LA GENÈSE, LES MIRACLES ET LES PRÉDICTIONS SELON LE SPIRITISME
LA GENÈSE
LES MIRACLES ET LES PRÉDICTIONS SELON LE SPIRITISME
PAR
ALLAN KARDEC
Auteur du Livre des Esprits
La doctrine spirite est la résultante de l'enseignement collectif et concordant des Esprits,
La science est appelée à constituer la Genèse selon les lois de la nature.
Dieu prouve sa grandeur et sa puissance par l'immutabilité de ses lois, et non par leur suspension.
Pour Dieu, le passé et l'avenir sont le présent.
A la première édition, publiée en janvier 1868
Deux éléments ou, si l'on veut, deux forces régissent l'univers : l'élément spirituel et l'élément matériel ; de l'action simultanée de ces deux principes, naissent des phénomènes spéciaux qui sont naturellement inexplicables, si l'on fait abstraction de l'un des deux, absolument comme la formation de l'eau serait inexplicable si l'on faisait abstraction de l'un de ses deux éléments constituants : l'oxygène et l'hydrogène.
Le Spiritisme, en démontrant l'existence du monde spirituel et ses rapports avec le monde matériel, donne la clef d'une foule de phénomènes incompris, et considérés, par cela même, comme inadmissibles par une certaine classe de penseurs. Ces faits abondent dans les Écritures, et c'est faute de connaître la loi qui les régit, que les commentateurs des deux camps opposés, tournant sans cesse dans le même cercle d'idées, les uns faisant abstraction des données positives de la science, les autres du principe spirituel, n'ont pu aboutir à une solution rationnelle.
Cette solution est dans l'action réciproque de l'esprit et de la matière. Elle ôte, il est vrai, à la plupart de ces faits leur caractère surnaturel ; mais lequel vaut mieux : de les admettre comme ressortant des lois de la nature, ou de les rejeter tout à fait ? Leur rejet absolu entraîne celui de la base même de l'édifice, tandis que leur admission à ce titre, ne supprimant que les accessoires, laisse cette base intacte. Voilà pourquoi le Spiritisme ramène tant de gens à la croyance de vérités qu'ils considéraient naguère comme des utopies.
Cet ouvrage est donc, ainsi que nous l'avons dit, un complément des applications du Spiritisme à un point de vue spécial. Les matériaux en étaient prêts, tout au moins élaborés depuis longtemps, mais le moment de les publier n'était pas encore venu. Il fallait d'abord que les idées qui devaient en faire la base fussent arrivées à maturité, et, en outre, tenir compte de l'opportunité des circonstances. Le Spiritisme n'a ni mystères, ni théories secrètes ; tout doit y être dit au grand jour, afin que chacun puisse le juger en connaissance de cause ; mais chaque chose doit venir en son temps pour venir sûrement. Une solution donnée à la légère, avant l'élucidation complète de la question, serait une cause de retard plutôt que d'avancement. Dans celle dont il s'agit ici, l'importance du sujet nous faisait un devoir d'éviter toute précipitation.
Avant d'entrer en matière, il nous a paru nécessaire de définir nettement le rôle respectif des Esprits et des hommes dans l'oeuvre de la doctrine nouvelle ; ces considérations préliminaires, qui en écartent toute idée de mysticisme, font l'objet du premier chapitre, intitulé : Caractères de la révélation spirite ; nous appelons sur ce point une attention sérieuse, parce que là est, en quelque sorte, le noeud de la question.
Malgré la part qui incombe à l'activité humaine dans l'élaboration de cette doctrine, l'initiative en appartient aux Esprits, mais elle n'est formée de l'opinion personnelle d'aucun d'eux ; elle n'est, et ne peut être, que la résultante de leur enseignement collectif et concordant. A cette condition seule, elle peut se dire la doctrine des Esprits, autrement ce ne serait que la doctrine d'un Esprit, et elle n'aurait que la valeur d'une opinion personnelle.
Généralité et concordance dans l'enseignement, tel est le caractère essentiel de la doctrine, la condition même de son existence ; il en résulte que tout principe qui n'a pas reçu la consécration du contrôle de la généralité ne peut être considéré comme partie intégrante de cette même doctrine, mais comme une simple opinion isolée dont le Spiritisme ne peut assumer la responsabilité.
C'est cette collectivité concordante de l'opinion des Esprits, passée, en outre, au critérium de la logique, qui fait la force de la doctrine spirite, et en assure la perpétuité. Pour qu'elle changeât, il faudrait que l'universalité des Esprits changeât d'opinion, et qu'ils vinssent un jour dire le contraire de ce qu'ils ont dit ; puisqu'elle a sa source dans l'enseignement des Esprits, pour qu'elle succombât, il faudrait que les Esprits cessassent d'exister. C'est aussi ce qui la fera toujours prévaloir sur les systèmes personnels qui n'ont pas, comme elle, leurs racines partout.
Le Livre des Esprits n'a vu son crédit se consolider que parce qu'il est l'expression d'une pensée collective générale ; au mois d'avril 1867, il a vu s'accomplir sa première période décennale ; dans cet intervalle, les principes fondamentaux, dont il a posé les bases, ont été successivement complétés et développés, par suite de l'enseignement progressif des Esprits, mais aucun n'a reçu un démenti de l'expérience ; tous, sans exception, sont restés debout, plus vivaces que jamais, tandis que, de toutes les idées contradictoires qu'on a essayé d'y opposer, aucune n'a prévalu, précisément parce que, de toutes parts, le contraire était enseigné. C'est là un résultat caractéristique que nous pouvons proclamer sans vanité, puisque nous ne nous en sommes jamais attribué le mérite.
Les mêmes scrupules ayant présidé à la rédaction de nos autres ouvrages, nous avons pu les dire selon le Spiritisme, parce que nous étions certain de leur conformité avec l'enseignement général des Esprits. Il en est de même de celui-ci, que nous pouvons, par des motifs semblables, donner comme le complément des précédents, à l'exception, toutefois, de quelques théories encore hypothétiques, que nous avons eu soin d'indiquer comme telles, et qui ne doivent être considérées que comme des opinions personnelles, jusqu'à ce qu'elles aient été confirmées ou contredites, afin de n'en pas faire peser la responsabilité sur la doctrine.
Du reste, les lecteurs assidus de la Revue auront pu y remarquer, à l'état d'ébauche, la plupart des idées qui sont développées dans ce dernier ouvrage, comme nous l'avons fait pour les précédents. La Revue est souvent pour nous un terrain d'essai destiné à sonder l'opinion des hommes et des Esprits sur certains principes, avant de les admettre comme parties constituantes de la doctrine.
LA GENESE
CHAPITRE PREMIER - Caractère de la révélation spirite.
A ce point de vue, toutes les sciences qui nous font connaître les mystères de la nature sont des révélations, et l'on peut dire qu'il y a pour nous une révélation incessante ; l’astronomie nous a révélé le monde astral que nous ne connaissions pas ; la géologie, la formation de la terre ; la chimie, la loi des affinités ; la physiologie, les fonctions de l'organisme, etc. ; Copernic, Galilée, Newton, Laplace, Lavoisier sont des révélateurs.
Mais qu'est-ce que les hommes de génie ? Pourquoi sont-ils hommes de génie ? D'où viennent-ils ? Que deviennent-ils ? Remarquons que la plupart apportent en naissant des facultés transcendantes et des connaissances innées, qu'un peu de travail suffit pour développer. Ils appartiennent bien réellement à l'humanité, puisqu'ils naissent, vivent et meurent comme nous. Où donc ont-ils puisé ces connaissances qu'ils n'ont pu acquérir de leur vivant ? Dira-t-on, avec les matérialistes, que le hasard leur a donné la matière cérébrale en plus grande quantité et de meilleure qualité ? Dans ce cas, ils n'auraient pas plus de mérite qu'un légume plus gros et plus savoureux qu'un autre.
Dira-t-on, avec certains spiritualistes, que Dieu les a doués d'une âme plus favorisée que celle du commun des hommes ? Supposition tout aussi illogique, puisqu'elle entacherait Dieu de partialité. La seule solution rationnelle de ce problème est dans la préexistence de l'âme et dans la pluralité des existences. L'homme de génie est un Esprit qui a vécu plus longtemps ; qui a, par conséquent, plus acquis et plus progressé que ceux qui sont moins avancés. En s'incarnant, il apporte ce qu'il sait, et comme il sait beaucoup plus que les autres, sans avoir besoin d'apprendre, il est ce qu'on appelle un homme de génie. Mais ce qu'il sait n'en est pas moins le fruit d'un travail antérieur, et non le résultat d'un privilège. Avant de renaître, il était donc Esprit avancé ; il se réincarne, soit pour faire profiter les autres de ce qu'il sait, soit pour acquérir davantage.
Les hommes progressent incontestablement par eux-mêmes et par les efforts de leur intelligence ; mais, livrés à leurs propres forces, ce progrès est très lent, s'ils ne sont aidés par des hommes plus avancés, comme l'écolier l'est par ses professeurs. Tous les peuples ont eu leurs hommes de génie, qui sont venus, à diverses époques, donner une impulsion et les tirer de leur inertie.
Si Dieu suscite des révélateurs pour les vérités scientifiques, il peut, à plus forte raison, en susciter pour les vérités morales, qui sont un des éléments essentiels du progrès. Tels sont les philosophes dont les idées ont traversé les siècles.
Malheureusement, les religions ont, de tout temps, été des instruments de domination ; le rôle de prophète a tenté les ambitions secondaires, et l'on a vu surgir une multitude de prétendus révélateurs ou messies qui, à la faveur du prestige de ce nom, ont exploité la crédulité au profit de leur orgueil, de leur cupidité ou de leur paresse, trouvant plus commode de vivre aux dépens de leurs dupes. La religion chrétienne n'a pas été à l'abri de ces parasites. A ce sujet, nous appelons une attention sérieuse sur le chapitre XXI de l’Evangile selon le Spiritisme : « Il y aura de faux Christs et de faux prophètes. »
Ces sortes de communications n'ont rien d'étrange pour quiconque connaît les phénomènes spirites et la manière dont s'établissent les rapports entre les incarnés et les désincarnés. Les instructions peuvent être transmises par divers moyens : par l'inspiration pure et simple, par l'audition de la parole, par la vue des Esprits instructeurs dans les visions et apparitions, soit en rêve, soit à l'état de veille, ainsi qu'on en voit maints exemples dans la Bible, l’Evangile et dans les livres sacrés de tous les peuples. Il est donc rigoureusement exact de dire que la plupart des révélateurs sont des médiums inspirés, auditifs ou probants ; d'où il ne suit pas que tous les médiums soient des révélateurs, et encore moins les intermédiaires directs de la Divinité ou de ses messagers.
Il peut donc y avoir des révélations sérieuses et vraies, comme il y en a d'apocryphes et de mensongères. Le caractère essentiel de la révélation divine est celui de l'éternelle vérité. Toute révélation entachée d'erreur ou sujette à changement ne peut émaner de Dieu. C'est ainsi que la loi du Décalogue a tous les caractères de son origine, tandis que les autres lois mosaïques, essentiellement transitoires, souvent en contradiction avec la loi du Sinaï, sont l'oeuvre personnelle et politique du législateur hébreu. Les moeurs du peuple s'adoucissant, ces lois sont d'elles-mêmes tombées en désuétude, tandis que le Décalogue est resté debout comme le phare de l’humanité. Le Christ en a fait la base de son édifice, tandis qu'il a aboli les autres lois. Si elles eussent été l'oeuvre de Dieu, il se serait gardé d'y toucher. Le Christ et Moïse sont les deux grands révélateurs qui ont changé la face du monde, et là est la preuve de leur mission divine. Une oeuvre purement humaine n'aurait pas un tel pouvoir.
Le Spiritisme, ayant pour objet l'étude de l'un des deux éléments constitutifs de l'univers, touche forcément à la plupart des sciences ; il ne pouvait venir qu'après leur élaboration, et il est né, par la force des choses, de l'impossibilité de tout expliquer à l'aide des seules lois de la matière.
Il en est de même du Spiritisme à l'égard de la magie et de la sorcellerie ; celles-ci s'appuyaient aussi sur la manifestation des Esprits, connue l'astrologie sur le mouvement des astres ; mais, dans l’ignorance des lois qui régissent le monde spirituel, elles mêlaient à ces rapports des pratiques et des croyances ridicules, dont le Spiritisme moderne, fruit de l'expérience et de l'observation, a fait justice. Assurément, la distance qui sépare le Spiritisme de la magie et de la sorcellerie est plus grande que celle qui existe entre l'astronomie et l'astrologie, la chimie et l'alchimie ; vouloir les confondre, c'est prouver qu'on n'en sait pas le premier mot.
C'est donc avec raison que le Spiritisme est considéré comme la troisième des grandes révélations. Voyons en quoi ces révélations diffèrent, et par quel lien elles se rattachent l'une à l'autre.
Cette révélation des véritables attributs de la Divinité, jointe à celle de l'immortalité de l’âme et de la vie future, modifiait profondément les rapports mutuels des hommes, leur imposait de nouvelles obligations, leur faisait envisager la vie présente sous un autre jour ; elle devait, par cela même, réagir sur les moeurs et les relations sociales. C'est incontestablement, par ses conséquences, le point le plus capital de la révélation du Christ, et dont on n'a pas assez compris l'importance ; il est regrettable de le dire, c'est aussi le point dont on s'est le plus écarté, que l'on a le plus méconnu dans l'interprétation de ses enseignements.
Si le Christ n'a pas dit tout ce qu'il aurait pu dire, c'est qu'il a cru devoir laisser certaines vérités dans l'ombre jusqu'à ce que les hommes fussent en état de les comprendre. De son aveu, son enseignement était donc incomplet, puisqu'il annonce la venue de celui qui doit le compléter ; il prévoyait donc qu'on se méprendrait sur ses paroles, qu'on dévierait de son enseignement ; en un mot, qu'on déferait ce qu'il a fait, puisque toute chose doit être rétablie ; or on ne rétablit que ce qui a été défait.
Qui l'ose ? La science d'abord, qui ne demande de permission à personne pour faire connaître les lois de la nature, et saute à pieds joints sur les erreurs et les préjugés. - Qui a ce droit ? Dans ce siècle d'émancipation intellectuelle et de liberté de conscience, le droit d'examen appartient à tout le monde, et les Ecritures ne sont plus l'arche sainte à laquelle nul n'oserait toucher du doigt sans risquer d'être foudroyé. Quant aux lumières spéciales nécessaires, sans contester celles des théologiens, et quelque éclairés que fussent ceux du moyen âge, et en particulier les Pères de l'Eglise, ils ne l'étaient cependant point encore assez pour ne pas condamner, comme hérésie, le mouvement de la terre et la croyance aux antipodes ; et, sans remonter si haut, ceux de nos jours n’ont-ils pas jeté l'anathème aux périodes de la formation de la terre ?
Les hommes n'ont pu expliquer les Ecritures qu'à l'aide de ce qu'ils savaient, des notions fausses ou incomplètes qu'ils avaient sur les lois de la nature, plus tard révélées par la science : voilà pourquoi les théologiens eux-mêmes ont pu, de très bonne foi, se méprendre sur le sens de certaines paroles et de certains faits de l'Evangile. Voulant à tout prix y trouver la confirmation d'une pensée préconçue, ils tournaient toujours dans le même cercle, sans quitter leur point de vue, de telle sorte qu'ils n'y voyaient que ce qu'ils voulaient y voir. Tout savants théologiens qu'ils étaient, ils ne pouvaient comprendre les causes dépendant de lois qu'ils ne connaissaient pas.
Mais qui sera juge des interprétations diverses et souvent contradictoires, données en dehors de la théologie ? - L'avenir, la logique et le bon sens. Les hommes, de plus en plus éclairés à mesure que de nouveaux faits et de nouvelles lois viendront se révéler, sauront faire la part des systèmes utopiques et de la réalité ; or la science fait connaître certaines lois ; le Spiritisme en fait connaître d'autres ; les unes et les autres sont indispensables à l'intelligence des textes sacrés de toutes les religions, depuis Confucius et le Bouddha jusqu'au Christianisme. Quant à la théologie, elle ne saurait judicieusement exciper des contradictions de la science, alors qu'elle n'est pas toujours d'accord avec elle-même.
A l'idée vague de la vie future, il ajoute la révélation de l'existence du monde invisible qui nous entoure et peuple l'espace, et par là il précise la croyance ; il lui donne un corps, une consistance, une réalité dans la pensée.
Il définit les liens qui unissent l'âme et le corps, et lève le voile qui cachait aux hommes les mystères de la naissance et de la mort.
Par le Spiritisme, l'homme sait d'où il vient, où il va, pourquoi il est sur la terre, pourquoi il y souffre temporairement, et il voit partout la justice de Dieu.
Il sait que l'âme progresse sans cesse à travers une série d'existences successives, jusqu'à ce qu'elle ait atteint le degré de perfection qui peut la rapprocher de Dieu.
Il sait que toutes les âmes, ayant un même point de départ, sont créées égales, avec une même aptitude à progresser, en vertu de leur libre arbitre ; que toutes sont de même essence, et qu'il n'y a entre elles que la différence du progrès accompli ; que toutes ont la même destinée et atteindront le même but, plus ou moins promptement selon leur travail et leur bonne volonté.
Il sait qu'il n'y a point de créatures déshéritées, ni plus favorisées les unes que les autres ; que Dieu n'en a point créé qui soient privilégiées et dispensées du travail imposé à d'autres pour progresser ; qu'il n'y a point d'êtres perpétuellement voués au mal et à la souffrance ; que ceux désignés sous le nom de démons sont des Esprits encore arriérés et imparfaits, qui font le mal à l'état d'Esprits, comme ils le faisaient à l'état d'hommes, mais qui avanceront et s'amélioreront ; que les anges ou purs Esprits ne sont point des êtres à part dans la création, mais des Esprits qui ont atteint le but, après avoir suivi la filière du progrès ; qu'ainsi il n'y a pas de créations multiples, ni différentes catégories parmi les êtres intelligents, mais que toute la création ressort de la grande loi d'unité qui régit l'univers, et que tous les êtres gravitent vers un but commun, qui est la perfection, sans que les uns soient favorisés aux dépens des autres, tous étant les fils de leurs oeuvres.
Par la même raison, celui qui a progressé moralement apporte, en renaissant, des qualités natives, comme celui qui a progressé intellectuellement apporte des idées innées ; il est identifié avec le bien ; il le pratique sans efforts, sans calcul et, pour ainsi dire, sans y penser. Celui qui est obligé de combattre ses mauvaises tendances en est encore à la lutte : le premier a déjà vaincu, le second est en train de vaincre. Il y a donc vertu originelle, comme il y a savoir originel, et péché ou mieux vice originel.
Vous qui combattez le Spiritisme, si vous voulez qu'on le quitte pour vous suivre, donnez donc plus et mieux que lui ; guérissez plus sûrement les blessures de l'âme. Donnez plus de consolations, plus de satisfactions du coeur, des espérances plus légitimes, des certitudes plus grandes ; faites de l'avenir un tableau plus rationnel, plus séduisant ; mais ne pensez pas l'emporter, vous, avec la perspective du néant ; vous avec l'alternative des flammes de l'enfer ou de la béate et inutile contemplation perpétuelle.
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Telle est une des causes de la rapide propagation de la doctrine. Si elle eût surgi sur un seul point, si elle eût été l'oeuvre exclusive d'un homme, elle aurait formé secte autour de lui ; mais un demi-siècle se serait peut-être écoulé allant qu'elle eût atteint les limites du pays où elle aurait pris naissance, tandis qu'après dix ans, elle a des jalons plantés d'un pôle à l'autre.
Remarquons, toutefois, entre elles une nuance bien sensible qui tient au progrès des moeurs et des idées, bien qu'elles aient été faites chez le même peuple et dans le même milieu, mais à près de dix-huit siècles d'intervalle. La doctrine de Moïse est absolue, despotique ; elle n'admet pas de discussion et s'impose à tout le peuple par la force. Celle de Jésus est essentiellement conseillère ; elle est librement acceptée et ne s'impose que par la persuasion ; elle est controversée du vivant même de son fondateur, qui ne dédaigne pas de discuter avec ses adversaires.
La révélation s'est ainsi faite partiellement, en divers lieux et par une multitude d'intermédiaires, et c'est de cette manière qu'elle se poursuit encore en ce moment, car tout n'est pas révélé. Chaque centre trouve, dans les autres centres, le complément de ce qu'il obtient, et c'est l'ensemble, la coordination de tous les enseignements partiels qui ont constitué la doctrine spirite.
Il était donc nécessaire de grouper les faits épars pour voir leur corrélation, de rassembler les documents divers, les instructions données par les Esprits sur tous les points et sur tous les sujets, pour les comparer, les analyser, en étudier les analogies et les différences. Les communications étant données par des Esprits de tous ordres, plus ou moins éclairés, il fallait apprécier le degré de confiance que la raison permettait de leur accorder, distinguer les idées systématiques individuelles et isolées de celles qui avaient la sanction de l'enseignement général des Esprits, les utopies des idées pratiques ; élaguer celles qui étaient notoirement démenties par les données de la science positive et la saine logique, utiliser également les erreurs, les renseignements fournis par les Esprits, même du plus bas étage, pour la connaissance de l'état du monde invisible, et en former un tout homogène. Il fallait, en un mot, un centre d'élaboration, indépendant de toute idée préconçue, de tout préjugé de secte, résolu d'accepter la vérité devenue évidente, dût-elle être contraire à ses opinions personnelles. Ce centre s'est formé de lui-même, par la force des choses, et sans dessein prémédité[4].
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Cette concentration spontanée des forces éparses a donné lieu à une correspondance immense, monument unique au monde tableau vivant de la véritable histoire du Spiritisme moderne, où se reflètent à la fois les travaux partiels, les sentiments multiples qu'a fait naître la doctrine, les résultats moraux, les dévouements et les défaillances ; archives précieuses pour la postérité, qui pourra juger les hommes et les choses sur des pièces authentiques. En présence de ces témoignages irrécusables, que deviendront, dans la suite, toutes les fausses allégations, les diffamations de l'envie et de la jalousie ?...
Les Spirites se sont trouvés plus forts, ils ont lutté avec plus de courage, ils ont marché d'un pas plus assuré, quand ils ne se sont plus vus isolés, quand ils ont senti un point d'appui, un lien qui les rattachait à la grande famille ; les phénomènes dont ils étaient témoins ne leur ont plus semblé étranges, anormaux, contradictoires, quand ils ont pu les rattacher à des lois générales d'harmonie, embrasser d'un coup d'oeil l'édifice, et voir à tout cet ensemble un but grand et humanitaire[5].
Mais comment savoir si un principe est enseigné partout, ou s'il n'est que le résultat d'une opinion individuelle ? Les groupes isolés n'étant pas à même de savoir ce qui se dit ailleurs, il était nécessaire qu'un centre rassemblât toutes les instructions pour faire une sorte de dépouillement des voix, et porter à la connaissance de tous l'opinion de la majorité[6].
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Il est remarquable que, de tous les groupes qui se sont formés avec l'intention préméditée de faire scission en proclamant des principes divergents, de même que ceux qui, par des raisons d'amour-propre ou autres, ne voulant pas avoir l'air de subir la loi commune, se sont crus assez forts pour marcher seuls, assez de lumières pour se passer de conseils, aucun n'est parvenu à constituer une idée prépondérante et viable ; tous se sont éteints ou ont végété dans l'ombre. Comment pouvait-il en être autrement, dès lors que pour se distinguer, au lieu de s'efforcer de donner une plus grande somme de satisfactions, ils rejetaient des principes de la doctrine précisément ce qui en fait le plus puissant attrait, ce qu'il y a de plus consolant, de plus encourageant et de plus rationnel ? S'ils avaient compris la puissance des éléments moraux qui ont constitué l'unité, ils ne se seraient pas bercés d'une illusion chimérique ; mais, prenant leur petit cercle pour l'univers, ils n'ont vu dans les adhérents qu'une coterie qui pouvait facilement être renversée par une contre coterie. C'était se méprendre étrangement sur les caractères essentiels de la doctrine, et cette erreur ne pouvait amener que des déceptions ; au lieu de rompre l'unité, ils ont brisé le seul lien qui pouvait leur donner la force et la vie. (Voir Revue spirite, avril 1866, pages 106 et 111 : Le Spiritisme sans les Esprits ; le Spiritisme indépendant).
[6] Tel est l'objet de nos publications, qui peuvent être vues comme le résultat de ce dépouillement. Toutes les opinions y sont discutées, mais les questions ne sont formulées en principes qu'après avoir reçu la consécration de tous les contrôles qui, seule, peut leur donner force de loi et permettre d'affirmer. Voilà pourquoi nous ne préconisons légèrement aucune théorie, et c'est en cela que la Doctrine, procédant de l'enseignement général, n'est point le produit d'un système préconçu ; c'est aussi ce qui fait sa force et assure son avenir.
Il y a, toutefois, entre la marche du Spiritisme et celle des sciences une différence capitale, c'est que celles-ci n'ont atteint le point où elles sont arrivées qu'après de longs intervalles, tandis qu'il a suffi de quelques années au Spiritisme, sinon pour atteindre le point culminant, du moins pour recueillir une somme d'observations assez grande pour constituer une doctrine. Cela tient à la multitude innombrable d'Esprits qui, par la volonté de Dieu, se sont manifestés simultanément, apportant chacun le contingent de ses connaissances. Il en est résulté que toutes les parties de la doctrine, au lieu d'être élaborées successivement durant plusieurs siècles, l'ont été à peu près simultanément en quelques années, et qu'il a suffi de les grouper pour en former un tout.
Dieu a voulu qu'il en fût ainsi, d'abord, pour que l'édifice arrivât plus promptement au faîte ; en second lieu, pour que l'on pût, par la comparaison, avoir un contrôle pour ainsi dire immédiat et permanent dans l'universalité de l'enseignement, chaque partie n'ayant de valeur et d'autorité que par sa connexité avec l'ensemble, toutes devant s'harmoniser, trouver leur place dans le casier général, et arriver chacune en son temps.
En ne confiant pas à un seul Esprit le soin de la promulgation de la doctrine, Dieu a voulu en outre que le plus petit comme le plus grand, parmi les Esprits comme parmi les hommes, apportât sa pierre à l'édifice, afin d'établir entre eux un lien de solidarité coopérative qui a manqué à toutes les doctrines sorties d'une source unique.
D'un autre côté, chaque Esprit, de même que chaque homme, n'ayant qu'une somme limitée de connaissances, individuellement ils étaient inhabiles à traiter ex professo les innombrables questions auxquelles touche le Spiritisme ; voilà également pourquoi la doctrine, pour remplir les vues du Créateur, ne pouvait être l'oeuvre ni d'un seul Esprit, ni d'un seul médium ; elle ne pouvait sortir que de la collectivité des travaux contrôlés les uns par les autres[7].
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Le Spiritisme ne pose donc en principe absolu que ce qui est démontré avec évidence, ou ce qui ressort logiquement de l'observation. Touchant à toutes les branches de l'économie sociale, auxquelles il prête l'appui de ses propres découvertes, il s'assimilera toujours toutes les doctrines progressives, de quelque ordre qu'elles soient, arrivées à l'état de vérités pratiques, et sorties du domaine de l'utopie, sans cela il se suiciderait ; en cessant d'être ce qu'il est, il mentirait à son origine et à son but providentiel. Le Spiritisme, marchant avec le progrès, ne sera jamais débordé, parce que, si de nouvelles découvertes lui démontraient qu'il est dans l'erreur sur un point, il se modifierait sur ce point ; si une nouvelle vérité se révèle, il l'accepte[8].
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Au point de vue moral, Dieu a sans doute donné à l'homme un guide dans sa conscience qui lui dit : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît. » La morale naturelle est certainement inscrite dans le coeur des hommes, mais tous savent-ils y lire ? N'ont-ils jamais méconnu ses sages préceptes ? Qu'ont-ils fait de la morale du Christ ? Comment la pratiquent ceux mêmes qui l'enseignent ? N'est-elle pas devenue une lettre morte, une belle théorie, bonne pour les autres et non pour soi ? Reprocherez-vous à un père de répéter dix fois, cent fois les mêmes instructions à ses enfants s'ils n'en profitent pas ? Pourquoi Dieu ferait-il moins qu'un père de famille ? Pourquoi n'enverrait-il pas de temps à autre parmi les hommes des messagers spéciaux chargés de les rappeler à leurs devoirs, et de les remettre en bon chemin quand ils s'en encartent, d'ouvrir les yeux de l'intelligence à ceux qui les ont fermés, comme les hommes les plus avancés envoient des missionnaires chez les sauvages et les barbares ?
Les Esprits n'enseignent pas d'autre morale que celle du Christ, par la raison qu'il n'y en a pas de meilleure. Mais alors à quoi bon leur enseignement, puisqu'ils ne disent que ce que nous savons ? On pourrait en dire autant de la morale du Christ, qui fut enseignée cinq cents ans avant lui par Socrate et Platon, et dans des termes presque identiques ; de tous les moralistes qui répètent la même chose sur tous les tons et sous toutes les formes. Eh bien ! les Esprits viennent tout simplement augmenter le nombre des moralistes, avec la différence que, se manifestant partout, ils se font entendre dans la chaumière aussi bien que dans le palais, aux ignorants comme aux gens instruits.
Ce que l'enseignement des Esprits ajoute à la morale du Christ, c'est la connaissance des principes qui relient les morts et les vivants, qui complètent les notions vagues qu'il avait données de l'âme, de son passé et de son avenir, et qui donnent pour sanction à sa doctrine les lois mêmes de la nature. A l'aide des nouvelles lumières apportées par le Spiritisme et les Esprits, l'homme comprend la solidarité qui relie tous les êtres ; la charité et la fraternité deviennent une nécessité sociale ; il fait par conviction ce qu'il ne faisait que par devoir, et il le fait mieux.
Lorsque les hommes pratiqueront la morale du Christ, alors seulement ils pourront dire qu'ils n'ont plus besoin de moralistes incarnés ou désincarnés ; mais alors aussi Dieu ne leur en enverra plus.
L'objection serait sérieuse si cette révélation ne consistait que dans l'enseignement des Esprits, si nous devions la tenir d'eux exclusivement et l'accepter les yeux fermés ; elle est sans valeur dès l'instant que l'homme y apporte le concours de son intelligence et de son jugement ; que les Esprits se bornent à le mettre sur la voie des déductions qu'il peut tirer de l'observation des faits. Or, les manifestations et leurs innombrables variétés sont des faits ; l'homme les étudie et en cherche la loi ; il est aidé dans ce travail par les Esprits de tous ordres, qui sont plutôt des collaborateurs que des révélateurs dans le sens usuel du mot ; il soumet leurs dires au contrôle de la logique et du bon sens ; de cette manière, il bénéficie des connaissances spéciales qu'ils doivent à leur position, sans abdiquer l'usage de sa propre raison.
Les Esprits n'étant autres que les âmes des hommes, en communiquant avec eux nous ne sortons pas de l'humanité, circonstance capitale à considérer. Les hommes de génie qui ont été les flambeaux de l'humanité sont donc sortis du monde des Esprits, comme ils y sont rentrés en quittant la terre. Dès lors que les Esprits peuvent se communiquer aux hommes, ces mêmes génies peuvent leur donner des instructions sous la forme spirituelle, comme ils l'ont fait sous la forme corporelle ; ils peuvent nous instruire après leur mort, comme ils le faisaient de leur vivant ; ils sont invisibles au lieu d'être visibles, voilà toute la différence. Leur expérience et leur savoir ne doivent pas être moindres, et si leur parole, comme hommes, avait de l'autorité, elle n'en doit pas avoir moins parce qu'ils sont dans le monde des Esprits.
D'abord, comme nous l'avons dit, ils s'abstiennent de nous donner ce que nous pouvons acquérir par le travail ; en second lieu, il est des choses qu'il ne leur est pas permis de révéler, parce que notre degré d'avancement ne le comporte pas. Mais cela à part, les conditions de leur nouvelle existence étendent le cercle de leurs perceptions ; ils voient ce qu'ils ne voyaient pas sur la terre ; affranchis des entraves de la matière, délivrés des soucis de la vie corporelle, ils jugent les choses d'un point plus élevé et par cela même plus sainement ; leur perspicacité embrasse un horizon plus vaste ; ils comprennent leurs erreurs, rectifient leurs idées et se débarrassent des préjugés humains.
C'est en cela que consiste la supériorité des Esprits sur l’humanité corporelle, et que leurs conseils peuvent êtres, eu égard à leur degré d'avancement, plus judicieux et plus désintéressés que ceux des incarnés. Le milieu dans lequel ils se trouvent leur permet en outre de nous initier aux choses de la vie future que nous ignorons, et que nous ne pouvons apprendre dans celui où nous sommes. Jusqu'à ce jour, l'homme n'avait créé que des hypothèses sur son avenir ; voilà pourquoi ses croyances sur ce point ont été partagées en systèmes si nombreux et si divergents, depuis le néantisme jusqu'aux fantastiques conceptions de l'enfer et du paradis. Aujourd'hui, ce sont les témoins oculaires, les acteurs mêmes de la vie d'outre-tombe qui viennent nous dire ce qu'il en est, et qui seuls pouvaient le faire. Ces manifestations ont donc servi à nous faire connaître le monde invisible qui nous entoure, et que nous ne soupçonnions pas ; et cette connaissance seule serait d'une importance capitale, en supposant que les Esprits fussent incapables de rien nous apprendre de plus.
Si vous allez dans un pays nouveau pour vous, rejetterez-vous les renseignements du plus humble paysan que vous rencontrerez ? Refuserez-vous de l'interroger sur l'état de la route, parce que ce n'est qu'un paysan ? Vous n'attendrez certainement pas de lui des éclaircissements d'une très haute portée, mais tel qu'il est et dans sa sphère, il pourra, sur certains points, vous renseigner mieux qu'un savant qui ne connaîtrait pas le pays. Vous tirerez de ses indications des conséquences qu'il ne pourrait tirer lui-même, mais il n'en aura pas moins été un instrument utile pour vos observations, n'eût-il servi qu'à vous faire connaître les moeurs des paysans. Il en est de même des rapports avec les Esprits, où le plus petit peut servir à nous apprendre quelque chose.
Un navire chargé d'émigrants part pour une destination lointaine ; Il emporte des hommes de toutes conditions, des parents et des amis de ceux qui restent. On apprend que ce navire a fait naufrage ; nulle trace n'en est restée, aucune nouvelle n'est parvenue sur son sort ; on pense que tous les voyageurs ont péri, et le deuil est dans toutes les familles. Cependant l'équipage tout entier, sans en excepter un seul homme, a abordé une terre méconnue, abondante et fertile, où tous vivent heureux sous un ciel clément ; mais on l'ignore. Or, voilà qu'un jour un autre navire aborde cette terre ; il y trouve tous les naufragés sains et saufs. L'heureuse nouvelle se répand avec la rapidité de l'éclair ; chacun se dit : « Nos amis ne sont point perdus ! » et ils en rendent grâces à Dieu. Ils ne peuvent se voir, mais ils correspondent ; ils échangent des témoignages d'affection, et voilà que la joie succède à la tristesse.
Telle est l'image de la vie terrestre et de la vie d'outre-tombe, avant et après la révélation moderne ; celle-ci, semblable au second navire, nous apporte la bonne nouvelle de la survivance de ceux qui nous sont chers, et la certitude de les rejoindre un jour ; le doute sur leur sort et sur le nôtre n'existe plus ; le découragement s'efface devant l'espérance.
Mais d'autres résultats viennent féconder cette révélation. Dieu, jugeant l'humanité mûre pour pénétrer le mystère de sa destinée et contempler de sang froid de nouvelles merveilles, a permis que le voile qui séparait le monde visible du monde invisible fût levé. Le fait des manifestations n'a rien d'extra-humain ; c'est l'humanité spirituelle qui vient causer avec l'humanité corporelle et lui dire :
« Nous existons, donc le néant n'existe pas ; voilà ce que nous sommes, et voilà ce que vous serez ; l'avenir est à vous comme il est à nous. Vous marchiez dans les ténèbres, nous venons éclairer votre route et vous frayer la voie ; vous alliez au hasard, nous vous montrons le but. La vie terrestre était tout pour vous, parce que vous ne voyiez rien au-delà ; nous venons vous dire, en vous montrant la vie spirituelle : la vie terrestre n'est rien. Votre vue s'arrêtait à la tombe, nous vous montrons au-delà un horizon splendide. Vous ne saviez pas pourquoi vous souffrez sur la terre, maintenant, dans la souffrance, vous voyez la justice de Dieu ; le bien était sans fruits apparents pour l'avenir, il aura désormais un but et sera une nécessité ; la fraternité n'était qu'une belle théorie, elle est maintenant assise sur une loi de la nature. Sous l'empire de la croyance que tout finit avec la vie, l'immensité est vide, l'égoïsme règne en maître parmi vous, et votre mot d'ordre est : « Chacun pour soi » ; avec la certitude de l'avenir, les espaces infinis se peuplent à l'infini, le vide et la solitude ne sont nulle part, la solidarité relie tous les êtres par-delà et en deçà de la tombe ; c'est le règne de la charité avec la devise : « Chacun pour tous et tous pour chacun. » Enfin, au terme de la vie vous disiez un éternel adieu à ceux qui vous sont chers ; maintenant, vous leur direz : « Au revoir ! »
Tels sont, en résumé, les résultats de la révélation nouvelle ; elle est venue combler le vide creusé par l'incrédulité, relever courages abattus par le doute ou la perspective du néant, et donner à toutes choses sa raison d'être. Ce résultat est-il donc sans importance, parce que les Esprits ne viennent pas résoudre les problèmes de la science, donner le savoir aux ignorants, et aux paresseux les moyens de s'enrichir sans peine ? Cependant, les fruits que l'homme doit en retirer ne sont pas seulement pour la vie future ; il en jouira sur la terre par la transformation que ces nouvelles croyances doivent nécessairement opérer sur son caractère, ses goûts, ses tendances et, par suite, sur les habitudes et les relations sociales. En mettant fin au règne de l'égoïsme, de l'orgueil et de l'incrédulité, elles préparent celui du bien, qui est le règne de Dieu annoncé par le Christ[9].
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CHAPITRE II - Dieu.
EXISTENCE DE DIEU
Si un oiseau fendant l'air est atteint d'un plomb mortel, on juge qu'un habile tireur l'a frappé, quoiqu'on ne voie pas le tireur. Il n'est donc pas toujours nécessaire d'avoir vu une chose pour savoir qu'elle existe. En tout, c'est en observant les effets qu'on arrive à la connaissance des causes.
