. Il faut vous défier beaucoup des reproductions, et surtout des emprunts réels ou supposés que font vos journalistes à leurs confrères d'outre-mer. Bien des ballons d'essai sont lancés dans le but de faire tomber les Spirites dans le panneau, et l'espoir d'entraîner le Spiritisme et ses adeptes dans le domaine du ridicule. Tenez-vous donc sur vos gardes, et ne commentez jamais un fait sans, au préalable, vous être bien renseignés, et sans avoir demandé l'opinion de vos guides.

Vous ne pouvez vous imaginer toutes les ruses employées par les grands pourfendeurs des idées nouvelles, pour arriver à surprendre une bévue, une faute, une absurdité palpable, commise par les Esprits ou leurs trop confiants prosélytes. De tous côtés les pièges à Spirites sont tendus ; tous les jours on y apporte des perfectionnements ; petits et grands sont à l'affût, et le jour où ils pourraient prendre le chef en défaut, les mains dans le sac au ridicule, serait le plus beau de leur vie. Ils ont une telle confiance en eux, qu'ils s'en réjouissent par anticipation ; mais il est un vieux proverbe qui dit : « Il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué ; » or, le Spiritisme, leur bête noire, est encore debout, et pourrait bien leur faire user leurs chaussures avant de se laisser atteindre. C'est la tête basse qu'ils viendront un jour brûler l'encens devant l'autel de la vérité qui, dans un temps prochain, sera reconnue par tout le monde.

« En vous conseillant de vous tenir sur la réserve, je ne prétends pas que les faits et gestes attribués à cet aveugle soient impossibles, mais il ne faut pas croire à celui-ci avant de l'avoir vu, et surtout entendu. »

Ebelmann.



Un tel prodige, même en faisant une large part à l'exagération, serait le plus éloquent plaidoyer en faveur de la réhabilitation de la race nègre, dans un pays où le préjugé de la couleur est si enraciné ; et s'il ne peut être expliqué par les lois connues de la science, il le serait de la manière la plus claire et la plus rationnelle par celle de la réincarnation, non d'un noir dans un noir, mais d'un blanc dans un noir, car une faculté instinctive si précoce ne pourrait être que le souvenir intuitif de connaissances acquises dans une existence antérieure.

Mais alors, dira-t-on, ce serait une déchéance de l'Esprit de passer de la race blanche dans la race nègre ? Déchéance de position sociale, sans doute, ce qui se voit tous les jours, quand, de riche on renaît pauvre, ou de maître serviteur, mais non rétrogradation de l'Esprit, puisqu'il aurait conservé ses aptitudes et son acquis. Cette position serait pour lui une épreuve ou une expiation ; peut-être aussi une mission, afin de prouver que cette race n'est pas vouée par la nature à une infériorité absolue. Nous raisonnons ici dans l'hypothèse de la réalité du fait, et pour les cas analogues qui pourraient se présenter.

Les deux faits suivants sont de même fabrique, et n'ont pas besoin d'autre commentaire que ce qui vient d'être dit. Le premier, rapporté par le Soleil du 19 juillet, est censé d'origine américaine ; le second, tiré de l'Evènement du mois d'avril, est du cru parisien. Ce sont incontestablement les Spirites qui se montreront les incrédules les plus endurcis ; quant aux autres, la curiosité pourrait bien en porter plus d'un à connaître la chose qu'on dit produire tant de merveilles.

« Les Esprits frappeurs et autres semblent élire domicile à Taunton, et avoir choisi, pour théâtre de leurs exploits, la maison d'un malheureux docteur de cette ville. La cave, les corridors, les chambres, la cuisine et jusqu'au grenier du praticien sont hantés nuitamment par les ombres de tous ceux qu'il a envoyés dans un monde meilleur. Ce sont des cris, des plaintes, des imprécations, des ironies sanglantes, selon l'esprit des ombres, qui n'ont quelquefois pas l'ombre d'esprit.

‑ Ta dernière potion m'a tué, dit une voix caverneuse.

‑ Allopathe, s'écrie une voix plus jeune, tu ne vaux même pas un homéopathe.

‑ Je suis ta deux cent quatre-vingt-dix-neuvième victime, la dernière de toutes, psalmodie une autre apparition. Tâche au moins de faire une croix quand tu seras à la trois centième.

« Et ainsi de suite. La vie de l'infortuné docteur n'est plus soutenable. »

L'autre anecdote est aussi spirituelle :

« C'est dimanche soir, pendant cet orage épouvantable dont les journaux d'hier ont énuméré les ravages. Une calèche descendait à travers la pluie et les éclairs l'avenue de Neuilly ; dedans, se trouvaient quatre personnes ; elles avaient dîné ensemble dans une très aimable et très hospitalière maison, près du parc de Neuilly, et égayés par cette soirée agréable, les quatre voyageurs, insoucieux de l'orage, se livraient à une causerie un peu légère.

On parlait des femmes, on en médisait, on les calomniait même quelque peu. Le nom d'une jeune personne fut mis sur le tapis, et quelqu'un émit des doutes sur la nationalité de la victime, insinuant qu'assurément ce n'est pas à Nanterre qu'elle a vu le jour.

Tout à coup, un coup de tonnerre fait frissonner les portières, un éclair illumine toute la voiture et la pluie fouette les vitres à les briser. A la lueur de la foudre, les quatre voyageurs virent alors, debout, devant eux, dans la voiture, un cinquième voyageur, ou plutôt une voyageuse ‑ c'était une femme, vêtue de blanc, un spectre, un ange. L'apparition s'évanouit avec l'éclair, puis comme si le fantôme eût voulu protester contre la calomnie qu'on dirigeait contre la jeune personne absente, une pluie de fleurs d'oranger tomba sur les quatre compagnons de route et les couvrit d'une neige embaumée.

Il y avait, à la vérité, un médium parmi les quatre voyageurs.

Rien ne vous force d'ajouter foi à cette histoire invraisemblable, et je n'en crois pas, pour ma part, un traître mot. C'est un des quatre voyageurs qui me la raconte et me l'affirme. Elle m'a paru originale, voilà tout ! »

Cheveux blanchis sous l'impression d'un rêve

On lit dans le Petit Journal du 14 mai 1866 :

M. Émile Gaboriau, commentant le fait attribué à ce mari qui aurait assassiné sa femme en rêvant, raconte dans le Pays le dramatique épisode qu'on va lire :

« Mais voici qui est plus fort, et je dois dire que j'ajoute foi à ce fait dont l'authenticité m'a été affirmée sous serment par le héros en personne.

Ce héros, mon camarade de collège, est un ingénieur d'une trentaine d'années, homme d'esprit et de talent, d'un caractère méthodique, d'un tempérament froid.

Comme il parcourait la Bretagne il y a deux ans, il se trouva passer la nuit dans une auberge isolée, à quelques centaines de mètres d'une mine qu'il se proposait de visiter le lendemain.

Il était las ; il se mit au lit de bonne heure et ne tarda pas à s'endormir.

Bientôt il rêva. On venait de le mettre à la tête de l'exploitation de cette mine voisine.

Il surveillait les ouvriers, lorsque arriva le propriétaire.

Cet homme, brutal et mal élevé, lui reprocha de rester au dehors les bras croisés pendant qu'il devrait être à l'intérieur occupé à en tracer le plan.

‑ C'est bien ! je descends, répondit le jeune ingénieur.

Il descendit en effet, parcourut les galeries et en leva un croquis.

Cette besogne terminée, il se plaça dans le panier qui devait le ramener au jour. Un câble énorme servait à hisser ce panier.

La mine étant extraordinairement profonde, l'ingénieur calcula que l'ascension durerait bien un quart d'heure, aussi s'installa-t-il le plus commodément qu'il put.

Il remontait depuis deux ou trois minutes déjà lorsque, levant les yeux par hasard, il crut voir que le câble auquel se trouvait suspendue sa vie était coupé à quelques pieds au-dessus de sa tête, trop haut pour qu'il pût atteindre la rupture.

Tout d'abord son effroi fut tel qu'il faillit s'évanouir. Puis il essaya de se remettre, de se rassurer. Ne se trompait-il pas, n'avait-il pas mal vu ? Il eut besoin de faire un énergique appel à tout son courage pour oser regarder de nouveau.

Non, il ne s'était pas trompé. Le câble avait été déchiré par quelque éclat de rocher, et lentement, mais visiblement, il se détortillait. Il n'était pas à cet endroit plus gros que le pouce.

L'infortuné se sentit perdu. Un froid mortel le glaça jusque dans les moelles. Il voulut crier, impossible. D'ailleurs, à quoi bon ? il était à moitié route maintenant.

Dans le fond, à une profondeur vertigineuse, il apercevait, moins brillantes que des vers luisants dans l'herbe, les lampes des ouvriers.

En haut, l'ouverture du puits lui apparaissait si rétrécie qu'elle semblait n'avoir pas le diamètre du goulot d'une bouteille.

Et il montait toujours, et un à un les fils de chanvre craquaient.

Et nul moyen d'éviter la chute horrible, car, il le voyait, il le sentait bien, le câble serait rompu bien avant que le panier eût atteint le haut.

Telle était son angoisse mortelle, qu'il eut l'idée d'abréger le supplice en se précipitant.

Il hésitait, quand le panier arriva à fleur du sol. Il était sauvé. C'est en poussant un cri formidable qu'il sauta à terre.

Ce cri l'éveilla. L'horrible aventure n'était qu'un songe. Mais il était dans un état affreux, baigné de sueur, respirant à peine, incapable du moindre mouvement.

Enfin, il put sonner et on vint à son secours. Mais les gens de l'auberge refusaient presque de le reconnaître. Ses cheveux noirs étaient devenus gris.

Sur le pied de son lit se trouvait, esquissé par lui, le plan de cette mine qu'il ne connaissait pas. Ce plan était merveilleux d'exactitude. »

Nous n'avons d'autre garant de l'authenticité de ce fait que le récit ci-dessus ; sans rien préjuger à ce sujet, nous dirons que tout ce qu'il relate est dans les choses possibles. Le plan de la mine, tracé par l'ingénieur pendant son sommeil, n'est pas plus surprenant que les travaux qu'exécutent certains somnambules.

Pour le faire exact, il a dû voir ; puisqu'il n'a pu voir par les yeux du corps, il a vu par ceux de l'âme ; pendant son sommeil, son Esprit a exploré la mine : le plan en est la preuve matérielle. Quant au danger, il est évident qu'il n'y a rien eu de réel ; ce n'était donc qu'un cauchemar. Ce qui est plus singulier, c'est que, sous l'impression d'un danger imaginaire, ses cheveux aient pu blanchir.

Ce phénomène s'explique par les liens fluidiques qui transmettent au corps les impressions de l'âme, alors que celle-ci en est éloignée. L'âme ne se rendait pas compte de cette séparation ; son corps périsprital lui faisait l'effet de son corps matériel, ainsi que cela arrive souvent après la mort chez certains Esprits qui se croient encore vivants, et se figurent vaquer à leurs occupations habituelles. L'Esprit de l'ingénieur, quoique vivant, se trouvait dans une situation analogue ; tout était aussi réel dans sa pensée que s'il avait eu son corps de chair et d'os. De là le sentiment de frayeur qu'il a éprouvé en se voyant prêt à être précipité dans l'abîme.

D'où est venue cette image fantastique ? Il a créé lui-même, par sa pensée, un tableau fluidique, une scène dont il était l'acteur, exactement comme madame Cantianille et la sœur Elmérich dont nous avons parlé dans le précédent numéro, p. 240. La différence provient de la nature des préoccupations habituelles. L'ingénieur pensait naturellement aux mines, tandis que madame Cantianille, dans son couvent, pensait à l'enfer. Elle se croyait sans doute en état de péché mortel pour quelque infraction à la règle commise à l'instigation des démons ; elle s'en exagérait les conséquences et se voyait déjà en leur pouvoir, ces paroles : « Je n'ai que trop bien réussi à mériter leur confiance, » prouvent que sa conscience n'était pas tranquille. Du reste, la peinture qu'elle fait de l'enfer a quelque chose de séduisant pour certaines personnes, puisque ceux qui consentent à blasphémer Dieu, à louer le diable, et qui ont le courage de braver la peur des flammes, en sont récompensés par des jouissances tout à fait mondaines. On a pu remarquer, dans ce tableau, un reflet des épreuves maçonniques, qu'on lui avait sans doute montrées comme le vestibule de l'enfer. Quant à la sœur Elmérich, ses préoccupations sont plus douces ; elle se complaît dans la béatitude et dans la vénération des choses saintes ; aussi ses visions en sont-elles la reproduction.

Dans la vision de l'ingénieur, il y a donc deux parties distinctes : l'une réelle et positive, constatée par l'exactitude du plan de la mine ; l'autre purement fantastique : celle du danger qu'il a couru. Celle-ci est peut-être l'effet du souvenir d'un accident réel de cette nature dont il aurait été victime dans sa précédente existence. Elle a pu être provoquée comme avertissement d'avoir à prendre les précautions voulues. Étant chargé de la direction de la mine, après une semblable alerte, il n'aura eu garde de négliger les mesures de prudence.

Voici un exemple de l'impression qu'on peut conserver des sensations éprouvées dans une autre existence. Nous ne savons si nous l'avons déjà cité quelque part ; n'ayant pas le temps de le rechercher, nous le rappelons, au risque de faire une répétition, parce qu'il vient à l'appui de ce que nous venons de dire.

Une dame de notre connaissance personnelle avait été élevée dans un pensionnat de Rouen. Lorsque les élèves sortaient pour aller soit à l'église, soit à la promenade, à un certain endroit de la rue elle était prise d'un saisissement et d'une appréhension extraordinaires ; il lui semblait qu'elle allait être précipitée dans un gouffre ; et cela s'est renouvelé chaque fois qu'elle passait en cet endroit, et tout le temps qu'elle fut dans cette pension. Elle avait quitté Rouen depuis plus de vingt ans, et y étant retournée il y a peu d'années, elle eut la curiosité d'aller revoir la maison qu'elle avait habitée, et en passant par la même rue, elle éprouva la même sensation. Plus tard, cette dame était devenue Spirite, ce fait lui revenant en mémoire, elle en demanda l'explication, et il lui fut répondu que, jadis, en cet endroit, se trouvaient des remparts avec de profonds fossés remplis d'eau ; qu'elle faisait partie d'une troupe de femmes qui concoururent à la défense de la ville contre les Anglais, et que toutes furent précipitées dans ces fossés où elles périrent. Ce fait est rapporté dans l'histoire de Rouen.

Ainsi, après plusieurs siècles, la terrible impression de cette catastrophe ne s'était pas encore effacée de son Esprit. Si elle n'avait plus le même corps charnel, elle avait toujours le même corps fluidique ou périsprital qui avait reçu la première impression, et réagissait sur son corps actuel. Un rêve aurait donc pu lui en retracer l'image, et produire une émotion semblable à celle de l'ingénieur.

Que de choses nous explique le grand principe de la perpétuité de l'Esprit, et du lien qui unit l'Esprit à la matière ! Jamais, peut-être, les journaux, tout en niant le Spiritisme, n'ont rapporté autant de faits à l'appui des vérités qu'il proclame.

Variétés

Médiumnité voyante chez les enfants

Un de nos correspondants nous écrit de Caen :

« J'étais dernièrement à l'hôtel Saint-Pierre, à Caen ; je prenais un verre de bière en lisant un journal. La petite fille de la maison, je crois, de quatre ans environ, était assise sur un escalier et mangeait des cerises. Elle ne s'apercevait pas que je la voyais et paraissait tout entière à une conversation avec des êtres invisibles auxquels elle offrait des cerises ; tout l'indiquait ; sa physionomie, ses gestes, les inflexions de sa voix. Tantôt elle se retournait brusquement en disant : Toi, tu n'en auras pas ; tu n'es pas gentille. ‑ Voici pour toi, disait-elle à une autre. ‑ Qu'est-ce que tu me jettes donc ? disait-elle à une troisième. On l'eût dit entourée d'autres enfants ; tantôt elle se levait, tendait les mains en offrant ce qu'elle avait ; tantôt ses yeux suivaient des objets invisibles pour moi, qui l'attristaient ou la faisaient rire aux éclats. Cette petite scène dura plus d'une demi-heure, et l'entretien ne cessa que lorsque l'enfant s'aperçut que je l'observais. Je sais que souvent les enfants s'amusent à des apartés de ce genre, mais ici c'était tout différent ; la figure et les manières reflétaient des impressions réelles qui n'étaient pas celles d'un jeu joué. Je pensais que c'était sans doute un médium voyant en herbe, et me disais que si toutes les mères de famille étaient initiées aux lois du Spiritisme, elles y puiseraient de nombreux cas d'observations, et s'expliqueraient bien des faits qui passent inaperçus, et dont la connaissance leur serait utile pour la direction de leurs enfants. »

Il est fâcheux que notre correspondant n'ait pas eu l'idée de questionner cette petite fille sur les personnes avec lesquelles elle causait ; il aurait pu s'assurer si cette conversation avait réellement lieu avec des êtres invisibles ; et dans ce cas, il aurait pu en ressortir une instruction d'autant plus importante que notre correspondant étant un Spirite très éclairé pouvait diriger utilement ces questions. Quoi qu'il en soit, beaucoup d'autres faits prouvent que la médiumnité voyante est très commune, si même elle n'est générale chez les enfants, et cela est providentiel ; au sortir de la vie spirituelle, les guides de l'enfant, viennent le conduire au port d'embarquement pour le monde terrestre, comme ils viennent le chercher à son retour. Ils se montrent à lui dans les premiers temps, afin qu'il n'y ait pas transition trop brusque ; puis ils s'effacent peu à peu, à mesure que l'enfant grandissant peut agir en vertu de son libre arbitre. Ils le laissent alors à ses propres forces en disparaissant à ses yeux, mais sans le perdre de vue. La petite fille en question, au lieu d'être, comme le pense notre correspondant, un médium voyant en herbe, pourrait bien en être un sur son déclin, et ne plus jouir de cette faculté le reste de sa vie. (Voy. Revue de février 1865, page 42 : des Esprits instructeurs de l'enfance.)



Allan Kardec







Octobre

Les temps sont arrivés

Les temps marqués par Dieu sont arrivés, nous dit-on de toutes parts, où de grands événements vont s'accomplir pour la régénération de l'humanité. Dans quel sens faut-il entendre ces paroles prophétiques ? Pour les incrédules, elles n'ont aucune importance ; à leurs yeux, ce n'est que l'expression d'une croyance puérile sans fondement ; pour le plus grand nombre des croyants, elles ont quelque chose de mystique et de surnaturel qui leur semble être l'avant-coureur du bouleversement des lois de la nature. Ces deux interprétations sont également erronées : la première en ce qu'elle implique la négation de la Providence, et que les faits accomplis prouvent la vérité de ces paroles ; la seconde, en ce que celles-ci n'annoncent pas la perturbation des lois de la nature, mais leur accomplissement. Cherchons-en donc le sens le plus rationnel.

Tout est harmonie dans l'œuvre de la création, tout révèle une prévoyance qui ne se dément ni dans les plus petites choses ni dans les plus grandes ; nous devons donc d'abord écarter toute idée de caprice inconciliable avec la sagesse divine ; en second lieu, si notre époque est marquée pour l'accomplissement de certaines choses, c'est qu'elles ont leur raison d'être dans la marche générale de l'ensemble.

Ceci posé, nous dirons que notre globe, comme tout ce qui existe, est soumis à la loi du progrès. Il progresse physiquement par la transformation des éléments qui le composent, et moralement par l'épuration des Esprits incarnés et désincarnés qui le peuplent. Ces deux progrès se suivent et marchent parallèlement, car la perfection de l'habitation est en rapport avec celle de l'habitant. Physiquement, le globe a subi des transformations, constatées par la science, et qui l'ont successivement rendu habitable par des êtres de plus en plus perfectionnés ; moralement, l'humanité progresse par le développement de l'intelligence, du sens moral et l'adoucissement des mœurs. En même temps que l'amélioration du globe s'opère sous l'empire des forces matérielles, les hommes y concourent par les efforts de leur intelligence ; ils assainissent les contrées insalubres, rendent les communications plus faciles et la terre plus productive.

Ce double progrès s'accomplit de deux manières : l'une lente, graduelle et insensible ; l'autre par des changements plus brusques, à chacun desquels s'opère un mouvement ascensionnel plus rapide qui marque, par des caractères tranchés, les périodes progressives de l'humanité. Ces mouvements, subordonnés dans les détails au libre arbitre des hommes, sont en quelque sorte fatals dans leur ensemble, parce qu'ils sont soumis à des lois, comme ceux qui s'opèrent dans la germination, la croissance et la maturité des plantes, attendu que le but de l'humanité est le progrès, nonobstant la marche retardataire de quelques individualités ; c'est pourquoi le mouvement progressif est quelquefois partiel, c'est-à-dire borné à une race ou à une nation, d'autres fois général. Le progrès de l'humanité s'effectue donc en vertu d'une loi ; or, comme toutes les lois de la nature sont l'œuvre éternelle de la sagesse et de la prescience divines, tout ce qui est l'effet de ces lois est le résultat de la volonté de Dieu, non d'une volonté accidentelle et capricieuse, mais d'une volonté immuable. Lors donc que l'humanité est mûre pour franchir un degré, on peut dire que les temps marqués par Dieu sont arrivés, comme on peut dire aussi qu'en telle saison ils sont arrivés pour la maturité des fruits et la récolte.

De ce que le mouvement progressif de l'humanité est inévitable, parce qu'il est dans la nature, il ne s'ensuit pas que Dieu y soit indifférent, et qu'après avoir établi des lois, il soit rentré dans l'inaction, laissant les choses aller toutes seules. Ses lois sont éternelles et immuables, sans doute, mais parce que sa volonté elle-même est éternelle et constante, et que sa pensée anime toutes choses sans interruption ; sa pensée qui pénètre tout, est la force intelligente et permanente qui maintient tout dans l'harmonie ; que cette pensée cessât un seul instant d'agir, et l'univers serait comme une horloge sans balancier régulateur. Dieu veille donc incessamment à l'exécution de ses lois, et les Esprits qui peuplent l'espace sont ses ministres chargés des détails, selon les attributions afférentes à leur degré d'avancement.

L'univers est à la fois un mécanisme incommensurable conduit par un nombre non moins incommensurable d'intelligences, un immense gouvernement où chaque être intelligent a sa part d'action sous l'œil du souverain Maître, dont la volonté unique maintient partout l'unité. Sous l'empire de cette vaste puissance régulatrice tout se meut, tout fonctionne dans un ordre parfait ; ce qui nous semble des perturbations sont les mouvements partiels et isolés qui ne nous paraissent irréguliers que parce que notre vue est circonscrite. Si nous pouvions en embrasser l'ensemble, nous verrions que ces irrégularités ne sont qu'apparentes et qu'elles s'harmonisent dans le tout.

La prévision des mouvements progressifs de l'humanité n'a rien de surprenant chez des êtres dématérialisés qui voient le but où tendent toutes choses, dont quelques-uns possèdent la pensée directe de Dieu, et qui jugent, aux mouvements partiels, le temps auquel pourra s'accomplir un mouvement général, comme on juge d'avance le temps qu'il faut à un arbre pour porter des fruits, comme les astronomes calculent l'époque d'un phénomène astronomique par le temps qu'il faut à un astre pour accomplir sa révolution.

Mais tous ceux qui annoncent ces phénomènes, les auteurs d'almanachs qui prédisent les éclipses et les marées, ne sont certes pas en état de faire eux-mêmes les calculs nécessaires ; ils ne sont que des échos ; ainsi en est-il des Esprits secondaires dont la vue est bornée, et qui ne font que répéter ce qu'il a plu aux Esprits supérieurs de leur révéler.

L'humanité a accompli jusqu'à ce jour d'incontestables progrès ; les hommes, par leur intelligence, sont arrivés à des résultats qu'ils n'avaient jamais atteints sous le rapport des sciences, des arts et du bien-être matériel ; il leur en reste encore un immense à accomplir : c'est de faire régner entre eux la charité, la fraternité et la solidarité, pour assurer leur bien-être moral. Ils ne le pouvaient ni avec leurs croyances, ni avec leurs institutions surannées, restes d'un autre âge, bonnes à une certaine époque, suffisantes pour un état transitoire, mais qui, ayant donné ce qu'elles comportaient, seraient un point d'arrêt aujourd'hui. Tel un enfant est stimulé par des mobiles, impuissants quand vient l'âge mûr. Ce n'est plus seulement le développement de l'intelligence qu'il faut aux hommes, c'est l'élévation du sentiment, et pour cela il faut détruire tout ce qui pouvait surexciter en eux l'égoïsme et l'orgueil.

Telle est la période où ils vont entrer désormais, et qui marquera une des phases principales de l'humanité. Cette phase qui s'élabore en ce moment est le complément nécessaire de l'état précédent, comme l'âge viril est le complément de la jeunesse ; elle pouvait donc être prévue et prédite d'avance, et c'est pour cela qu'on dit que les temps marqués par Dieu sont arrivés.

En ce temps-ci, il ne s'agit pas d'un changement partiel, d'une rénovation bornée à une contrée, à un peuple, à une race ; c'est un mouvement universel qui s'opère dans le sens du progrès moral. Un nouvel ordre de choses tend à s'établir, et les hommes qui y sont le plus opposés y travaillent à leur insu ; la génération future, débarrassée des scories du vieux monde et formée d'éléments plus épurés, se trouvera animée d'idées et de sentiments tout autres que la génération présente qui s'en va à pas de géant. Le vieux monde sera mort, et vivra dans l'histoire comme aujourd'hui les temps du moyen âge avec leurs coutumes barbares et leurs croyances superstitieuses.

Du reste, chacun sait que l'ordre de choses actuel laisse à désirer ; après avoir, en quelque sorte, épuisé le bien-être matériel qui est le produit de l'intelligence, on arrive à comprendre que le complément de ce bien-être ne peut être que dans le développement moral. Plus on avance, plus on sent ce qui manque, sans cependant pouvoir encore le définir clairement : c'est l'effet du travail intime qui s'opère pour la régénération ; on a des désirs, des aspirations qui sont comme le pressentiment d'un état meilleur.

Mais un changement aussi radical que celui qui s'élabore ne peut s'accomplir sans commotion ; il y a lutte inévitable entre les idées, et qui dit lutte, dit alternative de succès et de revers ; cependant, comme les idées nouvelles sont celles du progrès et que le progrès est dans les lois de la nature, elles ne peuvent manquer de l'emporter sur les idées rétrogrades. De ce conflit naîtront forcément des perturbations temporaires, jusqu'à ce que le terrain soit déblayé des obstacles qui s'opposent à l'érection du nouvel édifice social. C'est donc de la lutte des idées que surgiront les graves événements annoncés, et non de cataclysmes, ou catastrophes purement matérielles. Les cataclysmes généraux étaient la conséquence de l'état de formation de la terre ; aujourd'hui ce ne sont plus les entrailles du globe qui s'agitent, ce sont celles de l'humanité.

L'humanité est un être collectif en qui s'opèrent les mêmes révolutions morales que dans chaque être individuel, avec cette différence que les unes s'accomplissent d'année en année, et les autres de siècle en siècle. Qu'on la suive dans ses évolutions à travers les temps, et l'on verra la vie des diverses races marquée par des périodes qui donnent à chaque époque une physionomie particulière.

A côté des mouvements partiels, il y a un mouvement général qui donne l'impulsion à l'humanité tout entière ; mais le progrès de chaque partie de l'ensemble est relatif à son degré d'avancement. Telle serait une famille composée de plusieurs enfants dont le plus jeune est au berceau et l'aîné âgé de dix ans, par exemple. Dans dix ans, l'aîné en aura vingt et sera un homme ; le plus jeune en aura dix et, quoique plus avancé, sera encore un enfant ; mais à son tour il deviendra un homme. Ainsi en est-il des différentes fractions de l'humanité ; les plus arriérées avancent, mais ne sauraient d'un bond atteindre le niveau des plus avancées.

L'humanité, devenue adulte, a de nouveaux besoins, des aspirations plus larges, plus élevées ; elle comprend le vide des idées dont elle a été bercée, l'insuffisance de ses institutions pour son bonheur ; elle ne trouve plus dans l'état des choses les satisfactions légitimes auxquelles elle se sent appelée ; c'est pourquoi elle secoue ses langes, et s'élance, poussée par une force irrésistible, vers des rivages inconnus, à la découverte de nouveaux horizons moins bornés. Et c'est au moment où elle se trouve trop à l'étroit dans sa sphère matérielle, où la vie intellectuelle déborde, où le sentiment de la spiritualité s'épanouit, que des hommes, de prétendus philosophes, espèrent combler le vide par les doctrines du néantisme et du matérialisme ! Étrange aberration ! Ces mêmes hommes qui prétendent la pousser en avant, s'efforcent de la circonscrire dans le cercle étroit de la matière d'où elle aspire à sortir ; ils lui ferment l'aspect de la vie infinie, et lui disent, en lui montrant la tombe : Nec plus ultrà !

La marche progressive de l'humanité s'opère de deux manières, comme nous l'avons dit : l'une graduelle, lente, insensible, si l'on considère les époques rapprochées, qui se traduit par des améliorations successives dans les mœurs, les lois, les usages, et ne s'aperçoit qu'à la longue, comme les changements que les courants d'eau apportent à la surface du globe ; l'autre, par un mouvement relativement brusque, rapide, semblable à celui d'un torrent rompant ses digues, qui lui fait franchir en quelques années l'espace qu'elle eût mis des siècles à parcourir. C'est alors un cataclysme moral qui engloutit en quelques instants les institutions du passé, et auquel succède un nouvel ordre de choses qui s'assied peu à peu, à mesure que le calme se rétablit, et devient définitif.

A celui qui vit assez longtemps pour embrasser les deux versants de la nouvelle phase, il semble qu'un monde nouveau soit sorti des ruines de l'ancien ; le caractère, les mœurs, les usages, tout est changé ; c'est qu'en effet des hommes nouveaux, ou mieux régénérés, ont surgi ; les idées emportées par la génération qui s'éteint ont fait place à des idées nouvelles dans la génération qui s'élève.

C'est à l'une de ces périodes de transformation, ou, si l'on veut, de croissance morale, qu'est parvenue l'humanité. De l'adolescence elle passe à l'âge viril ; le passé ne peut plus suffire à ses nouvelles aspirations, à ses nouveaux besoins ; elle ne peut plus être conduite par les mêmes moyens ; elle ne se paye plus d'illusions et de prestiges : il faut à sa raison mûrie des aliments plus substantiels. Le présent est trop éphémère ; elle sent que sa destinée est plus vaste et que la vie corporelle est trop restreinte pour la renfermer tout entière ; c'est pourquoi elle plonge ses regards dans le passé et dans l'avenir afin d'y découvrir le mystère de son existence et d'y puiser une consolante sécurité.

Quiconque a médité sur le Spiritisme et ses conséquences, et ne le circonscrit pas dans la production de quelques phénomènes, comprend qu'il ouvre à l'humanité une voie nouvelle, et lui déroule les horizons de l'infini ; en l'initiant aux mystères du monde invisible, il lui montre son véritable rôle dans la création, rôle perpétuellement actif, aussi bien à l'état spirituel qu'a l'état corporel. L'homme ne marche plus en aveugle : il sait d'où il vient, où il va et pourquoi il est sur la terre. L'avenir se montre à lui dans sa réalité, dégagé des préjugés de l'ignorance et de la superstition ; ce n'est plus une vague espérance : c'est une vérité palpable, aussi certaine pour lui que la succession du jour et de la nuit. Il sait que son être n'est pas limité à quelques instants d'une existence dont la durée est soumise au caprice du hasard ; que la vie spirituelle n'est point interrompue par la mort ; qu'il a déjà vécu, qu'il revivra encore, et que de tout ce qu'il acquiert en perfection par le travail, rien n'est perdu ; il trouve dans ses existences antérieures la raison de ce qu'il est aujourd'hui, et de ce qu'il se fait aujourd'hui, il peut conclure ce qu'il sera un jour.

Avec la pensée que l'activité et la coopération individuelles à l'œuvre générale de la civilisation sont limitées à la vie présente, que l'on n'a rien été et que l'on ne sera rien, que fait à l'homme le progrès ultérieur de l'humanité ? Que lui importe qu'à l'avenir les peuples soient mieux gouvernés, plus heureux, plus éclairés, meilleurs les uns pour les autres ? Puisqu'il n'en doit retirer aucun fruit, ce progrès n'est-il pas perdu pour lui ? Que lui sert de travailler pour ceux qui viendront après lui, s'il ne doit jamais les connaître, si ce sont des êtres nouveaux qui peu après rentreront eux-mêmes dans le néant ? Sous l'empire de la négation de l'avenir individuel, tout se rapetisse forcément aux mesquines proportions du moment et de la personnalité.

Mais, au contraire, quelle amplitude donne à la pensée de l'homme la certitude de la perpétuité de son être spirituel ! quelle force, quel courage n'y puise-t-il pas contre les vicissitudes de la vie matérielle ! Quoi de plus rationnel, de plus grandiose, de plus digne du Créateur que cette loi d'après laquelle la vie spirituelle et la vie corporelle ne sont que deux modes d'existence qui s'alternent pour l'accomplissement du progrès ! Quoi de plus juste et de plus consolant que l'idée des mêmes êtres progressant sans cesse, d'abord à travers les générations d'un même monde, et ensuite de monde en monde jusqu'à la perfection, sans solution de continuité ! Toutes les actions ont alors un but, car, en travaillant pour tous, on travaille pour soi, et réciproquement ; de sorte que ni le progrès individuel ni le progrès général ne sont jamais stériles ; il profite aux générations et aux individualités futures, qui ne sont autres que les générations et les individualités passées, arrivées à un plus haut degré d'avancement.

La vie spirituelle est la vie normale et éternelle de l'Esprit, et l'incarnation n'est qu'une forme temporaire de son existence. Sauf le vêtement extérieur, il y a donc identité entre les incarnés et les désincarnés ; ce sont les mêmes individualités sous deux aspects différents, appartenant tantôt au monde visible, tantôt au monde invisible, se retrouvant soit dans l'un, soit dans l'autre, concourant dans l'un et dans l'autre au même but, par des moyens appropriés à leur situation.

De cette loi découle celle de la perpétuité des rapports entre les êtres ; la mort ne les sépare point, et ne met point de terme à leurs relations sympathiques, ni à leurs devoirs réciproques. De là la solidarité de tous pour chacun, et de chacun pour tous ; de là aussi la fraternité. Les hommes ne vivront heureux sur la terre que lorsque ces deux sentiments seront entrés dans leurs cœurs et dans leurs mœurs, car alors ils y assujettiront leurs lois et leurs institutions. Ce sera là un des principaux résultats de la transformation qui s'opère.

Mais comment concilier les devoirs de la solidarité et de la fraternité avec la croyance que la mort rend à tout jamais les hommes étrangers les uns aux autres ? Par la loi de la perpétuité des rapports qui lient tous les êtres, le Spiritisme fonde ce double principe sur les lois mêmes de la nature ; il en fait non-seulement un devoir, mais une nécessité. Par celle de la pluralité des existences, l'homme se rattache à ce qui s'est fait et à ce qui se fera, aux hommes du passé et à ceux de l'avenir ; il ne peut plus dire qu'il n'a plus rien de commun avec ceux qui meurent, puisque les uns et les autres se retrouvent sans cesse, dans ce monde et dans l'autre, pour gravir ensemble l'échelle du progrès et se prêter un mutuel appui. La fraternité n'est plus circonscrite à quelques individus que le hasard rassemble pendant la durée éphémère de la vie ; elle est perpétuelle comme la vie de l'Esprit, universelle comme l'humanité, qui constitue une grande famille dont tous les membres sont solidaires les uns des autres, quelle que soit l'époque à laquelle ils ont vécu.

Telles sont les idées qui ressortent du Spiritisme, et qu'il suscitera parmi tous les hommes, quand il sera universellement répandu, compris, enseigné et pratiqué. Avec le Spiritisme, la fraternité, synonyme de la charité prêchée par le Christ, n'est plus un vain mot ; elle a sa raison d'être. Du sentiment de la fraternité naît celui de la réciprocité et des devoirs sociaux, d'homme à homme, de peuple à peuple, de race à race ; de ces deux sentiments bien compris sortiront forcément les institutions les plus profitables au bien-être de tous.

La fraternité doit être la pierre angulaire du nouvel ordre social ; mais il n'y a pas de fraternité réelle, solide et effective si elle n'est appuyée sur une base inébranlable ; cette base c'est la foi ; non la foi en tels ou tels dogmes particuliers qui changent avec les temps et les peuples et se jettent la pierre, car en s'anathématisant ils entretiennent l'antagonisme ; mais la foi dans les principes fondamentaux que tout le monde peut accepter : Dieu, l'âme, l'avenir, le progrÈs individuel indéfini, la perpétuité des rapports entre les Êtres. Quand tous les hommes seront convaincus que Dieu est le même pour tous, que ce Dieu, souverainement juste et bon, ne peut rien vouloir d'injuste, que le mal vient des hommes et non de lui, ils se regarderont comme les enfants d'un même père et se tendront la main. C'est cette foi que donne le Spiritisme, et qui sera désormais le pivot sur lequel se mouvra le genre humain, quelles que soient leur manière de l'adorer et leurs croyances particulières, que le Spiritisme respecte, mais dont il n'a pas à s'occuper. De cette foi seule peut sortir le véritable progrès moral, parce que seule elle donne une sanction logique aux droits légitimes et aux devoirs ; sans elle, le droit est celui que donne la force ; le devoir, un code humain imposé par la contrainte. Sans elle, qu'est-ce que l'homme ? un peu de matière qui se dissout, un être éphémère qui ne fait que passer ; le génie même n'est qu'une étincelle qui brille un instant pour s'éteindre à tout jamais ; il n'y a certes pas là de quoi le relever beaucoup à ses propres yeux. Avec une telle pensée, où sont réellement les droits et les devoirs ? quel est le but du progrès ? Seule, cette foi fait sentir à l'homme sa dignité par la perpétuité et la progression de son être, non dans un avenir mesquin et circonscrit à la personnalité, mais grandiose et splendide ; sa pense l'élève au-dessus de la terre ; il se sent grandir en songeant qu'il a son rôle dans l'univers, et que cet univers est son domaine qu'il pourra un jour parcourir, et que la mort ne fera pas de lui une nullité, ou un être inutile à lui-même et aux autres.

