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REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1866 > Novembre
Novembre
Mahomet et l'Islamisme
2e article. – Voir le n° d'août 1866.
C'est à Médine que Mahomet fit construire la première mosquée, à laquelle il travailla de ses propres mains, et qu'il organisa un culte régulier ; il y prêcha peur la première fois en 623. Toutes les mesures prises par lui témoignaient de sa sollicitude et de sa prévoyance : « Un trait caractéristique à la fois de l'homme et de son temps, dit M. Barthélemy Saint-Hilaire, c'est le choix que Mahomet dut faire de trois poètes de Médine, chargés officiellement de le défendre contre les satires des poètes mecquois. Ce n'était probablement pas que l'amour-propre fût plus excitable en lui qu'il ne convenait, mais chez une nation spirituelle et vive, ces attaques avaient un retentissement analogue à celui que les journaux peuvent avoir de nos jours, et elles étaient fort dangereuses. »
Nous avons dit que Mahomet fut contraint de se faire guerrier ; en effet, il n'avait nullement l'humeur belliqueuse, ainsi qu'il l'avait prouvé par les cinquante premières années de sa vie. Or, deux ans à peine s'étaient écoulés depuis son séjour à Médine, que les Coraychites de la Mecque, coalisés avec les autres tribus hostiles, vinrent assiéger la ville. Mahomet dut se défendre ; dès lors commença pour lui la période guerrière qui dura dix ans, et pendant laquelle il se montra surtout tacticien habile. Chez un peuple dont la guerre était l'état normal, qui ne connaissait de droit que celui de la force, il fallait au chef de la nouvelle religion le prestige de la victoire pour asseoir son autorité, même sur ses partisans. La persuasion avait peu d'empire sur ces populations ignorantes et turbulentes ; une trop grande mansuétude eût été prise pour de la faiblesse. Dans leur pensée, le Dieu fort ne pouvait se manifester que par un homme fort, et le Christ avec son inaltérable douceur, eût échoué dans ces contrées.
Mahomet fut donc guerrier par la force des circonstances, bien plus que par son caractère, et il aura toujours le mérite de n'avoir pas été le provocateur. Une fois la lutte engagée, il lui fallait vaincre ou périr ; à cette condition seule, il pouvait être accepté comme l'envoyé de Dieu ; il fallait que ses ennemis fussent terrassés pour se convaincre de la supériorité de son Dieu sur les idoles qu'ils adoraient. A l'exception d'un des premiers combats où il fut blessé, et les Musulmans défaits, en 625, ses armes furent constamment victorieuses, et, dans l'espace de quelques années, il soumit l'Arabie entière à sa loi. Lorsqu'il vit son autorité assise et l'idolâtrie anéantie, il se rendit triomphalement à la Mecque, après dix ans d'exil, suivi de près de cent mille pèlerins, et y accomplit le célèbre pèlerinage dit d'adieu, dont les Musulmans ont scrupuleusement conservé les rites. Il mourut la même année, deux mois après son retour à Médine, le 8 juin 632, à l'âge de soixante-deux ans.
Il faut juger Mahomet par l'histoire authentique et impartiale, non d'après les légendes ridicules que l'ignorance et le fanatisme ont répandues sur son compte, ou les peintures qu'en ont faites ceux qui avaient intérêt à le discréditer en le présentant comme un ambitieux sanguinaire et cruel. Il ne faut pas non plus le rendre responsable des excès de ses successeurs qui voulurent conquérir le monde à la foi musulmane le sabre à la main. Sans doute, il y a eu de grandes taches dans la dernière période de sa vie ; on peut lui reprocher d'avoir en quelques circonstances abusé du droit du vainqueur, et de n'avoir pas toujours agi avec toute la modération désirable. Cependant, à côté de quelques actes que notre civilisation réprouve, il faut dire, à sa décharge, qu'il s'est montré bien plus souvent humain et clément envers ses ennemis que vindicatif, et qu'il a maintes fois donné les preuves d'une véritable grandeur d'âme. Il faut reconnaître aussi qu'au milieu même de ses succès, et alors qu'il était arrivé au plus haut point de sa gloire, il s'est, jusqu'à son dernier jour, renfermé dans son rôle de prophète, sans jamais usurper une autorité temporelle despotique ; il ne s'est fait ni roi, ni potentat, et jamais, dans la vie privée, il ne s'est souillé d'aucun acte de froide barbarie, ni de basse cupidité ; il a toujours vécu simplement, sans faste et sans luxe, se montrant bon et bienveillant pour tout le monde. Ceci est de l'histoire.
Si l'on se reporte au temps et au milieu où il vivait, si l'on considère surtout les persécutions dont lui et les siens furent l'objet, l'acharnement de ses ennemis, et les actes de barbarie que ceux-ci commirent sur ses partisans, peut-on s'étonner que dans l'enivrement de sa victoire il ait parfois usé de représailles ? Est-on bien venu à lui reprocher d'avoir établi sa religion par le fer, chez un peuple barbare qui le combattait, quand la Bible enregistre, comme des faits glorieux pour la foi, des boucheries d'une atrocité telle qu'on est tenté de les prendre pour des légendes ? Quand, mille ans après lui, dans les contrées civilisées de l'Occident, des chrétiens, qui avaient pour guide la sublime loi du Christ, se ruant sur de paisibles victimes, étouffaient les hérésies par les bûchers, les tortures, les massacres, et dans des flots de sang ?
Si le rôle guerrier de Mahomet fut une nécessité pour lui, et si ce rôle peut l'excuser de certains actes politiques, il n'en est pas de même sous d'autres rapports. Jusqu'à l'âge de cinquante ans, et tant que vécut sa première femme Khadidja, de quinze ans plus âgée que lui, ses mœurs furent irréprochables ; mais de ce moment ses passions ne connurent aucun frein, et c'est incontestablement pour justifier l'abus qu'il en fit, qu'il consacra la polygamie dans sa religion. Ce fut son tort le plus grave, car c'est une barrière qu'il a élevée entre l'islamisme et le monde civilisé ; aussi sa religion n'a-t-elle pu, après douze siècles, franchir les limites de certaines races. C'est aussi le côté par lequel son fondateur se rabaisse le plus à nos yeux ; les hommes de génie perdent toujours de leur prestige quand ils se laissent dominer par la matière ; ils grandissent au contraire d'autant plus qu'ils s'élèvent davantage au-dessus des faiblesses de l'humanité.
Cependant le dérèglement des mœurs était tel à l'époque de Mahomet, qu'une réforme radicale était bien difficile chez des hommes habitués à se livrer à leurs passions avec une brutalité bestiale ; on peut donc dire qu'en réglementant la polygamie, il a mis des bornes au désordre et arrêté des abus bien plus graves ; mais la polygamie n'en restera pas moins le ver rongeur de l'Islamisme, parce qu'elle est contraire aux lois de la nature. Par l'égalité numérique des sexes, la nature elle-même a tracé la limite des unions. En permettant quatre femmes légitimes, Mahomet n'a pas songé que, pour que sa loi devînt celle de l'universalité des hommes, il faudrait que le sexe féminin fût au moins quatre fois plus nombreux que le sexe masculin.
Malgré ses imperfections, l'islamisme n'en a pas moins été un grand bienfait à l'époque où il a paru et pour le pays où il pris naissance, car il a fondé le culte de l'unité de Dieu sur les ruines de l'idolâtrie. C'était la seule religion possible pour ces peuples barbares auxquels il ne fallait pas demander de trop grands sacrifices à leurs idées et à leurs coutumes. Il leur fallait quelque chose de simple comme la nature au milieu de laquelle ils vivaient ; la religion chrétienne avait trop de subtilités métaphysiques ; aussi toutes les tentatives faites pendant cinq siècles pour l'implanter dans ces contrées, avaient complètement échoué ; le judaïsme même, trop ergoteur, y avait fait peu de prosélytes parmi les Arabes, quoique les Juifs proprement dits y fussent assez nombreux. Mahomet, supérieur à ceux de sa race, avait compris les hommes de son temps ; pour les tirer de l'abaissement dans lequel les maintenaient de grossières croyances descendues à un stupide fétichisme, il leur donna une religion appropriée à leurs besoins et à leur caractère. Cette religion était la plus simple de toutes : « Croyance en un Dieu unique, tout-puissant, éternel, infini, présent partout, clément et miséricordieux, créateur des cieux, des anges et de la terre, Père de l'homme, sur lequel il veille et qu'il comble de biens ; rémunérateur et vengeur dans une autre vie, où il nous attend pour nous récompenser ou nous punir selon nos mérites ; voyant nos actions les plus secrètes, et présidant à la destinée entière de ses créatures qu'il n'abandonne pas un seul instant, ni dans ce monde, ni dans l'autre ; soumission la plus humble et confiance absolue en sa volonté sainte : » voilà les dogmes.
Pour le culte, il consiste dans la prière répétée cinq fois par jour, le jeûne et les mortifications du mois de rhamadan, et dans certaines pratiques, dont plusieurs avaient un but hygiénique, mais dont Mahomet fit une obligation religieuse, telles que les ablutions quotidiennes, l'abstention du vin, des liqueurs enivrantes, de la chair de certains animaux, et que les fidèles se font un cas de conscience d'observer dans les plus minutieux détails. Le vendredi fut adopté pour le saint jour de la semaine, et la Mecque indiquée comme le point vers lequel tout Musulman doit se tourner en priant. Le service public dans les mosquées consiste en prières en commun, sermons, lecture et explication du Coran. La circoncision n'a pas été instituée par Mahomet, mais conservée par lui ; elle était pratiquée de temps immémorial chez les Arabes. La défense de reproduire par la peinture ou la sculpture aucun être vivant, hommes et animaux, a été faite en vue de détruire l'idolâtrie, et d'empêcher qu'elle ne se renouvelât. Enfin, le pèlerinage de la Mecque, que tout fidèle doit accomplir au moins une fois dans sa vie, est un acte religieux ; mais il avait un autre but à cette époque, un but politique, celui de rapprocher par un lien fraternel les diverses tribus ennemies, en les réunissant dans un commun sentiment de piété sur un même lieu consacré.
Au point de vue historique, la religion musulmane admet l'Ancien Testament dans son entier jusqu'à Jésus-Christ inclusivement, qu'elle reconnaît comme prophète. Selon Mahomet, Moïse et Jésus étaient des envoyés de Dieu pour enseigner la vérité aux hommes ; l'Evangile, de même que la loi du Sinaï, est la parole de Dieu ; mais les Chrétiens en ont détourné le sens. Il déclare, en termes explicites, qu'il n'apporte ni croyances nouvelles, ni culte nouveau, mais qu'il vient rétablir le culte du Dieu unique professé par Abraham. Il ne parle qu'avec respect des patriarches et des prophètes qui l'ont précédé : Moïse, David, Isaïe, Ézéchiel et Jésus-Christ ; du Pentateuque, des Psaumes et de l'Evangile. Ce sont les livres qui ont devancé et préparé le Coran. Loin de cacher les emprunts qu'il leur fait, il s'en vante, et leur grandeur est le fondement de la sienne. On peut juger de ses sentiments et du caractère de ses instructions par le fragment suivant du dernier discours qu'il prononça à la Mecque lors du pèlerinage d'adieu, peu de temps avant sa mort, et conservé dans l'ouvrage d'Ibn-Ishâc et d'Ibn-Ishâm :
« O peuples ! écoutez mes paroles ; car je ne sais si, une autre année, je pourrai me retrouver encore avec vous dans ce lieu. Soyez humains et justes entre vous. Que la vie et la propriété de chacun soient inviolables et sacrées pour les autres ; que celui qui a reçu un dépôt le rende fidèlement à qui le lui a remis. Vous paraîtrez devant votre Seigneur, et il vous demandera compte de vos actions. Traitez bien les femmes, elles sont vos aides, elles ne peuvent rien par elles seules. Vous les avez prises comme un bien que Dieu vous a confié, et vous avez pris possession d'elles par des paroles divines.
O peuples ! écoutez mes paroles et fixez-les dans vos esprits. Je vous ai tout révélé ; je vous laisse une loi qui vous préservera à jamais de l'erreur, si vous y restez fidèlement attachés ; une loi claire et positive, le livre de Dieu et l'exemple de son prophète.
O peuples ! écoutez mes paroles, et fixez-les dans vos esprits. Sachez que tout Musulman est le frère de l'autre ; que tous les Musulmans sont frères entre eux, que vous êtes tous égaux entre vous, et que vous n'êtes qu'une famille de frères. Gardez-vous de l'injustice ; personne ne doit la commettre au détriment de son frère : elle entraînerait votre perte éternelle.
O Dieu ! ai-je rempli mon message et terminé ma mission ? ‑ La foule qui l'entourait répondit : Oui, tu l'as accomplie. » Et Mahomet s'écria : O Dieu, daigne recevoir ce témoignage ! »
Voici maintenant le jugement que porte sur Mahomet, et l'influence de sa doctrine, un de ses historiographes, M. G. Weil, dans son ouvrage allemand intitulé : Mohammet der Prophet, pages 400 et suivantes :
« La doctrine de Dieu et des saintes destinées de l'homme, prêchée par Mahomet dans un pays qui était livré à la plus brutale idolâtrie, et qui avait à peine une idée de l'immortalité de l'âme, doit d'autant plus nous réconcilier avec lui, malgré ses faiblesses et ses fautes, que sa vie particulière ne pouvait exercer sur ses adhérents aucune influence fâcheuse. Loin de se donner jamais pour modèle, il voulait toujours qu'on le regardât comme un être privilégié, à qui Dieu permettait de se mettre au-dessus de la loi commune ; et, de fait, on l'a considéré de plus en plus sous ce jour spécial.
« Nous serions injustes et aveugles, si nous ne reconnaissions pas que son peuple lui doit encore autre chose de vrai et de bien. Il a réuni en une seule grande nation, croyant fraternellement à Dieu, les tribus innombrables des Arabes jusque-là ennemies entre elles. A la place du plus violent arbitraire, du droit de la force, et de la lutte individuelle, il a mis un droit inébranlable, qui, malgré ses imperfections, forme toujours la base de toutes les lois de l'Islamisme. Il a limité la vengeance du sang qui, avant lui, s'étendait jusqu'aux parents les plus éloignés, et il l'a bornée à celui-là seul que les juges reconnaissaient pour meurtrier. Il a bien mérité surtout du beau sexe, non-seulement en protégeant les filles contre l'atroce coutume qui les faisait souvent immoler par leurs pères ; mais en outre, en protégeant les femmes contre les parents de leurs maris, qui en héritaient comme d'une chose matérielle, et en les défendant contre les mauvais traitements des hommes. Il a restreint la polygamie, en ne permettant aux croyants que quatre femmes légitimes, au lieu de dix, comme c'était l'usage, surtout à Médine. Sans avoir entièrement émancipé les esclaves, il leur a été bon et utile de bien des manières. Pour les pauvres, il a non-seulement recommandé toujours la bienfaisance à leur égard, mais il a formellement établi un impôt en leur faveur, et il leur a fait une part spéciale dans le butin et le tribut. En défendant le jeu, le vin et toutes les boissons enivrantes, il a prévenu bien des vices, bien des excès, bien des querelles et bien des désordres.
Quoique nous ne regardions pas Mahomet comme un vrai prophète, parce qu'il a employé pour propager sa religion des moyens violents et impurs, parce qu'il a été trop faible pour se soumettre lui-même à la loi commune, et parce qu'il s'appelait le sceau des prophètes, tout en déclarant que Dieu pouvait toujours remplacer ce qu'il avait donné par quelque chose de mieux, il a le mérite, néanmoins, d'avoir fait pénétrer les plus belles doctrines de l'Ancien et du Nouveau Testament chez un peuple qui n'était éclairé par aucun rayon de la foi, et il doit à ce titre paraître, même à des yeux non mahométans, comme un envoyé de Dieu. »
Comme complément de cette étude, nous citerons quelques passages textuels du Coran, empruntés à la traduction de Savary :
Au nom du Dieu clément et miséricordieux. ‑ Louange à Dieu, souverain des mondes. ‑ La miséricorde est son partage. ‑ Il est le roi au jour du jugement. ‑ Nous t'adorons, Seigneur, et nous implorons ton assistance. – Dirige-nous dans le sentier du salut, ‑ dans le sentier de ceux que tu as comblés de tes bienfaits ; ‑ de ceux qui n'ont point mérité ta colère et se sont préservés de l'erreur. (Introduction, Sourate I.)
O mortels, adorez le Seigneur qui vous a créés, vous et vos pères, afin que vous le craigniez ; qui vous a donné la terre pour lit, et le ciel pour toit ; qui a fait descendre la pluie des cieux pour produire tous les fruits dont vous vous nourrissez. Ne donnez point d'associé au Très-Haut ; vous le savez. (Sourate II, v. 19 et 20.)
Pourquoi ne croyez-vous pas à Dieu ? Vous étiez morts, il vous a donné la vie ; il éteindra vos jours, et il en rallumera le flambeau. Vous retournerez à lui. ‑ Il créa pour votre refuge tout ce qui est sur la terre. Portant ensuite ses regards vers le firmament, il forma les sept cieux. C'est lui dont la science embrasse l'univers. (Sourate II, v. 26, 27.)
L'Orient et l'Occident appartiennent à Dieu ; vers quelque lieu que se tournent vos regards, vous rencontrerez sa face. Il remplit l'univers de son immensité et de sa science. ‑ Il a formé la terre et les cieux. Veut-il produire quelque ouvrage ? il dit : « Sois fait ; » et l'ouvrage est fait. ‑ Les ignorants disent : « Si Dieu ne nous parle, ou si tu ne nous fais voir un miracle, nous ne croirons point. » Ainsi parlaient leurs pères ; leurs cœurs sont semblables. Nous avons fait éclater assez de prodiges pour ceux qui ont la foi. (Sourate II, v. 109 à 112.)
Dieu n'exigera de chacun de nous que suivant ses forces. Chacun aura en sa faveur ses bonnes œuvres, et contre lui le mal qu'il aura fait. Seigneur, ne nous punis pas des fautes commises par oubli. Pardonne-nous nos péchés ; ne nous impose pas le fardeau qu'ont porté nos pères. Ne nous charge pas au-dessus de nos forces. Fais éclater pour tes serviteurs le pardon et l'indulgence. Aie compassion de nous ; tu es notre secours. Aide-nous contre les nations infidèles. (Sourate II, v. 296.)
O Dieu, roi suprême, tu donnes et tu ôtes à ton gré les couronnes et le pouvoir. Tu élèves et tu abaisses les humains à ta volonté ; le bien est dans tes mains : tu es le Tout-Puissant. ‑ Tu changes le jour en nuit, et la nuit en jour. Tu fais sortir la vie du sein de la mort, et la mort du sein de la vie. Tu verses tes trésors infinis sur ceux qu'il te plaît. (Sourate II, v. 25 et 26.)
Ignorez-vous combien de peuples nous avons fait disparaître de la face de la terre ? Nous leur avions donné un empire plus stable que le vôtre. Nous envoyions les nuages verser la pluie sur leurs campagnes ; nous y faisions couler des fleuves. Leurs crimes seuls ont causé leur ruine. Nous les avons remplacés par d'autres nations. (Sourate VI, v. 6.)
C'est à Dieu que vous devez le sommeil de la nuit et le réveil du matin. Il sait ce que vous faites pendant le jour. Il vous laisse accomplir la carrière de la vie. Vous reparaîtrez devant lui, et il vous montrera vos œuvres. – Il domine sur ses serviteurs. Il vous donne pour gardiens des anges chargés de terminer vos jours au moment prescrit. Il exécute soigneusement l'ordre du ciel. – Vous retournerez ensuite devant le Dieu de vérité. N'est-ce pas à lui qu'il appartient de juger ? Il est le plus exact des juges. ‑ Qui vous délivre des tribulations de la terre et des mers, lorsque, l'invoquant en public ou dans le secret de vos cœurs, vous vous écriez : « Seigneur, si tu écartes de nous ces maux, nous en serons reconnaissants ? » ‑ C'est Dieu qui vous en délivre. C'est sa bonté qui vous soulage de la peine qui vous oppresse ; et ensuite vous retournez à l'idolâtrie. (Sourate VI, v. 60 à 64.)
Tous les secrets sont dévoilés à ses yeux ; il est grand le Très-Haut. ‑ Celui qui parle dans le secret, celui qui parle en public, celui qui s'enveloppe des ombres de la nuit et celui qui paraît au grand jour, lui sont également connus. – C'est lui qui fait briller la foudre à vos regards pour vous inspirer la crainte et l'espérance. C'est lui qui élève les nuages chargés de pluie. ‑ Le tonnerre célèbre ses louanges. Les anges tremblent en sa présence. Il lance la foudre, et elle frappe les victimes marquées. Les hommes disputent de Dieu, mais il est le fort et le puissant. ‑ Il est l'invocation véritable. Ceux qui implorent d'autres dieux ne seront point exaucés. Ils ressemblent au voyageur qui, pressé par la soif, tend la main vers l'eau qu'il ne peut atteindre. L'invocation des infidèles se perd dans la nuit de l'erreur. (Sourate XIII, v. 10 à 15.)
Ne dis jamais : « Je ferai cela demain, » sans ajouter : « Si c'est la volonté de Dieu. » Elève vers lui ta pensée, lorsque tu as oublié quelque chose, et dis : « Peut-être qu'il m'éclairera et qu'il me fera connaître la vérité. (Sourate XVII, v. 23.)
Si les flots de la mer se changeaient en encre pour décrire les louanges du Seigneur, ils seraient épuisés avant d'avoir célébré toutes ses merveilles. Un autre océan semblable ne suffirait point encore. (Sourate XVIII, v. 109.)
Celui qui cherche la vraie grandeur la trouve en Dieu, source de toutes les perfections. Les discours vertueux montent vers son trône. Il exalte les bonnes œuvres ; il punit rigoureusement le scélérat qui trame des perfidies.
Non, le ciel ne révoque jamais l'arrêt qu'il a prononcé. ‑ N'ont-ils pas parcouru la terre ? n'ont-ils pas vu quelle a été la fin déplorable des peuples qui, avant eux, marchèrent dans les voies d'iniquité ? Ces peuples étaient plus forts et plus puissants qu'ils ne sont. Mais rien dans les cieux et sur la terre ne peut s'opposer aux volontés du Très-Haut. La science et la force sont ses attributs. ‑ Si Dieu punissait les hommes dès l'instant qu'ils sont coupables, il ne resterait point sur la terre d'être animé. Il diffère les châtiments jusqu'au terme marqué. ‑ Lorsque le temps est venu, il distingue les actions de ses serviteurs. (Sourate XXXV, v. 11, 41 à 45.)
Ces citations suffisent pour montrer le profond sentiment de piété qui animait Mahomet, et l'idée grande et sublime qu'il se faisait de Dieu. Le Christianisme pourrait revendiquer ce tableau.
Mahomet n'a point enseigné le dogme de la fatalité absolue, ainsi qu'on le croit généralement. Cette croyance, dont sont imbus les musulmans et qui paralyse leur initiative en maintes circonstances, n'est qu'une fausse interprétation et une fausse application du principe de la soumission à la volonté de Dieu poussé hors de ses limites rationnelles ; ils ne comprennent pas que cette soumission n'exclut pas l'exercice des facultés de l'homme, et il leur manque pour correctif la maxime : Aide-toi, le ciel t'aidera.