Si l'on demandait quel est le constructeur de tel ingénieux mécanisme, que penserait-on de celui qui répondrait qu'il s'est fait tout seul ? Lorsqu'on voit un chef-d'oeuvre de l'art ou de l'industrie, on dit que ce doit être le produit d'un homme de génie, parce qu'une haute intelligence a dû présider à sa conception ; on juge néanmoins qu'un homme a dû le faire, parce qu'on sait que la chose n'est pas au-dessus de la capacité humaine, mais il ne viendra à personne la pensée de dire qu'elle est sortie du cerveau d'un idiot ou d'un ignorant, et encore moins qu'elle est le travail d'un animal ou le produit du hasard.
Les oeuvres dites de la nature sont le produit de forces matérielles qui agissent mécaniquement, par suite des lois d'attraction et de répulsion ; les molécules des corps inertes s'agrègent et se désagrègent sous l'empire de ces lois. Les plantes naissent, poussent, croissent et se multiplient toujours de la même manière, chacune dans son espèce, en vertu de ces mêmes lois ; chaque sujet est semblable à celui d'où il est sorti ; la croissance, la floraison, la fructification, la coloration sont subordonnées à des causes matérielles, telles que la chaleur, l'électricité, la lumière, l'humidité, etc. Il en est de même des animaux. Les astres se forment par l'attraction moléculaire, et se meuvent perpétuellement dans leurs orbites par l'effet de la gravitation. Cette régularité mécanique dans l'emploi des forces naturelles n'accuse point une intelligence libre. L'homme remue son bras quand il veut et comme il veut, mais celui qui le remuerait dans le même sens depuis sa naissance jusqu'à sa mort serait un automate ; or, les forces organiques de la nature sont purement automatiques.
Tout cela est vrai ; mais ces forces sont des effets qui doivent avoir une cause, et nul ne prétend qu'elles constituent la Divinité. Elles sont matérielles et mécaniques ; elles ne sont point intelligentes par elles-mêmes, cela est encore vrai ; mais elles sont mises en oeuvre, distribuées, appropriées pour les besoins de chaque chose par une intelligence qui n'est point celle des hommes. L'utile appropriation de ces forces est un effet intelligent qui dénote une cause intelligente. Une pendule se meut avec une régularité automatique, et c'est cette régularité qui en fait le mérite. La force qui la fait agir est toute matérielle et nullement intelligente, mais que serait cette pendule si une intelligence n'avait combiné, calculé l'emploi de cette force pour la faire marcher avec précision ? De ce que l'intelligence n'est pas dans le mécanisme de la pendule, et de ce qu'on ne la voit pas, serait-il rationnel de conclure qu'elle n'existe pas ? On la juge à ses effets.
L'existence de l'horloge atteste l'existence de l'horloger ; l'ingéniosité du mécanisme atteste l'intelligence et le savoir de l'horloger. Quand une pendule vous donne à point nommé le renseignement dont vous avez besoin, est-il jamais venu à la pensée de quelqu'un de dire : Voilà une pendule bien intelligente ?
Ainsi en est-il du mécanisme de l'univers ; Dieu ne se montre pas, mais il s'affirme par ses oeuvres.
DE LA NATURE DIVINE
Sans la connaissance des attributs de Dieu, il serait impossible de comprendre l'oeuvre de la création ; c'est le point de départ de toutes les croyances religieuses, et c'est faute de s'y être reportées, comme au phare qui pouvait les diriger, que la plupart des religions ont erré dans leurs dogmes. Celles qui n'ont pas attribué à Dieu la toute-puissance ont imaginé plusieurs dieux ; celles qui ne lui ont pas attribué la souveraine bonté en ont fait un dieu jaloux, colère, partial et vindicatif.
Dieu n'a pas de forme appréciable à nos sens, sans cela il serait matière. Nous disons : la main de Dieu, l'oeil de Dieu, la bouche de Dieu, parce que l'homme, ne connaissant que lui, se prend pour terme de comparaison de tout ce qu'il ne comprend pas. Ces images où l'on représente Dieu sous la figure d'un vieillard à longue barbe, couvert d'un manteau, sont ridicules ; elles ont l'inconvénient de rabaisser l'Etre suprême aux mesquines proportions de l'humanité ; de là à lui prêter les passions de l'humanité, à en faire un Dieu colère et jaloux, il n'y a qu'un pas.
L'infini d'une qualité exclut la possibilité de l'existence d'une qualité contraire qui l'amoindrirait ou l'annulerait. Un être infiniment bon ne saurait avoir la plus petite parcelle de méchanceté, ni l'être infiniment mauvais avoir la plus petite parcelle de bonté ; de même qu'un objet ne saurait être d'un noir absolu avec la plus légère nuance de blanc, ni d'un blanc absolu avec la plus petite tache de noir.
Dieu ne saurait donc être à la fois bon et mauvais, car alors, ne possédant ni l'une ni l'autre de ces qualités au suprême degré, il ne serait pas Dieu ; toutes choses seraient soumises au caprice, et il n'y aurait de stabilité pour rien. Il ne pourrait donc être qu'infiniment bon ou infiniment mauvais ; or, comme ses oeuvres de sa sagesse, de sa bonté et de sa sollicitude, il en faut conclure que, ne pouvant être à la fois bon et mauvais sans cesser d'être Dieu, il doit être infiniment bon.
La souveraine bonté implique la souveraine justice ; car s'il s'agissait injustement ou avec partialité dans une seule circonstance, ou à l'égard d'une seule de ses créatures, il ne serait pas souverainement juste, et par conséquent ne serait pas souverainement bon.
Les attributs de Dieu, étant infinis, ne sont susceptibles ni d'augmentation ni de diminution, sans cela ils ne seraient pas infinis et Dieu ne serait pas parfait. Si l'on ôtait la plus petite parcelle d'un seul de ses attributs, on n'aurait plus Dieu, puisqu'il pourrait exister un être plus parfait.
C'est ainsi que l'existence de Dieu étant constatée par le fait de ses oeuvres, on arrive, par la simple déduction logique, à déterminer les attributs qui le caractérisent.
Tel est le pivot sur lequel repose l'édifice universel ; c'est le phare dont les rayons s'étendent sur l'univers entier, et qui seul peut guider l'homme dans la recherche de la vérité ; en le suivant, il ne s'égarera jamais, et s'il s'est souvent fourvoyé, c'est faute d'avoir suivi la route qui lui était indiquée.
Tel est aussi le critérium infaillible de toutes les doctrines philosophiques et religieuses ; l'homme a pour les juger une mesure rigoureusement exacte dans les attributs de Dieu, et il peut se dire avec certitude que toute théorie, tout principe, tout dogme, toute croyance, toute pratique qui serait en contradiction avec un seul de ces attributs, qui tendrait non seulement à l'annuler, mais simplement à l'affaiblir, ne peut être dans la vérité.
En philosophie, en psychologie, en morale, en religion, il n'y a de vrai que ce qui ne s'écarte pas d'un iota des qualités essentielles de la Divinité. La religion parfaite serait celle dont aucun article de foi ne serait en opposition ces qualités, dont tous les dogmes pourraient subir l'épreuve de ce contrôle, sans en recevoir aucune atteinte.
LA PROVIDENCE
« Comment Dieu, si grand, si puissant, si supérieur à tout, peut-il s'immiscer dans des détails infimes, se préoccuper des moindres actes et des moindres pensées de chaque individu ? Telle est la question que se pose l'incrédule, d'où il conclut qu'en admettant l'existence de Dieu, son action ne doit s'étendre que sur les lois générales de l'univers ; que l'univers fonctionne de toute éternité en vertu de ces lois auxquelles chaque créature est soumise dans sa sphère d'activité, sans qu'il soit besoin du concours incessant de la Providence. »
Supposons un fluide assez subtil pour pénétrer tous les corps, ce fluide, étant inintelligent, agit mécaniquement par les seules forces matérielles ; mais si nous supposons ce fluide doué d'intelligence, de facultés perceptives et sensitives, il agira, non plus aveuglément, mais avec discernement, avec volonté et liberté ; il verra, il entendra et sentira.
Le fluide périsprital n'est pas la pensée de l'Esprit, mais l'agent et l'intermédiaire de cette pensée ; comme c'est lui qui la transmet, il en est en quelque sorte imprégné, et, dans l'impossibilité où nous sommes de l'isoler, elle semble ne faire qu'un avec le fluide, comme le son semble ne faire qu'un avec l'air, de sorte que nous pouvons, pour ainsi dire, la matérialiser. De même que nous disons que l'air devient sonore, nous pourrions, en prenant l'effet pour la cause, dire que le fluide devient intelligent.
Pour étendre sa sollicitude sur toutes ses créatures, Dieu n'a donc pas besoin de plonger son regard du haut de l'immensité ; nos prières, pour être entendues de lui, n'ont pas besoin de franchir l'espace, ni d'être dites d'une voix retentissante, car, sans cesse à nos côtés, nos pensées se répercutent en lui. Nos pensées sont comme les sons d'une cloche qui font vibrer toutes les molécules de l'air ambiant.
« Un phénomène analogue a lieu entre création et Dieu. Dieu est partout dans la nature, comme l'Esprit est partout dans le corps ; tous les éléments de la création sont en rapport constant avec lui, comme toutes les cellules du corps humain sont en contact immédiat avec l'être spirituel ; il n'y a donc point de raison pour que des phénomènes de même ordre ne se produisent pas de la même manière, dans l'un et l'autre cas.
« Un membre s'agite : l'Esprit le sent ; une créature pense : Dieu le sait. Tous les membres sont en mouvement, les différents organes sont mis en vibration : l'Esprit ressent chaque manifestation, les distingue et les localise. Les différentes créations, les différentes créatures s'agitent, pensent, agissent diversement, et Dieu sait tout ce qui se passe, assigne à chacun ce qui lui est particulier.
« On peut en déduire également la solidarité de la matière et de l'intelligence, la solidarité de tous les êtres d'un monde entre eux, celle de tous les mondes, et celle enfin des créations et du Créateur. » (Quinemant, Société de Paris, 1867).
LA VUE DE DIEU.
La première est facile à résoudre ; nos organes matériels ont des perceptions bornées qui les rendent impropres à la vue de certaines choses, même matérielles. C'est ainsi que certains fluides échappent totalement à notre vue et à nos instruments d'analyse, et pourtant nous ne doutons pas de leur existence. Nous voyons les effets de la peste, et nous ne voyons pas le fluide qui la transporte ; nous voyons les corps se mouvoir sous l'influence de la force de gravitation, et nous ne voyons pas cette force.
Ainsi en est-il de l'âme. L'enveloppe périspritale, bien qu'invisible et impalpable pour nous, est pour elle une véritable matière, trop grossière encore pour certaines perceptions. Cette enveloppe se spiritualise à mesure que l'âme s'élève en moralité. Les imperfections de l'âme sont comme des couches brumeuses qui obscurcissent sa vue ; chaque imperfection dont elle se défait est une tache de moins, mais ce n'est qu'après s'être complètement épurée qu'elle jouit de la plénitude de ses facultés.
CHAPITRE III - Le bien et le mal
SOURCE DU BIEN ET DU MAL.
Dans le premier cas, il y aurait deux puissances rivales, luttant sans cesse, chacune cherchant à défaire ce que fait l'autre, et se contrecarrant mutuellement. Cette hypothèse est inconciliable avec l'unité de vue qui se révèle dans l'ordonnance de l'univers.
Dans le second cas, cet être étant inférieur à Dieu lui serait subordonné ; ne pouvant avoir été, comme lui, de toute éternité sans être son égal, il aurait eu un commencement ; s'il a été créé, il ne peut l'avoir été que par Dieu ; Dieu aurait ainsi créé l'Esprit du mal, ce qui serait la négation de l'infinie bonté. (Voir Ciel et enfer selon le Spiritisme, ch. X, les Démons.)
Les maux de toutes sortes, physiques ou moraux, qui affligent l'humanité présentent deux catégories qu'il importe de distinguer : ce sont les maux que l'homme peut éviter, et ceux qui sont indépendants de sa volonté. Parmi ces derniers, il faut placer les fléaux naturels.
L'homme, dont les facultés sont limitées, ne peut pénétrer ni embrasser l'ensemble des vues du Créateur ; il juge les choses au point de vue de sa personnalité, des intérêts factices et de convention qu'il s'est créés, et qui ne sont point dans l'ordre de la nature ; c'est pourquoi il trouve souvent mauvais et injuste ce qu'il trouverait juste et admirable s'il en voyait la cause, le but et le résultat définitif. En cherchant la raison d'être et l'utilité de chaque chose, il reconnaîtra que tout porte l'empreinte de la sagesse infinie, et il s'inclinera devant cette sagesse, même pour les choses qu'il ne comprendrait pas.
C'est ainsi qu'il assainit les contrées insalubres, qu'il neutralise les miasmes pestifères, qu'il fertilise les terres incultes et s'ingénie à les préserver des inondations ; qu'il se construit des habitations plus saines, plus solides pour résister aux vents si nécessaires à l'épuration de l'atmosphère, qu'il se met à l'abri des intempéries ; c'est ainsi enfin que, petit à petit, le besoin lui a fait créer les sciences, à l'aide desquelles il améliore les conditions d'habitabilité du globe, et augmente la somme de son bien-être.
Dieu a établi des lois pleines de sagesse qui n'ont pour but que le bien ; l'homme trouve en lui-même tout ce qu'il faut pour les suivre ; sa route est tracée par sa conscience ; la loi divine est gravée dans son coeur ; et, de plus, Dieu les lui rappelle sans cesse par ses messies et ses prophètes, par tous les Esprits incarnés qui ont reçu mission de l'éclairer, de le moraliser, de l'améliorer, et, en ces derniers temps, par la multitude des Esprits désincarnés qui se manifestent de toutes parts. Si l'homme se conformait rigoureusement aux lois divines, il n'est pas douteux qu'il éviterait les maux les plus cuisants et qu'il vivrait heureux sur la terre. S'il ne le fait pas, c'est en vertu de son libre arbitre, et il en subit les conséquences. (Evangile selon le Spiritisme, ch. V, n° 4, 5, 6 et suiv.).
Prenons un fait vulgaire pour comparaison. Un propriétaire sait qu'à l'extrémité de son champ est un endroit dangereux où pourrait périr ou se blesser celui qui s'y aventurerait. Que fait-il pour prévenir les accidents ? Il place près de l'endroit un avis portant défense d'aller plus loin, pour cause de danger. Voilà la loi ; elle est sage et prévoyante. Si, malgré cela, un imprudent n'en tient pas compte et passe outre, et s'il lui en mésarrive, à qui peut-il s'en prendre si ce n'est à lui-même ?
Ainsi en est-il de tout mal ; l'homme l'éviterait s'il observait les lois divines. Dieu, par exemple, a mis une limite à la satisfaction des besoins ; l'homme est averti par la satiété ; s'il outrepasse cette limite, il le fait volontairement. Les maladies, les infirmités, la mort qui peuvent en être la suite sont donc le fait de son imprévoyance, et non de Dieu.
Si l'homme eût été créé parfait, il serait porté fatalement au bien ; or, en vertu de son libre arbitre, il n'est porté fatalement ni au bien ni au mal. Dieu a voulu qu'il fût soumis à la loi du progrès, et que ce progrès fût le fruit de son propre travail, afin qu'il en eût le mérite, de même qu'il porte la responsabilité du mal qui est le fait de sa volonté. La question est donc de savoir quelle est, en l'homme, la source de la propension au mal[1].
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La destinée de l'Esprit est la vie spirituelle ; mais dans les premières phases de son existence corporelle, il n'a que des besoins matériels à satisfaire, et à cette fin l'exercice des passions est une nécessité pour la conservation de l'espèce et des individus, matériellement parlant. Mais sorti de cette période, il a d'autres besoins, besoins d'abord semi-moraux et semi-matériels, puis exclusivement moraux. C'est alors que l'Esprit domine la matière ; s'il en secoue le joug, il avance dans sa voie providentielle, il se rapproche de sa destinée finale. Si, au contraire, il se laisse dominer par elle, il s'attarde en s'assimilant à la brute. Dans cette situation, ce qui était jadis un bien, parce que c'était une nécessité de sa nature, devient un mal, non seulement parce que ce n'est plus une nécessité, mais parce que cela devient nuisible à la spiritualisation de l'être. Tel ce qui est qualité chez l'enfant, devient défaut chez l'adulte. Le mal est ainsi relatif, et la responsabilité proportionnée au degré d'avancement.
Toutes les passions ont donc leur utilité providentielle ; sans cela, Dieu eût fait quelque chose d'inutile et de nuisible. C'est l'abus qui constitue le mal, et l'homme abuse en vertu de son libre arbitre. Plus tard, éclairé par son propre intérêt, il choisit librement entre le bien et le mal.
L'INSTINCT ET L'INTELLIGENCE.
L'instinct est la force occulte qui sollicite les êtres organiques à des actes spontanés et involontaires, en vue de leur conservation. Dans les actes instinctifs, il n'y a ni réflexion, ni combinaison, ni préméditation. C'est ainsi que la plante cherche l'air, se tourne vers la lumière, dirige ses racines vers l'eau et la terre nourricière ; que la fleur s'ouvre et se referme alternativement selon le besoin ; que les plantes grimpantes s'enroulent autour de l'appui, ou s'accrochent avec leurs vrilles. C'est par l'instinct que les animaux sont avertis de ce qui leur est utile ou nuisible ; qu'ils se dirigent selon les saisons, vers les climats propices ; qu'ils construisent, sans leçons préalables, avec plus ou moins d'art, selon les espèces, des couches moelleuses et des abris pour leur progéniture, des engins pour prendre au piège la proie dont ils se nourrissent ; qu'ils manient avec adresse les armes offensives et défensives dont ils sont pourvus ; que les sexes se rapprochent ; que la mère couve ses petits, et que ceux-ci cherchent le sein de la mère. Chez l'homme, l'instinct domine exclusivement au début de la vie ; c'est par l'instinct que l'enfant fait ses premiers mouvements, qu'il saisit sa nourriture, qu'il crie pour exprimer ses besoins, qu'il imite le son de la voix, qu'il s'essaye à parler et à marcher. Chez l'adulte même, certains actes sont instinctifs : tels sont les mouvements spontanés pour parer à un danger, pour se tirer d'un péril, pour maintenir l'équilibre ; tels sont encore le clignotement des paupières pour tempérer l'éclat de la lumière, l'ouverture machinale de la bouche pour respirer, etc.
Tout acte machinal est instinctif ; celui qui dénote la réflexion, la combinaison, une délibération, est intelligent, l'un est libre, l'autre ne l'est pas.
L'instinct est un guide sûr, qui ne trompe jamais ; l'intelligence, par cela seul qu'elle est libre, est parfois sujette à erreur.
Si l'acte instinctif n'a pas le caractère de l'acte intelligent, il révèle néanmoins une cause intelligente essentiellement prévoyante. Si l'on admet que l'instinct a sa source dans la matière, il faut admettre que la matière est intelligente, même plus sûrement intelligente et prévoyante que l'âme, puisque l'instinct ne se trompe pas, tandis que l'intelligence se trompe.
Si l'on considère l'instinct comme une intelligence rudimentaire, comment se fait-il qu'il soit, dans certains cas, supérieur à l'intelligence raisonnée ? qu'il donne la possibilité d'exécuter des choses que celle-ci ne peut pas produire ?
S'il est l'attribut d'un principe spirituel spécial, que devient ce principe ? Puisque l'instinct s'efface, ce principe serait donc anéanti ? Si les animaux ne sont doués que de l'instinct, leur avenir est sans issue ; leurs souffrances n'ont aucune compensation. Ce ne serait conforme ni à la justice ni à la bonté de Dieu. (Ch. II, n° 19.)
S'il en était ainsi, dans l'homme intelligent qui perd la raison, et n'est plus guidé que par l'instinct, l'intelligence retournerait à son état primitif ; et, lorsqu'il recouvre la raison, l'instinct redeviendrait intelligence, et ainsi alternativement à chaque accès, ce qui n'est pas admissible.
D'ailleurs l'intelligence et l'instinct se montrent souvent simultanément dans le même acte. Dans la marche, par exemple, le mouvement des jambes est instinctif ; l'homme met un pied devant l'autre machinalement, sans y songer ; mais lorsqu'il veut accélérer ou ralentir sa marche, lever le pied ou se détourner pour éviter un obstacle, il y a calcul, combinaison ; il agit de propos délibéré. L'impulsion involontaire du mouvement est l'acte instinctif ; la direction calculée du mouvement est l'acte intelligent. L'animal carnassier est poussé par l'instinct à se nourrir de chair ; mais les précautions qu'il prend et varie selon les circonstances pour saisir sa proie, sa prévoyance des éventualités sont des actes de l'intelligence.
On sait maintenant que des Esprits désincarnés ont pour mission de veiller sur les incarnés, dont ils sont les protecteurs et les guides ; qu'ils les entourent de leurs effluves fluidiques ; que l'homme agit souvent d'une manière inconsciente, sous l'action de ces effluves.
On sait en outre que l'instinct, qui lui-même produit des actes inconscients, prédomine chez les enfants, et en général chez les êtres dont la raison est faible. Or, selon cette hypothèse, l'instinct ne serait un attribut ni de l'âme, ni de la matière ; il n'appartiendrait point en propre à l'être vivant, mais il serait un effet de l'action directe des protecteurs invisibles qui suppléeraient à l'imperfection de l'intelligence, en provoquant eux-mêmes les actes inconscients nécessaires à la conservation de l'être. Ce serait comme la lisière à l'aide de laquelle on soutient l'enfant qui ne sait pas encore marcher. Mais, de même qu'on supprime graduellement l'usage de la lisière à mesure que l'enfant se soutient seul, les Esprits protecteurs laissent à eux-mêmes leurs protégés, à mesure que ceux-ci peuvent se guider par leur propre intelligence.
Ainsi l'instinct, loin d'être le produit d'une intelligence rudimentaire et incomplète, serait le fait d'une intelligence étrangère dans la plénitude de sa force ; intelligence protectrice, suppléant à l'insuffisance, soit d'une intelligence plus jeune, qu'elle pousserait à faire inconsciemment pour son bien ce que celle-ci est encore incapable de faire par elle-même, soit d'une intelligence mûre, mais momentanément entravée dans l'usage de ses facultés, ainsi que cela a lieu chez l'homme dans l'enfance, et dans les cas d'idiotie et d'affections mentales.
On dit proverbialement qu'il y a un dieu pour les enfants, les fous et les ivrognes ; ce dicton est plus vrai qu'on ne le croit ; ce dieu n'est autre que l'Esprit protecteur qui veille sur l'être incapable de se protéger par sa propre raison.
Si l'on observe les effets de l'instinct, on remarque tout d'abord une unité de vue et d'ensemble, une sûreté de résultats qui n'existent plus dès que l'instinct est remplacé par l'intelligence libre ; de plus, à l'appropriation si parfaite et si constante des facultés instinctives aux besoins de chaque espèce, on reconnaît une profonde sagesse. Cette unité de vues ne saurait exister sans l'unité de pensées, et l'unité de pensées est incompatible avec la diversité des aptitudes individuelles ; elle seule pouvait produire cet ensemble si parfaitement harmonieux qui se poursuit depuis l'origine des temps et dans tous les climats, avec une régularité et une précision mathématiques, sans jamais faire défaut. L'uniformité dans le résultat des facultés instinctives est un fait caractéristique qui implique forcément l'unité de la cause ; si cette cause était inhérente à chaque individualité, il y aurait autant de variétés d'instincts qu'il y a d'individus, depuis la plante jusqu'à l'homme. Un effet général, uniforme et constant, doit avoir une cause générale, uniforme et constante ; un effet qui accuse de la sagesse et de la prévoyance doit avoir une cause sage et prévoyante. Or, une cause sage et prévoyante étant nécessairement intelligente, ne peut être exclusivement matérielle.
Ne trouvant pas dans les créatures, incarnées ou désincarnées, les qualités nécessaires pour produire un tel résultat, il faut remonter plus haut, c'est-à-dire au Créateur lui-même. Si l'on se reporte à l'explication qui a été donnée sur la manière dont on peut concevoir l'action providentielle (chap. II, n° 24) ; si l'on se figure tous les êtres pénétrés du fluide divin, souverainement intelligent, on comprendra la sagesse prévoyante et l'unité de vues qui président à tous les mouvements instinctifs pour le bien de chaque individu. Cette sollicitude est d'autant plus active, que l'individu a moins de ressources en lui-même et dans sa propre intelligence ; c'est pourquoi elle se montre plus grande et plus absolue chez les animaux et les êtres inférieurs que chez l'homme.
D'après cette théorie, on comprend que l'instinct soit un guide toujours sûr. L'instinct maternel, le plus noble de tous, que le matérialisme rabaisse au niveau des forces attractives de la matière, se trouve relevé et ennobli. En raison de ses conséquences, il ne fallait pas qu'il fût livré aux éventualités capricieuses de l'intelligence et du libre arbitre. Par l'organe de la mère, Dieu veille lui-même sur ses créatures naissantes.
L'instinct est un guide sûr, toujours bon ; à un temps donné, il peut devenir inutile, mais jamais nuisible ; il s'affaiblit par la prédominance de l'intelligence.
Les passions, dans les premiers âges de l'âme, ont cela de commun avec l'instinct, que les êtres y sont sollicités par une force également inconsciente. Elles naissent plus particulièrement des besoins du corps, et tiennent plus que l'instinct à l'organisme. Ce qui les distingue surtout de l'instinct, c'est qu'elles sont individuelles et ne produisent pas, comme ce dernier, des effets généraux et uniformes ; on les voit, au contraire, varier d'intensité et de nature selon les individus. Elles sont utiles, comme stimulant, jusqu'à l'éclosion du sens moral, qui, d'un être passif, fait un être raisonnable ; à ce moment, elles deviennent non plus seulement inutiles, mais nuisibles à l'avancement de l'Esprit dont elles retardent la dématérialisation ; elles s'affaiblissent avec le développement de la raison.
DESTRUCTION DES ETRES VIVANTS LES UNS PAR LES AUTRES.
Pour celui qui ne voit que la matière, qui borne sa vue à la vie présente, cela paraît en effet une imperfection dans l'oeuvre divine. C'est qu'en général les hommes jugent la perfection de Dieu à leur point de vue ; leur propre jugement est la mesure de sa sagesse, et ils pensent que Dieu ne saurait mieux faire que ce qu'ils feraient eux-mêmes. Leur courte vue ne leur permettant pas de juger l'ensemble, ils ne comprennent pas qu'un bien réel peut sortir d'un mal apparent. La connaissance du principe spirituel, considéré dans son essence véritable, et de la grande loi d'unité qui constitue l'harmonie de la création peut seule donner à l'homme la clef de ce mystère, et lui montrer la sagesse providentielle et l'harmonie précisément là où il ne voyait qu'une anomalie et une contradiction.
Par le spectacle incessant de la destruction, Dieu apprend aux hommes le peu de cas qu'ils doivent faire de l'enveloppe matérielle, et suscite en eux l'idée de la vie spirituelle en la leur faisant désirer comme une compensation.
Dieu, dira-t-on, ne pouvait-il arriver au même résultat par d'autres moyens, et sans astreindre les êtres vivants à s'entre-détruire ? Si tout est sagesse dans son oeuvre, nous devons supposer que cette sagesse ne doit pas plus faire défaut sur ce point que sur les autres ; si nous ne le comprenons pas, il faut nous en prendre à notre peu d'avancement. Toutefois, nous pouvons essayer d'en chercher la raison, en prenant pour boussole ce principe : Dieu doit être infiniment juste et sage ; cherchons donc en tout sa justice et sa sagesse, et inclinons-nous devant ce qui dépasse notre entendement.
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[2 ]Voir Revue spirite d'août 1864, p. 241, Extinction des races.
La lutte est nécessaire au développement de l'Esprit ; c'est dans la lutte qu'il exerce ses facultés. Celui qui attaque pour avoir sa nourriture, et celui qui se défend pour conserver sa vie, font assaut de ruse et d'intelligence, et augmentent, par cela même, leur forces intellectuelles. L'un des deux succombe ; mais qu'est-ce qu'en réalité le plus fort ou le plus adroit a enlevé au plus faible ? Son vêtement de chair, pas autre chose ; l'Esprit, qui n'est pas mort, en reprendra un autre plus tard.
Chez l'homme, il y a une période de transition où il se distingue à peine de la brute ; dans les premiers âges, l'instinct animal domine, et la lutte a encore pour mobile la satisfaction des besoins matériels ; plus tard, l'instinct animal et le sentiment moral se contre-balancent ; l'homme alors lutte, non plus pour se nourrir, mais pour satisfaire son ambition, son orgueil, le besoin de dominer ; pour cela, il lui faut encore détruire. Mais, à mesure que le sens moral prend le dessus, la sensibilité se développe, le besoin de la destruction diminue ; il finit même par s'effacer et par devenir odieux ; alors l'homme a horreur du sang.
Cependant, la lutte est toujours nécessaire au développement de l'Esprit, car, même arrivé à ce point qui nous semble culminant, il est loin d'être parfait ; ce n'est qu'au prix de son activité qu'il acquiert des connaissances, de l'expérience, et qu'il se dépouille des derniers vestiges de l'animalité ; mais, de ce moment, la lutte, de sanglante et brutale qu'elle était, devient purement intellectuelle ; l'homme lutte contre les difficultés et non plus contre ses semblables[3].
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Les doctrines matérialistes portent en elles le principe de leur destruction ; elles ont contre elles non-seulement leur antagonisme avec les aspirations de l'universalité des hommes, leurs conséquences morales qui les feront repousser comme dissolvantes de la société, mais encore le besoin qu'on éprouve de se rendre compte de tout ce qui naît du progrès. Le développement intellectuel porte l'homme à la recherche des causes ; or, pour peu qu'il réfléchisse, il ne tarde pas à reconnaître l'impuissance du matérialisme à tout expliquer. Comment des doctrines qui ne satisfont ni le coeur, ni la raison, ni l'intelligence, qui laissent en problèmes les questions les plus vitales, pourraient-elles jamais prévaloir ? Le progrès des idées tuera le matérialisme, comme il a tué le fanatisme.
CHAPITRE IV - Rôle de la science dans la Genèse.
Aussi, avant que l'homme fût en possession de ces éléments d'appréciation, tous les commentateurs de la Genèse, dont la raison se heurtait à des impossibilités matérielles, tournaient-ils dans un même cercle sans pouvoir en sortir ; ils ne l'ont pu que lorsque la science a ouvert la voie, en faisant brèche dans le vieil édifice des croyances, et alors tout a changé d'aspect ; une fois le fil conducteur trouvé, les difficultés se sont promptement aplanies ; au lieu d'une Genèse imaginaire, on a eu une Genèse positive et en quelque sorte expérimentale ; le champ de l'univers s'est étendu à l'infini ; on a vu la terre et les astres se former graduellement selon des lois éternelles et immuables, qui témoignent bien mieux de la grandeur et de la sagesse de Dieu qu'une création miraculeuse sortie tout à coup du néant, comme un changement à vue, par une idée subite de la Divinité après une éternité d'inaction.
Puisqu'il est impossible de concevoir la Genèse sans les données fournies par la science, on peut dire en toute vérité que : la science est appelée à constituer la véritable Genèse d'après les lois de la nature.
Non assurément, mais il est incontestable qu'elle en a détruit sans retour toutes les erreurs capitales, et qu'elle en a posé les fondements les plus essentiels sur des données irrécusables ; les points encore incertains ne sont, à proprement parler, que des questions de détail, dont la solution, quelle qu'elle soit dans l'avenir, ne peut préjudicier à l'ensemble. D'ailleurs, malgré toutes les ressources dont elle a pu disposer, il lui a manqué jusqu'à ce jour un élément important sans lequel l'oeuvre ne saurait jamais être complète.
Pourquoi donc n'a-t-on pas levé ce voile plus tôt ? C'est, d'une part, le manque de lumières que la science et une saine philosophie pouvaient seules donner, et de l'autre, le principe de l'immutabilité absolue de la foi, conséquence d'un respect trop aveugle pour la lettre, sous lequel la raison devait s'incliner, et par suite la crainte de compromettre l'échafaudage de croyances bâti sur le sens littéral. Ces croyances partant d'un point primitif, on a craint que, si le premier anneau de la chaîne venait à se rompre, toutes les mailles du filet ne finissent par se séparer ; c'est pourquoi on a fermé les yeux quand même ; mais fermer les yeux sur le danger, ce n'est pas l'éviter. Quand un bâtiment fléchit, n'est-il pas plus prudent de remplacer de suite les mauvaises pierres par de bonnes, plutôt que d'attendre, par respect pour la vieillesse de l'édifice, que le mal soit sans remède, et qu'il faille le reconstruire de fond en comble ?
De deux choses l'une : ou la science a tort, ou elle a raison ; si elle a raison, elle ne peut faire qu'une opinion contraire soit vraie ; il n'y a pas de révélation qui puisse l'emporter sur l'autorité des faits.
Incontestablement Dieu, qui est toute vérité, ne peut induire les hommes en erreur, ni sciemment ni insciemment, sans quoi il ne serait pas Dieu. Si donc les faits contredisent les paroles qui lui sont attribuées, il en faut conclure logiquement qu'il ne les a pas prononcées, ou qu'elles ont été prises à contre-sens.
Si la religion souffre en quelques parties de ces contradictions, le tort n'en est point à la science, qui ne peut faire que ce qui est ne soit pas, mais aux hommes d'avoir fondé prématurément des dogmes absolus, dont ils ont fait une question de vie ou de mort, sur des hypothèses susceptibles d'être démenties par l'expérience.
Il est des choses au sacrifice desquelles il faut se résigner, bon gré, mal gré, quand on ne peut pas faire autrement. Quand le monde marche, la volonté de quelques-uns ne pouvant l'arrêter, le plus sage est de le suivre, et de s'accommoder avec le nouvel état de choses, plutôt que de se cramponner au passé qui s'écroule, au risque de tomber avec lui.
Mais, l'histoire de l'homme, considéré comme être spirituel, se rattache à un ordre spécial d'idées qui n'est pas du domaine de la science proprement dite, et dont celle-ci, par ce motif, n'a pas fait l'objet de ses investigations. La philosophie, qui a plus particulièrement ce genre d'étude dans ses attributions, n'a formulé, sur ce point, que des systèmes contradictoires, depuis la spiritualité pure jusqu'à la négation du principe spirituel et même de Dieu, sans autres bases que les idées personnelles de leurs auteurs ; elle a donc laissé la question indécise, faute d'un contrôle suffisant.
Sur toutes ces questions, la science est muette. La philosophie ne donne que des opinions qui concluent en sens diamétralement opposés, mais au moins elle permet de discuter, ce qui fait que beaucoup de gens se rangent de son côté, de préférence à celui de la religion, qui ne discute pas.
Tel est l'inévitable effet des époques de transition : l'édifice du passé s'écroule, et celui de l'avenir n'est pas encore construit. L'homme est comme l'adolescent, qui n'a plus la croyance naïve de ses premières années et n'a pas encore les connaissances de l'âge mûr ; il n'a que de vagues aspirations qu'il ne sait pas définir.
CHAPITRE V - Systèmes du monde anciens et modernes
En voyant le soleil paraître le matin d'un côté de l'horizon et disparaître le soir du côté opposé, on en conclut naturellement qu'il tournait autour de la terre, tandis que celle-ci restait immobile. Si l'on eût dit alors aux hommes que c'est le contraire qui a lieu, ils auraient répondu que cela ne se pouvait pas, car, auraient-ils dit : nous voyons le soleil changer de place, et nous ne sentons pas la terre bouger.
La terre était donc pour eux une surface plate, circulaire comme une meule de moulin, s'étendant à perte de vue dans la direction horizontale ; de là l'expression encore usitée : Aller au bout du monde. Ses limites, son épaisseur, son intérieur, sa face inférieure, ce qu'il y avait au-dessous, c'était l'inconnu[1].
Quand on voit de telles idées émises au cinquième siècle avant l'ère chrétienne, au temps florissant de la Grèce, on ne peut s'étonner de celles que se faisaient les hommes des premiers âges sur le système du monde.
Bien qu'aujourd'hui les idées soient tout autres, l'usage des anciennes expressions s'est conservé ; on dit encore, par comparaison : la voûte étoilée ; sous la calotte du ciel.
Ces idées premières, idées naïves, ont fait pendant de longues périodes séculaires le fond des croyances religieuses, et ont servi de base à toutes les cosmogonies anciennes.
Mais sur quoi était posée la terre ? Il serait inutile de rapporter toutes les suppositions ridicules enfantées par l'imagination, depuis celle des Indiens, qui la disaient portée par quatre éléphants blancs et ceux-ci sur les ailes d'un immense vautour. Les plus sages avouaient qu'ils n'en savaient rien.
Dans le mouvement diurne de la sphère étoilée, on remarqua l'immobilité de l'étoile polaire, autour de laquelle les autres décrivaient, en vingt-quatre heures, des cercles obliques parallèles plus ou moins grands, selon leur éloignement de l'étoile centrale ; ce fut le premier pas vers la connaissance de l'obliquité de l'axe du monde. De plus longs voyages permirent d'observer la différence des aspects du ciel, selon les latitudes et les saisons ; l'élévation de l'étoile polaire au-dessus de l'horizon variant avec la latitude, mit sur la voie de la rondeur de la terre ; c'est ainsi que, peu à peu, on se fit une idée plus juste du système du monde.
Vers l'an 600 avant J. C., Thalès, de Milet (Asie Mineure), connut la sphéricité de la terre, l'obliquité de l'écliptique et la cause des éclipses.
Un siècle plus tard, Pythagore, de Samos, découvre le mouvement diurne de la terre sur son axe, son mouvement annuel autour du soleil, et rattache les planètes et les comètes au système solaire.
160 ans avant J. C., Hipparque, d'Alexandrie (Egypte), invente l'astrolabe, calcule et prédit les éclipses, observe les taches du soleil, détermine l'année tropique, la durée des révolutions de la lune.
Quelque précieuses que fussent ces découvertes pour le progrès de la science, elles furent près de 2.000 ans à se populariser. Les idées nouvelles, n'ayant alors pour se propager que de rares manuscrits, restaient le partage de quelques philosophes qui les enseignaient à des disciples privilégiés ; les masses, qu'on ne songeait guère à éclairer, n'en profitaient nullement et continuaient à se nourrir des vieilles croyances.