Le progrès intellectuel accompli jusqu'à ce jour dans les plus vastes proportions est un grand pas, et marque la première phase de l'humanité, mais seul il est impuissant à la régénérer ; tant que l'homme sera dominé par l'orgueil et l'égoïsme, il utilisera son intelligence et ses connaissances au profit de ses passions et de ses intérêts personnels ; c'est pourquoi il les applique au perfectionnement des moyens de nuire aux autres et de s'entre-détruire. Le progrès moral seul peut assurer le bonheur des hommes sur la terre en mettant un frein aux mauvaises passions ; seul, il peut faire régner entre eux la concorde, la paix, la fraternité. C'est lui qui abaissera les barrières des peuples, qui fera tomber les préjugés de caste, et taire les antagonismes de sectes, en apprenant aux hommes à se regarder comme des frères appelés à s'entraider et non à vivre aux dépens les uns des autres. C'est encore le progrès moral, secondé ici par le progrès de l'intelligence, qui confondra les hommes dans une même croyance, établie sur les vérités éternelles, non sujettes à discussion et par cela même acceptées par tous. L'unité de croyance sera le lien le plus paissant, le plus solide fondement de la fraternité universelle, brisée de tous temps par les antagonismes religieux qui divisent les peuples et les familles, qui font voir dans le prochain des ennemis qu'il faut fuir, combattre, exterminer, au lieu de frères qu'il faut aimer.

Un tel état de choses suppose un changement radical dans le sentiment des masses, un progrès général qui ne pouvait s'accomplir qu'en sortant du cercle des idées étroites et terre à terre qui fomentent l'égoïsme. A diverses époques, des hommes d'élite ont cherché à pousser l'humanité dans cette voie ; mais l'humanité, encore trop jeune, est restée sourde, et leurs enseignements ont été comme la bonne semence tombée sur la pierre. Aujourd'hui, elle est mûre pour porter ses regards plus hauts qu'elle ne l'a fait, pour s'assimiler des idées plus larges et comprendre ce qu'elle n'avait pas compris. La génération qui disparaît emportera avec elle ses préjugés et ses erreurs ; la génération qui s'élève, trempée à une source plus épurée, imbue d'idées plus saines, imprimera au monde le mouvement ascensionnel dans le sens du progrès moral qui doit marquer la nouvelle phase de l'humanité. Cette phase se révèle déjà par des signes non équivoques, par des tentatives de réformes utiles, par les idées grandes et généreuses qui se font jour et qui commencent à trouver des échos. C'est ainsi qu'on voit se fonder une foule d'institutions protectrices, civilisatrices et émancipatrices, sous l'impulsion et par l'initiative d'hommes évidemment prédestinés à l'œuvre de la régénération ; que les lois pénales s'imprègnent chaque jour d'un sentiment plus humain. Les préjugés de races s'affaiblissent, les peuples commencent à se regarder comme les membres d'une grande famille ; par l'uniformité et la facilité des moyens de transaction, ils suppriment les barrières qui les divisaient de toutes les parties du monde, ils se réunissent en comices universels pour les tournois pacifiques de l'intelligence. Mais il manque à ces réformes une base pour se développer, se compléter et se consolider, une prédisposition morale plus générale pour fructifier et se faire accepter des masses. Ce n'en est pas moins un signe caractéristique du temps, le prélude de ce qui s'accomplira sur une plus vaste échelle, à mesure que le terrain deviendra plus propice.

Un signe non moins caractéristique de la période où nous entrons, c'est la réaction évidente qui s'opère dans le sens des idées spiritualistes, une répulsion instinctive se manifeste contre les idées matérialistes dont les représentants deviennent moins nombreux ou moins absolus. L'esprit d'incrédulité qui s'était emparé des masses, ignorantes ou éclairées, et leur avait fait rejeter, avec la forme, le fond même de toute croyance, semble avoir été un sommeil au sortir duquel on éprouve le besoin de respirer un air plus vivifiant. Involontairement, où le vide s'est fait on cherche quelque chose, un point d'appui, une espérance.

Dans ce grand mouvement régénérateur, le Spiritisme a un rôle considérable, non le Spiritisme ridicule inventé par une critique railleuse, mais le Spiritisme philosophique, tel que le comprend quiconque se donne la peine de chercher l'amande sous l'écorce. Par les preuves qu'il apporte des vérités fondamentales, il comble le vide que l'incrédulité fait dans les idées et les croyances ; par la certitude qu'il donne d'un avenir conforme à la justice de Dieu, et que la raison la plus sévère peut admettre, il tempère les amertumes de la vie et prévient les funestes effets du désespoir. En faisant connaître de nouvelles lois de la nature, il donne la clef de phénomènes incompris et de problèmes insolubles jusqu'à ce jour, et tue à la fois l'incrédulité et la superstition. Pour lui, il n'y a ni surnaturel ni merveilleux ; tout s'accomplit dans le monde en vertu de lois immuables. Loin de substituer un exclusivisme à un autre, il se pose en champion absolu de la liberté de conscience ; il combat le fanatisme sous toutes les formes, et le coupe dans sa racine en proclamant le salut pour tous les hommes de bien, et la possibilité, pour les plus imparfaits, d'arriver, par leurs efforts, l'expiation et la réparation, à la perfection qui seule conduit à la suprême félicité. Au lieu de décourager le faible, il l'encourage en lui montrant le but qu'il peut atteindre.

Il ne dit point : Hors le Spiritisme point de salut, mais avec le Christ : Hors la charité point de salut, principe d'union, de tolérance, qui ralliera les hommes dans un commun sentiment de fraternité, au lieu de les diviser en sectes ennemies. Par cet autre principe : Il n'y a de foi inébranlable que celle qui peut regarder la raison face à face à tous les âges de l'humanité, il détruit l'empire de la foi aveugle qui annihile la raison, de l'obéissance passive qui abrutit ; il émancipe l'intelligence de l'homme et relève son moral.

Conséquent avec lui-même, il ne s'impose pas ; il dit ce qu'il est, ce qu'il veut, ce qu'il donne, et attend qu'on vienne à lui librement, volontairement ; il veut être accepté par la raison et non par la force. Il respecte toutes les croyances sincères, et ne combat que l'incrédulité, l'égoïsme, l'orgueil et l'hypocrisie, qui sont les plaies de la société, et les obstacles les plus sérieux au progrès moral ; mais il ne lance l'anathème à personne, pas même à ses ennemis, parce qu'il est convaincu que la voie du bien est ouverte aux plus imparfaits, et que tôt ou tard ils y entreront.

Si l'on suppose la majorité des hommes imbus de ces sentiments, on peut aisément se figurer les modifications qu'ils apporteraient dans les relations sociales : charité, fraternité, bienveillance pour tous, tolérance pour toutes les croyances, telle sera leur devise. C'est le but auquel tend évidemment l'humanité, l'objet de ses aspirations, de ses désirs, sans qu'elle se rende bien compte des moyens de les réaliser ; elle essaye, elle tâtonne, mais elle est arrêtée par des résistances actives ou la force d'inertie des préjugés, des croyances stationnaires et réfractaires au progrès. Ce sont ces résistances qu'il faut vaincre, et ce sera l'œuvre de la nouvelle génération ; si l'on suit le cours actuel des choses, on reconnaîtra que tout semble prédestiné à lui frayer la route ; elle aura pour elle la double puissance du nombre et des idées, et de plus l'expérience du passé.

La nouvelle génération marchera donc à la réalisation de toutes les idées humanitaires compatibles avec le degré d'avancement auquel elle sera parvenue. Le Spiritisme marchant au même but, et réalisant ses vues, ils se rencontreront sur le même terrain, non comme des concurrents, mais comme des auxiliaires se prêtant un mutuel appui. Les hommes de progrès trouveront dans les idées spirites un puissant levier, et le Spiritisme trouvera dans les hommes nouveaux des esprits tout disposés à l'accueillir. Dans cet état de choses, que pourront faire ceux qui voudraient se mettre à la traverse ?

Ce n'est pas le Spiritisme qui crée la rénovation sociale, c'est la maturité de l'humanité qui fait de cette rénovation une nécessité. Par sa puissance moralisatrice, par ses tendances progressives, par l'ampleur de ses vues, par la généralité des questions qu'il embrasse, le Spiritisme est, plus que toute autre doctrine, apte à seconder le mouvement régénérateur ; c'est pour cela qu'il en est contemporain ; il est venu au montent où il pouvait être utile, car pour lui aussi les temps sont arrivés ; plus tôt, il eût rencontré des obstacles insurmontables ; il eût inévitablement succombé, parce que les hommes, satisfaits de ce qu'ils avaient, n'éprouvaient pas encore le besoin de ce qu'il apporte. Aujourd'hui, né avec le mouvement des idées qui fermentent, il trouve le terrain préparé à le recevoir ; les esprits, las du doute et de l'incertitude, effrayés du gouffre que l'on creuse devant eux, l'accueillent comme une ancre de salut et une suprême consolation.

En disant que l'humanité est mûre pour la régénération, cela ne veut pas dire que tous les individus le soient au même degré, mais beaucoup ont, par intuition, le germe des idées nouvelles que les circonstances feront éclore ; alors ils se montreront plus avancés qu'on ne le supposait, et ils suivront avec empressement l'impulsion de la majorité.

Il y en a cependant qui sont foncièrement réfractaires, même parmi les plus intelligents, et qui assurément ne se rallieront jamais, du moins dans cette existence, les uns de bonne foi, par conviction ; les autres par intérêt. Ceux dont les intérêts matériels sont liés à l'état présent des choses, et qui ne sont pas assez avancés pour en faire abnégation, que le bien général touche moins que celui de leur personne, ne peuvent voir sans appréhension le moindre mouvement réformateur ; la vérité est pour eux une question secondaire, ou, pour mieux dire, la vérité est tout entière dans ce qui ne leur cause aucun trouble ; toutes les idées progressives sont à leurs yeux des idées subversives, c'est pourquoi ils leur vouent une haine implacable et leur font une guerre acharnée. Trop intelligents pour ne pas voir dans le Spiritisme un auxiliaire de ces idées et les éléments de la transformation qu'ils redoutent parce qu'ils ne se sentent pas à sa hauteur, ils s'efforcent de l'abattre ; s'ils le jugeaient sans valeur et sans portée, ils ne s'en préoccuperaient pas. Nous l'avons déjà dit ailleurs : « Plus une idée est grande, plus elle rencontre d'adversaires, et l'on peut mesurer son importance à la violence des attaques dont elle est l'objet. »

Le nombre des retardataires est encore grand sans doute, mais que peuvent-ils contre le flot qui monte, sinon y jeter quelques pierres ? Ce flot, c'est la génération qui s'élève, tandis qu'eux disparaissent avec la génération qui s'en va chaque jour à grands pas. Jusque-là ils défendront le terrain pied à pied ; il y a donc une lutte inévitable, mais une lutte inégale, car c'est celle du passé décrépit qui tombe en lambeaux, contre l'avenir juvénile ; de la stagnation contre le progrès ; de la créature contre la volonté de Dieu, car les temps marqués par lui sont arrivés.

Nota. ‑ Les réflexions qui précèdent sont le développement des instructions données par les Esprits sur le même sujet, dans un grand nombre de communications, soit à nous, soit à d'autres personnes. Celle que nous publions ci-après est le résumé de plusieurs entretiens que nous avons eus par l'intermédiaire de deux de nos médiums habitués en état de somnambulisme extatique, et qui, au réveil, ne conservent aucun souvenir. Nous avons coordonné méthodiquement les idées afin de leur donner plus de suite, en élaguant tous les détails et les accessoires superflus. Les pensées ont été très exactement reproduites, et les paroles sont aussi textuelles qu'il a été possible de les recueillir à l'audition.

Instruction des Esprits sur la régénération de l'humanité

Paris, avril 1866. Méd. M. M. et T., en somnambulisme.

Les événements se précipitent avec rapidité, aussi ne vous disons-nous plus, comme autrefois : « Les temps sont proches » ; nous vous disons maintenant : « Les temps sont arrivés. »

Par ces mots n'entendez pas un nouveau déluge, ni un cataclysme, ni un bouleversement général. Des convulsions partielles du globe ont eu lieu à toutes les époques et se produisent encore, parce qu'elles tiennent à sa constitution, mais ce ne sont pas là les signes des temps.

Et cependant tout ce qui est prédit dans l'Évangile doit s'accomplir et s'accomplit en ce moment, ainsi que vous le reconnaîtrez plus tard ; mais ne prenez les signes annoncés que comme des figures dont il faut saisir l'esprit et non la lettre. Toutes les Écritures renferment de grandes vérités sous le voile de l'allégorie, et c'est parce que les commentateurs se sont attachés à la lettre qu'ils se sont fourvoyés. Il leur a manqué la clef pour en comprendre le sens véritable. Cette clef est dans les découvertes de la science et dans les lois du monde invisible que vient vous révéler le Spiritisme. Désormais, à l'aide de ces nouvelles connaissances, ce qui était obscur devient clair et intelligible.

Tout suit l'ordre naturel des choses, et les lois immuables de Dieu ne seront point interverties. Vous ne verrez donc ni miracles, ni prodiges, ni rien de surnaturel dans le sens vulgaire attaché à ces mots.

Ne regardez pas au ciel pour y chercher des signes précurseurs, car vous n'en verrez point, et ceux qui vous en annonceront vous abuseront ; mais regardez autour de vous, parmi les hommes, c'est là que vous les trouverez.

Ne sentez-vous pas comme un vent qui souffle sur la terre et agite tous les Esprits ? Le monde est dans l'attente et comme saisi d'un vague pressentiment à l'approche de l'orage.

Ne croyez cependant pas à la fin du monde matériel ; la terre a progressé depuis sa transformation ; elle doit progresser encore, et non point être détruite. Mais l'humanité est arrivée à l'une de ses périodes de transformation, et la terre va s'élever dans la hiérarchie des mondes.

Ce n'est donc pas la fin du monde matériel qui se prépare, mais la fin du monde moral ; c'est le vieux monde, le monde des préjugés, de l'égoïsme, de l'orgueil et du fanatisme qui s'écroule ; chaque jour en emporte quelque débris. Tout finira pour lui avec la génération qui s'en va, et la génération nouvelle élèvera le nouvel édifice que les générations suivantes consolideront et complèteront.

De monde d'expiation, la terre est appelée à devenir un jour un monde heureux, et son habitation sera une récompense au lieu d'être une punition. Le règne du bien doit y succéder au règne du mal.

Pour que les hommes soient heureux sur la terre, il faut qu'elle ne soit peuplée que de bons Esprits incarnés et désincarnés qui ne voudront que le bien. Ce temps étant arrivé, une grande émigration s'accomplit en ce moment parmi ceux qui l'habitent ; ceux qui font le mal pour le mal, et que le sentiment du bien ne touche pas, n'étant plus dignes de la terre transformée, en seront exclus, parce qu'ils y porteraient de nouveau le trouble et la confusion et seraient un obstacle au progrès. Ils iront expier leur endurcissement dans des mondes inférieurs, où ils porteront leurs connaissances acquises, et qu'ils auront pour mission de faire avancer. Ils seront remplacés sur la terre par des Esprits meilleurs qui feront régner entre eux la justice, la paix, la fraternité.

La terre, nous l'avons dit, ne doit point être transformée par un cataclysme qui anéantirait subitement une génération. La génération actuelle disparaîtra graduellement, et la nouvelle lui succédera de même sans que rien soit changé à l'ordre naturel des choses. Tout se passera donc extérieurement comme d'habitude, avec cette seule différence, mais cette différence est capitale, qu'une partie des Esprits qui s'y incarnaient ne s'y incarneront plus. Dans un enfant qui naîtra, au lieu d'un Esprit arriéré et porté au mal qui s'y serait incarné, ce sera un Esprit plus avancé et porté au bien. Il s'agit donc bien moins d'une nouvelle génération corporelle que d'une nouvelle génération d'Esprits. Ainsi, ceux qui s'attendaient à voir la transformation s'opérer par des effets surnaturels et merveilleux seront déçus.

L'époque actuelle est celle de la transition ; les éléments des deux générations se confondent. Placés au point intermédiaire, vous assistez au départ de l'une et à l'arrivée de l'autre, et chacun se signale déjà dans le monde par les caractères qui lui sont propres.

Les deux générations qui succèdent l'une à l'autre ont des idées et des vues tout opposées. A la nature des dispositions morales, mais surtout des dispositions intuitives et innées, il est facile de distinguer à laquelle des deux appartient chaque individu.

La nouvelle génération, devant fonder l'ère du progrès moral, se distingue par une intelligence et une raison généralement précoces, jointes au sentiment inné du bien et des croyances spiritualistes, ce qui est le signe indubitable d'un certain degré d'avancement antérieur. Elle ne sera point composée exclusivement d'Esprits éminemment supérieurs, mais de ceux qui, ayant déjà progressé, sont prédisposés à s'assimiler toutes les idées progressives et aptes à seconder le mouvement régénérateur.

Ce qui distingue, au contraire, les Esprits arriérés, c'est d'abord la révolte contre Dieu par la négation de la Providence et de toute puissance supérieure à l'humanité ; puis la propension instinctive aux passions dégradantes, aux sentiments anti-fraternels de l'égoïsme, de l'orgueil, de la haine, de la jalousie, de la cupidité, enfin la prédominance de l'attachement pour tout ce qui est matériel.

Ce sont ces vices dont la terre doit être purgée par l'éloignement de ceux qui refusent de s'amender, parce qu'ils sont incompatibles avec le règne de la fraternité et que les hommes de bien souffriront toujours de leur contact. La terre en sera délivrée, et les hommes marcheront sans entraves vers l'avenir meilleur qui leur est réservé ici-bas, pour prix de leurs efforts et de leur persévérance, en attendant qu'une épuration encore plus complète leur ouvre l'entrée des mondes supérieurs.

Par cette émigration des Esprits, il ne faut pas entendre que tous les Esprits retardataires seront expulsés de la terre et relégués dans les mondes inférieurs. Beaucoup, au contraire, y reviendront, car beaucoup ont cédé à l'entraînement des circonstances et de l'exemple ; l'écorce était chez eux plus mauvaise que le fond. Une fois soustraits à l'influence de la matière et des préjugés du monde corporel, la plupart verront les choses d'une manière toute différente que de leur vivant, ainsi que vous en avez de nombreux exemples. En cela, ils sont aidés par les Esprits bienveillants qui s'intéressent à eux et qui s'empressent de les éclairer et de leur montrer la fausse route qu'ils ont suivie. Par vos prières et vos exhortations, vous pouvez vous-mêmes contribuer à leur amélioration, parce qu'il y a solidarité perpétuelle entre les morts et les vivants.

Ceux-là pourront donc revenir, et ils en seront heureux, car ce sera une récompense. Qu'importe ce qu'ils auront été et ce qu'ils auront fait, sils sont animés de meilleurs sentiments ! Loin d'être hostiles à la société et au progrès, ce seront des auxiliaires utiles, car ils appartiendront à la nouvelle génération.

Il n'y aura donc d'exclusion définitive que pour les Esprits foncièrement rebelles, ceux que l'orgueil et l'égoïsme, plus que l'ignorance, rendent sourds à la voix du bien et de la raison. Mais ceux-là mêmes ne sont pas voués à une infériorité perpétuelle, et un jour viendra où ils répudieront leur passé et ouvriront les yeux à la lumière.

Priez donc pour ces endurcis afin qu'ils s'amendent pendant qu'il en est temps encore, car le jour de l'expiation approche.

Malheureusement la plupart, méconnaissant la voix de Dieu, persisteront dans leur aveuglement, et leur résistance marquera la fin de leur règne par des luttes terribles. Dans leur égarement, ils courront eux-mêmes à leur perte ; ils pousseront à la destruction qui engendrera une multitude de fléaux et de calamités, de sorte que, sans le vouloir, ils hâteront l'avènement de l'ère de la rénovation.

Et comme si la destruction ne marchait pas assez vite, on verra les suicides se multiplier dans une proportion inouïe, jusque parmi les enfants. La folie n'aura jamais frappé un plus grand nombre d'hommes qui seront, avant la mort, rayés du nombre des vivants. Ce sont là les véritables signes des temps. Et tout cela s'accomplira par l'enchaînement des circonstances, ainsi que nous l'avons dit, sans qu'il soit en rien dérogé aux lois de la nature.

Cependant, à travers le nuage sombre qui vous enveloppe, et au sein duquel gronde la tempête, voyez déjà poindre les premiers rayons de l'ère nouvelle ! La fraternité pose ses fondements sur tous les points du globe et les peuples se tendent la main ; la barbarie se familiarise au contact de la civilisation ; les préjugés de races et de sectes, qui ont fait verser des flots de sang, s'éteignent ; le fanatisme et l'intolérance perdent du terrain, tandis que la liberté de conscience s'introduit dans les mœurs et devient un droit. Partout les idées fermentent ; on voit le mal et l'on essaye des remèdes, mais beaucoup marchent sans boussole et s'égarent dans les utopies. Le monde est dans un immense travail d'enfantement qui aura duré un siècle ; dans ce travail, encore confus, on voit cependant dominer une tendance vers un but : celui de l'unité et de l'uniformité qui prédisposent à la fraternisation.

Ce sont encore là des signes du temps ; mais tandis que les autres sont ceux de l'agonie du passé, ces derniers sont les premiers vagissements de l'enfant qui naît, les précurseurs de l'aurore que verra se lever le siècle prochain, car alors la nouvelle génération sera dans toute sa force. Autant la physionomie du dix-neuvième siècle diffère de celle du dix-huitième à certains points de vue, autant celle du vingtième siècle sera différente du dix-neuvième à d'autres points de vue.

Un des caractères distinctifs de la nouvelle génération sera la foi innée ; non la foi exclusive et aveugle qui divise les hommes, mais la foi raisonnée qui éclaire et fortifie, qui les unit et les confond dans un commun sentiment d'amour de Dieu et du prochain. Avec la génération qui s'éteint disparaîtront les derniers vestiges de l'incrédulité et du fanatisme, également contraires au progrès moral et social.

Le Spiritisme est la voie qui conduit à la rénovation, parce qu'il ruine les deux plus grands obstacles qui s'y opposent : l'incrédulité et le fanatisme. Il donne une foi solide et éclairée ; il développe tous les sentiments et toutes les idées qui correspondent aux vues de la nouvelle génération ; c'est pourquoi il est comme inné et à l'état d'intuition dans le cœur de ses représentants. L'ère nouvelle le verra donc grandir et prospérer par la force même des choses. Il deviendra la base de toutes les croyances, le point d'appui de toutes les institutions.

Mais d'ici là, que de luttes il aura encore à soutenir contre ses deux plus grands ennemis : l'incrédulité, et le fanatisme qui, chose bizarre, se donnent la main pour l'abattre ! Ils pressentent son avenir et leur ruine : c'est pourquoi ils le redoutent, car ils le voient déjà planter, sur les ruines du vieux monde égoïste, le drapeau qui doit rallier tous les peuples. Dans la divine maxime : Hors la charité point de salut, ils lisent leur propre condamnation, car c'est le symbole de la nouvelle alliance fraternelle proclamée par le Christ[1]. Elle se montre à eux comme les mots fatals du festin de Balthazar. Et pourtant, cette maxime, ils devraient la bénir, car elle les garantit de toutes représailles de la part de ceux qu'ils persécutent. Mais non, une force aveugle les pousse à rejeter ce qui seul pourrait les sauver !

Que pourront-ils contre l'ascendant de l'opinion qui les répudie ? Le Spiritisme sortira triomphant de la lutte, n'en doutez pas, car il est dans les lois de la nature, et par cela même impérissable. Voyez par quelle multitude de moyens l'idée se répand et pénètre partout ; croyez bien que ces moyens ne sont pas fortuits, mais providentiels ; ce qui, au premier abord, semblerait devoir lui nuire, est précisément ce qui aide à sa propagation.

Bientôt il verra surgir des champions hautement avoués parmi les hommes les plus considérables et les plus accrédités, qui l'appuieront de l'autorité de leur nom et de leur exemple, et imposeront silence à ses détracteurs, car on n'osera pas les traiter de fous. Ces hommes l'étudient dans le silence et se montreront quand le moment propice sera venu. Jusque-là, il est utile qu'ils se tiennent à l'écart.

Bientôt aussi vous verrez les arts y puiser comme à une mine féconde, et traduire ses pensées et les horizons qu'il découvre par la peinture, la musique, la poésie et la littérature. Il vous a été dit qu'il y aurait un jour l'art spirite, comme il y a eu l'art païen et l'art chrétien, et c'est une grande vérité, car les plus grands génies s'en inspireront. Bientôt vous en verrez les premières ébauches, et plus tard il prendra le rang qu'il doit avoir.

Spirites, l'avenir est à vous et à tous les hommes de cœur et de dévouement. Ne vous effrayez pas des obstacles, car il n'en est aucun qui puisse entraver les desseins de la Providence. Travaillez sans relâche, et remerciez Dieu de vous avoir placés à l'avant-garde de la nouvelle phalange. C'est un poste d'honneur que vous avez vous-mêmes demandé, et dont il faut vous rendre dignes par votre courage, votre persévérance et votre dévouement. Heureux ceux qui succomberont dans cette lutte contre la force ; mais la honte sera, dans le monde des Esprits, pour ceux qui succomberaient par faiblesse ou pusillanimité. Les luttes, d'ailleurs, sont nécessaires pour fortifier l'âme ; le contact du mal fait mieux apprécier les avantages du bien. Sans les luttes qui stimulent les facultés, l'Esprit se laisserait aller à une insouciance funeste à son avancement. Les luttes contre les éléments développent les forces physiques et l'intelligence ; les luttes contre le mal développent les forces morales.

Remarques. – 1° La manière dont s'opère la transformation est fort simple, et, comme on le voit, elle est toute morale et ne s'écarte en rien des lois de la nature. Pourquoi donc les incrédules repoussent-ils ces idées, puisqu'elles n'ont rien de surnaturel ? C'est que, selon eux, la loi de vitalité cesse à la mort du corps, tandis que pour nous elle se poursuit sans interruption ; ils restreignent son action et nous l'étendons ; c'est pourquoi nous disons que les phénomènes de la vie spirituelle ne sortent pas des lois de la nature. Pour eux, le surnaturel commence où finit l'appréciation par les sens.

2° Que les Esprits de la nouvelle génération soient de nouveaux Esprits meilleurs, ou les anciens Esprits améliorés, le résultat est le même ; dès l'instant qu'ils apportent de meilleures dispositions, c'est toujours un renouvellement. Les Esprits incarnés forment ainsi deux catégories, selon leurs dispositions naturelles : d'une part, les Esprits retardataires qui partent, de l'autre les Esprits progressifs qui arrivent. L'état des mœurs et de la société sera donc, chez un peuple, chez une race ou dans le monde entier, en raison de celle des deux catégories qui aura la prépondérance.

Pour simplifier la question, soit donné un peuple, à un degré quelconque d'avancement, et composé de vingt millions d'âmes, par exemple ; le renouvellement des Esprits se faisant au fur à mesure des extinctions, isolées ou en masse, il y a nécessairement eu un moment où la génération des Esprits retardataires l'emportait en nombre sur celle des Esprits progressifs qui ne comptaient que de rares représentants sans influence, et dont les efforts pour faire prédominer le bien et les idées progressives étaient paralysés. Or, les uns partant et les autres arrivant, après un temps donné, les deux forces s'équilibrent et leur influence se contrebalance. Plus tard, les nouveaux venus sont en majorité et leur influence devient prépondérante, quoique encore entravée par celle des premiers ; ceux-ci, continuant à diminuer tandis que les autres se multiplient, finiront par disparaître ; il arrivera donc un moment où l'influence de la nouvelle génération sera exclusive.

Nous assistons à cette transformation, au conflit qui résulte de la lutte des idées contraires qui cherchent à s'implanter ; les unes marchent avec le drapeau du passé, les autres avec celui de l'avenir. Si l'on examine l'état actuel du monde, on reconnaîtra que, prise dans son ensemble, l'humanité terrestre est loin encore du point intermédiaire où les forces se balancent ; que les peuples, considérés isolément, sont à une grande distance les uns des autres sur cette échelle ; que quelques-uns touchent à ce point, mais qu'aucun ne l'a encore dépassé. Du reste, la distance qui le sépare des points extrêmes est loin d'être égale en durée, et une fois la limite franchie, la nouvelle route sera parcourue avec d'autant plus de rapidité, qu'une foule de circonstances viendront l'aplanir.

Ainsi s'accomplit la transformation de l'humanité. Sans l'émigration, c'est-à-dire sans le départ des Esprits retardataires qui ne doivent pas revenir, ou qui ne doivent revenir qu'après s'être améliorés, l'humanité terrestre ne resterait pas pour cela indéfiniment stationnaire, parce que les Esprits les plus arriérés avancent à leur tour ; mais il eût fallu des siècles, et peut-être des milliers d'années pour atteindre le résultat qu'un demi-siècle suffira pour réaliser.

Une comparaison vulgaire fera mieux comprendre encore ce qui se passe en cette circonstance. Supposons un régiment composé en grande majorité d'hommes turbulents et indisciplinés : ceux-ci y porteront sans cesse un désordre que la sévérité de la loi pénale aura souvent de la peine à réprimer. Ces hommes sont les plus forts, parce qu'ils sont les plus nombreux ; ils se soutiennent, s'encouragent et se stimulent par l'exemple. Les quelques bons sont sans influence ; leurs conseils sont méprisés ; ils sont bafoués, maltraités par les autres, et souffrent de ce contact. N'est-ce pas là l'image de la société actuelle ?

Supposons qu'on retire ces hommes du régiment un par un, dix par dix, cent par cent, et qu'on les remplace à mesure par un nombre égal de bons soldats, même par ceux qui auront été expulsés, mais qui se seront sérieusement amendés : au bout de quelque temps on aura toujours le même régiment, mais transformé ; le bon ordre y aura succédé au désordre. Ainsi en sera-t-il de l'humanité régénérée.

Les grands départs collectifs n'ont pas seulement pour but d'activer les sorties, mais de transformer plus rapidement l'esprit de la masse en la débarrassant des mauvaises influences, et de donner plus d'ascendant aux idées nouvelles.

C'est parce que beaucoup, malgré leurs imperfections, sont mûrs pour cette transformation, que beaucoup partent afin d'aller se retremper à une source plus pure. Tant qu'ils seraient restés dans le même milieu et sous les mêmes influences, ils auraient persisté dans leurs opinions et dans leur manière de voir les choses. Un séjour dans le monde des Esprits suffit pour leur dessiller les yeux, parce qu'ils y voient ce qu'ils ne pouvaient pas voir sur la terre. L'incrédule, le fanatique, l'absolutiste, pourront donc revenir avec des idées innées de foi, de tolérance et de liberté. A leur retour, ils trouveront les choses changées, et subiront l'ascendant du nouveau milieu où ils seront nés. Au lieu de faire de l'opposition aux idées nouvelles, ils en seront les auxiliaires.

La régénération de l'humanité n'a donc pas absolument besoin du renouvellement intégral des Esprits : il suffit d'une modification dans leurs dispositions morales ; cette modification s'opère chez tous ceux qui y sont prédisposés, lorsqu'ils sont soustraits à l'influence pernicieuse du monde. Ceux qui reviennent alors ne sont pas toujours d'autres Esprits, mais souvent les mêmes Esprits pensant et sentant autrement.

Lorsque cette amélioration est isolée et individuelle, elle passe inaperçue, et elle est sans influence ostensible sur le monde. Tout autre est l'effet, lorsqu'elle s'opère simultanément sur de grandes masses ; car alors, selon les proportions, en une génération les idées d'un peuple ou d'une race peuvent être profondément modifiées.

C'est ce qu'on remarque presque toujours après les grandes secousses qui déciment les populations. Les fléaux destructeurs ne détruisent que le corps, mais n'atteignent pas l'Esprit ; ils activent le mouvement de va-et-vient entre le monde corporel et le monde spirituel, et par suite le mouvement progressif des Esprits incarnés et désincarnés.

C'est un de ces mouvements généraux qui s'opère en ce moment, et qui doit amener le remaniement de l'humanité. La multiplicité des causes de destruction est un signe caractéristique des temps, car elles doivent hâter l'éclosion des nouveaux germes. Ce sont les feuilles d'automne qui tombent, et auxquelles succèderont de nouvelles feuilles pleines de vie ; car l'humanité a ses saisons, comme les individus ont leurs âges. Les feuilles mortes de l'humanité tombent emportées par les rafales et les coups de vent, mais pour renaître plus vivaces sous le même souffle de vie, qui ne s'éteint pas, mais se purifie.

Pour le matérialiste, les fléaux destructeurs sont des calamités sans compensations, sans résultats utiles, puisque, selon lui, ils anéantissent les êtres sans retour. Mais pour celui qui sait que la mort ne détruit que l'enveloppe, ils n'ont pas les mêmes conséquences, et ne lui causent pas le moindre effroi, car il en comprend le but, et il sait aussi que les hommes ne perdent pas plus à mourir ensemble qu'à mourir isolément, puisque, de manière ou d'autre, il faut toujours en arriver là.

Les incrédules riront de ces choses et les traiteront de chimères ; mais, quoi qu'ils disent, ils n'échapperont pas à la loi commune ; ils tomberont à leur tour comme les autres, et alors qu'adviendra-t-il d'eux ? Ils disent : rien ; mais ils vivront en dépit d'eux-mêmes, et seront forcés un jour d'ouvrir les yeux.

Nota. ‑ La communication suivante nous a été adressée, pendant le voyage que nous venons de faire, de la part d'un de nos chers protecteurs invisibles ; bien qu'elle ait un caractère personnel, elle se rattache aussi à la grande question que nous venons de traiter et qu'elle confirme, et, à ce titre, elle est d'autant mieux placée ici, que les personnes persécutées pour leurs croyances spirites y trouveront d'utiles encouragements.

« Paris, 1er septembre 1866.

Depuis longtemps déjà je n'ai point fait acte de présence à vos réunions en donnant une communication signée de mon nom ; ne croyez pas, cher maître, que ce soit par indifférence ou par oubli, mais je ne voyais point de nécessité de me manifester, et je laissais à d'autres plus dignes le soin de vous donner d'utiles instructions. Cependant j'étais là, et je suivais avec le plus grand intérêt les progrès de cette chère doctrine à laquelle j'ai dû le bonheur et le calme des dernières années de ma vie. J'étais là, et mon bon ami, M. T… vous en a donné plus d'une fois l'assurance pendant ses heures de sommeil et d'extase. Il envie mon bonheur, et il aspire aussi à venir dans le monde que j'habite maintenant, quand il le contemple brillant dans le ciel étoilé et qu'il reporte sa pensée sur ses rudes épreuves.

Moi aussi, j'en ai eu de bien pénibles ; grâce au Spiritisme, je les ai supportées sans me plaindre et je les bénis maintenant, puisque je leur dois mon avancement. Qu'il prenne patience ; dites-lui qu'il y viendra un jour, mais qu'il doit auparavant revenir encore sur la terre pour vous aider dans l'entier accomplissement de votre tâche. Mais alors, combien tout sera changé ! Vous vous croirez tous deux dans un monde nouveau.

Mon ami, pendant que vous le pouvez, reposez votre esprit et votre cerveau fatigués par le travail ; amassez des forces matérielles, car bientôt vous aurez beaucoup à dépenser. Les événements, qui vont désormais se succéder avec rapidité, vous appelleront sur la brèche ; soyez ferme de corps et d'esprit, afin d'être en état de lutter avec avantage. Il faudra alors travailler sans relâche. Mais, comme on vous l'a déjà dit, vous ne serez pas seul à porter le fardeau ; des auxiliaires sérieux se montreront quand il en sera temps. Ecoutez donc les conseils du bon docteur Demeure, et gardez-vous de toute fatigue inutile ou prématurée. Du reste, nous serons là pour vous conseiller et vous avertir.

Défiez-vous des deux partis extrêmes qui agitent le Spiritisme, soit pour l'enrayer au passé, soit pour précipiter sa course en avant. Tempérez les ardeurs nuisibles, et ne vous laissez pas arrêter par les tergiversations des craintifs, ou, ce qui est plus dangereux, mais ce qui n'est malheureusement que trop vrai, par les suggestions des émissaires ennemis.

Marchez d'un pas ferme et sûr comme vous l'avez fait jusqu'ici, sans vous inquiéter de ce qui se dit à droite ou à gauche, en suivant l'inspiration de vos guides et de votre raison, et vous ne risquerez pas de faire tomber le char du Spiritisme dans l'ornière. Beaucoup le poussent, ce char envié, pour précipiter sa chute. Aveugles et présomptueux ! il passera malgré les obstacles, et ne laissera dans l'abîme que ses ennemis et ses envieux déconcertés d'avoir servi à son triomphe.