Les passages suivants ont trait à des points particuliers de doctrine.
Dieu a un fils, disent les Chrétiens. Loin de lui ce blasphème ! Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre lui appartient. Tous les êtres obéissent à sa voix. (Sourate II, v. 110.)
O vous qui avez reçu les Ecritures, ne passez pas les bornes de la foi ; ne dites de Dieu que la vérité. Jésus est fils de Marie, l'envoyé du Très-Haut et son Verbe. Il l'a fait descendre dans le sein de Marie ; il est son souffle. Croyez en Dieu et en ses apôtres ; mais ne dites pas qu'il y a une trinité en Dieu. Il est un : cette croyance vous sera plus sûre. Loin qu'il ait un fils, il gouverne seul le ciel et la terre ; il se suffit à lui-même. ‑ Le Messie ne rougira pas d'être le serviteur de Dieu, pas plus que les anges qui entourent son trône et lui obéissent. (Sourate IV, v. 169, 170.)
Ceux qui soutiennent la trinité de Dieu sont blasphémateurs ; il n'y a qu'un seul Dieu. S'ils ne changent de croyance, un supplice douloureux sera le prix de leur impiété. (Sourate V, v. 77.)
Les Juifs disent qu'Ozaï est le fils de Dieu. Les Chrétiens disent la même chose du Messie. Ils parlent comme les infidèles qui les ont précédés. Le ciel punira leurs blasphèmes. ‑ Ils appellent seigneurs leurs pontifes, leurs moines, et le Messie fils de Marie. Mais il leur est recommandé de servir un seul Dieu : Il n'y en a point d'autre. Anathème sur ceux qu'ils associent à son culte. (Sourate IX, v. 30, 31.)
Dieu n'a point de fils ; il ne partage point l'empire avec un autre Dieu. S'il en était ainsi, chacun d'eux voudrait s'approprier sa création et s'élever au-dessus de son rival. Louange au Très-haut ! Loin de lui ces blasphèmes ! (Sourate XXII, v. 93.)
Déclare, ô Mahomet, ce que le ciel t'a révélé. ‑ L'assemblée des génies ayant écouté la lecture du Coran, s'écria : « Voilà une doctrine merveilleuse. ‑ Elle conduit à la vraie foi. Nous croyons en elle, et nous ne donnons pas d'égal à Dieu. ‑ Gloire à sa Majesté suprême ! Dieu n'a point d'épouse ; il n'a point enfanté. » (Sourate LXII, v. 1 à 4.)
Dites : « Nous croyons en Dieu, au livre qui nous a été envoyé, à ce qui a été révélé à Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et aux douze tribus. Nous croyons à la doctrine de Moïse, de Jésus et des prophètes ; nous ne mettons aucune différence entre eux, et nous sommes musulmans. » (Sourate II, v. 130.)
Il n'y a de Dieu que le Dieu vivant et éternel. ‑ Il t'a envoyé le livre qui renferme la vérité, pour confirmer la vérité des Ecritures qui l'ont précédé. Avant lui, il fit descendre le Pentateuque et l'Evangile pour servir de guides aux hommes ; il a envoyé le Coran des cieux. ‑ Ceux qui nieront la doctrine divine ne doivent s'attendre qu'à des supplices ; Dieu est puissant et la vengeance est dans ses mains. (Sourate III, v. 1, 2, 3.)
Il en est qui disent : « Nous avons fait serment à Dieu de ne croire à aucun prophète, à moins que l'offrande qu'il présente ne soit confirmée par le feu du ciel. » ‑ Réponds-leur : « Vous aviez des prophètes avant moi ; ils ont opéré des miracles, et celui-là même dont vous parlez. Pourquoi alors avez-vous teint vos mains de leur sang, si vous dites la vérité ? ‑ S'ils nient ta mission, ils ont traité de même les apôtres qui t'ont précédé, quoiqu'ils fussent doués du don des miracles et qu'ils eussent apporté le livre qui éclaire (l'Evangile) et le livre des psaumes. (Sourate III, v. 179 à 181.)
Nous t'avons inspiré, comme nous avons inspiré Noé, les prophètes, Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob, les tribus, Jésus, Job, Jonas, Aaron et Salomon. Nous avons donné les psaumes de David. (Sourate IV, v. 161.)
Dans maints autres endroits, Mahomet parle dans le même sens et avec le même respect des prophètes, de Jésus et de l'Évangile ; mais il est évident qu'il s'est mépris sur le sens attaché à la Trinité, et à la qualité de fils de Dieu qu'il prend à la lettre. Si ce mystère est incompréhensible pour tant de chrétiens, et s'il a soulevé tant de commentaires et de controverses parmi eux, on ne doit pas s'étonner que Mahomet ne l'ait pas compris. Dans les trois personnes de la Trinité il a vu trois dieux, et non un seul Dieu en trois personnes distinctes ; dans le fils de Dieu, il a vu une procréation ; or, l'idée qu'il se faisait de l'Etre suprême était si grande, que la moindre parité entre Dieu et un être quelconque, et l'idée qu'il pouvait partager sa puissance, lui semblait un blasphème. Jésus ne s'étant jamais donné comme Dieu, et n'ayant point parlé de la Trinité, ces dogmes lui parurent une dérogation aux paroles mêmes du Christ. Il vit dans Jésus et l'Évangile la confirmation du principe de l'unité de Dieu, but qu'il poursuivait lui-même ; c'est pourquoi il les avait en grande estime, tandis qu'il accusait les Chrétiens de s'être écartés de cet enseignement, en fractionnant Dieu et en déifiant son messie. Aussi se dit-il envoyé après Jésus pour ramener les hommes à l'unité pure de la divinité. Toute la partie dogmatique du Coran repose sur ce principe qu'il répète à chaque pas.
L'Islamisme ayant ses racines dans l'ancien et le nouveau Testament, en est une dérivation ; on peut le considérer comme une des nombreuses sectes nées des dissidences qui surgirent dès l'origine du christianisme touchant la nature du Christ, avec cette différence que l'Islamisme, formé en dehors du christianisme, a survécu à la plupart de ces sectes, et compte aujourd'hui cent millions de sectateurs.
Mahomet venait combattre à outrance, dans sa propre nation, la croyance en plusieurs dieux, pour y rétablir le culte abandonné du Dieu unique d'Abraham et de Moïse ; l'anathème qu'il a lancé contre les infidèles et les impies avait surtout pour objet la grossière idolâtrie professée par ceux de sa race, mais il frappait par contrecoup les Chrétiens. Telle est la cause du mépris des Musulmans pour tout ce qui porte le nom de chrétien, malgré leur respect pour Jésus et l'Evangile. Ce mépris s'est transformé en haine sous l'influence du fanatisme entretenu et surexcité par leurs prêtres. Disons aussi que, de leur côté, les Chrétiens ne sont pas sans reproches, et qu'ils ont eux-mêmes alimenté cet antagonisme par leurs propres agressions.
Tout en blâmant les Chrétiens, Mahomet n'avait point pour eux des sentiments hostiles, et dans le Coran même il recommande d'user envers eux de ménagements, mais le fanatisme les a englobés dans la proscription générale des idolâtres et des infidèles dont la présence ne doit point souiller les sanctuaires de l'Islamisme, c'est pourquoi l'entrée des mosquées, de la Mecque et des lieux saints leur est interdite. Il en fut de même à l'égard des Juifs, et si Mahomet les a rudement châtiés à Médine, c'est qu'ils s'étaient ligués contre lui. Du reste, nulle part, dans le Coran, on ne trouve l'extermination des Juifs et des Chrétiens érigée en devoir, ainsi qu'on le croit généralement. Il serait donc injuste de lui imputer les maux causés par le zèle inintelligent et les excès de ses successeurs.
Nous t'avons inspiré d'embrasser la religion d'Abraham, qui reconnaît l'unité de Dieu et qui n'adore que sa majesté suprême. ‑ Emploie la voix de la sagesse et la force de la persuasion pour appeler les hommes à Dieu. Combats avec les armes de l'éloquence. Dieu connaît parfaitement ceux qui ont dans l'égarement et ceux qui marchent au flambeau de la foi. (Sourate XVI, v. 124, 126.)
S'ils t'accusent d'imposture, réponds-leur : « J'ai pour moi mes œuvres ; que les vôtres parlent en votre faveur. Vous ne serez point responsables de ce que je fais, et moi, je suis innocent de ce que vous faites. (Sourate X, v. 42.)
Quand s'accompliront tes menaces ? demandent les infidèles. Marque-nous en le terme, si tu es véridique. Réponds-leur : « Les trésors et les vengeances célestes ne sont pont dans mes mains ; Dieu seul en est le dispensateur. Chaque nation a son terme fixé ; elle ne saurait ni le hâter, ni le retarder un instant. » (Sourate X, v. 49, 50.)
Si l'on nie ta doctrine, sache que les prophètes venus avant toi subirent le même sort, quoique les miracles, la tradition et le livre qui éclaire (l'Evangile) attestassent la vérité de leur mission. (Sourate XXXV, v. 23.)
L'aveuglement des infidèles te surprend, et ils rient de ton étonnement. ‑ En vain tu veux les instruire : leur cœur rejette l'instruction. ‑ S'ils voyaient des miracles, ils s'en moqueraient ; ‑ ils les attribueraient à la magie. (Sourate XXXVII, v. 12 à 15.)
Ce ne sont pas là les ordres d'un Dieu sanguinaire qui commande l'extermination. Mahomet ne se fait point l'exécuteur de sa justice ; son rôle est d'instruire ; à Dieu seul appartient de punir ou de récompenser en ce monde et en l'autre. Le dernier paragraphe semble être écrit pour les Spirites de nos jours, tant les hommes sont toujours et partout les mêmes.
Faites la prière, donnez l'aumône ; le bien que vous ferez, vous le trouverez auprès de Dieu, parce qu'il voit vos actions. (Sourate II, v. 104.)
Il ne suffit pas, pour être justifié, de tourner son visage vers l'orient et l'occident ; il faut en outre croire à Dieu, au jour dernier, aux anges, au Coran, aux prophètes. Il faut pour l'amour de Dieu secourir ses proches, les orphelins, les pauvres, les voyageurs, les captifs et ceux qui demandent. Il faut faire la prière, garder sa promesse, supporter patiemment l'adversité et les maux de la guerre. Tels sont les devoirs des vrais croyants. (Sourate II, v. 172.)
Une parole honnête et le pardon des offenses sont préférables à l'aumône qu'aurait suivie l'injustice. Dieu est riche et clément. (Sourate II, v. 265.)
Si votre débiteur a de la peine à vous payer, donnez-lui du temps ; ou, si vous voulez mieux faire, remettez-lui la dette. Si vous saviez ! (Sourate II, v. 280.)
La vengeance doit être proportionnée à l'injure ; mais l'homme généreux qui pardonne a sa récompense assurée auprès de Dieu, qui hait la violence. (Sourate XLII, v. 38.)
Combattez vos ennemis dans la guerre entreprise pour la religion, mais n'attaquez pas les premiers ; Dieu hait les agresseurs. (Sourate II, v. 186.)
Certainement les Musulmans, les Juifs, les Chrétiens et les Sabéens, qui croient en Dieu et au jugement dernier, et qui feront le bien, en recevront la récompense de ses mains ; ils seront exempts de la crainte et des supplices. (Sourate V, v. 73.)
Ne faites point violence aux hommes à cause de leur foi. La voie du salut est assez distincte du chemin de l'erreur. Celui qui abjurera le culte des idoles pour la religion sainte aura saisi une colonne inébranlable. Le Seigneur sait et entend tout. (Sourate II, v. 257.)
Ne disputez avec les Juifs et les Chrétiens qu'en termes honnêtes et modérés. Confondez ceux d'entre eux qui sont impies. Dites : Nous croyons au livre qui nous a été révélé et à vos écritures. Notre Dieu et le vôtre ne font qu'un. Nous sommes musulmans. (Sourate XXIX, v. 45.)
Les Chrétiens seront jugés d'après l'Evangile ; ceux qui les jugeront autrement seront prévaricateurs. (Sourate V, v. 51.)
Nous donnâmes le Pentateuque à Moïse. C'est à sa lumière que doit marcher le peuple hébreu. Ne doute pas de rencontrer au ciel le guide des Israélites. (Sourate XXXII, v. 23.)
Si les juifs avaient la foi et la crainte du Seigneur, nous effacerions leurs péchés ; nous les introduirions dans le jardin des délices. L'observation du Pentateuque, de l'Evangile et des préceptes divins leur procurerait la jouissance de tous les biens. Il en est parmi eux qui marchent dans la bonne voie, mais la plupart sont impies. (Sourate V, v. 70.)
Dis aux Juifs et aux Chrétiens : « Terminons nos différends ; n'admettons qu'un Dieu, et ne lui donnons point d'égal ; qu'aucun de nous n'ait d'autre Seigneur que lui. » S'ils refusent d'obéir, dis-leur : « Vous rendrez du moins témoignage que, quant à nous, nous sommes croyants. (Sourate III, v. 57.)
Voilà certes des maximes de charité et de tolérance qu'on aimerait à voir dans tous les cœurs chrétiens !
Nous t'avons envoyé à un peuple que d'autres peuples ont précédé, afin que tu lui enseignes nos révélations. Ils ne croient point aux miséricordieux. Dis-leur : « Il est mon Seigneur ; il n'y a de Dieu que lui. J'ai mis ma confiance en sa bonté. Je reparaîtrai devant son tribunal. (Sourate XIII, v. 29.)
Nous avons apporté aux hommes un livre où brille la science qui doit éclairer les fidèles et leur procurer la miséricorde divine. – Attendent-ils l'accomplissement du Coran ? Le jour où il sera accompli, ceux qui auront vécu dans l'oubli de ses maximes diront : « Les ministres du Seigneur nous prêchaient la vérité. Où trouverons-nous maintenant des intercesseurs ? Quel espoir avons-nous de retourner sur la terre pour nous corriger ? Ils ont perdu leurs âmes, et leurs illusions se sont évanouies. (Sour. VII, v. 50, 51.)
Le mot reparaître implique l'idée d'avoir déjà paru ; c'est-à-dire d'avoir vécu avant l'existence actuelle. Mahomet l'exprime clairement quand il dit ailleurs : « Vous reparaîtrez devant lui et il vous montrera vos œuvres. Vous retournerez devant le Dieu de vérité. » C'est le fond de la doctrine de la préexistence de l'âme, tandis que, selon l'Eglise, l'âme est créée à la naissance de chaque corps. La pluralité des existences terrestres n'est point indiquée dans le Coran d'une manière aussi explicite que dans l'Evangile ; cependant l'idée de revivre sur la terre est entrée dans la pensée de Mahomet, puisque tel serait, selon lui, le désir des coupables pour se corriger. Il a donc compris qu'il serait utile de pouvoir recommencer une nouvelle existence.
Quand on leur demande : Croyez-vous à ce que Dieu a envoyé du ciel ? Ils répondent : « Nous croyons aux Ecritures que nous avons reçues ; » et ils rejettent le livre véritable, venu depuis, pour mettre le sceau à leurs livres sacrés. Dis-leur : « Pourquoi avez-vous tué les prophètes si vous aviez la foi ? (Sourate II, v. 85.)
Mahomet n'est le père d'aucun de vous. Il est l'envoyé de Dieu et le sceau des prophètes. La science de Dieu est infinie. (Sourate XXXIII, v. 40.)
En se donnant comme le sceau des prophètes, Mahomet annonce qu'il est le dernier, la conclusion, parce qu'il a dit toute la vérité ; après lui il n'en viendra plus d'autres. C'est là un article de foi chez les Musulmans. Au point de vue inclusivement religieux, il est tombé dans l'erreur de toutes les religions qui se croient inamovibles, même contre le progrès des sciences ; mais pour lui c'était presque une nécessité afin d'affermir l'autorité de sa parole chez un peuple qu'il avait eu tant de peine à convertir à sa foi. Au point de vue social c'était un tort, parce que le Coran étant une législation civile autant que religieuse, il a posé un point d'arrêt au progrès. Telle est la cause qui a rendu et rendra longtemps encore les peuples musulmans stationnaires, et réfractaires aux innovations et aux réformes qui ne sont pas dans le Coran. C'est un exemple de l'inconvénient qu'il y a de confondre ce qui doit être distinct. Mahomet n'a pas tenu compte du progrès humain ; c'est une faute commune à presque tous les réformateurs religieux. D'un autre côté, il avait à réformer non-seulement la foi, mais le caractère, les usages, les habitudes sociales de ses peuples ; il lui fallait appuyer ses réformes sur l'autorité de la religion, ainsi que l'ont fait tous les législateurs des peuples primitifs ; la difficulté était grande, sans doute ; cependant, il laisse une porte ouverte à l'interprétation et aux modifications, en disant que « Dieu peut toujours remplacer ce qu'il a donné par quelque chose de mieux. »
Il vous est interdit d'épouser vos mères, vos filles, vos sœurs, vos tantes paternelles et maternelles, vos nièces, vos nourrices, vos sœurs de lait, les mères de vos femmes, les filles confiées à votre tutelle et issues de femmes avec lesquelles vous auriez cohabité. N'épousez pas non plus les filles de vos fils que vous avez engendrés, ni deux sœurs. Il vous est défendu d'épouser des femmes mariées, excepté celles qui seraient tombées entre vos mains comme esclaves. (Sourate IV, v. 27 et suiv.)
Ces prescriptions peuvent donner une idée de la démoralisation de ces peuples ; pour être obligé de défendre de tels abus, il fallait qu'ils existassent.
Epouses du Prophète, restez au sein de vos maisons. Ne vous parez point fastueusement, comme aux jours de l'idolâtrie. Faites la prière et l'aumône. Obéissez à Dieu et à son apôtre. Il veut écarter le vice de vos cœurs. Vous êtes de la famille du Prophète, et vous devez être pures. ‑ Zeid répudia son épouse. Nous t'avons uni avec elle, afin que les fidèles aient la liberté d'épouser les femmes de leurs fils adoptifs, après la répudiation. Le précepte divin doit avoir son exécution. ‑ O prophète, il t'est permis d'épouser les femmes que tu auras dotées, les captives que Dieu a fait tomber dans tes mains, les filles de tes oncles et de tes tantes qui ont pris la fuite avec toi, et toute femme fidèle qui t'accordera son cœur. C'est un privilège que nous t'accordons. ‑ Tu n'ajouteras point au nombre actuel de tes épouses ; tu ne pourras les changer contre d'autres dont la beauté t'aurait frappé. Mais la fréquentation de tes femmes esclaves t'est toujours permise. Dieu observe tout. (Sourate XXXIII, v. 37, 49, 52.)
C'est ici que Mahomet descend véritablement du piédestal sur lequel il était monté. On regrette de le voir tomber si bas après s'être élevé si haut, et faire intervenir Dieu pour justifier les privilèges qu'il s'octroyait pour l'assouvissement de ses passions. Il accordait aux croyants quatre femmes légitimes, alors que lui-même s'en était donné treize. Le législateur doit être le premier sujet des lois qu'il fait. C'est une tache ineffaçable qu'il a jetée sur lui et sur l'Islamisme.
Efforcez-vous de mériter l'indulgence du Seigneur, et la possession du paradis, dont l'étendue égale les cieux et la terre, séjour préparé aux justes, ‑ à ceux qui font l'aumône dans la prospérité et dans l'adversité, et qui, maîtres des mouvements de leur colère, savent pardonner à leurs semblables. Dieu aime la bienfaisance. (Sourate III, v. 127, 128.)
Dieu a promis aux fidèles qui auront pratiqué la vertu l'entrée des jardins où coulent des fleuves. Ils y demeureront éternellement. Les promesses du Seigneur sont véritables. Quoi de plus infaillible que sa parole ? (Sourate IV, v. 121.)
Ils habiteront éternellement le séjour que Dieu leur a préparé, les jardins de délices arrosés par des fleuves, lieux où règnera la souveraine béatitude. (Sourate IX, v. 90.)
Les jardins et les fontaines seront le partage de ceux qui craignent le Seigneur. Ils entreront avec la paix et la sécurité. ‑ Nous ôterons l'envie de leurs cœurs. Ils reposeront sur des lits, et ils auront les uns pour les autres une bienveillance fraternelle. ‑ La fatigue n'approchera point du séjour des délices. On ne leur en ravira point la possession. (Sourate XV, v. 45 à 48.)
Les jardins d'Eden seront l'habitation des justes. Des bracelets d'or ornés de perles, et des habits de soie formeront leur parure. ‑ Louange à Dieu, s'écrieront-ils ; il a écarté de nous la peine ; il est miséricordieux et compatissant. ‑ Il nous a introduits dans le palais éternel, séjour de sa magnificence. La fatigue ni la douleur n'approchent point de cet asile. (Sourate XXXV, v. 30, 31, 32.)
Les hôtes du paradis boiront à longs traits dans la coupe du bonheur. ‑ Couchés sur des lits de soie, ils reposeront près de leurs épouses, sous des ombrages délicieux. ‑ Ils trouveront tous les fruits. Tous leurs désirs seront comblés. (Sourate XXXVI, v. 55, 56, 57.)
Les vrais serviteurs de Dieu auront une nourriture choisie, ‑ des fruits exquis, et ils seront servis avec honneur. ‑ Les jardins des délices seront leur asile. ‑ Pleins d'une bienveillance mutuelle, ils reposeront sur des sièges. ‑ On leur offrira des coupes remplies d'une eau pure, ‑ limpide et d'un goût délicieux, ‑ qui n'obscurcira point leur raison, et ne les enivrera pas. ‑ Près d'eux seront des vierges aux regards modestes, aux grands yeux noirs et dont le teint aura la couleur des œufs de l'autruche. (Sourate XXXII, v. 39 à 47.)
On dira aux croyants qui auront professé l'Islamisme : Entrez dans le jardin des délices, vous et vos épouses ; ouvrez vos cœurs à la joie. – On leur présentera à boire dans des coupes d'or. Le cœur trouvera dans ce séjour tout ce qu'il peut désirer, l'œil tout ce qui peut le charmer, et ces plaisirs seront éternels. ‑ Voici le paradis dont vos œuvres vous ont procuré la possession. – Nourrissez-vous des fruits qui y croissent en abondance. (Sourate XLIII, v. 69 à 72.)
Tel est ce fameux paradis de Mahomet sur lequel on s'est tant égayé, et que nous ne chercherons assurément pas à justifier. Nous dirons seulement qu'il était en harmonie avec les mœurs de ces peuples, et qu'il devait les flatter bien plus que la perspective d'un état purement spirituel, quelque splendide qu'il fût, parce qu'ils étaient trop matériels pour le comprendre et en apprécier la valeur ; il leur fallait quelque chose de plus substantiel, et on peut dire qu'ils ont été servis à souhait. On remarquera sans doute que les fleuves, les fontaines, les fruits abondants et les ombrages y jouaient un grand rôle, car c'est là ce qui manque surtout aux habitants du désert. Des lits moelleux et des habits de soie, pour des gens habitués à coucher sur la terre et vêtus de grossières couvertures en poil de chameau, devaient aussi avoir un grand attrait. Quelque ridicule que tout cela nous paraisse, songeons au milieu où vivait Mahomet, et ne le blâmons pas trop, puisqu'à l'aide de cet appât, il a su tirer un peuple de la barbarie et en faire une grande nation.