Selon le système de Ptolémée, la terre est une sphère au centre de l'univers ; elle se composait des quatre éléments : la terre, l'eau, l'air et le feu. C'était la première région, dite élémentaire. La seconde région, dite éthérée, comprenait onze cieux, ou sphères concentriques tournant autour de la terre, savoir : le ciel de la lune, ceux de Mercure, de Vénus, du soleil, de Mars, de Jupiter, de Saturne, des étoiles fixes, du premier cristallin, sphère solide transparente ; du second cristallin, et enfin du premier mobile qui donnait le mouvement à tous les cieux inférieurs, et leur faisait faire une révolution en vingt-quatre heures. Au-delà des onze cieux était l'Empyrée, séjour des bienheureux, ainsi nommé du grec pyr ou pur, qui signifie feu, parce qu'on croyait cette région resplendissante de lumière comme le feu.
La croyance à plusieurs cieux superposés a longtemps prévalu ; mais on variait sur le nombre ; le septième était généralement regardé comme le plus élevé ; de là l'expression : Etre ravi au septième ciel. Saint Paul a dit qu'il avait été élevé au troisième ciel.
Indépendamment du mouvement commun, les astres avaient, selon Ptolémée, des mouvements propres, plus ou moins grands, selon leur éloignement du centre. Les étoiles fixes faisaient une révolution en 25.816 ans. Cette dernière évaluation dénote la connaissance de la précession des équinoxes, qui s'accomplit en effet en 25.868 ans.
Un siècle plus tard, en 1609, Galilée, né à Florence, invente le télescope ; en 1610, il découvre les quatre satellites de Jupiter et calcule leurs révolutions ; il reconnaît que les planètes n'ont pas de lumière propre comme les étoiles, mais qu'elles sont éclairées par le soleil ; que ce sont des sphères semblables à la terre ; il observe leurs phases et détermine la durée de leur rotation sur leur axe ; il donne ainsi, par des preuves matérielles, une sanction définitive au système de Copernic.
Dès lors s'écroula l'échafaudage des cieux superposés ; les planètes furent reconnues pour des mondes semblables à la terre, et comme elle sans doute habités ; les étoiles pour d'innombrables soleils, centres probables d'autant de systèmes planétaires ; et le soleil, lui-même, fut reconnu pour une étoile, centre d'un tourbillon de planètes qui lui sont assujetties.
Les étoiles ne sont plus confinées dans une zone de la sphère céleste, mais irrégulièrement disséminées dans l'espace sans bornes ; celles qui paraissent se toucher sont à des distances incommensurables les unes des autres ; les plus petites, en apparence, sont les plus éloignées de nous ; les plus grosses, celles qui sont le plus près, en sont encore à des centaines de milliards de lieues.
Les groupes auxquels on a donné le nom de constellations ne sont que des assemblages apparents causés par l'éloignement ; leurs figures sont des effets de perspective, comme en forment à la vue de celui qui est placé en un point fixe des lumières dispersées dans une vaste plaine, ou les arbres d'une forêt ; mais ces assemblages n'existent point en réalité ; si l'on pouvait se transporter dans la région d'une de ces constellations, à mesure qu'on s'approcherait, la forme disparaîtrait et de nouveaux groupes se dessineraient à la vue.
Dès lors que ces groupes n'existent qu'en apparence, la signification qu'une croyance vulgaire superstitieuse leur attribue est illusoire, et leur influence ne saurait exister que dans l'imagination.
Pour distinguer les constellations, on leur a donné des noms, tels que ceux de : Lion, Taureau, Gémeaux, Vierge, Balance, Capricorne, Cancer, Orion, Hercule, Grande Ourse ou Chariot de David, Petite Ourse, Lyre, etc., et on les a représentées par les figures qui rappellent ces noms, la plupart de fantaisie, mais qui, dans tous les cas, n'ont aucun rapport avec la forme apparente du groupe d'étoiles. Ce serait donc en vain qu'on chercherait ces figures dans le ciel.
La croyance à l'influence des constellations, de celles surtout qui constituent les douze signes du zodiaque, vient de l'idée attachée aux noms qu'elles portent ; si celle qui est appelée lion eût été nommée âne ou brebis, on lui aurait certainement attribué une tout autre influence.
Que l'univers est grand auprès des mesquines proportions que lui assignaient nos pères ! Que l'oeuvre de Dieu est sublime, quand on la voit s'accomplir selon les éternelles lois de la nature ! Mais aussi que de temps, que d'efforts de génie, que de dévouements il a fallu pour dessiller les yeux et arracher enfin le bandeau de l'ignorance !
CHAPITRE VI - Uranographie générale
L'ESPACE ET LE TEMPS
L'espace est un de ces mots qui représentent une idée primitive et axiomatique, évidente par elle-même, et que les diverses définitions qu'on en peut donner ne servent qu'à obscurcir. Nous savons tous ce que c'est que l'espace, et je ne veux qu'établir son infinité, afin que nos études ultérieures n'aient aucune barrière s'opposant aux investigations de notre vue.
Or, je dis que l'espace est infini, par cette raison qu'il est impossible de lui supposer aucune limite, et que, malgré la difficulté que nous avons de concevoir l'infini, il nous est pourtant plus facile d'aller éternellement dans l'espace, en pensée, que de nous arrêter en un lieu quelconque après lequel nous ne trouverions plus d'étendue à parcourir.
Pour nous figurer, autant qu'il est en nos facultés bornées, l'infinité de l'espace, supposons que partant de la terre, perdue au milieu de l'infini, vers un point quelconque de l'univers, et cela avec la vitesse prodigieuse de l'étincelle électrique qui franchit des milliers de lieues à chaque seconde, à peine avons-nous quitté ce globe, qu'ayant parcouru des millions de lieues, nous nous trouvons en un lieu d'où la terre ne nous apparaît plus que sous l'aspect d'une pâle étoile. Un instant après, en suivant toujours la même direction, nous arrivons vers les étoiles lointaines que vous distinguez à peine de votre station terrestre ; et de là, non seulement la terre est entièrement perdue pour nos regards dans les profondeurs du ciel, mais encore votre soleil même dans sa splendeur est éclipsé par l'étendue qui nous sépare de lui. Animés toujours de la même vitesse de l'éclair, nous franchissons ces systèmes de mondes à chaque pas que nous avançons dans l'étendue, des îles de lumière éthérée, des voies stellifères, des parages somptueux où Dieu a semé les mondes avec la même profusion qu'il a semé les plantes dans les prairies terrestres.
Or, il y a à peine quelques minutes que nous marchons, et déjà des centaines de millions et de millions de lieues nous séparent de ta terre, des milliards de mondes ont passé sous nos regards, et pourtant, écoutez ! Nous n'avons pas en réalité avancé d'un seul pas dans l'univers.
Si nous continuons pendant des années, des siècles, des milliers de siècles, des millions de périodes cent fois séculaires et incessamment avec la même vitesse de l'éclair, nous n'aurons pas avancé davantage ! et cela de quelque côté que nous allions, et vers quelque point que nous nous dirigions, depuis ce grain invisible que nous avons quitté et qui s'appelle la terre.
Voilà ce que c'est que l'espace !
Le temps est la succession des choses ; il est lié à l'éternité de la même manière que ces choses sont liées à l'infini. Supposons-nous à l'origine de notre monde, à cette époque primitive où la terre ne se balançait pas encore sous la divine impulsion ; en un mot, au commencement de la Genèse. Là le temps n'est pas encore sorti du mystérieux berceau de la nature ; et nul ne peut dire à quelle époque de siècles nous sommes, puisque le balancier des siècles n'est pas encore en mouvement.
Mais silence ! la première heure d'une terre isolée sonne au timbre éternel, la planète se meut dans l'espace, et dès lors il y a soir et matin. Au-delà de la terre, l'éternité reste impassible et immobile, quoique le temps marche pour bien d'autres mondes. Sur la terre, le temps la remplace, et pendant une suite déterminée de générations on comptera les ans et les siècles.
Transportons-nous maintenant au dernier jour de ce monde, à l'heure où, courbée sous le poids de la vétusté, la terre s'effacera du livre de vie pour n'y plus reparaître : ici la succession des événements s'arrête ; les mouvements terrestres qui mesuraient le temps s'interrompent, et le temps finit avec eux.
Cette simple exposition des choses naturelles qui donnent naissance au temps, le nourrissent et le laissent s'éteindre, suffit pour montrer que, vue du point où nous devons nous placer pour nos études, le temps est une goutte d'eau qui tombe du nuage dans la mer, et dont la chute est mesurée.
Autant de mondes dans la vaste étendue, autant de temps divers et incompatibles. En dehors des mondes, l'éternité seule remplace ces successions éphémères, et remplit paisiblement de sa lumière immobile l'immensité des cieux. Immensité sans bornes et éternité sans limites, telles sont les deux grandes propriétés de la nature universelle.
L'oeil de l'observateur qui traverse, sans jamais rencontrer d'arrêt, les distances incommensurables de l'espace, et celui du géologue qui remonte au-delà des limites des âges, ou qui descend dans les profondeurs de l'éternité béante où ils se perdront un jour agissent de concert, chacun dans sa voie, pour acquérir cette double notion de l'infini : étendue et durée.
Or, en conservant cet ordre d'idées, il nous sera facile de concevoir que le temps n'étant que le rapport des choses transitoires, et dépendant uniquement des choses qui se mesurent, si, prenant les siècles terrestres pour unités, nous les entassons milliers sur milliers pour en former un nombre colossal, ce nombre ne représentera jamais qu'un point dans l'éternité ; de même que les milliers de lieues joints aux milliers de lieues ne sont qu'un point dans l'étendue.
Ainsi, par exemple, les siècles étant en dehors de la vie éthérée de l'âme, nous pourrions écrire un nombre aussi long que l'équateur terrestre, et nous supposer vieillis de ce nombre de siècles, sans qu'en réalité notre âme compte un jour de plus ; et, en ajoutant à ce nombre indéfinissable des siècles, une série longue comme d'ici au soleil de nombres semblables, ou plus considérables encore, et nous imaginant vivre pendant la succession prodigieuse de périodes séculaires représentées par l'addition de tels nombres, lorsque nous parviendrions au terme, l'entassement incompréhensible de siècles qui pèserait sur nos têtes serait comme s'il n'était pas : il resterait toujours devant nous l'éternité tout entière.
Le temps n'est qu'une mesure relative de la succession des choses transitoires ; l'éternité n'est susceptible d'aucune mesure au point de vue de la durée ; pour elle, il n'y a ni commencement ni fin : tout est présent pour elle.
Si des siècles de siècles sont moins qu'une seconde par rapport à l'éternité, qu'est-ce que la durée de la vie humaine !
LA MATIERE
Cependant, nous pouvons poser en principe absolu que toutes les substances connues et inconnues, quelque dissemblables qu'elles paraissent, soit au point de vue de leur constitution intime, soit sous le rapport de leur action réciproque, ne sont, en fait, que des modes divers sous lesquels la matière se présente ; que des variétés en lesquelles elle s'est transformée sous la direction des forces sans nombre qui la gouvernent.
En revanche, elle a trouvé un nombre considérable de principes jusqu'alors inconnus, qui lui ont paru former, par leurs combinaisons déterminées, les diverses substances, les divers corps qu'elle a étudiés, et qui agissent simultanément suivant certaines lois, et en certaines proportions, dans les travaux opérés au grand laboratoire de la nature. Ces principes, elle les a dénommés corps simples, indiquant par là qu'elle les considère comme primitifs et indécomposables, et que nulle opération, jusqu'à ce jour, ne saurait les réduire en parties relativement plus simples qu'eux-mêmes[2].
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Donc, que la substance que l'on envisage appartienne aux fluides proprement dits, c'est-à-dire aux corps impondérables, ou quelle soit revêtue des caractères et des propriétés ordinaires de la matière, il n'y a, dans tout l'univers, qu'une seule substance primitive : le cosme ou matière cosmique des uranographes.
LES LOIS ET LES FORCES
Si, maintenant, par un effet merveilleux de sa nouvelle puissance, ce même être parvenait à s'élever au-dessus de ses ténèbres éternelles, à la surface de la mer, non loin des rivages opulents d'une île à la végétation splendide, au soleil fécond, dispensateur d'une bienfaisante chaleur, quel jugement porterait-il alors sur ses théories anticipées de la création universelle, théorie qu'il effacerait bientôt par une appréciation plus large, mais relativement encore aussi incomplète que la première ? Telle est, ô hommes ! l'image de votre science toute spéculative[3].
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Or, de même qu'il n'y a qu'une seule substance simple, primitive, génératrice de tous les corps, mais diversifiée dans ses combinaisons, de même toutes ces forces dépendent d'une loi universelle diversifiée dans ses effets, et qui, dans les décrets éternels, a été souverainement imposée à la création pour en constituer l'harmonie et la stabilité.
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Vous ne sauriez apprécier cette loi dans toute son étendue, puisque les forces qui la représentent dans le champ de vos observations sont restreintes et limitées ; cependant la gravitation et l'électricité peuvent être regardées comme une large application de la loi primordiale qui règne par-delà les cieux.
Toutes ces forces sont éternelles, - nous expliquerons ce mot, - et universelles comme la création ; étant inhérentes au fluide cosmique, elles agissent nécessairement en tout et partout, modifiant leur action par leur simultanéité ou leur succession ; prédominant ici, s'effaçant plus loin ; puissantes et actives en certains points, latentes ou secrètes en d'autres ; mais finalement préparant, dirigeant, conservant et détruisant les mondes dans leurs diverses périodes de vie, gouvernant les travaux merveilleux de la nature en quelque point qu'ils s'exécutent, assurant à jamais l'éternelle splendeur de la création.
LA CREATION PREMIERE.
D'un autre côté, si nous nous faisons une juste idée, - quoique nécessairement bien faible, - de l'infinité de la puissance divine, nous comprendrons comment il est possible que l'univers ait toujours été et soit toujours. Du moment où Dieu fut, ses perfections éternelles parlèrent. Avant que les temps fussent nés, l'éternité incommensurable reçut la parole divine et fonda l'espace, éternel comme elle.
Comprenons mieux la grandeur de l'action divine et sa perpétuité sous la main de l'être absolu ! Dieu, c'est le soleil des êtres ; c'est la lumière du monde. Or, l'apparition du soleil donne instantanément naissance à des flots de lumière qui vont se répandant de toutes parts dans l'étendue ; de même l'univers, né de l'Eternel, remonte aux périodes inimaginables de l'infini de durée, au Fiat lux ! du commencement.
Quel mortel saurait dire les magnificences inconnues et superbement voilées sous la nuit des âges qui se développèrent en ces temps antiques où nulle des merveilles de l'univers actuel n'existait ; à cette époque primitive où la voix du Seigneur s'étant fait entendre, les matériaux qui devaient, dans l'avenir, s'assembler symétriquement et d'eux-mêmes pour former le temple de la nature, se trouvèrent soudain au sein des vides infinis ; lorsqu'à cette voix mystérieuse, que chaque créature vénère et chérit comme celle d'une mère, des notes harmonieusement variées se produisirent pour aller vibrer ensemble et moduler le concert des vastes cieux !
Le monde, à son berceau, ne fut point établi dans sa virilité et dans sa plénitude de vie ; non : le pouvoir créateur ne se contredit jamais, et, comme toutes choses, l'univers naquit enfant. Revêtue des lois mentionnées plus haut, et de l'impulsion initiale inhérente à sa formation même, la matière cosmique primitive donna successivement naissance à des tourbillons, à des agglomérations de ce fluide diffus, à des amas de matière nébuleuse qui se divisèrent eux-mêmes et se modifièrent à l'infini pour enfanter, dans les régions incommensurables de l'étendue, divers centres de créations simultanées ou successives.
En raison des forces qui prédominèrent sur l'un ou sur l'autre, et des circonstances ultérieures qui présidèrent à leurs développements, ces centres primitifs devinrent les foyers d'une vie spéciale : les uns, moins disséminés dans l'espace et plus riches en principes et en forces agissantes, commencèrent dès lors leur vie astrale particulière ; les autres, occupant une étendue illimitée, ne grandirent qu'avec une extrême lenteur, ou se divisèrent de nouveau en d'autres centres secondaires.
Encore une fois, comprenons mieux la nature. Sachons que l'éternité est derrière nous comme devant, que l'espace est le théâtre d'une succession et d'une simultanéité inimaginable de créations. Telles nébuleuses que nous distinguons à peine dans les lointains du ciel sont des agglomérations de soleils en voie de formation ; telles autres sont des voies lactées de mondes habités ; d'autres, enfin, le siège de catastrophes ou de dépérissement. Sachons que de même que nous sommes placés au milieu d'une infinité de mondes, de même nous sommes au milieu d'une double infinité de durées antérieures et ultérieures ; que la création universelle n'est point bornée à nous, et que nous ne pouvons appliquer ce mot à la formation isolée de notre petit globule.
LA CREATION UNIVERSELLE
La matière cosmique primitive renfermait les éléments matériels, fluidiques et vitaux de tous les univers qui déroulent leurs magnificences devant l'éternité ; elle est la mère féconde de toutes choses, la première aïeule, et, qui plus est, la génératrice éternelle. Elle n'a point disparu, cette substance d'où proviennent les sphères sidérales ; elle n'est point morte, cette puissance, car elle donne encore incessamment le jour à de nouvelles créations, et reçoit incessamment les principes reconstitués des mondes qui s'effacent du livre éternel.
La matière éthérée, plus ou moins raréfiée, qui descend parmi les espaces interplanétaires ; ce fluide cosmique qui remplit le monde, plus ou moins raréfié dans les régions immenses, riches en agglomérations d'étoiles, plus ou moins condensé là où le ciel astral ne brille pas encore, plus ou moins modifié par diverses combinaisons suivant les localités de l'étendue, n'est autre chose que la substance primitive en qui résident les forces universelles, d'où la nature a tiré toutes choses[5].
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Les molécules du minéral ont leur somme de cette vie, aussi bien que la graine et l'embryon, et se groupent, comme dans l'organisme, en figures symétriques qui constituent les individus.
Il importe fort de se pénétrer de cette notion : que la matière cosmique primitive était revêtue non seulement des lois qui assurent la stabilité des mondes, mais encore du principe vital universel qui forme des générations spontanées sur chaque monde, à mesure que se manifestent les conditions de l'existence successive des êtres, et quand sonne l'heure de l'apparition des enfants de la vie pendant la période créatrice.
Ainsi s'effectue la création universelle. Il est donc vrai de dire que, les opérations de la nature étant l'expression de la volonté divine, Dieu a toujours créé, crée sans cesse et créera toujours.
Je ne puis donner qu'un enseignement bien restreint sur le mode de création des Esprits, eu égard à ma propre ignorance même, et je dois me taire encore sur certaines questions, quoiqu'il m'ait été permis de les approfondir.
A ceux qui sont religieusement désireux de connaître, et qui sont humbles devant Dieu, je dirai, en les suppliant eux-mêmes de ne baser aucun système prématuré sur mes paroles : L'Esprit n'arrive point à recevoir l'illumination divine qui lui donne, en même temps que le libre arbitre et la conscience, la notion de ses hautes destinées, sans avoir passé par la série divinement fatale des êtres inférieurs, parmi lesquels s'élabore lentement l'oeuvre de son individualité ; c'est seulement à dater du jour où le Seigneur imprime sur son front son auguste type, que l'Esprit prend rang parmi les humanités.
Encore une fois, ne bâtissez point sur mes paroles vos raisonnements, si tristement célèbres dans l'histoire de la métaphysique ; je préférerais mille fois me taire sur des questions aussi élevées au-dessus de nos méditations ordinaires, plutôt que de vous exposer à dénaturer le sens de mon enseignement, et à vous enfoncer, par ma faute, dans les dédales inextricables du déisme ou du fatalisme.
LES SOLEILS ET LES PLANETES
Le mouvement circulaire produit par la gravitation rigoureusement égale de toutes les zones moléculaires vers le centre, modifia bientôt la sphère primitive pour la conduire, de mouvement en mouvement, vers la forme lenticulaire. - Nous parlons de l'ensemble de la nébuleuse.
De même qu'un mouvement trop rapide de la fronde en brise la corde et laisse échapper au loin le projectile, ainsi la prédominance de la force centrifuge détacha le cercle équatorial de la nébuleuse, et de cet anneau forma une nouvelle masse isolée de la première, mais néanmoins soumise à son empire. Cette masse a conservé son mouvement équatorial qui, modifié, devint son mouvement de translation autour de l'astre solaire. De plus, son nouvel état lui donne un mouvement de rotation autour de son propre centre.
Elle n'aura donc pas donné naissance à un seul astre, mais à des centaines de mondes détachés du foyer central, issus d'elle par le mode de formation mentionné plus haut. Or, chacun de ses mondes, revêtu comme le monde primitif des forces naturelles qui président à la création des univers, engendrera dans la suite de nouveaux globes gravitant désormais autour de lui, comme il gravite concurremment avec ses frères autour du foyer de leur existence et de leur vie. Chacun de ces mondes sera un soleil, centre d'un tourbillon de planètes successivement échappées de son équateur. Ces planètes recevront une vie spéciale, particulière, quoique dépendante de leur astre générateur.
LES SATELLITES
C'est ainsi que la terre a donné naissance à la lune, dont la masse, moins considérable, a dû subir un refroidissement plus prompt. Or, les lois et les forces qui présidèrent à son détachement de l'équateur terrestre, et son mouvement de translation dans ce même plan, agirent de telle sorte, que ce monde, au lieu de revêtir la forme sphéroïde, prit celle d'un globe ovoïde, c'est-à-dire ayant la forme allongée d'un oeuf, dont le centre de gravité serait fixé à la partie inférieure.
De là, deux natures essentiellement distinctes à la surface du monde lunaire : l'une, sans nulle analogie possible avec le nôtre, car les corps fluides et éthérés lui sont inconnus ; l'autre, légère relativement à la terre, puisque toutes les substances les moins denses se portèrent sur cet hémisphère. La première, perpétuellement tournée vers la terre, sans eaux et sans atmosphère, si ce n'est quelquefois aux limites de cet hémisphère subterrestre, l'autre, riche en fluides, perpétuellement opposée à notre monde[6].
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Quelque rationnelle et scientifique que soit cette théorie, comme elle n'a pu encore être confirmée par aucune observation directe, elle ne peut être acceptée qu'à titre d'hypothèse, et comme une idée pouvant servir de jalon à la science ; mais on ne peut disconvenir que ce soit la seule, jusqu'à présent, qui donne une explication satisfaisante des particularités que présente ce globe.
LES COMETES
Mais avant d'explorer, à l'aide de ces voyageuses de l'univers, les domaines célestes, il sera bon de faire connaître, autant qu'il est possible, leur nature intrinsèque et leur rôle dans l'économie planétaire.
Là, la forme elliptique prend la forme parabolique, et la marche se ralentit au point de ne parcourir que quelques mètres dans le même temps qu'à son périgée elle parcourait plusieurs milliers de lieues. Peut-être un soleil plus puissant, plus important que celui qu'elle vient de quitter, usera-t-il envers cette comète d'une attraction prépondérante, et la recevra-t-il au rang de ses propres sujets, et alors les enfants étonnés de votre petite terre en attendront en vain le retour qu'ils avaient pronostiqué par des observations incomplètes. Dans ce cas, nous, dont la pensée a suivi la comète errante en ces régions inconnues, nous rencontrerons alors une nouvelle nation introuvable pour les regards terrestres, inimaginable pour les Esprits qui habitent la terre, inconcevable même à leur pensée, car elle sera le théâtre de merveilles inexplorées.
Nous sommes parvenus au monde astral, dans ce monde éblouissant des vastes soleils qui rayonnent dans l'espace infini, et qui sont les fleurs brillantes du parterre magnifique de la création. Arrivés là, nous saurons seulement ce que c'est que la terre.
LA VOIE LACTEE
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[7] Plus de 3 trillions 400 billions de lieues.
Je dis du néant, car nos déterminations s'appliquent non seulement à l'étendue matérielle, physique, des corps que nous étudions, - ce serait peu, - mais encore et surtout à leur état moral d'habitation, au degré qu'ils occupent dans l'éternelle hiérarchie des êtres. La création s'y montre dans toute sa majesté, créant et propageant tout autour du monde solaire, et dans chacun des systèmes qui l'entourent de toutes parts, les manifestations de la vie et de l'intelligence.
LES ETOILES FIXES
D'autres astres, sans cortège, privés de planètes, ont reçu les meilleurs éléments de l'habitabilité qui soient donnés à aucun. Les lois de la nature sont diversifiées dans leur immensité, et si l'unité est le grand mot de l'univers, la variété infinie n'en est pas moins l'éternel attribut.
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Dans une communication donnée ultérieurement, l'Esprit de Galilée ajoute : «Il y a même des systèmes plus compliqués dans lesquels différents soleils jouent, vis-à-vis l'un de l'autre, le rôle de satellites. Il se produit alors des effets de lumière merveilleux pour les habitants des globes qu'ils éclairent ; d'autant plus que, malgré leur rapprochement apparent, des mondes habités peuvent circuler entre eux, et recevoir tour à tour les ondes de lumière diversement colorées dont la réunion recompose la lumière blanche. »
Or, cette marche n'est point fortuite et il ne va point, errant dans les vides infinis, égarer loin des régions qui lui sont assignées ses enfants et ses sujets. Non, son orbite est mesurée, et concurremment avec d'autres soleils du même ordre que lui, et entourés comme lui d'un certain nombre de terres habitées, il gravite autour d'un soleil central. Son mouvement de gravitation, de même que celui des soleils ses frères, est inappréciable à des observations annuelles, car des périodes séculaires en grand nombre suffiraient à peine à marquer le temps d'une de ces années astrales.
Nous pourrions constater cette subordination successive de soleils à soleils, jusqu'à ce que notre imagination soit fatiguée de gravir une telle hiérarchie ; car, ne l'oublions pas, on peut compter en nombre rond une trentaine de millions de soleils dans la voie lactée, subordonnés les uns aux autres comme les rouages gigantesques d'un immense système.
Ces systèmes de systèmes paraîtraient de loin, à l'oeil investigateur du philosophe qui saurait embrasser le tableau développé par l'espace et par le temps, une poussière de perles d'or soulevée en tourbillons sous le souffle divin qui fait voler les mondes sidéraux dans les cieux, comme les grains de sable sur les côtes du désert.
Plus d'immobilité, plus de silence, plus de nuit ! Le grand spectacle qui se déroulerait de la sorte sous nos regards serait la création réelle, immense et pleine de la vie éthérée qu'embrasse dans l'ensemble immense le regard infini du Créateur.
Mais nous n'avons jusqu'ici parlé que d'une nébuleuse ; ses millions de soleils, ses millions de terres habitées ne forment, comme nous l'avons dit, qu'une île dans l'archipel infini.
LES DESERTS DE L'ESPACE
Or, on se rappelle que la nébuleuse stellaire mesure, en nombre rond, mille fois la distance des plus prochaines étoiles prise pour unité, c'est-à-dire quelques cent mille trillions de lieues. La distance qui s'étend entre elles, étant beaucoup plus vaste, ne saurait être exprimée par des nombres accessibles à la compréhension de notre esprit ; l'imagination seule, dans ses plus hautes conceptions, est capable de franchir cette immensité prodigieuse, ces solitudes muettes et privées de toute apparence de vie, et d'envisager en quelque sorte l'idée de cette infinité relative.
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Une comparaison familière peut donner une idée, quoique bien imparfaite, des nébuleuses résolubles : ce sont les groupes d'étincelles projetées par les bombes d'artifice au moment de leur explosion. Chacune de ces étincelles nous représentera une étoile, et l'ensemble sera la nébuleuse, ou groupe d'étoiles réunies sur un point de l'espace, et soumises à une loi commune d'attraction et de mouvement. Vues à une certaine distance, ces étincelles se distinguent à peine, et leur groupe a l'apparence d'un petit nuage de fumée. Cette comparaison ne serait pas exacte, s'il s'agissait de masses de matière cosmique condensée.
Notre voie lactée est une de ces nébuleuses ; elle compte près de 30 millions d'étoiles ou soleils, qui n'occupent pas moins de quelques centaines de trillions de lieues d'étendue, et cependant ce n'est pas la plus grande. Supposons seulement une moyenne de 20 planètes habitées circulant autour de chaque soleil, cela ferait environ 600 millions de mondes pour notre seul groupe.
Si nous pouvions nous transporter de notre nébuleuse dans une autre, nous y serions comme au milieu de notre voie lactée, mais avec un ciel étoilé d'un tout autre aspect ; et celle-ci, malgré ses dimensions colossales par rapport à nous, nous apparaîtrait, dans le lointain, comme un petit flocon lenticulaire perdu dans l'infini. Mais avant d'atteindre la nouvelle nébuleuse, nous serions comme le voyageur qui quitte une ville et parcourt un vaste pays inhabité avant d'atteindre une autre ville ; nous aurions franchi des espaces incommensurables dépourvus d'étoiles et de mondes, ce que Galilée appelle les déserts de l'espace. A mesure que nous avancerions, nous verrions notre nébuleuse fuir derrière nous, diminuant d'étendue à nos yeux, en même temps que, devant nous, se présenterait celle vers laquelle nous nous dirigeons, de plus en distincte, semblable à la masse d'étincelles de la bombe d'artifice. En nous transportant par la pensée dans les régions de l'espace, par-delà l'archipel de notre nébuleuse, nous verrons tout autour de nous des millions d'archipels semblables et de formes diverses, renfermant chacun des millions de soleils et des centaines de millions de mondes habités.
Tout ce qui peut nous identifier avec l'immensité de l'étendue et la structure de l'univers est utile à l'élargissement des idées, si rétrécies par les croyances vulgaires. Dieu grandit à nos yeux à mesure que nous comprenons mieux la grandeur de ces oeuvres et notre infimité. Nous sommes loin, comme on le voit, de cette croyance implantée par la Genèse mosaïque, qui fait de notre petite terre imperceptible la création principale de Dieu, et de ses habitants les seuls objets de sa sollicitude. Nous comprenons la vanité des hommes qui croient que tout a été fait pour eux dans l'univers, et de ceux qui osent discuter l'existence de l'Etre suprême. Dans quelques siècles, on s'étonnera qu'une religion faite pour glorifier Dieu l'ait rabaissé à de si mesquines proportions, et qu'elle ait repoussé, comme étant la conception de l'Esprit du mal, les découvertes qui ne pouvaient qu'augmenter notre admiration pour sa toute-puissance, en nous initiant aux mystères grandioses de la création ; on s'en étonnera plus encore quand on saura qu'elles ont été repoussées, parce qu'elles devaient émanciper l'esprit des hommes, et ôter la prépondérance à ceux qui se disaient les représentants de Dieu sur la terre.
SUCCESSION ETERNELLE DES MONDES
Nous savons déjà que ces lois président à l'histoire du Cosmos ; ce qu'il importe de savoir maintenant, c'est qu'elles président également à la destruction des astres, car la mort n'est pas seulement une métamorphose de l'être vivant, mais encore une transformation de la matière inanimée ; et s'il est vrai de dire, dans le sens littéral, que la vie seule est accessible à la faux de la mort, il est aussi juste d'ajouter que la substance doit en toute nécessité subir les transformations inhérentes à sa constitution.
Or, pensera-t-on que cette terre éteinte et sans vie va continuer de graviter dans les espaces célestes, sans but, et passer comme une cendre inutile dans le tourbillon des cieux ? Pensera-t-on qu'elle reste inscrite au livre de la vie universelle, lorsqu'elle n'est plus qu'une lettre morte et dénuée de sens ? Non ; les mêmes lois qui l'ont élevée au-dessus du chaos ténébreux et qui l'ont gratifiée des splendeurs de la vie, les mêmes forces qui l'ont gouvernée pendant les siècles de son adolescence, qui ont affermi ses premiers pas dans l'existence et qui l'ont conduite à l'âge mûr et à la vieillesse, vont présider à la désagrégation de ses éléments constitutifs pour les rendre au laboratoire où la puissance créatrice puise sans cesse les conditions de la stabilité générale. Ces éléments vont retourner à cette masse commune de l'éther, pour s'assimiler à d'autres corps, ou pour régénérer d'autres soleils ; et cette mort ne sera pas un événement inutile à cette terre ni à ses soeurs : elle renouvellera, dans d'autres régions, d'autres créations d'une nature différente, et là où des systèmes de mondes se sont évanouis renaîtra bientôt un nouveau parterre de fleurs plus brillantes et plus parfumées.
Là où vos yeux admirent de splendides étoiles sous la voûte des nuits, là où votre esprit contemple des rayonnements magnifiques qui resplendissent sous de lointains espaces, depuis longtemps le doigt de la mort a éteint ces splendeurs, depuis longtemps le vide a succédé à ces éblouissements et reçu même de nouvelles créations encore inconnues. L'immense éloignement de ces astres, par lequel la lumière qu'ils nous envoient met des milliers d'années à nous parvenir, fait que nous recevons seulement aujourd'hui les rayons qu'ils nous ont envoyés longtemps avant la création de la terre, et que nous les admirerons encore pendant des milliers d'années après leur disparition réelle[10].
Que sont les six mille ans de l'humanité historique devant les périodes séculaires ? des secondes dans vos siècles ? Que sont vos observations astronomiques devant l'état absolu du monde ? l'ombre éclipsée par le soleil.
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Et quand ces périodes de notre immortalité auront passé sur notre tête, quand l'histoire actuelle de la terre nous apparaîtra comme une ombre vaporeuse au fond de notre souvenir ; que nous aurons habité pendant des siècles innommés ces divers degrés de notre hiérarchie cosmologique ; que les domaines les plus lointains des âges futurs auront été parcourus par d'innombrables pérégrinations, nous aurons devant nous la succession illimitée des mondes et l'immobile éternité pour perspective.
LA VIE UNIVERSELLE
Une même famille humaine a été créée dans l'universalité des mondes, et les liens d'une fraternité encore inappréciée de votre part ont été donnés à ces mondes. Si ces astres qui s'harmonisent dans leurs vastes systèmes sont habités par des intelligences, ce n'est point par des êtres inconnus les uns aux autres, mais bien par des êtres marqués au front de la même destinée, qui doivent se rencontrer momentanément suivant leurs fonctions de vie, et se retrouver suivant leurs mutuelles sympathies ; c'est la grande famille des Esprits qui peuplent les terres célestes ; c'est le grand rayonnement de l'Esprit divin qui embrasse l'étendue des cieux, et qui reste comme type primitif et final de la perfection spirituelle.
DIVERSITE DES MONDES
Jetez un instant les yeux sur une région quelconque de votre globe et sur une des productions de votre nature, n'y reconnaissez-vous pas le sceau d'une variété infinie et la preuve d'une activité sans égale ? Ne voyez-vous pas sur l'aile d'un petit oiseau des Canaries, sur le pétale d'un bouton de rose entrouvert la prestigieuse fécondité de cette belle nature ?
Que vos études s'appliquent aux êtres qui planent dans les airs, qu'elles descendent jusqu'à la violette des bois, qu'elles s'enfoncent sous les profondeurs de l'Océan, en tout et partout vous lisez cette vérité universelle : La nature toute puissante agit selon les lieux, les temps et les circonstances ; elle est une dans son harmonie générale, mais multiple dans ses productions ; elle se joue d'un soleil comme d'une goutte d'eau ; elle peuple d'êtres vivants un monde immense avec la même la facilité qu'elle fait éclore l'oeuf déposé par le papillon d'automne.
Ne voyez donc point, autour de chacun des soleils de l'espace, des systèmes semblables à votre système planétaire ; ne voyez point sur ces planètes inconnues les trois règnes de la nature qui brillent autour de vous ; mais songez que, de même que pas un visage d'homme ne ressemble à un autre visage dans le genre humain tout entier, de même une diversité prodigieuse, inimaginable, a été répandue dans les séjours éthérés qui voguent au sein des espaces.
De ce que votre nature animée commence au zoophyte pour se terminer à l'homme, de ce que l'atmosphère alimente la vie terrestre, de ce que l'élément liquide la renouvelle sans cesse, de ce que vos saisons font succéder dans cette vie les phénomènes qui la partagent, n'en concluez point que les millions de millions de terres qui voguent dans l'étendue soient semblables à celle-ci ; loin de là, elles diffèrent suivant les conditions diverses qui leur ont été dévolues, et suivant leur rôle respectif sur la scène du monde ; ce sont les pierreries variées d'une immense mosaïque, les fleurs diversifiées d'un admirable parterre.
CHAPITRE VII - Esquisse géologique de la terre
PERIODES GEOLOGIQUES
A ces caractères, on reconnaît qu'elles ont été formées successivement, déposées l'une sur l'autre dans des conditions et par des causes différentes ; les plus profondes ont naturellement été formées les premières, et les plus superficielles postérieurement. La dernière de toutes, celle qui se trouve à la surface, est la couche de terre végétale qui doit ses propriétés aux détritus des matières organiques provenant des plantes et des animaux.
Par l'inspection de la nature de ces roches ou couches, on reconnaît à des signes certains que les unes proviennent de matières fondues et parfois vitrifiées par l'action du feu ; d'autres, de substances terreuses déposées par les eaux ; quelques-unes de ces substances sont restées désagrégées, comme les sables ; les autres, d'abord à l'état pâteux, sous l'action de certains agents chimiques ou autres causes, se sont durcies et ont acquis à la longue la consistance de la pierre. Les bancs de pierres superposées annoncent des dépôts successifs. Le feu et l'eau ont donc eu leur part d'action dans la formation des matériaux qui composent la charpente solide du globe.
De ces considérations, on peut conclure avec certitude que toutes les couches pierreuses provenant de dépôts aqueux dans une position parfaitement horizontale, ont été formées à la suite des siècles par des eaux tranquilles, et que toutes les fois qu'elles ont une position inclinée, c'est que le sol a été tourmenté et disloqué postérieurement par des bouleversements généraux ou partiels plus ou moins considérables.
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[1] Fossile, du latin fossilia, fossilis, dérivé de fossa, fosse, et de fodere, fouir creuser la terre. Ce mot se dit, en géologie, des corps ou débris de corps organisés, provenant d'êtres qui vivaient antérieurement aux temps historiques. Par extension, il se dit également des substances minérales portant les traces de la présence d'êtres organisés, telles que les empreintes de végétaux ou d'animaux.
Le mot pétrification ne se dit que des corps transformés en pierre par l'infiltration de matières siliceuses ou calcaires dans les tissus organiques. Toutes les pétrifications sont nécessairement des fossiles, mais tous les fossiles ne sont pas des pétrifications.
Les objets qui se revêtent d'une couche pierreuse, lorsqu'ils sont plongés dans certaines eaux chargées de substances calcaires, comme celles du ruisseau de Saint-Allyre, près de Clermont, en Auvergne, ne sont pas des pétrifications proprement dites, mais de simples incrustations.
Les monuments, inscriptions et objets provenant de fabrication humaine appartiennent à l'archéologie.
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[2] Au point où Georges Cuvier a porté la science paléontologique, un seul os suffit souvent pour déterminer le genre, l'espèce, la forme d'un animal, ses habitudes, et pour le reconstruire tout entier.