« Les phénomènes vont surgir de tous côtés sous les aspects les plus variés, et ils surgissent déjà. Médiumnité guérissante, maladies incompréhensibles, effets physiques inexplicables par la science, tout se réunira dans un avenir prochain pour assurer notre victoire définitive, à laquelle concourront de nouveaux défenseurs.

Mais que de luttes il faudra encore soutenir, et aussi que de victimes ! non sanglantes, sans doute, mais frappées dans leurs intérêts et dans leurs affections. Plus d'un faiblira sous le poids des inimitiés déchaînées contre tout ce qui porte le nom de Spirite. Mais aussi, heureux ceux qui auront su conserver leur fermeté dans l'adversité ! Ils en seront bien récompensés, même ici-bas matériellement. Les persécutions sont les épreuves de la sincérité de leur foi, de leur courage et de leur persévérance. La confiance qu'ils auront mise en Dieu ne sera pas vaine. Toutes les souffrances, toutes les vexations, toutes les humiliations qu'ils auront endurées pour la cause seront des titres dont aucun ne sera perdu ; les bons Esprits veillent sur eux et les comptent, et ils sauront bien faire la part des dévouements sincères et celle des dévouements factices. Si la roue de la fortune les trahit momentanément et les précipite dans la poussière, bientôt elle les relèvera plus haut que jamais, en leur rendant la considération publique, et en détruisant les obstacles amoncelés sur leur chemin. Plus tard, ils se réjouiront d'avoir payé leur tribut à la cause, et plus ce tribut sera grand, plus leur part sera belle.

En ces temps d'épreuves, il vous faudra prodiguer à tous votre force et votre fermeté ; à tous il faudra aussi des encouragements et des conseils. Il faudra aussi fermer les yeux sur les défections des tièdes et des lâches. Pour votre propre compte, vous aurez aussi beaucoup à pardonner…

Mais je m'arrête ici, car si je puis vous pressentir sur l'ensemble des événements, il ne m'est pas permis de rien préciser. Tout ce que je puis vous dire, c'est que nous ne succomberons pas dans la lutte. On peut entourer la vérité des ténèbres de l'erreur, il est impossible de l'étouffer ; sa flamme est immortelle et se fait jour tôt ou tard.

Veuve F… »

Nota. ‑ Nous ajournons à notre prochain numéro la suite de notre étude sur Mahomet et l'islamisme, parce que, pour l'enchaînement des idées et l'intelligence des déductions, il était utile quelle fût précédée de l'article ci-dessus.


[1] Voir Evangile selon le Spiritisme, chap. xv.



Le Zouave guérisseur du camp de Châlons

On lit dans l'Écho de l'Aisne, du 1er août 1866 :

« Il n'est bruit dans nos contrées que des merveilles accomplies, au camp de Châlons, par un jeune zouave spirite, qui chaque jour fait de nouveaux miracles.

De nombreux convois de malades se dirigent sur Châlons, et, chose incroyable, « un bon nombre » en reviennent guéris.

Ces jours derniers, un paralytique venu en voiture, après avoir été voir le « jeune spirite » s'est trouvé radicalement guéri, et s'en est gaillardement revenu chez lui à pied.

Explique qui pourra ces faits qui tiennent du prodige ; toujours est-il qu'ils sont exacts, et affirmés par un grand nombre de personnes intelligentes et dignes de foi.

Renaud. »

Cet article est reproduit textuellement par la Presse illustrée du 6 août. Le Petit Journal, du 17 août, raconte le fait en ces termes :

Après avoir pu visiter le quartier impérial, que vous avez, je pense, déjà décrit à vos lecteurs, c'est-à-dire la demeure la mieux entendue et en même temps la plus simple que puisse avoir un souverain, même pour quelques jours seulement, j'ai passé ma soirée à courir après le zouave magnétiseur.

Ce zouave, un simple musicien, est, depuis trois mois, le héros du camp et des environs. C'est un petit homme maigre, brun, aux yeux profondément enfoncés dans l'orbite ; une véritable physionomie de derviche tourneur. On raconte de lui des choses incroyables, et je suis bien forcé de ne vous parler que de ce que l'on raconte, car, depuis plusieurs jours, il a dû, par ordre supérieur, interrompre les séances publiques qu'il donnait à l'hôtel de la Meuse. On venait de dix lieues à la ronde ; il recevait vingt-cinq à trente malades à la fois, et à sa voix, à sa vue, à son toucher, dit-on du moins, subitement les sourds entendaient, les muets parlaient, les boiteux s'en allaient béquilles sous le bras.

Tout cela est-il bien vrai ? je n'en sais rien. J'ai causé une heure avec lui. Il se nomme Jacob, est tout simplement Bourguignon, s'exprime facilement, m'a eu l'air des plus convaincus et des plus intelligents. Il a toujours refusé toute espèce de rémunération, et n'aime même pas les remerciements. De plus, il m'a promis un manuscrit qui lui a été dicté par un Esprit. Inutile de vous dire que je vous en ferai part aussitôt qu'il m'aura été remis, si toutefois l'Esprit a de l'esprit.

René de Pont-Jest. »

Enfin, l'Écho de l'Aisne, après avoir cité le fait, dans son numéro du 1er août, le commente de la manière suivante dans celui du 4 :

« Au numéro de mercredi dernier, vous avez dit qu'il n'était bruit, dans nos contrées, que des guérisons accomplies au camp de Châlons par un jeune zouave spirite.

Je crois bien faire en vous priant d'en rabattre, parce qu'une véritable armée de malades se dirige chaque jour vers le camp : ceux qui reviennent satisfaits engagent d'autres à les imiter ; ceux, au contraire, qui n'ont rien gagné, ne tarissent point de blâmes ou de moqueries.

Entre ces deux opinions extrêmes, il est une prudente réserve que « bon nombre de malades » doivent prendre pour règle de conduite, pour guide de ce qu'ils peuvent faire.

Ces « cures merveilleuses », ces « miracles », ainsi que les appelle le commun des mortels, n'ont rien de merveilleux, rien de miraculeux.


De prime-abord, ils causent l'étonnement parce qu'ils ne sont pas communs ; mais comme rien de ce qui s'accomplit ne se fait sans cause, on a dû chercher ce qui produit de tels faits, et la science les a expliqués.

Les impressions morales vives ont toujours eu la faculté d'agir sur le « système nerveux » ; ‑ les cures obtenues par le zouave spirite ne portent que sur des maladies de ce système. A toute époque, dans l'antiquité comme dans les temps modernes, des guérisons ont été signalées par la seule force de l'influence de l'imagination, influence constatée par un grand nombre de faits ; ‑ il n'y a donc rien d'extraordinaire à ce qu'aujourd'hui les mêmes causes produisent les mêmes résultats.

C'est donc aux seuls malades du « système nerveux » qu'il est possible « d'aller voir et d'espérer.

X. »

Avant tout autre commentaire, nous ferons une courte observation sur ce dernier article. L'auteur constate les faits et les explique à sa manière. Selon lui, ces guérisons n'ont rien de merveilleux ni de miraculeux. Sur ce point, nous sommes parfaitement d'accord : le Spiritisme dit carrément qu'il ne fait point de miracles ; que tous les faits, sans exception, qui se produisent par l'influence médianimique sont dus à une force naturelle, et s'accomplissent en vertu d'une loi tout aussi naturelle que celle qui fait transmettre une dépêche de l'autre côté de l'Atlantique en quelques minutes. Avant la découverte de la loi de l'électricité, un pareil fait eût passé pour le miracle des miracles. Supposons pour un instant que Franklin, plus initié encore qu'il ne l'était sur les propriétés du fluide électrique, eût tendu un fil métallique à travers l'Océan et établi une correspondance instantanée entre l'Europe et l'Amérique, sans en indiquer le procédé, qu'eût-on pensé de lui ? On aurait incontestablement crié au miracle ; on lui aurait attribué un pouvoir surnaturel ; aux yeux d'une foule de gens, il aurait passé pour sorcier et pour avoir le diable à ses ordres. La connaissance de la loi de l'électricité a réduit ce prétendu prodige aux proportions des effets naturels. Ainsi d'une foule d'autres phénomènes.

Mais cornait-on toutes les lois de la nature ? la propriété de tous les fluides ? Ne se peut-il qu'un fluide inconnu, comme l'a si longtemps été l'électricité, soit la cause d'effets inexpliqués, produise sur l'économie des résultats impossibles pour la science, à l'aide des moyens bornés dont elle dispose ? Eh bien ! là est tout le secret des guérisons médianimiques ; ou mieux, il n'y a point de secret, car le Spiritisme n'a de mystères que pour ceux qui ne se donnent pas la peine de l'étudier. Ces guérisons ont tout simplement pour principe une action fluidique dirigée par la pensée et la volonté, au lieu de l'être par un fil métallique. Le tout est de connaître les propriétés de ce fluide, les conditions dans lesquelles il peut agir, et de savoir le diriger. Il faut, en outre, un instrument humain suffisamment pourvu de ce fluide, et apte à lui donner l'énergie suffisante.

Cette faculté n'est pas le privilège d'un individu ; par cela même qu'elle est dans la nature, beaucoup la possèdent, mais à des degrés très différents, comme tout le monde a celle de voir, mais plus ou moins loin. Dans le nombre de ceux qui en sont doués, quelques-uns agissent en connaissance de cause, comme le zouave Jacob ; d'autres à leur insu, et sans se rendre compte de ce qui se passe en eux ; ils savent qu'ils guérissent, voilà tout ; demandez-leur comment, ils n'en savent rien. S'ils sont superstitieux, ils attribueront leur pouvoir à une cause occulte, à la vertu de quelque talisman ou amulette qui, en réalité, ne sert à rien. Il en est ainsi de tous les médiums inconscients, et le nombre en est grand. Quantité de gens sont eux-mêmes la cause première d'effets qui les étonnent et qu'ils ne s'expliquent pas. Parmi les négateurs les plus obstinés, plus d'un est médium sans le savoir.Le journal en question dit :

« Les cures obtenues par le zouave spirite ne portent que sur les maladies du système nerveux ; elles sont dues à l'influence de l'imagination, constatée par un grand nombre de faits ; il y a eu de ces cures dans l'antiquité comme dans les temps modernes ; elles n'ont donc rien d'extraordinaire. »

En disant que M. Jacob n'a guéri que des affections nerveuses, l'auteur s'avance un peu à la légère, car les faits contredisent cette affirmation. Mais admettons que cela soit ; ces sortes d'affections sont innombrables, et précisément de celles où la science est le plus souvent forcée d'avouer son impuissance ; si, par un moyen quelconque, on peut en triompher, n'est-ce pas un résultat important ? Si ce moyen est dans l'influence de l'imagination, qu'importe ! pourquoi le négliger ? Ne vaut-il pas mieux guérir par l'imagination que de ne pas guérir du tout ? Il nous semble difficile, cependant, que l'imagination seule, fût-elle surexcitée au plus haut degré, puisse faire marcher un paralytique et redresser un membre ankylosé. Dans tous les cas, puisque, selon l'auteur, des guérisons de maladies nerveuses ont de tout temps été guéries par l'influence de l'imagination, les médecins n'en sont que plus inexcusables de s'obstiner à employer des moyens impuissants, quand l'expérience leur en montre d'efficaces. Sans le vouloir, l'auteur fait leur procès.

Mais, dit-il, M. Jacob ne guérit pas tout le monde. ‑ C'est possible et même certain ; mais qu'est-ce que cela prouve ? Qu'il n'a pas un pouvoir guérisseur universel. L'homme qui aurait ce pouvoir serait l'égal de Dieu, et celui qui aurait la prétention de le posséder ne serait qu'un sot présomptueux. Ne guérirait-on que quatre ou cinq malades sur dix, reconnus incurables par la science, que cela suffirait pour prouver l'existence de la faculté. Y a-t-il beaucoup de médecins qui puissent en faire autant ?

Nous connaissons personnellement M. Jacob depuis longtemps comme médium écrivain, et propagateur zélé du Spiritisme ; nous savions qu'il avait fait quelques essais partiels de médiumnité guérissante, mais il paraît que cette faculté a pris chez lui un développement rapide et considérable pendant son séjour au camp de Châlons. Un de nos collègues de la société de Paris, M. Boivinet, qui habite le département de l'Aisne, a bien voulu nous adresser un compte rendu très circonstancié des faits qui sont à sa connaissance personnelle. Ses connaissances approfondies en Spiritisme, jointes à un caractère exempt d'exaltation et d'enthousiasme, lui ont permis d'apprécier sainement les choses. Son témoignage a donc pour nous toute la valeur de celui d'un homme honorable, impartial et éclairé, et son compte rendu a toute l'authenticité désirable. Nous tenons donc les faits attestés par lui pour aussi avérés que si nous en avions été personnellement témoin. L'étendue de ces documents ne nous permet pas de les publier en entier dans cette revue, mais nous les avons coordonnés pour les utiliser ultérieurement, nous bornant, pour aujourd'hui, à en citer les passages les plus essentiels :

« … Tenant à justifier bien complètement la confiance que vous voulez mettre en moi, je me suis enquis, tant par moi-même que par des personnes tout à fait honorables et dignes de foi, des guérisons bien constatées opérées par M. Jacob. Ces personnes ne sont, du reste, pas des Spirites, ce qui ôte à leur affirmation toute suspicion de partialité en faveur du Spiritisme.

Je réduis d'un tiers les appréciations de M. Jacob sur le chiffre des malades reçus par lui ; mais il me semble que je suis en deçà, peut-être bien en deçà de la vérité, en estimant ce chiffre à 4,000, sur lesquels un quart a été guéri et les trois quarts soulagés. L'affluence était telle, que l'autorité militaire s'en est émue et l'a consigné, en interdisant les visites à l'avenir. Je tiens moi-même du chef de gare que le chemin de fer transportait journellement des masses de malades au camp.

Quant à la nature des maladies sur lesquelles il a plus particulièrement exercé son influence, il m'est impossible de le dire. Ce sont surtout les infirmes qui se sont adressés à lui, et ce sont eux, par conséquent, qui figurent en plus grand nombre parmi ses clients satisfaits ; mais bien d'autres affligés pouvaient se présenter à lui avec succès.

C'est ainsi qu'à Chartères, village tout voisin de celui que j'habite, j'ai vu et revu un homme d'environ cinquante ans qui, depuis 1856, rendait tout ce qu'il prenait. Au moment où il est allé voir le zouave, il était parti entièrement malade, et vomissait au moins trois fois par jour. En le voyant, M. Jacob lui dit : « Vous êtes guéri ! » et, séance tenante, l'invita à boire et à manger. Le pauvre paysan, surmontant son appréhension, but et mangea et ne s'en trouva pas mal. Depuis plus de trois semaines il n'a pas éprouvé le moindre malaise. La cure a été instantanée. Inutile d'ajouter que M. Jacob ne lui fit prendre aucun médicament et ne lui prescrivit aucun traitement. Son action fluidique seule, comme une commotion électrique, avait suffi pour rétablir les organes dans leur état normal. »

Remarque.
‑ Cet homme est de ces natures frustes qui s'exaltent fort peu. Si donc une seule parole avait suffi pour surexciter son imagination au point de guérir instantanément une gastrite chronique, il faudrait convenir que le phénomène serait encore plus surprenant que la guérison, et mériterait bien quelque attention.

« La fille du maître de l'hôtel de la Meuse, au Mourmelon, malade de la poitrine, était faible au point de ne pouvoir quitter son lit. Le zouave l'invita à se lever, ce qu'elle put faire de suite ; à la stupéfaction des nombreux spectateurs, elle descendit l'escalier sans aide, et alla se promener au jardin avec son nouveau médecin. Depuis ce jour, cette jeune fille se porte bien. Je ne suis pas médecin, mais je ne crois pas que ce soit là une maladie nerveuse.

M. B…, maître de pension, que l'idée de l'intervention des Esprits dans nos affaires fait bondir, me racontait qu'une dame malade de l'estomac depuis longtemps avait été guérie par le zouave, et que, depuis ce temps, elle avait engraissé notablement, d'une vingtaine de livres environ. »

Remarque. Ce monsieur, que l'idée de l'intervention des Esprits exaspère, serait donc bien fâché que, lorsqu'il sera mort, son propre Esprit pût venir assister les personnes qui lui sont chères, les guérir, et leur prouver qu'il n'est pas perdu pour elles ?

Quant aux infirmes proprement dits, les résultats obtenus sur eux sont plus stupéfiants, parce que l'œil apprécie de suite le résultat.

A Treloup, village situé à 7 ou 8 kilomètres d'ici, un vieillard de soixante-dix ans était perclus et ne pouvait rien faire. Quitter sa chaise était presque impossible. La guérison a été complète et instantanée. Hier encore on m'en reparlait. Eh bien ! me disait-on, je l'ai vu, le père Petit ; il fauchait !

Une femme du Mourmelon avait la jambe percluse, immobilisée ; son genou était ramené sur son estomac. Maintenant elle se promène et se porte bien.

Le jour où le zouave a été interdit, un maçon a parcouru le Mourmelon exaspéré, et voulait, disait-il, assommer ceux qui empêchaient le médium de travailler. Ce maçon avait les deux poignets ramenés vers l'intérieur des bras. Ses poignets jouent aujourd'hui comme les nôtres, et il gagne deux francs de plus par jour.

Que de personnes ont été apportées qui ont pu repartir seules, ayant retrouvé séance tenante l'usage de leurs membres !

Une enfant de cinq ans, amenée de Reims, qui n'avait jamais marché, a marché de suite.Le fait suivant a été, pour ainsi dire, le point de départ de la faculté du médium, ou du moins de l'exercice public de cette faculté devenue notoire :

Arrivant à la Ferté-sous-Jouarre et se dirigeant vers le camp, le régiment de zouaves était réuni sur la place publique. Avant de rompre les rangs, la musique exécute un morceau. Au nombre des spectateurs se trouvait une petite fille dans une petite voiture traînée par ses parents. Cette enfant est signalée au zouave par un de ses camarades. La musique terminée, il se dirige vers elle, et s'adressant aux parents : « Cette enfant est donc malade ? leur dit-il. ‑ Elle ne peut marcher, lui fut-il répondu ; depuis deux ans elle a la jambe serrée dans un appareil orthopédique. ‑ Enlevez donc cet appareil, elle n'en a pas besoin. » Ce qui fut fait, non sans quelque hésitation, et la petite fille marcha. On alla donc au café, et le père, comme fou de joie, voulait que le limonadier montât sa cave, pour la faire boire par les zouaves.

Je vais maintenant vous dire comment le médium procédait, c'est-à-dire vous raconter une séance, à laquelle je n'ai pas assisté, mais que je me suis fait détailler par différents malades.

Le zouave fait entrer ses malades. La dimension du local en règle seule le nombre. C'est ainsi qu'il a dû, on l'affirme, se transporter de l'hôtel de l'Europe, où il ne pouvait admettre que dix-huit personnes à la foi, à l'hôtel de la Meuse, où il en pouvait admettre vingt-cinq ou trente. On s'introduit. Ceux qui habitent les pays les plus éloignés sont généralement invités à passer les premiers. Certaines personnes veulent parler : « Silence ! dit-il ; ceux qui parlent, je les … mets à la porte ! » Au bout de dix à quinze minutes de silence et d'immobilité générale, il s'adresse à quelques malades, les interroge rarement, mais leur dit ce qu'ils éprouvent. Puis, se promenant le long de la grande table autour de laquelle sont assis les malades, il parle à tous, mais sans ordre ; il les touche, mais sans gestes rappelant ceux des magnétiseurs ; puis il renvoie son monde, disant aux uns : « Vous êtes guéris, allez-vous-en ; » à d'autres : « Vous guérirez sans rien faire ; vous n'avez que de la faiblesse ; » à quelques-uns, mais rarement : « Je ne puis rien pour vous. » Veut-on le remercier, il répond très militairement qu'il n'a que faire de remerciements, et pousse ses clients dehors. Quelquefois il leur dit : « Vos remerciements, c'est à la Providence qu'il faut les adresser. »

Le 7 du mois d'août, un ordre du maréchal est venu interrompre le cours des séances. Aussitôt son interdiction, et vu l'affluence énorme des malades au Mourmelon, on a dû employer à l'égard du médium un moyen sans précédent. Comme il n'avait commis aucune faute et qu'il observait toujours très exactement la discipline, on ne pouvait l'enfermer. On attacha un planton à sa personne avec ordre de le suivre partout et d'empêcher qui que ce fût de l'approcher.

On a, m'a-t-on dit, toléré toutes ces guérisons tant que le mot Spiritisme n'a pas été prononcé, et je ne crois pas que ce soit par M. Jacob qu'il l'ait été. Ce serait à partir de ce moment qu'on a usé de rigueur contre lui.

D'où vient donc l'effroi que cause le seul nom du Spiritisme, même alors qu'il ne fait que du bien, console les affligés et soulage l'humanité souffrante ? Je crois, pour ma part, que certaines gens ont peur qu'il ne fasse trop de bien.

Dans les premiers jours du mois de septembre, M. Jacob a bien voulu venir passer deux jours chez moi, en exécution d'une promesse éventuelle qu'il m'avait faite au camp de Châlons. Le plaisir que j'ai eu à le recevoir s'est trouvé décuplé par les services qu'il a pu rendre à bon nombre de malheureux. Depuis son départ, je me suis tenu à peu près quotidiennement au courant de l'état des malades soignés, et je vous donne ci-après le résultat de mes observations. Afin d'être exact comme un relevé statistique, et à titre de renseignements ultérieurs, s'il y a lieu, je les inscris ici nominativement. (Suit une liste de 30 et quelques noms, avec désignation de l'âge, de la maladie et du résultat obtenu.)

M. Jacob est sincèrement religieux. « Ce que je fais, me disait-il, ne m'étonne pas. Je ferais des choses bien plus extraordinaires que je ne serais pas étonné davantage, parce que je sais que Dieu peut ce qu'il veut. Une chose seulement m'étonne, c'est d'avoir eu l'immense faveur d'être l'instrument qu'il a choisi. Aujourd'hui on est surpris de ce que j'obtiens, mais qui sait si dans un mois, dans un an, il n'y aura pas dix, vingt, cinquante médiums comme moi et plus forts que moi ? M. Kardec, lui qui cherche et doit chercher à étudier des faits comme ceux qui se passent ici, aurait dû venir ; aujourd'hui, demain, je puis perdre ma faculté, et ce serait pour lui une étude perdue ; il doit tenir à se faire l'historien de pareils faits. »

Observation.

Nous aurions été heureux, sans doute, d'être témoin personnel des faits rapportés ci-dessus, et nous serions probablement allés au camp de Châlons si nous en avions eu la possibilité et si nous en avions été informés en temps utile. Nous ne l'avons appris que par la voie indirecte des journaux, alors que nous étions en voyage, et nous avouons n'avoir pas une confiance absolue dans leurs récits. Nous aurions fort à faire s'il nous fallait aller contrôler par nous-même tout ce qu'ils rapportent du Spiritisme, ou même tout ce qui nous est signalé par notre correspondance. Nous ne pouvions y aller qu'avec la certitude de n'avoir pas de déception, et quand le compte rendu de M. Boivinet nous est parvenu, le camp était levé. Du reste, la vue de ces faits ne nous aurait rien appris de nouveau, car nous croyons les comprendre ; il se serait donc simplement agi d'en constater la réalité ; mais le témoignage d'un homme comme M. Boivinet, auquel nous avions envoyé une lettre pour M. Jacob, avec prière de nous instruire de ce qu'il aurait vu, nous suffisait complètement. Il n'y a donc eu de perdu pour nous que le plaisir d'avoir vu personnellement M. Jacob à l'œuvre, ce qui pourra, nous l'espérons, avoir lieu ailleurs qu'au camp de Châlons.Nous n'avons donc parlé des guérisons de M. Jacob que parce qu'elles sont authentiques ; si elles nous eussent paru suspectes, ou entachées de charlatanisme et d'une forfanterie ridicule qui les eût rendues plus nuisibles qu'utiles à la cause du Spiritisme, nous nous serions abstenu, quoi qu'on ait pu en dire, comme nous l'avons fait en maintes autres circonstances, ne voulant nous faire l'éditeur responsable d'aucune excentricité, ni seconder les vues ambitieuses et intéressées qui se cachent parfois sous les apparences du dévouement. Voilà pourquoi nous sommes circonspects dans nos appréciations des hommes et des choses, et aussi pourquoi notre Revue ne se transforme en encensoir au profit de personne.

Mais il s'agit ici d'une chose sérieuse, féconde en résultats, et capitale au double point de vue du fait en lui-même, et de l'accomplissement d'une des prévisions des Esprits. Depuis longtemps, en effet, ils ont annoncé que la médiumnité guérissante se développerait dans des proportions exceptionnelles, de manière à fixer l'attention générale, et nous félicitons M. Jacob d'en avoir un des premiers fourni l'exemple ; mais ici, comme dans tous les genres de manifestations, la personne, pour nous, s'efface devant la question principale.

Dès l'instant que le don de guérir n'est le résultat ni du travail, ni de l'étude, ni d'un talent acquis, celui qui le possède ne peut s'en faire un mérite. On loue un grand artiste, un savant, parce qu'ils doivent ce qu'ils sont à leurs propres efforts ; mais le médium le mieux doué n'est qu'un instrument passif, dont les Esprits se servent aujourd'hui, et qu'ils peuvent laisser demain. Que serait M. Jacob s'il perdait sa faculté, ce qu'il est sage à lui de prévoir ? Ce qu'il était avant : le musicien des zouaves ; tandis que, quoi qu'il arrive, au savant il restera toujours la science et à l'artiste le talent. Nous sommes heureux de voir M. Jacob partager ces idées, par conséquent ce n'est donc point à lui que s'adressent ces réflexions. Il sera également de notre avis, nous n'en doutons pas, quand nous dirons que ce qui est un mérite réel chez un médium, ce qu'on peut et doit louer avec raison, c'est l'emploi qu'il fait de sa faculté ; c'est le zèle, le dévouement, le désintéressement avec lesquels il la met au service de ceux à qui elle peut être utile ; c'est encore la modestie, la simplicité, l'abnégation, la bienveillance qui respirent dans ses paroles et que toutes ses actions justifient, parce que ces qualités lui appartiennent en propre. Ce n'est donc pas le médium qu'il faut élever sur un piédestal, puisque demain il peut en descendre : c'est l'homme de bien qui sait se rendre utile sans ostentation et sans profit pour sa vanité.Le développement de la médiumnité guérissante, aura forcément des conséquences d'une haute gravité, qui seront l'objet d'un examen spécial et approfondi dans un prochain article.

Allan Kardec




Novembre

Mahomet et l'Islamisme

2e article. – Voir le n° d'août 1866.

C'est à Médine que Mahomet fit construire la première mosquée, à laquelle il travailla de ses propres mains, et qu'il organisa un culte régulier ; il y prêcha peur la première fois en 623. Toutes les mesures prises par lui témoignaient de sa sollicitude et de sa prévoyance : « Un trait caractéristique à la fois de l'homme et de son temps, dit M. Barthélemy Saint-Hilaire, c'est le choix que Mahomet dut faire de trois poètes de Médine, chargés officiellement de le défendre contre les satires des poètes mecquois. Ce n'était probablement pas que l'amour-propre fût plus excitable en lui qu'il ne convenait, mais chez une nation spirituelle et vive, ces attaques avaient un retentissement analogue à celui que les journaux peuvent avoir de nos jours, et elles étaient fort dangereuses. »

Nous avons dit que Mahomet fut contraint de se faire guerrier ; en effet, il n'avait nullement l'humeur belliqueuse, ainsi qu'il l'avait prouvé par les cinquante premières années de sa vie. Or, deux ans à peine s'étaient écoulés depuis son séjour à Médine, que les Coraychites de la Mecque, coalisés avec les autres tribus hostiles, vinrent assiéger la ville. Mahomet dut se défendre ; dès lors commença pour lui la période guerrière qui dura dix ans, et pendant laquelle il se montra surtout tacticien habile. Chez un peuple dont la guerre était l'état normal, qui ne connaissait de droit que celui de la force, il fallait au chef de la nouvelle religion le prestige de la victoire pour asseoir son autorité, même sur ses partisans. La persuasion avait peu d'empire sur ces populations ignorantes et turbulentes ; une trop grande mansuétude eût été prise pour de la faiblesse. Dans leur pensée, le Dieu fort ne pouvait se manifester que par un homme fort, et le Christ avec son inaltérable douceur, eût échoué dans ces contrées.

Mahomet fut donc guerrier par la force des circonstances, bien plus que par son caractère, et il aura toujours le mérite de n'avoir pas été le provocateur. Une fois la lutte engagée, il lui fallait vaincre ou périr ; à cette condition seule, il pouvait être accepté comme l'envoyé de Dieu ; il fallait que ses ennemis fussent terrassés pour se convaincre de la supériorité de son Dieu sur les idoles qu'ils adoraient. A l'exception d'un des premiers combats où il fut blessé, et les Musulmans défaits, en 625, ses armes furent constamment victorieuses, et, dans l'espace de quelques années, il soumit l'Arabie entière à sa loi. Lorsqu'il vit son autorité assise et l'idolâtrie anéantie, il se rendit triomphalement à la Mecque, après dix ans d'exil, suivi de près de cent mille pèlerins, et y accomplit le célèbre pèlerinage dit d'adieu, dont les Musulmans ont scrupuleusement conservé les rites. Il mourut la même année, deux mois après son retour à Médine, le 8 juin 632, à l'âge de soixante-deux ans.

Il faut juger Mahomet par l'histoire authentique et impartiale, non d'après les légendes ridicules que l'ignorance et le fanatisme ont répandues sur son compte, ou les peintures qu'en ont faites ceux qui avaient intérêt à le discréditer en le présentant comme un ambitieux sanguinaire et cruel. Il ne faut pas non plus le rendre responsable des excès de ses successeurs qui voulurent conquérir le monde à la foi musulmane le sabre à la main. Sans doute, il y a eu de grandes taches dans la dernière période de sa vie ; on peut lui reprocher d'avoir en quelques circonstances abusé du droit du vainqueur, et de n'avoir pas toujours agi avec toute la modération désirable. Cependant, à côté de quelques actes que notre civilisation réprouve, il faut dire, à sa décharge, qu'il s'est montré bien plus souvent humain et clément envers ses ennemis que vindicatif, et qu'il a maintes fois donné les preuves d'une véritable grandeur d'âme. Il faut reconnaître aussi qu'au milieu même de ses succès, et alors qu'il était arrivé au plus haut point de sa gloire, il s'est, jusqu'à son dernier jour, renfermé dans son rôle de prophète, sans jamais usurper une autorité temporelle despotique ; il ne s'est fait ni roi, ni potentat, et jamais, dans la vie privée, il ne s'est souillé d'aucun acte de froide barbarie, ni de basse cupidité ; il a toujours vécu simplement, sans faste et sans luxe, se montrant bon et bienveillant pour tout le monde. Ceci est de l'histoire.

Si l'on se reporte au temps et au milieu où il vivait, si l'on considère surtout les persécutions dont lui et les siens furent l'objet, l'acharnement de ses ennemis, et les actes de barbarie que ceux-ci commirent sur ses partisans, peut-on s'étonner que dans l'enivrement de sa victoire il ait parfois usé de représailles ? Est-on bien venu à lui reprocher d'avoir établi sa religion par le fer, chez un peuple barbare qui le combattait, quand la Bible enregistre, comme des faits glorieux pour la foi, des boucheries d'une atrocité telle qu'on est tenté de les prendre pour des légendes ? Quand, mille ans après lui, dans les contrées civilisées de l'Occident, des chrétiens, qui avaient pour guide la sublime loi du Christ, se ruant sur de paisibles victimes, étouffaient les hérésies par les bûchers, les tortures, les massacres, et dans des flots de sang ?

Si le rôle guerrier de Mahomet fut une nécessité pour lui, et si ce rôle peut l'excuser de certains actes politiques, il n'en est pas de même sous d'autres rapports. Jusqu'à l'âge de cinquante ans, et tant que vécut sa première femme Khadidja, de quinze ans plus âgée que lui, ses mœurs furent irréprochables ; mais de ce moment ses passions ne connurent aucun frein, et c'est incontestablement pour justifier l'abus qu'il en fit, qu'il consacra la polygamie dans sa religion. Ce fut son tort le plus grave, car c'est une barrière qu'il a élevée entre l'islamisme et le monde civilisé ; aussi sa religion n'a-t-elle pu, après douze siècles, franchir les limites de certaines races. C'est aussi le côté par lequel son fondateur se rabaisse le plus à nos yeux ; les hommes de génie perdent toujours de leur prestige quand ils se laissent dominer par la matière ; ils grandissent au contraire d'autant plus qu'ils s'élèvent davantage au-dessus des faiblesses de l'humanité.

Cependant le dérèglement des mœurs était tel à l'époque de Mahomet, qu'une réforme radicale était bien difficile chez des hommes habitués à se livrer à leurs passions avec une brutalité bestiale ; on peut donc dire qu'en réglementant la polygamie, il a mis des bornes au désordre et arrêté des abus bien plus graves ; mais la polygamie n'en restera pas moins le ver rongeur de l'Islamisme, parce qu'elle est contraire aux lois de la nature. Par l'égalité numérique des sexes, la nature elle-même a tracé la limite des unions. En permettant quatre femmes légitimes, Mahomet n'a pas songé que, pour que sa loi devînt celle de l'universalité des hommes, il faudrait que le sexe féminin fût au moins quatre fois plus nombreux que le sexe masculin.

Malgré ses imperfections, l'islamisme n'en a pas moins été un grand bienfait à l'époque où il a paru et pour le pays où il pris naissance, car il a fondé le culte de l'unité de Dieu sur les ruines de l'idolâtrie. C'était la seule religion possible pour ces peuples barbares auxquels il ne fallait pas demander de trop grands sacrifices à leurs idées et à leurs coutumes. Il leur fallait quelque chose de simple comme la nature au milieu de laquelle ils vivaient ; la religion chrétienne avait trop de subtilités métaphysiques ; aussi toutes les tentatives faites pendant cinq siècles pour l'implanter dans ces contrées, avaient complètement échoué ; le judaïsme même, trop ergoteur, y avait fait peu de prosélytes parmi les Arabes, quoique les Juifs proprement dits y fussent assez nombreux. Mahomet, supérieur à ceux de sa race, avait compris les hommes de son temps ; pour les tirer de l'abaissement dans lequel les maintenaient de grossières croyances descendues à un stupide fétichisme, il leur donna une religion appropriée à leurs besoins et à leur caractère. Cette religion était la plus simple de toutes : « Croyance en un Dieu unique, tout-puissant, éternel, infini, présent partout, clément et miséricordieux, créateur des cieux, des anges et de la terre, Père de l'homme, sur lequel il veille et qu'il comble de biens ; rémunérateur et vengeur dans une autre vie, où il nous attend pour nous récompenser ou nous punir selon nos mérites ; voyant nos actions les plus secrètes, et présidant à la destinée entière de ses créatures qu'il n'abandonne pas un seul instant, ni dans ce monde, ni dans l'autre ; soumission la plus humble et confiance absolue en sa volonté sainte : » voilà les dogmes.

Pour le culte, il consiste dans la prière répétée cinq fois par jour, le jeûne et les mortifications du mois de rhamadan, et dans certaines pratiques, dont plusieurs avaient un but hygiénique, mais dont Mahomet fit une obligation religieuse, telles que les ablutions quotidiennes, l'abstention du vin, des liqueurs enivrantes, de la chair de certains animaux, et que les fidèles se font un cas de conscience d'observer dans les plus minutieux détails. Le vendredi fut adopté pour le saint jour de la semaine, et la Mecque indiquée comme le point vers lequel tout Musulman doit se tourner en priant. Le service public dans les mosquées consiste en prières en commun, sermons, lecture et explication du Coran. La circoncision n'a pas été instituée par Mahomet, mais conservée par lui ; elle était pratiquée de temps immémorial chez les Arabes. La défense de reproduire par la peinture ou la sculpture aucun être vivant, hommes et animaux, a été faite en vue de détruire l'idolâtrie, et d'empêcher qu'elle ne se renouvelât. Enfin, le pèlerinage de la Mecque, que tout fidèle doit accomplir au moins une fois dans sa vie, est un acte religieux ; mais il avait un autre but à cette époque, un but politique, celui de rapprocher par un lien fraternel les diverses tribus ennemies, en les réunissant dans un commun sentiment de piété sur un même lieu consacré.

Au point de vue historique, la religion musulmane admet l'Ancien Testament dans son entier jusqu'à Jésus-Christ inclusivement, qu'elle reconnaît comme prophète. Selon Mahomet, Moïse et Jésus étaient des envoyés de Dieu pour enseigner la vérité aux hommes ; l'Evangile, de même que la loi du Sinaï, est la parole de Dieu ; mais les Chrétiens en ont détourné le sens. Il déclare, en termes explicites, qu'il n'apporte ni croyances nouvelles, ni culte nouveau, mais qu'il vient rétablir le culte du Dieu unique professé par Abraham. Il ne parle qu'avec respect des patriarches et des prophètes qui l'ont précédé : Moïse, David, Isaïe, Ézéchiel et Jésus-Christ ; du Pentateuque, des Psaumes et de l'Evangile. Ce sont les livres qui ont devancé et préparé le Coran. Loin de cacher les emprunts qu'il leur fait, il s'en vante, et leur grandeur est le fondement de la sienne. On peut juger de ses sentiments et du caractère de ses instructions par le fragment suivant du dernier discours qu'il prononça à la Mecque lors du pèlerinage d'adieu, peu de temps avant sa mort, et conservé dans l'ouvrage d'Ibn-Ishâc et d'Ibn-Ishâm :

« O peuples ! écoutez mes paroles ; car je ne sais si, une autre année, je pourrai me retrouver encore avec vous dans ce lieu. Soyez humains et justes entre vous. Que la vie et la propriété de chacun soient inviolables et sacrées pour les autres ; que celui qui a reçu un dépôt le rende fidèlement à qui le lui a remis. Vous paraîtrez devant votre Seigneur, et il vous demandera compte de vos actions. Traitez bien les femmes, elles sont vos aides, elles ne peuvent rien par elles seules. Vous les avez prises comme un bien que Dieu vous a confié, et vous avez pris possession d'elles par des paroles divines.