Dans un prochain article nous examinerons comment l'Islamisme pourra se rallier à la grande famille de l'humanité civilisée.
C'est à Médine que Mahomet fit construire la première mosquée, à laquelle il travailla de ses propres mains, et qu'il organisa un culte régulier ; il y prêcha peur la première fois en 623. Toutes les mesures prises par lui témoignaient de sa sollicitude et de sa prévoyance : « Un trait caractéristique à la fois de l'homme et de son temps, dit M. Barthélemy Saint-Hilaire, c'est le choix que Mahomet dut faire de trois poètes de Médine, chargés officiellement de le défendre contre les satires des poètes mecquois. Ce n'était probablement pas que l'amour-propre fût plus excitable en lui qu'il ne convenait, mais chez une nation spirituelle et vive, ces attaques avaient un retentissement analogue à celui que les journaux peuvent avoir de nos jours, et elles étaient fort dangereuses. »
Nous avons dit que Mahomet fut contraint de se faire guerrier ; en effet, il n'avait nullement l'humeur belliqueuse, ainsi qu'il l'avait prouvé par les cinquante premières années de sa vie. Or, deux ans à peine s'étaient écoulés depuis son séjour à Médine, que les Coraychites de la Mecque, coalisés avec les autres tribus hostiles, vinrent assiéger la ville. Mahomet dut se défendre ; dès lors commença pour lui la période guerrière qui dura dix ans, et pendant laquelle il se montra surtout tacticien habile. Chez un peuple dont la guerre était l'état normal, qui ne connaissait de droit que celui de la force, il fallait au chef de la nouvelle religion le prestige de la victoire pour asseoir son autorité, même sur ses partisans. La persuasion avait peu d'empire sur ces populations ignorantes et turbulentes ; une trop grande mansuétude eût été prise pour de la faiblesse. Dans leur pensée, le Dieu fort ne pouvait se manifester que par un homme fort, et le Christ avec son inaltérable douceur, eût échoué dans ces contrées.
Mahomet fut donc guerrier par la force des circonstances, bien plus que par son caractère, et il aura toujours le mérite de n'avoir pas été le provocateur. Une fois la lutte engagée, il lui fallait vaincre ou périr ; à cette condition seule, il pouvait être accepté comme l'envoyé de Dieu ; il fallait que ses ennemis fussent terrassés pour se convaincre de la supériorité de son Dieu sur les idoles qu'ils adoraient. A l'exception d'un des premiers combats où il fut blessé, et les Musulmans défaits, en 625, ses armes furent constamment victorieuses, et, dans l'espace de quelques années, il soumit l'Arabie entière à sa loi. Lorsqu'il vit son autorité assise et l'idolâtrie anéantie, il se rendit triomphalement à la Mecque, après dix ans d'exil, suivi de près de cent mille pèlerins, et y accomplit le célèbre pèlerinage dit d'adieu, dont les Musulmans ont scrupuleusement conservé les rites. Il mourut la même année, deux mois après son retour à Médine, le 8 juin 632, à l'âge de soixante-deux ans.
Il faut juger Mahomet par l'histoire authentique et impartiale, non d'après les légendes ridicules que l'ignorance et le fanatisme ont répandues sur son compte, ou les peintures qu'en ont faites ceux qui avaient intérêt à le discréditer en le présentant comme un ambitieux sanguinaire et cruel. Il ne faut pas non plus le rendre responsable des excès de ses successeurs qui voulurent conquérir le monde à la foi musulmane le sabre à la main. Sans doute, il y a eu de grandes taches dans la dernière période de sa vie ; on peut lui reprocher d'avoir en quelques circonstances abusé du droit du vainqueur, et de n'avoir pas toujours agi avec toute la modération désirable. Cependant, à côté de quelques actes que notre civilisation réprouve, il faut dire, à sa décharge, qu'il s'est montré bien plus souvent humain et clément envers ses ennemis que vindicatif, et qu'il a maintes fois donné les preuves d'une véritable grandeur d'âme. Il faut reconnaître aussi qu'au milieu même de ses succès, et alors qu'il était arrivé au plus haut point de sa gloire, il s'est, jusqu'à son dernier jour, renfermé dans son rôle de prophète, sans jamais usurper une autorité temporelle despotique ; il ne s'est fait ni roi, ni potentat, et jamais, dans la vie privée, il ne s'est souillé d'aucun acte de froide barbarie, ni de basse cupidité ; il a toujours vécu simplement, sans faste et sans luxe, se montrant bon et bienveillant pour tout le monde. Ceci est de l'histoire.
Si l'on se reporte au temps et au milieu où il vivait, si l'on considère surtout les persécutions dont lui et les siens furent l'objet, l'acharnement de ses ennemis, et les actes de barbarie que ceux-ci commirent sur ses partisans, peut-on s'étonner que dans l'enivrement de sa victoire il ait parfois usé de représailles ? Est-on bien venu à lui reprocher d'avoir établi sa religion par le fer, chez un peuple barbare qui le combattait, quand la Bible enregistre, comme des faits glorieux pour la foi, des boucheries d'une atrocité telle qu'on est tenté de les prendre pour des légendes ? Quand, mille ans après lui, dans les contrées civilisées de l'Occident, des chrétiens, qui avaient pour guide la sublime loi du Christ, se ruant sur de paisibles victimes, étouffaient les hérésies par les bûchers, les tortures, les massacres, et dans des flots de sang ?
Si le rôle guerrier de Mahomet fut une nécessité pour lui, et si ce rôle peut l'excuser de certains actes politiques, il n'en est pas de même sous d'autres rapports. Jusqu'à l'âge de cinquante ans, et tant que vécut sa première femme Khadidja, de quinze ans plus âgée que lui, ses mœurs furent irréprochables ; mais de ce moment ses passions ne connurent aucun frein, et c'est incontestablement pour justifier l'abus qu'il en fit, qu'il consacra la polygamie dans sa religion. Ce fut son tort le plus grave, car c'est une barrière qu'il a élevée entre l'islamisme et le monde civilisé ; aussi sa religion n'a-t-elle pu, après douze siècles, franchir les limites de certaines races. C'est aussi le côté par lequel son fondateur se rabaisse le plus à nos yeux ; les hommes de génie perdent toujours de leur prestige quand ils se laissent dominer par la matière ; ils grandissent au contraire d'autant plus qu'ils s'élèvent davantage au-dessus des faiblesses de l'humanité.
Cependant le dérèglement des mœurs était tel à l'époque de Mahomet, qu'une réforme radicale était bien difficile chez des hommes habitués à se livrer à leurs passions avec une brutalité bestiale ; on peut donc dire qu'en réglementant la polygamie, il a mis des bornes au désordre et arrêté des abus bien plus graves ; mais la polygamie n'en restera pas moins le ver rongeur de l'Islamisme, parce qu'elle est contraire aux lois de la nature. Par l'égalité numérique des sexes, la nature elle-même a tracé la limite des unions. En permettant quatre femmes légitimes, Mahomet n'a pas songé que, pour que sa loi devînt celle de l'universalité des hommes, il faudrait que le sexe féminin fût au moins quatre fois plus nombreux que le sexe masculin.
Malgré ses imperfections, l'islamisme n'en a pas moins été un grand bienfait à l'époque où il a paru et pour le pays où il pris naissance, car il a fondé le culte de l'unité de Dieu sur les ruines de l'idolâtrie. C'était la seule religion possible pour ces peuples barbares auxquels il ne fallait pas demander de trop grands sacrifices à leurs idées et à leurs coutumes. Il leur fallait quelque chose de simple comme la nature au milieu de laquelle ils vivaient ; la religion chrétienne avait trop de subtilités métaphysiques ; aussi toutes les tentatives faites pendant cinq siècles pour l'implanter dans ces contrées, avaient complètement échoué ; le judaïsme même, trop ergoteur, y avait fait peu de prosélytes parmi les Arabes, quoique les Juifs proprement dits y fussent assez nombreux. Mahomet, supérieur à ceux de sa race, avait compris les hommes de son temps ; pour les tirer de l'abaissement dans lequel les maintenaient de grossières croyances descendues à un stupide fétichisme, il leur donna une religion appropriée à leurs besoins et à leur caractère. Cette religion était la plus simple de toutes : « Croyance en un Dieu unique, tout-puissant, éternel, infini, présent partout, clément et miséricordieux, créateur des cieux, des anges et de la terre, Père de l'homme, sur lequel il veille et qu'il comble de biens ; rémunérateur et vengeur dans une autre vie, où il nous attend pour nous récompenser ou nous punir selon nos mérites ; voyant nos actions les plus secrètes, et présidant à la destinée entière de ses créatures qu'il n'abandonne pas un seul instant, ni dans ce monde, ni dans l'autre ; soumission la plus humble et confiance absolue en sa volonté sainte : » voilà les dogmes.
Pour le culte, il consiste dans la prière répétée cinq fois par jour, le jeûne et les mortifications du mois de rhamadan, et dans certaines pratiques, dont plusieurs avaient un but hygiénique, mais dont Mahomet fit une obligation religieuse, telles que les ablutions quotidiennes, l'abstention du vin, des liqueurs enivrantes, de la chair de certains animaux, et que les fidèles se font un cas de conscience d'observer dans les plus minutieux détails. Le vendredi fut adopté pour le saint jour de la semaine, et la Mecque indiquée comme le point vers lequel tout Musulman doit se tourner en priant. Le service public dans les mosquées consiste en prières en commun, sermons, lecture et explication du Coran. La circoncision n'a pas été instituée par Mahomet, mais conservée par lui ; elle était pratiquée de temps immémorial chez les Arabes. La défense de reproduire par la peinture ou la sculpture aucun être vivant, hommes et animaux, a été faite en vue de détruire l'idolâtrie, et d'empêcher qu'elle ne se renouvelât. Enfin, le pèlerinage de la Mecque, que tout fidèle doit accomplir au moins une fois dans sa vie, est un acte religieux ; mais il avait un autre but à cette époque, un but politique, celui de rapprocher par un lien fraternel les diverses tribus ennemies, en les réunissant dans un commun sentiment de piété sur un même lieu consacré.
Au point de vue historique, la religion musulmane admet l'Ancien Testament dans son entier jusqu'à Jésus-Christ inclusivement, qu'elle reconnaît comme prophète. Selon Mahomet, Moïse et Jésus étaient des envoyés de Dieu pour enseigner la vérité aux hommes ; l'Evangile, de même que la loi du Sinaï, est la parole de Dieu ; mais les Chrétiens en ont détourné le sens. Il déclare, en termes explicites, qu'il n'apporte ni croyances nouvelles, ni culte nouveau, mais qu'il vient rétablir le culte du Dieu unique professé par Abraham. Il ne parle qu'avec respect des patriarches et des prophètes qui l'ont précédé : Moïse, David, Isaïe, Ézéchiel et Jésus-Christ ; du Pentateuque, des Psaumes et de l'Evangile. Ce sont les livres qui ont devancé et préparé le Coran. Loin de cacher les emprunts qu'il leur fait, il s'en vante, et leur grandeur est le fondement de la sienne. On peut juger de ses sentiments et du caractère de ses instructions par le fragment suivant du dernier discours qu'il prononça à la Mecque lors du pèlerinage d'adieu, peu de temps avant sa mort, et conservé dans l'ouvrage d'Ibn-Ishâc et d'Ibn-Ishâm :
« O peuples ! écoutez mes paroles ; car je ne sais si, une autre année, je pourrai me retrouver encore avec vous dans ce lieu. Soyez humains et justes entre vous. Que la vie et la propriété de chacun soient inviolables et sacrées pour les autres ; que celui qui a reçu un dépôt le rende fidèlement à qui le lui a remis. Vous paraîtrez devant votre Seigneur, et il vous demandera compte de vos actions. Traitez bien les femmes, elles sont vos aides, elles ne peuvent rien par elles seules. Vous les avez prises comme un bien que Dieu vous a confié, et vous avez pris possession d'elles par des paroles divines.
O peuples ! écoutez mes paroles et fixez-les dans vos esprits. Je vous ai tout révélé ; je vous laisse une loi qui vous préservera à jamais de l'erreur, si vous y restez fidèlement attachés ; une loi claire et positive, le livre de Dieu et l'exemple de son prophète.
O peuples ! écoutez mes paroles, et fixez-les dans vos esprits. Sachez que tout Musulman est le frère de l'autre ; que tous les Musulmans sont frères entre eux, que vous êtes tous égaux entre vous, et que vous n'êtes qu'une famille de frères. Gardez-vous de l'injustice ; personne ne doit la commettre au détriment de son frère : elle entraînerait votre perte éternelle.
O Dieu ! ai-je rempli mon message et terminé ma mission ? ‑ La foule qui l'entourait répondit : Oui, tu l'as accomplie. » Et Mahomet s'écria : O Dieu, daigne recevoir ce témoignage ! »
Voici maintenant le jugement que porte sur Mahomet, et l'influence de sa doctrine, un de ses historiographes, M. G. Weil, dans son ouvrage allemand intitulé : Mohammet der Prophet, pages 400 et suivantes :
« La doctrine de Dieu et des saintes destinées de l'homme, prêchée par Mahomet dans un pays qui était livré à la plus brutale idolâtrie, et qui avait à peine une idée de l'immortalité de l'âme, doit d'autant plus nous réconcilier avec lui, malgré ses faiblesses et ses fautes, que sa vie particulière ne pouvait exercer sur ses adhérents aucune influence fâcheuse. Loin de se donner jamais pour modèle, il voulait toujours qu'on le regardât comme un être privilégié, à qui Dieu permettait de se mettre au-dessus de la loi commune ; et, de fait, on l'a considéré de plus en plus sous ce jour spécial.
« Nous serions injustes et aveugles, si nous ne reconnaissions pas que son peuple lui doit encore autre chose de vrai et de bien. Il a réuni en une seule grande nation, croyant fraternellement à Dieu, les tribus innombrables des Arabes jusque-là ennemies entre elles. A la place du plus violent arbitraire, du droit de la force, et de la lutte individuelle, il a mis un droit inébranlable, qui, malgré ses imperfections, forme toujours la base de toutes les lois de l'Islamisme. Il a limité la vengeance du sang qui, avant lui, s'étendait jusqu'aux parents les plus éloignés, et il l'a bornée à celui-là seul que les juges reconnaissaient pour meurtrier. Il a bien mérité surtout du beau sexe, non-seulement en protégeant les filles contre l'atroce coutume qui les faisait souvent immoler par leurs pères ; mais en outre, en protégeant les femmes contre les parents de leurs maris, qui en héritaient comme d'une chose matérielle, et en les défendant contre les mauvais traitements des hommes. Il a restreint la polygamie, en ne permettant aux croyants que quatre femmes légitimes, au lieu de dix, comme c'était l'usage, surtout à Médine. Sans avoir entièrement émancipé les esclaves, il leur a été bon et utile de bien des manières. Pour les pauvres, il a non-seulement recommandé toujours la bienfaisance à leur égard, mais il a formellement établi un impôt en leur faveur, et il leur a fait une part spéciale dans le butin et le tribut. En défendant le jeu, le vin et toutes les boissons enivrantes, il a prévenu bien des vices, bien des excès, bien des querelles et bien des désordres.
Quoique nous ne regardions pas Mahomet comme un vrai prophète, parce qu'il a employé pour propager sa religion des moyens violents et impurs, parce qu'il a été trop faible pour se soumettre lui-même à la loi commune, et parce qu'il s'appelait le sceau des prophètes, tout en déclarant que Dieu pouvait toujours remplacer ce qu'il avait donné par quelque chose de mieux, il a le mérite, néanmoins, d'avoir fait pénétrer les plus belles doctrines de l'Ancien et du Nouveau Testament chez un peuple qui n'était éclairé par aucun rayon de la foi, et il doit à ce titre paraître, même à des yeux non mahométans, comme un envoyé de Dieu. »
Comme complément de cette étude, nous citerons quelques passages textuels du Coran, empruntés à la traduction de Savary :
Au nom du Dieu clément et miséricordieux. ‑ Louange à Dieu, souverain des mondes. ‑ La miséricorde est son partage. ‑ Il est le roi au jour du jugement. ‑ Nous t'adorons, Seigneur, et nous implorons ton assistance. – Dirige-nous dans le sentier du salut, ‑ dans le sentier de ceux que tu as comblés de tes bienfaits ; ‑ de ceux qui n'ont point mérité ta colère et se sont préservés de l'erreur. (Introduction, Sourate I.)
O mortels, adorez le Seigneur qui vous a créés, vous et vos pères, afin que vous le craigniez ; qui vous a donné la terre pour lit, et le ciel pour toit ; qui a fait descendre la pluie des cieux pour produire tous les fruits dont vous vous nourrissez. Ne donnez point d'associé au Très-Haut ; vous le savez. (Sourate II, v. 19 et 20.)
Pourquoi ne croyez-vous pas à Dieu ? Vous étiez morts, il vous a donné la vie ; il éteindra vos jours, et il en rallumera le flambeau. Vous retournerez à lui. ‑ Il créa pour votre refuge tout ce qui est sur la terre. Portant ensuite ses regards vers le firmament, il forma les sept cieux. C'est lui dont la science embrasse l'univers. (Sourate II, v. 26, 27.)
L'Orient et l'Occident appartiennent à Dieu ; vers quelque lieu que se tournent vos regards, vous rencontrerez sa face. Il remplit l'univers de son immensité et de sa science. ‑ Il a formé la terre et les cieux. Veut-il produire quelque ouvrage ? il dit : « Sois fait ; » et l'ouvrage est fait. ‑ Les ignorants disent : « Si Dieu ne nous parle, ou si tu ne nous fais voir un miracle, nous ne croirons point. » Ainsi parlaient leurs pères ; leurs cœurs sont semblables. Nous avons fait éclater assez de prodiges pour ceux qui ont la foi. (Sourate II, v. 109 à 112.)
Dieu n'exigera de chacun de nous que suivant ses forces. Chacun aura en sa faveur ses bonnes œuvres, et contre lui le mal qu'il aura fait. Seigneur, ne nous punis pas des fautes commises par oubli. Pardonne-nous nos péchés ; ne nous impose pas le fardeau qu'ont porté nos pères. Ne nous charge pas au-dessus de nos forces. Fais éclater pour tes serviteurs le pardon et l'indulgence. Aie compassion de nous ; tu es notre secours. Aide-nous contre les nations infidèles. (Sourate II, v. 296.)
O Dieu, roi suprême, tu donnes et tu ôtes à ton gré les couronnes et le pouvoir. Tu élèves et tu abaisses les humains à ta volonté ; le bien est dans tes mains : tu es le Tout-Puissant. ‑ Tu changes le jour en nuit, et la nuit en jour. Tu fais sortir la vie du sein de la mort, et la mort du sein de la vie. Tu verses tes trésors infinis sur ceux qu'il te plaît. (Sourate II, v. 25 et 26.)
Ignorez-vous combien de peuples nous avons fait disparaître de la face de la terre ? Nous leur avions donné un empire plus stable que le vôtre. Nous envoyions les nuages verser la pluie sur leurs campagnes ; nous y faisions couler des fleuves. Leurs crimes seuls ont causé leur ruine. Nous les avons remplacés par d'autres nations. (Sourate VI, v. 6.)
C'est à Dieu que vous devez le sommeil de la nuit et le réveil du matin. Il sait ce que vous faites pendant le jour. Il vous laisse accomplir la carrière de la vie. Vous reparaîtrez devant lui, et il vous montrera vos œuvres. – Il domine sur ses serviteurs. Il vous donne pour gardiens des anges chargés de terminer vos jours au moment prescrit. Il exécute soigneusement l'ordre du ciel. – Vous retournerez ensuite devant le Dieu de vérité. N'est-ce pas à lui qu'il appartient de juger ? Il est le plus exact des juges. ‑ Qui vous délivre des tribulations de la terre et des mers, lorsque, l'invoquant en public ou dans le secret de vos cœurs, vous vous écriez : « Seigneur, si tu écartes de nous ces maux, nous en serons reconnaissants ? » ‑ C'est Dieu qui vous en délivre. C'est sa bonté qui vous soulage de la peine qui vous oppresse ; et ensuite vous retournez à l'idolâtrie. (Sourate VI, v. 60 à 64.)
Tous les secrets sont dévoilés à ses yeux ; il est grand le Très-Haut. ‑ Celui qui parle dans le secret, celui qui parle en public, celui qui s'enveloppe des ombres de la nuit et celui qui paraît au grand jour, lui sont également connus. – C'est lui qui fait briller la foudre à vos regards pour vous inspirer la crainte et l'espérance. C'est lui qui élève les nuages chargés de pluie. ‑ Le tonnerre célèbre ses louanges. Les anges tremblent en sa présence. Il lance la foudre, et elle frappe les victimes marquées. Les hommes disputent de Dieu, mais il est le fort et le puissant. ‑ Il est l'invocation véritable. Ceux qui implorent d'autres dieux ne seront point exaucés. Ils ressemblent au voyageur qui, pressé par la soif, tend la main vers l'eau qu'il ne peut atteindre. L'invocation des infidèles se perd dans la nuit de l'erreur. (Sourate XIII, v. 10 à 15.)
Ne dis jamais : « Je ferai cela demain, » sans ajouter : « Si c'est la volonté de Dieu. » Elève vers lui ta pensée, lorsque tu as oublié quelque chose, et dis : « Peut-être qu'il m'éclairera et qu'il me fera connaître la vérité. (Sourate XVII, v. 23.)
Si les flots de la mer se changeaient en encre pour décrire les louanges du Seigneur, ils seraient épuisés avant d'avoir célébré toutes ses merveilles. Un autre océan semblable ne suffirait point encore. (Sourate XVIII, v. 109.)
Celui qui cherche la vraie grandeur la trouve en Dieu, source de toutes les perfections. Les discours vertueux montent vers son trône. Il exalte les bonnes œuvres ; il punit rigoureusement le scélérat qui trame des perfidies.
Non, le ciel ne révoque jamais l'arrêt qu'il a prononcé. ‑ N'ont-ils pas parcouru la terre ? n'ont-ils pas vu quelle a été la fin déplorable des peuples qui, avant eux, marchèrent dans les voies d'iniquité ? Ces peuples étaient plus forts et plus puissants qu'ils ne sont. Mais rien dans les cieux et sur la terre ne peut s'opposer aux volontés du Très-Haut. La science et la force sont ses attributs. ‑ Si Dieu punissait les hommes dès l'instant qu'ils sont coupables, il ne resterait point sur la terre d'être animé. Il diffère les châtiments jusqu'au terme marqué. ‑ Lorsque le temps est venu, il distingue les actions de ses serviteurs. (Sourate XXXV, v. 11, 41 à 45.)
Ces citations suffisent pour montrer le profond sentiment de piété qui animait Mahomet, et l'idée grande et sublime qu'il se faisait de Dieu. Le Christianisme pourrait revendiquer ce tableau.