Les perturbations, les cataclysmes qui ont eu lieu sur la terre depuis son origine en ont donc changé les conditions d'aptitude à l'entretien de la vie, et ont fait disparaître des générations entières d'êtres vivants.
Et combien de siècles de siècles certainement, de milliers de siècles peut-être, a-t-il fallu à chaque période pour s'accomplir ! Quelle force puissante n'a-t-il pas fallu pour déplacer et replacer l'Océan, soulever les montagnes ! Par combien de révolutions physiques, de commotions violentes, la terre n'a-t-elle pas dû passer avant d'être ce que nous la voyons depuis les temps historiques ! Et l'on voudrait que ce fût l'oeuvre de moins de temps qu'il n'en faut pour faire pousser une plante !
ETAT PRIMITIF DU GLOBE
On dit proverbialement : Il n'y a pas de fumée sans feu. Cette proposition, rigoureusement vraie, est une application du principe : Il n'y a pas d'effet sans cause. Par la même raison, on peut dire : Il n'y a pas de feu sans foyer. Or, par les faits qui se passent sous nos yeux, ce n'est pas seulement de la fumée qui se produit, c'est du feu bien réel qui doit avoir un foyer ; ce feu venant de l'intérieur de la terre et non d'en haut, le foyer doit être intérieur ; le feu étant permanent, le foyer doit l'être également.
La chaleur, qui augmente à mesure que l'on pénètre dans l'intérieur de la terre, et qui, à une certaine distance de la surface, atteint une très haute température ; les sources thermales, d'autant plus chaudes qu'elles viennent d'une plus grande profondeur ; les feux et les masses de matières fondues et embrasées qui s'échappent des volcans, comme par de vastes soupiraux, ou par les crevasses produites dans certains tremblements de terre, ne peuvent laisser de doute sur l'existence d'un feu intérieur.
Bien que ce ne soit là qu'une conjecture, en jugeant de la cause par l'effet, elle a tous les caractères de la probabilité, et l'on arrive à cette conclusion, que la terre est encore une masse incandescente recouverte d'une croûte solide de 25 lieues au plus d'épaisseur, ce qui est à peine la 120° partie de son diamètre. Proportionnellement, ce serait beaucoup moins que l'épaisseur de la plus mince écorce d'orange.
Au reste, l'épaisseur de la croûte terrestre est très variable, car il est des contrées, surtout dans les terrains volcaniques, où la chaleur et la flexibilité du sol indiquent qu'elle est très peu considérable. La haute température des eaux thermales est également l'indice du voisinage du feu central.
PERIODE PRIMAIRE
La couche granitique est donc la première qui se soit formée sur le globe, qu'elle enveloppe dans son entier et dont elle constitue en quelque sorte la charpente osseuse ; elle est le produit direct de la matière en fusion consolidée. C'est sur elle, et dans les cavités que présentait sa surface tourmentée, que se sont successivement déposées les couches des autres terrains formés postérieurement. Ce qui la distingue de ces derniers, c'est l'absence de toute stratification, c'est-à-dire qu'elle forme une masse compacte et uniforme dans toute son épaisseur, et non disposée par couches. L'effervescence de la matière incandescente devait y produire de nombreuses et profondes crevasses, par lesquelles s'épanchait cette matière.
Sous l'influence de ces divers agents, la surface granitique éprouva des décompositions alternatives ; il se fit des mélanges qui formèrent les terrains primitifs proprement dits, distincts de la roche granitique, mais en masses confuses, et sans stratifications régulières.
Vinrent ensuite les eaux qui, tombant sur un sol brûlant, se vaporisaient de nouveau, retombaient en pluies torrentielles, et ainsi de suite, jusqu'à ce que la température leur permît de rester sur le sol à l'état liquide.
C'est à la formation des terrains granitiques que commence la série des périodes géologiques, auxquelles il conviendrait d'ajouter celle de l'état primitif d'incandescence du globe.
Il est impossible d'assigner une durée déterminée à cette première période, pas plus qu'aux suivantes ; mais, d'après le temps qu'il faut à un boulet d'un volume donné, chauffé au rouge blanc, pour que sa surface soit refroidie au point qu'une goutte d'eau puisse y rester à l'état liquide, on a calculé que si ce boulet avait la grosseur de la terre, il lui faudrait plus d'un million d'années.
PERIODE DE TRANSITION
Les eaux, peu profondes, couvraient à peu près toute la surface du globe, à l'exception des parties soulevées formant des terrains bas fréquemment submergés.
L'air s'était peu à peu purgé des matières les plus lourdes momentanément à l'état gazeux, et qui, en se condensant par l'effet du refroidissement, étaient précipitées à la surface du sol, puis entraînées et dissoutes par les eaux.
Quand on parle de refroidissement à cette époque, il faut entendre ce mot dans un sens relatif, c'est-à-dire par rapport à l'état primitif, car la température devait être encore brûlante.
Les épaisses vapeurs aqueuses qui s'élevaient de toutes parts de l'immense surface liquide, retombaient en pluies abondantes et chaudes et obscurcissaient l'air. Cependant les rayons du soleil commençaient à paraître à travers cette atmosphère brumeuse.
Une des dernières substances dont l'air a dû être purgé, parce qu'elle est naturellement à l'état gazeux, c'est l'acide carbonique qui en formait alors une des parties constituantes.
Alors paraissent les premiers êtres vivants du règne végétal et du règne animal ; d'abord en petit nombre, on en trouve les traces de plus en plus fréquentes à mesure qu'on s'élève dans les couches de cette formation. Il est remarquable que la vie se manifeste aussitôt que les conditions lui sont propices, et que chaque espèce naît dès que se produisent les conditions propres à son existence.
Les animaux de cette période, qui ont succédé aux premiers végétaux, sont exclusivement marins : ce sont d'abord des polypiers, des rayonnés, des zoophytes, animaux dont l'organisation simple et pour ainsi dire rudimentaire, se rapproche le plus des végétaux ; plus tard viennent des crustacés et des poissons dont les espèces n'existent plus aujourd'hui.
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[3]Plante marécageuse, vulgairement appelée queue-de-cheval.
Ces débris, accumulés pendant une longue série de siècles, formèrent des couches d'une grande épaisseur. Sous l'action de la chaleur, de l'humidité, de la pression exercée par les dépôts terreux postérieurs, et sans doute de divers agents chimiques, des gaz, des acides et des sels produits de la combinaison des éléments primitifs, ces matières végétales subirent une fermentation qui les convertit en houille ou charbon de terre. Les mines de houille sont donc le produit direct de la décomposition des amas de végétaux accumulés pendant la période de transition ; c'est pour cela qu'on en trouve à peu près dans toutes les contrées[4].
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[4]La tourbe s'est formée de la même manière, par la décomposition d'amas de végétaux, dans des terrains marécageux ; mais avec cette différence qu'étant beaucoup plus récente, et sans doute dans d'autres conditions, elle n'a pas eu le temps de se carboniser.
Cette période a dû être très longue, à en juger par le nombre et l'épaisseur des couches houillères[5].
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[5]Dans la baie de Fundy (Nouvelle Ecosse), M. Lyell a trouvé, sur une épaisseur de houille de 400 mètres, 68 niveaux différents, présentant les traces évidentes de plusieurs sols de forêts dont les troncs d'arbres étaient encore garnis de leurs racines (L. Figuier).
En ne supposant que mille ans pour la formation de chacun de ces niveaux, ce serait déjà 68.000 ans pour cette seule couche houillère.
PERIODE SECONDAIRE
La végétation est moins rapide et moins colossale que dans la période précédente, sans doute par suite de la diminution de la chaleur et de l'humidité, et des modifications survenues dans les éléments constitutifs de l'atmosphère. Aux plantes herbacées et pulpeuses se joignent celles à tiges ligneuses et les premiers arbres proprement dits.
L'ichtyosaure, espèce de poisson-lézard qui atteignait jusqu'à 10 mètres de longueur et dont les mâchoires, prodigieusement allongées, étaient armées de cent quatre-vingts dents. Sa forme générale rappelle un peu celle du crocodile, mais sans cuirasse écailleuse ; ses yeux avaient le volume de la tête d'un homme ; il avait des nageoires comme la baleine, et rejetait l'eau par des évents comme celle-ci.
Le plésiosaure, autre reptile marin, aussi grand que l'ichtyosaure, dont le cou, excessivement long, se repliait comme celui du cygne et lui donnait l'apparence d'un énorme serpent attaché à un corps de tortue. Il avait la tête du lézard et les dents du crocodile ; sa peau devait être lisse comme celle du précédent, car on n'a trouvé aucune trace d'écailles ni de carapace[6].
Le téléosaure, se rapproche davantage des crocodiles actuels, qui paraissent en être les diminutifs ; comme ces derniers, il avait une cuirasse écailleuse, et vivait à la fois dans l'eau et sur la terre ; sa taille était d'environ 10 mètres, dont 3 ou 4 pour la tête seule ; son énorme gueule avait 2 mètres d'ouverture.
Le mégalosaure, grand lézard, sorte de crocodile de 14 à 15 mètres de longueur, essentiellement carnivore, se nourrissant de reptiles, de petits crocodiles et de tortues. Sa formidable mâchoire était armée de dents en forme de lame de serpette à double tranchant, recourbées en arrière, de telle sorte qu'une fois entrées dans la proie, il était impossible à celle-ci de se dégager.
L'iguanodon, le plus grand des lézards qui aient paru sur la terre : il avait de 20 à 25 mètres de la tête à l'extrémité de la queue. Son museau était surmonté d'une corne osseuse semblable à celle de l'iguane de nos jours, dont il ne paraît différer que par la taille, ce dernier ayant à peine 1 mètre de long. La forme des dents prouve qu'il était herbivore et celle des pieds que c'était un animal terrestre.
Le ptérodactyle, animal bizarre de la grandeur d'un cygne, tenant à la fois du reptile par le corps, de l'oiseau par la tête et de la chauve-souris par la membrane charnue qui reliait ses doigts, d'une prodigieuse longueur, et lui servait de parachute quand il se précipitait sur sa proie du haut d'un arbre ou d'un rocher. Il n'avait point de bec corné comme les oiseaux, mais les os des mâchoires, aussi longs que la moitié du corps et garnis de dents, se terminaient en pointe comme un bec.
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* [6]Le premier fossile de cet animal a été découvert en Angleterre, en 1823. Depuis, on en a trouvé en France et en Allemagne.
PERIODE TERTIAIRE
La surface du sol devint alors très inégale ; les eaux qui, jusqu'à ce moment, le couvraient d'une manière à peu près uniforme sur la plus grande partie de son étendue, furent refoulées dans les parties les plus basses, laissant à sec de vastes continents, ou des sommets de montagnes isolées qui formèrent des îles.
Tel est le grand phénomène qui s'est accompli dans la période tertiaire et qui a transformé l'aspect du globe. Il ne s'est produit ni instantanément ni simultanément sur tous les points, mais successivement et à des époques plus ou moins éloignées.
C'est ainsi qu'on trouve à de grandes élévations des bancs considérables de coquillages, primitivement formés au fond des mers. Il est parfaitement reconnu aujourd'hui qu'à aucune époque la mer n'a pu atteindre une telle hauteur, car toutes les eaux qui existent sur la terre ne suffiraient pas, lors même qu'il y en aurait cent fois plus. Il faudrait donc supposer que la quantité d'eau a diminué, et alors on se demanderait ce qu'est devenue la portion disparue. Les soulèvements, qui sont aujourd'hui un fait incontestable, expliquent d'une manière aussi logique que rigoureuse les dépôts marins que l'on rencontre sur certaines montagnes[7].
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[7] On a trouvé des couches de calcaire coquillier sur les Andes de l'Amérique, à 5.000 mètres au-dessus du niveau de l'Océan.
On peut se faire une idée de l'intensité de ce feu, en songeant que des volcans s'ouvrent au sein même de la mer, et que la masse d'eau qui les recouvre et y pénètre ne suffit pas pour les éteindre.
Les déplacements successifs de cette masse liquide ont forcément labouré et tourmenté la surface du sol. Les eaux, en s'écoulant, ont entraîné une partie des terrains de formations antérieures mis à découvert par les soulèvements, dénudé certaines montagnes qui en étaient recouvertes, et mis au jour leur base granitique ou calcaire ; de profondes vallées ont été creusées et d'autres comblées.
Il y a donc des montagnes formées directement par l'action du feu central : ce sont principalement les montagnes granitiques ; d'autres sont dues à l'action des eaux, qui, en entraînant les terres mobiles et les matières solubles, ont creusé des vallées autour d'une base résistante, calcaire ou autre.
Les matières entraînées par le courant des eaux ont formé les couches de la période tertiaire, qui se distinguent aisément des précédentes, moins par leur composition, qui est à peu près la même, que par leur disposition.
Les couches des périodes primaire, de transition, et secondaire, formées sur une surface peu accidentée, sont à peu près uniformes par toute la terre ; celles de la période tertiaire, au contraire, formées sur une base très inégale, et par l'entraînement des eaux, ont un caractère plus local. Partout, en creusant à une certaine profondeur, on trouve toutes les couches antérieures dans l'ordre de leur formation, tandis qu'on ne trouve pas partout le terrain tertiaire, ni toutes les couches de celui-ci.
De même que la période de transition a vu naître une végétation colossale, la période secondaire des reptiles monstrueux, celle-ci voit se produire des mammifères gigantesques, tels que l'éléphant, le rhinocéros, l'hippopotame, le paléothérium, le mégathérium, le dinothérium, le mastodonte, le mammouth, etc. Ces deux derniers, variétés de l'éléphant, avaient de 5 à 6 mètres de hauteur, et leurs défenses atteignaient jusqu'à 4 mètres de longueur. Elle a vu naître également les oiseaux, ainsi que la plupart des espèces qui vivent encore de nos jours. Quelques-unes des espèces de cette époque ont survécu aux cataclysmes postérieurs ; d'autres, que l'on désigne par la qualification générique d'animaux antédiluviens, ont complètement disparu, ou bien ont été remplacés par des espèces analogues de formes moins lourdes et moins massives, dont les premiers types ont été comme les ébauches ; tels sont le felis speloea, animal carnassier de la grosseur du taureau, ayant les caractères anatomiques du tigre et du lion ; le cervus megaceron, variété du cerf, dont les bois, de 3 mètres de longueur, étaient espacés de 3 à 4 mètres à leurs extrémités.
PERIODE DILUVIENNE
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[8]C'est un de ces blocs, provenant évidemment, par sa composition, des montagnes de la Norvège, qui sert de piédestal à la statue de Pierre le Grand, à Saint-Pétersbourg.
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On suppose assez généralement qu'un changement brusque a eu lieu dans la position de l'axe et des pôles de la terre : de là une projection générale des eaux sur la surface. Si ce changement se fût opéré avec lenteur, les eaux se seraient déplacées graduellement, sans secousse, tandis que tout indique une commotion violente et subite. Dans l'ignorance où l'on est de la véritable cause, on ne peut émettre que des hypothèses.
Le déplacement subit des eaux peut aussi avoir été occasionné par le soulèvement de certaines parties de la croûte solide et la formation de nouvelles montagnes au sein des mers, ainsi que cela a eu lieu au commencement de la période tertiaire ; mais outre que le cataclysme n'eût pas été général, cela n'expliquerait pas le changement subit de la température des pôles.
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PERIODE POST-DILUVIENNE OU ACTUELLE. - NAISSANCE DE L'HOMME
Ce qui avait fait penser que l'apparition des hommes est postérieure au déluge, c'est qu'on n'avait trouvé aucune trace authentique de leur existence pendant la période antérieure. Les ossements découverts en divers lieux, et qui ont fait croire à l'existence d'une prétendue race de géants antédiluviens, ont été reconnus pour être des ossements d'éléphants.
Ce qui n'est pas douteux, c'est que l'homme n'existait ni dans la période primaire, ni dans celle de transition, ni dans la période secondaire, non seulement parce qu'on n'en trouve aucune trace, mais parce que les conditions de vitalité n'existaient pas pour lui. S'il a paru dans la période tertiaire, ce ne peut être que vers la fin, et encore devait-il être peu multiplié.
Du reste, la période diluvienne, ayant été courte, n'a pas apporté de notables changements dans les conditions atmosphériques ; les animaux et les végétaux étaient aussi les mêmes avant qu'après ; il n'est donc pas impossible que l'apparition de l'homme ait précédé ce grand cataclysme ; la présence du singe à cette époque est aujourd'hui constatée, et de récentes découvertes paraissent confirmer celle de l'homme[11].
Quoi qu'il en soit, que l'homme ait paru ou non avant le grand déluge universel, il est certain que son rôle humanitaire n'a réellement commencé à se dessiner que dans la période post diluvienne ; on peut donc la considérer comme caractérisée par sa présence.
[11]Voir : l'Homme antédiluvien, par Boucher de Perthes ; br. in-8, prix, 1 fr. 50 ; franco, 1 fr. 70. - Des outils de pierre, par le même ; br. in-8 ; prix, 1 fr. 40 ; franco, 1 fr. 55. - Chez Jung Truttel, 19, rue de Lille.
Discours sur les révolutions du globe, par Georges Cuvier, avec notes du docteur Hoefer ; in-12 ; prix, 3 fr. ; franco, 3 fr. 40. - Chez Firmin Didot, 56, rue Jacob.
CHAPITRE VIII - Théories de la terre
THEORIE DE LA PROJECTION
En voyant toutes les planètes se mouvoir dans la même direction, d'occident en orient, et dans le même plan, parcourant des orbites dont l'inclinaison n'excède pas 7 degrés et demi, Buffon conclut de cette uniformité qu'elles avaient dû être mises en mouvement par la même cause.
Selon lui, le soleil était une masse incandescente en fusion, il supposa qu'une comète l'ayant heurté obliquement, en rasant sa surface, en avait détaché une portion qui, projetée dans l'espace par la violence du choc, s'est divisée en plusieurs fragments. Ces fragments ont formé les planètes, qui ont continué à se mouvoir circulairement par la combinaison de la force centripète et de la force centrifuge, dans le sens imprimé par la direction du choc primitif, c'est-à-dire dans le plan de l'écliptique.
Les planètes seraient ainsi des parties de la substance incandescente du soleil, et, par conséquent, auraient été incandescentes elles-mêmes à leur origine. Elles ont mis à se refroidir et à se consolider un temps proportionné à leur volume, et, quand la température l'a permis, la vie a pris naissance à leur surface.
Par suite de l'abaissement graduel de la chaleur centrale, la terre arriverait, dans un temps donné, à un état complet de refroidissement ; la masse liquide serait entièrement congelée, et l'air, de plus en plus condensé, finirait par disparaître. L'abaissement de la température, rendant la vie impossible, amènerait la diminution, puis la disparition de tous les êtres organisés. Le refroidissement, qui a commencé par les pôles, gagnerait successivement toutes les contrées jusqu'à l'équateur.
Tel est, selon Buffon, l'état actuel de la lune, qui, plus petite que la terre, serait aujourd'hui un monde éteint, d'où la vie est désormais exclue. Le soleil lui-même aurait un jour le même sort. Suivant son calcul, la terre aurait mis 74,000 ans environ pour arriver à sa température actuelle, et dans 93,000 ans elle verrait la fin de l'existence de la nature organisée.
1° Longtemps on a cru que les comètes étaient des corps solides dont la rencontre avec une planète pouvait amener la destruction de celle-ci. Dans cette hypothèse, la supposition de Buffon n'avait rien d'improbable. Mais on sait maintenant qu'elles sont formées d'une matière gazeuse condensée, assez raréfiée cependant pour qu'on puisse apercevoir des étoiles de moyenne grandeur à travers leur noyau. Dans cet état, offrant moins de résistance que le soleil, un choc violent capable de projeter au loin une portion de sa masse est une chose impossible.
2° La nature incandescente du soleil est également une hypothèse que rien, jusqu'à présent, ne vient confirmer, et que semblent, au contraire, démentir les observations. Bien qu'on ne soit pas encore complètement fixé sur sa nature, la puissance des moyens d'observation dont on dispose aujourd'hui a permis de le mieux étudier. Il est maintenant généralement admis par la science que le soleil est un globe composé de matière solide, entouré d'une atmosphère lumineuse, ou photosphère, qui n'est pas en contact avec sa surface[1].
3° Au temps de Buffon, on ne connaissait encore que les six planètes connues des Anciens : Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter et Saturne. Depuis, on en a découvert un grand nombre, dont trois principalement, Junon, Cérès, Pallas, ont leur orbite inclinée de 13, 10 et 34 degrés, ce qui ne s'accorde pas avec l'hypothèse d'un mouvement de projection unique.
4° Les calculs de Buffon sur le refroidissement sont reconnus complètement inexacts depuis la découverte de la loi du décroissement de la chaleur, par M. Fourier. Ce n'est pas 74,000 années qu'il a fallu à la terre pour arriver à sa température actuelle, mais des millions d'années.
5° Buffon n'a considéré que la chaleur centrale du globe, sans tenir compte de celle des rayons solaires ; or, il est reconnu aujourd'hui, par des données scientifiques d'une rigoureuse précision fondées sur l'expérience, qu'en raison de l'épaisseur de la croûte terrestre, la chaleur interne du globe n'a, depuis longtemps, qu'une part insignifiante dans la température de la surface extérieure ; les variations que cette atmosphère subit sont périodiques et dues à l'action prépondérante de la chaleur solaire (chap. VII, n° 25). L'effet de cette cause étant permanent, tandis que celui de la chaleur centrale est nul ou à peu près, la diminution de celle-ci ne peut apporter à la surface de la terre des modifications sensibles. Pour que la terre devînt inhabitable par le refroidissement général, il faudrait l'extinction du soleil[2].
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[2] Voir, pour plus de détails à ce sujet, et pour la loi de la décroissance de la chaleur : Lettres sur les révolutions du globe, par le docteur Bertrand, ancien élève de l'Ecole polytechnique ; lettre II. - 1 vol. in-12 ; prix 3 fr. 50 : chez Hetzel, libraire, 18, rue Jacob. - Cet ouvrage, au niveau de la science moderne, écrit avec simplicité et sans esprit de système, offre une étude géologique d'un grand intérêt.
THEORIE DE LA CONDENSATION
Ces deux théories, comme on le voit, aboutissent au même résultat : l'état primitif d'incandescence du globe, la formation d'une croûte solide par le refroidissement, l'existence du feu central, et l'apparition de la vie organique dès que la température la rend possible. Elles diffèrent néanmoins par des points essentiels, et il est probable que, si Buffon eût vécu de nos jours, il aurait eu d'autres idées.
La géologie prend la terre au point où l'observation directe est possible. Son état antérieur, échappant à l'expérimentation, ne peut être que conjectural ; or, entre deux hypothèses, le bon sens dit qu'il faut choisir celle qui est sanctionnée par la logique et qui concorde le mieux avec les faits observés.
THEORIE DE L'INCRUSTATION
« Dieu, selon la Bible, créa le monde en six jours, quatre mille ans avant l'ère chrétienne. Voilà ce que les géologues contestent par l'étude des fossiles et les milliers de caractères incontestables de vétusté qui font remonter l'origine de la terre à des millions d'années, et pourtant l'Ecriture a dit la vérité et les géologues aussi, et c'est un simple paysan[3] qui les met d'accord en nous apprenant que notre terre n'est qu'une planète incrustative fort moderne, composée de matériaux fort anciens.
« Après l'enlèvement de la planète inconnue, arrivée à maturité ou en harmonie avec celle qui existait à la place que nous occupons aujourd'hui, l'âme de la terre reçut l'ordre de réunir ses satellites pour former notre globe actuel selon les règles du progrès en tout et pour tout. Quatre de ces astres seulement consentirent à l'association qui leur était proposée ; la lune seule persista dans son autonomie, car les globes ont aussi leur libre arbitre. Pour procéder à cette fusion, l'âme de la terre dirigea vers les satellites un rayon magnétique attractif qui cataleptisa tout leur mobilier végétal, animal et hominal qu'ils apportèrent à la communauté. L'opération n'eut pour témoins que l'âme de la terre et les grands messagers célestes qui l'aidèrent dans ce grand oeuvre, en ouvrant ces globes pour mettre leurs entrailles en commun. La soudure opérée, les eaux s'écoulèrent dans les vides laissés par l'absence de la lune. Les atmosphères se confondirent, et le réveil ou la résurrection des germes cataleptisés commença ; l'homme fut tiré en dernier lieu de son état d'hypnotisme, et se vit entouré de la végétation luxuriante du paradis terrestre et des animaux qui paissaient en paix autour de lui. Tout cela pouvait se faire en six jours avec des ouvriers aussi puissants que ceux que Dieu avait chargés de cette besogne. La planète Asie nous apporta la race jaune, la plus anciennement civilisée ; l'Afrique, la race noire ; l'Europe, la race blanche, et l'Amérique, la race rouge. La lune nous eût peut-être apporté la race verte ou bleue.
« Ainsi, certains animaux, dont on ne trouve que les débris, n'auraient jamais vécu sur notre terre actuelle, mais auraient été apportés d'autres mondes disloqués par la vieillesse. Les fossiles que l'on rencontre dans des climats où ils n'auraient pu exister ici-bas vivaient sans doute dans les zones bien différentes, sur les globes où ils sont nés. Tels débris se trouvent aux pôles chez nous, qui vivaient à l'équateur chez eux. »
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[3 ]M. Michel, de Figagnères (Var), auteur de la Clef de la vie.
Si les choses s'étaient passées ainsi, comment se ferait-il qu'on ne trouve nulle part les traces de ces immenses soudures, allant jusqu'aux entrailles du globe ? Chacun de ces mondes apportant ses matériaux propres, l'Asie, l'Afrique, l'Europe, l'Amérique auraient chacune une géologie particulière différente, ce qui n'est pas. On voit, au contraire, d'abord le noyau granitique uniforme, d'une composition homogène dans toutes les parties du globe, sans solution de continuité. Puis, les couches géologiques de même formation, identiques dans leur constitution, partout superposées dans le même ordre, se continuant sans interruption d'un côté à l'autre des mers, de l'Europe à l'Asie, à l'Afrique, à l'Amérique, et réciproquement. Ces couches, témoins des transformations du globe, attestent que ces transformations se sont accomplies sur toute sa surface et non sur une partie ; elles nous montrent les périodes d'apparition, d'existence et de disparition des mêmes espèces animales et végétales également dans les différentes parties du monde ; la faune et la flore de ces périodes reculées marchant partout simultanément sous l'influence d'une température uniforme, changeant partout de caractère à mesure que la température se modifie. Un tel état de choses est inconciliable avec la formation de la terre par l'adjonction de plusieurs mondes différents.
On se demande, d'ailleurs, ce que serait devenue la mer, qui occupe le vide laissé par la lune, si celle-ci n'eût pas mis de mauvaise volonté à se réunir avec ses soeurs ; ce qu'il adviendrait de la terre actuelle, si un jour la lune avait la fantaisie de venir reprendre sa place et d'en expulser la mer ?
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La concordance que l'on prétend établir, par ce système, entre la Genèse biblique et la science, est tout à fait illusoire, puisqu'il est contredit par la science même.
L'auteur de la lettre ci-dessus, homme de grand savoir, un instant séduit par cette théorie, en vit bientôt les côtés vulnérables, et ne tarda pas à la combattre avec les armes de la science.
AME DE LA TERRE
Le développement organique est toujours en rapport avec le développement du principe intellectuel ; l'organisme se complète à mesure que les difficultés de l'âme se multiplient ; l'échelle organique suit constamment, dans tous les êtres, la progression de l'intelligence, depuis le polype jusqu'à l'homme ; il n'en pouvait être autrement, puisqu'il faut à l'âme un instrument approprié à l'importance des fonctions qu'elle doit remplir. Que servirait à l'huître d'avoir l'intelligence du singe sans les organes nécessaires à sa manifestation ? Si donc la terre était un être animé, servant de corps à une âme spéciale, en raison même de sa constitution, son âme devrait être encore plus rudimentaire que celle du polype, puisque la terre n'a pas même la vitalité de la plante, tandis que, par le rôle qu'on attribue à cette âme, on en fait un être doué de raison et du libre arbitre le plus complet, un Esprit supérieur, en un mot, ce qui n'est pas rationnel, car jamais Esprit n'eût été plus mal partagé et plus emprisonné. L'idée de l'âme de la terre, entendue dans ce sens, doit donc être rangée parmi les conceptions systématiques et chimériques.
Par l'âme de la terre, on peut entendre, plus rationnellement, la collectivité des Esprits chargés de l'élaboration et de la direction de ses éléments constitutifs, ce qui suppose déjà un certain degré de développement intellectuel ; ou, mieux encore : l'Esprit auquel est confiée la haute direction des destinées morales et du progrès de ses habitants, mission qui ne peut être dévolue qu'à un être éminemment supérieur en savoir et en sagesse. Dans ce cas, cet Esprit n'est pas, à proprement parler, l'âme de la terre, car il n'y est ni incarné, ni subordonné à son état matériel ; c'est un chef préposé à sa direction, comme un général est préposé à la conduite d'une armée.
Un esprit, chargé d'une mission aussi importante que celle du gouvernement d'un monde, ne saurait avoir de caprices, ou Dieu serait bien imprévoyant de confier l'exécution de ses lois à des êtres capables d'y contrevenir par leur mauvais vouloir ; or, selon la doctrine de l'incrustation, ce serait le mauvais vouloir de l'âme de la lune qui serait cause que la terre est restée incomplète. Il y a des idées qui se réfutent d'elles-mêmes (Revue de septembre 1868, page 261).
CHAPITRE IX - Révolutions du globe
REVOLUTIONS GENERALES OU PARTIELLES
Le feu : soit par les éruptions volcaniques qui ont enseveli sous d'épaisses couches de cendres et de laves les terrains environnants, faisant disparaître les villes et leurs habitants ; soit par des tremblements de terre soit par des soulèvements de la croûte solide, refoulant les eaux sur les contrées les plus basses ; soit par l'affaissement de cette même croûte dans certains endroits, sur une étendue plus ou moins grande, où les eaux se sont précipitées, laissant d'autres terrains à découvert. C'est ainsi que des îles ont surgi au sein de l'Océan, tandis que d'autres ont disparu ; que des portions de continents ont été séparées et ont formé des îles, que des bras de mer mis à sec ont réuni des îles aux continents.
L'eau : soit par l'irruption ou le retrait de la mer sur certaines côtes, soit par des éboulements qui, en arrêtant les cours d'eau, ont formé des lacs ; soit par les débordements et les inondations ; soit enfin par les atterrissements formés à l'embouchure des fleuves. Ces atterrissements, en refoulant la mer, ont créé de nouvelles contrées : telle est l'origine du delta du Nil en Basse-Egypte, du delta du Rhône ou Camargue.
AGE DES MONTAGNES
On a ainsi constaté, par l'observation, que les montagnes des Vosges, de la Bretagne et de la Côte-d'Or, en France, qui ne sont pas très élevées, appartiennent aux plus anciennes formations ; elles datent de la période de transition et sont antérieures aux dépôts houillers. Le Jura s'est formé vers le milieu de la période secondaire ; il est contemporain des reptiles gigantesques. Les Pyrénées se sont formées plus tard, au commencement de la période tertiaire. Le Mont-Blanc et le groupe des Alpes occidentales sont postérieurs aux Pyrénées et datent du milieu de la période tertiaire. Les Alpes orientales, qui comprennent les montagnes du Tyrol, sont plus récentes encore, car elles n'ont été formées que vers la fin de la période tertiaire. Quelques montagnes de l'Asie sont mêmes postérieures à la période diluvienne ou lui sont contemporaines.
Ces soulèvements ont dû occasionner de grandes perturbations locales et des inondations plus ou moins considérables par le déplacement des eaux, l'interruption et le changement du cours des fleuves[1].
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[1] Le dernier siècle offre un exemple remarquable d'un phénomène de ce genre. A six journées de marche de la ville de Mexico se trouvait, en 1750, une contrée fertile et bien cultivée, où croissaient en abondance le riz, le maïs et les bananes. Au mois de juin, d'effroyables tremblements de terre agitèrent le sol, et ces tremblements se renouvelèrent sans cesse pendant deux mois entiers. Dans la nuit du 28 au 29 septembre, la terre eut une violente convulsion ; un terrain de plusieurs lieues d'étendue se souleva peu à peu et finit par atteindre une hauteur de 500 pieds, sur une surface de 10 lieues carrées. Le terrain ondulait comme les vagues de la mer sous le souffle de la tempête ; des milliers de monticules s'élevaient et s'abîmaient tour à tour ; enfin un gouffre de près de 3 lieues s'ouvrit ; de la fumée, du feu, des pierres embrasées, des cendres furent lancés à une hauteur prodigieuse. Six montagnes surgirent de ce gouffre béant, parmi lesquelles le volcan auquel on a donné le nom de Jorullo s'élève maintenant à 550 mètres au-dessus de l'ancienne plaine. Au moment où commençait l'ébranlement du sol, les deux rivières de Cuitimba et de Rio San-Pedro, refluant en arrière, inondèrent toute la plaine occupée aujourd'hui par le Jorullo ; mais, dans le terrain qui montait toujours, un gouffre s'ouvrit et les engloutit. Elles reparurent à l'ouest, sur un point très éloigné de leur ancien lit. (Louis Figuier, La Terre avant le déluge, page 370.)
DELUGE BIBLIQUE
Pour les hommes d'alors, qui ne connaissaient qu'une étendue très bornée de la surface du globe et qui n'avaient aucune idée de sa configuration, dès l'instant que l'inondation avait envahi les pays connus, pour eux ce devait être toute la terre. Si à cette croyance on ajoute la forme imagée et hyperbolique particulière au style oriental, on ne sera pas surpris de l'exagération du récit biblique.
Il est également postérieur au grand déluge universel qui a marqué la période géologique actuelle ; et quand on parle d'hommes et d'animaux antédiluviens, cela s'entend de ce premier cataclysme.
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[2] La légende indienne, sur le déluge, rapporte, d'après le livre des Védas, que Brahma, transformé en poisson, s'adressa au pieux monarque Vaïvaswata ; il lui dit : «Le moment de la dissolution de l'univers est arrivé ; bientôt tout ce qui existe sur la terre sera détruit. Il faut que tu construises un navire dans lequel tu t'embarqueras après avoir pris avec toi des graines de tous les végétaux. Tu m'attendras sur ce navire, et je viendrai à toi ayant sur la tête une corne qui me fera reconnaître. » Le saint obéit ; il construisit un navire, s'y embarqua, et il attacha un câble très fort à la corne du poisson. Le navire fut traîné pendant plusieurs années avec une extrême rapidité au milieu des ténèbres d'une tempête effroyable, et il aborda enfin au sommet du mont Himawat (Himalaya). Brahma recommanda ensuite à Vaïvaswata de créer tous les êtres et de repeupler la terre.
L'analogie de cette légende avec le récit biblique de Noé est frappante ; de l'Inde elle avait passé en Egypte, comme une foule d'autres croyances. Or, comme le livre des Védas est antérieur à celui de Moïse, le récit qu'on y trouve du déluge ne peut être une imitation de ce dernier. Il est donc probable que Moïse, qui avait étudié les doctrines des prêtres égyptiens, a puisé le sien parmi eux.
REVOLUTIONS PERIODIQUES
Ce mouvement, qu'il serait impossible d'expliquer en quelques mots, sans figures et sans une démonstration géométrique, consiste dans une sorte de balancement circulaire que l'on a comparé à celui d'une toupie mourante, par suite duquel l'axe de la terre, changeant d'inclinaison, décrit un double cône dont le sommet est au centre de la terre, et les bases embrassent la surface circonscrite par les cercles polaires ; c'est-à-dire une amplitude de 23 degrés et demi de rayon.
Mais, par suite du changement graduel dans l'obliquité de l'axe, ce qui en amène un dans l'obliquité de l'équateur sur l'écliptique, l'instant de l'équinoxe se trouve chaque année avancé de quelques minutes (25 min. 7 sec.). C'est cette avance qui est appelée précession des équinoxes (du latin proecedere, marcher en avant, fait de proe, avant, et cedere, s'en aller).
Ces quelques minutes, à la longue, font des heures, des jours, des mois et des années ; il en résulte que l'équinoxe du printemps, qui arrive maintenant en mars, arrivera, dans un temps donné en février puis en janvier, puis en décembre, et alors le mois de décembre aura la température du mois de mars, et mars celle de juin, et ainsi de suite jusqu'à ce que, revenant au mois de mars, les choses se retrouvent dans l'état actuel, ce qui aura lieu dans 25,868 ans, pour recommencer la même révolution indéfiniment[3].
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La terre tournant autour du soleil en un an, à mesure qu'elle avance, le soleil se trouve chaque mois en face d'une nouvelle constellation. Ces constellations sont au nombre de douze, savoir : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, l'Ecrevisse, Le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau, les Poissons. On les appelle constellations zodiacales ou signes du zodiaque, et elles forment un cercle dans le plan de l'équateur terrestre. Selon le mois de la naissance d'un individu, on disait qu'il était né sous tel signe : de là les pronostics de l'astrologie. Mais, par suite de la précession des équinoxes, il arrive que les mois ne correspondent plus aux mêmes constellations ; tel, qui naît dans le mois de juillet, n'est plus dans le signe du Lion, mais dans celui de l'Ecrevisse. Ainsi tombe l'idée superstitieuse attachée à l'influence des signes. (Chap. V, n° 12.)
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[4] Le déplacement graduel des lignes isothermales, phénomène reconnu par la science d'une manière aussi positive que le déplacement de la mer, est un fait matériel à l'appui de cette théorie.
Ces conséquences sont :
1° L'échauffement et le refroidissement alternatif des pôles et par suite la fusion des glaces polaires pendant la moitié de la période de 25,000 ans, et leur formation à nouveau pendant l'autre moitié de cette période. D'où il résulterait que les pôles ne seraient point voués à une stérilité perpétuelle, mais jouiraient à tour de rôle des bienfaits de la fertilité.
2° Le déplacement graduel de la mer qui envahit peu à peu les terres, tandis qu'elle en découvre d'autres, pour les abandonner à nouveau et rentrer dans son ancien lit. Ce mouvement périodique, renouvelé indéfiniment, constituerait une véritable marée universelle de 25,000 ans.
La lenteur avec laquelle s'opère ce mouvement de la mer le rend presque imperceptible pour chaque génération ; mais il est sensible au bout de quelques siècles. Il ne peut causer aucun cataclysme subit, parce que les hommes se retirent, de génération en génération, à mesure que la mer avance, et ils avancent sur les terres d'où la mer se retire. C'est à cette cause, plus que probable, que quelques savants attribuent le retrait de la mer sur certaines côtes et son envahissement sur d'autres.