O peuples ! écoutez mes paroles et fixez-les dans vos esprits. Je vous ai tout révélé ; je vous laisse une loi qui vous préservera à jamais de l'erreur, si vous y restez fidèlement attachés ; une loi claire et positive, le livre de Dieu et l'exemple de son prophète.

O peuples ! écoutez mes paroles, et fixez-les dans vos esprits. Sachez que tout Musulman est le frère de l'autre ; que tous les Musulmans sont frères entre eux, que vous êtes tous égaux entre vous, et que vous n'êtes qu'une famille de frères. Gardez-vous de l'injustice ; personne ne doit la commettre au détriment de son frère : elle entraînerait votre perte éternelle.

O Dieu ! ai-je rempli mon message et terminé ma mission ? ‑ La foule qui l'entourait répondit : Oui, tu l'as accomplie. » Et Mahomet s'écria : O Dieu, daigne recevoir ce témoignage ! »

Voici maintenant le jugement que porte sur Mahomet, et l'influence de sa doctrine, un de ses historiographes, M. G. Weil, dans son ouvrage allemand intitulé : Mohammet der Prophet, pages 400 et suivantes :

« La doctrine de Dieu et des saintes destinées de l'homme, prêchée par Mahomet dans un pays qui était livré à la plus brutale idolâtrie, et qui avait à peine une idée de l'immortalité de l'âme, doit d'autant plus nous réconcilier avec lui, malgré ses faiblesses et ses fautes, que sa vie particulière ne pouvait exercer sur ses adhérents aucune influence fâcheuse. Loin de se donner jamais pour modèle, il voulait toujours qu'on le regardât comme un être privilégié, à qui Dieu permettait de se mettre au-dessus de la loi commune ; et, de fait, on l'a considéré de plus en plus sous ce jour spécial.

« Nous serions injustes et aveugles, si nous ne reconnaissions pas que son peuple lui doit encore autre chose de vrai et de bien. Il a réuni en une seule grande nation, croyant fraternellement à Dieu, les tribus innombrables des Arabes jusque-là ennemies entre elles. A la place du plus violent arbitraire, du droit de la force, et de la lutte individuelle, il a mis un droit inébranlable, qui, malgré ses imperfections, forme toujours la base de toutes les lois de l'Islamisme. Il a limité la vengeance du sang qui, avant lui, s'étendait jusqu'aux parents les plus éloignés, et il l'a bornée à celui-là seul que les juges reconnaissaient pour meurtrier. Il a bien mérité surtout du beau sexe, non-seulement en protégeant les filles contre l'atroce coutume qui les faisait souvent immoler par leurs pères ; mais en outre, en protégeant les femmes contre les parents de leurs maris, qui en héritaient comme d'une chose matérielle, et en les défendant contre les mauvais traitements des hommes. Il a restreint la polygamie, en ne permettant aux croyants que quatre femmes légitimes, au lieu de dix, comme c'était l'usage, surtout à Médine. Sans avoir entièrement émancipé les esclaves, il leur a été bon et utile de bien des manières. Pour les pauvres, il a non-seulement recommandé toujours la bienfaisance à leur égard, mais il a formellement établi un impôt en leur faveur, et il leur a fait une part spéciale dans le butin et le tribut. En défendant le jeu, le vin et toutes les boissons enivrantes, il a prévenu bien des vices, bien des excès, bien des querelles et bien des désordres.

Quoique nous ne regardions pas Mahomet comme un vrai prophète, parce qu'il a employé pour propager sa religion des moyens violents et impurs, parce qu'il a été trop faible pour se soumettre lui-même à la loi commune, et parce qu'il s'appelait le sceau des prophètes, tout en déclarant que Dieu pouvait toujours remplacer ce qu'il avait donné par quelque chose de mieux, il a le mérite, néanmoins, d'avoir fait pénétrer les plus belles doctrines de l'Ancien et du Nouveau Testament chez un peuple qui n'était éclairé par aucun rayon de la foi, et il doit à ce titre paraître, même à des yeux non mahométans, comme un envoyé de Dieu. »

Comme complément de cette étude, nous citerons quelques passages textuels du Coran, empruntés à la traduction de Savary :

Au nom du Dieu clément et miséricordieux. ‑ Louange à Dieu, souverain des mondes. ‑ La miséricorde est son partage. ‑ Il est le roi au jour du jugement. ‑ Nous t'adorons, Seigneur, et nous implorons ton assistance. – Dirige-nous dans le sentier du salut, ‑ dans le sentier de ceux que tu as comblés de tes bienfaits ; ‑ de ceux qui n'ont point mérité ta colère et se sont préservés de l'erreur. (Introduction, Sourate I.)

O mortels, adorez le Seigneur qui vous a créés, vous et vos pères, afin que vous le craigniez ; qui vous a donné la terre pour lit, et le ciel pour toit ; qui a fait descendre la pluie des cieux pour produire tous les fruits dont vous vous nourrissez. Ne donnez point d'associé au Très-Haut ; vous le savez. (Sourate II, v. 19 et 20.)

Pourquoi ne croyez-vous pas à Dieu ? Vous étiez morts, il vous a donné la vie ; il éteindra vos jours, et il en rallumera le flambeau. Vous retournerez à lui. ‑ Il créa pour votre refuge tout ce qui est sur la terre. Portant ensuite ses regards vers le firmament, il forma les sept cieux. C'est lui dont la science embrasse l'univers. (Sourate II, v. 26, 27.)

L'Orient et l'Occident appartiennent à Dieu ; vers quelque lieu que se tournent vos regards, vous rencontrerez sa face. Il remplit l'univers de son immensité et de sa science. ‑ Il a formé la terre et les cieux. Veut-il produire quelque ouvrage ? il dit : « Sois fait ; » et l'ouvrage est fait. ‑ Les ignorants disent : « Si Dieu ne nous parle, ou si tu ne nous fais voir un miracle, nous ne croirons point. » Ainsi parlaient leurs pères ; leurs cœurs sont semblables. Nous avons fait éclater assez de prodiges pour ceux qui ont la foi. (Sourate II, v. 109 à 112.)

Dieu n'exigera de chacun de nous que suivant ses forces. Chacun aura en sa faveur ses bonnes œuvres, et contre lui le mal qu'il aura fait. Seigneur, ne nous punis pas des fautes commises par oubli. Pardonne-nous nos péchés ; ne nous impose pas le fardeau qu'ont porté nos pères. Ne nous charge pas au-dessus de nos forces. Fais éclater pour tes serviteurs le pardon et l'indulgence. Aie compassion de nous ; tu es notre secours. Aide-nous contre les nations infidèles. (Sourate II, v. 296.)

O Dieu, roi suprême, tu donnes et tu ôtes à ton gré les couronnes et le pouvoir. Tu élèves et tu abaisses les humains à ta volonté ; le bien est dans tes mains : tu es le Tout-Puissant. ‑ Tu changes le jour en nuit, et la nuit en jour. Tu fais sortir la vie du sein de la mort, et la mort du sein de la vie. Tu verses tes trésors infinis sur ceux qu'il te plaît. (Sourate II, v. 25 et 26.)

Ignorez-vous combien de peuples nous avons fait disparaître de la face de la terre ? Nous leur avions donné un empire plus stable que le vôtre. Nous envoyions les nuages verser la pluie sur leurs campagnes ; nous y faisions couler des fleuves. Leurs crimes seuls ont causé leur ruine. Nous les avons remplacés par d'autres nations. (Sourate VI, v. 6.)

C'est à Dieu que vous devez le sommeil de la nuit et le réveil du matin. Il sait ce que vous faites pendant le jour. Il vous laisse accomplir la carrière de la vie. Vous reparaîtrez devant lui, et il vous montrera vos œuvres. – Il domine sur ses serviteurs. Il vous donne pour gardiens des anges chargés de terminer vos jours au moment prescrit. Il exécute soigneusement l'ordre du ciel. – Vous retournerez ensuite devant le Dieu de vérité. N'est-ce pas à lui qu'il appartient de juger ? Il est le plus exact des juges. ‑ Qui vous délivre des tribulations de la terre et des mers, lorsque, l'invoquant en public ou dans le secret de vos cœurs, vous vous écriez : « Seigneur, si tu écartes de nous ces maux, nous en serons reconnaissants ? » ‑ C'est Dieu qui vous en délivre. C'est sa bonté qui vous soulage de la peine qui vous oppresse ; et ensuite vous retournez à l'idolâtrie. (Sourate VI, v. 60 à 64.)

Tous les secrets sont dévoilés à ses yeux ; il est grand le Très-Haut. ‑ Celui qui parle dans le secret, celui qui parle en public, celui qui s'enveloppe des ombres de la nuit et celui qui paraît au grand jour, lui sont également connus. – C'est lui qui fait briller la foudre à vos regards pour vous inspirer la crainte et l'espérance. C'est lui qui élève les nuages chargés de pluie. ‑ Le tonnerre célèbre ses louanges. Les anges tremblent en sa présence. Il lance la foudre, et elle frappe les victimes marquées. Les hommes disputent de Dieu, mais il est le fort et le puissant. ‑ Il est l'invocation véritable. Ceux qui implorent d'autres dieux ne seront point exaucés. Ils ressemblent au voyageur qui, pressé par la soif, tend la main vers l'eau qu'il ne peut atteindre. L'invocation des infidèles se perd dans la nuit de l'erreur. (Sourate XIII, v. 10 à 15.)

Ne dis jamais : « Je ferai cela demain, » sans ajouter : « Si c'est la volonté de Dieu. » Elève vers lui ta pensée, lorsque tu as oublié quelque chose, et dis : « Peut-être qu'il m'éclairera et qu'il me fera connaître la vérité. (Sourate XVII, v. 23.)

Si les flots de la mer se changeaient en encre pour décrire les louanges du Seigneur, ils seraient épuisés avant d'avoir célébré toutes ses merveilles. Un autre océan semblable ne suffirait point encore. (Sourate XVIII, v. 109.)

Celui qui cherche la vraie grandeur la trouve en Dieu, source de toutes les perfections. Les discours vertueux montent vers son trône. Il exalte les bonnes œuvres ; il punit rigoureusement le scélérat qui trame des perfidies.

Non, le ciel ne révoque jamais l'arrêt qu'il a prononcé. ‑ N'ont-ils pas parcouru la terre ? n'ont-ils pas vu quelle a été la fin déplorable des peuples qui, avant eux, marchèrent dans les voies d'iniquité ? Ces peuples étaient plus forts et plus puissants qu'ils ne sont. Mais rien dans les cieux et sur la terre ne peut s'opposer aux volontés du Très-Haut. La science et la force sont ses attributs. ‑ Si Dieu punissait les hommes dès l'instant qu'ils sont coupables, il ne resterait point sur la terre d'être animé. Il diffère les châtiments jusqu'au terme marqué. ‑ Lorsque le temps est venu, il distingue les actions de ses serviteurs. (Sourate XXXV, v. 11, 41 à 45.)

Ces citations suffisent pour montrer le profond sentiment de piété qui animait Mahomet, et l'idée grande et sublime qu'il se faisait de Dieu. Le Christianisme pourrait revendiquer ce tableau.

Mahomet n'a point enseigné le dogme de la fatalité absolue, ainsi qu'on le croit généralement. Cette croyance, dont sont imbus les musulmans et qui paralyse leur initiative en maintes circonstances, n'est qu'une fausse interprétation et une fausse application du principe de la soumission à la volonté de Dieu poussé hors de ses limites rationnelles ; ils ne comprennent pas que cette soumission n'exclut pas l'exercice des facultés de l'homme, et il leur manque pour correctif la maxime : Aide-toi, le ciel t'aidera.

Les passages suivants ont trait à des points particuliers de doctrine.

Dieu a un fils, disent les Chrétiens. Loin de lui ce blasphème ! Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre lui appartient. Tous les êtres obéissent à sa voix. (Sourate II, v. 110.)

O vous qui avez reçu les Ecritures, ne passez pas les bornes de la foi ; ne dites de Dieu que la vérité. Jésus est fils de Marie, l'envoyé du Très-Haut et son Verbe. Il l'a fait descendre dans le sein de Marie ; il est son souffle. Croyez en Dieu et en ses apôtres ; mais ne dites pas qu'il y a une trinité en Dieu. Il est un : cette croyance vous sera plus sûre. Loin qu'il ait un fils, il gouverne seul le ciel et la terre ; il se suffit à lui-même. ‑ Le Messie ne rougira pas d'être le serviteur de Dieu, pas plus que les anges qui entourent son trône et lui obéissent. (Sourate IV, v. 169, 170.)

Ceux qui soutiennent la trinité de Dieu sont blasphémateurs ; il n'y a qu'un seul Dieu. S'ils ne changent de croyance, un supplice douloureux sera le prix de leur impiété. (Sourate V, v. 77.)

Les Juifs disent qu'Ozaï est le fils de Dieu. Les Chrétiens disent la même chose du Messie. Ils parlent comme les infidèles qui les ont précédés. Le ciel punira leurs blasphèmes. ‑ Ils appellent seigneurs leurs pontifes, leurs moines, et le Messie fils de Marie. Mais il leur est recommandé de servir un seul Dieu : Il n'y en a point d'autre. Anathème sur ceux qu'ils associent à son culte. (Sourate IX, v. 30, 31.)

Dieu n'a point de fils ; il ne partage point l'empire avec un autre Dieu. S'il en était ainsi, chacun d'eux voudrait s'approprier sa création et s'élever au-dessus de son rival. Louange au Très-haut ! Loin de lui ces blasphèmes ! (Sourate XXII, v. 93.)

Déclare, ô Mahomet, ce que le ciel t'a révélé. ‑ L'assemblée des génies ayant écouté la lecture du Coran, s'écria : « Voilà une doctrine merveilleuse. ‑ Elle conduit à la vraie foi. Nous croyons en elle, et nous ne donnons pas d'égal à Dieu. ‑ Gloire à sa Majesté suprême ! Dieu n'a point d'épouse ; il n'a point enfanté. » (Sourate LXII, v. 1 à 4.)

Dites : « Nous croyons en Dieu, au livre qui nous a été envoyé, à ce qui a été révélé à Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et aux douze tribus. Nous croyons à la doctrine de Moïse, de Jésus et des prophètes ; nous ne mettons aucune différence entre eux, et nous sommes musulmans. » (Sourate II, v. 130.)

Il n'y a de Dieu que le Dieu vivant et éternel. ‑ Il t'a envoyé le livre qui renferme la vérité, pour confirmer la vérité des Ecritures qui l'ont précédé. Avant lui, il fit descendre le Pentateuque et l'Evangile pour servir de guides aux hommes ; il a envoyé le Coran des cieux. ‑ Ceux qui nieront la doctrine divine ne doivent s'attendre qu'à des supplices ; Dieu est puissant et la vengeance est dans ses mains. (Sourate III, v. 1, 2, 3.)

Il en est qui disent : « Nous avons fait serment à Dieu de ne croire à aucun prophète, à moins que l'offrande qu'il présente ne soit confirmée par le feu du ciel. » ‑ Réponds-leur : « Vous aviez des prophètes avant moi ; ils ont opéré des miracles, et celui-là même dont vous parlez. Pourquoi alors avez-vous teint vos mains de leur sang, si vous dites la vérité ? ‑ S'ils nient ta mission, ils ont traité de même les apôtres qui t'ont précédé, quoiqu'ils fussent doués du don des miracles et qu'ils eussent apporté le livre qui éclaire (l'Evangile) et le livre des psaumes. (Sourate III, v. 179 à 181.)

Nous t'avons inspiré, comme nous avons inspiré Noé, les prophètes, Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob, les tribus, Jésus, Job, Jonas, Aaron et Salomon. Nous avons donné les psaumes de David. (Sourate IV, v. 161.)

Dans maints autres endroits, Mahomet parle dans le même sens et avec le même respect des prophètes, de Jésus et de l'Évangile ; mais il est évident qu'il s'est mépris sur le sens attaché à la Trinité, et à la qualité de fils de Dieu qu'il prend à la lettre. Si ce mystère est incompréhensible pour tant de chrétiens, et s'il a soulevé tant de commentaires et de controverses parmi eux, on ne doit pas s'étonner que Mahomet ne l'ait pas compris. Dans les trois personnes de la Trinité il a vu trois dieux, et non un seul Dieu en trois personnes distinctes ; dans le fils de Dieu, il a vu une procréation ; or, l'idée qu'il se faisait de l'Etre suprême était si grande, que la moindre parité entre Dieu et un être quelconque, et l'idée qu'il pouvait partager sa puissance, lui semblait un blasphème. Jésus ne s'étant jamais donné comme Dieu, et n'ayant point parlé de la Trinité, ces dogmes lui parurent une dérogation aux paroles mêmes du Christ. Il vit dans Jésus et l'Évangile la confirmation du principe de l'unité de Dieu, but qu'il poursuivait lui-même ; c'est pourquoi il les avait en grande estime, tandis qu'il accusait les Chrétiens de s'être écartés de cet enseignement, en fractionnant Dieu et en déifiant son messie. Aussi se dit-il envoyé après Jésus pour ramener les hommes à l'unité pure de la divinité. Toute la partie dogmatique du Coran repose sur ce principe qu'il répète à chaque pas.

L'Islamisme ayant ses racines dans l'ancien et le nouveau Testament, en est une dérivation ; on peut le considérer comme une des nombreuses sectes nées des dissidences qui surgirent dès l'origine du christianisme touchant la nature du Christ, avec cette différence que l'Islamisme, formé en dehors du christianisme, a survécu à la plupart de ces sectes, et compte aujourd'hui cent millions de sectateurs.

Mahomet venait combattre à outrance, dans sa propre nation, la croyance en plusieurs dieux, pour y rétablir le culte abandonné du Dieu unique d'Abraham et de Moïse ; l'anathème qu'il a lancé contre les infidèles et les impies avait surtout pour objet la grossière idolâtrie professée par ceux de sa race, mais il frappait par contrecoup les Chrétiens. Telle est la cause du mépris des Musulmans pour tout ce qui porte le nom de chrétien, malgré leur respect pour Jésus et l'Evangile. Ce mépris s'est transformé en haine sous l'influence du fanatisme entretenu et surexcité par leurs prêtres. Disons aussi que, de leur côté, les Chrétiens ne sont pas sans reproches, et qu'ils ont eux-mêmes alimenté cet antagonisme par leurs propres agressions.

Tout en blâmant les Chrétiens, Mahomet n'avait point pour eux des sentiments hostiles, et dans le Coran même il recommande d'user envers eux de ménagements, mais le fanatisme les a englobés dans la proscription générale des idolâtres et des infidèles dont la présence ne doit point souiller les sanctuaires de l'Islamisme, c'est pourquoi l'entrée des mosquées, de la Mecque et des lieux saints leur est interdite. Il en fut de même à l'égard des Juifs, et si Mahomet les a rudement châtiés à Médine, c'est qu'ils s'étaient ligués contre lui. Du reste, nulle part, dans le Coran, on ne trouve l'extermination des Juifs et des Chrétiens érigée en devoir, ainsi qu'on le croit généralement. Il serait donc injuste de lui imputer les maux causés par le zèle inintelligent et les excès de ses successeurs.

Nous t'avons inspiré d'embrasser la religion d'Abraham, qui reconnaît l'unité de Dieu et qui n'adore que sa majesté suprême. ‑ Emploie la voix de la sagesse et la force de la persuasion pour appeler les hommes à Dieu. Combats avec les armes de l'éloquence. Dieu connaît parfaitement ceux qui ont dans l'égarement et ceux qui marchent au flambeau de la foi. (Sourate XVI, v. 124, 126.)

S'ils t'accusent d'imposture, réponds-leur : « J'ai pour moi mes œuvres ; que les vôtres parlent en votre faveur. Vous ne serez point responsables de ce que je fais, et moi, je suis innocent de ce que vous faites. (Sourate X, v. 42.)

Quand s'accompliront tes menaces ? demandent les infidèles. Marque-nous en le terme, si tu es véridique. Réponds-leur : « Les trésors et les vengeances célestes ne sont pont dans mes mains ; Dieu seul en est le dispensateur. Chaque nation a son terme fixé ; elle ne saurait ni le hâter, ni le retarder un instant. » (Sourate X, v. 49, 50.)

Si l'on nie ta doctrine, sache que les prophètes venus avant toi subirent le même sort, quoique les miracles, la tradition et le livre qui éclaire (l'Evangile) attestassent la vérité de leur mission. (Sourate XXXV, v. 23.)

L'aveuglement des infidèles te surprend, et ils rient de ton étonnement. ‑ En vain tu veux les instruire : leur cœur rejette l'instruction. ‑ S'ils voyaient des miracles, ils s'en moqueraient ; ‑ ils les attribueraient à la magie. (Sourate XXXVII, v. 12 à 15.)

Ce ne sont pas là les ordres d'un Dieu sanguinaire qui commande l'extermination. Mahomet ne se fait point l'exécuteur de sa justice ; son rôle est d'instruire ; à Dieu seul appartient de punir ou de récompenser en ce monde et en l'autre. Le dernier paragraphe semble être écrit pour les Spirites de nos jours, tant les hommes sont toujours et partout les mêmes.

Faites la prière, donnez l'aumône ; le bien que vous ferez, vous le trouverez auprès de Dieu, parce qu'il voit vos actions. (Sourate II, v. 104.)

Il ne suffit pas, pour être justifié, de tourner son visage vers l'orient et l'occident ; il faut en outre croire à Dieu, au jour dernier, aux anges, au Coran, aux prophètes. Il faut pour l'amour de Dieu secourir ses proches, les orphelins, les pauvres, les voyageurs, les captifs et ceux qui demandent. Il faut faire la prière, garder sa promesse, supporter patiemment l'adversité et les maux de la guerre. Tels sont les devoirs des vrais croyants. (Sourate II, v. 172.)

Une parole honnête et le pardon des offenses sont préférables à l'aumône qu'aurait suivie l'injustice. Dieu est riche et clément. (Sourate II, v. 265.)

Si votre débiteur a de la peine à vous payer, donnez-lui du temps ; ou, si vous voulez mieux faire, remettez-lui la dette. Si vous saviez ! (Sourate II, v. 280.)

La vengeance doit être proportionnée à l'injure ; mais l'homme généreux qui pardonne a sa récompense assurée auprès de Dieu, qui hait la violence. (Sourate XLII, v. 38.)

Combattez vos ennemis dans la guerre entreprise pour la religion, mais n'attaquez pas les premiers ; Dieu hait les agresseurs. (Sourate II, v. 186.)

Certainement les Musulmans, les Juifs, les Chrétiens et les Sabéens, qui croient en Dieu et au jugement dernier, et qui feront le bien, en recevront la récompense de ses mains ; ils seront exempts de la crainte et des supplices. (Sourate V, v. 73.)

Ne faites point violence aux hommes à cause de leur foi. La voie du salut est assez distincte du chemin de l'erreur. Celui qui abjurera le culte des idoles pour la religion sainte aura saisi une colonne inébranlable. Le Seigneur sait et entend tout. (Sourate II, v. 257.)

Ne disputez avec les Juifs et les Chrétiens qu'en termes honnêtes et modérés. Confondez ceux d'entre eux qui sont impies. Dites : Nous croyons au livre qui nous a été révélé et à vos écritures. Notre Dieu et le vôtre ne font qu'un. Nous sommes musulmans. (Sourate XXIX, v. 45.)

Les Chrétiens seront jugés d'après l'Evangile ; ceux qui les jugeront autrement seront prévaricateurs. (Sourate V, v. 51.)

Nous donnâmes le Pentateuque à Moïse. C'est à sa lumière que doit marcher le peuple hébreu. Ne doute pas de rencontrer au ciel le guide des Israélites. (Sourate XXXII, v. 23.)

Si les juifs avaient la foi et la crainte du Seigneur, nous effacerions leurs péchés ; nous les introduirions dans le jardin des délices. L'observation du Pentateuque, de l'Evangile et des préceptes divins leur procurerait la jouissance de tous les biens. Il en est parmi eux qui marchent dans la bonne voie, mais la plupart sont impies. (Sourate V, v. 70.)

Dis aux Juifs et aux Chrétiens : « Terminons nos différends ; n'admettons qu'un Dieu, et ne lui donnons point d'égal ; qu'aucun de nous n'ait d'autre Seigneur que lui. » S'ils refusent d'obéir, dis-leur : « Vous rendrez du moins témoignage que, quant à nous, nous sommes croyants. (Sourate III, v. 57.)

Voilà certes des maximes de charité et de tolérance qu'on aimerait à voir dans tous les cœurs chrétiens !

Nous t'avons envoyé à un peuple que d'autres peuples ont précédé, afin que tu lui enseignes nos révélations. Ils ne croient point aux miséricordieux. Dis-leur : « Il est mon Seigneur ; il n'y a de Dieu que lui. J'ai mis ma confiance en sa bonté. Je reparaîtrai devant son tribunal. (Sourate XIII, v. 29.)

Nous avons apporté aux hommes un livre où brille la science qui doit éclairer les fidèles et leur procurer la miséricorde divine. – Attendent-ils l'accomplissement du Coran ? Le jour où il sera accompli, ceux qui auront vécu dans l'oubli de ses maximes diront : « Les ministres du Seigneur nous prêchaient la vérité. Où trouverons-nous maintenant des intercesseurs ? Quel espoir avons-nous de retourner sur la terre pour nous corriger ? Ils ont perdu leurs âmes, et leurs illusions se sont évanouies. (Sour. VII, v. 50, 51.)

Le mot reparaître implique l'idée d'avoir déjà paru ; c'est-à-dire d'avoir vécu avant l'existence actuelle. Mahomet l'exprime clairement quand il dit ailleurs : « Vous reparaîtrez devant lui et il vous montrera vos œuvres. Vous retournerez devant le Dieu de vérité. » C'est le fond de la doctrine de la préexistence de l'âme, tandis que, selon l'Eglise, l'âme est créée à la naissance de chaque corps. La pluralité des existences terrestres n'est point indiquée dans le Coran d'une manière aussi explicite que dans l'Evangile ; cependant l'idée de revivre sur la terre est entrée dans la pensée de Mahomet, puisque tel serait, selon lui, le désir des coupables pour se corriger. Il a donc compris qu'il serait utile de pouvoir recommencer une nouvelle existence.

Quand on leur demande : Croyez-vous à ce que Dieu a envoyé du ciel ? Ils répondent : « Nous croyons aux Ecritures que nous avons reçues ; » et ils rejettent le livre véritable, venu depuis, pour mettre le sceau à leurs livres sacrés. Dis-leur : « Pourquoi avez-vous tué les prophètes si vous aviez la foi ? (Sourate II, v. 85.)

Mahomet n'est le père d'aucun de vous. Il est l'envoyé de Dieu et le sceau des prophètes. La science de Dieu est infinie. (Sourate XXXIII, v. 40.)

En se donnant comme le sceau des prophètes, Mahomet annonce qu'il est le dernier, la conclusion, parce qu'il a dit toute la vérité ; après lui il n'en viendra plus d'autres. C'est là un article de foi chez les Musulmans. Au point de vue inclusivement religieux, il est tombé dans l'erreur de toutes les religions qui se croient inamovibles, même contre le progrès des sciences ; mais pour lui c'était presque une nécessité afin d'affermir l'autorité de sa parole chez un peuple qu'il avait eu tant de peine à convertir à sa foi. Au point de vue social c'était un tort, parce que le Coran étant une législation civile autant que religieuse, il a posé un point d'arrêt au progrès. Telle est la cause qui a rendu et rendra longtemps encore les peuples musulmans stationnaires, et réfractaires aux innovations et aux réformes qui ne sont pas dans le Coran. C'est un exemple de l'inconvénient qu'il y a de confondre ce qui doit être distinct. Mahomet n'a pas tenu compte du progrès humain ; c'est une faute commune à presque tous les réformateurs religieux. D'un autre côté, il avait à réformer non-seulement la foi, mais le caractère, les usages, les habitudes sociales de ses peuples ; il lui fallait appuyer ses réformes sur l'autorité de la religion, ainsi que l'ont fait tous les législateurs des peuples primitifs ; la difficulté était grande, sans doute ; cependant, il laisse une porte ouverte à l'interprétation et aux modifications, en disant que « Dieu peut toujours remplacer ce qu'il a donné par quelque chose de mieux. »

Il vous est interdit d'épouser vos mères, vos filles, vos sœurs, vos tantes paternelles et maternelles, vos nièces, vos nourrices, vos sœurs de lait, les mères de vos femmes, les filles confiées à votre tutelle et issues de femmes avec lesquelles vous auriez cohabité. N'épousez pas non plus les filles de vos fils que vous avez engendrés, ni deux sœurs. Il vous est défendu d'épouser des femmes mariées, excepté celles qui seraient tombées entre vos mains comme esclaves. (Sourate IV, v. 27 et suiv.)

Ces prescriptions peuvent donner une idée de la démoralisation de ces peuples ; pour être obligé de défendre de tels abus, il fallait qu'ils existassent.

Epouses du Prophète, restez au sein de vos maisons. Ne vous parez point fastueusement, comme aux jours de l'idolâtrie. Faites la prière et l'aumône. Obéissez à Dieu et à son apôtre. Il veut écarter le vice de vos cœurs. Vous êtes de la famille du Prophète, et vous devez être pures. ‑ Zeid répudia son épouse. Nous t'avons uni avec elle, afin que les fidèles aient la liberté d'épouser les femmes de leurs fils adoptifs, après la répudiation. Le précepte divin doit avoir son exécution. ‑ O prophète, il t'est permis d'épouser les femmes que tu auras dotées, les captives que Dieu a fait tomber dans tes mains, les filles de tes oncles et de tes tantes qui ont pris la fuite avec toi, et toute femme fidèle qui t'accordera son cœur. C'est un privilège que nous t'accordons. ‑ Tu n'ajouteras point au nombre actuel de tes épouses ; tu ne pourras les changer contre d'autres dont la beauté t'aurait frappé. Mais la fréquentation de tes femmes esclaves t'est toujours permise. Dieu observe tout. (Sourate XXXIII, v. 37, 49, 52.)

C'est ici que Mahomet descend véritablement du piédestal sur lequel il était monté. On regrette de le voir tomber si bas après s'être élevé si haut, et faire intervenir Dieu pour justifier les privilèges qu'il s'octroyait pour l'assouvissement de ses passions. Il accordait aux croyants quatre femmes légitimes, alors que lui-même s'en était donné treize. Le législateur doit être le premier sujet des lois qu'il fait. C'est une tache ineffaçable qu'il a jetée sur lui et sur l'Islamisme.

Efforcez-vous de mériter l'indulgence du Seigneur, et la possession du paradis, dont l'étendue égale les cieux et la terre, séjour préparé aux justes, ‑ à ceux qui font l'aumône dans la prospérité et dans l'adversité, et qui, maîtres des mouvements de leur colère, savent pardonner à leurs semblables. Dieu aime la bienfaisance. (Sourate III, v. 127, 128.)

Dieu a promis aux fidèles qui auront pratiqué la vertu l'entrée des jardins où coulent des fleuves. Ils y demeureront éternellement. Les promesses du Seigneur sont véritables. Quoi de plus infaillible que sa parole ? (Sourate IV, v. 121.)

Ils habiteront éternellement le séjour que Dieu leur a préparé, les jardins de délices arrosés par des fleuves, lieux où règnera la souveraine béatitude. (Sourate IX, v. 90.)

Les jardins et les fontaines seront le partage de ceux qui craignent le Seigneur. Ils entreront avec la paix et la sécurité. ‑ Nous ôterons l'envie de leurs cœurs. Ils reposeront sur des lits, et ils auront les uns pour les autres une bienveillance fraternelle. ‑ La fatigue n'approchera point du séjour des délices. On ne leur en ravira point la possession. (Sourate XV, v. 45 à 48.)

Les jardins d'Eden seront l'habitation des justes. Des bracelets d'or ornés de perles, et des habits de soie formeront leur parure. ‑ Louange à Dieu, s'écrieront-ils ; il a écarté de nous la peine ; il est miséricordieux et compatissant. ‑ Il nous a introduits dans le palais éternel, séjour de sa magnificence. La fatigue ni la douleur n'approchent point de cet asile. (Sourate XXXV, v. 30, 31, 32.)

Les hôtes du paradis boiront à longs traits dans la coupe du bonheur. ‑ Couchés sur des lits de soie, ils reposeront près de leurs épouses, sous des ombrages délicieux. ‑ Ils trouveront tous les fruits. Tous leurs désirs seront comblés. (Sourate XXXVI, v. 55, 56, 57.)

Les vrais serviteurs de Dieu auront une nourriture choisie, ‑ des fruits exquis, et ils seront servis avec honneur. ‑ Les jardins des délices seront leur asile. ‑ Pleins d'une bienveillance mutuelle, ils reposeront sur des sièges. ‑ On leur offrira des coupes remplies d'une eau pure, ‑ limpide et d'un goût délicieux, ‑ qui n'obscurcira point leur raison, et ne les enivrera pas. ‑ Près d'eux seront des vierges aux regards modestes, aux grands yeux noirs et dont le teint aura la couleur des œufs de l'autruche. (Sourate XXXII, v. 39 à 47.)

On dira aux croyants qui auront professé l'Islamisme : Entrez dans le jardin des délices, vous et vos épouses ; ouvrez vos cœurs à la joie. – On leur présentera à boire dans des coupes d'or. Le cœur trouvera dans ce séjour tout ce qu'il peut désirer, l'œil tout ce qui peut le charmer, et ces plaisirs seront éternels. ‑ Voici le paradis dont vos œuvres vous ont procuré la possession. – Nourrissez-vous des fruits qui y croissent en abondance. (Sourate XLIII, v. 69 à 72.)

Tel est ce fameux paradis de Mahomet sur lequel on s'est tant égayé, et que nous ne chercherons assurément pas à justifier. Nous dirons seulement qu'il était en harmonie avec les mœurs de ces peuples, et qu'il devait les flatter bien plus que la perspective d'un état purement spirituel, quelque splendide qu'il fût, parce qu'ils étaient trop matériels pour le comprendre et en apprécier la valeur ; il leur fallait quelque chose de plus substantiel, et on peut dire qu'ils ont été servis à souhait. On remarquera sans doute que les fleuves, les fontaines, les fruits abondants et les ombrages y jouaient un grand rôle, car c'est là ce qui manque surtout aux habitants du désert. Des lits moelleux et des habits de soie, pour des gens habitués à coucher sur la terre et vêtus de grossières couvertures en poil de chameau, devaient aussi avoir un grand attrait. Quelque ridicule que tout cela nous paraisse, songeons au milieu où vivait Mahomet, et ne le blâmons pas trop, puisqu'à l'aide de cet appât, il a su tirer un peuple de la barbarie et en faire une grande nation.

Dans un prochain article nous examinerons comment l'Islamisme pourra se rallier à la grande famille de l'humanité civilisée.

Somnambulisme médianimique spontané

La dernière séance de la Société Spirite de Paris, avant les vacances, a été l'une des plus remarquables de l'année, soit par le nombre et la portée des communications qui y ont été obtenues, soit par la production d'un phénomène spontané de somnambulisme médianimique. Vers le milieu de la séance, M. Morin, membre de la société et l'un des médiums habitués, s'est endormi spontanément sous l'influence des Esprits, ce qui ne lui était jamais arrivé. Alors il a parlé avec feu, avec éloquence, sur un sujet d'une haute gravité et du plus grand intérêt, dont nous aurons à nous occuper ultérieurement.

La séance de réouverture du vendredi 5 octobre a présenté un phénomène analogue, mais dans de plus larges proportions. Il y avait à la table treize médiums. Pendant la première partie, deux d'entre eux, madame C… et M. Vavasseur, s'endormirent comme l'avait fait M. Morin, sans provocation aucune et sans que personne y songeât, sous l'influence des Esprits. M. Vavasseur est le médium poète, qui obtient avec la plus grande facilité les remarquables poésies dont nous avons publié plusieurs échantillons. M. Morin était sur le point de s'endormir aussi. Or voici ce qui s'est passé pendant leur sommeil, qui a duré près d'une heure.

M. Vavasseur, d'une voix grave et solennelle, dit : « Toute volonté, toute action magnétique, est et doit rester étrangère à ce phénomène. Personne ne doit parler ni à ma sœur, ni à moi. » En parlant de sa sœur, il désignait madame C…, c'est-à-dire sœur spirituelle, car ils ne sont nullement parents. Puis, s'adressant à M. Morin, placé à l'autre extrémité de la table, et étendant sa main vers lui avec un geste impératif : « Je te défends de dormir. » M. Morin, en effet, déjà presque endormi, se réveilla de lui-même. Recommandation expresse est en outre faite de ne toucher ni l'un ni l'autre des deux médiums.