Mahomet n'a point enseigné le dogme de la fatalité absolue, ainsi qu'on le croit généralement. Cette croyance, dont sont imbus les musulmans et qui paralyse leur initiative en maintes circonstances, n'est qu'une fausse interprétation et une fausse application du principe de la soumission à la volonté de Dieu poussé hors de ses limites rationnelles ; ils ne comprennent pas que cette soumission n'exclut pas l'exercice des facultés de l'homme, et il leur manque pour correctif la maxime : Aide-toi, le ciel t'aidera.
Les passages suivants ont trait à des points particuliers de doctrine.
Dieu a un fils, disent les Chrétiens. Loin de lui ce blasphème ! Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre lui appartient. Tous les êtres obéissent à sa voix. (Sourate II, v. 110.)
O vous qui avez reçu les Ecritures, ne passez pas les bornes de la foi ; ne dites de Dieu que la vérité. Jésus est fils de Marie, l'envoyé du Très-Haut et son Verbe. Il l'a fait descendre dans le sein de Marie ; il est son souffle. Croyez en Dieu et en ses apôtres ; mais ne dites pas qu'il y a une trinité en Dieu. Il est un : cette croyance vous sera plus sûre. Loin qu'il ait un fils, il gouverne seul le ciel et la terre ; il se suffit à lui-même. ‑ Le Messie ne rougira pas d'être le serviteur de Dieu, pas plus que les anges qui entourent son trône et lui obéissent. (Sourate IV, v. 169, 170.)
Ceux qui soutiennent la trinité de Dieu sont blasphémateurs ; il n'y a qu'un seul Dieu. S'ils ne changent de croyance, un supplice douloureux sera le prix de leur impiété. (Sourate V, v. 77.)
Les Juifs disent qu'Ozaï est le fils de Dieu. Les Chrétiens disent la même chose du Messie. Ils parlent comme les infidèles qui les ont précédés. Le ciel punira leurs blasphèmes. ‑ Ils appellent seigneurs leurs pontifes, leurs moines, et le Messie fils de Marie. Mais il leur est recommandé de servir un seul Dieu : Il n'y en a point d'autre. Anathème sur ceux qu'ils associent à son culte. (Sourate IX, v. 30, 31.)
Dieu n'a point de fils ; il ne partage point l'empire avec un autre Dieu. S'il en était ainsi, chacun d'eux voudrait s'approprier sa création et s'élever au-dessus de son rival. Louange au Très-haut ! Loin de lui ces blasphèmes ! (Sourate XXII, v. 93.)
Déclare, ô Mahomet, ce que le ciel t'a révélé. ‑ L'assemblée des génies ayant écouté la lecture du Coran, s'écria : « Voilà une doctrine merveilleuse. ‑ Elle conduit à la vraie foi. Nous croyons en elle, et nous ne donnons pas d'égal à Dieu. ‑ Gloire à sa Majesté suprême ! Dieu n'a point d'épouse ; il n'a point enfanté. » (Sourate LXII, v. 1 à 4.)
Dites : « Nous croyons en Dieu, au livre qui nous a été envoyé, à ce qui a été révélé à Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et aux douze tribus. Nous croyons à la doctrine de Moïse, de Jésus et des prophètes ; nous ne mettons aucune différence entre eux, et nous sommes musulmans. » (Sourate II, v. 130.)
Il n'y a de Dieu que le Dieu vivant et éternel. ‑ Il t'a envoyé le livre qui renferme la vérité, pour confirmer la vérité des Ecritures qui l'ont précédé. Avant lui, il fit descendre le Pentateuque et l'Evangile pour servir de guides aux hommes ; il a envoyé le Coran des cieux. ‑ Ceux qui nieront la doctrine divine ne doivent s'attendre qu'à des supplices ; Dieu est puissant et la vengeance est dans ses mains. (Sourate III, v. 1, 2, 3.)
Il en est qui disent : « Nous avons fait serment à Dieu de ne croire à aucun prophète, à moins que l'offrande qu'il présente ne soit confirmée par le feu du ciel. » ‑ Réponds-leur : « Vous aviez des prophètes avant moi ; ils ont opéré des miracles, et celui-là même dont vous parlez. Pourquoi alors avez-vous teint vos mains de leur sang, si vous dites la vérité ? ‑ S'ils nient ta mission, ils ont traité de même les apôtres qui t'ont précédé, quoiqu'ils fussent doués du don des miracles et qu'ils eussent apporté le livre qui éclaire (l'Evangile) et le livre des psaumes. (Sourate III, v. 179 à 181.)
Nous t'avons inspiré, comme nous avons inspiré Noé, les prophètes, Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob, les tribus, Jésus, Job, Jonas, Aaron et Salomon. Nous avons donné les psaumes de David. (Sourate IV, v. 161.)
Dans maints autres endroits, Mahomet parle dans le même sens et avec le même respect des prophètes, de Jésus et de l'Évangile ; mais il est évident qu'il s'est mépris sur le sens attaché à la Trinité, et à la qualité de fils de Dieu qu'il prend à la lettre. Si ce mystère est incompréhensible pour tant de chrétiens, et s'il a soulevé tant de commentaires et de controverses parmi eux, on ne doit pas s'étonner que Mahomet ne l'ait pas compris. Dans les trois personnes de la Trinité il a vu trois dieux, et non un seul Dieu en trois personnes distinctes ; dans le fils de Dieu, il a vu une procréation ; or, l'idée qu'il se faisait de l'Etre suprême était si grande, que la moindre parité entre Dieu et un être quelconque, et l'idée qu'il pouvait partager sa puissance, lui semblait un blasphème. Jésus ne s'étant jamais donné comme Dieu, et n'ayant point parlé de la Trinité, ces dogmes lui parurent une dérogation aux paroles mêmes du Christ. Il vit dans Jésus et l'Évangile la confirmation du principe de l'unité de Dieu, but qu'il poursuivait lui-même ; c'est pourquoi il les avait en grande estime, tandis qu'il accusait les Chrétiens de s'être écartés de cet enseignement, en fractionnant Dieu et en déifiant son messie. Aussi se dit-il envoyé après Jésus pour ramener les hommes à l'unité pure de la divinité. Toute la partie dogmatique du Coran repose sur ce principe qu'il répète à chaque pas.
L'Islamisme ayant ses racines dans l'ancien et le nouveau Testament, en est une dérivation ; on peut le considérer comme une des nombreuses sectes nées des dissidences qui surgirent dès l'origine du christianisme touchant la nature du Christ, avec cette différence que l'Islamisme, formé en dehors du christianisme, a survécu à la plupart de ces sectes, et compte aujourd'hui cent millions de sectateurs.
Mahomet venait combattre à outrance, dans sa propre nation, la croyance en plusieurs dieux, pour y rétablir le culte abandonné du Dieu unique d'Abraham et de Moïse ; l'anathème qu'il a lancé contre les infidèles et les impies avait surtout pour objet la grossière idolâtrie professée par ceux de sa race, mais il frappait par contrecoup les Chrétiens. Telle est la cause du mépris des Musulmans pour tout ce qui porte le nom de chrétien, malgré leur respect pour Jésus et l'Evangile. Ce mépris s'est transformé en haine sous l'influence du fanatisme entretenu et surexcité par leurs prêtres. Disons aussi que, de leur côté, les Chrétiens ne sont pas sans reproches, et qu'ils ont eux-mêmes alimenté cet antagonisme par leurs propres agressions.
Tout en blâmant les Chrétiens, Mahomet n'avait point pour eux des sentiments hostiles, et dans le Coran même il recommande d'user envers eux de ménagements, mais le fanatisme les a englobés dans la proscription générale des idolâtres et des infidèles dont la présence ne doit point souiller les sanctuaires de l'Islamisme, c'est pourquoi l'entrée des mosquées, de la Mecque et des lieux saints leur est interdite. Il en fut de même à l'égard des Juifs, et si Mahomet les a rudement châtiés à Médine, c'est qu'ils s'étaient ligués contre lui. Du reste, nulle part, dans le Coran, on ne trouve l'extermination des Juifs et des Chrétiens érigée en devoir, ainsi qu'on le croit généralement. Il serait donc injuste de lui imputer les maux causés par le zèle inintelligent et les excès de ses successeurs.
Nous t'avons inspiré d'embrasser la religion d'Abraham, qui reconnaît l'unité de Dieu et qui n'adore que sa majesté suprême. ‑ Emploie la voix de la sagesse et la force de la persuasion pour appeler les hommes à Dieu. Combats avec les armes de l'éloquence. Dieu connaît parfaitement ceux qui ont dans l'égarement et ceux qui marchent au flambeau de la foi. (Sourate XVI, v. 124, 126.)
S'ils t'accusent d'imposture, réponds-leur : « J'ai pour moi mes œuvres ; que les vôtres parlent en votre faveur. Vous ne serez point responsables de ce que je fais, et moi, je suis innocent de ce que vous faites. (Sourate X, v. 42.)
Quand s'accompliront tes menaces ? demandent les infidèles. Marque-nous en le terme, si tu es véridique. Réponds-leur : « Les trésors et les vengeances célestes ne sont pont dans mes mains ; Dieu seul en est le dispensateur. Chaque nation a son terme fixé ; elle ne saurait ni le hâter, ni le retarder un instant. » (Sourate X, v. 49, 50.)
Si l'on nie ta doctrine, sache que les prophètes venus avant toi subirent le même sort, quoique les miracles, la tradition et le livre qui éclaire (l'Evangile) attestassent la vérité de leur mission. (Sourate XXXV, v. 23.)
L'aveuglement des infidèles te surprend, et ils rient de ton étonnement. ‑ En vain tu veux les instruire : leur cœur rejette l'instruction. ‑ S'ils voyaient des miracles, ils s'en moqueraient ; ‑ ils les attribueraient à la magie. (Sourate XXXVII, v. 12 à 15.)
Ce ne sont pas là les ordres d'un Dieu sanguinaire qui commande l'extermination. Mahomet ne se fait point l'exécuteur de sa justice ; son rôle est d'instruire ; à Dieu seul appartient de punir ou de récompenser en ce monde et en l'autre. Le dernier paragraphe semble être écrit pour les Spirites de nos jours, tant les hommes sont toujours et partout les mêmes.
Faites la prière, donnez l'aumône ; le bien que vous ferez, vous le trouverez auprès de Dieu, parce qu'il voit vos actions. (Sourate II, v. 104.)
Il ne suffit pas, pour être justifié, de tourner son visage vers l'orient et l'occident ; il faut en outre croire à Dieu, au jour dernier, aux anges, au Coran, aux prophètes. Il faut pour l'amour de Dieu secourir ses proches, les orphelins, les pauvres, les voyageurs, les captifs et ceux qui demandent. Il faut faire la prière, garder sa promesse, supporter patiemment l'adversité et les maux de la guerre. Tels sont les devoirs des vrais croyants. (Sourate II, v. 172.)
Une parole honnête et le pardon des offenses sont préférables à l'aumône qu'aurait suivie l'injustice. Dieu est riche et clément. (Sourate II, v. 265.)
Si votre débiteur a de la peine à vous payer, donnez-lui du temps ; ou, si vous voulez mieux faire, remettez-lui la dette. Si vous saviez ! (Sourate II, v. 280.)
La vengeance doit être proportionnée à l'injure ; mais l'homme généreux qui pardonne a sa récompense assurée auprès de Dieu, qui hait la violence. (Sourate XLII, v. 38.)
Combattez vos ennemis dans la guerre entreprise pour la religion, mais n'attaquez pas les premiers ; Dieu hait les agresseurs. (Sourate II, v. 186.)
Certainement les Musulmans, les Juifs, les Chrétiens et les Sabéens, qui croient en Dieu et au jugement dernier, et qui feront le bien, en recevront la récompense de ses mains ; ils seront exempts de la crainte et des supplices. (Sourate V, v. 73.)
Ne faites point violence aux hommes à cause de leur foi. La voie du salut est assez distincte du chemin de l'erreur. Celui qui abjurera le culte des idoles pour la religion sainte aura saisi une colonne inébranlable. Le Seigneur sait et entend tout. (Sourate II, v. 257.)
Ne disputez avec les Juifs et les Chrétiens qu'en termes honnêtes et modérés. Confondez ceux d'entre eux qui sont impies. Dites : Nous croyons au livre qui nous a été révélé et à vos écritures. Notre Dieu et le vôtre ne font qu'un. Nous sommes musulmans. (Sourate XXIX, v. 45.)
Les Chrétiens seront jugés d'après l'Evangile ; ceux qui les jugeront autrement seront prévaricateurs. (Sourate V, v. 51.)
Nous donnâmes le Pentateuque à Moïse. C'est à sa lumière que doit marcher le peuple hébreu. Ne doute pas de rencontrer au ciel le guide des Israélites. (Sourate XXXII, v. 23.)
Si les juifs avaient la foi et la crainte du Seigneur, nous effacerions leurs péchés ; nous les introduirions dans le jardin des délices. L'observation du Pentateuque, de l'Evangile et des préceptes divins leur procurerait la jouissance de tous les biens. Il en est parmi eux qui marchent dans la bonne voie, mais la plupart sont impies. (Sourate V, v. 70.)
Dis aux Juifs et aux Chrétiens : « Terminons nos différends ; n'admettons qu'un Dieu, et ne lui donnons point d'égal ; qu'aucun de nous n'ait d'autre Seigneur que lui. » S'ils refusent d'obéir, dis-leur : « Vous rendrez du moins témoignage que, quant à nous, nous sommes croyants. (Sourate III, v. 57.)
Voilà certes des maximes de charité et de tolérance qu'on aimerait à voir dans tous les cœurs chrétiens !
Nous t'avons envoyé à un peuple que d'autres peuples ont précédé, afin que tu lui enseignes nos révélations. Ils ne croient point aux miséricordieux. Dis-leur : « Il est mon Seigneur ; il n'y a de Dieu que lui. J'ai mis ma confiance en sa bonté. Je reparaîtrai devant son tribunal. (Sourate XIII, v. 29.)
Nous avons apporté aux hommes un livre où brille la science qui doit éclairer les fidèles et leur procurer la miséricorde divine. – Attendent-ils l'accomplissement du Coran ? Le jour où il sera accompli, ceux qui auront vécu dans l'oubli de ses maximes diront : « Les ministres du Seigneur nous prêchaient la vérité. Où trouverons-nous maintenant des intercesseurs ? Quel espoir avons-nous de retourner sur la terre pour nous corriger ? Ils ont perdu leurs âmes, et leurs illusions se sont évanouies. (Sour. VII, v. 50, 51.)
Le mot reparaître implique l'idée d'avoir déjà paru ; c'est-à-dire d'avoir vécu avant l'existence actuelle. Mahomet l'exprime clairement quand il dit ailleurs : « Vous reparaîtrez devant lui et il vous montrera vos œuvres. Vous retournerez devant le Dieu de vérité. » C'est le fond de la doctrine de la préexistence de l'âme, tandis que, selon l'Eglise, l'âme est créée à la naissance de chaque corps. La pluralité des existences terrestres n'est point indiquée dans le Coran d'une manière aussi explicite que dans l'Evangile ; cependant l'idée de revivre sur la terre est entrée dans la pensée de Mahomet, puisque tel serait, selon lui, le désir des coupables pour se corriger. Il a donc compris qu'il serait utile de pouvoir recommencer une nouvelle existence.
Quand on leur demande : Croyez-vous à ce que Dieu a envoyé du ciel ? Ils répondent : « Nous croyons aux Ecritures que nous avons reçues ; » et ils rejettent le livre véritable, venu depuis, pour mettre le sceau à leurs livres sacrés. Dis-leur : « Pourquoi avez-vous tué les prophètes si vous aviez la foi ? (Sourate II, v. 85.)
Mahomet n'est le père d'aucun de vous. Il est l'envoyé de Dieu et le sceau des prophètes. La science de Dieu est infinie. (Sourate XXXIII, v. 40.)
En se donnant comme le sceau des prophètes, Mahomet annonce qu'il est le dernier, la conclusion, parce qu'il a dit toute la vérité ; après lui il n'en viendra plus d'autres. C'est là un article de foi chez les Musulmans. Au point de vue inclusivement religieux, il est tombé dans l'erreur de toutes les religions qui se croient inamovibles, même contre le progrès des sciences ; mais pour lui c'était presque une nécessité afin d'affermir l'autorité de sa parole chez un peuple qu'il avait eu tant de peine à convertir à sa foi. Au point de vue social c'était un tort, parce que le Coran étant une législation civile autant que religieuse, il a posé un point d'arrêt au progrès. Telle est la cause qui a rendu et rendra longtemps encore les peuples musulmans stationnaires, et réfractaires aux innovations et aux réformes qui ne sont pas dans le Coran. C'est un exemple de l'inconvénient qu'il y a de confondre ce qui doit être distinct. Mahomet n'a pas tenu compte du progrès humain ; c'est une faute commune à presque tous les réformateurs religieux. D'un autre côté, il avait à réformer non-seulement la foi, mais le caractère, les usages, les habitudes sociales de ses peuples ; il lui fallait appuyer ses réformes sur l'autorité de la religion, ainsi que l'ont fait tous les législateurs des peuples primitifs ; la difficulté était grande, sans doute ; cependant, il laisse une porte ouverte à l'interprétation et aux modifications, en disant que « Dieu peut toujours remplacer ce qu'il a donné par quelque chose de mieux. »
Il vous est interdit d'épouser vos mères, vos filles, vos sœurs, vos tantes paternelles et maternelles, vos nièces, vos nourrices, vos sœurs de lait, les mères de vos femmes, les filles confiées à votre tutelle et issues de femmes avec lesquelles vous auriez cohabité. N'épousez pas non plus les filles de vos fils que vous avez engendrés, ni deux sœurs. Il vous est défendu d'épouser des femmes mariées, excepté celles qui seraient tombées entre vos mains comme esclaves. (Sourate IV, v. 27 et suiv.)
Ces prescriptions peuvent donner une idée de la démoralisation de ces peuples ; pour être obligé de défendre de tels abus, il fallait qu'ils existassent.
Epouses du Prophète, restez au sein de vos maisons. Ne vous parez point fastueusement, comme aux jours de l'idolâtrie. Faites la prière et l'aumône. Obéissez à Dieu et à son apôtre. Il veut écarter le vice de vos cœurs. Vous êtes de la famille du Prophète, et vous devez être pures. ‑ Zeid répudia son épouse. Nous t'avons uni avec elle, afin que les fidèles aient la liberté d'épouser les femmes de leurs fils adoptifs, après la répudiation. Le précepte divin doit avoir son exécution. ‑ O prophète, il t'est permis d'épouser les femmes que tu auras dotées, les captives que Dieu a fait tomber dans tes mains, les filles de tes oncles et de tes tantes qui ont pris la fuite avec toi, et toute femme fidèle qui t'accordera son cœur. C'est un privilège que nous t'accordons. ‑ Tu n'ajouteras point au nombre actuel de tes épouses ; tu ne pourras les changer contre d'autres dont la beauté t'aurait frappé. Mais la fréquentation de tes femmes esclaves t'est toujours permise. Dieu observe tout. (Sourate XXXIII, v. 37, 49, 52.)
C'est ici que Mahomet descend véritablement du piédestal sur lequel il était monté. On regrette de le voir tomber si bas après s'être élevé si haut, et faire intervenir Dieu pour justifier les privilèges qu'il s'octroyait pour l'assouvissement de ses passions. Il accordait aux croyants quatre femmes légitimes, alors que lui-même s'en était donné treize. Le législateur doit être le premier sujet des lois qu'il fait. C'est une tache ineffaçable qu'il a jetée sur lui et sur l'Islamisme.
Efforcez-vous de mériter l'indulgence du Seigneur, et la possession du paradis, dont l'étendue égale les cieux et la terre, séjour préparé aux justes, ‑ à ceux qui font l'aumône dans la prospérité et dans l'adversité, et qui, maîtres des mouvements de leur colère, savent pardonner à leurs semblables. Dieu aime la bienfaisance. (Sourate III, v. 127, 128.)
Dieu a promis aux fidèles qui auront pratiqué la vertu l'entrée des jardins où coulent des fleuves. Ils y demeureront éternellement. Les promesses du Seigneur sont véritables. Quoi de plus infaillible que sa parole ? (Sourate IV, v. 121.)
Ils habiteront éternellement le séjour que Dieu leur a préparé, les jardins de délices arrosés par des fleuves, lieux où règnera la souveraine béatitude. (Sourate IX, v. 90.)
Les jardins et les fontaines seront le partage de ceux qui craignent le Seigneur. Ils entreront avec la paix et la sécurité. ‑ Nous ôterons l'envie de leurs cœurs. Ils reposeront sur des lits, et ils auront les uns pour les autres une bienveillance fraternelle. ‑ La fatigue n'approchera point du séjour des délices. On ne leur en ravira point la possession. (Sourate XV, v. 45 à 48.)
Les jardins d'Eden seront l'habitation des justes. Des bracelets d'or ornés de perles, et des habits de soie formeront leur parure. ‑ Louange à Dieu, s'écrieront-ils ; il a écarté de nous la peine ; il est miséricordieux et compatissant. ‑ Il nous a introduits dans le palais éternel, séjour de sa magnificence. La fatigue ni la douleur n'approchent point de cet asile. (Sourate XXXV, v. 30, 31, 32.)
Les hôtes du paradis boiront à longs traits dans la coupe du bonheur. ‑ Couchés sur des lits de soie, ils reposeront près de leurs épouses, sous des ombrages délicieux. ‑ Ils trouveront tous les fruits. Tous leurs désirs seront comblés. (Sourate XXXVI, v. 55, 56, 57.)
Les vrais serviteurs de Dieu auront une nourriture choisie, ‑ des fruits exquis, et ils seront servis avec honneur. ‑ Les jardins des délices seront leur asile. ‑ Pleins d'une bienveillance mutuelle, ils reposeront sur des sièges. ‑ On leur offrira des coupes remplies d'une eau pure, ‑ limpide et d'un goût délicieux, ‑ qui n'obscurcira point leur raison, et ne les enivrera pas. ‑ Près d'eux seront des vierges aux regards modestes, aux grands yeux noirs et dont le teint aura la couleur des œufs de l'autruche. (Sourate XXXII, v. 39 à 47.)
On dira aux croyants qui auront professé l'Islamisme : Entrez dans le jardin des délices, vous et vos épouses ; ouvrez vos cœurs à la joie. – On leur présentera à boire dans des coupes d'or. Le cœur trouvera dans ce séjour tout ce qu'il peut désirer, l'œil tout ce qui peut le charmer, et ces plaisirs seront éternels. ‑ Voici le paradis dont vos œuvres vous ont procuré la possession. – Nourrissez-vous des fruits qui y croissent en abondance. (Sourate XLIII, v. 69 à 72.)
Tel est ce fameux paradis de Mahomet sur lequel on s'est tant égayé, et que nous ne chercherons assurément pas à justifier. Nous dirons seulement qu'il était en harmonie avec les mœurs de ces peuples, et qu'il devait les flatter bien plus que la perspective d'un état purement spirituel, quelque splendide qu'il fût, parce qu'ils étaient trop matériels pour le comprendre et en apprécier la valeur ; il leur fallait quelque chose de plus substantiel, et on peut dire qu'ils ont été servis à souhait. On remarquera sans doute que les fleuves, les fontaines, les fruits abondants et les ombrages y jouaient un grand rôle, car c'est là ce qui manque surtout aux habitants du désert. Des lits moelleux et des habits de soie, pour des gens habitués à coucher sur la terre et vêtus de grossières couvertures en poil de chameau, devaient aussi avoir un grand attrait. Quelque ridicule que tout cela nous paraisse, songeons au milieu où vivait Mahomet, et ne le blâmons pas trop, puisqu'à l'aide de cet appât, il a su tirer un peuple de la barbarie et en faire une grande nation.