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Dans le golfe de Gascogne, entre le vieux Soulac et la tour de Cordouan, quand la mer est calme, on découvre au fond de l'eau des pans de muraille : ce sont les restes de l'ancienne et grande ville de Noviomagus, envahie par les flots en 580. Le rocher de Cordouan, qui étant alors relié au rivage, en est maintenant à 12 km.
Dans la mer de la Manche, sur la côte du Havre, la mer gagne chaque jour du terrain et mine les falaises de Sainte-Adresse, qui s'écroulent petit à petit. A 2 kilomètres de la côte, entre Sainte-Adresse et le cap de la Hève, existe le banc de l'Eclat, jadis à découvert et réuni à la terre ferme. D'anciens documents constatent que sur cet emplacement, où l'on navigue aujourd'hui, il y avait le village de Saint-Denis-chef-de-Caux. La mer ayant envahi le terrain au quatorzième siècle, l'église fut engloutie en 1378. On prétend qu'on en voit les restes au fond de l'eau par un temps calme.
Sur presque toute l'étendue du littoral de la Hollande, la mer n'est retenue qu'à force de digues, qui se rompent de temps en temps. L'ancien lac Flevo, réuni à la mer en 1225, forme aujourd'hui le golfe du Zuyderzée. Cette irruption de l'Océan engloutit plusieurs villages.
D'après cela, le territoire de Paris et de la France serait un jour de nouveau occupé par la mer, comme il l'a déjà été plusieurs fois, ainsi que le prouvent les observations géologiques. Les parties montagneuses formeront alors des îles, comme le sont maintenant Jersey, Guernesey et l'Angleterre, autrefois contiguës au continent.
On naviguera au-dessus des contrées que l'on parcourt aujourd'hui en chemin de fer ; les navires aborderont à Montmartre, au mont Valérien, aux coteaux de Saint-Cloud et de Meudon ; les bois et les forêts où l'on se promène seront ensevelis sous les eaux, recouverts de limons et peuplés de poissons au lieu d'oiseaux.
Le déluge biblique ne peut avoir eu cette cause, puisque l'invasion des eaux a été subite et leur séjour de courte durée, tandis qu'autrement elle a été de plusieurs milliers d'années, et durerait encore, sans que les hommes s'en fussent aperçus.
CATACLYSMES FUTURS
Il pourra certainement encore se produire des perturbations locales, par suite d'éruptions volcaniques, d'ouverture de quelques nouveaux volcans, d'inondations subites de certaines contrées ; quelques îles pourront sortir de la mer et d'autres s'y abîmer ; mais le temps des cataclysmes généraux, comme ceux qui ont marqué les grandes périodes géologiques, est passé. La terre a pris une assiette qui, sans être absolument invariable, met désormais le genre humain à l'abri des perturbations générales, à moins de causes inconnues, étrangères à notre globe, et que rien ne saurait faire prévoir.
Par leur nature fluidique, aujourd'hui bien constatée (chapitre VI, n° 28 et suiv.), un choc violent n'est pas à craindre : car, dans le cas où l'une d'elles rencontrerait la terre, ce serait cette dernière qui passerait à travers la comète, comme à travers un brouillard.
Leur queue n'est pas plus redoutable ; elle n'est que la réflexion de la lumière solaire dans l'immense atmosphère qui les environne, puisqu'elle est constamment dirigée du côté opposé au soleil, et change de direction suivant la position de cet astre. Cette matière gazeuse pourrait bien aussi, par suite de la rapidité de leur marche, former une sorte de chevelure comme le sillage à la suite d'un navire, ou la fumée d'une locomotive. Du reste, plusieurs comètes se sont déjà rapprochées de la terre sans y causer aucun dommage ; et, en raison de leur densité respective, la terre exercerait sur la comète une attraction plus grande que la comète sur la terre. Un reste de vieux préjugés peut seul inspirer des craintes sur leur présence[6].
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[6] La comète de 1861 a traversé la route de la terre à vingt-heures de distance en avant de celle-ci, qui a dû se trouver plongée dans son atmosphère, sans qu'il en soit résulté aucun accident.
La terre, cependant, aura une fin ; comment ? c'est ce qui est dans le domaine des conjectures ; mais, comme elle est encore loin de la perfection qu'elle peut atteindre, et de la vétusté qui serait un signe de déclin, ses habitants actuels sont assurés que ce ne sera pas de leur temps. (Chap. VI, n° 48 et suiv.).
ACCROISSEMENT OU DIMINUTION DU VOLUME DE LA TERRE
A l'appui de l'accroissement du volume de la terre, quelques personnes se fondent sur ce que les plantes rendent au sol plus qu'elles n'en tirent ce qui est vrai dans un sens et non dans l'autre. Les plantes se nourrissent autant, et même plus, des substances gazeuses qu'elles puisent dans l'atmosphère, que de celles qu'elles aspirent par leurs racines ; or, l'atmosphère fait partie intégrante du globe ; les gaz qui la constituent proviennent de la décomposition des corps solides, et ceux-ci, en se recomposant, lui reprennent ce qu'ils lui avaient donné. C'est un échange ou plutôt une transformation perpétuelle, de telle sorte que l'accroissement des végétaux et des animaux s'opérant à l'aide des éléments constitutifs du globe, leurs débris, quelque considérables qu'ils soient, n'ajoutent pas un atome à la masse. Si la partie solide du globe augmentait par cette cause d'une manière permanente, ce serait aux dépens de l'atmosphère qui diminuerait d'autant, et finirait par être impropre à la vie, si elle ne récupérait, par la décomposition des corps solides, ce qu'elle perd par leur composition.
A l'origine de la terre, les premières couches géologiques se sont formées des matières solides momentanément volatilisées par l'effet de la haute température, et qui, plus tard, condensées par le refroidissement, se sont précipitées. Elles ont incontestablement élevé quelque peu la surface du sol, mais sans rien ajouter à la masse totale, puisque ce n'était qu'un déplacement de matière. Lorsque l'atmosphère, purgée des éléments étrangers qu'elle tenait en suspension, s'est trouvée à son état normal, les choses ont suivi le cours régulier qu'elles ont eu depuis. Aujourd'hui, la moindre modification dans la constitution de l'atmosphère amènerait, forcément, la destruction des habitants actuels ; mais probablement aussi, il se formerait de nouvelles races dans d'autres conditions.
Considérée à ce point de vue, la masse du globe, c'est-à-dire la somme des molécules qui composent l'ensemble de ses parties solides, liquides et gazeuses, est incontestablement la même depuis son origine ; s'il éprouvait une dilatation ou une condensation, son volume augmenterait ou diminuerait, sans que la masse subît aucune altération. Si donc la terre augmentait de masse, ce serait par l'effet d'une cause étrangère, puisqu'elle ne pourrait puiser en elle-même les éléments nécessaires à son accroissement.
Selon une opinion, le globe augmenterait de masse et de volume par l'afflux de la matière cosmique interplanétaire. Cette idée n'a rien d'irrationnel, mais elle est trop hypothétique pour être admise en principe. Ce n'est qu'un système combattu par des systèmes contraires, sur lesquels la science n'est nullement fixée. Voici, sur ce sujet, l'opinion de l'éminent Esprit qui a dicté les savantes études uranographiques rapportées ci-dessus, au chapitre VI :
« Les mondes s'épuisent en vieillissant, et tendent à se dissoudre pour servir d'éléments de formation à d'autres univers. Ils rendent peu à peu au fluide cosmique universel de l'espace ce qu'ils en ont tiré pour se former. En outre, tous les corps s'usent par le frottement ; le mouvement rapide et incessant du globe à travers le fluide cosmique a pour effet d'en diminuer constamment la masse, bien que d'une quantité inappréciable dans un temps donné[7].
« L'existence des mondes peut, selon moi, se diviser en trois périodes. - Première période : condensation de la matière pendant laquelle le volume du globe diminue considérablement, la masse restant la même ; c'est la période de l'enfance. - Seconde période : contraction, solidification de l'écorce ; éclosion des germes, développement de la vie jusqu'à l'apparition du type le plus perfectible. A ce moment, le globe est dans toute sa plénitude, c'est l'âge de la virilité ; il perd, mais très peu, de ses éléments constitutifs. - A mesure que ses habitants progressent spirituellement, il passe à la période de décroissance matérielle ; il perd non seulement par suite du frottement, mais aussi par la désagrégation des molécules, comme une pierre dure qui, rongée par le temps, finit par tomber en poussière. Dans son double mouvement de rotation et de translation, il laisse à l'espace des parcelles fluidifiées de sa substance, jusqu'au moment où sa dissolution sera complète.
« Mais alors, comme la puissance attractive est en raison de la masse, je ne dis pas du volume, la masse du globe diminuant, ses conditions d'équilibre dans l'espace sont modifiées ; dominé par des globes plus puissants auxquels il ne peut plus faire contre-poids, il en résulte des déviations dans ses mouvements, et, par suite aussi, de profonds changements dans les conditions de la vie à sa surface. Ainsi : naissance, vie et mort ; ou enfance, virilité, décrépitude, telles sont les trois phases par lesquelles passe toute agglomération de matière organique ou inorganique ; l'Esprit seul, qui n'est point matière, est indestructible. »
(GALILEE, Société de Paris, 1868).
[7]Dans son mouvement de translation autour du soleil, la vitesse de la terre est de 400 lieues par minute. Sa circonférence étant de 9,000 lieues, dans son mouvement de rotation sur son axe, chaque point de l'équateur parcourt 9,000 lieues en 24 heures, ou 6,3 lieues par minute.
CHAPITRE X — Genèse organique
PREMIERE FORMATION DES ETRES VIVANTS
Cette dernière supposition est la plus probable ; on peut même dire qu'elle ressort de l'observation. En effet, l'étude des couches géologiques atteste la présence, dans les terrains de même formation, et cela dans des proportions énormes, de la même espèce sur les points les plus éloignés du globe. Cette multiplication si générale, et en quelque sorte contemporaine, eût été impossible avec un type primitif unique.
D'un autre côté, la vie d'un individu, surtout d'un individu naissant, est soumise à tant d'éventualités, que toute une création aurait pu être compromise, sans la pluralité des types, ce qui impliquerait une imprévoyance inadmissible de la part du souverain Créateur. D'ailleurs, si un type a pu se former sur un point, il peut s'en être formé sur plusieurs points par la même cause.
Tout concourt donc à prouver qu'il y a eu création simultanée et multiple des premiers couples de chaque espèce animale et végétale.
La combinaison de deux corps pour en former un troisième exige un concours particulier de circonstances : soit un degré déterminé de chaleur, de sécheresse ou d'humidité, soit le mouvement ou le repos, soit un courant électrique, etc. Si ces conditions n'existent pas, la combinaison n'a pas lieu.
Ainsi l'oxygène, combiné dans certaines proportions avec le carbone, le soufre, le phosphore, forme les acides carbonique, sulfurique, phosphorique ; l'oxygène et le fer forment l'oxyde de fer ou rouille ; l'oxygène et le plomb, tous les deux inoffensifs, donnent lieu aux oxydes de plomb, tels que la litharge, le blanc de céruse, le minium, qui sont vénéneux. L'oxygène, avec les métaux appelés calcium, sodium, potassium, forme la chaux, la soude, la potasse. La chaux unie à l'acide carbonique forme les carbonates de chaux ou pierres calcaires, telles que le marbre, la craie, la pierre à bâtir, les stalactites des grottes ; unie à l'acide sulfurique, elle forme le sulfate de chaux ou plâtre, et l'albâtre ; à l'acide phosphorique : le phosphate de chaux, base solide des os ; le chlore et l'hydrogène forment l'acide chlorhydrique ou hydrochlorique ; le chlore et le sodium forment le chlorure de sodium ou sel marin.
La terre, à son origine, ne contenait pas ces matières combinées, mais seulement leurs principes constituants volatilisés. Lorsque les terres calcaires et autres, devenues à la longue pierreuses, se sont déposées à sa surface, elles n'existaient point toutes formées ; mais dans l'air se trouvaient, à l'état gazeux, toutes les substances primitives ; ces substances, précipitées par l'effet du refroidissement, sous l'empire de circonstances favorables, se sont combinées suivant le degré de leur affinité moléculaire ; c'est alors que se sont formées les différentes variétés de carbonates, de sulfates, etc., d'abord en dissolution dans les eaux, puis déposés à la surface du sol.
Supposons que, par une cause quelconque, la terre revienne à son état d'incandescence primitive, tout cela se décomposerait ; les éléments se sépareraient ; toutes les substances fusibles se fondraient ; toutes celles qui sont volatilisables se volatiliseraient. Puis un second refroidissement amènerait une nouvelle précipitation, et les anciennes combinaisons se formeraient à nouveau.
Avant la connaissance des lois de l'affinité moléculaire, il était impossible de comprendre la formation de la terre. Cette science a éclairé la question d'un jour tout nouveau, comme l'astronomie et la géologie l'ont fait à d'autres points de vue.
La disposition régulière des cristaux tient à la forme particulière des molécules de chaque corps ; ces parcelles, infiniment petites pour nous, mais qui n'en occupent pas moins un certain espace, sollicitées les unes vers les autres par l'attraction moléculaire, s'arrangent et se juxtaposent, selon l'exigence de leur forme, de manière à prendre chacune sa place autour du noyau ou premier centre d'attraction et à former un ensemble symétrique.
La cristallisation ne s'opère que sous l'empire de certaines circonstances favorables, en dehors desquelles elles ne peut avoir lieu ; le degré de la température et le repos sont des conditions essentielles. On comprend qu'une trop forte chaleur, tenant les molécules écartées, ne leur permettrait pas de se condenser, et que l'agitation s'opposant à leur arrangement symétrique, elles ne formeraient qu'une masse confuse et irrégulière, et partant pas de cristallisation proprement dite.
L'analyse chimique nous montre toutes les substances végétales et animales composées des mêmes éléments que les corps inorganiques. Ceux de ces éléments qui jouent le principal rôle sont l'oxygène, l'hydrogène, l'azote et le carbone ; les autres ne s'y trouvent qu'accessoirement. Comme dans le règne minéral, la différence de proportion dans la combinaison de ces éléments produit toutes les variétés de substances organiques et leurs propriétés diverses, telles que : les muscles, les os, le sang, la bile, les nerfs, la matière cérébrale, la graisse chez les animaux ; la sève, le bois, les feuilles, les fruits, les essences, les huiles, les résines etc., dans les végétaux. Ainsi, dans la formation des animaux et des plantes, il n'entre aucun corps spécial qui ne se trouve également dans le règne minéral[1].
[1] Le tableau ci-après, de l'analyse de quelques substances, montre la différence des propriétés qui résulte de la seule différence dans la proportion des éléments constituants. Sur 100 parties :
Carbone | Hydrogène | Oxygène | Azote | |
Sucre de canne | 42.470 | 6.900 | 50.530 | - |
Sucre ce raisin | 36.710 | 6.780 | 56.510 | - |
Alcool | 51.980 | 13.700 | 34.320 | - |
Hulle d’olive | 77.210 | 13.360 | 9.430 | - |
Hulle de noix | 79.774 | 10.570 | 9.122 | 0,534 |
Graisse | 78.996 | 11.700 | 9.304 | - |
Fibrine | 53.360 | 7.021 | 19.686 | 19.934 |
Dans le jus du raisin, il n'y a encore ni vin ni alcool, mais simplement de l'eau et du sucre. Quand ce jus est arrivé à maturité et qu'il se trouve placé dans des circonstances propices, il s'y produit un travail intime, auquel on donne le nom de fermentation. Dans ce travail, une partie du sucre se décompose ; l'oxygène, l'hydrogène et le carbone se séparent et se combinent dans les proportions voulues pour faire de l'alcool ; de sorte qu'en buvant du jus de raisin, on ne boit réellement point d'alcool, puisqu'il n'existe pas encore ; il se forme des parties constituantes de l'eau et du sucre, sans qu'il y ait, en somme, une molécule de plus ni de moins.
Dans le pain et les légumes que l'on mange, il n'y a certainement ni chair, ni sang, ni os, ni bile, ni matière cérébrale, et cependant ces mêmes aliments vont, en se décomposant et se recomposant par le travail de la digestion, produire ces différentes substances par la seule transmutation de leurs éléments constitutifs.
Dans la graine d'un arbre, il n'y a non plus ni bois, ni feuilles, ni fleurs, ni fruits, et c'est une erreur puérile de croire que l'arbre entier, sous forme microscopique, se trouve dans la graine ; il n'y a même pas, à beaucoup près, dans cette graine, la quantité d'oxygène, d'hydrogène et de carbone nécessaire pour former une feuille de l'arbre. La graine renferme un germe qui éclôt quand elle se trouve dans des conditions favorables ; ce germe grandit par les sucs qu'il puise dans la terre et les gaz qu'il aspire de l'air ; ces sucs, qui ne sont ni du bois, ni des feuilles, ni des fleurs, ni des fruits, en s'infiltrant dans la plante, en forment la sève, comme les aliments, chez les animaux, forment le sang. Cette sève, portée par la circulation dans toutes les parties du végétal, selon les organes où elle aboutit et où elle subit une élaboration spéciale, se transforme en bois, feuilles, fruits, comme le sang se transforme en chair, os, bile, etc., etc., et cependant ce sont toujours les mêmes éléments : oxygène, hydrogène, azote et carbone, diversement combinés.
Puisque les éléments constitutifs des êtres organiques et des êtres inorganiques sont les mêmes ; que nous les voyons incessamment, sous l'empire de certaines circonstances, former les pierres, les plantes et les fruits, on peut en conclure que les corps des premiers êtres vivants se sont formés, comme les premières pierres, par la réunion des molécules élémentaires en vertu de la loi d'affinité, à mesure que les conditions de la vitalité du globe ont été propices à telle ou telle espèce.
La similitude de forme et de couleurs, dans la reproduction des individus de chaque espèce, peut être comparée à la similitude de forme de chaque espèce de cristal. Les molécules, se juxtaposant sous l'empire de la même loi, produisent un ensemble analogue.
PRINCIPE VITAL
Sans parler du principe intelligent, qui est une question à part, il y a dans la matière organique un principe spécial, insaisissable, et qui n'a pas pu encore être défini : c'est le principe vital. Ce principe, qui est actif chez l'être vivant, est éteint chez l'être mort, mais il n'en donne pas moins à la substance des propriétés caractéristiques qui la distinguent des substances inorganiques. La chimie, qui décompose et recompose la plupart des corps inorganiques, a pu décomposer corps organiques, mais n'est jamais parvenue à reconstituer même une feuille morte, preuve évidente qu'il y a dans ceux-ci quelque chose qui n'existe pas dans les autres.
Mais, quelle que soit l'opinion que l'on se fasse sur la nature du principe vital, il existe, puisqu'on en voit les effets. On peut donc admettre logiquement qu'en se formant, les êtres organiques se sont assimilés le principe vital qui était nécessaire à leur destination ; ou, si l'on veut, que ce principe s'est développé dans chaque individu par l'effet même de la combinaison des éléments, comme on voit, sous l'empire de certaines circonstances, se développer la chaleur, la lumière et l'électricité.
L'activité du principe vital est entretenue pendant la vie par l'action du jeu des organes, comme la chaleur par le mouvement de rotation d'une roue ; que cette action cesse par la mort, le principe vital s'éteint comme la chaleur, quand la roue cesse de tourner. Mais l'effet produit sur l'état moléculaire du corps par le principe vital subsiste après l'extinction de ce principe, comme la carbonisation du bois persiste après l'extinction de la chaleur. Dans l'analyse des corps organiques, la chimie retrouve bien les éléments constituants : oxygène, hydrogène, azote et carbone, mais elle ne peut les reconstituer, parce que la cause n'existant plus, elle ne peut reproduire l'effet, tandis qu'elle peut reconstituer une pierre.
GENERATION SPONTANEE.
La question de la génération spontanée, qui préoccupe aujourd'hui la science, bien qu'encore diversement résolue, ne peut manquer de jeter la lumière sur ce sujet. Le problème proposé est celui-ci : Se forme-t-il spontanément de nos jours des êtres organiques par la seule union des éléments constitutifs, sans germes préalables produits de la génération ordinaire, autrement dit sans pères ni mères ?
Les partisans de la génération spontanée répondent affirmativement et s'appuient sur des observations directes qui semblent concluantes. D'autres pensent que tous les êtres vivants se reproduisent les uns par les autres, et s'appuient sur ce fait, constaté par l'expérience, que les germes de certaines espèces végétales et animales, étant dispersés, peuvent conserver une vitalité latente pendant un temps considérable, jusqu'à ce que les circonstances soient favorables à leur éclosion. Cette opinion laisse toujours subsister la question de la formation des premiers types de chaque espèce.
Ici s'arrêtent pour le moment les investigations ; le fil conducteur se perd, et, jusqu'à ce qu'il soit trouvé, le champ est ouvert aux hypothèses ; il serait donc imprudent et prématuré de donner des systèmes pour des vérités absolues.
Dans l'état actuel de nos connaissances, nous ne pouvons poser la théorie de la génération spontanée permanente que comme une hypothèse, mais comme une hypothèse probable, et qui, peut-être, un jour prendra rang parmi les vérités scientifiques reconnues[2].
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[2]Revue spirite, juillet 1868, page 201 : Développement de la théorie de la génération spontanée.
ECHELLE DES ETRES ORGANIQUES
Comme les animaux, les plantes naissent, vivent, croissent, se nourrissent, respirent, se reproduisent et meurent. Comme eux, pour vivre, elles ont besoin de lumière, de chaleur et d'eau ; si elles en sont privées, elles s'étiolent et meurent ; l'absorption d'un air vicié et de substances délétères les empoisonne. Leur caractère distinctif le plus tranché est d'être attachées au sol et d'y puiser leur nourriture sans déplacement.
Le zoophyte a l'apparence extérieure de la plante ; comme plante, il tient au sol ; comme animal, la vie chez lui est plus accentuée ; il puise sa nourriture dans le milieu ambiant.
Un degré au-dessus, l'animal est libre et va chercher sa nourriture : ce sont d'abord les innombrables variétés de polypes au corps gélatineux, sans organes bien distincts, et qui ne diffèrent des plantes que par la locomotion ; puis viennent, dans l'ordre du développement des organes, de l'activité vitale et de l'instinct : les helminthes ou vers intestinaux ; les mollusques, animaux charnus sans os, dont les uns sont nus, comme les limaces, les poulpes ou pieuvres, les autres sont pourvus de coquilles, comme les limaçons, les huîtres ; les crustacés, dont la peau est revêtue d'une croûte dure, comme les écrevisses, les homards ; les insectes, chez lesquels la vie prend une activité prodigieuse et se manifeste l'instinct industrieux, comme la fourmi, l'abeille, l'araignée. Quelques-uns subissent une métamorphose, comme la chenille, qui se transforme en élégant papillon. Vient ensuite l'ordre des vertébrés, animaux à charpente osseuse, qui comprend les poissons, les reptiles, les oiseaux, et enfin les mammifères, dont l'organisation est la plus complète.
D'après cela, on comprend qu'il n'y ait de génération spontanée que pour les êtres organiques élémentaires ; les espèces supérieures seraient le produit des transformations successives de ces mêmes êtres, à mesure que les conditions climatériques y auraient été propices. Chaque espèce acquérant la faculté de se reproduire, les croisements ont amené d'innombrables variétés ; et puis, une fois l'espèce installée, dans des conditions de vitalité durable, qui dit que les germes primitifs d'où elle est sortie n'ont pas disparu comme inutiles désormais ? qui dit que notre ciron actuel soit le même que celui qui, de transformation en transformation, a produit l'éléphant ? Ainsi s'expliquerait pourquoi il n'y a pas de génération spontanée parmi les animaux à organisation complexe.
Cette théorie, sans être admise d'une manière définitive, est celle qui tend évidemment à prédominer aujourd'hui dans la science ; elle est acceptée par les observateurs sérieux comme la plus rationnelle.
L'HOMME CORPOREL
Mais plus le corps diminue de valeur à ses yeux, plus le principe spirituel grandit en importance ; si le premier le met au niveau de la brute, le second l'élève à une hauteur incommensurable. Nous voyons le cercle où s'arrête l'animal : nous ne voyons pas la limite où peut atteindre l'Esprit de l'homme.
Le Spiritisme marche de conserve avec le matérialisme sur le terrain de la matière ; il admet tout ce que celui-ci admet ; mais là où ce dernier s'arrête, le Spiritisme va au-delà. Le Spiritisme et le matérialisme sont comme deux voyageurs qui cheminent ensemble en partant d'un même point ; arrivés à une certaine distance, l'un dit : « Je ne puis aller plus loin ; » l'autre continue sa route et découvre un monde nouveau. Pourquoi donc le premier dit-il que le second est fou, parce que celui-ci, entrevoyant de nouveaux horizons, veut franchir la limite où il convient à l'autre de s'arrêter ! Christophe Colomb ne fut-il pas aussi traité de fou, parce qu'il croyait à un monde au delà de l'Océan ? Combien l'histoire ne compte-t-elle pas de ces fous sublimes qui ont fait avancer l'humanité, auxquels on tresse des couronnes après leur avoir jeté de la boue ?
Eh bien ! le Spiritisme, cette folie du dix-neuvième siècle, selon ceux qui veulent rester au rivage terrestre, nous découvre tout un monde, monde bien autrement important pour l'homme que l'Amérique, car tous les hommes ne vont pas en Amérique, tandis que tous, sans exception, vont dans celui des Esprits, faisant d'incessantes traversées de l'un à l'autre.
Arrivés au point où nous en sommes de la Genèse, le matérialisme s'arrête, tandis que le Spiritisme poursuit ses recherches dans le domaine de la Genèse spirituelle.
CHAPITRE XI — Genèse spirituelle.
PRINCIPE SPIRITUEL
Selon le principe : « Tout effet ayant une cause, tout effet intelligent doit avoir une cause intelligente » il n'est personne qui ne fasse la différence entre le mouvement mécanique d'une cloche agitée par le vent, et le mouvement de cette même cloche destiné à donner un signal, un avertissement, attestant par cela même une pensée, une intention. Or, comme il ne peut venir à l'idée de personne d'attribuer la pensée à la matière de la cloche, on en conclut qu'elle est mue par une intelligence à laquelle elle sert d'instrument pour se manifester.
Pour la même raison, personne n'a l'idée d'attribuer la pensée au corps d'un homme mort. Si l'homme vivant pense, c'est donc qu'il y a en lui quelque chose qui n'y est plus quand il est mort. La différence qui existe entre lui et la cloche, c'est que l'intelligence qui fait mouvoir celle-ci est en dehors d'elle, tandis que celle qui fait agir l'homme est en lui-même.
Sans la survivante de l'être pensant, les souffrances de la vie seraient, de la part de Dieu, une cruauté sans but. Voilà pourquoi le matérialisme et l'athéisme sont les corollaires l'un de l'autre ; niant la cause, ils ne peuvent admettre l'effet ; niant l'effet, ils ne peuvent admettre la cause. Le matérialisme est donc conséquent avec lui-même, s'il ne l'est pas avec la raison.
A l'idée intuitive et à la puissance du raisonnement, le Spiritisme vient ajouter la sanction des faits, la preuve matérielle de l'existence de l'être spirituel, de sa survivance, de son immortalité et de son individualité ; il précise et définit ce que cette pensée avait de vague et d'abstrait. Il nous montre l'être intelligent agissant en dehors de la matière, soit après pendant la vie du corps.
Partant, comme toujours, de l'observation des faits, nous dirons que, si le principe vital était inséparable du principe intelligent, il y aurait quelque raison de les confondre ; mais puisqu'on voit des êtres qui vivent et qui ne pensent point, comme les plantes ; des corps humains être encore animés de la vie organique alors qu'il n'existe plus aucune manifestation de la pensée ; qu'il se produit dans l'être vivant des mouvements vitaux indépendants de tout acte de la volonté ; que pendant le sommeil la vie organique est dans toute son activité, tandis que la vie intellectuelle ne se manifeste par aucun signe extérieur, il y a lieu d'admettre que la vie organique réside dans un principe inhérent à la matière, indépendant de la vie spirituelle qui est inhérente à l'Esprit. Dès lors que la matière a une vitalité indépendante de l'Esprit, et que l'Esprit a une vitalité indépendante de la matière, il demeure évident que cette double vitalité repose sur deux principes différents (Chap. X, n° 16 à 19).
S'il en était ainsi, le principe spirituel subirait les vicissitudes de la matière ; il s'éteindrait par la désagrégation comme le principe vital ; l'être intelligent n'aurait qu'une existence momentanée comme le corps, et à la mort il rentrerait dans le néant, ou, ce qui reviendrait au même, dans le tout universel ; ce serait, en un mot, la sanction des doctrines matérialistes.
Les propriétés sui generis qu'on reconnaît au principe spirituel prouvent qu'il a son existence propre, indépendante, puisque, s'il avait son origine dans la matière, il n'aurait pas ces propriétés. Dès lors que l'intelligence et la pensée ne peuvent être des attributs de la matière, on arrive à cette conclusion, en remontant des effets aux causes, que l'élément matériel et l'élément spirituel sont deux principes constitutifs de l'univers. L'élément spirituel individualisé constitue les êtres appelés Esprits, comme l'élément matériel individualisé constitue les différents corps de la nature, organiques et inorganiques.
Ici, les moyens d'investigation font absolument défaut, comme dans tout ce qui tient au principe des choses. L'homme ne peut constater que ce qui existe ; sur tout le reste, il ne peut émettre que des hypothèses ; et, soit que cette connaissance dépasse la portée de son intelligence actuelle, soit qu'il y ait pour lui inutilité ou inconvénient à la posséder pour le moment, Dieu ne la lui donne pas, même par la révélation.
Ce que Dieu lui fait dire par ses messagers, et ce que d'ailleurs l'homme pouvait déduire lui-même du principe de la souveraine justice qui est un des attributs essentiels de la Divinité, c'est que tous ont un même point de départ ; que tous sont créés simples et ignorants, avec une égale aptitude pour progresser par leur activité individuelle ; que tous atteindront le degré de perfection compatible avec la créature par leurs efforts personnels ; que tous, étant les enfants d'un même Père, sont l'objet d'une égale sollicitude ; qu'il n'en est aucun de plus favorisé ou mieux doué que les autres, et dispensé du travail qui serait imposé à d'autres pour atteindre le but.
Avant que la terre fût, des mondes avaient succédé aux mondes, et lorsque la terre sortit du chaos des éléments, l'espace était peuplé d'êtres spirituels à tous les degrés d'avancement, depuis ceux qui naissaient à la vie, jusqu'à ceux qui, de toute éternité, avaient pris rang parmi les purs Esprits, vulgairement appelés les anges.
UNION DU PRINCIPE SPIRITUEL ET DE LA MATIERE.
Le corps est donc en même temps l'enveloppe et l'instrument de l'Esprit, et à mesure que celui-ci acquiert de nouvelles aptitudes, il revêt une enveloppe appropriée au nouveau genre de travail qu'il doit accomplir, comme on donne à un ouvrier des outils moins grossiers à mesure qu'il est capable de faire un ouvrage plus soigné.
A ne considérer que la matière, et en faisant abstraction de l'Esprit, l'homme n'a donc rien qui le distingue de l'animal ; mais tout change d'aspect si l'on fait une distinction entre l'habitation et l'habitant.
Un grand seigneur, sous le chaume ou vêtu de la bure du paysan, ne s'en trouve pas moins grand seigneur. Il en est de même de l'homme ; ce n'est pas son vêtement de chair qui l'élève au-dessus de la brute et en fait un être à part, c'est son être spirituel, son Esprit.
HYPOTHESE SUR L'ORIGINE DU CORPS HUMAIN
Il est bien entendu qu'il ne s'agit ici que d'une hypothèse qui n'est nullement posée en principe, mais donnée seulement pour montrer que l'origine du corps ne préjudicie pas à l'Esprit qui est l'être principal, et que la similitude du corps de l'homme avec le corps du singe n'implique pas la parité entre son Esprit et celui du singe.
Comme il n'y a pas de transitions brusques dans la nature, il est probable que les premiers hommes qui ont paru sur la terre ont dû peu différer du singe pour la forme extérieure, et sans doute pas beaucoup non plus pour l'intelligence. Il y a encore de nos jours des sauvages qui, par la longueur des bras et des pieds, et la conformation de la tête, ont tellement les allures du singe, qu'il ne leur manque que d'être velus pour compléter la ressemblance.
INCARNATION DES ESPRITS
L'Esprit, par son essence spirituelle, est un être indéfini, abstrait, qui ne peut avoir une action directe sur la matière ; il lui fallait un intermédiaire ; cet intermédiaire est dans l'enveloppe fluidique qui fait en quelque sorte partie intégrante de l'Esprit, enveloppe semi-matérielle, c'est-à-dire tenant de la matière par son origine et de la spiritualité par sa nature éthérée ; comme toute matière, elle est puisée dans le fluide cosmique universel, qui subit en cette circonstance une modification spéciale. Cette enveloppe, désignée sous le nom de périsprit, d'un être abstrait, fait de l'Esprit un être concret, défini, saisissable par la pensée ; elle le rend apte à agir sur la matière tangible, de même que tous les fluides impondérables, qui sont, comme on le sait, les plus puissants moteurs.
Le fluide périsprital est donc le trait d'union entre l'Esprit et la matière. Durant son union avec le corps, c'est le véhicule de sa pensée pour transmettre le mouvement aux différentes parties de l'organisme qui agissent sous l'impulsion de sa volonté, et pour répercuter dans l'Esprit les sensations produites par les agents extérieurs. Il a pour fils conducteurs les nerfs, comme dans le télégraphe le fluide électrique a pour conducteur le fil métallique.
Par un effet contraire, cette union du périsprit et de la matière charnelle, qui s'était accomplie sous l'influence du principe vital du germe, quand ce principe cesse d'agir par suite de la désorganisation du corps, l'union, qui n'était maintenue que par une force agissante, cesse quand cette force cesse d'agir ; alors le périsprit se dégage, molécule à molécule, comme il s'était uni, et l'Esprit est rendu à la liberté. Ainsi, ce n'est pas le départ de l'Esprit qui cause la mort du corps, mais la mort du corps qui cause le départ de l'Esprit.
Dès l'instant qu'après la mort, l'intégrité de l'Esprit est entière ; que ses facultés acquièrent même une plus grande pénétration, tandis que le principe de vie est éteint dans le corps, c'est la preuve évidente que le principe vital et le principe spirituel sont deux choses distinctes.
Selon l'opinion de quelques philosophes spiritualistes, le principe intelligent, distinct du principe matériel, s'individualise, s'élabore, en passant par les divers degrés de l'animalité ; c'est là que l'âme s'essaie à la vie et développe ses premières facultés par l'exercice ; ce serait, pour ainsi dire, son temps d'incubation. Arrivée au degré de développement que comporte cet état, elle reçoit les facultés spéciales qui constituent l'âme humaine. Il y aurait ainsi filiation spirituelle de l'animal à l'homme, comme il y a filiation corporelle.
Ce système, fondé sur la grande loi d'unité qui préside à la création, répond, il faut en convenir, à la justice et à la bonté du Créateur ; il donne une issue, un but, une destinée aux animaux, qui ne sont plus des êtres déshérités, mais qui trouvent, dans l'avenir qui leur est réservé, une compensation à leurs souffrances. Ce qui constitue l'homme spirituel, ce n'est pas son origine, mais les attributs spéciaux dont il est doué à son entrée dans l'humanité, attributs qui le transforment et en font un être distinct, comme le fruit savoureux est distinct de la racine amère d'où il est sorti. Pour avoir passé par la filière de l'animalité, l'homme n'en serait pas moins homme ; il ne serait pas plus animal que le fruit n'est racine, que le savant n'est l'informe foetus par lequel il a débuté dans le monde.
Mais ce système soulève de nombreuses questions dont il n'est pas opportun de discuter ici le pour et le contre, non plus que d'examiner les différentes hypothèses qui ont été faites à ce sujet. Sans donc rechercher l'origine de l'âme, et les filières par lesquelles elle a pu passer, nous la prenons à son entrée dans l'humanité, au point où, douée du sens moral et du libre arbitre, elle commence à encourir la responsabilité de ses actes.
Dans l'intervalle de ses incarnations, l'Esprit progresse également, en ce sens qu'il met à profit, pour son avancement, les connaissances et l'expérience acquises durant la vie corporelle ; il examine ce qu'il a fait pendant son séjour terrestre, passe en revue ce qu'il a appris, reconnaît ses fautes, dresse ses plans, et prend les résolutions d'après lesquelles il compte se guider dans une nouvelle existence en tâchant de faire mieux. C'est ainsi que chaque existence est un pas en avant dans la vie du progrès, une sorte d'école d'application.
A mesure que l'Esprit progresse moralement, il se dématérialise, c'est-à-dire que, se soustrayant à l'influence de la matière, il s'épure ; sa vie se spiritualise, ses facultés et ses perceptions s'entendent ; son bonheur est en raison du progrès accompli. Mais, comme il agit en vertu de son libre arbitre, il peut, par négligence ou mauvais vouloir, retarder son avancement ; il prolonge, par conséquent, la durée de ses incarnations matérielles qui deviennent alors pour lui une punition, puisque, par sa faute, il reste dans les rangs inférieurs, obligé de recommencer la même tâche. Il dépend donc de l'Esprit d'abréger, par son travail d'épuration sur lui-même, la durée de la période des incarnations.
Ainsi tous les Esprits, incarnés ou désincarnés, à quelque degré de la hiérarchie qu'ils appartiennent, depuis le plus petit jusqu'au plus grand, ont leurs attributions dans le grand mécanisme de l'univers : tous sont utiles à l'ensemble, en même temps qu'ils sont utiles à eux-mêmes ; aux moins avancés, comme à de simples manoeuvres, incombe une tâche matérielle, d'abord inconsciente, puis graduellement intelligente. Partout l'activité dans le monde spirituel, nulle part l'inutile oisiveté.
La collectivité des Esprits est en quelque sorte l'âme de l'univers ; c'est l'élément spirituel qui agit en tout et partout, sous l'impulsion de la pensée divine. Sans cet élément, il n'y a que la matière inerte, sans but, sans intelligence, sans autre moteur que les forces matérielles qui laissent une foule de problèmes insolubles ; par l'action de l'élément spirituel individualisé, tout a un but, une raison d'être, tout s'explique ; voilà pourquoi sans la spiritualité, on se heurte à des difficultés insurmontables.
Ces Esprits de sauvages, cependant, appartiennent aussi à l'humanité ; ils atteindront un jour le niveau de leurs aînés, mais ce ne sera certainement pas dans les corps de la même race physique, impropres à un certain développement intellectuel et moral. Quand l'instrument ne sera plus en rapport avec leur développement, ils émigreront de ce milieu pour s'incarner dans un degré supérieur, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'ils aient conquis tous les grades terrestres, après quoi ils quitteront la terre pour passer dans des mondes de plus en plus avancés (Revue spirite, avril 1862, page 97 : Perfectibilité de la race nègre).