M. V. continuant : « Ah ! je sens ici un courant fluidique mauvais qui me fatigue… Sœur, tu souffres aussi ? ‑ Madame C…, Oui. ‑ M. V. Regarde ! la société est nombreuse, ce soir. Vois-tu ? ‑ Madame C… Pas encore très clairement. ‑ M. V… Je veux que tu voies. ‑ Madame C… Oh ! oui ; les Esprits sont nombreux ! ‑ M. V… Oui, ils sont bien nombreux ; on ne les compte plus !… Mais, regarde, devant toi ; vois un Esprit plus lumineux, à l'auréole plus brillante… Il semble nous sourire avec bienveillance !… On me dit que c'est mon patron (saint Louis)… Allons, marchons ; allons tous deux vers lui… Oh ! j'ai bien des fautes à réparer… (s'adressant à l'Esprit) : Cher Esprit ! en naissant à la vie, ma mère me donna votre nom. Depuis, je m'en souviens, cette pauvre mère me disait tous les jours : « Oh ! mon enfant, prie Dieu ; prie ton ange gardien ; prie surtout ton patron. » Plus tard, j'oubliai tout… tout !… Le doute, l'incrédulité, m'ont poursuivi ; dans mon égarement je vous ai méconnu, j'ai méconnu la bonté de Dieu… Aujourd'hui, cher Esprit, je viens vous demander l'oubli du passé et le pardon dans le présent !… O saint Louis, vous voyez ma douleur et mon repentir, oubliez et pardonnez. » (Ces dernières paroles ont été dites avec un accent déchirant de désespoir.)

Madame C… « Il ne faut pas pleurer, frère… Saint Louis te pardonne et te bénit… Les bons Esprits n'ont point de ressentiment contre ceux qui reviennent de leurs erreurs. Il te pardonne, te dis-je !… Oh ! il est bon cet Esprit !… Vois, il nous sourit. (Portant la main à sa poitrine.) Oh ! que cela fait mal de souffrir ainsi ! »

M. V… « Il me parle… Ecoute !… Courage, me dit-il, travaille avec tes frères. L'année qui commence sera fertile en grands événements. Autour de vous surgiront de grands génies, des poètes, des peintres, des littérateurs. L'ère des arts succède à l'ère de la philosophie. Si la première a fait des prodiges, la seconde fera des miracles. » (M. V… s'exprime avec une véhémence extraordinaire ; il est au suprême degré de l'extase.)

Madame C… « Calme-toi, frère ; tu y mets beaucoup trop de feu, et cela te fait mal ; calme-toi. »

M. V… (continuant) : « Mais là commence la mission de votre société, mission bien grande et bien belle pour ceux qui la comprennent… Foyer de la doctrine spirite, elle doit en défendre et en propager les principes par tous les moyens dont elle dispose. Du reste, son président saura ce qu'il faut faire.

« Maintenant, sœur, il s'éloigne ; il nous sourit encore ; il nous dit de la main : au revoir… Allons, montons, sœur ; tu dois assister à un spectacle splendide, à un spectacle que l'œil de la terre n'a jamais vu… jamais, jamais !… Monte… monte… je le veux !… (Silence.) Que vois-tu ?… Regarde cette armée d'Esprits !… Les poètes sont là qui nous entourent… Oh ! chantez aussi, chantez !… Vos chants sont les chants du ciel, l'hymne de la création !… Chantez !… Et leurs murmures caressent mes oreilles… et leurs accords endorment mon esprit… Tu n'entends pas ?… »

Madame C… « Si, j'entends… Ils semblent dire qu'avec l'année spirite qui commence, commence une nouvelle phase pour le Spiritisme… phase brillante, de triomphe et de joie pour les cœurs sincères, de honte et de confusion pour les orgueilleux et les hypocrites ! Pour ceux-ci, les déceptions, le délaissement, l'oubli, la misère ; pour les autres, la glorification. »

M. V… « Ils l'ont déjà dit, et cela se vérifie. »

Madame C… « Oh ! quelle fête ! quelle magnificence ! quelle splendeur éblouissante ! Mes regards peuvent à peine en soutenir l'éclat. Quelle suave harmonie se fait entendre et pénètre l'âme !… Vois tous ces bons Esprits qui préparent le triomphe de la doctrine sous la conduite des Esprits supérieurs et du grand Esprit de Vérité !… Qu'ils sont resplendissants, et qu'il doit en coûter de redescendre habiter sur un globe comme le nôtre ! Cela est douloureux, mais cela fait avancer. »

M. V… « Écoute !… écoute !… écoute, te dis-je ! »

M. V… commence l'improvisation suivante en vers. C'était la première fois qu'il faisait de la poésie médianimique verbalement. Jusqu'à ce jour les communications de ce genre avaient toujours été données spontanément par écrit.



C'était un soir d'orage,

La mer roulait ses morts,

En jetant au rivage

De lugubres accords !…

Un enfant, jeune encore,

Debout sur un rocher,

Attendait que l'aurore

L'éclairât pour marcher,

Pour aller à la plage

Redemander sa sœur

Echappée au naufrage,

Ou… ravie à son cœur.

Pourrait-il, sur la rive,

La voir, comme autrefois,

Souriante et naïve,

Accourir à sa voix ?

Dans cette nuit horrible,

Sur les flots égarés,

Cette main invisible

Qui les a séparés,

Les réunira-t-elle ?

Ce fût un vain espoir !

L'aurore se fit belle,

Mais… ne lui fit rien voir ;

Rien… que la triste épave

D'un bâtiment détruit !

Rien… que le flot lui lave

Ce qu'il souilla la nuit.

La vague, avec mystère,

Effleurait en glissant,

Ecumeuse et légère,

Le gouffre menaçant

Qui cachait sa victime,

Etouffait ses sanglots,

Et voulait de son crime

Faire excuser les flots

A la brise plaintive !

L'enfant, las de chercher,

De courir sur la rive,

Ne pouvait plus marcher…

Essoufflé, hors d'haleine,

Boiteux ;… meurtri ;… brisé ;…

Se soutenant à peine,

Il s'était reposé

Sûr la brûlante pierre

D'un rocher presque nu,

Et faisait sa prière,

Quand passe un inconnu.

Surpris, il le regarde

Qui priait avec foi.

- Oh ! mon fils, Dieu te garde,

Dit-il ; relève-toi !…

Ce Dieu qui voit tes larmes,

M'a mis sur ton chemin

Pour calmer tes alarmes,

Et te tendre la main !

Que rien ne te retienne ;

Mon foyer est le tien,

Ma famille est la tienne,

Ton malheur est le mien.

Viens, dis-moi ta souffrance ;

Je t'ouvrirai mon cœur,

Et bientôt l'espérance

Calmera ta frayeur.

(S'adressant à Madame C.) – « Tu le vois, il s'arrête !… mais il doit encore parler !…. Oui, il s'approche !… les sons deviennent plus distincts… J'entends… ah !

Ce pauvre enfant… c'est moi !

Cet inconnu… (s'adressant à M. Allan Kardec) c'est toi,

Cher et honoré maître !

Toi qui me fis connaître

Deux mots : … Eternité

Et… Immortalité !

Deux noms : l'un Dieu, l'autre âme !

L'un foyer, l'autre flamme !

Et vous, mes chers amis,

En ce lieu réunis,

Vous êtes la famille

Où désormais tranquille,

Je dois finir mes jours !

Oh !… Aimez-vous toujours !…

« Il fuit… Casimir Delavigne !… Oh ! cher Esprit… encore !… Il fuit !… Allons, je ne suis pas assez fort pour assister à ce concert divin… Oui, c'est trop beau… c'est trop beau !…

Madame C… « Il parlerait encore si tu l'avais voulu, mais ton exaltation l'en a empêché. Te voilà brisé, meurtri, haletant ; tu ne peux plus parler.

M. V… « Oui, je le sens ; c'est encore une faiblesse (avec un vif sentiment de regret), et je dois te réveiller !… trop tôt… Pourquoi ne pas toujours rester en ce lieu ? Pourquoi redescendre sur la terre ?… Allons, puisqu'il le faut, sœur, il faut obéir sans murmurer… Réveille-toi, je le veux. (Madame C… ouvre les yeux.) Pour moi, tu peux me réveiller en agitant ton mouchoir. J'étouffe ! de l'air !… de l'air !…

Ces paroles, et surtout les vers, ont été dits avec un accent, une effusion de sentiment et une chaleur d'expression dont les scènes les plus dramatiques et les plus pathétiques peuvent seules donner une idée. L'émotion de l'assemblée était générale, car on sentait que ce n'était pas de la déclamation, mais l'âme elle-même dégagée de la matière qui parlait…

M. V…, épuisé de fatigue, est obligé de quitter la salle, et reste longtemps anéanti sous l'empire d'un demi-sommeil, d'où il ne sort que petit à petit, de lui-même, sans vouloir que personne l'aide à se dégager.

Ces faits viennent confirmer les prévisions des Esprits touchant les nouvelles formes que ne tarderait pas à prendre la médiumnité. L'état de somnambulisme spontané, dans lequel se développe à la fois la médiumnité parlante et voyante, est en effet une faculté nouvelle, en ce sens qu'elle paraît devoir se généraliser ; c'est un mode particulier de communication, et qui a sa raison d'être en ce moment plus qu'auparavant.

Du reste, ce phénomène est bien plus pour servir de complément à l'instruction des Spirites que pour la conviction des incrédules qui n'y verraient qu'une comédie. Les Spirites éclairés, seuls, peuvent, non-seulement le comprendre, mais y découvrir les preuves de la sincérité ou de la jonglerie, comme dans tous les autres genres de médiumnité ; seuls ils peuvent en dégager ce qui est utile, en déduire les conséquences pour le progrès de la science dans laquelle il les fait pénétrer plus avant. Aussi ces phénomènes ne se produisent-ils généralement que dans l'intimité, et là, outre que les médiums n'auraient aucun intérêt à simuler une faculté qui n'existerait pas, la supercherie y serait bientôt démasquée.

Les nuances d'observation sont ici si délicates et si subtiles, qu'elles requièrent une attention soutenue. Dans cet état d'émancipation, la sensibilité et l'impressionnabilité sont si grandes que la faculté ne peut se développer dans tout son éclat que sous une influence fluidique entièrement sympathique ; un courant contraire suffit pour l'altérer comme le souffle qui ternit la glace. La sensation pénible qu'en ressent le médium le fait se replier sur lui-même, comme la sensitive à l'approche de la main. Son attention se porte alors dans la direction de ce courant désagréable ; il pénètre la pensée qui en est la source, il la voit, il la lit, et plus il la sent antipathique, plus elle le paralyse. Qu'on juge par là de l'effet que doit produire un concours de pensées hostiles ! Aussi ces sortes de phénomènes ne se prêtent-ils nullement aux exhibitions publiques, où la curiosité est le sentiment qui domine quand ce n'est pas celui de la malveillance. Ils requièrent de plus, de la part des témoins, une excessive prudence, car il ne faut pas perdre de vue que, dans ces moments-là, l'âme ne tient plus au corps que par un lien fragile, et qu'une secousse peut tout au moins causer de graves désordres dans l'économie ; une curiosité indiscrète et brutale peut avoir les plus funestes conséquences ; c'est pourquoi on ne saurait agir avec trop de précaution.

Lorsque M. V., dit en commençant, que « toute volonté, toute action magnétique, est et doit rester étrangère à ce phénomène, » il fait comprendre que l'action seule des Esprits en est la cause, et que personne ne pourrait la provoquer. La recommandation de ne parler ni à l'un ni à l'autre avait pour but de les laisser tout entiers à l'extase. Des questions auraient eu pour effet d'arrêter l'essor de leur Esprit, en les ramenant au terre à terre, et en détournant leur pensée de son objet principal. L'exaltation de la sensibilité rendait également nécessaire la recommandation de ne pas les toucher. Le contact aurait produit une commotion pénible et nuisible au développement de la faculté.

On comprend, d'après cela, pourquoi la plupart des hommes de science appelés à constater des phénomènes de ce genre, sont déçus ; ce n'est pas à cause de leur manque de foi, comme ils le prétendent, que l'effet est refusé par les Esprits : ce sont eux-mêmes qui, par leurs dispositions morales, produisent une réaction contraire ; au lieu de se placer dans les conditions du phénomène, ils veulent placer le phénomène dans leur propre condition. Ils voudraient y trouver la confirmation de leurs théories anti-spiritualistes, car là, seulement, pour eux, est la vérité, et ils sont vexés, humiliés de recevoir un démenti par les faits. Alors n'obtenant rien, ou n'obtenant que des choses qui contredisent leur manière de voir, plutôt que de revenir sur leur opinion ils préfèrent nier, ou dire que ce n'est que de l'illusion. Et comment pourrait-il en être autrement chez des gens qui n'admettent pas la spiritualité ? Le principe spirituel est la cause de phénomènes d'un ordre particulier ; en chercher la cause en dehors de ce principe, c'est chercher celle de la foudre en dehors de l'électricité. Ne comprenant pas les conditions spéciales du phénomène, ils expérimentent sur le patient comme sur un bocal de produits chimiques ; ils le torturent comme s'il s'agissait d'une opération chirurgicale, au risque de compromettre sa vie ou sa santé.

L'extase, qui est le plus haut degré d'émancipation, exige d'autant plus de précautions que, dans cet état, l'Esprit enivré par le spectacle sublime qu'il a sous les yeux, ne demande généralement pas mieux que de rester où il est, et de quitter tout à fait la terre ; souvent même il fait des efforts pour rompre le dernier lien qui l'enchaîne à son corps, et si sa raison n'était pas assez forte pour résister à la tentation, il se laisserait volontiers aller. C'est alors qu'il faut lui venir en aide par une forte volonté et en le tirant de cet état. On comprend qu'il n'y a point ici de règle absolue, et qu'il faut se diriger selon les circonstances.

Un de nos amis nous offre, sous ce rapport, un intéressant sujet d'étude.

Jadis on avait inutilement cherché à le magnétiser ; depuis quelque temps il tombe spontanément dans le sommeil magnétique sous l'influence de la cause la plus légère ; il suffit qu'il écrive quelques lignes médianimiquement, et parfois d'une simple conversation. Dans son sommeil, il a des perceptions d'un ordre très élevé ; il parle avec éloquence et approfondit avec une remarquable logique les questions les plus graves. Il voit parfaitement les Esprits, mais sa lucidité présente des degrés différents par lesquels il passe alternativement ; le plus ordinaire est celui d'une demi-extase. A certains moments, il s'exalte, et s'il éprouve une vive émotion, ce qui est fréquent, il s'écrie avec une sorte de terreur, et cela souvent au milieu de l'entretien le plus intéressant : Réveillez-moi tout de suite, ce qu'il serait imprudent de ne pas faire. Fort heureusement, il nous a indiqué le moyen de le réveiller instantanément, et qui consiste à lui souffler fortement sur le front, les passes magnétiques ne produisant qu'un effet très lent ou nul.

Voici l'explication qui nous a été donnée sur sa faculté par un de nos guides à l'aide d'un autre médium.

« L'Esprit de M. T… est entravé dans son essor par l'épreuve matérielle qu'il a choisie. L'outil qu'il fait mouvoir, son corps, dans l'état actuel où il est, n'est pas assez maniable pour lui permettre de s'assimiler les connaissances nécessaires, ou d'user de celles qu'il possède, de proprio motu, et à l'état de veille. Lorsqu'il est endormi, le corps, cessant d'être une entrave, devient seulement le porte-voix de son propre Esprit, ou de ceux avec lesquels il est en relation. La fatigue matérielle inhérente à ses occupations, l'ignorance relative dans laquelle il subit cette incarnation, puisqu'il ne sait, en fait de sciences, que ce qu'il s'est révélé à lui-même, tout cela disparaît pour faire place à une lucidité de pensée, à une étendue de raisonnement, et à une éloquence hors ligne, qui sont le fait du développement antérieur de l'Esprit. La fréquence de ses extases a simplement pour but d'habituer son corps à un état qui, pendant une certaine période, et pour un but ultérieur spécial, pourra devenir en quelque sorte normal. Quand il demande à être réveillé promptement, cela tient au désir qu'il a d'accomplir sa mission sans faillir. Sous le charme des tableaux sublimes qui s'offrent à lui et du milieu où il se trouve, il voudrait s'affranchir des liens terrestres et demeurer d'une manière définitive parmi les Esprits. Sa raison, et son devoir qui le retient ici-bas, combattent ce désir ; et de peur de se laisser dominer et de succomber à la tentation, il vous crie de le réveiller. »

Ces phénomènes de somnambulisme médianimique spontané devant se multiplier, les instructions qui précèdent ont pour but de guider les groupes où ils pourraient se produire, dans l'observation des faits, et de leur faire comprendre la nécessité d'user de la plus extrême prudence en pareil cas. Ce dont il faut s'abstenir d'une manière absolue, c'est d'en faire un objet d'expérimentation et de curiosité. Les Spirites pourront y puiser de grands enseignements propres à éclairer et à fortifier leur foi, mais, nous le répétons, ils seraient sans profit pour les incrédules. Les phénomènes destinés à convaincre ces derniers, et pouvant se produire au grand jour, sont d'un autre ordre, et dans le nombre quelques-uns auront lieu, et se produisent déjà, en apparence du moins, en dehors du Spiritisme ; le mot Spiritisme les effraye ; ce mot n'étant pas prononcé, ce sera pour eux une raison de plus de s'en occuper ; les Esprits sont donc sages de changer parfois l'étiquette.

Quant à l'utilité spéciale de cette médiumnité, elle est dans la preuve en quelque sorte palpable qu'elle fournit de l'indépendance de l'Esprit par son isolement de la matière. Comme nous l'avons dit, les manifestations de ce genre éclairent et fortifient la foi ; elles nous mettent en contact plus direct avec la vie spirituelle. Quel est le Spirite tiède ou incertain qui resterait indifférent en présence de faits qui lui font pour ainsi dire toucher du doigt la vie future ? Quel est celui qui pourrait douter encore de la présence et de l'intervention des Esprits ? Quel est le cœur assez endurci pour n'être pas ému à l'aspect de l'avenir qui se déroule devant lui, et que Dieu, dans sa bonté, lui permet d'entrevoir.

Mais ces manifestations ont une autre utilité plus pratique, plus actuelle, car, plus que d'autres, elles seront de nature à relever le courage dans les moments durs que nous avons à traverser. C'est au moment de la tourmente qu'on sera heureux de sentir auprès de soi des protecteurs invisibles ; c'est alors qu'on connaîtra le prix de ces connaissances qui nous élèvent au-dessus de l'humanité et des misères de la terre, qui calment nos regrets et nos appréhensions, en nous faisant voir ce qui seul est grand, impérissable et digne de nos aspirations. C'est un secours que Dieu envoie en temps opportun à ses fidèles serviteurs, et c'est encore là un signe que les temps marqués sont arrivés. Sachons le mettre à profit pour notre avancement. Remercions Dieu d'avoir permis que nous fussions éclairés à temps, et plaignons les incrédules de se priver eux-mêmes de cette immense et suprême consolation, car la lumière a été répandue pour tous. Par la voix des Esprits qui parlent par toute la terre, il fait un dernier appel aux endurcis ; implorons son indulgence et sa miséricorde pour les aveugles.

L'extase est, comme nous l'avons dit, un état supérieur de dégagement dont l'état somnambulique est un des premiers degrés, mais qui n'implique en aucune façon la supériorité de l'Esprit. Le dégagement le plus complet est assurément celui qui suit la mort. Or nous voyons à ce moment l'Esprit conserver ses imperfections, ses préjugés, commettre des erreurs, se faire des illusions, manifester les mêmes penchants. C'est que les bonnes et les mauvaises qualités sont inhérentes à l'Esprit et ne dépendent pas des causes extérieures. Les causes extérieures peuvent paralyser les facultés de l'Esprit, qui les recouvre à l'état de liberté, mais elles sont impuissantes à lui donner celles qu'il n'a pas. La saveur d'un fruit est en lui ; quoi que l'on fasse, en quelque lieu qu'on le place, s'il est fade par nature, on ne le rendra pas savoureux. Ainsi en est-il de l'Esprit. Si le dégagement complet, après la mort, n'en fait pas un être parfait, à moins forte raison peut-il le devenir dans un dégagement partiel.

Le dégagement extatique est un état physiologique, indice évident d'un certain degré d'avancement de l'Esprit, mais non d'une supériorité absolue. Les imperfections morales, qui sont dues à l'influence de la matière, disparaissent avec cette influence, c'est pourquoi on remarque, en général, chez les somnambules et les extatiques, des idées plus élevées qu'a l'état de veille ; mais celles qui tiennent à la qualité même de l'Esprit continuent à se manifester, quelquefois même avec moins de retenue que dans l'état normal ; l'Esprit, affranchi de toute contrainte, laisse parfois un libre cours à des sentiments qu'il cherche à dissimuler, comme homme, aux yeux du monde.

De toutes les tendances mauvaises, les plus persistantes et celles qu'on s'avoue le moins à soi-même, sont les vices radicaux de l'humanité : l'orgueil et l'égoïsme qui enfantent les jalousies, les mesquines susceptibilités d'amour-propre, l'exaltation de la personnalité qui se révèlent souvent à l'état de somnambulisme. Ce n'est pas le dégagement qui les fait naître, il ne fait que les mettre à découvert ; de latents ils deviennent sensibles par suite de la liberté de l'Esprit.

Il ne faut donc s'attendre à trouver aucune espèce d'infaillibilité, ni morale, ni intellectuelle, chez les somnambules et les extatiques ; la faculté dont ils jouissent peut être altérée par les imperfections de leur Esprit. Leurs paroles peuvent être le reflet de leurs pensées et de leurs sentiments ; ils peuvent en outre subir les effets de l'obsession, tout aussi bien que dans l'état ordinaire, et être de la part des Esprits légers ou malintentionnés le jouet des plus étranges illusions, ainsi que le démontre l'expérience.

Ce serait donc une erreur de croire que les visions et les révélations de l'extase ne peuvent être que l'expression de la vérité ; comme toutes les autres manifestations, il faut les soumettre au creuset du bon sens et de la raison, faire la part du bon et du mauvais, de ce qui est rationnel et de ce qui est illogique. Si ces sortes de manifestations se multiplient, c'est bien moins en vue de nous donner des révélations extraordinaires, que pour nous fournir de nouveaux sujets d'étude et d'observation sur les facultés et les propriétés de l'âme, et nous donner une nouvelle preuve de son existence et de son indépendance de la matière.

Considérations sur la propagation de la médiumnité guérissante

Voir l'article du mois précédent sur le zouave guérisseur

Nous devons tout d'abord faire quelques rectifications à notre compte rendu des cures de M. Jacob. Nous tenons de ce dernier lui-même que la petite fille qu'il a guérie, en arrivant à la Ferté-sous-Jouarre, ne l'a point été sur la place publique ; c'est bien là qu'il l'a vue, mais la guérison a eu lieu dans la maison des parents où il l'a fait entrer. Cela ne change rien au résultat ; mais cette circonstance donne à l'action un caractère moins excentrique.

De son côté, M. Boivinet nous écrit : « Au sujet de la proportion des malades guéris, j'ai voulu dire que sur 4,000, un quart n'a pas éprouvé de résultats, et que sur le reste, soit 3,000, un quart a été guéri et les trois quarts soulagés. D'un autre passage de l'article on pourrait croire que j'ai affirmé la guérison de membres ankylosés ; j'ai voulu dire que M. Jacob avait redressé des membres roidis, rigides comme s'ils étaient ankylosés, mais pas plus ; ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas eu d'ankyloses guéries, seulement je l'ignore. Quant aux membres roidis par des douleurs paralysant en partie la faculté du mouvement, j'ai constaté en dernier lieu trois cas de guérison instantanée ; le lendemain, l'un des malades était absolument guéri ; l'autre avait la liberté du mouvement avec un reste de douleur dont, me disait-il, il s'accommoderait volontiers pour toujours. Je n'ai pas revu le troisième malade. »

Il eût été bien étonnant que le diable ne vînt pas se mêler dans cette affaire. Une autre personne nous écrit d'une des localités où le bruit des guérisons de M. Jacob s'était répandu : « Ici grande émotion dans la commune et au presbytère. La servante de M. le curé ayant rencontré deux fois M. Jacob dans la rue unique du pays, est convaincue que c'est le diable, et qu'il la poursuit. La pauvre femme s'est réfugiée dans une maison où elle a eu presque une attaque de nerfs. Il est vrai que le costume rouge du zouave a pu lui faire croire qu'il sortait de l'enfer. Il paraît qu'on prépare ici une croisade contre le diable pour détourner les malades de se faire guérir par lui. »

Qui a pu mettre dans l'idée de cette femme que M. Jacob est le diable en personne, et que les guérisons sont une rouerie de sa part ? N'a-t-on dit aux pauvres d'une certaine ville qu'ils ne devaient pas recevoir le pain et les aumônes des Spirites, parce que c'était une séduction de Satan ? et ailleurs qu'il valait mieux être athée que de revenir à Dieu par l'influence du Spiritisme, parce que c'était encore là une ruse du démon ? Dans tous les cas, en attribuant tant de bonnes choses au diable, on fait tout ce qu'il faut pour le réhabiliter dans l'opinion. Ce qui est plus étrange, c'est que ce soit de pareilles idées dont on nourrisse encore les populations à quelques lieues de Paris. Aussi quelle réaction quand la lumière se fait dans ces cerveaux fanatisés ! Il faut convenir qu'il y a des gens bien maladroits.

Revenons à notre sujet : les considérations générales sur la médiumnité guérissante.

Nous avons dit, et nous ne saurions trop le répéter, qu'il y a une différence radicale entre les médiums guérisseurs et ceux qui obtiennent des prescriptions médicales de la part des Esprits. Ceux-ci ne diffèrent en rien des médiums écrivains ordinaires, si ce n'est par la spécialité des communications. Les premiers guérissent par l'action fluidique seule, en plus ou moins de temps, quelquefois instantanément, sans l'emploi d'aucun remède. La puissance curative est tout entière dans le fluide épuré auquel ils servent de conducteurs. La théorie de ce phénomène a été suffisamment expliquée pour prouver qu'il rentre dans l'ordre des lois naturelles, et qu'il n'a rien de miraculeux. Il est le produit d'une aptitude spéciale aussi indépendante de la volonté que toutes les autres facultés médianimiques ; ce n'est pas un talent que l'on puisse acquérir ; on ne se fait pas médium guérisseur, comme on se fait médecin. L'aptitude à guérir est inhérente au médium, mais l'exercice de la faculté n'a lieu qu'avec le concours des Esprits ; d'où il suit que si les Esprits ne veulent pas, ou ne veulent plus se servir de lui, il est comme un instrument sans musicien, et n'obtient rien ; il peut donc perdre instantanément sa faculté, ce qui exclut la possibilité d'en faire une profession.

Un autre point à considérer, c'est que cette faculté étant fondée sur des lois naturelles, elle a des limites tracées par ces mêmes lois. On comprend que l'action fluidique puisse rendre la sensibilité à un organe existant, faire dissoudre et disparaître un obstacle au mouvement et à la perception, cicatriser une plaie, car alors le fluide devient un véritable agent thérapeutique ; mais il est évident qu'il ne peut remédier à l'absence ou à la destruction d'un organe, ce qui serait un véritable miracle. Ainsi, la vue pourra être rendue à un aveugle par amaurose, ophtalmie, taie ou cataracte, mais non à celui qui aura les yeux crevés. Il y a donc des maladies foncièrement incurables, et ce serait une illusion de croire que la médiumnité guérissante va délivrer l'humanité de toutes ses infirmités.

Il faut, en outre, tenir compte de la variété des nuances que présente cette faculté, qui est loin d'être uniforme chez tous ceux qui la possèdent. Elle se présente sous des aspects très divers. En raison du degré de développement de la puissance, l'action est plus ou moins rapide, étendue ou circonscrite. Tel médium triomphe de certaines maladies sur certaines personnes et dans des circonstances données, qui échoue complètement dans des cas en apparence identiques, Il paraîtrait même que chez quelques-uns la faculté guérissante s'étend aux animaux.

Il s'opère dans ce phénomène une véritable réaction chimique analogue à celle que produisent les médicaments. Le fluide agissant comme agent thérapeutique, son action varie selon les propriétés qu'il reçoit des qualités du fluide personnel du médium ; or, par suite du tempérament et de la constitution de ce dernier, ce fluide est imprégné d'éléments divers qui lui donnent des propriétés spéciales ; il peut être, pour nous servir de comparaisons matérielles, plus ou moins chargé d'électricité animale, de principes acides ou alcalins, ferrugineux, sulfureux, dissolvants, astringents, caustiques, etc. ; il en résulte une action différente selon la nature du désordre organique ; cette action peut donc être énergique, toute puissante dans certains cas, et nulle dans d'autres. C'est ainsi que les médiums guérisseurs peuvent avoir des spécialités ; tel guérira les douleurs ou redressera un membre, qui ne rendra pas la vue à un aveugle, et réciproquement. L'expérience seule peut faire connaître la spécialité et l'étendue de l'aptitude ; mais on peut dire en principe, qu'il n'y a pas de médiums guérisseurs universels, par la raison qu'il n'y a pas d'hommes parfaits sur la terre, et dont la puissance soit illimitée.

L'action est toute différente dans l'obsession, et la faculté de guérir n'implique pas celle de délivrer les obsédés. Le fluide guérisseur agit en quelque sorte matériellement sur les organes affectés, tandis que, dans l'obsession, il faut agir moralement sur l'Esprit obsesseur ; il faut avoir autorité sur lui pour lui faire lâcher prise. Ce sont donc deux aptitudes distinctes qui ne se rencontrent pas toujours dans la même personne. Le concours du fluide guérisseur devient nécessaire lorsque, ce qui est assez fréquent, l'obsession se complique d'affections organiques. Il peut donc y avoir des médiums guérisseurs impuissants pour l'obsession, et réciproquement.

La médiumnité guérissante ne vient point supplanter la médecine et les médecins ; elle vient simplement prouver à ces derniers qu'il y a des choses qu'ils ne savent pas et les inviter à les étudier ; que la nature a des lois et des ressources qu'ils ignorent ; que l'élément spirituel qu'ils méconnaissent n'est pas une chimère, et que, lorsqu'ils en tiendront compte, ils ouvriront de nouveaux horizons à la science et réussiront plus souvent qu'ils ne le font. Si cette faculté n'était le privilège que d'un individu, elle passerait inaperçue ; on la regarderait comme une exception, un effet du hasard, cette suprême explication qui n'explique rien, et le mauvais vouloir pourrait aisément étouffer la vérité. Mais lorsqu'on verra les faits se multiplier, on sera bien forcé de reconnaître qu'ils ne peuvent se produire qu'en vertu d'une loi ; que si des hommes ignorants réussissent là où les savants échouent, c'est que les savants ne savent pas tout. Cela ne préjudicie en rien à la science qui sera toujours le levier et la résultante du progrès intellectuel ; l'amour-propre de ceux qui la circonscrivent dans les limites de leur savoir et de la matérialité peut seul en souffrir.

De toutes les facultés médianimiques, la médiumnité guérissante vulgarisée est celle qui est appelée à produire le plus de sensations, parce qu'il y a partout des malades et en grand nombre, et que ce n'est pas la curiosité qui les attire, mais le besoin impérieux de soulagement ; plus qu'aucune autre elle triomphera de l'incrédulité aussi bien que du fanatisme qui voit partout l'intervention du diable. La multiplicité des faits conduira forcément à l'étude de la cause naturelle, et de là à la destruction des idées superstitieuses d'ensorcellement, de pouvoir occulte, d'amulettes, etc. Si l'on considère l'effet produit aux alentours du camp de Châlons par un seul individu, la multitude de gens souffrants venus de dix lieues à la ronde, on peut juger de ce qu'il en serait si dix, vingt, cent individus se produisaient dans les mêmes conditions, soit en France, soit dans les pays étrangers. Si vous dites à ces malades qu'ils sont le jouet d'une illusion, ils vous répondront en montrant leur jambe redressée ; qu'ils sont dupes de charlatans ? Ils diront qu'ils n'ont rien payé, et qu'on ne leur a vendu aucune drogue ; qu'on a abusé de leur confiance ? Ils diront qu'on ne leur a rien promis.

C'est aussi la faculté qui échappe le plus à l'accusation de jonglerie et de supercherie ; elle brave la raillerie, car il n'y a rien de risible dans un malade guéri que la science avait abandonné. Le charlatanisme peut simuler plus ou moins grossièrement la plupart des effets médianimiques, et l'incrédulité y cherche toujours des ficelles ; mais où trouvera-t-on les ficelles de la médiumnité guérissante ? On peut donner des tours d'adresse pour des effets médianimiques, et les effets les plus réels peuvent, aux yeux de certaines gens, passer pour des tours d'adresse, mais que donnerait celui qui prendrait indûment la qualité de médium guérisseur ? De deux choses l'une : il guérit ou il ne guérit pas. Il n'y a pas de simulacre qui puisse suppléer à une guérison.

La médiumnité guérissante échappe, en outre, complètement à la loi sur l'exercice illégal de la médecine, puisqu'elle ne prescrit aucun traitement. De quelle pénalité pourrait-on frapper celui qui guérit par sa seule influence, secondée par la prière, qui, de plus, ne demande rien pour prix de ses services ? Or, la prière n'est pas une substance pharmaceutique. C'est, selon vous, de la niaiserie, soit ; mais si la guérison est au bout de cette niaiserie, que direz-vous ? Une niaiserie qui guérit vaut bien les remèdes qui ne guérissent pas. On a pu interdire à M. Jacob de recevoir des malades au camp et d'aller chez eux, et s'il s'est soumis en disant qu'il ne reprendrait l'exercice de sa faculté que lorsque l'interdiction serait levée officiellement, c'est parce qu'étant militaire, il a voulu se montrer scrupuleux observateur de la discipline, quelque dure quelle fût. En cela, il a sagement agi, car il a prouvé que le Spiritisme ne conduit pas à l'insubordination ; mais c'est ici un cas exceptionnel. Dès lors que cette faculté n'est pas le privilège d'un individu, par quel moyen pourrait-on l'empêcher de se propager ? Si elle se propage, il faudra, bon gré mal gré, l'accepter avec toutes ses conséquences.

La médiumnité guérissante tenant à une disposition organique, beaucoup de personnes en possèdent au moins le germe qui reste à l'état latent, faute d'exercice et de développement. C'est une faculté que beaucoup ambitionnent avec raison, et si tous ceux qui désirent la posséder la demandaient avec ferveur et persévérance par la prière, et dans un but exclusivement humanitaire, il est probable que, de ce concours, sortiraient plus d'un véritable médium guérisseur.

Il ne faut pas s'étonner de voir des personnes qui, au premier abord n'en paraissent pas dignes, favorisées de ce don précieux. C'est que l'assistance des bons Esprits est acquise à tout le monde pour ouvrir à tous la voie du bien ; mais elle cesse si l'on ne sait pas s'en rendre digne en s'améliorant. Il en est ici comme des dons de la fortune qui ne vient pas toujours au plus méritant ; c'est alors une épreuve par l'usage qu'on en fait : heureux ceux qui en sortent victorieux.

Par la nature de ses effets, la médiumnité guérissante exige impérieusement le concours d'Esprits épurés qui ne sauraient être suppléés par des Esprits inférieurs, tandis qu'il est des effets médianimiques pour la production desquels l'élévation des Esprits n'est pas une condition nécessaire, et qui, par cette raison, s'obtiennent à peu près en toute circonstance. Certains Esprits même, moins scrupuleux que d'autres sur les conditions, préfèrent les médiums en qui ils trouvent de la sympathie ; mais à l'œuvre ou reconnaît l'ouvrier.

Il y a donc pour le médium guérisseur nécessité absolue de se concilier le concours des Esprits supérieurs s'il veut conserver et voir se développer sa faculté, sinon, au lieu de grandir, elle décline, et disparaît par l'éloignement des bons Esprits. La première condition pour cela est de travailler à sa propre épuration, afin de ne pas altérer les fluides salutaires qu'il est chargé de transmettre. Cette condition ne saurait être remplie sans le désintéressement matériel et moral le plus complet. Le premier est le plus facile, le second est le plus rare, parce que l'orgueil et l'égoïsme sont les sentiments les plus difficiles à déraciner, et que plusieurs causes contribuent à les surexciter chez les médiums. Dès que l'un d'eux se révèle avec des facultés un peu transcendantes, ‑ nous parlons ici des médiums en général, écrivains, voyants et autres, ‑ il est recherché, adulé et plus d'un succombe à cette tentation de la vanité. Bientôt, oubliant que sans les Esprits il ne serait rien, il se regarde comme indispensable, et seul interprète de la vérité ; il dénigre les autres médiums et se croit au-dessus des conseils. Le médium qui en est là est perdu, car les Esprits se chargent de lui prouver qu'on peut se passer de lui en faisant surgir d'autres médiums mieux assistés. En comparant la série des communications d'un même médium, on peut aisément juger s'il grandit ou s'il dégénère. Combien, hélas ! nous en avons vu dans tous les genres tomber tristement et déplorablement sur le terrain glissant de l'orgueil et de la vanité ! On peut donc s'attendre à voir surgir une multitude de médiums guérisseurs ; dans le nombre plusieurs resteront fruits secs, et s'éclipseront après avoir jeté un éclat passager, tandis que d'autres continueront à s'élever.

En voici déjà un exemple que nous signalait un de nos correspondants, il y a environ six mois. Dans un département du midi, un médium qui s'était révélé comme guérisseur, avait opéré plusieurs cures remarquables, et l'on fondait sur lui de grandes espérances. Sa faculté présentait des particularités qui donnèrent, dans un groupe, l'idée de faire une étude à ce sujet. Voici la réponse qu'on obtint des Esprits et qui nous a été transmise dans le temps ; elle peut servir à l'instruction de tous.