Dans un prochain article nous examinerons comment l'Islamisme pourra se rallier à la grande famille de l'humanité civilisée.
Somnambulisme médianimique spontané
La dernière séance de la Société Spirite de
Paris, avant les vacances, a été l'une des plus remarquables de l'année, soit
par le nombre et la portée des communications qui y ont été obtenues, soit par
la production d'un phénomène spontané de somnambulisme médianimique. Vers le milieu
de la séance, M. Morin, membre de la société et l'un des médiums habitués,
s'est endormi spontanément sous l'influence des Esprits, ce qui ne lui était
jamais arrivé. Alors il a parlé avec feu, avec éloquence, sur un sujet d'une
haute gravité et du plus grand intérêt, dont nous aurons à nous occuper
ultérieurement.
La séance de réouverture du vendredi 5 octobre a présenté un phénomène analogue, mais dans de plus larges proportions. Il y avait à la table treize médiums. Pendant la première partie, deux d'entre eux, madame C… et M. Vavasseur, s'endormirent comme l'avait fait M. Morin, sans provocation aucune et sans que personne y songeât, sous l'influence des Esprits. M. Vavasseur est le médium poète, qui obtient avec la plus grande facilité les remarquables poésies dont nous avons publié plusieurs échantillons. M. Morin était sur le point de s'endormir aussi. Or voici ce qui s'est passé pendant leur sommeil, qui a duré près d'une heure.
M. Vavasseur, d'une voix grave et solennelle, dit : « Toute volonté, toute action magnétique, est et doit rester étrangère à ce phénomène. Personne ne doit parler ni à ma sœur, ni à moi. » En parlant de sa sœur, il désignait madame C…, c'est-à-dire sœur spirituelle, car ils ne sont nullement parents. Puis, s'adressant à M. Morin, placé à l'autre extrémité de la table, et étendant sa main vers lui avec un geste impératif : « Je te défends de dormir. » M. Morin, en effet, déjà presque endormi, se réveilla de lui-même. Recommandation expresse est en outre faite de ne toucher ni l'un ni l'autre des deux médiums.
M. V. continuant : « Ah ! je sens ici un courant fluidique mauvais qui me fatigue… Sœur, tu souffres aussi ? ‑ Madame C…, Oui. ‑ M. V. Regarde ! la société est nombreuse, ce soir. Vois-tu ? ‑ Madame C… Pas encore très clairement. ‑ M. V… Je veux que tu voies. ‑ Madame C… Oh ! oui ; les Esprits sont nombreux ! ‑ M. V… Oui, ils sont bien nombreux ; on ne les compte plus !… Mais, regarde, devant toi ; vois un Esprit plus lumineux, à l'auréole plus brillante… Il semble nous sourire avec bienveillance !… On me dit que c'est mon patron (saint Louis)… Allons, marchons ; allons tous deux vers lui… Oh ! j'ai bien des fautes à réparer… (s'adressant à l'Esprit) : Cher Esprit ! en naissant à la vie, ma mère me donna votre nom. Depuis, je m'en souviens, cette pauvre mère me disait tous les jours : « Oh ! mon enfant, prie Dieu ; prie ton ange gardien ; prie surtout ton patron. » Plus tard, j'oubliai tout… tout !… Le doute, l'incrédulité, m'ont poursuivi ; dans mon égarement je vous ai méconnu, j'ai méconnu la bonté de Dieu… Aujourd'hui, cher Esprit, je viens vous demander l'oubli du passé et le pardon dans le présent !… O saint Louis, vous voyez ma douleur et mon repentir, oubliez et pardonnez. » (Ces dernières paroles ont été dites avec un accent déchirant de désespoir.)
Madame C… « Il ne faut pas pleurer, frère… Saint Louis te pardonne et te bénit… Les bons Esprits n'ont point de ressentiment contre ceux qui reviennent de leurs erreurs. Il te pardonne, te dis-je !… Oh ! il est bon cet Esprit !… Vois, il nous sourit. (Portant la main à sa poitrine.) Oh ! que cela fait mal de souffrir ainsi ! »
M. V… « Il me parle… Ecoute !… Courage, me dit-il, travaille avec tes frères. L'année qui commence sera fertile en grands événements. Autour de vous surgiront de grands génies, des poètes, des peintres, des littérateurs. L'ère des arts succède à l'ère de la philosophie. Si la première a fait des prodiges, la seconde fera des miracles. » (M. V… s'exprime avec une véhémence extraordinaire ; il est au suprême degré de l'extase.)
Madame C… « Calme-toi, frère ; tu y mets beaucoup trop de feu, et cela te fait mal ; calme-toi. »
M. V… (continuant) : « Mais là commence la mission de votre société, mission bien grande et bien belle pour ceux qui la comprennent… Foyer de la doctrine spirite, elle doit en défendre et en propager les principes par tous les moyens dont elle dispose. Du reste, son président saura ce qu'il faut faire.
« Maintenant, sœur, il s'éloigne ; il nous sourit encore ; il nous dit de la main : au revoir… Allons, montons, sœur ; tu dois assister à un spectacle splendide, à un spectacle que l'œil de la terre n'a jamais vu… jamais, jamais !… Monte… monte… je le veux !… (Silence.) Que vois-tu ?… Regarde cette armée d'Esprits !… Les poètes sont là qui nous entourent… Oh ! chantez aussi, chantez !… Vos chants sont les chants du ciel, l'hymne de la création !… Chantez !… Et leurs murmures caressent mes oreilles… et leurs accords endorment mon esprit… Tu n'entends pas ?… »
Madame C… « Si, j'entends… Ils semblent dire qu'avec l'année spirite qui commence, commence une nouvelle phase pour le Spiritisme… phase brillante, de triomphe et de joie pour les cœurs sincères, de honte et de confusion pour les orgueilleux et les hypocrites ! Pour ceux-ci, les déceptions, le délaissement, l'oubli, la misère ; pour les autres, la glorification. »
M. V… « Ils l'ont déjà dit, et cela se vérifie. »
Madame C… « Oh ! quelle fête ! quelle magnificence ! quelle splendeur éblouissante ! Mes regards peuvent à peine en soutenir l'éclat. Quelle suave harmonie se fait entendre et pénètre l'âme !… Vois tous ces bons Esprits qui préparent le triomphe de la doctrine sous la conduite des Esprits supérieurs et du grand Esprit de Vérité !… Qu'ils sont resplendissants, et qu'il doit en coûter de redescendre habiter sur un globe comme le nôtre ! Cela est douloureux, mais cela fait avancer. »
M. V… « Écoute !… écoute !… écoute, te dis-je ! »
M. V… commence l'improvisation suivante en vers. C'était la première fois qu'il faisait de la poésie médianimique verbalement. Jusqu'à ce jour les communications de ce genre avaient toujours été données spontanément par écrit.
C'était un soir d'orage,
La mer roulait ses morts,
En jetant au rivage
De lugubres accords !…
Un enfant, jeune encore,
Debout sur un rocher,
Attendait que l'aurore
L'éclairât pour marcher,
Pour aller à la plage
Redemander sa sœur
Echappée au naufrage,
Ou… ravie à son cœur.
Pourrait-il, sur la rive,
La voir, comme autrefois,
Souriante et naïve,
Accourir à sa voix ?
Dans cette nuit horrible,
Sur les flots égarés,
Cette main invisible
Qui les a séparés,
Les réunira-t-elle ?
Ce fût un vain espoir !
L'aurore se fit belle,
Mais… ne lui fit rien voir ;
Rien… que la triste épave
D'un bâtiment détruit !
Rien… que le flot lui lave
Ce qu'il souilla la nuit.
La vague, avec mystère,
Effleurait en glissant,
Ecumeuse et légère,
Le gouffre menaçant
Qui cachait sa victime,
Etouffait ses sanglots,
Et voulait de son crime
Faire excuser les flots
A la brise plaintive !
L'enfant, las de chercher,
De courir sur la rive,
Ne pouvait plus marcher…
Essoufflé, hors d'haleine,
Boiteux ;… meurtri ;… brisé ;…
Se soutenant à peine,
Il s'était reposé
Sûr la brûlante pierre
D'un rocher presque nu,
Et faisait sa prière,
Quand passe un inconnu.
Surpris, il le regarde
Qui priait avec foi.
- Oh ! mon fils, Dieu te garde,
Dit-il ; relève-toi !…
Ce Dieu qui voit tes larmes,
M'a mis sur ton chemin
Pour calmer tes alarmes,
Et te tendre la main !
Que rien ne te retienne ;
Mon foyer est le tien,
Ma famille est la tienne,
Ton malheur est le mien.
Viens, dis-moi ta souffrance ;
Je t'ouvrirai mon cœur,
Et bientôt l'espérance
Calmera ta frayeur.
(S'adressant à Madame C.) – « Tu le vois, il s'arrête !… mais il doit encore parler !…. Oui, il s'approche !… les sons deviennent plus distincts… J'entends… ah !
Ce pauvre enfant… c'est moi !
Cet inconnu… (s'adressant à M. Allan Kardec) c'est toi,
Cher et honoré maître !
Toi qui me fis connaître
Deux mots : … Eternité
Et… Immortalité !
Deux noms : l'un Dieu, l'autre âme !
L'un foyer, l'autre flamme !
Et vous, mes chers amis,
En ce lieu réunis,
Vous êtes la famille
Où désormais tranquille,
Je dois finir mes jours !
Oh !… Aimez-vous toujours !…
« Il fuit… Casimir Delavigne !… Oh ! cher Esprit… encore !… Il fuit !… Allons, je ne suis pas assez fort pour assister à ce concert divin… Oui, c'est trop beau… c'est trop beau !…
Madame C… « Il parlerait encore si tu l'avais voulu, mais ton exaltation l'en a empêché. Te voilà brisé, meurtri, haletant ; tu ne peux plus parler.
M. V… « Oui, je le sens ; c'est encore une faiblesse (avec un vif sentiment de regret), et je dois te réveiller !… trop tôt… Pourquoi ne pas toujours rester en ce lieu ? Pourquoi redescendre sur la terre ?… Allons, puisqu'il le faut, sœur, il faut obéir sans murmurer… Réveille-toi, je le veux. (Madame C… ouvre les yeux.) Pour moi, tu peux me réveiller en agitant ton mouchoir. J'étouffe ! de l'air !… de l'air !…
Ces paroles, et surtout les vers, ont été dits avec un accent, une effusion de sentiment et une chaleur d'expression dont les scènes les plus dramatiques et les plus pathétiques peuvent seules donner une idée. L'émotion de l'assemblée était générale, car on sentait que ce n'était pas de la déclamation, mais l'âme elle-même dégagée de la matière qui parlait…
M. V…, épuisé de fatigue, est obligé de quitter la salle, et reste longtemps anéanti sous l'empire d'un demi-sommeil, d'où il ne sort que petit à petit, de lui-même, sans vouloir que personne l'aide à se dégager.
Ces faits viennent confirmer les prévisions des Esprits touchant les nouvelles formes que ne tarderait pas à prendre la médiumnité. L'état de somnambulisme spontané, dans lequel se développe à la fois la médiumnité parlante et voyante, est en effet une faculté nouvelle, en ce sens qu'elle paraît devoir se généraliser ; c'est un mode particulier de communication, et qui a sa raison d'être en ce moment plus qu'auparavant.
Du reste, ce phénomène est bien plus pour servir de complément à l'instruction des Spirites que pour la conviction des incrédules qui n'y verraient qu'une comédie. Les Spirites éclairés, seuls, peuvent, non-seulement le comprendre, mais y découvrir les preuves de la sincérité ou de la jonglerie, comme dans tous les autres genres de médiumnité ; seuls ils peuvent en dégager ce qui est utile, en déduire les conséquences pour le progrès de la science dans laquelle il les fait pénétrer plus avant. Aussi ces phénomènes ne se produisent-ils généralement que dans l'intimité, et là, outre que les médiums n'auraient aucun intérêt à simuler une faculté qui n'existerait pas, la supercherie y serait bientôt démasquée.
Les nuances d'observation sont ici si délicates et si subtiles, qu'elles requièrent une attention soutenue. Dans cet état d'émancipation, la sensibilité et l'impressionnabilité sont si grandes que la faculté ne peut se développer dans tout son éclat que sous une influence fluidique entièrement sympathique ; un courant contraire suffit pour l'altérer comme le souffle qui ternit la glace. La sensation pénible qu'en ressent le médium le fait se replier sur lui-même, comme la sensitive à l'approche de la main. Son attention se porte alors dans la direction de ce courant désagréable ; il pénètre la pensée qui en est la source, il la voit, il la lit, et plus il la sent antipathique, plus elle le paralyse. Qu'on juge par là de l'effet que doit produire un concours de pensées hostiles ! Aussi ces sortes de phénomènes ne se prêtent-ils nullement aux exhibitions publiques, où la curiosité est le sentiment qui domine quand ce n'est pas celui de la malveillance. Ils requièrent de plus, de la part des témoins, une excessive prudence, car il ne faut pas perdre de vue que, dans ces moments-là, l'âme ne tient plus au corps que par un lien fragile, et qu'une secousse peut tout au moins causer de graves désordres dans l'économie ; une curiosité indiscrète et brutale peut avoir les plus funestes conséquences ; c'est pourquoi on ne saurait agir avec trop de précaution.
Lorsque M. V., dit en commençant, que « toute volonté, toute action magnétique, est et doit rester étrangère à ce phénomène, » il fait comprendre que l'action seule des Esprits en est la cause, et que personne ne pourrait la provoquer. La recommandation de ne parler ni à l'un ni à l'autre avait pour but de les laisser tout entiers à l'extase. Des questions auraient eu pour effet d'arrêter l'essor de leur Esprit, en les ramenant au terre à terre, et en détournant leur pensée de son objet principal. L'exaltation de la sensibilité rendait également nécessaire la recommandation de ne pas les toucher. Le contact aurait produit une commotion pénible et nuisible au développement de la faculté.
On comprend, d'après cela, pourquoi la plupart des hommes de science appelés à constater des phénomènes de ce genre, sont déçus ; ce n'est pas à cause de leur manque de foi, comme ils le prétendent, que l'effet est refusé par les Esprits : ce sont eux-mêmes qui, par leurs dispositions morales, produisent une réaction contraire ; au lieu de se placer dans les conditions du phénomène, ils veulent placer le phénomène dans leur propre condition. Ils voudraient y trouver la confirmation de leurs théories anti-spiritualistes, car là, seulement, pour eux, est la vérité, et ils sont vexés, humiliés de recevoir un démenti par les faits. Alors n'obtenant rien, ou n'obtenant que des choses qui contredisent leur manière de voir, plutôt que de revenir sur leur opinion ils préfèrent nier, ou dire que ce n'est que de l'illusion. Et comment pourrait-il en être autrement chez des gens qui n'admettent pas la spiritualité ? Le principe spirituel est la cause de phénomènes d'un ordre particulier ; en chercher la cause en dehors de ce principe, c'est chercher celle de la foudre en dehors de l'électricité. Ne comprenant pas les conditions spéciales du phénomène, ils expérimentent sur le patient comme sur un bocal de produits chimiques ; ils le torturent comme s'il s'agissait d'une opération chirurgicale, au risque de compromettre sa vie ou sa santé.
L'extase, qui est le plus haut degré d'émancipation, exige d'autant plus de précautions que, dans cet état, l'Esprit enivré par le spectacle sublime qu'il a sous les yeux, ne demande généralement pas mieux que de rester où il est, et de quitter tout à fait la terre ; souvent même il fait des efforts pour rompre le dernier lien qui l'enchaîne à son corps, et si sa raison n'était pas assez forte pour résister à la tentation, il se laisserait volontiers aller. C'est alors qu'il faut lui venir en aide par une forte volonté et en le tirant de cet état. On comprend qu'il n'y a point ici de règle absolue, et qu'il faut se diriger selon les circonstances.
Un de nos amis nous offre, sous ce rapport, un intéressant sujet d'étude.
Jadis on avait inutilement cherché à le magnétiser ; depuis quelque temps il tombe spontanément dans le sommeil magnétique sous l'influence de la cause la plus légère ; il suffit qu'il écrive quelques lignes médianimiquement, et parfois d'une simple conversation. Dans son sommeil, il a des perceptions d'un ordre très élevé ; il parle avec éloquence et approfondit avec une remarquable logique les questions les plus graves. Il voit parfaitement les Esprits, mais sa lucidité présente des degrés différents par lesquels il passe alternativement ; le plus ordinaire est celui d'une demi-extase. A certains moments, il s'exalte, et s'il éprouve une vive émotion, ce qui est fréquent, il s'écrie avec une sorte de terreur, et cela souvent au milieu de l'entretien le plus intéressant : Réveillez-moi tout de suite, ce qu'il serait imprudent de ne pas faire. Fort heureusement, il nous a indiqué le moyen de le réveiller instantanément, et qui consiste à lui souffler fortement sur le front, les passes magnétiques ne produisant qu'un effet très lent ou nul.
Voici l'explication qui nous a été donnée sur sa faculté par un de nos guides à l'aide d'un autre médium.
« L'Esprit de M. T… est entravé dans son essor par l'épreuve matérielle qu'il a choisie. L'outil qu'il fait mouvoir, son corps, dans l'état actuel où il est, n'est pas assez maniable pour lui permettre de s'assimiler les connaissances nécessaires, ou d'user de celles qu'il possède, de proprio motu, et à l'état de veille. Lorsqu'il est endormi, le corps, cessant d'être une entrave, devient seulement le porte-voix de son propre Esprit, ou de ceux avec lesquels il est en relation. La fatigue matérielle inhérente à ses occupations, l'ignorance relative dans laquelle il subit cette incarnation, puisqu'il ne sait, en fait de sciences, que ce qu'il s'est révélé à lui-même, tout cela disparaît pour faire place à une lucidité de pensée, à une étendue de raisonnement, et à une éloquence hors ligne, qui sont le fait du développement antérieur de l'Esprit. La fréquence de ses extases a simplement pour but d'habituer son corps à un état qui, pendant une certaine période, et pour un but ultérieur spécial, pourra devenir en quelque sorte normal. Quand il demande à être réveillé promptement, cela tient au désir qu'il a d'accomplir sa mission sans faillir. Sous le charme des tableaux sublimes qui s'offrent à lui et du milieu où il se trouve, il voudrait s'affranchir des liens terrestres et demeurer d'une manière définitive parmi les Esprits. Sa raison, et son devoir qui le retient ici-bas, combattent ce désir ; et de peur de se laisser dominer et de succomber à la tentation, il vous crie de le réveiller. »
Ces phénomènes de somnambulisme médianimique spontané devant se multiplier, les instructions qui précèdent ont pour but de guider les groupes où ils pourraient se produire, dans l'observation des faits, et de leur faire comprendre la nécessité d'user de la plus extrême prudence en pareil cas. Ce dont il faut s'abstenir d'une manière absolue, c'est d'en faire un objet d'expérimentation et de curiosité. Les Spirites pourront y puiser de grands enseignements propres à éclairer et à fortifier leur foi, mais, nous le répétons, ils seraient sans profit pour les incrédules. Les phénomènes destinés à convaincre ces derniers, et pouvant se produire au grand jour, sont d'un autre ordre, et dans le nombre quelques-uns auront lieu, et se produisent déjà, en apparence du moins, en dehors du Spiritisme ; le mot Spiritisme les effraye ; ce mot n'étant pas prononcé, ce sera pour eux une raison de plus de s'en occuper ; les Esprits sont donc sages de changer parfois l'étiquette.
Quant à l'utilité spéciale de cette médiumnité, elle est dans la preuve en quelque sorte palpable qu'elle fournit de l'indépendance de l'Esprit par son isolement de la matière. Comme nous l'avons dit, les manifestations de ce genre éclairent et fortifient la foi ; elles nous mettent en contact plus direct avec la vie spirituelle. Quel est le Spirite tiède ou incertain qui resterait indifférent en présence de faits qui lui font pour ainsi dire toucher du doigt la vie future ? Quel est celui qui pourrait douter encore de la présence et de l'intervention des Esprits ? Quel est le cœur assez endurci pour n'être pas ému à l'aspect de l'avenir qui se déroule devant lui, et que Dieu, dans sa bonté, lui permet d'entrevoir.
Mais ces manifestations ont une autre utilité plus pratique, plus actuelle, car, plus que d'autres, elles seront de nature à relever le courage dans les moments durs que nous avons à traverser. C'est au moment de la tourmente qu'on sera heureux de sentir auprès de soi des protecteurs invisibles ; c'est alors qu'on connaîtra le prix de ces connaissances qui nous élèvent au-dessus de l'humanité et des misères de la terre, qui calment nos regrets et nos appréhensions, en nous faisant voir ce qui seul est grand, impérissable et digne de nos aspirations. C'est un secours que Dieu envoie en temps opportun à ses fidèles serviteurs, et c'est encore là un signe que les temps marqués sont arrivés. Sachons le mettre à profit pour notre avancement. Remercions Dieu d'avoir permis que nous fussions éclairés à temps, et plaignons les incrédules de se priver eux-mêmes de cette immense et suprême consolation, car la lumière a été répandue pour tous. Par la voix des Esprits qui parlent par toute la terre, il fait un dernier appel aux endurcis ; implorons son indulgence et sa miséricorde pour les aveugles.
L'extase est, comme nous l'avons dit, un état supérieur de dégagement dont l'état somnambulique est un des premiers degrés, mais qui n'implique en aucune façon la supériorité de l'Esprit. Le dégagement le plus complet est assurément celui qui suit la mort. Or nous voyons à ce moment l'Esprit conserver ses imperfections, ses préjugés, commettre des erreurs, se faire des illusions, manifester les mêmes penchants. C'est que les bonnes et les mauvaises qualités sont inhérentes à l'Esprit et ne dépendent pas des causes extérieures. Les causes extérieures peuvent paralyser les facultés de l'Esprit, qui les recouvre à l'état de liberté, mais elles sont impuissantes à lui donner celles qu'il n'a pas. La saveur d'un fruit est en lui ; quoi que l'on fasse, en quelque lieu qu'on le place, s'il est fade par nature, on ne le rendra pas savoureux. Ainsi en est-il de l'Esprit. Si le dégagement complet, après la mort, n'en fait pas un être parfait, à moins forte raison peut-il le devenir dans un dégagement partiel.
Le dégagement extatique est un état physiologique, indice évident d'un certain degré d'avancement de l'Esprit, mais non d'une supériorité absolue. Les imperfections morales, qui sont dues à l'influence de la matière, disparaissent avec cette influence, c'est pourquoi on remarque, en général, chez les somnambules et les extatiques, des idées plus élevées qu'a l'état de veille ; mais celles qui tiennent à la qualité même de l'Esprit continuent à se manifester, quelquefois même avec moins de retenue que dans l'état normal ; l'Esprit, affranchi de toute contrainte, laisse parfois un libre cours à des sentiments qu'il cherche à dissimuler, comme homme, aux yeux du monde.