REINCARNATIONS
Dites, au contraire, que les âmes d'aujourd'hui ont déjà vécu dans les temps reculés ; qu'elles ont pu être barbares comme leur siècle, mais qu'elles ont progressé ; qu'à chaque nouvelle existence, elles apportent l'acquis des existences antérieures ; que, par conséquent, les âmes des temps civilisés sont des âmes non pas créées plus parfaites, mais qui se sont perfectionnées elles-mêmes avec le temps, et vous aurez la seule explication plausible de la cause du progrès social (Livre des Esprits, chap. IV et V).
Cette doctrine serait admissible, si tous les habitants de la terre étaient exactement au même niveau intellectuel et moral ; ils ne pourraient alors progresser qu'en allant dans un autre monde, et leur réincarnation sur la terre serait sans utilité, or Dieu ne fait rien d'inutile. Dès l'instant qu'on y trouve tous les degrés d'intelligence et de moralité, depuis la sauvagerie qui côtoie l'animal jusqu'à la civilisation la plus avancée, elle offre un vaste champ au progrès ; on se demanderait pourquoi le sauvage serait obligé d'aller chercher ailleurs le degré au-dessus de lui quand il le trouve à côté de lui, et ainsi de proche en proche ; pourquoi l'homme avancé n'aurait pu faire ses premières étapes que dans des mondes inférieurs, alors que les analogues de tous ces mondes sont autour de lui, qu'il y a différents degrés d'avancement, non seulement de peuple à peuple, mais dans le même peuple et dans la même famille ? S'il en était ainsi, Dieu aurait fait quelque chose d'inutile en plaçant côte à côte l'ignorance et le savoir, la barbarie et la civilisation, le bien et la mal, tandis que c'est précisément ce contact qui fait avancer les retardataires.
Il n'y a donc pas plus de nécessité à ce que les hommes changent de monde à chaque étape, qu'il y en a pour qu'un écolier change de collège à chaque classe ; loin que cela fût un avantage pour le progrès, ce serait une entrave, car l'Esprit serait privé de l'exemple que lui offre la vue des degrés supérieurs, et de la possibilité de réparer ses torts dans le même milieu et à l'égard de ceux qu'il a offensés, possibilité qui est pour lui le plus puissant moyen d'avancement moral. Après une courte cohabitation, les Esprits se dispersant et devenant étrangers les uns aux autres, les liens de famille et d'amitié, n'ayant pas eu le temps de se consolider, seraient rompus.
A l'inconvénient moral se joindrait un inconvénient matériel. La nature des éléments, les lois organiques, les conditions d'existence, varient selon les mondes ; sous ce rapport, il n'y en a pas deux qui soient parfaitement identiques. Nos traités de physique, de chimie, d'anatomie, de médecine, de botanique, etc., ne serviraient à rien dans les autres mondes, et cependant ce que l'on y apprend n'est pas perdu ; non seulement cela développe l'intelligence, mais les idées que l'on y puise aident à en acquérir de nouvelles (Chap. VI, n° 61 et suiv.). Si l'Esprit ne faisait qu'une seule apparition, souvent de courte durée, dans le même monde, à chaque migration il se trouverait dans des conditions toutes différentes ; il opérerait chaque fois sur des éléments nouveaux, avec des forces et selon des lois inconnues pour lui, avant d'avoir eu le temps d'élaborer les éléments connus, de les étudier, de s'y exercer. Ce serait chaque fois un nouvel apprentissage à faire, et ces changements incessants seraient un obstacle au progrès. L'Esprit doit donc rester sur le même monde jusqu'à ce qu'il y ait acquis la somme de connaissances et le degré de perfection que comporte ce monde (N° 31).
Que les Esprits quittent pour un monde plus avancé celui sur lequel ils ne peuvent plus rien acquérir, cela doit être et cela est ; tel est le principe. S'il en est qui le quittent auparavant, c'est sans doute par des causes individuelles que Dieu pèse dans sa sagesse.
Tout a un but dans la création, sans quoi Dieu ne serait ni prudent, ni sage ; or, si la terre ne doit être qu'une seule étape pour le progrès de chaque individu, quelle utilité y aurait-il pour les enfants qui meurent en bas âge d'y venir passer quelques années, quelques mois, quelques heures, pendant lesquelles ils n'y peuvent rien acquérir ? Il en est de même pour les idiots et les crétins. Une théorie n'est bonne qu'à la condition de résoudre toutes les questions qui s'y rattachent. La question des morts prématurées a été une pierre d'achoppement pour toutes les doctrines, excepté pour la doctrine spirite, qui seule l'a résolue d'une manière rationnelle et complète.
Pour ceux qui fournissent sur la terre une carrière normale, il y a, pour leur progrès, un avantage réel à se retrouver dans le même milieu, pour y continuer ce qu'ils ont laissé inachevé, souvent dans la même famille ou en contact avec les mêmes personnes, pour réparer le mal qu'ils ont pu faire, ou pour y subir la peine du talion.
EMIGRATION ET IMMIGRATION DES ESPRITS.
Les rénovations rapides et presque instantanées qui s'opèrent dans l'élément spirituel de la population, par suite des fléaux destructeurs, hâtent le progrès social ; sans les émigrations et les immigrations qui viennent de temps à autre lui donner une violente impulsion, il marcherait avec une extrême lenteur.
Il est remarquable que toutes les grandes calamités qui déciment les populations sont toujours suivies d'une ère de progrès dans l'ordre physique, intellectuel ou moral, et par suite dans l'état social des nations chez lesquelles elles s'accomplissent. C'est qu'elles ont pour but d'opérer un remaniement dans la population spirituelle, qui est la population normale et active du globe.
RACE ADAMIQUE
La race adamique, plus avancée que celles qui l'avaient précédée sur la terre, est en effet la plus intelligente ; c'est elle qui pousse toutes les autres, au progrès. La Genèse nous la montre, dès ses débuts, industrieuse, apte aux arts et aux sciences, sans avoir passé par l'enfance intellectuelle, ce qui n'est pas le propre des races primitives, mais ce qui concorde avec l'opinion qu'elle se composait d'Esprits ayant déjà progressé. Tout prouve qu'elle n'est pas ancienne sur la terre, et rien ne s'oppose à ce qu'elle n'y soit que depuis quelques milliers d'années, ce qui ne serait en contradiction ni avec les faits géologiques, ni avec les observations anthropologiques, et tendrait au contraire à les confirmer.
Au point de vue physiologique, certaines races présentent des types particuliers caractéristiques qui ne permettent pas de leur assigner une origine commune. Il y a des différences qui ne sont évidemment pas l'effet du climat, puisque les blancs qui se reproduisent dans le pays des nègres ne deviennent pas noirs, et réciproquement. L'ardeur du soleil grille et brunit l'épiderme, mais n'a jamais transformé un blanc en nègre, aplati le nez, changé la forme des traits de la physionomie, ni rendu crépus et laineux des cheveux longs et soyeux. On sait aujourd'hui que la couleur du nègre provient d'un tissu particulier sous-cutané qui tient à l'espèce.
Il faut donc considérer les races nègres, mongoliques, caucasiques, comme ayant leur origine propre et ayant pris naissance simultanément ou successivement sur différentes parties du globe ; leur croisement a produit les races mixtes secondaires. Les caractères physiologiques des races primitives sont l'indice évident qu'elles proviennent de types spéciaux. Les mêmes considérations existent donc pour l'homme comme pour les animaux, quant à la pluralité des souches (Chap. X, n° 2 et suiv.).
Sans parler de la chronologie chinoise, qui remonte, dit-on, à trente mille ans, des documents plus authentiques attestent que l'Egypte, l'Inde et d'autres contrées étaient peuplées et florissantes au moins trois mille ans avant l'ère chrétienne, mille ans, par conséquent, après la création du premier homme, selon la chronologie biblique. Des documents et des observations récentes ne laissent aucun doute aujourd'hui sur les rapports qui ont existé entre l'Amérique et les anciens Egyptiens ; d'où il faut conclure que cette contrée était déjà peuplée à cette époque. Il faudrait donc admettre qu'en mille ans la postérité d'un seul homme a pu couvrir la plus grande partie de la terre ; or une telle fécondité serait contraire à toutes les lois anthropologiques[1].
« Il est convenable de ne point publier avant le temps les découvertes faites au point de vue de l'histoire de l'homme par la récente expédition scientifique du Mexique ; cependant rien ne s'oppose à ce que le public sache, dès aujourd'hui, que l'exploration a signalé l'existence d'un grand nombre de villes effacées par le temps, mais que la pioche et l'incendie peuvent tirer de leur linceul. Les fouilles ont partout mis à découvert trois couches de civilisation qui semblent donner au monde américain une antiquité fabuleuse ».
C'est ainsi que chaque jour la science vient donner le démenti des faits à la doctrine qui limite à 6.000 ans l'apparition de l'homme sur la terre, et prétend le faire sortir d'une souche unique.
Remarquons, en passant, que les Egyptiens accueillirent les Hébreux comme des étrangers ; il serait étonnant qu'ils eussent perdu le souvenir d'une communauté d'origine aussi rapprochée, alors qu'ils conservaient religieusement les monuments de leur histoire.
Une rigoureuse logique, corroborée par les faits, démontre donc de la manière la plus péremptoire que l'homme est sur la terre depuis un temps indéterminé, bien antérieur à l'époque assignée par la Genèse. Il en est de même de la diversité des souches primitives ; car démontrer l'impossibilité d'une proposition, c'est démontrer la proposition contraire. Si la géologie découvre des traces authentiques de la présence de l'homme avant la grande période diluvienne, la démonstration sera encore plus absolue.
DOCTRINE DES ANGES DECHUS ET DU PARADIS PERDU[2].
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[2] Lorsque, dans la Revue de janvier 1862, nous avons publié un article sur l'interprétation de la doctrine des anges déchus, nous n'avons présenté cette théorie que comme une hypothèse, n'ayant que l'autorité d'une opinion personnelle controversable, parce qu'alors nous manquions d'éléments assez complets pour une affirmation absolue ; nous l'avons donnée à titre d'essai, en vue d'en provoquer l'examen, bien déterminé à l'abandonner ou à la modifier s'il y avait lieu. Aujourd'hui, cette théorie a subi l'épreuve du contrôle universel ; non seulement elle a été accueillie par la grande majorité des Spirites comme la plus rationnelle et la plus conforme à la souveraine justice de Dieu, mais elle a été confirmée par la généralité des instructions données par les Esprits sur ce sujet. Il en est de même de celle qui concerne l'origine de la race adamique.
Lors donc qu'un monde est arrivé à l'une de ses périodes de transformation qui doit le faire monter dans la hiérarchie, des mutations s'opèrent dans sa population incarnée et désincarnée ; c'est alors qu'ont lieu les grandes émigrations et immigrations (n° 34, 35). Ceux qui, malgré leur intelligence et leur savoir, ont persévéré dans le mal, dans leur révolte contre Dieu et ses lois, seraient désormais une entrave pour le progrès moral ultérieur, une cause permanente de trouble pour le repos et le bonheur des bons, c'est pourquoi ils en sont exclus et envoyés dans des mondes moins avancés ; là ils appliqueront leur intelligence et l'intuition de leurs connaissances acquises au progrès de ceux parmi lesquels ils sont appelés à vivre, en même temps qu'ils expieront, dans une série d'existences pénibles et par un dur travail, leurs fautes passées et leur endurcissement volontaire.
Que seront-ils parmi ces peuplades, nouvelles pour eux, encore dans l'enfance de la barbarie, sinon des anges ou Esprits déchus envoyés en expiation ? La terre dont ils sont expulsés n'est-elle pas pour eux un paradis perdu ? n'était-elle pas pour eux un lieu de délices, en comparaison du milieu ingrat où ils vont se trouver relégués pendant des milliers de siècles, jusqu'au jour où ils auront mérité leur délivrance ? Le vague souvenir intuitif qu'ils en conservent est pour eux comme un mirage lointain qui leur rappelle ce qu'ils ont perdu par leur faute.
Ces mutations sont quelquefois partielles, c'est-à-dire limitées à un peuple, à une race ; d'autres fois, elles sont générales, quand la période de rénovation est arrivée pour le globe.
En reléguant cette race sur cette terre de labeur et de souffrances, Dieu a eu raison de lui dire : « Tu en tireras ta nourriture à la sueur de ton front. » Dans sa mansuétude, il lui a promis qu'il lui enverrait un Sauveur, c'est-à-dire celui qui devait l'éclairer sur la route à suivre pour sortir de ce lieu de misère, de cet enfer, et arriver à la félicité des élus. Ce Sauveur, il le lui a envoyé dans la personne du Christ, qui a enseigné la loi d'amour et de charité méconnue par eux, et qui devait être la véritable ancre de salut.
C'est également en vue de faire avancer l'humanité dans un sens déterminé que des Esprits supérieurs, sans avoir les qualités du Christ, s'incarnent de temps à autre sur la terre pour y accomplir des missions spéciales qui profitent en même temps à leur avancement personnel, s'ils les remplissent selon les vues du Créateur.
Dites que toutes ces âmes faisaient partie de la colonie d'Esprits exilés sur la terre au temps d'Adam, et qu'elles étaient entachées des vices qui les avaient fait exclure d'un monde meilleur, et vous aurez la seule interprétation rationnelle du péché originel, péché propre à chaque individu, et non le résultat de la responsabilité de la faute d'un autre qu'il n'a jamais connu ; dites que ces âmes ou Esprits renaissent à diverses reprises sur la terre à la vie corporelle pour progresser et s'épurer ; que le Christ est venu éclairer ces mêmes âmes non seulement pour leurs vies passées, mais pour leurs vies ultérieures, et seulement alors vous donnez à sa mission un but réel et sérieux, acceptable par la raison.
Le 24 mai 1861, la frégate Iphigénie amena à la Nouvelle-Calédonie une compagnie disciplinaire composée de 291 hommes. Le commandant de la colonie leur adressa, à leur arrivée, un ordre du jour ainsi conçu :
« En mettant le pied sur cette terre lointaine, vous avez déjà compris le rôle qui vous est réservé.
« A l'exemple de nos braves soldats de la marine servant sous vos yeux, vous nous aiderez à porter avec éclat, au milieu des tribus sauvages de la Nouvelle-Calédonie, le flambeau de la civilisation. N'est-ce pas là une belle et noble mission, je nous le demande ? Vous la remplirez dignement.
« Ecoutez la voix et les conseils de vos chefs. Je suis à leur tête ; que mes paroles soient bien entendues.
« Le choix de votre commandant, de vos officiers, de vos sous-officiers et caporaux est un sûr garant de tous les efforts qui seront tentés pour faire de vous d'excellents soldats ; je dis plus, pour vous élever à la hauteur de bons citoyens et vous transformer en colons honorables si vous le désirez.
« Votre discipline est sévère ; elle doit l'être. Placée en nos mains, elle sera ferme et inflexible, sachez-le bien ; comme aussi, juste et paternelle, elle saura distinguer l'erreur du vice et de la dégradation... »
Voilà donc des hommes expulsés, pour leur mauvaise conduite, d'un pays civilisé, et envoyés, par punition, chez un peuple barbare. Que leur dit le chef ? « Vous avez enfreint les lois de votre pays ; vous y avez été une cause de trouble et de scandale, et l'on vous en a chassés ; on vous envoie ici, mais vous pouvez y racheter votre passé ; vous pouvez, par le travail, vous y créer une position honorable, et devenir d'honnêtes citoyens. Vous y avez une belle mission à remplir, celle de porter la civilisation parmi ces tribus sauvages. La discipline sera sévère, mais juste, et nous saurons distinguer ceux qui se conduiront bien. Votre sort est entre vos mains ; vous pouvez l'améliorer si vous le désirez, parce que vous avez votre libre arbitre ».
Pour ces hommes relégués au sein de la sauvagerie, la mère patrie n'est-elle pas un paradis perdu par leur faute et par leur rébellion à la loi ? Sur cette terre lointaine, ne sont-ils pas des anges déchus ? Le langage du chef n'est-il pas celui que Dieu fit entendre aux Esprits exilés sur la terre : « Vous avez désobéi à mes lois, et c'est pour cela que je vous ai chassés du monde où vous pouviez vivre heureux et en paix ; ici vous serez condamnés au travail, mais vous pourrez, par votre bonne conduite, mériter votre pardon et reconquérir la patrie que vous avez perdue par votre faute, c'est-à-dire le ciel ? »
CHAPITRE XII - Genèse mosaïque.
LES SIX JOURS
6. Dieu dit aussi : Que le firmament soit fait au milieu des eaux, et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux. - 7. Et Dieu fit le firmament ; et il sépara les eaux qui étaient sous le firmament d'avec celles qui étaient au-dessus du firmament. Et cela se fit ainsi. - 8. Et Dieu donna au firmament le nom de ciel ; et du soir et du matin se fit le second jour.
9. Dieu dit encore : Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu, et que l'élément aride paraisse. Et cela se fit ainsi. - 10. Dieu donna à l'élément aride le nom de terre, et il appela mers toutes ces eaux rassemblées. Et il vit que cela était bien. - 11. Dieu dit encore : Que la terre produise de l'herbe verte qui porte de la graine, et des arbres fruitiers qui portent du fruit chacun selon son espèce, et renferment leur semence en eux-mêmes pour se reproduire sur la terre. Et cela se fit ainsi. - 12. La terre produisit donc de l'herbe verte qui portait de la graine selon son espèce, et des arbres fruitiers qui renfermaient leur semence en eux-mêmes, chacun selon son espèce. Et Dieu vit que cela était bon. - 13. Et du soir et du matin se fit le troisième jour.
14. Dieu dit aussi : Que des corps de lumière soient faits dans le firmament du ciel, afin qu'ils séparent le jour d'avec la nuit : et qu'ils servent de signes pour marquer le temps et les saisons, les jours et les années. - 15. Qu'ils luisent dans le firmament du ciel, et qu'ils éclairent la terre. Et cela se fit ainsi. - 16. Dieu fit donc deux grands corps lumineux, l'un plus grand pour présider au jour, et l'autre moindre pour présider à la nuit ; il fit aussi les étoiles ; - 17. Et il les mit dans le firmament du ciel pour luire sur la terre. - 18. Pour présider au jour et à la nuit, et pour séparer la lumière d'avec les ténèbres. Et Dieu vit que cela était bon. - 19. Et du soir et du matin se fit le quatrième jour.
20. Dieu dit encore : Que les eaux produisent des animaux vivants qui nagent dans l'eau, et des oiseaux qui volent sur la terre sous le firmament du ciel. - 21. Dieu créa donc les grands poissons, et tous les animaux qui ont la vie et le mouvement, que les eaux produisirent chacun selon son espèce, et il créa aussi tous les oiseaux selon leur espèce. Il vit que cela était bon. - 22. Et il les bénit en disant : Croissez et multipliez, et remplissez les eaux de la mer ; et que les oiseaux se multiplient sur la terre. - 23. Et du soir et du matin se fit le cinquième jour.
24. Dieu dit aussi : Que la terre produise des animaux vivants chacun selon son espèce, les animaux domestiques, les reptiles et les bêtes sauvages de la terre selon leurs différentes espèces. Et cela se fit ainsi. - 25. Dieu fit donc les bêtes sauvages de la terre selon leurs espèces, les animaux domestiques et tous les reptiles chacun selon son espèce. Et Dieu vit que cela était bon.
26. Il dit ensuite : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, et qu'il commande aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, aux bêtes, à toute la terre et à tous les reptiles qui se meuvent sur la terre. - 27. Dieu créa donc l'homme à son image, et il le créa à l'image de Dieu, et il le créa mâle et femelle. - 28. Dieu les bénit et leur dit : Croissez et multipliez-vous, remplissez la terre et vous l'assujettissez, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tous les animaux qui se meuvent sur la terre. - 29. Dieu dit encore : Je vous ai donné toutes les herbes qui portent leur graine sur la terre et tous les arbres qui renferment en eux-mêmes leur semence chacun selon son espèce, afin qu'ils vous servent de nourriture ; - 30. Et à tous les animaux de la terre, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui se meut sur la terre, et qui est vivant et animé, afin qu'ils aient de quoi se nourrir. Et cela se fit ainsi. - 31. Dieu vit toutes les choses qu'il avait faites ; et elles étaient très bonnes. - 32. Et du soir et du matin se fit le sixième jour.
CHAPITRE II. - l. Le ciel et la terre furent donc ainsi achevés avec tous leurs ornements. - 2. Dieu termina au septième jour tout l'ouvrage qu'il avait fait, et il se reposa ce septième jour, après avoir achevé tous ses ouvrages. - 3. Il bénit le septième jour, et il le sanctifia ; parce qu'il avait cessé en ce jour de produire tous les ouvrages qu'il avait créés. - 4. Telle est l'origine du ciel et de la terre, et c'est ainsi qu'ils furent créés au jour que le Seigneur fit l'un et l'autre. - 5. Et qu'il créa toutes les plantes des champs avant qu'elles fussent sorties de la terre, et toutes les herbes de la campagne avant qu'elles eussent poussé. Car le Seigneur Dieu n'avait pas encore fait pleuvoir sur la terre, et il n'y avait point d'homme pour la labourer ; - 6. Mais il s'élevait de la terre une fontaine qui en arrosait toute la surface.
7. Le Seigneur Dieu forma donc l'homme du limon de la terre et il répandit sur son visage un souffle de vie ; et l'homme devint vivant et animé.
D'un autre côté, la géologie, ne prenant son point de départ qu'à la formation des terrains granitiques, ne comprend pas, dans le nombre de ses périodes, l'état primitif de la terre. Elle ne s'occupe pas non plus du soleil, de la lune et des étoiles, ni de l'ensemble de l'univers, qui appartiennent à l'astronomie. Pour rentrer dans le cadre de la Genèse, il convient donc d'ajouter une première période embrassant cet ordre de phénomènes, et que l'on pourrait appeler période astronomique.
En outre, la période diluvienne n'est pas considérée par tous les géologues comme formant une période distincte, mais comme un fait transitoire et passager qui n'a pas changé notablement l'état climatérique du globe, ni marqué une nouvelle phase dans les espèces végétales et animales, puisque, à peu d'exceptions près, les mêmes espèces se retrouvent avant et après le déluge. On peut donc en faire abstraction sans s'écarter de la vérité.
SCIENCE | GENESE |
I. PERIODE ASTRONOMIQUE. - Agglomération de la matière cosmique universelle sur un point de l'espace en une nébuleuse qui a donné naissance, par la condensation de la matière sur divers points, aux étoiles, au soleil, à la terre, à la lune et à toutes les planètes. Etat primitif fluidique et incandescent de la terre. - Atmosphère immense chargée de toute l'eau en vapeur, et de toutes les matières volatilisables. | 1° JOUR. - Le ciel et la terre. - La lumière. |
II. PERIODE PRIMAIRE. - Durcissement de la surface de la terre par le refroidissement ; formation des couches granitiques. - Atmosphère épaisse et brûlante, impénétrable aux rayons du soleil. - Précipitation graduelle de l'eau et des matières solides volatilisées dans l'air. - Absence de toute vie organique. | 2° JOUR - Le firmament. - Séparation des eaux qui sont sous le firmament de celles qui sont au-dessus. |
III. PERIODE DE TRANSITION. - Les eaux couvrent toute la surface du globe. - Premiers dépôts de sédiment formés par les eaux. - Chaleur humide. - Le Soleil commence à percer l'atmosphère brumeuse. - Premiers êtres organisés de la constitution la plus rudimentaire. - Lichens, mousses, fougères, lycopodes, plantes herbacées. Végétation colossale. - Premiers animaux marins : zoophytes, polypiers, crustacés. - Dépôts houillers. | 3° JOUR. - Les eaux qui sont sous le firmament se rassemblent ; l'élément aride paraît. - La terre et les mers. - Les plantes. |
IV. PERIODE SECONDAIRE - Surface de la terre peu accidentée ; eaux peu profondes et marécageuses. Température moins brûlante ; atmosphère plus épurée. Dépôts considérables de calcaires par les eaux. - Végétations moins colossales ; nouvelles espèces ; plantes ligneuses ; premiers arbres. - Poissons ; cétacés ; animaux à coquille ; grands reptiles aquatiques et amphibies. | 4° JOUR. - Le soleil, la lune et les étoiles. |
V.PERIODE TERTIAIRE. - Grands soulèvements de la croûte solide ; formation des continents. Retraite des eaux dans les lieux bas ; formation des mers. - Atmosphère épurée ; température actuelle par la chaleur solaire. - Animaux terrestres gigantesques. Végétaux et animaux actuels. Oiseaux. | 5° JOUR. - Les poissons et les oiseaux. |
DELUGE UNIVERSEL. | |
VI.PERIODE QUATERNAIRE OU POSTDILUVIENNE. - Terrains d'alluvion. - Végétaux et animaux actuels. - L'homme. | 6° JOUR. - Les animaux terrestres. - L'homme. |
Il y a également coïncidence, non avec l'ordre numérique des périodes, mais pour le fait, dans le passage où il est dit que, le troisième jour, « les eaux qui sont sous le ciel se rassemblèrent en un seul lieu, et que l'élément aride parut. » C'est l'expression de ce qui eut lieu dans la période tertiaire, quand les soulèvements de la croûte solide mirent à découvert les continents, et refoulèrent les eaux qui ont formé les mers. C'est alors seulement que parurent les animaux terrestres, selon la géologie et selon Moïse.
D'ailleurs, tout, dans la création, était miraculeux, et dès lors qu'on entre dans la voie des miracles, on peut parfaitement croire que la terre s'est faite en six fois vingt-quatre heures, surtout quand on ignore les premières lois naturelles. Cette croyance a bien été partagée par tous les peuples civilisés jusqu'au moment où la géologie est venue, pièces en main, en démontrer l'impossibilité.
Il y a donc évidemment un anachronisme dans l'ordre que Moïse assigne à la création du soleil ; mais, involontairement ou non, il n'a pas commis d'erreur en disant que la lumière avait précédé le soleil.
Le soleil n'est point le principe de la lumière universelle, mais une concentration de l'élément lumineux sur un point, autrement dit du fluide, qui, dans des circonstances données, acquiert les propriétés lumineuses. Ce fluide, qui est la cause, devait nécessairement précéder le soleil, qui n'est qu'un effet. Le soleil est cause pour la lumière qu'il répand, mais il est effet par rapport à celle qu'il a reçue.
Dans une chambre obscure, une bougie allumée est un petit soleil. Qu'a-t-on fait pour allumer la bougie ? on a développé la propriété éclairante du fluide lumineux, et on a concentré ce fluide sur un point ; la bougie est la cause de la lumière répandue dans la chambre, mais si le principe lumineux n'eût pas existé avant la bougie, celle-ci n'aurait pu être allumée.
Il en est de même du soleil. L'erreur vient de l'idée fausse où l'on a été longtemps que l'univers tout entier a commencé avec la terre, et l'on ne comprend pas que le soleil ait pu être créé après la lumière. On sait maintenant qu'avant notre soleil et notre terre, des millions de soleils et de terres ont existé, qui jouissaient, par conséquent, de la lumière. L'assertion de Moïse est donc parfaitement exacte en principe ; elle est fausse en ce qu'il fait créer la terre avant le soleil ; la terre, étant assujettie au soleil dans son mouvement de translation, a dû être formée après lui : c'est ce que Moïse ne pouvait savoir, puisqu'il ignorait la loi de gravitation.
La même pensée se trouve dans la Genèse des anciens Perses. Au premier chapitre du Vendedad, Ormuzd, racontant l'origine du monde, dit : « Je créai la lumière qui alla éclairer le soleil, la lune et les étoiles. » (Dictionnaire de mythologie universelle.) La forme est certainement ici plus claire et plus scientifique que dans Moïse, et n'a pas besoin de commentaire.
Une antique croyance faisait considérer l'eau comme le principe, l'élément générateur primitif ; aussi Moïse ne parle pas de la création des eaux, qui semblent avoir existé déjà. « Les ténèbres couvraient l'abîme, » c'est-à-dire les profondeurs de l'espace que l'imagination se représentait vaguement occupé par les eaux, et dans les ténèbres avant la création de la lumière ; voilà pourquoi Moïse dit : « L'Esprit de Dieu était porté (ou planait) sur les eaux. » La terre étant censée formée au milieu des eaux, il fallait l'isoler ; on supposa donc que Dieu avait fait le firmament, voûte solide qui séparait les eaux d'en haut de celles qui étaient sur la terre.
Pour comprendre certaines parties de la Genèse, il faut nécessairement se placer au point de vue des idées cosmogoniques du temps dont elle est le reflet.
La femme formée d'une côte d'Adam est une allégorie, puérile en apparence, si on la prend à la lettre, mais profonde par le sens. Elle a pour but de montrer que la femme est de la même nature que l'homme, son égale, par conséquent, devant Dieu, et non une créature à part faite pour être asservie et traitée en ilote. Sortie de sa propre chair, l'image de l'égalité est bien plus saisissante que si elle eût été formée séparément du même limon ; c'est dire à l'homme qu'elle est son égale, et non son esclave, qu'il doit l'aimer comme une partie de lui-même.
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[2] Le mot hébreu haadam, homme, d'où l'on a fait Adam, et le mot haadama, terre, ont la même racine.
Ne rejetons donc pas la Genèse biblique ; étudions-la, au contraire, comme on étudie l'histoire de l'enfance des peuples. C'est une épopée riche en allégories dont il faut chercher le sens caché ; qu'il faut commenter et expliquer à l'aide des lumières de la raison et de la science. Tout en faisant ressortir les beautés poétiques, et les instructions voilées sous la forme imagée, il faut en démontrer carrément les erreurs, dans l'intérêt même de la religion. On respectera mieux celle-ci quand ces erreurs ne seront pas imposées à la foi comme des vérités, et Dieu n'en paraîtra que plus grand et plus puissant lorsque son nom ne sera pas mêlé à des faits controuvés.
LE PARADIS PERDU
15. Le Seigneur prit donc l'homme, et le mit dans le paradis de délices, afin qu'il le cultivât et le gardât. - 16. Il lui fit aussi ce commandement, et lui dit : Mangez de tous les arbres du paradis (Il ordonna, Jéhovah Eloïm, à l'homme (hal haadam), disant : De tout arbre du jardin (hagan) tu peux manger). - 17. Mais ne mangez point du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal ; car en même temps que vous en mangerez, vous mourrez très certainement. (Et de l'arbre de la science du bien et du mal (oumehetz hadaat tob vara) tu n'en mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu mourras.)
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[3]A la suite de quelques versets on a placé la traduction littérale du texte hébreu, qui rend plus fidèlement la pensée primitive. Le sens allégorique en ressort plus clairement.
[4]Paradis, du latin paradisus, fait du grec paradeisos, jardin, verger, lieu planté d'arbres. Le mot hébreu employé dans la Genèse est hagan, qui a la même signification.
6. La femme considéra donc que le fruit de cet arbre était bon à manger ; qu'il était beau et agréable à la vue. Et en ayant pris, elle en mangea, et en donna à son mari qui en mangea aussi. (Elle vit, la femme, qu'il était bon, l'arbre, comme nourriture et qu'il était enviable l'arbre pour COMPRENDRE (leaskil), et elle prit de son fruit, etc.).
8. Et comme ils eurent entendu la voix du Seigneur Dieu, qui se promenait dans le paradis après midi, lorsqu'il s'élève un vent doux, ils se retirèrent au milieu des arbres du paradis pour se cacher de devant sa face.
9.- Alors le Seigneur Dieu appela Adam, et lui dit : Où êtes-vous ? - 10. Adam lui répondit : J'ai entendu votre voix dans le paradis, et j'ai eu peur, parce que j'étais nu, c'est pourquoi je me suis caché. - 11. Le Seigneur lui repartit : Et d'où avez-vous su que vous étiez nu, sinon de ce que vous avez mangé du fruit de l'arbre dont je vous avais défendu de manger ? - 12. Adam lui répondit : La femme que vous m'avez donnée pour compagne m'a présenté du fruit de cet arbre, et j'en ai mangé. - 13. Le Seigneur Dieu dit à la femme : Pourquoi avez-vous fait cela ? Elle répondit : Le serpent m'a trompée, et j'ai mangé de ce fruit.
14. Alors le Seigneur Dieu dit au serpent : Parce que tu as fait cela, tu es maudit entre tous les animaux et toutes les bêtes de la terre ; tu ramperas sur le ventre, et tu mangeras la terre tous les jours de ta vie. - 15. Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre sa race et la tienne. Elle te brisera la tête et tu tâcheras de la mordre par le talon.
16. Dieu dit aussi à la femme : Je vous affligerai de plusieurs maux pendant votre grossesse ; vous enfanterez dans la douleur ; vous serez sous la domination de votre mari, et il vous dominera.
17. Il dit ensuite à Adam : Parce que vous avez écouté la voix de votre femme, et que vous avez mangé du fruit de l'arbre dont je vous avais défendu de manger, la terre sera maudite à cause de ce que vous avez fait, et vous n'en tirerez de quoi vous nourrir pendant toute votre vie qu'avec beaucoup de travail. - 18. Elle vous produira des épines et des ronces, et vous vous nourrirez de l'herbe de la terre. - 19. Et vous mangerez votre pain à la sueur de votre visage, jusqu'à ce que vous retourniez en la terre d'où vous avez été tiré, car vous êtes poudre, et vous retournerez en poudre.
20. Et Adam donna à sa femme le nom d'Eve, qui signifie la vie, parce qu'elle était la mère de tous les vivants.
21. Le Seigneur Dieu fit aussi à Adam et à sa femme des habits de peaux dont il les revêtit. - 22. Et il dit : Voilà Adam devenu comme l'un de nous, sachant le bien et le mal. Empêchons donc maintenant qu'il ne porte sa main à l'arbre de vie, qu'il ne prenne aussi de son fruit, et que, mangeant de ce fruit, il ne vive éternellement. (Il dit, Jéhovah Eloïm : Voici, l'homme a été comme un de nous pour la connaissance du bien et du mal ; et maintenant il peut tendre la main et prendre de l'arbre de la vie (veata pen ischlachyado velakach mehetz hachayim) ; il en mangera et vivra éternellement.)
23. Le Seigneur Dieu le fit sortir du jardin de délices, afin qu'il allât travailler à la culture de la terre d'où il avait été tiré. - 24. Et l'en ayant chassé, il mit des chérubins[5] devant le jardin de délices, qui faisaient étinceler une épée de feu, pour garder le chemin qui conduisait à l'arbre de vie.
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Toute la mythologie païenne n'est, en réalité, qu'un vaste tableau allégorique des divers côtés bons et mauvais de l'humanité. Pour qui en cherche l'esprit, c'est un cours complet de la plus haute philosophie, comme il en est de nos fables modernes. L'absurde était de prendre la forme pour le fond.
Adam est la personnification de l'humanité ; sa faute individualise la faiblesse de l'homme, en qui prédominent les instincts matériels auxquels il ne sait pas résister[6].
L'arbre, comme arbre de vie, est l'emblème de la vie spirituelle ; comme arbre de la science, c'est celui de la conscience que l'homme acquiert du bien et du mal par le développement de son intelligence et celui du libre arbitre en vertu duquel il choisit entre les deux ; il marque le point où l'âme de l'homme, cessant d'être guidée par les seuls instincts, prend possession de sa liberté et encourt la responsabilité de ses actes.
Le fruit de l'arbre est l'emblème de l'objectif des désirs matériels de l'homme ; c'est l'allégorie de la convoitise et de la concupiscence ; il résume sous une même figure les sujets d'entraînement au mal ; en manger, c'est succomber à la tentation. Il croît au milieu du jardin de délices pour montrer que la séduction est au sein même des plaisirs, et rappeler que, si l'homme donne la prépondérance aux jouissances matérielles, il s'attache à la terre et s'éloigne de sa destinée spirituelle[7].
La mort dont il est menacé, s'il enfreint la défense qui lui est faite, est un avertissement des conséquences inévitables, physiques et morales, qu'entraîne la violation des lois divines que Dieu a gravées dans sa conscience. Il est bien évident qu'il ne s'agit pas ici de la mort corporelle, puisque, après sa faute, Adam vécut encore fort longtemps, mais bien de la mort spirituelle, autrement dit de la perte des biens qui résultent de l'avancement moral, perte dont son expulsion du jardin de délices est l'image.
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[7] Dans aucun texte, le fruit n'est spécialisé par la pomme ; ce mot ne se trouve que dans les versions enfantines. Le mot du texte hébreu est peri, qui a les mêmes acceptions qu'en français, sans spécification d'espèce, et peut être pris dans le sens matériel, moral, allégorique au propre et au figuré. Chez les Israélites, il n'y a pas d'interprétation obligatoire ; lorsqu'un mot a plusieurs acceptions, chacun l'entend comme il veut, pourvu que l'interprétation ne soit pas contraire à la grammaire. Le mot peri a été traduit en latin par malum, qui se dit de la pomme et de toute espèce de fruits. Il est dérivé du grec mélon, participe du verbe mélo, intéresser, prendre soin, attirer.
Il faut remarquer, en outre, que le mot hébreu nâhâsch, traduit par le mot serpent, vient de la racine nâhâsch qui signifie : faire des enchantements, deviner les choses cachées, et peut signifier : enchanteur, devin. On le trouve, avec cette acception, dans la Genèse, chap. XLIV, v. 5 et 15, à propos de la coupe que Joseph fit cacher dans le sac de Benjamin : « La coupe que vous avez dérobée est celle dans laquelle mon Seigneur boit, et dont il se sert pour deviner (nâhâsch[8]). - Ignorez-vous qu'il n'y a personne qui m'égale dans la science de deviner (nâhâsch) ? » - Au livre des Nombres, chap. XXIII, v. 23 : « Il n'y a point d'enchantements (nâhâsch) dans Jacob, ni de devins dans Israël. » Par suite, le mot nâhâsch a pris aussi la signification de serpent, reptile que les charmeurs prétendaient enchanter, ou dont ils se servaient dans leurs enchantements.
Ce n'est que dans la version des Septante, - qui, selon Hutcheson, ont corrompu le texte hébreu en beaucoup d'endroits, - écrite en grec au deuxième siècle avant l'ère chrétienne, que le mot nâhâsch a été traduit par serpent. Les inexactitudes de cette version tiennent, sans doute, aux modifications que la langue hébraïque avait subies dans l'intervalle ; car l'hébreu du temps de Moïse était alors une langue morte, qui différait de l'hébreu vulgaire, autant que le grec ancien et l'arabe littéraire diffèrent du grec et de l'arabe modernes[9].