« X… possède réellement la faculté de médium guérisseur remarquablement développée ; malheureusement, comme beaucoup d'autres, il s'en exagère trop la portée. C'est un excellent garçon rempli de bonnes intentions, mais qu'un orgueil démesuré et une vue extrêmement courte sur les hommes et sur les choses feront péricliter promptement. Sa puissance fluidique qui est considérable, bien utilisée et aidée de l'influence morale, pourrait produire d’excellents résultats. Savez-vous pourquoi beaucoup de ses malades n'éprouvent qu'un bien-être momentané qui disparaît quand il n'est plus là ? c'est qu'il agit par sa présence seule, mais qu'il ne laisse rien à l'esprit pour triompher des souffrances du corps.

Quand il est parti, il ne reste rien de lui, pas même la pensée qui suit le malade auquel il ne songe plus, tandis que l'action mentale pourrait, en son absence, continuer l'action directe. Il croit à sa puissance fluidique qui est réelle, mais dont l'action n'est pas persistante, parce qu'elle n'est pas corroborée par l'influence morale. Lorsqu'il réussit, il est plus satisfait d'être remarqué que d'avoir guéri ; et cependant il est sincèrement désintéressé, car il rougirait de recevoir la moindre rémunération ; quoiqu'il ne soit pas riche, il n'a jamais songé à s'en faire une ressource ; ce qu'il désire, c'est de faire parler de lui. Il manque aussi de l'affabilité du cœur qui attire. Ceux qui viennent à lui sont froissés de ses manières qui ne font pas naître la sympathie, et il en résulte un défaut d'harmonie qui nuit à l'assimilation des fluides. Loin de calmer et d'apaiser les mauvaises passions, il les excite tout en croyant faire ce qu'il faut pour les détruire, et cela par manque de jugement. C'est un instrument faussé ; il donne quelquefois des sons harmonieux et bons, mais l'ensemble ne peut qu'être, sinon mauvais, du moins improductif. Il n'est pas aussi utile à la cause qu'il le pourrait ; il y nuit même le plus souvent, parce que, par son caractère, il en fait fort mal apprécier les résultats. C'est un de ceux qui prêchent avec violence une doctrine de douceur et de paix.

Demande. Ainsi vous pensez qu'il perdra son pouvoir guérissant ?

Réponse. J'en suis persuadé, ou bien il faudrait alors qu'il fît un retour sérieux sur lui-même, ce dont, malheureusement, je ne le crois pas capable. Les conseils seraient superflus, parce qu'il se persuade en savoir plus que tout le monde ; il aurait peut-être l'air de les écouter, mais il ne les suivrait pas. Il perd ainsi doublement le bénéfice d'une excellente faculté. »

L'événement a justifié la prévision. Nous avons su depuis que ce médium, après une série d'échecs dont son amour-propre avait eu à souffrir, avait renoncé à de nouvelles tentatives de guérisons.

Le pouvoir de guérir est indépendant de la volonté du médium ; c'est là un fait acquis à l'expérience ; ce qui dépend de lui, ce sont les qualités qui peuvent rendre ce pouvoir fructueux et durable. Ces qualités sont surtout le dévouement, l'abnégation et l'humilité ; l'égoïsme, l'orgueil et la cupidité sont des points d'arrêt contre lesquels se brise la plus belle faculté.

Le véritable médium guérisseur, celui qui comprend la sainteté de sa mission, est mû par l'unique désir du bien ; il ne voit dans le don qu'il possède qu'un moyen de se rendre utile à ses semblables, et non un marche-pied pour s'élever au-dessus des autres et se mettre en évidence. Il est humble de cœur, c'est-à-dire qu'en lui l'humilité et la modestie sont sincère, réelles, sans arrière-pensée, et non dans des paroles que démentent souvent les actes. L'humilité est parfois un manteau sous lequel s'abrite l'orgueil, mais qui ne saurait abuser personne. Il ne cherche ni l'éclat, ni la renommée, ni le bruit de son nom, ni la satisfaction de sa vanité ; il n'y a, dans ses manières, ni jactance, ni forfanterie ; il ne fait point parade des guérisons qu'il obtient, tandis que l'orgueilleux les énumère avec complaisance, souvent les amplifie, et finit par se persuader qu'il a fait tout ce qu'il dit.

Heureux du bien qu'il fait, il ne l'est pas moins de celui que d'autres peuvent faire ; ne se croyant ni le premier ni le seul capable, il ne jalouse et ne dénigre aucun médium. Ceux qui possèdent la même faculté sont pour lui des frères qui concourent au même but ; il se dit que plus il y en aura, plus le bien sera grand.

Sa confiance en ses propres forces ne va pas jusqu'à la présomption de se croire infaillible et encore moins universel ; il sait que d'autres peuvent autant et plus que lui ; sa foi est en Dieu plus qu'en lui-même, car il sait qu'il peut tout par lui et rien sans lui. C'est pourquoi il ne promet rien que sous la réserve de la permission de Dieu.

A l'influence matérielle, il joint l'influence morale, auxiliaire puissant qui double sa force. Par sa parole bienveillante, il encourage, relève le moral, fait naître l'espérance et la confiance en Dieu. C'est déjà une partie de la guérison, car c'est une consolation qui dispose à recevoir l'effluve bienfaisant, ou pour mieux dire, la pensée bienveillante est elle-même un effluve salutaire. Sans l'influence morale, le médium n'a pour lui que l'action fluidique, matérielle et en quelque sorte brutale, insuffisante en beaucoup de cas.

Enfin, vers celui qui possède les qualités du cœur, le malade est attiré par une sympathie qui prédispose à l'assimilation des fluides, tandis que l'orgueil, le manque de bienveillance, froissent et font éprouver un sentiment de répulsion qui paralyse cette assimilation.

Tel est le médium guérisseur aimé des bons Esprits. Telle est aussi la mesure qui peut servir à juger la valeur intrinsèque de ceux qui se révéleront, et l'étendue des services qu'ils pourront rendre à la cause du Spiritisme. Ce n'est pas à dire qu'il ne s'en trouve que dans ces conditions, et que celui qui ne réunirait pas toutes ces qualités ne puisse rendre momentanément des services partiels qu'on aurait tort de repousser ; le mal est pour lui, car plus il s'éloigne du type, moins il peut espérer voir sa faculté se développer et plus il est près de son déclin ; les bons Esprits ne s'attachent qu'à ceux qui se montrent dignes de leur protection, et la chute de l'orgueilleux, est tôt ou tard sa punition. Le désintéressement est incomplet sans le désintéressement moral.



Souscriptions pour les inondés

La Société spirite de Paris, dans sa séance de rentrée du 5 octobre, a ouvert une souscription au profit des inondés. Un premier versement de 300 fr. a été fait en son nom dans les bureaux du Moniteur universel. Les souscriptions continueront à être reçues au bureau de la Revue spirite.



Allan Kardec







Décembre

Le laboureur Thomas Martin et Louis XVIII

Les révélations faites à Louis XVIII par un laboureur de la Beauce, peu de temps après la seconde rentrée des Bourbons, ont eu dans le temps un très grand retentissement, et aujourd'hui encore le souvenir n'en est point effacé ; mais peu de personnes connaissent les détails de cet incident dont le Spiritisme seul peut maintenant donner la clef, comme de tous les faits de ce genre. C'est un sujet d'étude d'autant plus intéressant, que les faits, presque contemporains, sont d'une parfaite authenticité, attendu qu'ils sont constatés par des documents officiels. Nous allons en donner un résumé succinct, mais suffisant pour les faire apprécier.

Thomas-Ignace Martin était un petit laboureur du Bourg de Gallardon, situé à quatre lieues de Chartres. Né en 1783, il avait, par conséquent, trente-trois ans quand eurent lieu les événements que nous allons rapporter. Il est mort le 8 mai 1834. Il était marié, père de quatre enfants en bas âge, et jouissait dans sa commune de la réputation d'un parfait honnête homme. Les rapports officiels le peignent comme un homme de bon sens, quoique d'une grande naïveté par suite de son ignorance des choses les plus vulgaires ; d'un caractère doux et paisible, et ne se mêlant d'aucune intrigue ; d'une droiture parfaite en toutes choses et d'un complet désintéressement, ainsi qu'il en a donné des preuves nombreuses, ce qui exclut toute idée d'ambition de sa part. Aussi, lorsqu'il revint dans son village après sa visite au roi, il reprit ses occupations habituelles comme si rien ne s'était passé, évitant même de parler de ce qui lui était arrivé. A son départ de Paris, le directeur de la maison de Charenton eut toutes les peines du monde à lui faire accepter 25 francs pour ses frais de voyage. L'année suivante, sa femme étant enceinte d'un cinquième enfant, une personne distinguée par son rang, et qui connaissait la médiocrité de sa fortune, lui fit proposer par un tiers 150 francs pour subvenir aux besoins dans cette circonstance. Martin refusa en disant : « Ce ne peut toujours être qu'à cause des choses qui me sont arrivées qu'on m'offre de l'argent, car, sans cela, on ne parlerait pas de moi, on ne me connaîtrait même pas. Mais comme la chose ne vient pas de moi, je ne dois rien recevoir pour cela. Ainsi, vous remercierez bien cette personne, car, quoique je ne sois pas riche, je ne veux rien recevoir. » Dans d'autres circonstances, il refusa des sommes plus considérables qui auraient pu le mettre à son aise.

Martin était simple, mais ni crédule ni superstitieux ; il pratiquait ses devoirs religieux exactement, mais sans exagération ni ostentation, et tout juste dans la limite du strict nécessaire, visitant son curé tout au plus une fois par an. Il n'y avait, par conséquent, chez lui ni bigotisme, ni surexcitation religieuse. Rien dans ses habitudes ni dans son caractère n'était de nature à exalter son imagination. Il avait vu avec plaisir le retour des Bourbons, mais sans s'occuper de politique en aucune façon et sans se mêler à aucun parti. Tout entier au travail des champs depuis son enfance, il ne lisait ni livres, ni journaux.

On comprend facilement l'importance de ces renseignements sur le caractère de Martin dans le cas dont il s'agit. Dès l'instant qu'un homme n'est mû ni par l'intérêt, ni par l'ambition, ni par le fanatisme, ni par la crédulité superstitieuse, il acquiert des titres sérieux à la confiance. Or, voici sommairement comment se sont passés les événements qui lui sont arrivés.

Le 15 janvier 1816, sur les deux heures et demie de l'après-midi, il était seul occupé à étendre du fumier dans un champ à trois quarts de lieue de Gallardon, dans un canton très désert, quand tout à coup se présente à lui un homme d'environ cinq pieds un ou deux pouces, mince de corps, le visage effilé, délicat et très blanc, vêtu d'une lévite ou redingote de couleur blonde, totalement fermée et pendante jusqu'aux pieds, ayant des souliers attachés avec des cordons et sur la tête un chapeau rond à haute forme. Cet homme dit à Martin :

« Il faut que vous alliez trouver le roi, que vous lui disiez que sa personne est en danger, ainsi que celle des princes ; que de mauvaises gens tentent encore de renverser le gouvernement ; que plusieurs écrits ou lettres ont déjà circulé dans quelques provinces de ses États à ce sujet ; qu'il faut qu'il fasse une police exacte et générale dans tous ses États, et surtout dans la capitale ; qu'il faut aussi qu'il relève le jour du Seigneur, afin qu'on le sanctifie ; que ce saint jour est méconnu par une grande partie de son peuple ; qu'il faut qu'il fasse cesser les travaux publics ces jours-là ; qu'il fasse ordonner des prières publiques pour la conversion du peuple ; qu'il l'excite à la pénitence ; qu'il abolisse et anéantisse tous les désordres qui se commettent dans les jours qui précèdent la sainte quarantaine : sinon toutes ces choses, la France tombera dans de nouveaux malheurs. »

Martin, un peu surpris d'une apparition aussi subite, lui répondit : « Mais vous pouvez bien en aller trouver d'autres que moi pour faire une commission comme ça. Voilà-t-il pas qu'avec des mains comme ça (empreintes de fumier) j'aille parler au roi !

‑ Non, répliqua l'inconnu, c'est vous qui irez. ‑ Mais, reprit Martin, puisque vous en savez si long, vous pouvez bien aller trouver le roi vous-même et lui dire tout cela ; pourquoi vous adressez-vous à un pauvre homme comme moi qui ne sait pas s'expliquer ? ‑ Ce n'est pas moi qui irai, lui dit l'inconnu, ce sera vous ; faites attention à ce que je vous dis, et vous ferez tout ce que je vous commande.

Après ces paroles, Martin le vit disparaître à peu près de cette sorte : ses pieds parurent s'élever de terre, sa tête s'abaisser et son corps se rapetissant, finit par s'évanouir à la hauteur de la ceinture, comme s'il eût fondu en l'air. Martin plus effrayé de cette manière de disparaître que de l'apparition subite, voulut s'en aller, mais il ne le put ; il resta comme malgré lui, et, s'étant remis à l'ouvrage, sa tâche, qui devait durer deux heures et demie, ne dura qu'une heure et demie, ce qui redoubla son étonnement.

On trouvera peut-être puériles certaines recommandations que Martin devait faire au roi, touchant surtout l'observation du dimanche, eu égard au moyen, en apparence surnaturel, employé pour la lui transmettre, et aux difficultés qu'une telle démarche devait rencontrer. Mais il est probable que ce n'était là qu'une sorte de passeport pour arriver à lui, car l'objet principal de la révélation, qui était d'une bien plus haute gravité, ne devait être connu, comme on le verra plus tard, qu'au moment de l'entrevue. L'essentiel était que Martin pût arriver jusqu'au roi, et pour cela l'intervention de quelques membres du haut clergé était nécessaire ; or on sait l'importance que le clergé attache à l'observation du dimanche ; comment le souverain ne se rendrait-il pas quand la voix du ciel allait se faire entendre par un miracle ? Il convenait donc de favoriser Martin au lieu de le décourager. Cependant il s'en faut que les choses aient marché toutes seules.

Martin s'empressa de raconter à son frère ce qui lui était arrivé, et tous deux s'en allèrent en faire part au curé de la paroisse, M. Laperruque, qui s'efforça de dissuader Martin et de mettre la chose sur le compte de son imagination.

Le 18, à six heures du soir, Martin étant descendu à la cave pour chercher des pommes, le même individu lui apparut debout, à côté de lui, pendant qu'il était à genoux occupé à en ramasser ; épouvanté il laisse là sa chandelle et s'enfuit. Le 18, nouvelle apparition à l'entrée d'une foulerie (pressoir), et Martin se sauva de même.

Le dimanche 21 janvier Martin entrait à l'église à l'heure de vêpres ; comme il prenait de l'eau bénite, il aperçut l'inconnu qui en prenait aussi et qui le suivit jusqu'à l'entrée de son banc ; pendant toute la durée de l'office il fut très recueilli et Martin remarqua qu'il n'avait de chapeau ni sur la tête ni dans ses mains. Au sortir de l'église il le suivit jusqu'à sa maison, marchant à ses côtés, le chapeau sur la tête. Arrivés sous la porte charretière, il se trouva tout à coup devant lui face à face, et lui dit : « Acquittez-vous de votre commission, et faites ce que je vous dis ; vous ne serez pas tranquille tant que votre commission ne sera pas faite. » A peine eut-il prononcé ces paroles, qu'il disparut, sans que ni cette fois, ni aux apparitions suivantes, Martin l'ait vu s'évanouir graduellement comme la première fois. Le 24 janvier nouvelle apparition dans le grenier, suivie de ces paroles : « Fais ce que je te commande, il est temps. »

Remarquons ces deux modes de disparition : la première, qui ne saurait être le fait d'un être corporel en chair et en os, avait sans doute pour but de prouver que c'était un être fluidique, étranger à l'humanité matérielle, circonstance qui devait être relevée 50 ans plus tard et expliquée par le Spiritisme, dont elle confirmait les doctrines en même temps qu'elle devait fournir un sujet d'étude.

On sait qu'en ces derniers temps, l'incrédulité a cherché à expliquer les apparitions par des effets d'optique, et que, lorsque parurent sur quelques théâtres des phénomènes artificiels de ce genre produits par une combinaison de glaces et de lumières, ce fut un cri général dans la presse pour dire : « Voici enfin le secret de toutes les apparitions découvert ! C'est à l'aide de pareils moyens que cette absurde croyance s'est répandue dans tous les temps et que des gens crédules ont été dupes de subterfuges ! »

Nous avons réfuté, comme elle devait l'être, (Revue, juillet 1863, page 204) cette étrange explication, digne pendant du fameux muscle craqueur, du docteur Jobert de Lamballe, qui accusait tous les Spirites de fous, et qui lui-même, hélas ! languit depuis plusieurs années dans une maison d'aliénés ; mais nous demanderons, dans le cas dont il s'agit ici, par qui et comment des appareils de cette nature, nécessairement compliqués et volumineux, auraient pu être disposés et manœuvrés dans un champ isolé de toute habitation et où Martin se trouvait absolument seul, sans qu'il se fût aperçu de rien ? Comment ces mêmes appareils, qui fonctionnent dans l'obscurité à l'aide de lumières artificielles, auraient pu produire une image en plein soleil ? Comment ils auraient pu être transportés instantanément dans la cave, au grenier, lieux généralement peu machinés, dans une église, et de l'église suivre Martin jusque chez lui, sans que personne eût rien remarqué ? Ces sortes d'images artificielles sont vues de tous les spectateurs ; comment se ferait-il qu'à l'église, et au sortir de l'église, Martin seul ait vu l'individu ? Dira-t-on qu'il n'a rien vu, mais que, de bonne foi, il a été le jouet d'une hallucination ? Cette explication est démentie par le fait matériel des révélations faites au roi, et qui, comme on le verra, ne pouvaient être connues préalablement de Martin. Il y a là un résultat positif, matériel, qui n'est pas le propre des illusions.

Le curé de Gallardon, à qui Martin rendait fidèlement compte de ses apparitions, et qui en prenait une note exacte, crut devoir l'adresser à son évêque, à Versailles, pour lequel il lui donna une lettre de recommandation circonstanciée. Là, Martin répéta tout ce qu'il avait vu, et, après diverses questions, l'évêque le chargea de demander à l'inconnu, de sa part, s'il se représentait, son nom, qui il était, et par qui il était envoyé, lui recommandant de dire le tout à son curé.

Quelques jours après le retour de Martin, M. le curé reçut une lettre de son évêque par laquelle il lui témoignait que l'homme qu'il lui avait envoyé, paraissait avoir de grandes lumières sur l'objet important dont il était question. Dès ce moment il s'établit une correspondance suivie entre l'évêque et le curé de Gallardon. De son côté, Monseigneur, à cause de la gravité de la première apparition, crut devoir en faire, peu de temps après, une affaire ministérielle et de police ; en conséquence, il envoyait chaque rapport qu'il recevait de M. le curé à M. Decazes, ministre de la police générale.

Le mardi 30 janvier, l'inconnu apparut de nouveau à Martin et lui dit : « Votre commission est bien commencée, mais ceux qui l'ont entre les mains ne s'en occupent pas ; j'étais présent, quoique invisible, quand vous avez fait votre déclaration ; il vous a été dit de demander mon nom et de quelle part je venais ; mon nom restera inconnu, et celui qui m'a envoyé (montrant le ciel) est au-dessus de moi. ‑ Comment vous adressez-vous toujours à moi, répliqua Martin, pour une commission comme celle-là, moi qui ne suis qu'un paysan ? Il y a tant de gens d'esprit. ‑ C'est pour abattre l'orgueil, dit l'inconnu en montrant la terre ; pour vous, il ne faut pas prendre d'orgueil de ce que vous avez vu et entendu, car l'orgueil déplaît souverainement à Dieu ; pratiquez la vertu ; assistez aux offices qui se font à votre paroisse les dimanches et les fêtes ; évitez les cabarets et les mauvaises compagnies où se commettent toutes sortes d'impuretés et où se tiennent toutes sortes de mauvais discours. Ne faites aucun charroi les jours de dimanches et de fêtes. »

Pendant le mois de février, l'inconnu apparut encore différentes fois à Martin, et lui dit entre autres ces paroles : « Persistez, ô mon ami, et vous parviendrez. Vous paraîtrez devant l'incrédulité, et vous la confondrez ; j'ai encore autre chose à vous dire qui les convaincra, et ils n'auront rien à répondre. ‑ Pressez votre commission, on ne fait rien de tout ce que je vous ai dit ; ceux qui ont l'affaire en mains sont enivrés d'orgueil ; la France est dans un état de délire ; elle sera livrée à toutes sortes de malheurs. ‑ Vous irez trouver le roi ; vous lui direz ce que je vous ai annoncé ; il pourra admettre avec lui son frère et ses neveux. Quand vous serez devant le roi je vous découvrirai des choses secrètes du temps de son exil, mais dont la connaissance ne vous sera donnée qu'au moment où vous serez introduit en sa présence. »

Sur ces entrefaites M. le comte de Breteuil, préfet de Chartres, reçut une lettre du ministre de la police générale qui l'invitait à vérifier « si ces apparitions données comme miraculeuses n'étaient pas plutôt un jeu de l'imagination de Martin, une véritable illusion de son esprit exalté, ou enfin si le prétendu envoyé inconnu, ne peut être Martin lui-même, ne devaient pas être sévèrement examinés par la police, et ensuite livrés aux tribunaux. »

Le 5 mars Martin reçut la visite de son inconnu qui lui dit : « Vous allez bientôt paraître devant le premier magistrat de votre département ; il faut que vous rapportiez les choses comme elles vous sont annoncées ; il ne faut avoir égard ni à la qualité ni à la dignité. »

Martin n'avait point été informé qu'il devait aller chez le Préfet ; ce n'est donc plus ici une simple communication sur une chose vague, c'est la prévision d'un fait qui va se réaliser. Ceci s'est constamment reproduit pendant la suite de ces événements ; Martin a toujours été informé par son inconnu de ce qui lui arriverait, des personnes en présence desquelles il allait se trouver, des lieux où il serait conduit. Or tel n'est pas le résultat de l'illusion et des idées chimériques. Dès lors que l'individu dit à Martin : demain vous verrez tel personnage, ou vous serez conduit à tel endroit, et que la chose se réalise, c'est un fait positif qui ne peut venir de l'imagination.

Le lendemain 6 mars, Martin accompagné de M. le curé se rendit à Chartres chez le préfet. Ce dernier s'entretint d'abord longuement en particulier avec le curé, puis ayant fait introduire Martin, il lui dit : « Mais si je vous mettais dans les entraves et en prison pour faire de pareilles annonces, continueriez-vous à dire ce que vous dites ? ‑ Comme vous voudrez, répondit Martin sans être effrayé ; je ne puis que dire la vérité. ‑ Mais, poursuivit M. le préfet, si vous paraissiez devant une autorité supérieure à la mienne, par exemple devant le ministre, soutiendriez-vous ce que vous venez de me dire ? ‑ Oui, monsieur, répliqua Martin, et devant le roi lui-même.

Le préfet surpris de tant d'assurance jointe à tant de simplicité, et plus encore des étranges récits que lui avaient faits le curé, se décida à envoyer Martin au ministre. Dès le lendemain 7 mars Martin partait pour Paris escorté de M. André, lieutenant de gendarmerie, qui avait ordre de surveiller toutes ses démarches et de ne le quitter ni jour ni nuit. Ils logèrent rue Montmartre, hôtel de Calais, dans une chambre à deux lits. Le vendredi 8 mars M. André conduisit Martin à l'hôtel de la police générale. En entrant dans la cour de l'hôtel, l'inconnu se présenta et lui dit : « Vous allez être interrogé de plusieurs manières ; n'ayez ni crainte ni inquiétude, mais dites les choses comme elles sont. » Après ces mots il disparut.

Nous ne rapporterons pas ici tous les interrogatoires que firent subir à Martin le ministre et ses secrétaires, sans qu'il se laissât intimider par les menaces, ni déconcerter par les pièges qu'on lui tendait pour le mettre en contradiction avec lui-même, déroutant ses interrogateurs par ses réponses pleines de sens et de sang-froid. Martin ayant dépeint son inconnu, le ministre lui dit : « Eh bien ! vous ne le verrez plus, car je viens de le faire arrêter. – Eh ! comment, repartit Martin, avez-vous pu le faire arrêter, puisqu'il disparaît tout de suite comme un éclair ? ‑ S'il disparaît pour vous, reprit le ministre, il ne disparaît pas pour tout le monde. Et s'adressant à l'un de ses secrétaires :

« Allez voir si cet homme que j'ai dit de mettre en prison y est encore. »

Quelques instants après le secrétaire revint et fit cette réponse :

« Monseigneur, il y est toujours. ‑ Eh bien ! dit alors Martin, si vous l'avez fait mettre en prison, vous me le montrerez, et je le reconnaîtrai bien ; je l'ai vu assez de fois pour cela.

Vint ensuite un homme qui visita avec soin la tête de Martin, en lui écartant les cheveux à droite et à gauche ; le ministre les tourna et retourna de même, sans doute pour examiner s'il ne portait pas quelque signe indicateur de folie, à quoi Martin se contentait de dire : « Regardez tant que vous voudrez, je n'ai jamais eu de mal de ma vie. »

Rentré à l'hôtel, Martin dit le soir à M. André : « Mais le ministre m'avait dit qu'il avait fait mettre en prison l'homme qui m'apparaissait. Il l'a donc relâché, puisqu'il m'a apparu depuis et qu'il m'a dit : « Vous avez été questionné aujourd'hui, mais on ne veut pas faire ce que j'ai dit. Celui que vous avez vu ce matin a voulu vous faire croire qu'on m'avait fait arrêter ; vous pouvez lui dire qu'il n'a aucun pouvoir sur moi et qu'il est grand temps que le roi soit averti. » A l'instant même, M. André alla faire son rapport à la police, tandis que Martin, sans inquiétude, se couche et s'endort paisiblement.

Le lendemain 9, Martin étant descendu pour demander les bottes du lieutenant, l'inconnu se présenta à lui au milieu de l'escalier et lui dit : « Vous allez avoir la visite d'un docteur qui vient voir si vous êtes frappé d'imagination et si vous avez perdu la tête ; mais ceux qui vous l'envoient sont plus fous que vous. » Le même jour, en effet, le célèbre aliéniste, M. Pinel, vint le visiter, et lui fit subir un interrogatoire approprié à ce genre d'information. « Malgré son habileté, dit le rapport, il n'a pu acquérir aucune indication tant soit peu probable d'aliénation. Ses recherches n'ont abouti qu'à une simple conjecture de possibilité d'hallucination et de manie intermittente. »

Il paraît que, pour certaines gens, il n'en faut pas davantage pour être taxé de folie : il suffit de ne pas penser comme eux ; c'est pourquoi ceux qui croient à quelque chose de l'autre monde passent pour des fous aux yeux de ceux qui ne croient à rien.

Après la visite du docteur Pinel, l'inconnu se présenta à Martin et lui dit : « Il faut que vous alliez parler au roi ; quand vous serez en sa présence, je vous inspirerai ce que vous aurez à lui dire. Je me sers de vous pour abattre l'orgueil et l'incrédulité. On tâche d'écarter l'affaire, mais si vous ne parvenez pas à votre but, elle se découvrira par une autre voie. »

Le 10 mars, Martin étant seul dans sa chambre, l'inconnu lui apparut et lui dit : « Je vous avais dit que mon nom resterait inconnu, mais, puisque l'incrédulité est si grande, il faut que je vous découvre mon nom. Je suis l'ange Raphaël, ange très célèbre auprès de Dieu ; j'ai le pouvoir de frapper la France de toutes sortes de plaies. » A ces mots, Martin fut saisi de frayeur et éprouva une sorte de crispation.

Un autre jour, M. André étant sorti avec Martin rencontra un officier de ses amis avec lequel il s'entretint pendant une heure en anglais que naturellement Martin ne comprenait pas. Le lendemain, l'inconnu, que désormais il appelle l'ange, lui dit : « Ceux qui étaient hier avec vous se sont entretenus de vous, mais vous n'entendiez pas leur langage ; ils ont dit que vous veniez pour parler au roi, et l'un a dit que quand il serait retourné dans son pays, l'autre lui donnât de ses nouvelles pour savoir comment la chose se serait passée. » M. André, à qui Martin rendait compte de tous ses entretiens avec l'inconnu, fut très surpris de voir que ce qu'il avait dit en anglais, pour n'être pas compris de lui, se trouvait dévoilé.

Quoique le rapport du docteur Pinel ne concluât pas à la folie, mais seulement à une possibilité d'hallucination, Martin n'en fut pas moins conduit à l'hospice des fous de Charenton, où il resta du 13 mars jusqu'au 2 avril. Là, il fut l'objet d'une surveillance minutieuse et soumis à l'étude spéciale des hommes de l'art. On fit également des enquêtes dans son pays sur ses antécédents et ceux de sa famille, sans que, malgré toutes ces investigations, on soit parvenu à constater la moindre apparence ou cause prédéterminante de folie. Pour rendre hommage à la vérité, il faut dire qu'il y fut constamment traité avec beaucoup d'égards de la part de M. Royer-Collard, directeur en chef de la maison, et des autres médecins, et qu'on ne lui fit subir aucun des traitements en usage dans ces sortes d'établissements. S'il y fut placé, c'était bien moins par mesure de séquestration que pour avoir plus de facilité d'observer l'état réel de son esprit.

Pendant son séjour à Charenton, il eut d'assez fréquentes visites de son inconnu qui ne présentèrent aucune particularité remarquable, si ce n'est celle où il lui dit: « Il y aura des discussions : les uns diront que c'est une imagination, les autres que c'est un ange de lumière, et d'autres que c'est un ange de ténèbres ; je vous permets de me toucher. » Alors, raconta Martin, il me prit la main droite qu'il serra ; puis il ouvrit sa redingote par-devant, et, quand elle a été ouverte, cela m'a semblé plus brillant que les rayons du soleil, et je n'ai pu l'envisager ; je fus obligé de mettre ma main devant mes yeux. Quand il eut fermé sa redingote, je n'ai plus rien vu de brillant ; il m'a semblé comme auparavant. Cette ouverture et cette fermeture se sont opérées sans aucun mouvement de sa part.

Une autre fois, comme il écrivait à son frère, il vit à côté de lui son inconnu qui lui dicta une partie de sa lettre, rappelant les prédictions qu'il avait déjà faites sur les malheurs dont la France était menacée. Voilà donc Martin à la fois médium voyant et écrivain.

Quelque soin que l'on prît de ne pas trop ébruiter cette affaire, elle ne laissa pas de faire une certaine sensation dans les hautes régions officielles ; il est probable cependant qu'elle aurait abouti à une fin de non recevoir, si l'archevêque de Reims, grand aumônier de France, depuis archevêque de Paris et cardinal de Périgord, ne s'y fût intéressé. Il en parla à Louis xviii, et lui proposa de recevoir Martin. Le roi lui déclara qu'il n'en avait point encore entendu parler, tant il est vrai que les souverains sont souvent les derniers à savoir ce qui se passe autour d'eux et ce qui les intéresse le plus. En conséquence, il ordonna que Martin lui fût présenté.

Le 2 avril, Martin fut conduit de Charenton chez le ministre de la police générale. Pendant qu'il attendait le moment d'être reçu, son inconnu lui apparut et lui dit : « Vous allez parler au roi, et vous serez seul avec lui ; n'ayez aucune crainte de paraître devant le roi ; pour ce que vous avez à lui dire, les paroles vous viendront à la bouche. » C'est la dernière fois qu'il l'a vu. Le ministre lui fit un accueil très bienveillant et lui dit qu'il allait le faire conduire aux Tuileries.

On croit assez généralement que Martin vint de lui-même à Paris, se présenta au château en insistant pour parler au roi ; qu'étant repoussé, il revint à la charge avec tant de persistance, que louis xviii en ayant été informé, ordonna de le faire entrer. Les choses, comme on le voit, se sont passées tout autrement. Ce ne fut qu'en 1828, quatre ans après la mort du roi, qu'il fit connaître les particularités secrètes qu'il lui révéla, et qui firent sur lui une profonde impression, car tel était le but essentiel de cette visite, les autres motifs allégués n'étant, comme nous l'avons dit, qu'un moyen d'arriver à lui. Son inconnu lui laissa ignorer ces choses jusqu'au dernier moment, dans la crainte qu'une indiscrétion arrachée par l'artifice des interrogatoires ne fît échouer le projet, ce qui aurait eu lieu inévitablement. Après sa visite au roi, Martin alla faire ses adieux au directeur de Charenton et partit immédiatement pour son pays, où il reprit le cours habituel de ses travaux, sans jamais se faire un mérite de ce qui lui était arrivé.

Le but que nous nous sommes proposés dans ce récit était de montrer les points par lesquels il se rattache au Spiritisme ; les particularités révélées à Louis XVIII étant étrangère à notre sujet, nous nous abstiendrons de les rapporter. Nous dirons seulement qu'elles avaient trait aux choses de famille les plus intimes ; elles émurent le roi au point de le faire beaucoup pleurer, et celui-ci déclara plus tard que ce qui lui avait été révélé n'était connu que de Dieu et de lui. Elles eurent pour conséquences de faire renoncer au sacre dont les préparatifs étaient déjà ordonnés[1].

Nous ne rapporterons de cette entrevue que quelques passages de la relation écrite en 1828 sous la dictée de Martin lui-même, et où se peignent le caractère et la simplicité de l'homme.

« Nous arrivâmes aux Tuileries sur les trois heures, et sans que personne ait dit rien. Nous arrivâmes jusqu'au premier valet de Louis xviii à qui on remit la lettre, et qui, après l'avoir lue, me dit : Suivez-moi. Nous nous arrêtâmes quelques moments, parce que M. Decazes était chez le roi. Quand le ministre sortit je suis entré, et avant que je dise un mot, le roi dit au valet de chambre de se retirer et de fermer les portes.

Le roi était assis devant sa table en face la porte ; il y avait des plumes, des papiers et des livres. J'ai salué le roi en disant : Sire, je vous salue. Le roi m'a dit : Bonjour Martin. Et je me suis alors dit à moi-même : Il sait donc bien mon nom. « Vous savez, Sire, sûrement, pourquoi je viens. ‑ Oui, je sais que vous avez quelque chose à me dire, et l'on m'a dit que c'était quelque chose que vous ne pouviez dire qu'à moi ; asseyez-vous. Alors je me suis assis dans un fauteuil qui était placé vis-à-vis le roi, de manière qu'il n'y avait que la table entre nous. Alors je lui demandai comment il se portait. ‑ Le roi me dit : « Je me porte un peu mieux que ces jours passés ; et vous, comment vous portez-vous ? ‑ Moi, je me porte bien. ‑ Quel est le sujet de votre voyage ? – « Et je lui ai dit : Vous pouvez faire appeler, si vous voulez, votre frère et ses fils. » Le roi m'interrompit en disant : Cela est inutile, je leur dirai ce que vous aurez à me dire. « Après cela, je racontai au roi toutes les apparitions que j'avais eues et qui sont dans la relation.

« Je sais tout cela, l'archevêque de Reims m'a tout dit. Mais il me semble que vous avez quelque chose à me dire en particulier et en secret. » Et alors je sentis venir à ma bouche les paroles que l'ange m'avait promises, et je dis au roi : « Le secret que j'ai à vous dire, c'est que… » (Suivent des détails qui, ainsi que les instructions données dans la suite de la conversation sur certaines mesures à prendre et la manière de gouverner, ne pouvaient qu'être inspirés à l'instant même, car ils sont hors de toute portée avec le degré de culture de Martin.)

« C'est à ce récit que le roi, frappé d'étonnement et profondément ému, dit : « O mon Dieu ! ô mon Dieu ! cela est bien vrai ; il n'y a que Dieu, vous et moi, qui sachions cela ; promettez-moi de garder sur toutes ces communications le plus grand secret ; » et moi je le lui promis. Après cela je lui dis : « Prenez garde de vous faire sacrer, car si vous le tentiez, vous seriez frappé de mort dans la cérémonie du sacre. » Dans le moment et jusqu'à la fin de la conversation le roi pleura toujours.

Quand j'eus fini, il m'a dit que l'ange qui m'avait apparu était celui qui conduisit Tobie le jeune à Ragès et qui le fit marier ; puis il m'a demandé laquelle de mes mains l'ange avait serrée. J'ai répondu : « Celle-ci, » en montrant la droite. Le roi me l'a prise en me disant : « Que je touche à la main que l'ange a serrée. Priez toujours pour moi. ‑ « Bien sûr, Sire, que moi, ma famille, ainsi que M. le curé de Gallardon, avons toujours prié pour que l'affaire réussisse.

J'ai salué le roi en lui disant : « Je vous souhaite une bonne santé. Il m'a été dit qu'une fois ma commission faite auprès du roi, je vous demande la permission de m'en retourner dans ma famille, comme il m'a été annoncé aussi que vous ne me refuserez pas, et qu'il ne m'arriverait aucune peine ni aucun mal. ‑ Il ne vous en arrivera pas non plus ; j'ai donné des ordres pour vous renvoyer. Le ministre va vous donner à souper et à coucher, et des papiers pour vous en retourner demain. ‑ Mais je serais content si je retournais à Charenton pour leur dire adieu et pour prendre une chemise que j'ai laissée. ‑ Cela ne vous a-t-il pas fait de la peine d'être à Charenton ? Y avez-vous été bien ? ‑ Pas du tout de peine ; et bien sûr que si je n'y avais pas été bien, je ne demanderais pas à y retourner. ‑ Et bien ! puisque vous désirez y retourner, le ministre vous y fera conduire de ma part.