De toutes les tendances mauvaises, les plus persistantes et celles qu'on s'avoue le moins à soi-même, sont les vices radicaux de l'humanité : l'orgueil et l'égoïsme qui enfantent les jalousies, les mesquines susceptibilités d'amour-propre, l'exaltation de la personnalité qui se révèlent souvent à l'état de somnambulisme. Ce n'est pas le dégagement qui les fait naître, il ne fait que les mettre à découvert ; de latents ils deviennent sensibles par suite de la liberté de l'Esprit.
Il ne faut donc s'attendre à trouver aucune espèce d'infaillibilité, ni morale, ni intellectuelle, chez les somnambules et les extatiques ; la faculté dont ils jouissent peut être altérée par les imperfections de leur Esprit. Leurs paroles peuvent être le reflet de leurs pensées et de leurs sentiments ; ils peuvent en outre subir les effets de l'obsession, tout aussi bien que dans l'état ordinaire, et être de la part des Esprits légers ou malintentionnés le jouet des plus étranges illusions, ainsi que le démontre l'expérience.
Ce serait donc une erreur de croire que les visions et les révélations de l'extase ne peuvent être que l'expression de la vérité ; comme toutes les autres manifestations, il faut les soumettre au creuset du bon sens et de la raison, faire la part du bon et du mauvais, de ce qui est rationnel et de ce qui est illogique. Si ces sortes de manifestations se multiplient, c'est bien moins en vue de nous donner des révélations extraordinaires, que pour nous fournir de nouveaux sujets d'étude et d'observation sur les facultés et les propriétés de l'âme, et nous donner une nouvelle preuve de son existence et de son indépendance de la matière.
La séance de réouverture du vendredi 5 octobre a présenté un phénomène analogue, mais dans de plus larges proportions. Il y avait à la table treize médiums. Pendant la première partie, deux d'entre eux, madame C… et M. Vavasseur, s'endormirent comme l'avait fait M. Morin, sans provocation aucune et sans que personne y songeât, sous l'influence des Esprits. M. Vavasseur est le médium poète, qui obtient avec la plus grande facilité les remarquables poésies dont nous avons publié plusieurs échantillons. M. Morin était sur le point de s'endormir aussi. Or voici ce qui s'est passé pendant leur sommeil, qui a duré près d'une heure.
M. Vavasseur, d'une voix grave et solennelle, dit : « Toute volonté, toute action magnétique, est et doit rester étrangère à ce phénomène. Personne ne doit parler ni à ma sœur, ni à moi. » En parlant de sa sœur, il désignait madame C…, c'est-à-dire sœur spirituelle, car ils ne sont nullement parents. Puis, s'adressant à M. Morin, placé à l'autre extrémité de la table, et étendant sa main vers lui avec un geste impératif : « Je te défends de dormir. » M. Morin, en effet, déjà presque endormi, se réveilla de lui-même. Recommandation expresse est en outre faite de ne toucher ni l'un ni l'autre des deux médiums.
M. V. continuant : « Ah ! je sens ici un courant fluidique mauvais qui me fatigue… Sœur, tu souffres aussi ? ‑ Madame C…, Oui. ‑ M. V. Regarde ! la société est nombreuse, ce soir. Vois-tu ? ‑ Madame C… Pas encore très clairement. ‑ M. V… Je veux que tu voies. ‑ Madame C… Oh ! oui ; les Esprits sont nombreux ! ‑ M. V… Oui, ils sont bien nombreux ; on ne les compte plus !… Mais, regarde, devant toi ; vois un Esprit plus lumineux, à l'auréole plus brillante… Il semble nous sourire avec bienveillance !… On me dit que c'est mon patron (saint Louis)… Allons, marchons ; allons tous deux vers lui… Oh ! j'ai bien des fautes à réparer… (s'adressant à l'Esprit) : Cher Esprit ! en naissant à la vie, ma mère me donna votre nom. Depuis, je m'en souviens, cette pauvre mère me disait tous les jours : « Oh ! mon enfant, prie Dieu ; prie ton ange gardien ; prie surtout ton patron. » Plus tard, j'oubliai tout… tout !… Le doute, l'incrédulité, m'ont poursuivi ; dans mon égarement je vous ai méconnu, j'ai méconnu la bonté de Dieu… Aujourd'hui, cher Esprit, je viens vous demander l'oubli du passé et le pardon dans le présent !… O saint Louis, vous voyez ma douleur et mon repentir, oubliez et pardonnez. » (Ces dernières paroles ont été dites avec un accent déchirant de désespoir.)
Madame C… « Il ne faut pas pleurer, frère… Saint Louis te pardonne et te bénit… Les bons Esprits n'ont point de ressentiment contre ceux qui reviennent de leurs erreurs. Il te pardonne, te dis-je !… Oh ! il est bon cet Esprit !… Vois, il nous sourit. (Portant la main à sa poitrine.) Oh ! que cela fait mal de souffrir ainsi ! »
M. V… « Il me parle… Ecoute !… Courage, me dit-il, travaille avec tes frères. L'année qui commence sera fertile en grands événements. Autour de vous surgiront de grands génies, des poètes, des peintres, des littérateurs. L'ère des arts succède à l'ère de la philosophie. Si la première a fait des prodiges, la seconde fera des miracles. » (M. V… s'exprime avec une véhémence extraordinaire ; il est au suprême degré de l'extase.)
Madame C… « Calme-toi, frère ; tu y mets beaucoup trop de feu, et cela te fait mal ; calme-toi. »
M. V… (continuant) : « Mais là commence la mission de votre société, mission bien grande et bien belle pour ceux qui la comprennent… Foyer de la doctrine spirite, elle doit en défendre et en propager les principes par tous les moyens dont elle dispose. Du reste, son président saura ce qu'il faut faire.
« Maintenant, sœur, il s'éloigne ; il nous sourit encore ; il nous dit de la main : au revoir… Allons, montons, sœur ; tu dois assister à un spectacle splendide, à un spectacle que l'œil de la terre n'a jamais vu… jamais, jamais !… Monte… monte… je le veux !… (Silence.) Que vois-tu ?… Regarde cette armée d'Esprits !… Les poètes sont là qui nous entourent… Oh ! chantez aussi, chantez !… Vos chants sont les chants du ciel, l'hymne de la création !… Chantez !… Et leurs murmures caressent mes oreilles… et leurs accords endorment mon esprit… Tu n'entends pas ?… »
Madame C… « Si, j'entends… Ils semblent dire qu'avec l'année spirite qui commence, commence une nouvelle phase pour le Spiritisme… phase brillante, de triomphe et de joie pour les cœurs sincères, de honte et de confusion pour les orgueilleux et les hypocrites ! Pour ceux-ci, les déceptions, le délaissement, l'oubli, la misère ; pour les autres, la glorification. »
M. V… « Ils l'ont déjà dit, et cela se vérifie. »
Madame C… « Oh ! quelle fête ! quelle magnificence ! quelle splendeur éblouissante ! Mes regards peuvent à peine en soutenir l'éclat. Quelle suave harmonie se fait entendre et pénètre l'âme !… Vois tous ces bons Esprits qui préparent le triomphe de la doctrine sous la conduite des Esprits supérieurs et du grand Esprit de Vérité !… Qu'ils sont resplendissants, et qu'il doit en coûter de redescendre habiter sur un globe comme le nôtre ! Cela est douloureux, mais cela fait avancer. »
M. V… « Écoute !… écoute !… écoute, te dis-je ! »
M. V… commence l'improvisation suivante en vers. C'était la première fois qu'il faisait de la poésie médianimique verbalement. Jusqu'à ce jour les communications de ce genre avaient toujours été données spontanément par écrit.
C'était un soir d'orage,
La mer roulait ses morts,
En jetant au rivage
De lugubres accords !…
Un enfant, jeune encore,
Debout sur un rocher,
Attendait que l'aurore
L'éclairât pour marcher,
Pour aller à la plage
Redemander sa sœur
Echappée au naufrage,
Ou… ravie à son cœur.
Pourrait-il, sur la rive,
La voir, comme autrefois,
Souriante et naïve,
Accourir à sa voix ?
Dans cette nuit horrible,
Sur les flots égarés,
Cette main invisible
Qui les a séparés,
Les réunira-t-elle ?
Ce fût un vain espoir !
L'aurore se fit belle,
Mais… ne lui fit rien voir ;
Rien… que la triste épave
D'un bâtiment détruit !
Rien… que le flot lui lave
Ce qu'il souilla la nuit.
La vague, avec mystère,
Effleurait en glissant,
Ecumeuse et légère,
Le gouffre menaçant
Qui cachait sa victime,
Etouffait ses sanglots,
Et voulait de son crime
Faire excuser les flots
A la brise plaintive !
L'enfant, las de chercher,
De courir sur la rive,
Ne pouvait plus marcher…
Essoufflé, hors d'haleine,
Boiteux ;… meurtri ;… brisé ;…
Se soutenant à peine,
Il s'était reposé
Sûr la brûlante pierre
D'un rocher presque nu,
Et faisait sa prière,
Quand passe un inconnu.
Surpris, il le regarde
Qui priait avec foi.
- Oh ! mon fils, Dieu te garde,
Dit-il ; relève-toi !…
Ce Dieu qui voit tes larmes,
M'a mis sur ton chemin
Pour calmer tes alarmes,
Et te tendre la main !
Que rien ne te retienne ;
Mon foyer est le tien,
Ma famille est la tienne,
Ton malheur est le mien.
Viens, dis-moi ta souffrance ;
Je t'ouvrirai mon cœur,
Et bientôt l'espérance
Calmera ta frayeur.
(S'adressant à Madame C.) – « Tu le vois, il s'arrête !… mais il doit encore parler !…. Oui, il s'approche !… les sons deviennent plus distincts… J'entends… ah !
Ce pauvre enfant… c'est moi !
Cet inconnu… (s'adressant à M. Allan Kardec) c'est toi,
Cher et honoré maître !
Toi qui me fis connaître
Deux mots : … Eternité
Et… Immortalité !
Deux noms : l'un Dieu, l'autre âme !
L'un foyer, l'autre flamme !
Et vous, mes chers amis,
En ce lieu réunis,
Vous êtes la famille
Où désormais tranquille,
Je dois finir mes jours !
Oh !… Aimez-vous toujours !…
« Il fuit… Casimir Delavigne !… Oh ! cher Esprit… encore !… Il fuit !… Allons, je ne suis pas assez fort pour assister à ce concert divin… Oui, c'est trop beau… c'est trop beau !…
Madame C… « Il parlerait encore si tu l'avais voulu, mais ton exaltation l'en a empêché. Te voilà brisé, meurtri, haletant ; tu ne peux plus parler.
M. V… « Oui, je le sens ; c'est encore une faiblesse (avec un vif sentiment de regret), et je dois te réveiller !… trop tôt… Pourquoi ne pas toujours rester en ce lieu ? Pourquoi redescendre sur la terre ?… Allons, puisqu'il le faut, sœur, il faut obéir sans murmurer… Réveille-toi, je le veux. (Madame C… ouvre les yeux.) Pour moi, tu peux me réveiller en agitant ton mouchoir. J'étouffe ! de l'air !… de l'air !…
Ces paroles, et surtout les vers, ont été dits avec un accent, une effusion de sentiment et une chaleur d'expression dont les scènes les plus dramatiques et les plus pathétiques peuvent seules donner une idée. L'émotion de l'assemblée était générale, car on sentait que ce n'était pas de la déclamation, mais l'âme elle-même dégagée de la matière qui parlait…
M. V…, épuisé de fatigue, est obligé de quitter la salle, et reste longtemps anéanti sous l'empire d'un demi-sommeil, d'où il ne sort que petit à petit, de lui-même, sans vouloir que personne l'aide à se dégager.
Ces faits viennent confirmer les prévisions des Esprits touchant les nouvelles formes que ne tarderait pas à prendre la médiumnité. L'état de somnambulisme spontané, dans lequel se développe à la fois la médiumnité parlante et voyante, est en effet une faculté nouvelle, en ce sens qu'elle paraît devoir se généraliser ; c'est un mode particulier de communication, et qui a sa raison d'être en ce moment plus qu'auparavant.
Du reste, ce phénomène est bien plus pour servir de complément à l'instruction des Spirites que pour la conviction des incrédules qui n'y verraient qu'une comédie. Les Spirites éclairés, seuls, peuvent, non-seulement le comprendre, mais y découvrir les preuves de la sincérité ou de la jonglerie, comme dans tous les autres genres de médiumnité ; seuls ils peuvent en dégager ce qui est utile, en déduire les conséquences pour le progrès de la science dans laquelle il les fait pénétrer plus avant. Aussi ces phénomènes ne se produisent-ils généralement que dans l'intimité, et là, outre que les médiums n'auraient aucun intérêt à simuler une faculté qui n'existerait pas, la supercherie y serait bientôt démasquée.
Les nuances d'observation sont ici si délicates et si subtiles, qu'elles requièrent une attention soutenue. Dans cet état d'émancipation, la sensibilité et l'impressionnabilité sont si grandes que la faculté ne peut se développer dans tout son éclat que sous une influence fluidique entièrement sympathique ; un courant contraire suffit pour l'altérer comme le souffle qui ternit la glace. La sensation pénible qu'en ressent le médium le fait se replier sur lui-même, comme la sensitive à l'approche de la main. Son attention se porte alors dans la direction de ce courant désagréable ; il pénètre la pensée qui en est la source, il la voit, il la lit, et plus il la sent antipathique, plus elle le paralyse. Qu'on juge par là de l'effet que doit produire un concours de pensées hostiles ! Aussi ces sortes de phénomènes ne se prêtent-ils nullement aux exhibitions publiques, où la curiosité est le sentiment qui domine quand ce n'est pas celui de la malveillance. Ils requièrent de plus, de la part des témoins, une excessive prudence, car il ne faut pas perdre de vue que, dans ces moments-là, l'âme ne tient plus au corps que par un lien fragile, et qu'une secousse peut tout au moins causer de graves désordres dans l'économie ; une curiosité indiscrète et brutale peut avoir les plus funestes conséquences ; c'est pourquoi on ne saurait agir avec trop de précaution.
Lorsque M. V., dit en commençant, que « toute volonté, toute action magnétique, est et doit rester étrangère à ce phénomène, » il fait comprendre que l'action seule des Esprits en est la cause, et que personne ne pourrait la provoquer. La recommandation de ne parler ni à l'un ni à l'autre avait pour but de les laisser tout entiers à l'extase. Des questions auraient eu pour effet d'arrêter l'essor de leur Esprit, en les ramenant au terre à terre, et en détournant leur pensée de son objet principal. L'exaltation de la sensibilité rendait également nécessaire la recommandation de ne pas les toucher. Le contact aurait produit une commotion pénible et nuisible au développement de la faculté.
On comprend, d'après cela, pourquoi la plupart des hommes de science appelés à constater des phénomènes de ce genre, sont déçus ; ce n'est pas à cause de leur manque de foi, comme ils le prétendent, que l'effet est refusé par les Esprits : ce sont eux-mêmes qui, par leurs dispositions morales, produisent une réaction contraire ; au lieu de se placer dans les conditions du phénomène, ils veulent placer le phénomène dans leur propre condition. Ils voudraient y trouver la confirmation de leurs théories anti-spiritualistes, car là, seulement, pour eux, est la vérité, et ils sont vexés, humiliés de recevoir un démenti par les faits. Alors n'obtenant rien, ou n'obtenant que des choses qui contredisent leur manière de voir, plutôt que de revenir sur leur opinion ils préfèrent nier, ou dire que ce n'est que de l'illusion. Et comment pourrait-il en être autrement chez des gens qui n'admettent pas la spiritualité ? Le principe spirituel est la cause de phénomènes d'un ordre particulier ; en chercher la cause en dehors de ce principe, c'est chercher celle de la foudre en dehors de l'électricité. Ne comprenant pas les conditions spéciales du phénomène, ils expérimentent sur le patient comme sur un bocal de produits chimiques ; ils le torturent comme s'il s'agissait d'une opération chirurgicale, au risque de compromettre sa vie ou sa santé.
L'extase, qui est le plus haut degré d'émancipation, exige d'autant plus de précautions que, dans cet état, l'Esprit enivré par le spectacle sublime qu'il a sous les yeux, ne demande généralement pas mieux que de rester où il est, et de quitter tout à fait la terre ; souvent même il fait des efforts pour rompre le dernier lien qui l'enchaîne à son corps, et si sa raison n'était pas assez forte pour résister à la tentation, il se laisserait volontiers aller. C'est alors qu'il faut lui venir en aide par une forte volonté et en le tirant de cet état. On comprend qu'il n'y a point ici de règle absolue, et qu'il faut se diriger selon les circonstances.
Un de nos amis nous offre, sous ce rapport, un intéressant sujet d'étude.
Jadis on avait inutilement cherché à le magnétiser ; depuis quelque temps il tombe spontanément dans le sommeil magnétique sous l'influence de la cause la plus légère ; il suffit qu'il écrive quelques lignes médianimiquement, et parfois d'une simple conversation. Dans son sommeil, il a des perceptions d'un ordre très élevé ; il parle avec éloquence et approfondit avec une remarquable logique les questions les plus graves. Il voit parfaitement les Esprits, mais sa lucidité présente des degrés différents par lesquels il passe alternativement ; le plus ordinaire est celui d'une demi-extase. A certains moments, il s'exalte, et s'il éprouve une vive émotion, ce qui est fréquent, il s'écrie avec une sorte de terreur, et cela souvent au milieu de l'entretien le plus intéressant : Réveillez-moi tout de suite, ce qu'il serait imprudent de ne pas faire. Fort heureusement, il nous a indiqué le moyen de le réveiller instantanément, et qui consiste à lui souffler fortement sur le front, les passes magnétiques ne produisant qu'un effet très lent ou nul.
Voici l'explication qui nous a été donnée sur sa faculté par un de nos guides à l'aide d'un autre médium.
« L'Esprit de M. T… est entravé dans son essor par l'épreuve matérielle qu'il a choisie. L'outil qu'il fait mouvoir, son corps, dans l'état actuel où il est, n'est pas assez maniable pour lui permettre de s'assimiler les connaissances nécessaires, ou d'user de celles qu'il possède, de proprio motu, et à l'état de veille. Lorsqu'il est endormi, le corps, cessant d'être une entrave, devient seulement le porte-voix de son propre Esprit, ou de ceux avec lesquels il est en relation. La fatigue matérielle inhérente à ses occupations, l'ignorance relative dans laquelle il subit cette incarnation, puisqu'il ne sait, en fait de sciences, que ce qu'il s'est révélé à lui-même, tout cela disparaît pour faire place à une lucidité de pensée, à une étendue de raisonnement, et à une éloquence hors ligne, qui sont le fait du développement antérieur de l'Esprit. La fréquence de ses extases a simplement pour but d'habituer son corps à un état qui, pendant une certaine période, et pour un but ultérieur spécial, pourra devenir en quelque sorte normal. Quand il demande à être réveillé promptement, cela tient au désir qu'il a d'accomplir sa mission sans faillir. Sous le charme des tableaux sublimes qui s'offrent à lui et du milieu où il se trouve, il voudrait s'affranchir des liens terrestres et demeurer d'une manière définitive parmi les Esprits. Sa raison, et son devoir qui le retient ici-bas, combattent ce désir ; et de peur de se laisser dominer et de succomber à la tentation, il vous crie de le réveiller. »
Ces phénomènes de somnambulisme médianimique spontané devant se multiplier, les instructions qui précèdent ont pour but de guider les groupes où ils pourraient se produire, dans l'observation des faits, et de leur faire comprendre la nécessité d'user de la plus extrême prudence en pareil cas. Ce dont il faut s'abstenir d'une manière absolue, c'est d'en faire un objet d'expérimentation et de curiosité. Les Spirites pourront y puiser de grands enseignements propres à éclairer et à fortifier leur foi, mais, nous le répétons, ils seraient sans profit pour les incrédules. Les phénomènes destinés à convaincre ces derniers, et pouvant se produire au grand jour, sont d'un autre ordre, et dans le nombre quelques-uns auront lieu, et se produisent déjà, en apparence du moins, en dehors du Spiritisme ; le mot Spiritisme les effraye ; ce mot n'étant pas prononcé, ce sera pour eux une raison de plus de s'en occuper ; les Esprits sont donc sages de changer parfois l'étiquette.
Quant à l'utilité spéciale de cette médiumnité, elle est dans la preuve en quelque sorte palpable qu'elle fournit de l'indépendance de l'Esprit par son isolement de la matière. Comme nous l'avons dit, les manifestations de ce genre éclairent et fortifient la foi ; elles nous mettent en contact plus direct avec la vie spirituelle. Quel est le Spirite tiède ou incertain qui resterait indifférent en présence de faits qui lui font pour ainsi dire toucher du doigt la vie future ? Quel est celui qui pourrait douter encore de la présence et de l'intervention des Esprits ? Quel est le cœur assez endurci pour n'être pas ému à l'aspect de l'avenir qui se déroule devant lui, et que Dieu, dans sa bonté, lui permet d'entrevoir.
Mais ces manifestations ont une autre utilité plus pratique, plus actuelle, car, plus que d'autres, elles seront de nature à relever le courage dans les moments durs que nous avons à traverser. C'est au moment de la tourmente qu'on sera heureux de sentir auprès de soi des protecteurs invisibles ; c'est alors qu'on connaîtra le prix de ces connaissances qui nous élèvent au-dessus de l'humanité et des misères de la terre, qui calment nos regrets et nos appréhensions, en nous faisant voir ce qui seul est grand, impérissable et digne de nos aspirations. C'est un secours que Dieu envoie en temps opportun à ses fidèles serviteurs, et c'est encore là un signe que les temps marqués sont arrivés. Sachons le mettre à profit pour notre avancement. Remercions Dieu d'avoir permis que nous fussions éclairés à temps, et plaignons les incrédules de se priver eux-mêmes de cette immense et suprême consolation, car la lumière a été répandue pour tous. Par la voix des Esprits qui parlent par toute la terre, il fait un dernier appel aux endurcis ; implorons son indulgence et sa miséricorde pour les aveugles.
L'extase est, comme nous l'avons dit, un état supérieur de dégagement dont l'état somnambulique est un des premiers degrés, mais qui n'implique en aucune façon la supériorité de l'Esprit. Le dégagement le plus complet est assurément celui qui suit la mort. Or nous voyons à ce moment l'Esprit conserver ses imperfections, ses préjugés, commettre des erreurs, se faire des illusions, manifester les mêmes penchants. C'est que les bonnes et les mauvaises qualités sont inhérentes à l'Esprit et ne dépendent pas des causes extérieures. Les causes extérieures peuvent paralyser les facultés de l'Esprit, qui les recouvre à l'état de liberté, mais elles sont impuissantes à lui donner celles qu'il n'a pas. La saveur d'un fruit est en lui ; quoi que l'on fasse, en quelque lieu qu'on le place, s'il est fade par nature, on ne le rendra pas savoureux. Ainsi en est-il de l'Esprit. Si le dégagement complet, après la mort, n'en fait pas un être parfait, à moins forte raison peut-il le devenir dans un dégagement partiel.