Il est donc probable que Moïse a entendu, par le séducteur de la femme, le désir indiscret de connaître les choses cachées suscité par l'Esprit de divination, ce qui s'accorde avec le sens primitif du mot nâhâsch, deviner ; et, d'autre part, avec ces paroles : « Dieu sait qu'aussitôt que vous avez mangé de ce fruit, vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des dieux. - Elle vit, la femme, qu'il était enviable l'arbre pour comprendre (léaskil), et elle prit de son fruit. » Il ne faut pas oublier que Moïse voulait proscrire, chez les Hébreux, l'art de la divination, en usage chez les Egyptiens, ainsi que le prouve sa défense d'interroger les morts, et l'Esprit de Python (Ciel et Enfer selon le Spiritisme, chap. XI).
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[8]Ce fait donnerait à penser que la médiumnité au verre d'eau était connue des Egyptiens ? (Revue spirite de juin 1868, p. 161).
Dieu n'avait point créé Adam et Eve pour rester seuls sur la terre ; et la preuve en est dans les paroles mêmes qu'il leur adresse immédiatement après leur formation, alors qu'ils étaient encore dans le paradis terrestre :
« Dieu les bénit et leur dit : Croissez et multipliez-vous, remplissez la terre et vous l'assujettissez. » (Ch, I, v. 28.) Puisque la multiplication de l'homme était une loi dès le paradis terrestre, son expulsion ne peut avoir pour cause le fait supposé.
Ce qui a donné du crédit à cette supposition, c'est le sentiment de honte dont Adam et Eve ont été saisis à la vue de Dieu et qui les a portés à se cacher. Mais cette honte elle-même est une figure par comparaison : elle symbolise la confusion que tout coupable éprouve en présence de celui qu'il a offensé.
Aujourd'hui, nous savons que cette faute n'est point un acte isolé, personnel à un individu, mais qu'elle comprend, sous un fait allégorique unique, l'ensemble des prévarications dont peut se rendre coupable l'humanité encore imparfaite de la terre, et qui se résument en ces mots : infraction à la loi de Dieu. Voilà pourquoi la faute du premier homme, symbolisant l'humanité, est symbolisée elle-même par un acte de désobéissance.
Il est dit (Ch. II, v. 5 et 7) : « Le Seigneur Dieu n'avait pas encore fait pleuvoir sur la terre, et il n'y avait point d'homme pour la labourer. Le Seigneur forma donc l'homme du limon de la terre. » Ces paroles, rapprochées de celles-ci : Remplissez la terre, prouvent que l'homme était, dès l'origine, destiné à occuper toute la terre et à la cultiver ; et, en outre, que le paradis n'était pas un lieu circonscrit sur un coin du globe. Si la culture de la terre devait être une conséquence de la faute d'Adam, il en serait résulté que, si Adam n'eût pas péché, la terre serait restée inculte, et que les vues de Dieu n'auraient pas été accomplies.
Pourquoi dit-il à la femme que, parce qu'elle a commis la faute, elle enfantera dans la douleur ? Comment la douleur de l'enfantement peut-elle être un châtiment puisqu'elle est une conséquence de l'organisme, et qu'il est prouvé physiologiquement qu'elle est nécessaire ? Comment une chose qui est selon les lois de la nature peut-elle être une punition ? C'est ce que les théologiens n'ont point encore expliqué, et ce qu'ils ne pourront faire tant qu'ils ne sortiront pas du point de vue où ils se sont placés ; et cependant ces paroles, qui semblent si contradictoires, peuvent être justifiées.
Les paroles de Dieu ne devaient donc avoir pour Adam et Eve aucun sens. A peine tirés du néant, ils ne devaient savoir ni pourquoi ni comment ils en étaient sortis ; ils ne devaient comprendre ni le Créateur ni le but de la défense qu'il leur faisait. Sans aucune expérience des conditions de la vie, ils ont péché comme des enfants qui agissent sans discernement, ce qui rend plus incompréhensible encore la terrible responsabilité que Dieu a fait peser sur eux et sur l'humanité tout entière.
Le paradis terrestre, dont on a inutilement cherché les traces sur la terre, était donc la figure du monde heureux où avait vécu Adam, ou plutôt la race des Esprits dont il est la personnification. L'expulsion du paradis marque le moment où ces Esprits sont venus s'incarner parmi les habitants de ce monde, et le changement de situation qui en a été la suite. L'ange armé d'une épée flamboyante, qui défend l'entrée du paradis, symbolise l'impossibilité où sont les Esprits des mondes inférieurs de pénétrer dans les mondes supérieurs avant de l'avoir mérité par leur épuration (Voir ci-après chap. XIV, n° 8 et suiv.).
Caïn, s'étant retiré de devant la face du Seigneur, fut vagabond sur la terre, et il habita vers la région orientale de l'Eden. - Et ayant connu sa femme, elle conçut et enfanta Hénoch. Il bâtit (vaïehi bôné ; litt. : il était bâtissant) une ville qu'il appela Hénoch (Enochia) du nom de son fils (Chap. IV, v. de 13 à 16).
Lorsque Caïn vint s'établir à l'orient de l'Eden, il n'y avait donc sur la terre que trois personnes : son père et sa mère, et lui seul de son côté. Cependant il eut une femme et un enfant ; quelle pouvait être cette femme et où avait-il pu la prendre ? Le texte hébreu dit : Il était bâtissant une ville, et non il bâtit, ce qui indique une action présente et non ultérieure ; mais une ville suppose des habitants, car il n'est pas à présumer que Caïn la fit pour lui, sa femme et son fils, ni qu'il ait pu la construire à lui seul.
Il faut donc inférer de ce récit même que la contrée était peuplée ; or ce ne pouvait être par les descendants d'Adam, qui alors n'en avait pas d'autre que Caïn.
La présence d'autres habitants ressort également de cette parole de Caïn : « Je serai fugitif et vagabond, et quiconque me trouvera me tuera, » et de la réponse que Dieu lui fit. Par qui pouvait-il craindre d'être tué, et à quoi bon le signe que Dieu mit sur lui pour le préserver, s'il ne devait rencontrer personne ? Si donc il y avait sur la terre d'autres hommes en dehors de la famille d'Adam, c'est qu'ils y étaient avant lui ; d'où cette conséquence, tirée du texte même de la Genèse, qu'Adam n'est ni le premier, ni l'unique père du genre humain (Chap. XI, n° 34)[10].
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Grâce à cette lumière, l'homme sait désormais d'où il vient, où il va, pourquoi il est sur la terre et pourquoi il souffre ; il sait que son avenir est entre ses mains, et que la durée de sa captivité ici-bas dépend de lui. La Genèse, sortie de l'allégorie étroite et mesquine, lui apparaît grande et digne de la majesté, de la bonté et de la justice du Créateur. Considérée de ce point de vue, la Genèse confondra l'incrédulité et la vaincra.
LES MIRACLES
CHAPITRE XIII - Caractères des Miracles
LES MIRACLES DANS LE SENS THEOLOGIQUE
Dans son acception usuelle, ce mot a perdu, comme tant d'autres, sa signification primitive. De générale qu'elle était, elle s'est restreinte à un ordre particulier de faits. Dans la pensée des masses, un miracle implique l'idée d'un fait extra-naturel ; dans le sens théologique, c'est une dérogation aux lois de la nature, par laquelle Dieu manifeste sa puissance. Telle est en effet son acception vulgaire, devenue le sens propre, et ce n'est que par comparaison et par métaphore qu'on l'applique aux circonstances ordinaires de la vie.
Un des caractères du miracle proprement dit, c'est d'être inexplicable, par cela même qu'il s'accomplit en dehors des lois naturelles ; et c'est tellement là l'idée qu'on y attache, que si un fait miraculeux vient à trouver son explication, on dit que ce n'est plus un miracle, quelque surprenant qu'il soit. Ce qui fait, pour l'Eglise, le mérite des miracles, c'est précisément leur origine surnaturelle, et l'impossibilité de les expliquer ; elle est si bien fixée sur ce point que toute assimilation des miracles aux phénomènes de la nature est taxée d'hérésie, d'attentat contre la foi ; qu'elle a excommunié et même brûlé des gens pour n'avoir pas voulu croire à certains miracles.
Un autre caractère du miracle, c'est d'être insolite, isolé et exceptionnel ; du moment qu'un phénomène se reproduit, soit spontanément, soit par un acte de la volonté, c'est qu'il est soumis à une loi, et dès lors, que cette loi soit connue ou non, ce ne peut être un miracle.
Les siècles d'ignorance ont été féconds en miracles, parce que tout ce dont la cause était inconnue passait pour surnaturel. A mesure que la science a révélé de nouvelles lois, le cercle du merveilleux s'est restreint ; mais comme elle n'avait pas exploré tout le champ de la nature, il restait encore une assez large part au merveilleux.
LE SPIRITISME NE FAIT PAS DE MIRACLES
Ces phénomènes, il est vrai, se rattachent à l'existence des Esprits et à leur intervention dans le monde matériel ; or c'est là, dit-on, qu'est le surnaturel. Mais alors il faudrait prouver que les Esprits et leurs manifestations sont contraires aux lois de la nature ; que ce n'est pas et ne peut être là une de ces lois.
L'Esprit n'est autre que l'âme qui survit au corps ; c'est l'être principal puisqu'il ne meurt pas, tandis que le corps n'est qu'un accessoire qui se détruit. Son existence est donc tout aussi naturelle après que pendant l'incarnation ; elle est soumise aux lois qui régissent le principe spirituel, comme le corps est soumis à celles qui régissent le principe matériel ; mais comme ces deux principes ont une affinité nécessaire, qu'ils réagissent incessamment l'un sur l'autre, que de leur action simultanée résultent le mouvement et l'harmonie de l'ensemble, il s'ensuit que la spiritualité et la matérialité sont les deux parties d'un même tout, aussi naturelles l'une que l'autre, et que la première n'est pas une exception, une anomalie dans l'ordre des choses.
Le surnaturel, basé sur des apparences inexpliquées, laisse un libre cours à l'imagination, qui, errant dans l'inconnu, enfante alors les croyances superstitieuses, Une explication rationnelle fondée sur les lois de la nature, ramenant l'homme sur le terrain de la réalité, pose un point d'arrêt aux écarts de l'imagination, et détruit les superstitions. Loin d'étendre le domaine du surnaturel, le Spiritisme le restreint jusque dans ses dernières limites et lui ôte son dernier refuge. S'il fait croire à la possibilité de certains faits, il empêche de croire à beaucoup d'autres, parce qu'il démontre, dans le cercle de la spiritualité, comme la science dans le cercle de la matérialité, ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. Toutefois, comme il n'a pas la prétention d'avoir le dernier mot sur toutes choses, même sur celles qui sont de sa compétence, il ne se pose point en régulateur absolu du possible, et fait la part des connaissances que réserve l'avenir.
Mais que ces phénomènes soient ou non le résultat d'un acte de la volonté, la cause première est exactement la même et ne s'écarte en rien des lois naturelles. Les médiums ne produisent donc absolument rien de surnaturel ; par conséquent, ils ne font aucun miracle ; les guérisons instantanées elles-mêmes ne sont pas plus miraculeuses que les autres effets, car elles sont dues à l'action d'un agent fluidique faisant l'office d'agent thérapeutique, dont les propriétés ne sont pas moins naturelles pour avoir été inconnues jusqu'à ce jour. L'épithète de thaumaturges, donnée à certains médiums par la critique ignorante des principes du Spiritisme, est donc tout à fait impropre. La qualification de miracles donnée, par comparaison, à ces sortes de phénomènes, ne peut qu'induire en erreur sur leur véritable caractère.
[1]Livre des Médiums, chap. V. - Revue spirite ; exemples : décembre 1865, page 370 ; - août 1865, page 231.
Le Spiritisme, en nous éclairant sur cette puissance, nous donne la clef d'une foule de choses inexpliquées, et inexplicables par tout autre moyen, et qui ont pu, dans des temps reculés, passer pour des prodiges ; il révèle, de même que le magnétisme, une loi, sinon inconnue, du moins mal comprise ; ou, pour mieux dire, on connaissait les effets, car ils se sont produits de tout temps, mais on ne connaissait pas la loi, et c'est l'ignorance de cette loi qui a engendré la superstition. Cette loi connue, le merveilleux disparaît et les phénomènes rentrent dans l'ordre des choses naturelles. Voilà pourquoi les Spirites ne font pas plus de miracles en faisant tourner une table ou écrire les trépassés, que le médecin en faisant revivre un moribond, ou le physicien en faisant tomber la foudre. Celui qui prétendrait, à l'aide de cette science, faire des miracles, serait ou un ignorant de la chose, ou un faiseur de dupes.
Disons d'abord que parmi les faits réputés miraculeux qui se sont passés avant l'avènement du Spiritisme, et qui se passent encore de nos jours, la plupart, sinon tous, trouvent leur explication dans les lois nouvelles qu'il est venu révéler ; ces faits rentrent donc, quoique sous un autre nom, dans l'ordre des phénomènes spirites, et comme tels n'ont rien de surnaturel. Il est bien entendu qu'il ne s'agit ici que des faits authentiques, et non de ceux qui, sous le nom de miracles, sont le produit d'une indigne jonglerie en vue d'exploiter la crédulité ; non plus que de certains faits légendaires qui peuvent avoir eu, dans l'origine, un fond de vérité, mais que la superstition a amplifiés jusqu'à l'absurde. C'est sur ces faits que le Spiritisme vient jeter la lumière, en donnant les moyens de faire la part de l'erreur et de la vérité.
DIEU FAIT-IL DES MIRACLES ?
Pourquoi donc ferait-il des miracles ? Pour attester sa puissance, dit-on ; mais la puissance de Dieu ne se manifeste-t-elle pas d'une manière bien autrement saisissante par l'ensemble grandiose des oeuvres de la création, par la sagesse prévoyante qui préside à ses parties les plus infimes comme aux plus grandes, et par l'harmonie des lois qui régissent l'univers, que par quelques petites et puériles dérogations que savent imiter tous les faiseurs de tours ? Que dirait-on d'un savant mécanicien qui, pour prouver son habileté, détraquerait l'horloge qu'il a construite, chef-d'oeuvre de science, afin de montrer qu'il peut défaire ce qu'il a fait ? Son savoir ne ressort-il pas, au contraire, de la régularité et de la précision du mouvement ?
La question des miracles proprement dits n'est donc pas du ressort du Spiritisme ; mais, s'appuyant sur ce raisonnement : que Dieu ne fait rien d'inutile, il émet cette opinion que : Les miracles n'étant pas nécessaires à la glorification de Dieu, rien, dans l'univers, ne s'écarte des lois générales. Dieu ne fait pas de miracles, parce que ses lois étant parfaites, il n'a pas besoin d'y déroger. S'il est des faits que nous ne comprenons pas, c'est qu'il nous manque encore les connaissances nécessaires.
Aussi l'Eglise distingue-t-elle les bons miracles qui viennent de Dieu, des mauvais miracles qui viennent de Satan : mais comment en faire la différence ? Qu'un miracle soit satanique ou divin, ce n'en est pas moins une dérogation aux lois qui émanent de Dieu seul ; si un individu est guéri soi-disant miraculeusement, que ce soit par le fait de Dieu ou de Satan, il n'en est pas moins guéri. Il faut avoir une bien pauvre idée de l'intelligence humaine pour espérer que de pareilles doctrines puissent être acceptées de nos jours.
La possibilité de certains faits réputés miraculeux étant reconnue, il en faut conclure que, quelle que soit la source qu'on leur attribue, ce sont des effets naturels dont Esprits ou incarnés peuvent user, comme de tout, comme de leur propre intelligence et de leurs connaissances scientifiques, pour le bien ou pour le mal, selon leur bonté ou leur perversité. Un être pervers, mettant à profit son savoir, peut donc faire des choses qui passent pour des prodiges aux yeux des ignorants ; mais quand ces effets ont pour résultat un bien quelconque, il serait illogique de leur attribuer une origine diabolique.
LE SURNATUREL ET LES RELIGIONS
Le Spiritisme considère la religion chrétienne d'un point plus élevé ; il lui donne une base plus solide que les miracles, ce sont les lois immuables de Dieu, qui régissent le principe spirituel comme le principe matériel ; cette base défie le temps et la science, car le temps et la science viendront la sanctionner.
Dieu n'en est pas moins digne de notre admiration, de notre reconnaissance, de notre respect, pour n'avoir pas dérogé à ses lois, grandes surtout par leur immuabilité. Il n'est pas besoin du surnaturel pour rendre à Dieu le culte qui lui est dû ; la nature n'est-elle pas assez imposante par elle-même, qu'il faille encore y ajouter pour prouver la puissance suprême ? La religion trouvera d'autant moins d'incrédules, qu'elle sera de tout point sanctionnée par la raison. Le christianisme n'a rien à perdre à cette sanction ; il ne peut, au contraire, qu'y gagner. Si quelque chose a pu lui nuire dans l'opinion de certaines gens, c'est précisément l'abus du merveilleux et du surnaturel.
Veut-on donner au peuple, aux ignorants, aux pauvres d'esprit une idée de la puissance de Dieu ? Il fait la leur montrer dans la sagesse infinie qui préside à tout, dans l'admirable organisme de tout ce qui vit, dans la fructification des plantes, dans l'appropriation de toutes les parties de chaque être à ses besoins, selon le milieu où il est appelé à vivre ; il faut leur montrer l'action de Dieu dans le brin d'herbe, dans la fleur qui s'épanouit, dans le soleil qui vivifie tout ; il faut leur montrer sa bonté dans sa sollicitude pour toutes les créatures, si infimes qu'elles soient, sa prévoyance dans la raison d'être de chaque chose, dont aucune n'est inutile, dans le bien qui sort toujours d'un mal apparent et momentané. Faites-leur comprendre surtout que le mal réel est l'ouvrage de l'homme, et non celui de Dieu ; ne cherchez pas à les épouvanter par le tableau des flammes éternelles, auxquelles ils finissent par ne plus croire et qui leur font douter de la bonté, de Dieu ; mais encouragez-les par la certitude de pouvoir se racheter un jour et réparer le mal qu'ils ont pu faire ; montrez-leur les découvertes de la science comme la révélation des lois divines, et non comme l'oeuvre de Satan ; apprenez-leur, enfin, à lire dans le livre de la nature sans cesse ouvert devant eux ; dans ce livre inépuisable où la sagesse et la bonté du Créateur sont inscrites à chaque page ; alors ils comprendront qu'un Etre si grand, s'occupant de tout, veillant à tout, prévoyant tout, doit être souverainement puissant. Le laboureur le verra en traçant son sillon, et l'infortuné le bénira dans ses afflictions, car il se dira : Si je suis malheureux, c'est par ma faute. Alors les hommes seront vraiment religieux, rationnellement religieux surtout, bien mieux que s'ils croient à des pierres qui suent le sang, ou à des statues qui clignent des yeux et versent des larmes.
CHAPITRE XIV - Les Fluides
I - NATURE ET PROPRIETES DES FLUIDES.
Eléments fluidiques
Chacun de ces deux états donne nécessairement lieu à des phénomènes spéciaux : au second appartiennent ceux du monde visible, et au premier ceux du monde invisible. Les uns, appelés phénomènes matériels, sont du ressort de la science proprement dite ; les autres, qualifiés de phénomènes spirituels ou psychiques, parce qu'ils se lient plus spécialement à l'existence des Esprits, sont dans les attributions du Spiritisme ; mais, comme la vie spirituelle et la vie corporelle sont en contact incessant, les phénomènes de ces deux ordres se présentent souvent simultanément. L'homme, à l'état d'incarnation, ne peut avoir la perception que des phénomènes psychiques qui se lient à la vie corporelle ; ceux qui sont du domaine exclusif de la vie spirituelle échappent aux sens matériels, et ne peuvent être perçus qu'à l'état d'Esprits[1].
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Tout étant relatif, ces fluides ont pour les Esprits, qui sont eux-mêmes fluidiques, une apparence aussi matérielle que celle des objets tangibles pour les incarnés, et sont pour eux ce que sont pour nous les substances du monde terrestre ; ils les élaborent, les combinent pour produire des effets déterminés, comme font les hommes avec leurs matériaux, toutefois par des procédés différents.
Mais là, comme ici-bas, il n'est donné qu'aux Esprits les plus éclairés de comprendre le rôle des éléments constitutifs de leur monde. Les ignorants du monde invisible sont aussi incapables de s'expliquer les phénomènes dont ils sont témoins, et auxquels ils concourent souvent machinalement, que les ignorants de la terre le sont d'expliquer les effets de la lumière ou de l'électricité, de dire comment ils voient et entendent.
Mais parmi ces fluides, quelques-uns sont intimement liés à la vie corporelle, et appartiennent en quelque sorte au milieu terrestre. A défaut de perception directe, on peut en observer les effets, comme on observe ceux du fluide de l'aimant que l'on n'a jamais vu, et acquérir sur leur nature des connaissances d'une certaine précision. Cette étude est essentielle, car c'est la clef d'une foule de phénomènes inexplicables par les seules lois de la matière.
Il en est de même à la surface de tous les mondes, sauf les différences de constitution et les conditions de vitalité propres à chacun. Moins la vie y est matérielle, moins les fluides spirituels ont d'affinité avec la matière proprement dite.
La qualification de fluides spirituels n'est pas rigoureusement exacte, puisque, en définitive, c'est toujours de la matière plus ou moins quintessenciée. Il n'y a de réellement spirituel que l'âme ou principe intelligent. On les désigne ainsi par comparaison, et en raison surtout de leur affinité avec les Esprits. On peut dire que c'est la matière du monde spirituel : c'est pourquoi on les appelle fluides spirituels.
La matière tangible, ayant pour élément primitif le fluide cosmique éthéré, doit pouvoir, en se désagrégeant, retourner à l'état d'éthérisation, comme le diamant, le plus dur des corps, peut se volatiliser en gaz impalpable. La solidification de la matière n'est en réalité qu'un état transitoire du fluide universel, qui peut retourner à son état primitif quand les conditions de cohésion cessent d'exister.
Qui sait même si, à l'état de tangibilité, la matière n'est pas susceptible d'acquérir une sorte d'éthérisation qui lui donnerait les propriétés particulières ? Certains phénomènes, qui paraissent authentiques, tendraient à le faire supposer. Nous ne possédons encore que les jalons du monde invisible, et l'avenir nous réserve sans doute la connaissance de nouvelles lois qui nous permettront de comprendre ce qui est encore pour nous un mystère.
Formation et propriétés du périsprit
Les Esprits supérieurs, au contraire, peuvent venir dans les mondes inférieurs et même s'y incarner. Ils puisent, dans les éléments constitutifs du monde où ils entrent, les matériaux de l'enveloppe fluidique ou charnelle appropriée au milieu où ils se trouvent. Ils font comme le grand seigneur qui quitte ses beaux habits pour se revêtir momentanément de la bure, sans cesser pour cela d'être grand seigneur.
C'est ainsi que des Esprits de l'ordre le plus élevé peuvent se manifester aux habitants de la terre, ou s'incarner en mission parmi eux. Ces Esprits apportent avec eux, non l'enveloppe, mais le souvenir par intuition des régions d'où ils viennent, et qu'ils voient par la pensée. Ce sont des voyants parmi des aveugles.
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[2]Exemples d'Esprits qui se croient encore de ce monde : Revue spirite, déc. 1859, p. 310 ; - nov. 1864, p. 339 ; - avril 1865, p. 117.
Les Esprits appelés à vivre dans ce milieu y puisent leur périsprit ; mais, selon que l'Esprit est plus ou moins épuré lui-même, son périsprit se forme des parties les plus pures ou les plus grossières du fluide propre au monde où il s'incarne. L'Esprit y produit, toujours par comparaison et non par assimilation, l'effet d'un réactif chimique qui attire à lui les molécules assimilables à sa nature.
Il en résulte ce fait capital, que la constitution intime du périsprit n'est pas identique chez tous les Esprits incarnés ou désincarnés qui peuplent la terre ou l'espace environnant. Il n'en est pas de même du corps charnel, qui, comme cela a été démontré, est formé des mêmes éléments, quelle que soit la supériorité ou l'infériorité de l'Esprit. Aussi, chez tous, les effets produits par le corps sont-ils les mêmes, les besoins pareils, tandis qu'ils diffèrent pour tout ce qui est inhérent au périsprit.
Il en résulte encore que : l'enveloppe périspritale du même Esprit se modifie avec le progrès moral de celui-ci à chaque incarnation, bien que s'incarnant dans le même milieu ; que les Esprits supérieurs, s'incarnant exceptionnellement en mission dans un monde inférieur, ont un périsprit moins grossier que celui des indigènes de ce monde.
La puissance divine éclate dans toutes les parties de cet ensemble grandiose, et l'on voudrait que, pour mieux attester sa puissance, Dieu, non content de ce qu'il a fait, vînt troubler cette harmonie ! qu'il s'abaissât au rôle de magicien par de puérils effets dignes d'un prestidigitateur ! Et l'on ose, par surcroît, lui donner pour rival en habileté Satan lui-même ! Jamais, en vérité, on ne rabaissa davantage la majesté divine, et l'on s'étonne du progrès de l'incrédulité !
Vous avez raison de le dire : « La foi s'en va ! » mais c'est la foi en tout ce qui choque le bon sens et la raison qui s'en va ; la foi pareille à celle qui fit dire jadis : « Les dieux s'en vont ! » Mais la foi dans les choses sérieuses, la foi en Dieu et en l'immortalité est toujours vivace dans le coeur de l'homme, et si elle a été étouffée sous les puériles histoires dont on l'a surchargée, elle se relève plus forte dès qu'elle en est dégagée, comme la plante comprimée se relève dès qu'elle revoit le soleil !
Oui, tout est miracle dans la nature, parce que tout est admirable et témoigne de la sagesse divine ? Ces miracles sont pour tout le monde, pour tous ceux qui ont des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, et non au profit de quelques-uns. Non ! il n'y a point de miracles dans le sens qu'on attache à ce mot, parce que tout ressort des lois éternelles de la création et que ces lois sont parfaites.
Action des Esprits sur les fluides. Créations fluidiques. Photographie de la pensée.
Quelquefois, ces transformations sont le résultat d'une intention ; souvent, elles sont le produit d'une pensée inconsciente ; il suffit à l'Esprit de penser à une chose pour que cette chose se produise, comme il suffit de moduler un air pour que cet air se répercute dans l'atmosphère.
C'est ainsi, par exemple, qu'un Esprit se présente à la vue d'un incarné doué de la vue psychique, sous les apparences qu'il avait de son vivant à l'époque où on l'a connu, aurait-il eu plusieurs incarnations depuis. Il se présente avec le costume, les signes extérieurs, - infirmités, cicatrices, membres amputés, etc., - qu'il avait alors ; un décapité se présentera avec la tête de moins. Ce n'est pas à dire qu'il ait conservé ces apparences ; non certainement, car, comme Esprit, il n'est ni boiteux, ni manchot, ni borgne, ni décapité ; mais sa pensée se reportant à l'époque où il était ainsi, son périsprit en prend instantanément les apparences, qu'il quitte de même instantanément dès que la pensée cesse d'agir. Si dont il a été une fois nègre et une autre fois blanc, il se présentera comme nègre ou comme blanc, selon celle de ces deux incarnations sous laquelle il sera évoqué et où se reportera sa pensée.
Par un effet analogue, la pensée de l'Esprit crée fluidiquement les objets dont il avait l'habitude de se servir ; un avare maniera de l'or, un militaire aura ses armes et son uniforme, un fumeur sa pipe, un laboureur sa charrue et ses boeufs, une vieille femme sa quenouille. Ces objets fluidiques sont aussi réels pour l'Esprit, qui est lui-même fluidique, qu'ils l'étaient à l'état matériel pour l'homme vivant ; mais, par la même raison qu'ils sont créés par la pensée, leur existence est aussi fugitive que la pensée[3].
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[3] Revue spirite, juillet 1859, page 184. - Livre des Médiums, chap. VIII.
Il y a plus : La pensée créant des images fluidiques, elle se reflète dans l'enveloppe périspritale comme dans une glace ; elle y prend un corps et s'y photographie en quelque sorte. Qu'un homme, par exemple, ait l'idée d'en tuer un autre, quelque impassible que soit son corps matériel, son corps fluidique est mis en action par la pensée, dont il reproduit toutes les nuances ; il exécute fluidiquement le geste, l'acte qu'il a le dessein d'accomplir ; la pensée crée l'image de la victime, et la scène entière se peint, comme dans un tableau, telle qu'elle est dans son esprit.
C'est ainsi que les mouvements les plus secrets de l'âme se répercutent dans l'enveloppe fluidique ; qu'une âme peut lire dans une autre âme comme dans un livre, et voir ce qui n'est pas perceptible pour les yeux du corps. Toutefois, en voyant l'intention, elle peut pressentir l'accomplissement de l'acte qui en sera la suite, mais elle ne peut déterminer le moment où il s'accomplira, ni en préciser les détails, ni même affirmer qu'il aura lieu, parce que des circonstances ultérieures peuvent modifier les plans arrêtés et changer les dispositions. Elle ne peut voir, ce qui n'est pas encore dans la pensée ; ce qu'elle voit, c'est la préoccupation habituelle de l'individu, ses désirs, ses projets, ses desseins bons ou mauvais.
Qualités des fluides
Les fluides n'ont pas de qualités sui generis, mais celles qu'ils acquièrent dans le milieu où ils s'élaborent ; ils se modifient par les effluves de ce milieu, comme l'air par les exhalaisons, l'eau par les sels des couches qu'elle traverse. Suivant les circonstances, ces qualités sont, comme l'air et l'eau, temporaires ou permanentes, ce qui les rend plus spécialement propres à la production de tels ou tels effets déterminés.
Les fluides n'ont pas non plus de dénominations spéciales ; comme les odeurs, ils sont désignés par leurs propriétés, leurs effets et leur type originel. Sous le rapport moral, ils portent l'empreinte des sentiments de la haine, de l'envie, de la jalousie, de l'orgueil, de l'égoïsme, de la violence, de l'hypocrisie, de la bonté, de la bienveillance, de l'amour, de la charité, de la douceur, etc. ; sous le rapport physique, ils sont excitants, calmants, pénétrants, astringents, irritants, adoucissants, soporifiques, narcotiques, toxiques, réparateurs, expulseurs ; ils deviennent force de transmission, de propulsion, etc. Le tableau des fluides serait donc celui de toutes les passions, des vertus et des vices de l'humanité, et des propriétés de la matière correspondant aux effets qu'ils produisent.
Par son union intime avec le corps, le périsprit joue un rôle prépondérant dans l'organisme ; par son expansion, il met l'Esprit incarné en rapport plus direct avec les Esprits libres et aussi avec les Esprits incarnés.
La pensée de l'Esprit incarné agit sur les fluides spirituels comme celle des Esprits désincarnés ; elle se transmet d'Esprit à Esprit par la même voie, et, selon qu'elle est bonne ou mauvaise, elle assainit ou vicie les fluides environnants.
Si les fluides ambiants sont modifiés par la projection des pensées de l'Esprit, son enveloppe périspritale, qui est partie constituante de son être, qui reçoit directement et d'une manière permanente l'impression de ses pensées, doit plus encore porter l'empreinte de ses qualités bonnes ou mauvaises. Les fluides viciés par les effluves des mauvais Esprits peuvent s'épurer par l'éloignement de ceux-ci, mais leur périsprit sera toujours ce qu'il est, tant que l'Esprit ne se modifiera pas lui-même.
Le périsprit des incarnés étant d'une nature identique à celle des fluides spirituels, il se les assimile avec facilité, comme une éponge s'imbibe de liquide. Ces fluides ont sur le périsprit une action d'autant plus directe, que, par son expansion et son rayonnement, il se confond avec eux.
Ces fluides agissant sur le périsprit, celui-ci, à son tour, réagit sur l'organisme matériel avec lequel il est en contact moléculaire. Si les effluves sont de bonne nature, le corps en ressent une impression salutaire ; si elles sont mauvaises, l'impression est pénible ; si les mauvaises sont permanentes et énergiques, elles peuvent déterminer des désordres physiques : certaines maladies n'ont pas d'autre cause.
Les milieux où abondent les mauvais Esprits sont donc imprégnés de mauvais fluides que l'on absorbe par tous les pores périspritaux, comme on absorbe par les pores du corps les miasmes pestilentiels.
Mais, de même qu'il y a des rayons sonores harmoniques ou discordants, il y a aussi des pensées harmoniques ou discordantes. Si l'ensemble est harmonieux, l'impression est agréable ; s'il est discordant, l'impression est pénible. Or, pour cela, il n'est pas besoin que la pensée soit formulée en paroles ; le rayonnement fluidique n'existe pas moins, qu'elle soit exprimée ou non.
Telle est la cause du sentiment de satisfaction que l'on éprouve dans une réunion sympathique, animée de bonnes et bienveillantes pensées ; il y règne comme une atmosphère morale salubre, où l'on respire à l'aise ; on en sort réconforté, parce qu'on s'y est imprégné d'effluves fluidiques salutaires ; mais s'il s'y mêle quelques pensées mauvaises, elles produisent l'effet d'un courant d'air glacé dans un milieu tiède ou d'une note fausse dans un concert. Ainsi s'expliquent aussi l'anxiété, le malaise indéfinissable que l'on ressent dans un milieu antipathique, où des pensées malveillantes provoquent comme des courants d'air nauséabonds.
Quand on dit qu'un médecin guérit son malade par de bonnes paroles, on est dans le vrai absolu, car la pensée bienveillante apporte avec elle des fluides réparateurs qui agissent sur le physique autant que sur le moral.
Le moyen est fort simple, car il dépend de la volonté de l'homme même, qui porte en lui le préservatif nécessaire. Les fluides s'unissent en raison de la similitude de leur nature ; les fluides dissemblables se repoussent ; il y a incompatibilité entre les bons et les mauvais fluides, comme entre l'huile et l'eau.
Que fait-on lorsque l'air est vicié ? on l'assainit, on l'épure, en détruisant le foyer de miasmes, en chassant les effluves malsaines par des courants d'air salubre plus forts. A l'invasion des mauvais fluides, il faut donc opposer les bons fluides ; et, comme chacun a dans son propre périsprit une source fluidique permanente, on porte le remède en soi-même ; il ne s'agit que d'épurer cette source et de lui donner des qualités telles, qu'elles soient pour les mauvaises influences un repoussoir, au lieu d'être une force attractive. Le périsprit est donc une cuirasse à laquelle il faut donner la meilleure trempe possible ; or, comme les qualités du périsprit sont en raison des qualités de l'âme, il faut travailler à sa propre amélioration, car ce sont les imperfections de l'âme qui attirent les mauvais Esprits.
Les mouches vont où des foyers de corruption les attirent ; détruisez ces foyers, et les mouches disparaîtront. De même les mauvais Esprits vont où le mal les attire ; détruisez le mal, et ils s'éloigneront. Les Esprits réellement bons, incarnés ou désincarnés, n'ont rien à redouter de l'influence des mauvais Esprits.
ii - EXPLICATION DE QUELQUES FAITS REPUTES SURNATURELS.
Vue spirituelle ou psychique ; double vue ; somnambulisme ; rêves
C'est dans les propriétés et le rayonnement du fluide périsprital qu'il faut chercher la cause de la double vue, ou vue spirituelle, qu'on peut aussi appeler vue psychique, dont beaucoup de personnes sont douées, souvent à leur insu, ainsi que de la vue somnambulique.
Le périsprit est l'organe sensitif de l'Esprit ; c'est par son intermédiaire que l'Esprit incarné a la perception des choses spirituelles qui échappent aux sens charnels. Par les organes du corps, la vue, l'ouïe et les diverses sensations sont localisées et bornées à la perception des choses matérielles ; par le sens spirituel, ou psychique, elles sont généralisées ; l'Esprit voit, entend et sent par tout son être ce qui est dans la sphère du rayonnement de son fluide périsprital.
Ces phénomènes sont, chez l'homme, la manifestation de la vie spirituelle ; c'est l'âme qui agit en dehors de l'organisme. Dans la double vue, ou perception par le sens psychique, il ne voit pas par les yeux du corps, bien que souvent, par habitude, il les dirige vers le point sur lequel se porte son attention ; il voit par les yeux de l'âme, et la preuve en est, c'est qu'il voit tout aussi bien les yeux fermés, et au-delà de la portée du rayon visuel ; il lit la pensée figurée dans le rayon fluidique (n° 15)[4].
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[4]Faits de double vue et de lucidité somnambulique rapportés dans la Revue spirite : janvier 1858, page 25 ; - novembre 1858, page 213 ; - juillet 1861, page 197 ; - novembre 1865, page 352.
L'Esprit est donc heureux de quitter son corps, comme l'oiseau quitte sa cage ; il saisit toutes les occasions de s'en affranchir, et profite pour cela de tous les instants où sa présence n'est pas nécessaire à la vie de relation. C'est le phénomène désigné sous le nom d'émancipation de l'âme ; il a toujours lieu dans le sommeil ; toutes les fois que le corps repose et que les sens sont dans l'inactivité, l'Esprit se dégage (Livre des Esprits, chap. VIII).
Dans ces moments, l'Esprit vit de la vie spirituelle, tandis que le corps ne vit que de la vie végétative ; il est en partie dans l'état où il sera après la mort ; il parcourt l'espace, s'entretient avec ses amis et d'autres Esprits libres ou incarnés comme lui.
Le lien fluidique qui le retient au corps n'est définitivement rompu qu'à la mort ; la séparation complète n'a lieu que par l'extinction absolue de l'activité du principe vital. Tant que le corps vit, l'Esprit, à quelque distance qu'il soit, y est instantanément rappelé dès que sa présence est nécessaire ; alors il reprend le cours de la vie extérieure de relation. Parfois, au réveil, il conserve de ses pérégrinations un souvenir, une image plus ou moins précise, qui constitue le rêve ; il en rapporte, dans tous les cas, des intuitions qui lui suggèrent des idées et des pensées nouvelles, et justifient le proverbe : La nuit porte conseil.
Ainsi s'expliquent également certains phénomènes caractéristiques du somnambulisme naturel et magnétique, de la catalepsie, de la léthargie, de l'extase, etc., et qui ne sont autres que les manifestations de la vie spirituelle[5].
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Cependant, la vue spirituelle n'a ni la même étendue ni la même pénétration chez tous les Esprits ; les purs Esprits seuls la possèdent dans toute sa puissance ; chez les Esprits inférieurs, elle est affaiblie par la grossièreté relative du périsprit qui s'interpose comme une sorte de brouillard.