Je suis retourné rejoindre mon conducteur qui m'attendait, et nous avons été ensemble à l'hôtel du ministre.

Fait à Gallardon, le 9 mars 1828.

Signé : Thomas Martin.



L'entretien de Martin avec le roi a duré au moins 55 minutes.

Si depuis sa visite au roi, Martin n'a plus revu son inconnu, les manifestations n'en ont pas moins continué sous une autre forme ; de médium voyant, il est devenu médium auditif. Voici quelques fragments de lettres qu'il écrivait à l'ancien curé de Gallardon :

28 janvier 1821.

« Monsieur le curé, je vous écris pour vous donner connaissance d'une chose qui m'est arrivée. Mardi dernier, 23 janvier, étant à la charrue, j'ai entendu une voix qui m'a parlé, sans avoir vu personne, et on m'a dit : « Fils de Japhet ! arrête et fais attention aux paroles qui te sont adressées. » Au même instant, mes chevaux se sont arrêtés sans que j'aie rien dit, parce que j'étais bien surpris. Voici ce qu'on m'a dit : « Dans cette grande région, un grand arbre est planté, et, sur la même souche, il en est planté un autre qui est inférieur au premier ; le second arbre a deux branches, dont l'une des deux a été fracassée, et aussitôt après elle s'est desséchée par un vent furieux, et ce vent ne cessa de souffler. A la place de cette branche, il en est sorti une autre branche, jeune, tendre, qui la remplace ; mais ce vent, qui est toujours agité, s'élèvera un jour avec de telles secousses que… et après cette catastrophe épouvantable, les peuples seront dans la dernière désolation. Prie, mon fils, que ces jours soient abrégés ; invoque le ciel que le vent fatal sortant du nord-ouest soit barré par des barrières puissantes, et que ses progrès n'aient rien de fâcheux. Ces choses sont obscures pour toi, mais d'autres les comprendront facilement. »

Voilà, monsieur, ce qui m'est arrivé mardi vers une heure après midi ; je ne comprends rien à cela ; vous me marquerez si vous y comprenez quelque chose. Je n'ai parlé à personne de tout cela, pas seulement à ma femme, car le monde est méchant. J'étais résou à garder tout cela sous silence ; mais je me suis décidé à vous écrire aujourd'hui, parce que cette nuit je n'ai pu dormir, et j'ai toujours eu ces paroles dans la mémoire, et je vous prie d'en garder le secret, parce que le monde s'en moquerait. Monsieur, on m'a traité de fils de Japhet ; je ne connais personne de notre famille qui porte ce nom ; on peut bien s'être trompé ; on m'a peut-être pris pour un autre. »

8 février 1821.

Je vous avais défendu de parler de ce que je vous avais marqué ; j'ai eu tort, parce que cela ne peut rester caché. Il faut nécessairement que cela passe devant les grands et les premiers de l'Etat, pour qu'on voie le danger dont ils sont menacés, parce que le vent dont je vous ai parlé avant peu va faire de terribles désastres, car ce vent tourne toujours autour de l'arbre ; si l'on n'y fait pas attention, avant peu il sera renversé. Dans le même moment, l'autre arbre avec ce qui sort de lui éprouvera le même sort. Hier la même parole est venue me parler, et je n'ai rien vu. »

21 février 1821.

Monsieur, j'ai eu une grande frayeur ce matin. Il était neuf heures ; j'ai entendu un grand bruit auprès de moi, et je n'ai rien vu, mais j'ai entendu parler, après que le bruit a été apaisé, et on m'a dit : « Pourquoi avez-vous eu peur ? ne craignez point ; je ne viens pas pour vous faire aucun mal. Vous êtes surpris d'entendre parler et de ne rien voir, ne vous étonnez pas : il faut que les choses soient découvertes ; je me sers de vous pour vous envoyer comme je suis envoyé. Les philosophes, les incrédules, les impies, ne croient pas que l'on voit leurs démarches, mais il faut qu'ils soient confondus… Demeurez tranquille, continuez d'être ce que vous avez été ; vos jours sont comptés, et il ne vous en échappera pas un seul. Je vous défends de vous prosterner devant moi, parce que je ne suis qu'un serviteur comme vous. »

Monsieur, voilà ce qui m'a été dit ; je ne sais pas quelle est la personne qui me parle ; il a la voix assez forte et bien claire. J'ai eu la pensée de parler, mais je n'ai pas osé, à cause que je ne vois personne. »

Reste à savoir quelle est l'individualité de l'Esprit qui s'est manifesté ; était-ce réellement l'ange Raphaël ? Il est fort permis d'en douter, et il y aurait beaucoup de choses à dire contre cette opinion ; mais, à notre avis, c'est là une question tout à fait secondaire ; le fait capital est celui de la manifestation dont on ne saurait douter, et dont tous les incidents ont eu leur raison d'être pour le résultat proposé, et ont aujourd'hui leur côté instructif.

Un fait qui n'aura sans doute échappé à personne, c'est cette parole de Martin au sujet d'une somme qu'on lui offrit : « Comme la chose ne vient pas de moi, dit-il, je ne dois rien recevoir pour cela. » Voilà donc un simple paysan, médium inconscient, qui, il y a cinquante ans, époque à laquelle on était loin de songer au spiritisme, a, par lui-même, l'intuition des devoirs qu'impose la médiumnité, de la sainteté de ce mandat ; son bon sens, sa loyauté naturelle lui font comprendre que ce qui vient d'une source céleste et non de lui, ne doit point être payé.

On s'étonnera peut-être des difficultés que rencontra Martin pour remplir la commission dont il était chargé. Pourquoi, dira-t-on, les Esprits ne l'ont-ils pas fait arriver directement au roi ? Ces difficultés, ces lenteurs, comme nous l'avons vu, ont eu leur utilité. Il fallait qu'il passât par Charenton, où sa raison fut soumise aux investigations les plus rigoureuses de la science officielle et peu crédule, afin qu'il fût constaté qu'il n'était ni fou, ni exalté. Les Esprits, comme on l'a vu, ont triomphé des obstacles mis par les hommes, mais comme les hommes ont leur libre arbitre, ils ne pouvaient les empêcher de mettre des entraves.

Remarquons à ce sujet, que Martin ne fit par lui-même, pour ainsi dire, aucun effort pour arriver au roi ; les circonstances l'y ont amené presque malgré lui, et sans qu'il ait eu besoin d'insister beaucoup ; or, ces circonstances ont évidemment été conduites par les Esprits, en agissant sur la pensée des incarnés, parce que la mission de Martin était sérieuse et devait s'accomplir.

Il en est de même dans tous les cas analogues. Outre la question de prudence, il est évident que, sans les difficultés qu'il y a de parvenir à eux, les souverains seraient assaillis de prétendus révélateurs. En ces derniers temps, que de gens se sont crus appelés à de pareilles missions, qui n'étaient autres que le résultat d'obsessions où leur orgueil était mis en jeu à leur insu, et ne pouvait aboutir qu'à des mystifications ! A tous ceux qui ont cru devoir nous consulter en pareil cas, nous avons toujours dit, en leur démontrant les signes évidents par lesquels se trahissaient les Esprits menteurs : « Gardez-vous d'aucune démarche qui tournerait infailliblement à votre confusion. Soyez certains que si votre mission est réelle, vous serez mis à même de l'accomplir ; que si vous devez vous trouver à un moment donné sur un lieu donné, vous y serez conduits à votre insu par des circonstances qui auront l'air d'être un effet du hasard. Soyez assurés, en outre, que lorsqu'une chose est dans les desseins de Dieu, il faut qu'elle soit, et qu'il n'en subordonne pas la réalisation au bon ou au mauvais vouloir des hommes. Défiez-vous des missions assignées et prônées à l'avance, car ce ne sont que des appâts pour l'orgueil ; les missions se révèlent par des faits. Défiez-vous aussi des prédictions à jours et heures fixes, car elles ne sont jamais le fait d'Esprits sérieux. » Nous avons été assez heureux pour en arrêter plus d'un à qui les évènements out pu prouver la prudence de ces conseils.

Il y a, comme on le voit, plus d'une similitude entre ces faits et ceux de Jeanne d'Arc, non qu'il y ait aucune comparaison à établir quant à l'importance des résultats accomplis, mais quant à la cause du phénomène, qui est exactement la même, et, jusqu'à un certain point, quant au but. Comme Jeanne d'Arc, Martin fut averti par un être du monde spirituel d'aller parler au roi pour sauver la France d'un péril, et, comme elle aussi, ce n'est pas sans difficultés qu'il parvint jusqu'à lui. Il y a toutefois entre les deux manifestations cette différence que Jeanne d'Arc entendait simplement les voix qui la conseillaient, tandis que Martin vit constamment l'individu qui lui parlait, non point en songe ou dans un sommeil extatique, mais sous les apparences d'un être vivant, comme le serait un agénère.

Mais à un autre point de vue, les faits arrivés à Martin, quoique moins éclatants, n'en ont pas moins une grande portée, comme preuve de l'existence du monde spirituel et de ses rapports avec le monde corporel, et parce qu'étant contemporains et d'une notoriété incontestable, ils ne peuvent être mis au rang des histoires légendaires. Par leur retentissement, ils ont servi de jalons au Spiritisme qui devait, à quelques années de là, en confirmer la possibilité par une explication rationnelle, et par la loi en vertu de laquelle ils se produisent, les faire passer du domaine du merveilleux dans celui des phénomènes naturels ; grâce au Spiritisme, il n'est pas une seule des phases qu'ont présentées les révélations de Martin, dont on ne puisse se rendre parfaitement compte.

Martin était un médium inconscient, doué d'une aptitude dont les Esprits se sont servis, comme d'un instrument, pour arriver à un résultat déterminé, et ce résultat était loin d'être tout entier dans la révélation faite à Louis XVIII. L'Esprit qui s'est manifesté à Martin le caractérise parfaitement en disant : « Je me sers de vous pour abattre l'orgueil et l'incrédulité. » Cette mission est celle de tous les médiums destinés à prouver, par des faits de tous genres, l'existence du monde spirituel, et d'une puissance supérieure à l'humanité, car tel est le but providentiel des manifestations. Nous ajouterons que le roi lui-même a été un instrument dans cette circonstance ; il fallait une position aussi élevée que la sienne, la difficulté même de parvenir à lui, pour que l'affaire eût du retentissement, et l'autorité d'une chose officielle. Les investigations minutieuses auxquelles Martin fut soumis ne pouvaient qu'ajouter à l'authenticité des faits, car on n'eût pas pris toutes ces précautions pour un simple particulier ; la chose eût passé presque inaperçue, tandis qu'on s'en souvient encore aujourd'hui, et qu'elle fournit une preuve authentique à l'appui des phénomènes spirites.



[1] Les détails circonstanciés et les preuves à l'appui se trouvent dans un ouvrage intitulé : Le passé et l'avenir expliqués par les évènements extraordinaires arrivés à Thomas Martin, laboureur de la Beauce. Paris, 1832, chez Bricon, libraire, rue du Vieux-Colombier, 19 ; Marseille, même maison, rue du Saint-Sépulcre, 17. Cet ouvrage épuisé est très rare aujourd'hui.



Le Prince de Hohenlohe, médium guérisseur

La médiumnité guérissante est à l'ordre du jour, et tout ce qui se rattache à cette question offre un intérêt d'actualité. Nous empruntons à la Vérité de Lyon, du 21 octobre 1866, l'article suivant sur les guérisons du prince de Hohenlohe, qui firent une grande sensation dans le temps. Cette notice fait partie d'une série d'articles très instructifs sur les médiums guérisseurs.

A ce sujet, nous sommes heureux de constater que la Vérité, qui en est à sa quatrième année, poursuit avec succès le cours de ses savantes et intéressantes publications, qui jettent la lumière sur l'histoire du Spiritisme, et nous le montrent partout, dans l'antiquité comme dans les temps modernes. Si, sur certains points, nous ne partageons pas toutes les opinions de son principal rédacteur, M. A. P…, nous n'en reconnaissons pas moins que, par ses laborieuses recherches, il rend à la cause un service réel qu'apprécient tous les Spirites sérieux.

En effet, prouver que la doctrine spirite actuelle n'est que la synthèse de croyances universellement répandues, partagées par des hommes dont la parole fait autorité et qui ont été nos premiers maîtres en philosophie, c'est montrer qu'elle n'est pas assise sur la base fragile de l'opinion d'un seul. Que désirent les Spirites, si ce n'est de trouver le plus d'adhérents possible à leurs croyances ? Ce doit donc être pour eux une satisfaction, en même temps qu'une consécration de leurs idées, d'en trouver même avant eux. Nous n'avons jamais compris que des hommes de bon sens aient pu conclure contre le Spiritisme moderne de ce qu'il n'est pas le premier inventeur des principes qu'il proclame, tandis que c'est là précisément ce qui fait une partie de sa force et doit l'accréditer. Exciper de son ancienneté pour le dénigrer, c'est se montrer souverainement illogique, et d'autant plus maladroit, qu'il ne s'est jamais attribué le mérite de la découverte première. C'est donc se méprendre étrangement sur les sentiments qui animent les Spirites, supposer à ceux-ci des idées bien étroites et une bien sotte prétention, de croire les molester en leur objectant que ce qu'ils professent était connu avant eux, alors qu'ils sont les premiers à fouiller dans le passé pour y découvrir les traces de l'ancienneté de leurs croyances, qu'ils font remonter aux premiers âges du monde, parce qu'elles sont fondées sur les lois de la nature qui sont éternelles.

Aucune grande vérité n'est sortie de toutes pièces du cerveau d'un individu ; toutes, sans exceptions, ont eu des précurseurs qui les ont pressenties ou en ont entrevu quelques parties ; le Spiritisme s'honore donc de compter les siens par milliers et parmi les hommes le plus justement considérés ; les mettre en lumière, c'est montrer le nombre infini de points par lesquels il se rattache à l'histoire de l'humanité.

Mais nulle part on ne trouve le Spiritisme complet ; sa coordination en corps de doctrine, avec toutes ses conséquences et ses applications, sa corrélation avec les sciences positives, est une œuvre essentiellement moderne, mais partout on en trouve les éléments épars, mêlés aux croyances superstitieuses dont il a fallu faire le triage ; si l'on réunissait les idées qui se trouvent disséminées chez la plupart des philosophes anciens et modernes, chez les écrivains sacrés et profanes, les faits innombrables et infiniment variés qui se sont produits à toutes les époques, et qui attestent les rapports du monde visible et du monde invisible, on arriverait à constituer le Spiritisme tel qu'il est aujourd'hui : c'est l'argument invoqué contre lui par certains détracteurs. Est-ce ainsi qu'il a procédé ? Est-ce une compilation d'idées anciennes rajeunies par la forme ? Non, il est sorti tout entier des observations récentes, mais loin de se croire amoindri par ce qui a été dit et observé avant lui, il s'en trouve fortifié et grandi.

Une histoire du Spiritisme avant l'époque actuelle est encore à faire. Un travail de cette nature, fait consciencieusement, écrit avec précision, clarté, sans longueurs superflues et fastidieuses qui en rendraient la lecture pénible, serait un ouvrage éminemment utile, un document précieux à consulter. Ce serait plutôt une œuvre de patience et d'érudition qu'une œuvre littéraire, et qui consisterait principalement dans la citation des passages des divers écrivains qui ont émis des pensées, des doctrines ou des théories qui se retrouvent dans le Spiritisme d'aujourd'hui. Celui qui fera ce travail consciencieusement aura bien mérité de la doctrine.

Revenons à notre sujet, dont nous nous sommes quelque peu écartés sans le vouloir, mais non peut-être sans utilité.

Le Spiritisme moderne n'a pas plus découvert ni inventé la médiumnité guérissante et les médiums guérisseurs que les autres phénomènes spirites. Dès lors que la médiumnité guérissante est une faculté naturelle soumise à une loi, comme tous les phénomènes de la nature, elle a dû se produire à diverses époques, ainsi que le constate l'histoire, mais il était réservé à notre temps, à l'aide des nouvelles lumières que nous possédons, d'en donner une explication rationnelle, et de la faire sortir du domaine du merveilleux. Le prince de Hohenlohe nous en offre un exemple d'autant plus remarquable, que les faits se passaient avant qu'il ne fût question du Spiritisme et des médiums. Voici le résumé qu'en donne le journal la Vérité :

« En l'année 1829, il vint à Wurtzbourg, ville considérable de Bavière, un saint prêtre, le prince de Hohenlohe. Des infirmes et des malades allèrent lui demander, pour obtenir du ciel leur guérison, le secours de ses prières. Il invoqua sur eux les grâces divines, et bientôt on vit un grand nombre de ces infortunés guéris tout à coup. Le bruit de ces merveilles a retenti au loin. L'Allemagne, la France, la Suisse, l'Italie, une grande partie de l'Europe en sont instruites. De nombreux écrits sont publiés, qui en perpétueront le souvenir. Parmi les témoignages authentiques et dignes de foi qui certifient la réalité des faits, il suffit ici d'en transcrire quelques-uns, dont l'ensemble forme une preuve convaincante.

« Voici d'abord un extrait de ce qu'a écrit sur ce sujet M. Scharold, conseiller de légation à Wurtzbourg, et témoin d'une grande partie des choses qu'il rapporte.

« Depuis deux années, une princesse de dix-sept ans, Mathilde de Schwartzemberg, fille du prince de ce nom, se trouvait dans la maison de santé du M. Haine, à Wurtzbourg. Il lui était absolument impossible de marcher. En vain les médecins les plus fameux de France, d'Italie et d'Autriche, avaient épuisé toutes les ressources de leur art pour guérir la princesse de cette infirmité. Seulement M. Haine, qui s'était aidé des lumières et de l'expérience du célèbre médecin, M. Textor, avait réussi, à force de soins prodigués à la malade, à la mettre en état de se tenir debout ; et elle-même, en faisant des efforts, était parvenue à exécuter quelques mouvements comme pour marcher, mais sans marcher réellement. Eh bien ! le 20 juin 1821, elle a quitté le lit tout d'un coup, et marché très librement.

« Voici comment la chose est arrivée. Le prince de Hohenlohe alla le matin, vers dix heures, faire une visite à la princesse, qui demeure chez M. de Reinach, doyen du chapitre. Lorsqu'il fut entré dans son appartement, il lui demanda, comme en conversation, en présence de sa gouvernante, si elle avait une foi ferme que Jésus-Christ pût la guérir de sa maladie. Sur sa réponse qu'elle en était intimement persuadée, le prince dit à la pieuse malade de prier du plus profond de son cœur et de mettre en Dieu sa confiance.

Quand elle eût cessé de prier, le prince lui donna sa bénédiction, et lui dit : « Allons, princesse, levez-vous ; à présent vous êtes guérie et vous pouvez marcher sans douleurs… » Tout le monde de la maison fut appelé sur-le-champ. On ne savait comment exprimer son étonnement d'une guérison si prompte et si incompréhensible. Tous tombèrent à genoux dans la plus vive émotion, et chantèrent les louanges du Tout-Puissant. Ils félicitèrent la princesse sur son bonheur, et joignirent leurs larmes à celles que la joie faisait couler de ses yeux.

Cette nouvelle, en se répandant par la ville, y a jeté l'étonnement. On courait en foule, pour s'assurer de l'événement par ses propres yeux. Le 21 juin, la princesse s'était déjà montrée en public. On ne saurait peindre le ravissement qu'elle éprouva, en se voyant sortie de son état de souffrances cruelles.

Le 25, le prince de Hohenlohe a donné un autre exemple notable de la grâce qu'il possède. L'épouse d'un forgeron de la rue Semmels ne pouvait plus entendre même les coups des plus gros marteaux de sa forge. Elle a été trouvé le prince dans la cour du presbytère Hung, et l'a supplié de la secourir. Pendant qu'elle était à genoux, il lui imposa les mains sur la tête, et ayant prié quelque temps, les yeux élevés vers le ciel, il la prit par la main et la releva. Quel fut l'étonnement des spectateurs, quand cette femme, en se relevant, dit qu'elle entendait sonner l'horloge de l'église ! En retournant chez elle, elle ne se lassait pas de raconter à tous ceux qui l'interrogeaient ce qui venait de lui arriver.

Le 26, une personne illustre (le prince royal de Bavière) a été guérie sur-le-champ d'une maladie qui, selon les règles de la médecine, devait demander beaucoup de temps et donner beaucoup de peine. Cette nouvelle a porté une vive joie dans les cœurs des habitants de Wurtzbourg.

Le prince de Hohenlohe n'a pas moins bien réussi dans la guérison d'une malade qu'il avait essayé deux fois de guérir, mais qui, à chaque fois, n'avait obtenu qu'un léger soulagement. Cette guérison s'est opérée en la personne d'une belle-sœur de M. Broili, négociant. Elle était depuis longtemps affligée d'une paralysie très douloureuse. La maison a retenti de cris de joie.

Le même jour, la vue a été rendue à la veuve Balzano, qui, depuis plusieurs années, était complètement aveugle. Je me suis convaincu par moi-même de ce fait.

A peine sorti du spectacle de cette scène touchante, je fus témoin d'une autre cure, opérée dans la maison de M. le général D… Une jeune femme était si grièvement estropiée de la main droite, qu'elle ne pouvait s'en servir ni l'étendre. Elle fit sur-le-champ l'épreuve de sa parfaite guérison, en enlevant de la même main une chaise fort lourde.

Le même jour, un paralytique, dont le bras gauche était tout à fait dépéri, a été complètement guéri. Une cure de deux autres paralytiques se fit immédiatement après. Elle fut aussi complète et plus prompte encore.

Le 28, j'ai vu par moi-même avec quelle promptitude et quelle solidité le prince de Hohenlohe guérit des enfants. On lui en avait apporté un de la campagne, qui ne pouvait marcher qu'avec des béquilles. Peu de minutes après, cet enfant, transporté de joie, courait sans béquilles dans la rue. Sur ces entrefaites, un enfant muet, qui ne pouvait faire entendre que quelques sons inarticulés, fut amené au prince. Quelques minutes après, l'enfant se mit à parler. Bientôt une pauvre femme apporta sur son dos sa petite fille, estropiée des deux jambes. Elle la déposa aux pieds du prince. Un moment après, il rendit l'enfant à sa mère, qui vit alors sa fille courir et sauter de joie.

Le 29, une femme de Neustadt, paralytique et aveugle, lui fut amenée dans une charrette. Elle était aveugle depuis vingt-cinq ans. Environ à trois heures après-midi, elle se présenta au château de la résidence de notre ville, pour implorer le secours du prince de Hohenlohe, au moment où il entrait dans le vestibule qui est construit en forme d'une grande tente. Tombant aux pieds du prince, elle le supplia, au nom de Jésus-Christ, de lui accorder son secours. Le prince pria pour elle, lui donna sa bénédiction, et lui demanda si elle croyait bien fermement qu'au nom de Jésus elle pût recouvrer la vue. Comme elle répondit que oui, il lui dit de se relever. Elle se retira. Mais à peine s'était-elle éloignée de quelques pas, que tout d'un coup ses yeux s'ouvrirent. Elle vit, et donna toutes les preuves qu'on lui demanda de la faculté qu'elle venait de recouvrer. Tous les témoins de cette guérison, parmi lesquels était un grand nombre de seigneurs de la cour, furent ravis d'admiration.

La cure d'une femme de l'Hôpital civil, qu'on avait apportée au prince, n'est pas moins étonnante. Cette femme, nommée Elisabeth Laner, fille d'un cordonnier, avait la langue si vivement affectée, qu'elle était parfois quinze jours sans pouvoir articuler une seule syllabe. Ses facultés mentales avaient beaucoup souffert. Elle avait presque perdu l'usage de ses membres, en sorte qu'elle était dans son lit comme une masse. Eh bien ! cette pauvre malheureuse s'est rendue aujourd'hui à l'Hôpital, sans le secours de personne. Elle jouit de tous ses sens, comme elle en jouissait il y a douze ans, et sa langue est si bien déliée, que personne dans l'hospice ne parle avec autant de volubilité qu'elle.

Le 30, dans l'après-midi le prince a donné un exemple extraordinaire de guérison. Un chariot, autour duquel s'étaient rassemblés des milliers de spectateurs, était venu de Musmerstadt. Dans ce chariot était un pauvre étudiant perclus de ses bras et de ses jambes, dépéri d'une manière effrayante.

Le prince, supplié par ce malheureux de le soulager, vint au chariot. Il pria environ cinq minutes, les mains jointes et élevées vers le ciel, parla plusieurs fois à l'étudiant ; et enfin lui dit : « Levez-vous, au nom de Jésus-Christ. » L'étudiant se leva effectivement, mais avec des souffrances qu'il ne put dissimuler. Le prince lui dit de ne pas perdre confiance. L'infortuné qui, quelques minutes auparavant, ne pouvait remuer ni bras ni jambes, se tint alors droit et parfaitement libre sur son chariot. Puis, tournant vers le ciel ses yeux, où l'on voyait peinte la plus tendre reconnaissance, il s'écria : « O Dieu ! vous m'avez secouru ! » Les spectateurs ne purent retenir leurs larmes.

Les guérisons miraculeuses opérées à Wurtzbourg par le prince de Hohenlohe pourraient fournir des sujets pour plus de cent tableaux d'ex-voto. »

On remarquera l'analogie frappante qui existe entre ces faits de guérisons et ceux dont nous sommes témoins. M. de Hohenlohe se trouvait dans les meilleures conditions pour le développement de sa faculté, aussi l'a-t-il conservée jusqu'à la fin. Comme à cette époque on n'en connaissait pas la véritable origine, elle était considérée comme un don surnaturel, et M. de Hohenlohe comme opérant des miracles. Mais pourquoi est-elle regardée par certaines personnes, chez les uns comme un don du ciel, et chez les autres comme une œuvre satanique ? Nous ne connaissons aucun médium guérisseur qui ait dit tenir son pouvoir du diable ; tous, sans exception, n'opèrent qu'en invoquant le nom de Dieu, et déclarent ne pouvoir rien faire sans sa volonté. Ceux mêmes qui ignorent le Spiritisme et agissent par intuition, recommandent la prière dans laquelle ils reconnaissent un auxiliaire puissant. S'ils agissaient de par le démon, il y aurait ingratitude à eux de le renier, et ce dernier n'est ni assez modeste, ni assez désintéressé pour laisser à celui qu'il cherche à combattre le mérite du bien qu'il fait, car ce serait perdre ses pratiques au lieu d'en recruter. Vit-on jamais un marchand vanter à ses clients la marchandise de son voisin aux dépens de la sienne, et les engager à aller chez lui ? En vérité, on a raison de rire du diable, car on en fait un être bien niais et bien stupide.

La communication suivante a été donnée par le prince de Hohenlohe à la Société de Paris :



Société de Paris, 26 octobre 1866, méd. M. Desliens.

Messieurs, je viens parmi vous avec d'autant plus de plaisir que mes paroles peuvent devenir pour tous un utile sujet d'instruction.

Faible instrument de la Providence, j'ai pu contribuer à faire glorifier son nom, et je viens volontiers parmi ceux qui ont pour but principal de se conduire selon ses lois, et d'avancer autant qu'il est en eux dans la voie de la perfection. Vos efforts sont louables, et je me considèrerai comme très honoré d'assister quelquefois à vos travaux. Venons-en, dès à présent, aux manifestations qui ont provoqué ma présence parmi vous.

Comme vous l'avez dit à juste titre, la faculté dont j'étais doué était simplement le résultat d'une médiumnité. J'étais instrument ; les Esprits agissaient, et, si j'ai pu quelque chose, ce n'est certainement que par mon grand désir de faire le bien et par la conviction intime que tout est possible à Dieu. Je croyais !… et les guérisons que j'obtenais venaient sans cesse faire grandir ma foi.

Comme toutes les facultés médianimiques qui concourent aujourd'hui à la vulgarisation de l'enseignement spirite, la médiumnité guérissante fut exercée dans tous les temps, et par des individus appartenant aux différentes religions. ‑ Dieu sème partout ses serviteurs les plus avancés pour en faire des jalons de progrès, chez ceux mêmes qui sont les plus éloignés de la vertu, et je dirai même, chez ceux-là surtout… Comme un bon père qui aime également tous ses enfants, sa sollicitude se répand sur tous, mais plus particulièrement sur ceux qui ont le plus besoin d'appui pour avancer. ‑ C'est ainsi qu'il n'est pas rare de rencontrer des hommes doués de facultés extraordinaires pour la foule, parmi les simples ; et, par ce mot, j'entends ceux dont la pureté des sentiments n'a pas été ternie par l'orgueil et l'égoïsme. Il est vrai que la faculté peut également exister chez des gens indignes, mais elle n'est et ne saurait être que passagère ; c'est un moyen énergique de leur ouvrir les yeux : tant pis pour eux s'ils s'obstinent à les tenir fermés.

Ils rentreront dans l'obscurité d'où ils sont sortis avec la confusion et le ridicule pour cortège, si même Dieu ne punit pas dès cette vie leur orgueil et leur obstination à méconnaître sa voix.

Quelle que soit la croyance intime d'un individu, si ses intentions sont pures, et s'il est entièrement convaincu de la réalité de ce qu'il croit, il peut, au nom de Dieu, opérer de grandes choses. La foi transporte les montagnes : elle rend la vue aux aveugles et l'entendement spirituel à ceux qui erraient auparavant dans les ténèbres de la routine et de l'erreur.

Quant à la meilleure manière d'exercer la faculté de médium guérisseur, il n'y en a qu'une : C'est de rester modeste et pur, et de rapporter à Dieu et aux puissances qui dirigent la faculté tout ce qui s'accomplit.

Ce qui perd les instruments de la Providence, c'est qu'ils ne se croient pas simplement instruments ; ils veulent que leurs mérites soient en partie cause du choix qui a été fait de leur personne ; l'orgueil les enivre et le précipice s'entrouvre sous leurs pas.

Elevé dans la religion catholique, pénétré de la sainteté de ses maximes, ayant foi en son enseignement comme tous mes contemporains, je considérais comme des miracles les manifestations dont j'étais l'objet. Aujourd'hui, je sais que c'est chose toute naturelle, et qui peut, qui doit s'accorder avec l'immuabilité des lois du Créateur pour que sa grandeur et sa justice demeurent intactes.

Dieu ne saurait faire de miracles !… car ce serait alors faire présumer que la vérité n'est pas assez forte pour s'affirmer elle-même, et d'autre part, il ne serait pas logique de démontrer l'éternelle harmonie des lois de la nature en les troublant par des faits en désaccord avec leur essence.

Quant à acquérir la faculté de médium guérisseur, il n'y a point de méthode pour cela ; tout le monde peut, dans une certaine mesure, acquérir cette faculté, et, en agissant au nom de Dieu, chacun fera des guérisons. Les privilégiés augmenteront en nombre à mesure que la doctrine se vulgarisera, et, c'est tout simple, puisqu'il y aura plus d'individus animés de sentiments purs et désintéressés.

Prince de Hohenlohe.



Variétés

Mademoiselle Dumesnil, jeune fille attractive

Plusieurs journaux ont parlé d'une jeune fille douée de la singulière faculté d'attirer à elle les meubles et autres objets placés dans un certain rayon, et d'enlever par le seul contact une chaise sur laquelle une personne est assise. Le Petit Journal du 4 novembre contenait à ce sujet l'article suivant :

« La pie blanche de Dinan n'est pas plus surprenante comme phénomène que la demoiselle magnétique indiquée dans l'envoi suivant.

Monsieur,

Je viens vous signaler un fait qui pourrait présenter beaucoup d'intérêt à vos lecteurs ; si vous vouliez vous donner la peine de le vérifier, vous y trouveriez une ample matière à de nombreux articles.

Une jeune fille, mademoiselle Dumesnil, âgée de treize ans, possède un fluide d'une force attractive extraordinaire, qui fait venir à elle tous les objets en bois qui l'entourent ; ainsi, les chaises, les tables et tout ce qui est en bois se dirige instantanément vers elle ; cette faculté s'est révélée chez cette jeune fille depuis environ trois semaines ; jusqu'à présent ce phénomène extraordinaire, et qu'on n'a pu encore expliquer, ne s'est manifesté qu'aux personnes de l'entourage de cette jeune fille, les voisins, etc., qui ont constaté le fait depuis quelques jours ; la faculté surprenante de cette jeune fille s'est répandue et on m'assure qu'elle est en voie de traiter avec un entrepreneur qui se propose de faire voir publiquement ce phénomène.

Dès hier elle est allée chez un grand personnage à qui on l'a signalée ; la publicité ne peut tarder de s'emparer de cet événement, et je m'empresse de vous en prévenir pour que vous en ayez la primeur.

Cette jeune fille exerce l'état de brunisseuse et reste avec ses parents, qui sont de pauvres gens.

Dans l'espoir que vous nous expliquerez ce mystère inexplicable, je vous prie de recevoir mes salutations bien sincères.

Brunet,

Employé, maison Christofle, 56, rue de Bondy.

Je n'en sais pas plus que vous, mon cher correspondant, en fait de science magnétique, et je regarde comme une simple curiosité votre charmeuse du chêne, du hêtre et de l'acajou, à laquelle je conseille de ne brûler, cet hiver, dans la cheminée… que du charbon… »



Voilà certes un phénomène étrange, bien digne d'attention, et qui doit avoir une cause. S'il est avéré qu'il n'est le fait d'aucun subterfuge, ce dont il est facile de s'assurer, et si les lois connues sont impuissantes à l'expliquer, il est évident qu'il révèle l'existence d'une force nouvelle ; or la découverte d'un principe nouveau peut être féconde en résultats. Ce qui est au moins aussi surprenant que ce phénomène, c'est de voir des hommes d'intelligence n'avoir pour de pareils faits qu'une dédaigneuse indifférence et des railleries de mauvais goût. Il n'était pourtant question ni d'Esprits ni de Spiritisme. Quelle conviction attendre de gens qui n'en ont aucune, qui n'en recherchent et n'en désirent aucune ? Quelle étude sérieuse peut-on en espérer ? S'efforcer de les convaincre, n'est-ce pas perdre son temps, user inutilement des forces que l'on pourrait mieux employer avec les hommes de bonne volonté, qui ne manquent pas ? Nous l'avons toujours dit : Avec les gens de parti pris, qui ne veulent ni voir ni entendre, ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de les laisser tranquilles et de leur prouver qu'on n'a pas besoin d'eux. Si quelque chose doit triompher de leur incrédulité, les Esprits sauront bien le trouver et l'employer quand le moment sera venu.

Pour en revenir à la jeune fille, ses parents, qui sont dans une position précaire, en voyant la sensation qu'elle produisait et le concours de gens notables qu'elle attirait, se dirent qu'il y avait sans doute là pour eux une source de fortune. Il ne faut pas leur en vouloir, car, ignorant jusqu'au nom du Spiritisme et des médiums, ils ne pouvaient comprendre les conséquences d'une exploitation de ce genre. Leur fille était pour eux un phénomène ; ils résolurent donc de l'installer sur les boulevards parmi les autres phénomènes. On fit mieux ; on l'installa au Grand-Hôtel, lieu plus convenable pour l'aristocratie productive. Mais, hélas ! les rêves dorés s'évanouirent bientôt. Les phénomènes ne se produisirent plus qu'à de rares intervalles et d'une manière si irrégulière qu'il fallut abandonner presque aussitôt le splendide séjour et retourner à l'atelier. Mettez donc en exhibition une faculté si capricieuse qui fait défaut juste au moment où les spectateurs qui ont payé leurs places sont rassemblés et attendent qu'on leur en donne pour leur argent ! En fait de phénomène, mieux vaut, pour la spéculation, avoir un enfant à deux têtes, parce qu'au moins il est toujours là. Que faire si l'on n'a pas des ficelles pour suppléer aux acteurs invisibles ? Le parti le plus honorable est de se retirer. Il paraît toutefois, d'après une lettre publiée dans un journal, que la jeune fille n'a pas entièrement perdu son pouvoir, mais il est sujet à de telles intermittences qu'il devient difficile de saisir le moment favorable.

Un de nos amis, Spirite éclairé et profond observateur, a pu être témoin du phénomène, et a été médiocrement satisfait du résultat. « Je crois, nous disait-il, à la sincérité de ces personnes, mais pour des incrédules, l'effet ne se produit pas, en ce moment, dans des conditions à défier tout soupçon. Je ne nie pas, sachant la chose possible, je constate mes impressions. Comme j'ai pris de soi-disant médiums à effets physiques en flagrant délit de fraude, je me suis rendu compte des manœuvres par lesquelles on peut simuler certains effets, et abuser les gens qui ne connaissent pas les conditions des effets réels, de sorte que je n'affirme qu'à bon escient ne m'en rapportant pas à mes yeux. Dans l'intérêt même du Spiritisme, mon premier soin est d'examiner si la fraude est possible, à l'aide de l'adresse, ou si l'effet peut être dû à une cause matérielle vulgaire. Du reste, a-t-il ajouté, on se défend là d'être Spirite, d'agir par les Esprits et même d'y croire. »

Il est à remarquer que depuis la mésaventure des frères Davenport, tous les exhibiteurs de phénomènes extraordinaires repoussent toute participation des Esprits dans leur affaire, et ils font bien ; le Spiritisme ne peut que gagner à ne pas être mêlé à ces parades. C'est un service de plus rendu par ces messieurs, car ce n'est pas par de tels moyens que le Spiritisme recrutera des prosélytes.