Le dégagement extatique est un état physiologique, indice évident d'un certain degré d'avancement de l'Esprit, mais non d'une supériorité absolue. Les imperfections morales, qui sont dues à l'influence de la matière, disparaissent avec cette influence, c'est pourquoi on remarque, en général, chez les somnambules et les extatiques, des idées plus élevées qu'a l'état de veille ; mais celles qui tiennent à la qualité même de l'Esprit continuent à se manifester, quelquefois même avec moins de retenue que dans l'état normal ; l'Esprit, affranchi de toute contrainte, laisse parfois un libre cours à des sentiments qu'il cherche à dissimuler, comme homme, aux yeux du monde.
De toutes les tendances mauvaises, les plus persistantes et celles qu'on s'avoue le moins à soi-même, sont les vices radicaux de l'humanité : l'orgueil et l'égoïsme qui enfantent les jalousies, les mesquines susceptibilités d'amour-propre, l'exaltation de la personnalité qui se révèlent souvent à l'état de somnambulisme. Ce n'est pas le dégagement qui les fait naître, il ne fait que les mettre à découvert ; de latents ils deviennent sensibles par suite de la liberté de l'Esprit.
Il ne faut donc s'attendre à trouver aucune espèce d'infaillibilité, ni morale, ni intellectuelle, chez les somnambules et les extatiques ; la faculté dont ils jouissent peut être altérée par les imperfections de leur Esprit. Leurs paroles peuvent être le reflet de leurs pensées et de leurs sentiments ; ils peuvent en outre subir les effets de l'obsession, tout aussi bien que dans l'état ordinaire, et être de la part des Esprits légers ou malintentionnés le jouet des plus étranges illusions, ainsi que le démontre l'expérience.
Ce serait donc une erreur de croire que les visions et les révélations de l'extase ne peuvent être que l'expression de la vérité ; comme toutes les autres manifestations, il faut les soumettre au creuset du bon sens et de la raison, faire la part du bon et du mauvais, de ce qui est rationnel et de ce qui est illogique. Si ces sortes de manifestations se multiplient, c'est bien moins en vue de nous donner des révélations extraordinaires, que pour nous fournir de nouveaux sujets d'étude et d'observation sur les facultés et les propriétés de l'âme, et nous donner une nouvelle preuve de son existence et de son indépendance de la matière.
Considérations sur la propagation de la médiumnité guérissante
Voir l'article du mois précédent sur le zouave guérisseur
Nous devons tout d'abord faire quelques rectifications à notre compte rendu des cures de M. Jacob. Nous tenons de ce dernier lui-même que la petite fille qu'il a guérie, en arrivant à la Ferté-sous-Jouarre, ne l'a point été sur la place publique ; c'est bien là qu'il l'a vue, mais la guérison a eu lieu dans la maison des parents où il l'a fait entrer. Cela ne change rien au résultat ; mais cette circonstance donne à l'action un caractère moins excentrique.
De son côté, M. Boivinet nous écrit : « Au sujet de la proportion des malades guéris, j'ai voulu dire que sur 4,000, un quart n'a pas éprouvé de résultats, et que sur le reste, soit 3,000, un quart a été guéri et les trois quarts soulagés. D'un autre passage de l'article on pourrait croire que j'ai affirmé la guérison de membres ankylosés ; j'ai voulu dire que M. Jacob avait redressé des membres roidis, rigides comme s'ils étaient ankylosés, mais pas plus ; ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas eu d'ankyloses guéries, seulement je l'ignore. Quant aux membres roidis par des douleurs paralysant en partie la faculté du mouvement, j'ai constaté en dernier lieu trois cas de guérison instantanée ; le lendemain, l'un des malades était absolument guéri ; l'autre avait la liberté du mouvement avec un reste de douleur dont, me disait-il, il s'accommoderait volontiers pour toujours. Je n'ai pas revu le troisième malade. »
Il eût été bien étonnant que le diable ne vînt pas se mêler dans cette affaire. Une autre personne nous écrit d'une des localités où le bruit des guérisons de M. Jacob s'était répandu : « Ici grande émotion dans la commune et au presbytère. La servante de M. le curé ayant rencontré deux fois M. Jacob dans la rue unique du pays, est convaincue que c'est le diable, et qu'il la poursuit. La pauvre femme s'est réfugiée dans une maison où elle a eu presque une attaque de nerfs. Il est vrai que le costume rouge du zouave a pu lui faire croire qu'il sortait de l'enfer. Il paraît qu'on prépare ici une croisade contre le diable pour détourner les malades de se faire guérir par lui. »
Qui a pu mettre dans l'idée de cette femme que M. Jacob est le diable en personne, et que les guérisons sont une rouerie de sa part ? N'a-t-on dit aux pauvres d'une certaine ville qu'ils ne devaient pas recevoir le pain et les aumônes des Spirites, parce que c'était une séduction de Satan ? et ailleurs qu'il valait mieux être athée que de revenir à Dieu par l'influence du Spiritisme, parce que c'était encore là une ruse du démon ? Dans tous les cas, en attribuant tant de bonnes choses au diable, on fait tout ce qu'il faut pour le réhabiliter dans l'opinion. Ce qui est plus étrange, c'est que ce soit de pareilles idées dont on nourrisse encore les populations à quelques lieues de Paris. Aussi quelle réaction quand la lumière se fait dans ces cerveaux fanatisés ! Il faut convenir qu'il y a des gens bien maladroits.
Revenons à notre sujet : les considérations générales sur la médiumnité guérissante.
Nous avons dit, et nous ne saurions trop le répéter, qu'il y a une différence radicale entre les médiums guérisseurs et ceux qui obtiennent des prescriptions médicales de la part des Esprits. Ceux-ci ne diffèrent en rien des médiums écrivains ordinaires, si ce n'est par la spécialité des communications. Les premiers guérissent par l'action fluidique seule, en plus ou moins de temps, quelquefois instantanément, sans l'emploi d'aucun remède. La puissance curative est tout entière dans le fluide épuré auquel ils servent de conducteurs. La théorie de ce phénomène a été suffisamment expliquée pour prouver qu'il rentre dans l'ordre des lois naturelles, et qu'il n'a rien de miraculeux. Il est le produit d'une aptitude spéciale aussi indépendante de la volonté que toutes les autres facultés médianimiques ; ce n'est pas un talent que l'on puisse acquérir ; on ne se fait pas médium guérisseur, comme on se fait médecin. L'aptitude à guérir est inhérente au médium, mais l'exercice de la faculté n'a lieu qu'avec le concours des Esprits ; d'où il suit que si les Esprits ne veulent pas, ou ne veulent plus se servir de lui, il est comme un instrument sans musicien, et n'obtient rien ; il peut donc perdre instantanément sa faculté, ce qui exclut la possibilité d'en faire une profession.
Un autre point à considérer, c'est que cette faculté étant fondée sur des lois naturelles, elle a des limites tracées par ces mêmes lois. On comprend que l'action fluidique puisse rendre la sensibilité à un organe existant, faire dissoudre et disparaître un obstacle au mouvement et à la perception, cicatriser une plaie, car alors le fluide devient un véritable agent thérapeutique ; mais il est évident qu'il ne peut remédier à l'absence ou à la destruction d'un organe, ce qui serait un véritable miracle. Ainsi, la vue pourra être rendue à un aveugle par amaurose, ophtalmie, taie ou cataracte, mais non à celui qui aura les yeux crevés. Il y a donc des maladies foncièrement incurables, et ce serait une illusion de croire que la médiumnité guérissante va délivrer l'humanité de toutes ses infirmités.
Il faut, en outre, tenir compte de la variété des nuances que présente cette faculté, qui est loin d'être uniforme chez tous ceux qui la possèdent. Elle se présente sous des aspects très divers. En raison du degré de développement de la puissance, l'action est plus ou moins rapide, étendue ou circonscrite. Tel médium triomphe de certaines maladies sur certaines personnes et dans des circonstances données, qui échoue complètement dans des cas en apparence identiques, Il paraîtrait même que chez quelques-uns la faculté guérissante s'étend aux animaux.
Il s'opère dans ce phénomène une véritable réaction chimique analogue à celle que produisent les médicaments. Le fluide agissant comme agent thérapeutique, son action varie selon les propriétés qu'il reçoit des qualités du fluide personnel du médium ; or, par suite du tempérament et de la constitution de ce dernier, ce fluide est imprégné d'éléments divers qui lui donnent des propriétés spéciales ; il peut être, pour nous servir de comparaisons matérielles, plus ou moins chargé d'électricité animale, de principes acides ou alcalins, ferrugineux, sulfureux, dissolvants, astringents, caustiques, etc. ; il en résulte une action différente selon la nature du désordre organique ; cette action peut donc être énergique, toute puissante dans certains cas, et nulle dans d'autres. C'est ainsi que les médiums guérisseurs peuvent avoir des spécialités ; tel guérira les douleurs ou redressera un membre, qui ne rendra pas la vue à un aveugle, et réciproquement. L'expérience seule peut faire connaître la spécialité et l'étendue de l'aptitude ; mais on peut dire en principe, qu'il n'y a pas de médiums guérisseurs universels, par la raison qu'il n'y a pas d'hommes parfaits sur la terre, et dont la puissance soit illimitée.
L'action est toute différente dans l'obsession, et la faculté de guérir n'implique pas celle de délivrer les obsédés. Le fluide guérisseur agit en quelque sorte matériellement sur les organes affectés, tandis que, dans l'obsession, il faut agir moralement sur l'Esprit obsesseur ; il faut avoir autorité sur lui pour lui faire lâcher prise. Ce sont donc deux aptitudes distinctes qui ne se rencontrent pas toujours dans la même personne. Le concours du fluide guérisseur devient nécessaire lorsque, ce qui est assez fréquent, l'obsession se complique d'affections organiques. Il peut donc y avoir des médiums guérisseurs impuissants pour l'obsession, et réciproquement.
La médiumnité guérissante ne vient point supplanter la médecine et les médecins ; elle vient simplement prouver à ces derniers qu'il y a des choses qu'ils ne savent pas et les inviter à les étudier ; que la nature a des lois et des ressources qu'ils ignorent ; que l'élément spirituel qu'ils méconnaissent n'est pas une chimère, et que, lorsqu'ils en tiendront compte, ils ouvriront de nouveaux horizons à la science et réussiront plus souvent qu'ils ne le font. Si cette faculté n'était le privilège que d'un individu, elle passerait inaperçue ; on la regarderait comme une exception, un effet du hasard, cette suprême explication qui n'explique rien, et le mauvais vouloir pourrait aisément étouffer la vérité. Mais lorsqu'on verra les faits se multiplier, on sera bien forcé de reconnaître qu'ils ne peuvent se produire qu'en vertu d'une loi ; que si des hommes ignorants réussissent là où les savants échouent, c'est que les savants ne savent pas tout. Cela ne préjudicie en rien à la science qui sera toujours le levier et la résultante du progrès intellectuel ; l'amour-propre de ceux qui la circonscrivent dans les limites de leur savoir et de la matérialité peut seul en souffrir.
De toutes les facultés médianimiques, la médiumnité guérissante vulgarisée est celle qui est appelée à produire le plus de sensations, parce qu'il y a partout des malades et en grand nombre, et que ce n'est pas la curiosité qui les attire, mais le besoin impérieux de soulagement ; plus qu'aucune autre elle triomphera de l'incrédulité aussi bien que du fanatisme qui voit partout l'intervention du diable. La multiplicité des faits conduira forcément à l'étude de la cause naturelle, et de là à la destruction des idées superstitieuses d'ensorcellement, de pouvoir occulte, d'amulettes, etc. Si l'on considère l'effet produit aux alentours du camp de Châlons par un seul individu, la multitude de gens souffrants venus de dix lieues à la ronde, on peut juger de ce qu'il en serait si dix, vingt, cent individus se produisaient dans les mêmes conditions, soit en France, soit dans les pays étrangers. Si vous dites à ces malades qu'ils sont le jouet d'une illusion, ils vous répondront en montrant leur jambe redressée ; qu'ils sont dupes de charlatans ? Ils diront qu'ils n'ont rien payé, et qu'on ne leur a vendu aucune drogue ; qu'on a abusé de leur confiance ? Ils diront qu'on ne leur a rien promis.
C'est aussi la faculté qui échappe le plus à l'accusation de jonglerie et de supercherie ; elle brave la raillerie, car il n'y a rien de risible dans un malade guéri que la science avait abandonné. Le charlatanisme peut simuler plus ou moins grossièrement la plupart des effets médianimiques, et l'incrédulité y cherche toujours des ficelles ; mais où trouvera-t-on les ficelles de la médiumnité guérissante ? On peut donner des tours d'adresse pour des effets médianimiques, et les effets les plus réels peuvent, aux yeux de certaines gens, passer pour des tours d'adresse, mais que donnerait celui qui prendrait indûment la qualité de médium guérisseur ? De deux choses l'une : il guérit ou il ne guérit pas. Il n'y a pas de simulacre qui puisse suppléer à une guérison.
La médiumnité guérissante échappe, en outre, complètement à la loi sur l'exercice illégal de la médecine, puisqu'elle ne prescrit aucun traitement. De quelle pénalité pourrait-on frapper celui qui guérit par sa seule influence, secondée par la prière, qui, de plus, ne demande rien pour prix de ses services ? Or, la prière n'est pas une substance pharmaceutique. C'est, selon vous, de la niaiserie, soit ; mais si la guérison est au bout de cette niaiserie, que direz-vous ? Une niaiserie qui guérit vaut bien les remèdes qui ne guérissent pas. On a pu interdire à M. Jacob de recevoir des malades au camp et d'aller chez eux, et s'il s'est soumis en disant qu'il ne reprendrait l'exercice de sa faculté que lorsque l'interdiction serait levée officiellement, c'est parce qu'étant militaire, il a voulu se montrer scrupuleux observateur de la discipline, quelque dure quelle fût. En cela, il a sagement agi, car il a prouvé que le Spiritisme ne conduit pas à l'insubordination ; mais c'est ici un cas exceptionnel. Dès lors que cette faculté n'est pas le privilège d'un individu, par quel moyen pourrait-on l'empêcher de se propager ? Si elle se propage, il faudra, bon gré mal gré, l'accepter avec toutes ses conséquences.
La médiumnité guérissante tenant à une disposition organique, beaucoup de personnes en possèdent au moins le germe qui reste à l'état latent, faute d'exercice et de développement. C'est une faculté que beaucoup ambitionnent avec raison, et si tous ceux qui désirent la posséder la demandaient avec ferveur et persévérance par la prière, et dans un but exclusivement humanitaire, il est probable que, de ce concours, sortiraient plus d'un véritable médium guérisseur.
Il ne faut pas s'étonner de voir des personnes qui, au premier abord n'en paraissent pas dignes, favorisées de ce don précieux. C'est que l'assistance des bons Esprits est acquise à tout le monde pour ouvrir à tous la voie du bien ; mais elle cesse si l'on ne sait pas s'en rendre digne en s'améliorant. Il en est ici comme des dons de la fortune qui ne vient pas toujours au plus méritant ; c'est alors une épreuve par l'usage qu'on en fait : heureux ceux qui en sortent victorieux.
Par la nature de ses effets, la médiumnité guérissante exige impérieusement le concours d'Esprits épurés qui ne sauraient être suppléés par des Esprits inférieurs, tandis qu'il est des effets médianimiques pour la production desquels l'élévation des Esprits n'est pas une condition nécessaire, et qui, par cette raison, s'obtiennent à peu près en toute circonstance. Certains Esprits même, moins scrupuleux que d'autres sur les conditions, préfèrent les médiums en qui ils trouvent de la sympathie ; mais à l'œuvre ou reconnaît l'ouvrier.
Il y a donc pour le médium guérisseur nécessité absolue de se concilier le concours des Esprits supérieurs s'il veut conserver et voir se développer sa faculté, sinon, au lieu de grandir, elle décline, et disparaît par l'éloignement des bons Esprits. La première condition pour cela est de travailler à sa propre épuration, afin de ne pas altérer les fluides salutaires qu'il est chargé de transmettre. Cette condition ne saurait être remplie sans le désintéressement matériel et moral le plus complet. Le premier est le plus facile, le second est le plus rare, parce que l'orgueil et l'égoïsme sont les sentiments les plus difficiles à déraciner, et que plusieurs causes contribuent à les surexciter chez les médiums. Dès que l'un d'eux se révèle avec des facultés un peu transcendantes, ‑ nous parlons ici des médiums en général, écrivains, voyants et autres, ‑ il est recherché, adulé et plus d'un succombe à cette tentation de la vanité. Bientôt, oubliant que sans les Esprits il ne serait rien, il se regarde comme indispensable, et seul interprète de la vérité ; il dénigre les autres médiums et se croit au-dessus des conseils. Le médium qui en est là est perdu, car les Esprits se chargent de lui prouver qu'on peut se passer de lui en faisant surgir d'autres médiums mieux assistés. En comparant la série des communications d'un même médium, on peut aisément juger s'il grandit ou s'il dégénère. Combien, hélas ! nous en avons vu dans tous les genres tomber tristement et déplorablement sur le terrain glissant de l'orgueil et de la vanité ! On peut donc s'attendre à voir surgir une multitude de médiums guérisseurs ; dans le nombre plusieurs resteront fruits secs, et s'éclipseront après avoir jeté un éclat passager, tandis que d'autres continueront à s'élever.
En voici déjà un exemple que nous signalait un de nos correspondants, il y a environ six mois. Dans un département du midi, un médium qui s'était révélé comme guérisseur, avait opéré plusieurs cures remarquables, et l'on fondait sur lui de grandes espérances. Sa faculté présentait des particularités qui donnèrent, dans un groupe, l'idée de faire une étude à ce sujet. Voici la réponse qu'on obtint des Esprits et qui nous a été transmise dans le temps ; elle peut servir à l'instruction de tous.
« X… possède réellement la faculté de médium guérisseur remarquablement développée ; malheureusement, comme beaucoup d'autres, il s'en exagère trop la portée. C'est un excellent garçon rempli de bonnes intentions, mais qu'un orgueil démesuré et une vue extrêmement courte sur les hommes et sur les choses feront péricliter promptement. Sa puissance fluidique qui est considérable, bien utilisée et aidée de l'influence morale, pourrait produire d’excellents résultats. Savez-vous pourquoi beaucoup de ses malades n'éprouvent qu'un bien-être momentané qui disparaît quand il n'est plus là ? c'est qu'il agit par sa présence seule, mais qu'il ne laisse rien à l'esprit pour triompher des souffrances du corps.
Quand il est parti, il ne reste rien de lui, pas même la pensée qui suit le malade auquel il ne songe plus, tandis que l'action mentale pourrait, en son absence, continuer l'action directe. Il croit à sa puissance fluidique qui est réelle, mais dont l'action n'est pas persistante, parce qu'elle n'est pas corroborée par l'influence morale. Lorsqu'il réussit, il est plus satisfait d'être remarqué que d'avoir guéri ; et cependant il est sincèrement désintéressé, car il rougirait de recevoir la moindre rémunération ; quoiqu'il ne soit pas riche, il n'a jamais songé à s'en faire une ressource ; ce qu'il désire, c'est de faire parler de lui. Il manque aussi de l'affabilité du cœur qui attire. Ceux qui viennent à lui sont froissés de ses manières qui ne font pas naître la sympathie, et il en résulte un défaut d'harmonie qui nuit à l'assimilation des fluides. Loin de calmer et d'apaiser les mauvaises passions, il les excite tout en croyant faire ce qu'il faut pour les détruire, et cela par manque de jugement. C'est un instrument faussé ; il donne quelquefois des sons harmonieux et bons, mais l'ensemble ne peut qu'être, sinon mauvais, du moins improductif. Il n'est pas aussi utile à la cause qu'il le pourrait ; il y nuit même le plus souvent, parce que, par son caractère, il en fait fort mal apprécier les résultats. C'est un de ceux qui prêchent avec violence une doctrine de douceur et de paix.
Demande. Ainsi vous pensez qu'il perdra son pouvoir guérissant ?
Réponse. J'en suis persuadé, ou bien il faudrait alors qu'il fît un retour sérieux sur lui-même, ce dont, malheureusement, je ne le crois pas capable. Les conseils seraient superflus, parce qu'il se persuade en savoir plus que tout le monde ; il aurait peut-être l'air de les écouter, mais il ne les suivrait pas. Il perd ainsi doublement le bénéfice d'une excellente faculté. »
L'événement a justifié la prévision. Nous avons su depuis que ce médium, après une série d'échecs dont son amour-propre avait eu à souffrir, avait renoncé à de nouvelles tentatives de guérisons.
Le pouvoir de guérir est indépendant de la volonté du médium ; c'est là un fait acquis à l'expérience ; ce qui dépend de lui, ce sont les qualités qui peuvent rendre ce pouvoir fructueux et durable. Ces qualités sont surtout le dévouement, l'abnégation et l'humilité ; l'égoïsme, l'orgueil et la cupidité sont des points d'arrêt contre lesquels se brise la plus belle faculté.
Le véritable médium guérisseur, celui qui comprend la sainteté de sa mission, est mû par l'unique désir du bien ; il ne voit dans le don qu'il possède qu'un moyen de se rendre utile à ses semblables, et non un marche-pied pour s'élever au-dessus des autres et se mettre en évidence. Il est humble de cœur, c'est-à-dire qu'en lui l'humilité et la modestie sont sincère, réelles, sans arrière-pensée, et non dans des paroles que démentent souvent les actes. L'humilité est parfois un manteau sous lequel s'abrite l'orgueil, mais qui ne saurait abuser personne. Il ne cherche ni l'éclat, ni la renommée, ni le bruit de son nom, ni la satisfaction de sa vanité ; il n'y a, dans ses manières, ni jactance, ni forfanterie ; il ne fait point parade des guérisons qu'il obtient, tandis que l'orgueilleux les énumère avec complaisance, souvent les amplifie, et finit par se persuader qu'il a fait tout ce qu'il dit.
Heureux du bien qu'il fait, il ne l'est pas moins de celui que d'autres peuvent faire ; ne se croyant ni le premier ni le seul capable, il ne jalouse et ne dénigre aucun médium. Ceux qui possèdent la même faculté sont pour lui des frères qui concourent au même but ; il se dit que plus il y en aura, plus le bien sera grand.
Sa confiance en ses propres forces ne va pas jusqu'à la présomption de se croire infaillible et encore moins universel ; il sait que d'autres peuvent autant et plus que lui ; sa foi est en Dieu plus qu'en lui-même, car il sait qu'il peut tout par lui et rien sans lui. C'est pourquoi il ne promet rien que sous la réserve de la permission de Dieu.
A l'influence matérielle, il joint l'influence morale, auxiliaire puissant qui double sa force. Par sa parole bienveillante, il encourage, relève le moral, fait naître l'espérance et la confiance en Dieu. C'est déjà une partie de la guérison, car c'est une consolation qui dispose à recevoir l'effluve bienfaisant, ou pour mieux dire, la pensée bienveillante est elle-même un effluve salutaire. Sans l'influence morale, le médium n'a pour lui que l'action fluidique, matérielle et en quelque sorte brutale, insuffisante en beaucoup de cas.