Une autre remarque, c'est que chaque fois qu'il s'agit de quelque manifestation spontanée ou d'un phénomène quelconque attribué à une cause occulte, on prend généralement pour experts des gens, des savants parfois, qui ne savent pas le premier mot de ce qu'ils doivent observer et qui viennent avec une idée préconçue de négation. Qui charge-t-on de décider s'il y a ou non intervention des Esprits ou une cause spirituelle ? Précisément des gens qui nient la spiritualité, qui ne croient pas aux Esprits et ne veulent pas qu'il y en ait. On est sûr d'avance de leur réponse. On se garderait bien de prendre l'avis de quiconque serait simplement soupçonné de Spiritisme, parce que, d'abord, ce serait accréditer la chose, et ensuite que l'on craindrait une solution contraire à celle qu'on veut. On ne réfléchit pas qu'un Spirite éclairé seul est apte à juger des circonstances dans lesquelles les phénomènes spirites peuvent se produire, comme un chimiste est seul apte à connaître la composition d'un corps, et qu'à cet égard les Spirites sont plus sceptiques que beaucoup de gens ; que loin d'accréditer, par complaisance, un phénomène apocryphe, ils ont tout intérêt à le signaler comme tel et à démasquer la fraude.

Il ressort toutefois de ceci une instruction : l'irrégularité même des faits est une preuve de sincérité ; s'ils étaient le résultat de quelque moyen factice, ils se produiraient à point nommé. C'est la réflexion que fait un journaliste qui était invité à aller au Grand-Hôtel ; il y avait ce jour-là quelques autres notables invités, et, malgré deux heures d'attente la jeune fille n'obtint pas le plus petit effet. « La pauvre petite, dit le journaliste, était désolée, et son visage trahissait l'inquiétude. Rassurez-vous, lui dit-il, non-seulement cet échec ne me décourage pas, mais il me porte à croire votre récit sincère. S'il y avait quelque charlatanisme ou quelque truc dans votre cas, vous n'eussiez pas manqué votre coup. Je reviendrai demain. » Il revint, en effet, cinq fois de suite sans plus de résultats ; la sixième fois elle avait quitté l'hôtel. « D'où je conclus, ajoute le journaliste, que la pauvre mademoiselle Dumesnil, après avoir bâti de beaux châteaux aux frais de ses vertus électromagnétiques, a dû reprendre sa place dans les ateliers de polissage de M. Ruolz. »

Les faits ayant été constatés, il est certain qu'il y avait en elle une disposition organique spéciale qui se prêtait à ce genre de phénomène ; mais, tout subterfuge à part, il est certain que si sa faculté eût dépendu de son organisme seul, elle l'aurait eue, comme la torpille et le gymnote, toujours à sa disposition. Puisque sa volonté, son plus ardent désir, étaient impuissants à produire le phénomène, il y avait donc dans ce fait une cause qui lui était étrangère. Quelle est cette cause ? Evidemment celle qui régit tous les effets médianimiques : le concours des Esprits sans lequel les médiums les mieux doués n'obtiennent rien. Mademoiselle Dumesnil est un exemple qu'ils ne sont aux ordres de personne. Tout éphémère qu'ait été sa faculté, elle a plus fait pour la conviction de certaines gens que si elle se fût produite à jours et heures fixes à son commandement devant le public, comme des tours de prestidigitation.

Rien, il est vrai, n'atteste d'une manière ostensible l'intervention des Esprits dans cette circonstance, car il n'y a pas d'effets intelligents, si ce n'est l'impuissance où est la jeune fille d'agir à sa volonté. La faculté, comme dans tous les effets médianimiques, est inhérente à elle ; l'exercice de la faculté peut dépendre d'une volonté étrangère. Mais en admettant même que les Esprits n'y soient pour rien, ce n'en est pas moins un phénomène destiné à appeler l'attention sur les forces fluidiques qui régissent notre organisme, et que tant de gens s'obstinent à nier.

Si cette force était ici purement électrique, elle dénoterait toutefois une importante modification dans l'électricité, puisqu'elle agit sur le bois à l'exclusion des métaux. Cela seul vaudrait bien la peine d'être étudié.

Revue de la Presse par rapport au Spiritisme

Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, les idées spirites sont dans l'air ; elles se font jour de mille manières sous la forme de romans ou sous celle de pensées philosophiques, et la presse les accueille pourvu que le mot Spiritisme ne soit pas prononcé. Nous ne suffirions pas à citer toutes les pensées qu'elle enregistre chaque jour, faisant ainsi du Spiritisme sans le savoir. Qu'importe le nom, si la chose y est ! Un jour, ces messieurs seront tout étonnés d'avoir fait du Spiritisme, comme M. Jourdain le fut d'avoir parlé en prose. Beaucoup de gens côtoient le Spiritisme sans s'en douter ; ils sont sur la lisière, alors qu'ils s'en croient bien loin. A l'exception des matérialistes purs qui sont certainement en minorité, on peut dire que les idées de la philosophie spirite courent le monde ; ce que beaucoup repoussent encore, ce sont les manifestations médianimiques, les uns par système, d'autres, parce qu'ayant mal observé, ils ont éprouvé des déceptions ; mais comme les manifestations sont des faits, il faudra bien, tôt ou tard, les accepter. Ils se défendent d'être Spirites, uniquement par l'idée fausse qu'ils attachent à ce mot. Que ceux qui n'y arrivent pas par la porte directe y arrivent par une porte détournée, le résultat est le même ; aujourd'hui l'impulsion est donnée, et le mouvement ne saurait s'arrêter.

D'un autre côté, ainsi que cela est annoncé, une multitude de phénomènes se produisent, qui paraissent s'écarter des lois connues et déroutent la science dans laquelle on en cherche vainement l'explication ; les passer sous silence quand ils ont une certaine notoriété, serait chose difficile ; or ces phénomènes, qui se présentent sous les aspects les plus variés, à force de se multiplier, finissent par éveiller l'attention et peu à peu familiarisent avec l'idée d'une puissance spirituelle en dehors des forces matérielles. C'est toujours un moyen d'arriver au but ; les Esprits frappent de tous les côtés et de mille manières différentes, de sorte que les coups portent toujours sur les uns ou sur les autres.

Parmi les pensées spirites que nous trouvons dans divers journaux, nous citerons les suivantes :

Dans le discours prononcé, le 11 novembre dernier, par M. d'Eichthal, l'un des rédacteurs du Temps, sur la tombe de M. Charles Duveyrier, l'orateur s'exprime ainsi :

« Duveyrier est mort dans un calme profond, plein de confiance en Dieu, de foi dans l'éternité de la vie, fier de ses longues années consacrées à l'élaboration et au développement d'une croyance qui doit racheter tous les hommes de la misère, du désordre et de l'ignorance, certain d'avoir payé sa dette, d'avoir rendu à la génération qui le suit plus qu'il n'avait reçu de celle qui l'avait précédé ; il s'est arrêté comme un vaillant ouvrier, sa tâche achevée, laissant à d'autres le soin de la poursuivre.

« Si sa dépouille mortelle n'a point traversé les temples consacrés pour arriver au champ de repos, ce n'est pas par un injuste dédain envers d'immortelles croyances, mais c'est qu'aucune des formules qui auraient été prononcées sur sa dépouille n'aurait rendu l'idée qu'il se faisait de la vie future. Duveyrier ne désirait pas, ne croyait pas aller dans le ciel, jouir sans fin d'une béatitude personnelle, pendant que la majorité des hommes resterait condamnée à des souffrances sans espoir ; plein de Dieu et vivant en Dieu, mais lié à l'humanité, c'est au sein de l'humanité qu'il espérait revivre pour concourir éternellement à cette œuvre de progrès qui la rapproche incessamment de l'idéal divin. » ‑ (Le Temps, 14 nov. 1866.)

M Duveyrier avait fait partie de la secte saint-simonienne ; c'est la croyance dont il est parlé ci-dessus, et au développement de laquelle il avait consacré plusieurs années de sa vie ; mais ses idées sur l'avenir de l'âme se rapprochaient beaucoup, comme on le voit, de celles qu'enseigne la doctrine spirite. Il ne faudrait pas inférer cependant de ces paroles : « C'est au sein de l'humanité qu'il espérait revivre, » qu'il crût à la réincarnation ; il n'avait, sur ce point, aucune idée arrêtée ; il entendait par là que l'âme, au lieu de se perdre dans l'infini, ou de s'absorber dans une béatitude inutile, restait dans la sphère de l'humanité, au progrès de laquelle elle concourait par son influence. Mais cette idée est précisément aussi ce qu'enseigne le Spiritisme ; c'est celle du monde invisible qui nous environne ; les âmes vivent au milieu de nous, comme nous vivons au milieu d'elles. M. Duveyrier était donc, à l'encontre de la plupart de ses confrères de la presse, non-seulement profondément spiritualiste, mais aux trois quarts spirite ; que lui manquait-il pour l'être complètement ? Probablement d'avoir su ce que c'était que le Spiritisme, car il en possédait les bases fondamentales : la croyance en Dieu, en l'individualité de l'âme, sa survivance et son immortalité ; en sa présence au milieu des hommes après la mort, et son action sur eux. Que dit de plus le Spiritisme ? Que ces mêmes âmes révèlent leur présence par une action directe, et que nous sommes incessamment en communion avec elles ; il vient prouver par des faits ce qui n'était chez M. Duveyrier et chez beaucoup d'autres, qu'à l'état de théorie et d'hypothèse.

On conçoit que ceux qui ne croient qu'à la matière tangible repoussent tout, mais il est plus surprenant de voir des spiritualistes rejeter la preuve de ce qui fait le fond de leur croyance. Celui qui retraçait ainsi les pensées de M. Duveyrier sur l'avenir de l'âme, M. d'Eichthal, son ami et son coreligionnaire en saint-simonisme, qui, probablement, partageait jusqu'à un certain point ses opinions, n'en est pas moins un adversaire déclaré du Spiritisme ; il ne se doutait guère que ce qu'il disait à la louange de M. Duveyrier était tout simplement une profession de foi spirite.

Les paroles suivantes, de M. Louis Jourdan, du Siècle, à son fils, ont été reproduites par le Petit Journal du 3 septembre 1866.

« Je te sens vivant, d'une vie supérieure à la mienne, mon Prosper, et quand sonnera ma dernière heure, je me consolerai de quitter ceux que nous avons aimés ensemble, en pensant que je vais te retrouver et te rejoindre. Je sais que cette consolation ne me viendra pas sans efforts ; je sais qu'il faudra la conquérir en travaillant courageusement à ma propre amélioration, comme à celle des autres ; je ferai du moins tout ce qu'il sera en mon pouvoir de faire pour mériter la récompense que j'ambitionne : te retrouver. Ton souvenir est le phare qui nous guide et le point d'appui qui nous soutient à travers les ténèbres qui nous enveloppent. Nous apercevons un point lumineux vers lequel nous marchons résolument ; ce point est celui où tu vis, mon fils, auprès de tous ceux que j'ai aimés ici-bas et qui sont partis avant moi pour leur vie nouvelle. »

Quoi de plus profondément spirite que ces douces et touchantes paroles ! M. Louis Jourdan est encore plus près du Spiritisme que M. Duveyrier, car depuis longtemps il croit à la pluralité des existences terrestres, ainsi qu'on a pu le voir par la citation que nous avons faite dans la Revue de décembre 1862, page 374. Il accepte la philosophie spirite, mais non le fait des manifestations, qu'il ne repousse pas absolument, mais sur lequel il n'est pas suffisamment éclairé. C'est cependant un phénomène assez grave, quant à ses conséquences, puisque seul il peut expliquer tant de choses incomprises qui se passent sous nos yeux, pour mériter d'être approfondi par un observateur tel que lui ; car si les rapports entre le monde visible et le monde invisible existent, c'est toute une révolution dans les idées, dans les croyances, dans la philosophie ; c'est la lumière jetée sur une foule de questions obscures ; c'est l'anéantissement du matérialisme ; c'est enfin la sanction de ses plus chères espérances à l'égard de son fils. Quels éléments les hommes qui se font les champions des idées progressives et émancipatrices puiseraient dans la doctrine s'ils savaient tout ce qu'elle renferme pour l'avenir ! Il en surgira, ce n'est pas douteux, qui comprendront la puissance de ce levier et sauront la mettre à profit.

L'Evènement du 4 novembre dernier rapportait l'anecdote suivante concernant le célèbre compositeur Glück. Lors de la première représentation d'Iphigénie, le 19 avril 1774, à laquelle assistaient Louis xvi et la reine Marie-Antoinette, celle-ci voulut couronner elle-même son ancien professeur de musique. Après la représentation, Glück, mandé dans la loge du roi, fut tellement ému qu'il ne put proférer une parole et eut à peine la force de remercier la reine du regard. En apercevant Marie-Antoinette, qui portait ce soir-là un collier de rubis, Glück se redressa : Grand Dieu ! s'écria-t-il, sauvez la reine ! sauvez la reine ! du sang ! du sang ! – Où ? s'écria-t-on de tous les côtés. ‑ Du sang ! du sang ! au cou ! cria le musicien. – Marie-Antoinette était tremblante. Vite un médecin, dit-elle, mon pauvre Glück devient fou. ‑ Le musicien était tombé dans un fauteuil. Du sang ! du sang ! murmura-t-il… Sauvez l'archiduchesse Marie… sauvez la reine ! ‑ Le malheureux maestro prend votre collier pour du sang, dit le roi à Marie-Antoinette ; il a la fièvre. ‑ La reine porta la main à son cou ; elle arracha le collier, et, saisie de terreur, elle le lança loin d'elle. On emporta Glück sans connaissance.

L'auteur de l'article termine ainsi :

Voilà, cher lecteur, l'histoire que me conta à l'Opéra le musicien allemand, et que j'ai relue le lendemain dans une biographie de l'immortel auteur d'Alceste. Est-elle vraie ? Est-ce de la fantaisie ? Je l'ignore. Mais ne serait-il pas possible que les hommes de génie, dont l'esprit élevé plane au-dessus de l'humanité, eussent, à de certaines heures d'inspiration, cette faculté mystérieuse qu'on appelle la seconde vue ? (Albert Wolff.)

M. Albert Wolff a décoché plus d'une flèche au Spiritisme et aux Spirites, et le voilà qui, de lui-même, admet la possibilité de la seconde vue, et, qui plus est, de la prévision par seconde vue. Il ne se doute probablement pas à quelles conséquences aboutit la reconnaissance d'une telle faculté. Encore un qui côtoie le Spiritisme sans s'en douter, sans peut-être oser se l'avouer, et qui ne lui en jette pas moins la pierre. Si on lui disait qu'il est Spirite, il sauterait d'indignation en s'écriant : Moi ! croire aux frères Davenport ! car pour la plupart de ces messieurs, le spiritisme est tout entier dans le tour des cordes. Nous nous souvenons que l'un d'eux, à qui un correspondant reprochait de parler du Spiritisme sans le connaître, répondit dans son journal : « Vous vous trompez ; j'ai étudié le Spiritisme à l'école des frères Davenport, et la preuve, c'est que cela m'a coûté 15 francs. » Nous croyons avoir cité le fait quelque part dans la Revue. Que peut-on leur demander de plus ? Ils n'en savent pas davantage.

Le Siècle du 27 août 1866 citait les paroles suivantes de madame George Sand, à propos de la mort de M. Ferdinand Pajot :

« La mort de M. Ferdinand Pajot est un fait des plus douloureux et des plus regrettables. Ce jeune homme, doué d'une beauté remarquable et appartenant à une excellente famille, était en outre un homme de cœur et d'idées généreuses. Nous avons été à même de l'apprécier chaque fois que nous avons invoqué sa charité pour les pauvres de notre entourage. Il donnait largement, plus largement peut-être que ses ressources ne l'autorisaient à le faire, et il donnait avec spontanéité, avec confiance, avec joie. Il était sincère, indépendant, bon comme un ange. Marié depuis peu de temps à une charmante jeune femme, il sera regretté comme il le mérite. Je tiens à lui donner, après cette cruelle mort, une tendre et maternelle bénédiction : illusion si l'on veut, mais je crois que nous entrons mieux dans la vie qui suit celle-ci quand nous y arrivons escortés de l'estime et de l'affection de ceux que nous venons de quitter. »

Madame Sand est plus explicite encore dans son livre de Mademoiselle de la Quintinie. On lit, page 318 : « Monsieur l'abbé, quand vous voudrez que nous fassions un pas vers votre église, commencez par nous faire voir un concile assemblé décrétant de mensonge et de blasphème l'enfer des peines éternelles, et vous aurez le droit de nous crier : « Venez à nous, vous tous qui voulez connaître Dieu. »

Page 320 : « Demander à Dieu d'éteindre nos sens, d'endurcir notre cœur, de nous rendre haïssables les liens les plus sacrés, c'est lui demander de renier et de détruire son œuvre, de revenir sur ses pas en nous faisant revenir nous-mêmes, en nous faisant rétrograder vers les existences inférieures, au-dessous de l'animal, au-dessous de la plante, peut-être au-dessous du minéral. »

Page 323 : « Quel que soit cependant votre sort parmi nous, vous verrez clair un jour au-delà de la tombe, et, comme je ne crois pas plus aux châtiments sans fin qu'aux épreuves sans fruit, je vous annonce que nous nous retrouverons quelque part où nous nous entendrons mieux, et où nous nous aimerons au lieu de nous combattre ; mais, pas plus que vous, je ne crois à l'impunité du mal et à l'efficacité de l'erreur. Je crois donc que vous expierez l'endurcissent de votre cœur par de grands déchirements de cœur dans quelque autre existence. »

A côté de ces pensées éminemment spirites, auxquelles il ne manque que le nom qu'on s'obstine à leur refuser, on en trouve encore parfois d'autres, un peu moins sérieuses, qui rappellent le beau temps des railleries plus ou moins spirituelles sous lesquelles on pensait étouffer le Spiritisme. On en peut juger par les échantillons suivants, qui sont comme les fusées perdues du feu d'artifice.

M. Ponson de Terrail, dans son Dernier mot de Rocambole, publié en en feuilleton dans le Figaro, s'exprime ainsi :

« Cependant les Anglais en remontreraient aux Américains en matière de superstitions. Les tables tournantes, avant de faire chez nous le bonheur de cent mille imbéciles, ont passé plusieurs saisons à Londres et y ont reçu une hospitalité des plus courtoises. Petit à petit le récit du fossoyeur avait fait le tour de Hampstead, ville célèbre par ses ânes et ses âniers, et les gros bonnets de l'endroit n'avaient pas hésité un seul instant à décider que le cottage était, la nuit, hanté par des Esprits. »

M. Ponson du Terrail, qui octroie si généreusement un brevet d'imbécillité à cent mille individus, croit naturellement avoir plus d'esprit qu'eux, mais il ne croit pas avoir un Esprit en lui, sans cela il est probable qu'il ne l'enverrait pas au pays des ânes.

Mais quel rapport, dira-t-il sans doute, peut-il y avoir entre des tables tournantes et les sublimes pensées que vous avez citées tout à l'heure ? Il y a, répondrons-nous, le même rapport qui existe entre votre corps quand il valse et votre esprit qui le fait valser ; entre la grenouille qui dansait dans le plat de Galvani, et le télégraphe transatlantique ; entre la pomme qui tombe et la loi de gravitation qui régit le monde. Si Galvani et Newton n'eussent pas médité sur ces phénomènes si simples et si vulgaires, nous n'aurions pas aujourd'hui tout ce que l'industrie, les arts et les sciences en ont tiré. Si cent mille imbéciles n'eussent pas cherché la cause qui fait tourner les tables, nous ignorerions encore aujourd'hui l'existence et la nature du monde invisible qui nous entoure ; nous ne saurions d'où nous venons avant de naître, et où nous allons en mourant. Parmi ces cent mille imbéciles, beaucoup croiraient peut-être encore aux démons cornus, aux flammes éternelles, à la magie, aux sorciers et aux sortilèges. Les tables tournantes sont aux pensées sublimes sur l'avenir de l'âme ce que le germe est à l'arbre qui en est sorti : ce sont les rudiments de la science de l'homme.

On lisait dans l'Echo d'Oran du 24 avril 1866 :

« Il vient de se passer à El-Afroun un fait qui a péniblement affecté notre population. Un des plus anciens habitants de notre village, M. Pagès, vient de mourir. Vous savez qu'il était imbu des idées, ‑ j'allais dire des folies, ‑ de M. Allan Kardec et qu'il faisait profession de Spiritisme. En dehors de cette lubie, c'était un parfait honnête homme, estimé de tous ceux qui le connaissaient. Aussi, on a été très étonné d'apprendre que M. le curé ait refusé de l'enterrer, sous prétexte que le Spiritisme est contraire au christianisme. N'y a-t-il pas dans l'Evangile : « Rendez le bien pour le mal, » et si ce pauvre M. Pagès est coupable d'avoir cru au Spiritisme, n'était-ce pas une raison de plus pour prier pour lui ! »

M. Pagès, que nous connaissions par correspondance depuis longtemps, nous écrivait ceci :

« Le Spiritisme a fait de moi un tout autre homme ; avant de le connaître, j'étais comme bien d'autres ; je ne croyais à rien, et cependant je souffrais à la pensée qu'en mourant tout est fini pour nous. J'en éprouvais parfois un profond découragement, et je me demandais à quoi sert de faire le bien. Le Spiritisme m'a fait l'effet d'un rideau qui se lève pour nous montrer une décoration magnifique. Aujourd'hui je vois clair ; l'avenir n'est plus douteux, et j'en suis bien heureux ; vous dire le bonheur que j'en éprouve m'est impossible ; il me semble que je suis comme un condamné à mort à qui on vient dire qu'il ne mourra pas, et qu'il va quitter sa prison pour aller dans un beau pays vivre en liberté. N'est-ce pas, cher monsieur, que c'est l'effet que cela doit faire ? Le courage m'est revenu avec la certitude de vivre toujours, parce que j'ai compris que ce que nous en acquérons en bien n'est pas en pure perte ; j'ai compris l'utilité de faire le bien ; j'ai compris la fraternité et la solidarité qui relient tous les hommes. Sous l'empire de cette pensée, je me suis efforcé de m'améliorer. Oui, je puis vous le dire sans vanité, je me suis corrigé de bien des défauts, quoiqu'il m'en reste encore beaucoup. Je sens maintenant que je mourrai tranquille, parce que je sais que je ne ferai que changer un mauvais habit qui me gêne, contre un neuf dans lequel je serai plus à mon aise. »

Voilà donc un homme qui, aux yeux de certaines personnes, était raisonnable, sensé quand il ne croyait à rien, et qui est taxé de folie sur le seul fait d'avoir cru à l'immortalité de son âme par le Spiritisme ; et ce sont ces mêmes personnes, qui ne croient ni à l'âme ni à la prière, qui lui ont jeté la pierre pour ses croyances, de son vivant, et le poursuivent de leurs sarcasmes jusqu'après sa mort, qui invoquent l'Evangile contre l'acte d'intolérance et le refus de prières dont il a été l'objet, lui qui n'a cru à l'Evangile et à la prière que par le Spiritisme !

Saint Augustin accusé de crétinisme

Sous le titre de Crétinisme, la Vedette du Limbourg, journal de Tongres, en Belgique, du 1er septembre 1866, contient l'article suivant, reproduit d'après la Gazette de Huy :

« Un livre, donné en prix dans un pensionnat de religieuses, nous est tombé sous la main. Nous l'avons ouvert, et le hasard nous a fait lire, entre autres curieux passages, le suivant, bien digne, nous paraît-il, d'être mis sous les yeux du lecteur. Il y est question du rôle joué par les anges. Quiconque le parcourra ne manquera certainement pas de se demander comment il est possible qu'un ouvrage renfermant de pareilles absurdités puisse trouver un éditeur ! A notre avis, celui qui imprime de semblables âneries est aussi coupable que celui qui les écrit. Oui, nous ne craignons pas de l'affirmer, auteur et imprimeur doivent être passés maîtres en crétinisme pour oser lancer de pareils défis à la raison, à la science, que disons-nous ! au plus vulgaire bon sens. Voici le passage dont il s'agit :

« Selon saint Augustin, le monde visible est gouverné par des créatures invisibles, par de purs Esprits, et même il y a des anges qui président à chaque chose visible, à toutes les espèces de créatures qui sont dans le monde, soit qu'elles soient animées, soit qu'elles soient inanimées.

Les cieux et les astres ont leurs anges moteurs ; les eaux ont un ange particulier, comme il est rapporté en l'Apocalypse ; l'air a ses anges qui gouvernent les vents, comme il se voit dans le même livre, qui nous apprend de plus que l'élément du feu a aussi les siens. Les royaumes ont leurs anges ; les provinces en ont aussi qui les gardent, comme on le remarque dans la Genèse, car les anges qui apparurent à Jacob étaient les gardiens des provinces par où il passait, etc. »

On peut juger par cet échantillon du genre de lecture que fait la jeunesse élevée dans les couvents. Est-il possible de concevoir, ‑ on nous passera l'expression, ‑ quelque chose de plus profondément stupide ?

Pour combler la mesure, l'éditeur fait précéder l'ouvrage d'un avertissement où l'on peut lire ces lignes : « Dans son livre, qui ne convient pas moins aux ecclésiastiques qu'aux laïques, l'auteur déploie une force de raison et de style qui éclaire et assujettit l'esprit ; de sa plume découle une onction qui pénètre et gagne le cœur. C'est l'œuvre d'un homme profondément versé dans la spiritualité. »

Nous disons, nous : c'est l'œuvre d'un homme devenu fou d'ascétisme, bien plus à plaindre qu'à blâmer. »

Jusqu'à présent saint Augustin a été respecté de ceux mêmes qui ne partagent pas ses croyances. Malgré des erreurs manifestes qui tenaient à l'état des connaissances scientifiques de son temps, il est universellement considéré comme un des génies, une des gloires de l'humanité, et voilà que d'un trait de plume, un obscur écrivain, un de ces jeunes hommes qui se croient la lumière du monde, jette la boue sur cette renommée séculaire, prononce contre lui, de par sa haute raison, l'accusation de crétinisme, et cela parce que saint Augustin croyait à des créatures invisibles, à de purs Esprits présidant à toutes les choses visibles. A ce compte-là, que de crétins n'y a-t-il pas parmi les littérateurs contemporains les plus estimés ! Nous ne serions pas surpris de voir un jour accuser de crétinisme Chateaubriand, Lamartine, Victor Hugo, George Sand et tant d'autres. Voilà l'école qui aspire à régénérer la société par le matérialisme ; aussi prétend-elle que l'humanité tourne à la démence ; mais on peut être tranquille, son règne, si jamais il arrivait, sera de courte durée. Elle sent bien sa faiblesse contre l'opinion générale qui la repousse, c'est pourquoi elle s'agite avec une sorte de frénésie.




Notices bibliographiques

Nouveaux principes de philosophie médicale par le docteur Chauvet de Tours

Dans notre numéro d'octobre, nous n'avons pu qu'annoncer cet ouvrage, regrettant que l'étendue d'articles dont la publication ne pouvait être retardée nous ait empêché d'en rendre compte plus tôt.

Bien que, par sa spécialité, ce livre semble étranger aux matières qui nous occupent, il s'y rattache néanmoins par le principe même sur lequel il s'appuie, car l'auteur fait carrément intervenir le principe spiritualiste dans la science la plus entachée de matérialisme. Il ne fait pas de la spiritualité mystique comme quelques-uns la comprennent, mais, si l'on peut s'exprimer ainsi, de la spiritualité positive et scientifique. Il s'attache à démontrer l'existence du principe spirituel qui est en nous, sa connexion avec l'organisme à l'aide du lien fluidique qui les unit, le rôle important que ces deux éléments jouent dans l'économie, les erreurs inévitables dans lesquelles tombent forcément les médecins qui rapportent tout à la matière, et les lumières dont ils se privent en négligeant le principe spirituel. Le passage suivant indique suffisamment le point de vue sous lequel il envisage la question.

« En somme, dit-il (page 34), la constitution humaine résulte :

1° D'un principe spirituel, indépendant, ou âme immortelle ;

2° D'un corps fluidique permanent ;

3° D'un organisme matériel, dissoluble, animé pendant la vie par un fluide spécial.

« L'union temporaire du premier de ces éléments constitutifs avec le troisième s'opère par la combinaison de leurs fluides respectifs (fluide périsprital et fluide vital), d'où résulte un fluide mixte qui, en même temps qu'il pénètre tout le corps, rayonne autour de lui, parfois à de grandes distances et à travers tous les obstacles, ainsi que le démontrent les phénomènes magnétiques, somnambuliques et autres, que le matérialisme de toutes les couleurs repousse avec un dédain superbe sous prétexte de merveilleux et de jonglerie, parce qu'ils viennent battre en brèche ses théories insensées. »

De l'action de l'élément fluidique sur l'organisme, il arrive à la démonstration, en quelque sorte mathématique, de la puissance d'action des quantités infinitésimales sur l'économie. Cette démonstration nous a paru nouvelle, et l'une des plus claires que nous ayons lues. Nous laissons aux hommes spéciaux l'appréciation de la partie technique que nous ne discutons pas ; mais au point de vue philosophique, cet ouvrage est une des premières applications à la science positive des lois révélées par le Spiritisme, et, à ce titre, il a sa place marquée dans les bibliothèques spirites. Quoique le nom du Spiritisme ne soit pas même prononcé, l'auteur peut être assuré de n'avoir pas l'approbation des gens qui ont un parti pris de négation sur tout ce qui touche à la spiritualité.

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(1) Vol.in-12, prix 3fr. Tours, chez Guilland-Verger. — Paris, chez Baillère,19, rue Hautefeuillc.



Les dogmes de l'Église du Christ

Expliqués par le spiritisme par Apolon de Botinn (1).

Le sujet de ce livre présentait un écueil dangereux que l'auteur a prudemment évité en s'abstenant de traiter les questions qui ne sont pas à l'ordre du jour, et sur lesquelles le Spiritisme n'est pas encore appelé à se prononcer. Le Spiritisme n'admettant comme principes avoués que ceux qui ont reçu la sanction de l'enseignement général, les solutions qui peuvent être données sur les questions non encore élaborées, ne sont que des opinions personnelles des hommes ou des Esprits, susceptibles de recevoir plus tard le démenti de l'expérience ; ces solutions prématurées ne sauraient engager la responsabilité de la doctrine, mais elles pourraient égarer l'opinion publique en faisant croire qu'elle les accepte. C'est ce qu'a parfaitement compris M. de Boltinn, et nous l'en félicitons. Aussi son livre peut-il être avoué par le Spiritisme et mis au rang des ouvrages appelés à rendre service à la cause. Il est écrit avec prudence, modération, méthode et clarté. On voit que l'auteur a fait une étude approfondie des Ecritures saintes et des théologiens de l'Eglise latine et de l'Eglise grecque, dont il commente et explique les paroles en homme qui connaît le terrain sur lequel il se place. Ses arguments ont la force des faits, de la logique et de la concision. Que le livre de notre frère de Russie soit le bien venu parmi nous. C'est ainsi qu'au nom du Spiritisme, tous les peuples se donnent la main.


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(1) 1 vol. in-8°, traduit du russe, prix: 4fr. — Paris, chez Reinwald, 15, rue des Saints-Pères.




L'Union Spirite bordelaise

Nous apprenons avec une vive satisfaction que l'Union spirite bordelaise va reprendre le cours de ses publications, momentanément interrompues par une longue et grave maladie de son directeur, et des circonstances indépendantes de la volonté de celui-ci.


Sous presse

Sous presse : L'Echo poétique d'outre-tombe, poésies médianimiques, obtenues par M. Vavasseur. Ce recueil formera 1 vol. gr. in-18 de 200 pages environ, format du « Qu'est-ce que le Spiritisme ? » Prix : 2 fr. ; par la poste : 2 fr. 20 c.

Nécrologie : Madame Dozon ; M. Fournier ; M. D'Ambel.


Le spiritisme vient de perdre une de ses plus ferventes adeptes dans la personne de madame Dozon, veuve de M. Henri Dozon, auteur de plusieurs ouvrages sur le spiritisme, mort le 1er août 1865. Elle est décédée à Passy, le 22 novembre 1866.

Madame Dozon, atteinte d'une maladie organique incurable, était depuis longtemps dans un état de dépérissement et de souffrance extrêmes, et voyait chaque jour la mort s'approcher ; elle l'envisageait avec la sérénité d'une âme pure, qui a la conscience de n'avoir fait que le bien, et profondément convaincue que ce n'était que le passage d'une vie d'épreuves à une vie meilleure, au seuil de laquelle elle allait trouver, pour la recevoir, son cher mari et ceux qu'elle avait aimés. Ses prévisions n'ont point été déçues ; la vie spirituelle, à laquelle elle était initiée, a réalisé toutes ses espérances et au-delà. Elle y recueille les fruits de sa foi, de son dévouement, de sa charité envers ceux qui lui ont fait du mal, de sa résignation dans la souffrance, et du courage avec lequel elle a soutenu ses croyances contre ceux qui lui en faisaient un crime. Si, chez elle, le corps était affaibli, l'Esprit avait conservé toute sa force, toute sa lucidité jusqu'au dernier moment ; elle est morte avec toute sa connaissance, comme quelqu'un qui part en voyage, n'emportant avec elle aucune trace de fiel contre ceux dont elle avait eu à se plaindre. Son dégagement a été rapide, et le trouble de courte durée ; aussi a-t-elle pu se manifester avant même l'inhumation. Sa mort et son réveil ont été ceux d'un Spirite de cœur, qui s'est efforcé de mettre en pratique les préceptes de la doctrine.

Sa seule appréhension était d'être enterrée vivante, et cette pensée l'a poursuivie jusqu'à la fin. « Il me semble, disait-elle, que je me vois dans la fosse, et que j'étouffe sous la terre que j'entends tomber sur moi. » Depuis sa mort elle a expliqué cette crainte en disant que, dans sa précédente existence, elle était morte ainsi, et que la terrible impression que son Esprit en avait ressentie, s'était réveillée au moment de mourir de nouveau.

Aucune prière spirite n'a été dite ostensiblement sur sa tombe, pour ne pas froisser certaines susceptibilités, mais la Société spirite de Paris, dont elle avait fait partie, s'est réunie au lieu de ses séances, après la cérémonie funèbre, pour lui renouveler le témoignage de ses sympathies.

Le Spiritisme a vu partir un autre de ses représentants dans la personne de M. Fornier-Duplan, ancien négociant, décédé à Rochefort-sur-Mer, le 22 octobre 1866. M. Fornier-Duplan était depuis longtemps un adepte sincère et dévoué, comprenant le véritable but de la doctrine dont il s'efforçait de mettre en pratique les enseignements. C'était un homme de bien, aimé et estimé de tous ceux qui l'ont connu, un de ceux que le Spiritisme s'honore de compter dans ses rangs ; les malheureux perdent en lui un soutien. Il avait puisé dans ses croyances le remède contre le doute sur l'avenir, le courage dans les épreuves de la vie, et le calme de ses derniers instants. Comme madame Dozon et tant d'autres, il est parti plein de confiance en Dieu, sans appréhension de l'inconnu, car il savait où il allait, et sa conscience lui donnait l'espoir d'y être accueilli avec sympathie par les bons Esprits. Son espérance n'a pas été trompée non plus, et les communications qu'il a données prouvent qu'il y occupe la place réservée aux hommes de bien.

Une mort qui nous a surpris autant qu'affligé, est celle de M. d'Ambel, ancien directeur du journal l'Avenir, décédé le 17 novembre 1866. Ses obsèques ont eu lieu à l'église Notre-Dame de Lorette, sa paroisse. La malveillance des journaux qui en ont parlé s'est révélée, en cette circonstance, d'une manière regrettable, par leur affectation à faire ressortir, à exagérer, à envenimer, comme s'ils prenaient plaisir à retourner le fer dans la plaie, tout ce que cette mort pouvait avoir de pénible, sans égard pour les susceptibilités de famille, oubliant jusqu'au respect que l'on doit aux morts, quelles qu'aient été leurs opinions ou leurs croyances de leur vivant. Ces mêmes journaux eussent crié au scandale et à la profanation contre quiconque eût parlé de cette manière d'un des leurs ; mais nous avons vu, par la citation que nous avons faite plus haut, à propos de la mort de M. Pagès, que la tombe même n'est pas respectée par certains adversaires du Spiritisme.

Les hommes impartiaux rendront toutefois aux Spirites la justice de reconnaître que jamais ceux-ci ne se sont écartés du respect, des convenances et des lois de la charité, à la mort de ceux qui avaient été leurs plus grands ennemis, et qui les avaient attaqués avec le moins de ménagements ; ils se contentent de prier pour eux.

Nous avons vu avec plaisir le journal le Pays, du 25 novembre, quoique dans un article peu sympathique à la doctrine, relever avec énergie ce manque de procédé de quelques-uns de ses confrères, et blâmer, comme elle le mérite, l'immixtion de la publicité dans les choses intimes de la famille. Le Siècle du 19 novembre avait aussi rendu compte de l'événement avec tous les ménagements désirables. Nous ajouterons que le défunt ne laisse point d'enfants, et que sa veuve s'est retirée dans sa famille.


Avis

La Revue spirite commencera le 1er janvier prochain sa dixième année. MM. les abonnés, qui ne voudront pas éprouver de retard, sont priés de renouveler leur abonnement avant le 31 décembre.

Le numéro de janvier sera, comme d'habitude, adressé à tous les anciens abonnés ; les numéros suivants ne le seront qu'au fur et à mesure des renouvellements.


Allan Kardec.


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