Enfin, vers celui qui possède les qualités du cœur, le malade est attiré par une sympathie qui prédispose à l'assimilation des fluides, tandis que l'orgueil, le manque de bienveillance, froissent et font éprouver un sentiment de répulsion qui paralyse cette assimilation.
Tel est le médium guérisseur aimé des bons Esprits. Telle est aussi la mesure qui peut servir à juger la valeur intrinsèque de ceux qui se révéleront, et l'étendue des services qu'ils pourront rendre à la cause du Spiritisme. Ce n'est pas à dire qu'il ne s'en trouve que dans ces conditions, et que celui qui ne réunirait pas toutes ces qualités ne puisse rendre momentanément des services partiels qu'on aurait tort de repousser ; le mal est pour lui, car plus il s'éloigne du type, moins il peut espérer voir sa faculté se développer et plus il est près de son déclin ; les bons Esprits ne s'attachent qu'à ceux qui se montrent dignes de leur protection, et la chute de l'orgueilleux, est tôt ou tard sa punition. Le désintéressement est incomplet sans le désintéressement moral.
Nous devons tout d'abord faire quelques rectifications à notre compte rendu des cures de M. Jacob. Nous tenons de ce dernier lui-même que la petite fille qu'il a guérie, en arrivant à la Ferté-sous-Jouarre, ne l'a point été sur la place publique ; c'est bien là qu'il l'a vue, mais la guérison a eu lieu dans la maison des parents où il l'a fait entrer. Cela ne change rien au résultat ; mais cette circonstance donne à l'action un caractère moins excentrique.
De son côté, M. Boivinet nous écrit : « Au sujet de la proportion des malades guéris, j'ai voulu dire que sur 4,000, un quart n'a pas éprouvé de résultats, et que sur le reste, soit 3,000, un quart a été guéri et les trois quarts soulagés. D'un autre passage de l'article on pourrait croire que j'ai affirmé la guérison de membres ankylosés ; j'ai voulu dire que M. Jacob avait redressé des membres roidis, rigides comme s'ils étaient ankylosés, mais pas plus ; ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas eu d'ankyloses guéries, seulement je l'ignore. Quant aux membres roidis par des douleurs paralysant en partie la faculté du mouvement, j'ai constaté en dernier lieu trois cas de guérison instantanée ; le lendemain, l'un des malades était absolument guéri ; l'autre avait la liberté du mouvement avec un reste de douleur dont, me disait-il, il s'accommoderait volontiers pour toujours. Je n'ai pas revu le troisième malade. »
Il eût été bien étonnant que le diable ne vînt pas se mêler dans cette affaire. Une autre personne nous écrit d'une des localités où le bruit des guérisons de M. Jacob s'était répandu : « Ici grande émotion dans la commune et au presbytère. La servante de M. le curé ayant rencontré deux fois M. Jacob dans la rue unique du pays, est convaincue que c'est le diable, et qu'il la poursuit. La pauvre femme s'est réfugiée dans une maison où elle a eu presque une attaque de nerfs. Il est vrai que le costume rouge du zouave a pu lui faire croire qu'il sortait de l'enfer. Il paraît qu'on prépare ici une croisade contre le diable pour détourner les malades de se faire guérir par lui. »
Qui a pu mettre dans l'idée de cette femme que M. Jacob est le diable en personne, et que les guérisons sont une rouerie de sa part ? N'a-t-on dit aux pauvres d'une certaine ville qu'ils ne devaient pas recevoir le pain et les aumônes des Spirites, parce que c'était une séduction de Satan ? et ailleurs qu'il valait mieux être athée que de revenir à Dieu par l'influence du Spiritisme, parce que c'était encore là une ruse du démon ? Dans tous les cas, en attribuant tant de bonnes choses au diable, on fait tout ce qu'il faut pour le réhabiliter dans l'opinion. Ce qui est plus étrange, c'est que ce soit de pareilles idées dont on nourrisse encore les populations à quelques lieues de Paris. Aussi quelle réaction quand la lumière se fait dans ces cerveaux fanatisés ! Il faut convenir qu'il y a des gens bien maladroits.
Revenons à notre sujet : les considérations générales sur la médiumnité guérissante.
Nous avons dit, et nous ne saurions trop le répéter, qu'il y a une différence radicale entre les médiums guérisseurs et ceux qui obtiennent des prescriptions médicales de la part des Esprits. Ceux-ci ne diffèrent en rien des médiums écrivains ordinaires, si ce n'est par la spécialité des communications. Les premiers guérissent par l'action fluidique seule, en plus ou moins de temps, quelquefois instantanément, sans l'emploi d'aucun remède. La puissance curative est tout entière dans le fluide épuré auquel ils servent de conducteurs. La théorie de ce phénomène a été suffisamment expliquée pour prouver qu'il rentre dans l'ordre des lois naturelles, et qu'il n'a rien de miraculeux. Il est le produit d'une aptitude spéciale aussi indépendante de la volonté que toutes les autres facultés médianimiques ; ce n'est pas un talent que l'on puisse acquérir ; on ne se fait pas médium guérisseur, comme on se fait médecin. L'aptitude à guérir est inhérente au médium, mais l'exercice de la faculté n'a lieu qu'avec le concours des Esprits ; d'où il suit que si les Esprits ne veulent pas, ou ne veulent plus se servir de lui, il est comme un instrument sans musicien, et n'obtient rien ; il peut donc perdre instantanément sa faculté, ce qui exclut la possibilité d'en faire une profession.
Un autre point à considérer, c'est que cette faculté étant fondée sur des lois naturelles, elle a des limites tracées par ces mêmes lois. On comprend que l'action fluidique puisse rendre la sensibilité à un organe existant, faire dissoudre et disparaître un obstacle au mouvement et à la perception, cicatriser une plaie, car alors le fluide devient un véritable agent thérapeutique ; mais il est évident qu'il ne peut remédier à l'absence ou à la destruction d'un organe, ce qui serait un véritable miracle. Ainsi, la vue pourra être rendue à un aveugle par amaurose, ophtalmie, taie ou cataracte, mais non à celui qui aura les yeux crevés. Il y a donc des maladies foncièrement incurables, et ce serait une illusion de croire que la médiumnité guérissante va délivrer l'humanité de toutes ses infirmités.
Il faut, en outre, tenir compte de la variété des nuances que présente cette faculté, qui est loin d'être uniforme chez tous ceux qui la possèdent. Elle se présente sous des aspects très divers. En raison du degré de développement de la puissance, l'action est plus ou moins rapide, étendue ou circonscrite. Tel médium triomphe de certaines maladies sur certaines personnes et dans des circonstances données, qui échoue complètement dans des cas en apparence identiques, Il paraîtrait même que chez quelques-uns la faculté guérissante s'étend aux animaux.
Il s'opère dans ce phénomène une véritable réaction chimique analogue à celle que produisent les médicaments. Le fluide agissant comme agent thérapeutique, son action varie selon les propriétés qu'il reçoit des qualités du fluide personnel du médium ; or, par suite du tempérament et de la constitution de ce dernier, ce fluide est imprégné d'éléments divers qui lui donnent des propriétés spéciales ; il peut être, pour nous servir de comparaisons matérielles, plus ou moins chargé d'électricité animale, de principes acides ou alcalins, ferrugineux, sulfureux, dissolvants, astringents, caustiques, etc. ; il en résulte une action différente selon la nature du désordre organique ; cette action peut donc être énergique, toute puissante dans certains cas, et nulle dans d'autres. C'est ainsi que les médiums guérisseurs peuvent avoir des spécialités ; tel guérira les douleurs ou redressera un membre, qui ne rendra pas la vue à un aveugle, et réciproquement. L'expérience seule peut faire connaître la spécialité et l'étendue de l'aptitude ; mais on peut dire en principe, qu'il n'y a pas de médiums guérisseurs universels, par la raison qu'il n'y a pas d'hommes parfaits sur la terre, et dont la puissance soit illimitée.
L'action est toute différente dans l'obsession, et la faculté de guérir n'implique pas celle de délivrer les obsédés. Le fluide guérisseur agit en quelque sorte matériellement sur les organes affectés, tandis que, dans l'obsession, il faut agir moralement sur l'Esprit obsesseur ; il faut avoir autorité sur lui pour lui faire lâcher prise. Ce sont donc deux aptitudes distinctes qui ne se rencontrent pas toujours dans la même personne. Le concours du fluide guérisseur devient nécessaire lorsque, ce qui est assez fréquent, l'obsession se complique d'affections organiques. Il peut donc y avoir des médiums guérisseurs impuissants pour l'obsession, et réciproquement.
La médiumnité guérissante ne vient point supplanter la médecine et les médecins ; elle vient simplement prouver à ces derniers qu'il y a des choses qu'ils ne savent pas et les inviter à les étudier ; que la nature a des lois et des ressources qu'ils ignorent ; que l'élément spirituel qu'ils méconnaissent n'est pas une chimère, et que, lorsqu'ils en tiendront compte, ils ouvriront de nouveaux horizons à la science et réussiront plus souvent qu'ils ne le font. Si cette faculté n'était le privilège que d'un individu, elle passerait inaperçue ; on la regarderait comme une exception, un effet du hasard, cette suprême explication qui n'explique rien, et le mauvais vouloir pourrait aisément étouffer la vérité. Mais lorsqu'on verra les faits se multiplier, on sera bien forcé de reconnaître qu'ils ne peuvent se produire qu'en vertu d'une loi ; que si des hommes ignorants réussissent là où les savants échouent, c'est que les savants ne savent pas tout. Cela ne préjudicie en rien à la science qui sera toujours le levier et la résultante du progrès intellectuel ; l'amour-propre de ceux qui la circonscrivent dans les limites de leur savoir et de la matérialité peut seul en souffrir.
De toutes les facultés médianimiques, la médiumnité guérissante vulgarisée est celle qui est appelée à produire le plus de sensations, parce qu'il y a partout des malades et en grand nombre, et que ce n'est pas la curiosité qui les attire, mais le besoin impérieux de soulagement ; plus qu'aucune autre elle triomphera de l'incrédulité aussi bien que du fanatisme qui voit partout l'intervention du diable. La multiplicité des faits conduira forcément à l'étude de la cause naturelle, et de là à la destruction des idées superstitieuses d'ensorcellement, de pouvoir occulte, d'amulettes, etc. Si l'on considère l'effet produit aux alentours du camp de Châlons par un seul individu, la multitude de gens souffrants venus de dix lieues à la ronde, on peut juger de ce qu'il en serait si dix, vingt, cent individus se produisaient dans les mêmes conditions, soit en France, soit dans les pays étrangers. Si vous dites à ces malades qu'ils sont le jouet d'une illusion, ils vous répondront en montrant leur jambe redressée ; qu'ils sont dupes de charlatans ? Ils diront qu'ils n'ont rien payé, et qu'on ne leur a vendu aucune drogue ; qu'on a abusé de leur confiance ? Ils diront qu'on ne leur a rien promis.
C'est aussi la faculté qui échappe le plus à l'accusation de jonglerie et de supercherie ; elle brave la raillerie, car il n'y a rien de risible dans un malade guéri que la science avait abandonné. Le charlatanisme peut simuler plus ou moins grossièrement la plupart des effets médianimiques, et l'incrédulité y cherche toujours des ficelles ; mais où trouvera-t-on les ficelles de la médiumnité guérissante ? On peut donner des tours d'adresse pour des effets médianimiques, et les effets les plus réels peuvent, aux yeux de certaines gens, passer pour des tours d'adresse, mais que donnerait celui qui prendrait indûment la qualité de médium guérisseur ? De deux choses l'une : il guérit ou il ne guérit pas. Il n'y a pas de simulacre qui puisse suppléer à une guérison.
La médiumnité guérissante échappe, en outre, complètement à la loi sur l'exercice illégal de la médecine, puisqu'elle ne prescrit aucun traitement. De quelle pénalité pourrait-on frapper celui qui guérit par sa seule influence, secondée par la prière, qui, de plus, ne demande rien pour prix de ses services ? Or, la prière n'est pas une substance pharmaceutique. C'est, selon vous, de la niaiserie, soit ; mais si la guérison est au bout de cette niaiserie, que direz-vous ? Une niaiserie qui guérit vaut bien les remèdes qui ne guérissent pas. On a pu interdire à M. Jacob de recevoir des malades au camp et d'aller chez eux, et s'il s'est soumis en disant qu'il ne reprendrait l'exercice de sa faculté que lorsque l'interdiction serait levée officiellement, c'est parce qu'étant militaire, il a voulu se montrer scrupuleux observateur de la discipline, quelque dure quelle fût. En cela, il a sagement agi, car il a prouvé que le Spiritisme ne conduit pas à l'insubordination ; mais c'est ici un cas exceptionnel. Dès lors que cette faculté n'est pas le privilège d'un individu, par quel moyen pourrait-on l'empêcher de se propager ? Si elle se propage, il faudra, bon gré mal gré, l'accepter avec toutes ses conséquences.
La médiumnité guérissante tenant à une disposition organique, beaucoup de personnes en possèdent au moins le germe qui reste à l'état latent, faute d'exercice et de développement. C'est une faculté que beaucoup ambitionnent avec raison, et si tous ceux qui désirent la posséder la demandaient avec ferveur et persévérance par la prière, et dans un but exclusivement humanitaire, il est probable que, de ce concours, sortiraient plus d'un véritable médium guérisseur.
Il ne faut pas s'étonner de voir des personnes qui, au premier abord n'en paraissent pas dignes, favorisées de ce don précieux. C'est que l'assistance des bons Esprits est acquise à tout le monde pour ouvrir à tous la voie du bien ; mais elle cesse si l'on ne sait pas s'en rendre digne en s'améliorant. Il en est ici comme des dons de la fortune qui ne vient pas toujours au plus méritant ; c'est alors une épreuve par l'usage qu'on en fait : heureux ceux qui en sortent victorieux.
Par la nature de ses effets, la médiumnité guérissante exige impérieusement le concours d'Esprits épurés qui ne sauraient être suppléés par des Esprits inférieurs, tandis qu'il est des effets médianimiques pour la production desquels l'élévation des Esprits n'est pas une condition nécessaire, et qui, par cette raison, s'obtiennent à peu près en toute circonstance. Certains Esprits même, moins scrupuleux que d'autres sur les conditions, préfèrent les médiums en qui ils trouvent de la sympathie ; mais à l'œuvre ou reconnaît l'ouvrier.
Il y a donc pour le médium guérisseur nécessité absolue de se concilier le concours des Esprits supérieurs s'il veut conserver et voir se développer sa faculté, sinon, au lieu de grandir, elle décline, et disparaît par l'éloignement des bons Esprits. La première condition pour cela est de travailler à sa propre épuration, afin de ne pas altérer les fluides salutaires qu'il est chargé de transmettre. Cette condition ne saurait être remplie sans le désintéressement matériel et moral le plus complet. Le premier est le plus facile, le second est le plus rare, parce que l'orgueil et l'égoïsme sont les sentiments les plus difficiles à déraciner, et que plusieurs causes contribuent à les surexciter chez les médiums. Dès que l'un d'eux se révèle avec des facultés un peu transcendantes, ‑ nous parlons ici des médiums en général, écrivains, voyants et autres, ‑ il est recherché, adulé et plus d'un succombe à cette tentation de la vanité. Bientôt, oubliant que sans les Esprits il ne serait rien, il se regarde comme indispensable, et seul interprète de la vérité ; il dénigre les autres médiums et se croit au-dessus des conseils. Le médium qui en est là est perdu, car les Esprits se chargent de lui prouver qu'on peut se passer de lui en faisant surgir d'autres médiums mieux assistés. En comparant la série des communications d'un même médium, on peut aisément juger s'il grandit ou s'il dégénère. Combien, hélas ! nous en avons vu dans tous les genres tomber tristement et déplorablement sur le terrain glissant de l'orgueil et de la vanité ! On peut donc s'attendre à voir surgir une multitude de médiums guérisseurs ; dans le nombre plusieurs resteront fruits secs, et s'éclipseront après avoir jeté un éclat passager, tandis que d'autres continueront à s'élever.
En voici déjà un exemple que nous signalait un de nos correspondants, il y a environ six mois. Dans un département du midi, un médium qui s'était révélé comme guérisseur, avait opéré plusieurs cures remarquables, et l'on fondait sur lui de grandes espérances. Sa faculté présentait des particularités qui donnèrent, dans un groupe, l'idée de faire une étude à ce sujet. Voici la réponse qu'on obtint des Esprits et qui nous a été transmise dans le temps ; elle peut servir à l'instruction de tous.
« X… possède réellement la faculté de médium guérisseur remarquablement développée ; malheureusement, comme beaucoup d'autres, il s'en exagère trop la portée. C'est un excellent garçon rempli de bonnes intentions, mais qu'un orgueil démesuré et une vue extrêmement courte sur les hommes et sur les choses feront péricliter promptement. Sa puissance fluidique qui est considérable, bien utilisée et aidée de l'influence morale, pourrait produire d’excellents résultats. Savez-vous pourquoi beaucoup de ses malades n'éprouvent qu'un bien-être momentané qui disparaît quand il n'est plus là ? c'est qu'il agit par sa présence seule, mais qu'il ne laisse rien à l'esprit pour triompher des souffrances du corps.
Quand il est parti, il ne reste rien de lui, pas même la pensée qui suit le malade auquel il ne songe plus, tandis que l'action mentale pourrait, en son absence, continuer l'action directe. Il croit à sa puissance fluidique qui est réelle, mais dont l'action n'est pas persistante, parce qu'elle n'est pas corroborée par l'influence morale. Lorsqu'il réussit, il est plus satisfait d'être remarqué que d'avoir guéri ; et cependant il est sincèrement désintéressé, car il rougirait de recevoir la moindre rémunération ; quoiqu'il ne soit pas riche, il n'a jamais songé à s'en faire une ressource ; ce qu'il désire, c'est de faire parler de lui. Il manque aussi de l'affabilité du cœur qui attire. Ceux qui viennent à lui sont froissés de ses manières qui ne font pas naître la sympathie, et il en résulte un défaut d'harmonie qui nuit à l'assimilation des fluides. Loin de calmer et d'apaiser les mauvaises passions, il les excite tout en croyant faire ce qu'il faut pour les détruire, et cela par manque de jugement. C'est un instrument faussé ; il donne quelquefois des sons harmonieux et bons, mais l'ensemble ne peut qu'être, sinon mauvais, du moins improductif. Il n'est pas aussi utile à la cause qu'il le pourrait ; il y nuit même le plus souvent, parce que, par son caractère, il en fait fort mal apprécier les résultats. C'est un de ceux qui prêchent avec violence une doctrine de douceur et de paix.
Demande. Ainsi vous pensez qu'il perdra son pouvoir guérissant ?
Réponse. J'en suis persuadé, ou bien il faudrait alors qu'il fît un retour sérieux sur lui-même, ce dont, malheureusement, je ne le crois pas capable. Les conseils seraient superflus, parce qu'il se persuade en savoir plus que tout le monde ; il aurait peut-être l'air de les écouter, mais il ne les suivrait pas. Il perd ainsi doublement le bénéfice d'une excellente faculté. »
L'événement a justifié la prévision. Nous avons su depuis que ce médium, après une série d'échecs dont son amour-propre avait eu à souffrir, avait renoncé à de nouvelles tentatives de guérisons.
Le pouvoir de guérir est indépendant de la volonté du médium ; c'est là un fait acquis à l'expérience ; ce qui dépend de lui, ce sont les qualités qui peuvent rendre ce pouvoir fructueux et durable. Ces qualités sont surtout le dévouement, l'abnégation et l'humilité ; l'égoïsme, l'orgueil et la cupidité sont des points d'arrêt contre lesquels se brise la plus belle faculté.
Le véritable médium guérisseur, celui qui comprend la sainteté de sa mission, est mû par l'unique désir du bien ; il ne voit dans le don qu'il possède qu'un moyen de se rendre utile à ses semblables, et non un marche-pied pour s'élever au-dessus des autres et se mettre en évidence. Il est humble de cœur, c'est-à-dire qu'en lui l'humilité et la modestie sont sincère, réelles, sans arrière-pensée, et non dans des paroles que démentent souvent les actes. L'humilité est parfois un manteau sous lequel s'abrite l'orgueil, mais qui ne saurait abuser personne. Il ne cherche ni l'éclat, ni la renommée, ni le bruit de son nom, ni la satisfaction de sa vanité ; il n'y a, dans ses manières, ni jactance, ni forfanterie ; il ne fait point parade des guérisons qu'il obtient, tandis que l'orgueilleux les énumère avec complaisance, souvent les amplifie, et finit par se persuader qu'il a fait tout ce qu'il dit.
Heureux du bien qu'il fait, il ne l'est pas moins de celui que d'autres peuvent faire ; ne se croyant ni le premier ni le seul capable, il ne jalouse et ne dénigre aucun médium. Ceux qui possèdent la même faculté sont pour lui des frères qui concourent au même but ; il se dit que plus il y en aura, plus le bien sera grand.
Sa confiance en ses propres forces ne va pas jusqu'à la présomption de se croire infaillible et encore moins universel ; il sait que d'autres peuvent autant et plus que lui ; sa foi est en Dieu plus qu'en lui-même, car il sait qu'il peut tout par lui et rien sans lui. C'est pourquoi il ne promet rien que sous la réserve de la permission de Dieu.
A l'influence matérielle, il joint l'influence morale, auxiliaire puissant qui double sa force. Par sa parole bienveillante, il encourage, relève le moral, fait naître l'espérance et la confiance en Dieu. C'est déjà une partie de la guérison, car c'est une consolation qui dispose à recevoir l'effluve bienfaisant, ou pour mieux dire, la pensée bienveillante est elle-même un effluve salutaire. Sans l'influence morale, le médium n'a pour lui que l'action fluidique, matérielle et en quelque sorte brutale, insuffisante en beaucoup de cas.
Enfin, vers celui qui possède les qualités du cœur, le malade est attiré par une sympathie qui prédispose à l'assimilation des fluides, tandis que l'orgueil, le manque de bienveillance, froissent et font éprouver un sentiment de répulsion qui paralyse cette assimilation.
Tel est le médium guérisseur aimé des bons Esprits. Telle est aussi la mesure qui peut servir à juger la valeur intrinsèque de ceux qui se révéleront, et l'étendue des services qu'ils pourront rendre à la cause du Spiritisme. Ce n'est pas à dire qu'il ne s'en trouve que dans ces conditions, et que celui qui ne réunirait pas toutes ces qualités ne puisse rendre momentanément des services partiels qu'on aurait tort de repousser ; le mal est pour lui, car plus il s'éloigne du type, moins il peut espérer voir sa faculté se développer et plus il est près de son déclin ; les bons Esprits ne s'attachent qu'à ceux qui se montrent dignes de leur protection, et la chute de l'orgueilleux, est tôt ou tard sa punition. Le désintéressement est incomplet sans le désintéressement moral.
Souscriptions pour les inondés
La Société spirite de Paris, dans sa séance de rentrée du 5 octobre, a ouvert une souscription au profit des inondés. Un premier versement de 300 fr. a été fait en son nom dans les bureaux du Moniteur universel. Les souscriptions continueront à être reçues au bureau de la Revue spirite.
Allan Kardec
Allan Kardec