Elle se manifeste à différents degrés chez les Esprits incarnés par le phénomène de la seconde vue, soit dans le somnambulisme naturel ou magnétique, soit à l'état de veille. Selon le degré de puissance de la faculté, on dit que la lucidité est plus ou moins grande. C'est à l'aide de cette faculté que certaines personnes voient l'intérieur de l'organisme et décrivent la cause des maladies.
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[6]C'est ainsi qu'on peut expliquer les visions de la soeur Elmerich, qui, se reportant au temps de la passion du Christ, dit avoir vu des choses matérielles qui n'ont jamais existé que dans les livres qu'elle a lus ; celles de madame Cantanille (Revue spirite, août 1866, p. 240), et une partie de celles de Swedenborg.
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[7]Voir ci-après, chap. XVI, Théorie de la prescience, n° 1, 2, 3.
[8]Revue spirite, juin 1866, page 172 ; - septembre 1866, p. 284. - Livre des Esprits, chap. VIII, n° 400.
Catalepsie ; résurrections
Cette interruption peut avoir lieu par la séparation d'un membre ou la section d'un nerf, mais aussi, partiellement ou d'une manière générale, et sans aucune lésion, dans les moments d'émancipation, de grande surexcitation ou préoccupation de l'Esprit. Dans cet état, l'Esprit ne songe plus au corps, et dans sa fiévreuse activité, il attire, pour ainsi dire, à lui le fluide périsprital qui, se retirant de la surface, y produit une insensibilité momentanée. On pourrait encore admettre qu'en certaines circonstances, il se produit, dans le fluide périsprital même, une modification moléculaire qui lui ôte temporairement la propriété de transmission. C'est ainsi que, souvent, dans l'ardeur du combat, un militaire ne s'aperçoit pas qu'il est blessé ; qu'une personne dont l'attention est concentrée sur un travail, n'entend pas le bruit qui se fait autour d'elle. C'est un effet analogue, mais plus prononcé, qui a lieu chez certains somnambules, dans la léthargie et la catalepsie. C'est ainsi, enfin, qu'on peut expliquer l'insensibilité des convulsionnaires et de certains martyrs (Revue spirite, janvier 1868 : Etude sur les Aïssaouas).
La paralysie n'a pas du tout la même cause : ici l'effet est tout organique ; ce sont les nerfs eux-mêmes, les fils conducteurs qui ne sont plus aptes à la circulation fluidique ; ce sont les cordes de l'instrument qui sont altérées.
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[9]Exemples : Revue spirite, Le docteur Cardon, août 1863, page 251 ; - La femme corse, mai 1866, page 134.
Guérisons
1° Par le fluide même du magnétiseur ; c'est le magnétisme proprement dit, ou magnétisme humain, dont l'action est subordonnée à la puissance et surtout à la qualité du fluide ;
2° Par le fluide des Esprits agissant directement et sans intermédiaire sur un incarné, soit pour guérir ou calmer une souffrance, soit pour provoquer le sommeil somnambulique spontané, soit pour exercer sur l'individu une influence physique ou morale quelconque. C'est le magnétisme spirituel, dont la qualité est en raison des qualités de l'Esprit[10] ;
3° Par le fluide que les Esprits déversent sur le magnétiseur et auquel celui-ci sert de conducteur. C'est le magnétisme mixte, semi-spirituel ou, si l'on veut, humano-spirituel. Le fluide spirituel, combiné avec le fluide humain, donne à ce dernier les qualités qui lui manquent. Le concours des Esprits, en pareille circonstance, est parfois spontané, mais le plus souvent il est provoqué par l'appel du magnétiseur.
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[10]Exemples : Revue spirite, février 1863, page 64 ; - avril 1865, page 113 ; - septembre 1865, page 264.
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[11]Exemples de guérisons instantanées rapportées dans la Revue spirite : Le prince de Hohenlohe, décembre 1866, page 368 ; - Jacob, octobre et novembre 1866, pages 312 et 345 ; octobre et novembre 1867, pages 306 et 339 ; - Simonet, août 1867, page 232 ; - Caïd Hassa., octobre 1867, page 303 ; - Le curé Gassner, novembre 1867, page 331.
Apparitions ; transfigurations
Selon le degré de condensation du fluide périsprital, l'apparition est quelquefois vague et vaporeuse ; d'autres fois, elle est plus nettement définie ; d'autres fois, enfin, elle a toutes les apparences de la matière tangible ; elle peut même aller jusqu'à la tangibilité réelle, au point qu'on peut se méprendre sur la nature de l'être qu'on a devant soi.
Les apparitions vaporeuses sont fréquentes, et il arrive assez souvent que des individus se présentent ainsi, après leur mort, aux personnes qu'ils ont affectionnées. Les apparitions tangibles sont plus rares, quoiqu'il y en ait d'assez nombreux exemples, parfaitement authentiques. Si l'Esprit veut se faire connaître, il donnera à son enveloppe tous les signes extérieurs, qu'il avait de son vivant[12].
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[12]Livre des Médiums, chap. VI et VII.
Tel est le caractère des agénères, avec lesquels on peut s'entretenir sans se douter de ce qu'ils sont, mais qui ne font jamais de longs séjours, et ne peuvent devenir les commensaux habituels d'une maison, ni figurer parmi les membres d'une famille.
Il y a, d'ailleurs, dans toute leur personne, dans leurs allures, quelque chose d'étrange et d'insolite qui tient de la matérialité et de la spiritualité : leur regard, vaporeux et pénétrant tout à la fois, n'a pas la netteté du regard par les yeux de la chair ; leur langage bref et presque toujours sentencieux, n'a rien de l'éclat et de la volubilité du langage humain ; leur approche fait éprouver une sensation particulière indéfinissable de surprise qui inspire une sorte de crainte, et, tout en les prenant pour des individus pareils à tout le monde, on se dit involontairement : Voilà un être singulier[13].
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[13] Exemples d'apparitions vaporeuses ou tangibles et d'agénères : Revue spirite, janvier 1858, page 24 ; - octobre 1858, page 291 ; - février 1859, page 38 ; - mars 1859, page 80 ; janvier 1859, page 11 ; - novembre 1859, page 303 ; août 1859, page 210 ; - avril 1860, page 117 ; - mai 1860, page 150 ; - juillet 1861, page 199 ; - avril 1866, page 120 ; - Le laboureur Martin, présenté à Louis XVIII, détails complets ; décembre 1866, page 353.
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[14]Exemples d'apparitions de personnes vivantes : Revue spirite, décembre 1858, pages 329 et 331 ; - février 1859, page 41 ; - août 1859, page 197 ; - novembre 1860, page 356.
La condensation du fluide périsprital dans les apparitions, même jusqu'à la tangibilité, n'a donc pas les propriétés de la matière ordinaire : sans cela, les apparitions, étant perceptibles par les yeux du corps, le seraient par toutes les personnes présentes[15].
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C'est ainsi que s'opèrent les transfigurations, qui sont toujours un reflet des qualités et des sentiments prédominants de l'Esprit. Ce phénomène est donc le résultat d'une transformation fluidique ; c'est une sorte d'apparition périspritale qui se produit sur le corps même vivant et quelquefois au moment de la mort, au lieu de se produire au loin, comme dans les apparitions proprement dites. Ce qui distingue les apparitions de ce genre, c'est que généralement elles sont perceptibles par tous les assistants et par les yeux du corps, précisément parce qu'elles ont pour base la matière charnelle visible, tandis que, dans les apparitions purement fluidiques, il n'y a point de matière tangible[16].
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[16] Exemple et théorie de la transfiguration, Revue spirite, mars 1859, page 62 (Livre des Médiums, chap. VII, page 142).
Manifestations physiques. Médiumnité
C'est également à l'aide de son périsprit que l'esprit fait écrire, parler ou dessiner les médiums ; n'ayant pas de corps tangible pour agir ostensiblement quand il veut se manifester, il se sert du corps du médium, dont il emprunte les organes, qu'il fait agir comme si c'était son propre corps, et cela par l'effluve fluidique qu'il déverse sur lui.
Lorsque des communications ont lieu par ce moyen, il faut se représenter l'Esprit, non dans la table, mais à côté, tel qu'il était de son vivant, et tel qu'on le verrait si, à ce moment, il pouvait se rendre visible. La même chose a lieu dans les communications par l'écriture ; on verrait l'Esprit à côté du médium, dirigeant sa main ou lui transmettant sa pensée par un courant fluidique.
On comprend, d'après cela, qu'il n'est pas plus difficile à l'Esprit d'enlever une personne que d'enlever une table, de transporter un objet d'un endroit à un autre, ou de le lancer quelque part ; ces phénomènes se produisent par la même loi[17].
Lorsque la table poursuit quelqu'un, ce n'est pas l'Esprit qui court, car il peut rester tranquillement à la même place, mais il lui donne l'impulsion par un courant fluidique à l'aide duquel il la fait mouvoir à son gré.
Lorsque des coups se font entendre dans la table ou ailleurs, l'Esprit ne frappe ni avec sa main, ni avec un objet quelconque ; il dirige sur le point d'où part le bruit un jet de fluide qui produit l'effet d'un choc électrique. Il modifie le bruit, comme on peut modifier les sons produits par l'air[18].
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Le soulèvement d'une personne est un fait non moins positif, mais beaucoup plus rare peut-être, parce qu'il est plus difficile de l'imiter. Il est notoire que M. Home s'est plus d'une fois élevé jusqu'au plafond en faisant le tour de la salle. On dit que saint Cupertin avait la même faculté, ce qui n'est pas plus miraculeux pour l'un que pour l'autre.
[18]Exemples de manifestations matérielles et de perturbations par les Esprits : Revue spirite, Jeune fille des Panoramas, janvier 1858, page 13 ; - Mademoiselle Clairon, février 1858, page 44 ; - Esprit frappeur de Bergzabern, récit complet, mai, juin, juillet 1858, pages 125, 153, 184 ; - Dibbelsdorf, août 1858, page 219 ; - Boulanger de Dieppe, mars 1860, page 76 ; - Marchand de Saint-Pétersbourg, avril 1860, page 115 ; - Rue des Noyers, août 1860, page 236 ; - Esprit frappeur de l'Aube, janvier 1861, page 23 ; - Id. au seizième siècle, janvier 1864, page 32 ; - Poitiers, mai 1864, page 156, et mai 1865, page 134 ; Soeur Marie, juin 1864, page 185 ; - Marseille, avril 1865, page 121 ; - Fives, août 1865, page 225 ; - Les rats d'Equihem, février 1866, page 55.
Ce phénomène n'est pas plus merveilleux que de voir un enfant écrire quand on lui conduit la main : on peut ainsi lui faire exécuter tout ce qu'on veut. On peut faire écrire le premier venu dans une langue quelconque en lui dictant les mots lettre à lettre. On comprend qu'il puisse en être de même dans la médiumnité, si l'on se reporte à la manière dont les Esprits se communiquent aux médiums, qui ne sont pour eux, en réalité, que des instruments passifs. Mais si le médium possède le mécanisme, s'il a vaincu les difficultés pratiques, si les expressions lui sont familières, s'il a enfin dans son cerveau les éléments de ce que l'Esprit veut lui faire exécuter, il est dans la position de l'homme qui sait lire et écrire couramment ; le travail est plus facile et plus rapide ; l'Esprit n'a plus qu'à transmettre la pensée que son interprète reproduit par les moyens dont il dispose.
L'aptitude d'un médium à des choses qui lui sont étrangères tient souvent aussi aux connaissances qu'il a possédées dans une autre existence, et dont son Esprit a conservé l'intuition. S'il a été poète ou musicien, par exemple, il aura plus de facilité à s'assimiler la pensée poétique ou musicale qu'on veut lui faire reproduire. La langue qu'il ignore aujourd'hui peut lui avoir été familière dans une autre existence : de là, pour lui, une aptitude plus grande à écrire médianimiquement dans cette langue[19].
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Obsessions et possessions
L'obsession est l'action persistante qu'un mauvais Esprit exerce sur un individu. Elle présente des caractères très différents, depuis la simple influence morale sans signes extérieurs sensibles, jusqu'au trouble complet de l'organisme et des facultés mentales. Elle oblitère toutes les facultés médianimiques ; dans la médiumnité auditive et psychographique, elle se traduit par l'obstination d'un Esprit à se manifester à l'exclusion de tous autres.
L'obsession est presque toujours le fait d'une vengeance exercée par un Esprit, et qui le plus souvent a sa source dans les rapports que l'obsédé a eus avec lui dans une précédente existence.
Dans les cas d'obsession grave, l'obsédé est comme enveloppé et imprégné d'un fluide pernicieux qui neutralise l'action des fluides salutaires et les repousse. C'est de ce fluide qu'il faut le débarrasser ; or, un mauvais fluide ne peut être repoussé par un mauvais fluide. Par une action identique à celle du médium guérisseur dans les cas de maladie, il faut expulser le fluide mauvais à l'aide d'un fluide meilleur.
Ceci est l'action mécanique, mais qui ne suffit pas toujours ; il faut aussi, et surtout, agir sur l'être intelligent auquel il faut avoir le droit de parler avec autorité, et cette autorité n'est donnée qu'à la supériorité morale ; plus celle-ci est grande, plus l'autorité est grande.
Ce n'est pas tout encore : pour assurer la délivrance, il faut amener l'Esprit pervers à renoncer à ses mauvais desseins ; il faut faire naître en lui le repentir et le désir du bien, à l'aide d'instructions habilement dirigées, dans des évocations particulières faites en vue de son éducation morale ; alors on peut avoir la douce satisfaction de délivrer un incarné et de convertir un Esprit imparfait.
La tâche est rendue plus facile quand l'obsédé, comprenant sa situation, apporte son concours de volonté et de prière ; il n'en est pas ainsi quand celui-ci, séduit par l'Esprit trompeur, se fait illusion sur les qualités de son dominateur, et se complaît dans l'erreur où ce dernier le plonge ; car alors, loin de seconder, il repousse toute assistance. C'est le cas de la fascination, toujours infiniment plus rebelle que la subjugation la plus violente (Livre des Médiums, chap. XXIII).
Dans tous les cas d'obsession, la prière est le plus puissant auxiliaire pour agir contre l'Esprit obsesseur.
Dans la possession, au lieu d'agir extérieurement, l'Esprit libre se substitue, pour ainsi dire, à l'Esprit incarné ; il fait élection de domicile dans son corps, sans cependant que celui-ci le quitte définitivement, ce qui ne peut avoir lieu qu'à la mort. La possession est donc toujours temporaire et intermittente, car un Esprit désincarné ne peut prendre définitivement le lieu et place d'un Esprit incarné, attendu que l'union moléculaire du périsprit et du corps ne peut s'opérer qu'au moment de la conception (Chap. XI, n° 18).
L'Esprit, en possession momentanée du corps, s'en sert comme du sien propre ; il parle par sa bouche, voit par ses yeux, agit avec ses bras, comme il l'eût fait de son vivant. Ce n'est plus comme dans la médiumnité parlante, où l'Esprit incarné parle en transmettant la pensée d'un Esprit désincarné ; c'est ce dernier lui-même qui parle et qui agit, et si on l'a connu de son vivant, on le reconnaît à son langage, à sa voix, à ses gestes et jusqu'à l'expression de sa physionomie.
Quand l'Esprit possesseur est mauvais, les choses se passent autrement ; il n'emprunte pas le corps, il s'en empare si le titulaire n'est pas de force morale à lui résister. Il le fait par méchanceté envers celui-ci, qu'il torture et martyrise de toutes les manières, jusqu'à vouloir le faire périr, soit par la strangulation, soit en le poussant dans le feu ou autres endroits dangereux. Se servant des membres et des organes du malheureux patient, il blasphème, il injurie et maltraite ceux qui l'entourent ; il se livre à ces excentricités et à des actes qui ont tous les caractères de la folie furieuse.
Les faits de ce genre, à différents degrés d'intensité, sont très nombreux, et beaucoup de cas de folie n'ont pas d'autre cause. Souvent, il s'y joint des désordres pathologiques qui ne sont que consécutifs, et contre lesquels les traitements médicaux sont impuissants, tant que subsiste la cause première. Le Spiritisme, en faisant connaître cette source d'une partie des misères humaines, indique le moyen d'y remédier : ce moyen est d'agir sur l'auteur du mal, qui, étant un être intelligent, doit être traité par l'intelligence[20].
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[20]Exemples de cures d'obsessions et de possessions : Revue spirite, décembre 1863, page 373 ; - janvier 1864, page 11 ; - juin 1864, page 168 ; - janvier 1865, page 5 ; - juin 1865, page 172 ; février 1866, page 38 ; - juin 1867, page 174.
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CHAPITRE XV - Les Miracles de l'Evangile
SUPERIORITE DE LA NATURE DE JESUS
Le principe des phénomènes psychiques repose, comme on l'a vu, sur les propriétés du fluide périsprital qui constitue l'agent magnétique ; sur les manifestations de la vie spirituelle pendant la vie et après la mort ; enfin sur l'état constitutif des Esprits et leur rôle comme force active de la nature. Ces éléments connus et leurs effets constatés, ils ont pour conséquence de faire admettre la possibilité de certains faits que l'on rejetait alors qu'on leur attribuait une origine surnaturelle.
Comme homme, il avait l'organisation des êtres charnels ; mais comme Esprit pur, détaché de la matière, il devait vivre de la vie spirituelle plus que de la vie corporelle, dont il n'avait point les faiblesses. La supériorité de Jésus sur les hommes ne tenait point aux qualités particulières de son corps, mais à celles de son Esprit, qui dominait la matière d'une manière absolue, et à celle de son périsprit puisé dans la partie la plus quintessenciée des fluides terrestres. (Chap. XIV, n° 9). Son âme ne devait tenir au corps que par les liens strictement indispensables ; constamment dégagée, elle devait lui donner une double vue non seulement permanente, mais d'une pénétration exceptionnelle et bien autrement supérieure à celle que l'on voit chez les hommes ordinaires. Il devait en être de même de tous les phénomènes qui dépendent des fluides périspritaux ou psychiques. La qualité de ces fluides lui donnait une immense puissance magnétique secondée par le désir incessant de faire le bien.
Dans les guérisons qu'il opérait, agissait-il comme médium ? Peut-on le considérer comme un puissant médium guérisseur ? Non ; car le médium est un intermédiaire, un instrument dont se servent les Esprits désincarnés. Or, le Christ n'avait pas besoin d'assistance, lui qui assistait les autres ; il agissait donc par lui-même, en vue de sa puissance personnelle, ainsi que peuvent le faire les incarnés dans certains cas et dans la mesure de leurs forces. Quel Esprit d'ailleurs eût osé lui insuffler ses propres pensées et le charger de les transmettre ? S'il recevait un influx étranger, ce ne pouvait être que de Dieu ; selon la définition donnée par un Esprit, il était médium de Dieu.
SONGES
Les avertissements par songes jouent un grand rôle dans les livres sacrés de toutes les religions. Sans garantir l'exactitude de tous les faits rapportés et sans les discuter, le phénomène en lui-même n'a rien d'anormal quand on sait que le temps du sommeil est celui où l'Esprit, se dégageant des liens de la matière, rentre momentanément dans la vie spirituelle où il se retrouve avec ceux qu'il a connus. C'est souvent ce moment que choisissent les Esprits protecteurs pour se manifester à leurs protégés et leur donner des conseils plus directs. Les exemples authentiques d'avertissements par songes sont nombreux, mais il n'en faudrait pas inférer que tous les songes sont des avertissements, et encore moins que tout ce qu'on voit en rêve a sa signification. Il faut ranger parmi les croyances superstitieuses et absurdes, l'art d'interpréter les songes (Chap. XIV, n° 27 et 28).
ETOILE DES MAGES
La question n'est pas de savoir si le fait rapporté par saint Matthieu est réel, ou si ce n'est qu'une figure pour indiquer que les mages furent guidés d'une manière mystérieuse vers le lieu où était l'Enfant, attendu qu'il n'existe aucun moyen de contrôle, mais bien si un fait de cette nature est possible.
Une chose certaine, c'est que dans cette circonstance la lumière ne pouvait être une étoile. On pouvait le croire à l'époque où l'on pensait que les étoiles sont des points lumineux attachés au firmament et qui peuvent tomber sur la terre ; mais non aujourd'hui que l'on connaît leur nature.
Pour n'avoir pas la cause qu'on lui attribue, le fait de l'apparition d'une lumière ayant l'aspect d'une étoile n'en est pas moins une chose possible. Un Esprit peut apparaître sous une forme lumineuse, ou transformer une partie de son fluide périsprital en un point lumineux. Plusieurs faits de ce genre, récents et parfaitement authentiques, n'ont pas d'autre cause, et cette cause n'a rien de surnaturel (Chap. XIV, n° 13 et suiv.).
DOUBLE VUE
Entrée de Jésus à Jérusalem.
Les disciples s'en allèrent donc, et firent ce que Jésus leur avait commandé. - Et avant amené l'ânesse et l'ânon, ils les couvrirent de leurs vêtements, et le firent monter dessus (Saint Matth., ch. XXI, v. de 1 à 7).
Baiser de Judas
Pêche miraculeuse
Lorsqu'il eut cessé de parler, il dit à Simon : Avancez en pleine eau, et jetez vos filets pour pêcher. - Simon lui répondit : Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre, mais néanmoins sur votre parole je jetterai le filet. - L'ayant donc jeté, ils prirent une si grande quantité de poissons que leur filet se rompit. - Et ils firent signe à leurs compagnons, qui étaient dans l'autre barque, de venir les aider. Ils y vinrent, et ils remplirent tellement leurs barques, qu'il s'en fallait peu qu'elles ne coulassent à fond (Saint Luc, ch. V, v. de 1 à 7).
Vocation de Pierre, André, Jacques, Jean et Matthieu
De là, s'avançant, il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, qui étaient dans une barque avec Zébédée, leur père, et qui raccommodaient leurs filets, et il les appela. - En même temps ils quittèrent leurs filets et leur père, et ils le suivirent (Saint Matth., ch. IV, v. de 18 à 22).
Jésus, sortant de là, vit en passant un homme assis au bureau des impôts, nommé Matthieu, auquel il dit : Suivez-moi ; et lui aussitôt se leva et le suivit (Saint Matthieu, ch. IV, v. 9).
La pêche qualifiée de miraculeuse s'explique également par la double vue. Jésus, n'a point produit spontanément des poissons là où il n'en existait pas ; il a vu, comme aurait pu le faire un lucide éveillé, par la vue de l'âme, l'endroit où ils se trouvaient, il a pu dire avec assurance aux pêcheurs d'y jeter leurs filets.
La pénétration de la pensée, et par suite certaines prévisions, sont la conséquence de la vue spirituelle. Lorsque Jésus appelle à lui Pierre, André, Jacques, Jean et Matthieu, il fallait qu'il connût leurs dispositions intimes pour savoir qu'ils le suivraient et qu'ils étaient capables de remplir la mission dont il devait les charger. Il fallait qu'eux-mêmes eussent l'intuition de cette mission pour s'abandonner à lui. Il en est de même lorsque, le jour de la Cène, il annonce que l'un des douze le trahira, et qu'il le désigne en disant que c'est celui qui met la main dans le plat, et lorqu'il dit que Pierre le renoncera.
En maints endroits de l'Evangile, il est dit : « Mais Jésus, connaissant leur pensée, leur dit... » Or comment pouvait-il connaître leur pensée, si ce n'est à la fois par le rayonnement fluidique qui lui apportait cette pensée, et la vue spirituelle qui lui permettait de lire dans le for intérieur des individus ?
Alors souvent qu'on croit une pensée profondément ensevelie dans les replis de l'âme, on ne se doute pas qu'on porte en soi un miroir qui la réfléchit, un révélateur dans son propre rayonnement fluidique qui en est imprégné. Si l'on voyait le mécanisme du monde invisible qui nous entoure, les ramifications de ces fils conducteurs de la pensée qui relient tous les êtres intelligents, corporels et incorporels, les effluves fluidiques chargés des empreintes du monde moral, et qui, comme des courants aériens, traversent l'espace, on serait moins surpris de certains effets que l'ignorance attribue au hasard (Chap. XIV, n° 15, 22 et suivants).
GUERISONS
Perte de sang
Aussitôt Jésus, connaissant en lui-même la vertu qui était sortie de lui, se retourna au milieu de la foule, et dit : Qui est-ce qui a touché mes vêtements ? - Ses disciples lui dirent : Vous voyez que la foule vous presse de tous côtés, et vous demandez qui vous a touché ? - Et il regardait tout autour de lui pour voir celle qui l'avait touché.
Mais cette femme, qui savait ce qui s'était passé en elle, étant saisie de crainte et de frayeur, vint se jeter à ses pieds, et lui déclara toute la vérité. - Et Jésus lui dit : Ma fille, votre foi vous a sauvée ; allez en paix, et soyez guérie de votre maladie (Saint Marc, ch. V, v. de 25 à 34).
Mais pourquoi ce rayonnement s'est-il dirigé vers cette femme plutôt que vers d'autres, puisque Jésus ne pensait pas à elle, et qu'il était entouré par la foule ?
La raison en est bien simple. Le fluide, étant donné comme matière thérapeutique, doit atteindre le désordre organique pour le réparer ; il peut être dirigé sur le mal par la volonté du guérisseur, ou attiré par le désir ardent, la confiance, en un mot la foi du malade. Par rapport au courant fluidique, le premier fait l'effet d'une pompe foulante et le second d'une pompe aspirante. Quelquefois la simultanéité des deux effets est nécessaire, d'autres fois un seul suffit ; c'est le second qui a eu lieu en cette circonstance.
Jésus avait donc raison de dire : « Votre foi vous a sauvée. » On comprend qu'ici la foi n'est pas la vertu mystique telle que certaines personnes l'entendent, mais une véritable force attractive, tandis que celui qui ne l'a pas oppose au courant fluidique une force répulsive, ou tout au moins une force d'inertie qui paralyse l'action. D'après cela, on comprend que de deux malades atteints du même mal, étant en présence d'un guérisseur, l'un puisse être guéri, et l'autre non. C'est là un des principes les plus importants de la médiumnité guérissante et qui explique, par une cause très naturelle, certaines anomalies apparentes (Chap. XIV, n° 31, 32, 33).
Aveugle de Bethsaïde.
Et prenant l'aveugle par la main, il le mena hors du bourg ; il lui mit de la salive sur les yeux, et lui ayant imposé les mains, il lui demanda s'il voyait quelque chose. - Cet homme, regardant, lui dit : Je vois marcher des hommes qui me paraissent comme des arbres. - Jésus lui mit encore une fois les mains sur les yeux, et il commença à mieux voir ; et enfin il fut tellement guéri, qu'il voyait distinctement toutes choses.
Il le renvoya ensuite dans sa maison, et lui dit : Allez-vous-en en votre maison ; et si vous entrez dans le bourg, n'y dites à personne ce qui vous est arrivé (Saint Marc, ch. VIII, v. de 22 à 26).
Paralytique
Aussitôt quelques-uns des scribes dirent en eux-mêmes : Cet homme blasphème. - Mais Jésus, ayant connu ce qu'ils pensaient, leur dit : Pourquoi avez-vous de mauvaises pensées dans vos coeurs ? - Car, lequel est le plus aisé, ou de dire : Vos péchés vous sont remis, ou de dire : Levez-vous et marchez ? - Or, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés : Levez-vous, dit-il alors au paralytique ; emportez votre lit, et allez-vous-en dans votre maison.
Le paralytique se leva aussitôt et s'en alla en sa maison. - Et le peuple, voyant ce miracle, fut rempli de crainte et rendit gloire à Dieu de ce qu'il avait donné une telle puissance aux hommes (Saint Matth., ch. IX, v. de 1 à 8).
Si donc la maladie de cet homme était une punition pour le mal qu'il avait pu commettre, en lui disant : « Vos péchés vous sont remis, » c'était lui dire : « Vous avez payé votre dette ; la cause de votre maladie est effacée par votre foi présente ; en conséquence, vous méritez d'être délivré de votre maladie. » C'est pour cela qu'il dit aux scribes : « Il est aussi facile de dire : Vos péchés vous sont remis, que : Levez-vous et marchez ; » la cause cessant, l'effet doit cesser. Le cas est le même que pour un prisonnier à qui l'on viendra dire : « Votre crime est expié et pardonné, » ce qui équivaudrait à lui dire : « Vous pouvez sortir de prison ».
Les dix lépreux
L'un deux, voyant qu'il était guéri, retourna sur ses pas, glorifiant Dieu à haute voix ; - et vint se jeter aux pieds de Jésus, le visage contre terre, en lui rendant grâces ; et celui-là était Samaritain.
Alors Jésus dit : Tous les dix n'ont-ils pas été guéris ? Où sont donc les neuf autres ? - Il ne s'en est point trouvé qui soit revenu, et qui ait rendu gloire à Dieu, sinon cet étranger. - Et il lui dit : Levez-vous, allez ; votre foi vous a sauvé (Saint Luc, ch. XVII, v. de 11 à 19).
Main sèche
Aussitôt les pharisiens, étant sortis, tinrent conseil contre lui avec les hérodiens, sur le moyen de le perdre. - Mais Jésus se retira avec ses disciples vers la mer, où une grande multitude de peuple le suivit de Galilée et de Judée, - de Jérusalem, de l'Idumée, et d'au-delà le Jourdain ; et ceux des environs de Tyr et de Sidon, ayant entendu parler des choses qu'il faisait, vinrent en grand nombre le trouver (Saint Marc, ch. III, v. de 1 à 8).
La femme courbée
Mais le chef de la synagogue, indigné de ce que Jésus l'avait guérie un jour de sabbat, dit au peuple : Il y a six jours destinés pour travailler ; venez ces jours-là pour être guéris et non aux jours du sabbat.
Le Seigneur, prenant la parole, lui dit : Hypocrite, y a-t-il quelqu'un de vous qui ne délie pas son boeuf ou son âne de la crèche le jour du sabbat, et ne le mène boire ? - Pourquoi donc ne fallait-il pas délivrer de ses liens, en un jour de sabbat, cette fille d'Abraham que Satan avait tenue ainsi liée durant dix-huit ans ?
A ces paroles, tous ses adversaires demeurèrent confus, et tout le peuple était ravi de lui voir faire tant d'actions glorieuses (Saint Luc, ch. XIII, v. de 10 à 17).
Paralytique de la piscine
Or, il y avait là un homme qui était malade depuis trente-huit ans. - Jésus l'ayant vu couché, et connaissant qu'il était malade depuis fort longtemps, lui dit : Voulez-vous être guéri ? - Le malade répondit : Seigneur, je n'ai personne pour me jeter dans la piscine après que l'eau a été remuée ; et, pendant le temps que je mets à y aller, un autre y descend avant moi. - Jésus lui dit : Levez-vous, emportez votre lit et marchez. - A l'instant cet homme fut guéri ; et prenant son lit, il commença à marcher. Or, ce jour-là était un jour de sabbat.
Les Juifs dirent donc à celui qui avait été guéri : C'est aujourd'hui le sabbat ; il ne vous est pas permis d'emporter votre lit. - Il leur répondit : Celui qui m'a guéri m'a dit : Emportez votre lit et marchez. - Ils lui demandèrent : Qui donc est cet homme qui vous a dit : Emportez votre lit et marchez ? - Mais celui qui avait été guéri ne savait pas lui-même qui il était, car Jésus s'était retiré de la foule du peuple qui était là.
Depuis, Jésus trouva cet homme dans le Temple, et lui dit : Vous voyez que vous êtes guéri, ne péchez plus à l'avenir, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pis.
Cet homme s'en alla trouver les Juifs, et leur dit que c'était Jésus qui l'avait guéri. - Et c'est pour cette raison que les Juifs persécutaient Jésus, parce qu'il faisait ces choses-là le jour du sabbat. - Alors Jésus leur dit : Mon Père ne cesse point d'agir jusqu'à présent, et j'agis aussi incessamment (Saint Jean, ch. V, v. de 1 à 17).
La piscine de Bethsaïda, à Jérusalem, était une citerne, près du Temple, alimentée par une source naturelle, dont l'eau paraît avoir eu des propriétés curatives. C'était sans doute une source intermittente, qui, à certaines époques, jaillissait avec force et remuait l'eau. Selon la croyance vulgaire, ce moment était le plus favorable aux guérisons ; peut-être qu'en réalité, au moment de sa sortie, l'eau avait une propriété plus active, ou que l'agitation produite par l'eau jaillissante remuait la vase salutaire dans certaines maladies. Ces effets sont très naturels et parfaitement connus aujourd'hui ; mais alors les sciences étaient peu avancées, et l'on voyait une cause surnaturelle dans la plupart des phénomènes incompris. Les Juifs attribuaient donc l'agitation de cette eau à la présence d'un ange, et cette croyance leur semblait d'autant mieux fondée, qu'à ce moment l'eau était plus salutaire.
Après avoir guéri cet homme, Jésus lui dit : « A l'avenir ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pis. » Par ces paroles, il lui fait entendre que sa maladie était une punition, et que, s'il ne s'améliore pas, il pourra être de nouveau puni encore plus rigoureusement. Cette doctrine est entièrement conforme à celle qu'enseigne le Spiritisme.
Aveugle-né
Jésus leur répondit : Ce n'est point qu'il a péché, ni ceux qui l'ont mis au monde ; mais c'est afin que les oeuvres de la puissance de Dieu éclatent en lui. Il faut que je fasse les oeuvres de celui qui m'a envoyé pendant qu'il est jour ; la nuit vient, dans laquelle personne ne peut agir. - Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.
Après avoir dit cela, il cracha à terre, et ayant fait de la boue avec sa salive, il oignit de cette boue les yeux de l'aveugle, - et lui dit : Allez vous laver dans la piscine de Siloé qui signifie Envoyé. Il y alla donc, il s'y lava, et en revint voyant clair.
Ses voisins et ceux qui l'avaient vu auparavant demander l'aumône, disaient : N'est-ce pas celui qui était assis, et qui demandait l'aumône ? Les uns répondaient : C'est lui ; - d'autres disaient : Non, c'est un qui lui ressemble. Mais il leur disait : C'est moi-même. - Ils lui dirent donc : Comment vos yeux se sont-ils ouverts ? - Il leur répondit : Cet homme qu'on appelle Jésus a fait de la boue et en a oint mes yeux, et m'a dit : Allez à la piscine de Siloé et vous y lavez. J'y ai été, je m'y suis lavé, et je vois. - Ils lui dirent : Où est-il ? Il leur répondit : Je ne sais.
Alors ils amenèrent aux pharisiens cet homme qui avait été aveugle. - Or, c'était le jour du sabbat que Jésus avait fait cette boue et lui avait ouvert les yeux.
Les pharisiens l'interrogèrent donc aussi eux-mêmes pour savoir comment il avait recouvré la vue. Et il leur dit : Il m'a mis de la boue sur les yeux ; je me suis lavé et je vois. - Sur quoi quelques-uns des pharisiens dirent : Cet homme n'est point envoyé de Dieu, puisqu'il ne garde point le sabbat. Mais d'autres disaient : Comment un méchant homme pourrait-il faire de tels prodiges ? Et il y avait sur cela de la division entre eux.
Ils dirent donc de nouveau à l'aveugle : Et toi, que dis-tu de cet homme qui t'a ouvert les yeux ? Il répondit : Je dis que c'est un prophète. - Mais les Juifs ne crurent point que cet homme eût été aveugle, et qu'il eût recouvré la vue, jusqu'à ce qu'ils eussent fait venir son père et sa mère, - qu'ils interrogèrent, en leur disant : Est-ce là votre fils que vous dites être né aveugle ? Comment donc voit-il maintenant ? Le père et la mère répondirent : - Nous savons que c'est là notre fils, et qu'il est né aveugle ; - mais nous ne savons comment il voit maintenant, et nous ne savons pas non plus qui lui a ouvert les yeux. Interrogez-le ; il a de l'âge, qu'il réponde pour lui-même.
Son père et sa mère parlaient de la sorte, parce qu'ils craignaient les Juifs ; car les Juifs avaient déjà résolu ensemble que quiconque reconnaîtrait Jésus pour être le Christ, serait chassé de la synagogue. - Ce fut ce qui obligea le père et la mère de répondre : Il a de l'âge, interrogez-le lui-même.
Ils appelèrent donc une seconde fois cet homme qui avait été aveugle, et lui dirent : Rends gloire à Dieu ; nous savons que cet homme est un pécheur. - Il leur répondit : Si c'est un pécheur, je n'en sais rien ; mais tout ce que je sais, c'est que j'étais aveugle, et je vois maintenant. - Ils lui dirent encore : Que t'a-t-il fait, et comment t'a-t-il ouvert les yeux ? - Il leur répondit : Je vous l'ai déjà dit, et vous l'avez entendu ; pourquoi voulez-vous l'entendre encore une fois ? Est-ce que vous voulez devenir ses disciples ? - Sur quoi, ils le chargèrent d'injures, et lui dirent : Sois toi-même son disciple ; pour nous, nous sommes les disciples de Moïse. - Nous savons que Dieu a parlé à Moïse, mais pour celui-ci nous ne savons d'où il sort.
Cet homme leur répondit : C'est ce qui est étonnant que vous ne sachiez pas d'où il est, et qu'il m'ait ouvert les yeux. - Or, nous savons que Dieu n'exauce point les pécheurs ; mais si quelqu'un l'honore et qu'il fasse sa volonté, c'est celui-là qu'il exauce. - Depuis que le monde est, on n'a jamais entendu dire que personne ait ouvert les yeux à un aveugle-né. - Si cet homme n'était point envoyé de Dieu, il ne pourrait rien faire de tout ce qu'il a fait.
Ils lui répondirent : Tu n'es que péché dès le ventre de ta mère, et tu veux nous enseigner ? Et ils le chassèrent (Saint Jean, ch. IX, v. de 1 à 34).
Etre chassé de la synagogue équivalait à être mis hors de l'Eglise ; c'était une sorte d'excommunication. Les Spirites, dont la doctrine est celle du Christ interprétée selon le progrès des lumières actuelles, sont traités comme les Juifs qui reconnaissaient Jésus pour le Messie ; en les excommuniant, on les met hors de l'Eglise, comme firent les scribes et les pharisiens à l'égard des partisans de Jésus. Ainsi, voici un homme qui est chassé, parce qu'il ne peut croire que celui qui l'a guéri soit un possédé du démon, et parce qu'il glorifie Dieu de sa guérison ! N'est-ce pas ce que l'on fait à l'égard des Spirites ? Ce qu'ils obtiennent : sages conseils des Esprits, retour à Dieu et au bien, guérisons, tout est l'oeuvre du diable et on leur jette l'anathème. N'a-t-on pas vu des prêtres dire, du haut de la chaire, qu'il valait mieux rester incrédule que de revenir à la foi par le Spiritisme ? N'en a-t-on pas vu dire à des malades qu'ils ne devaient se faire guérir par les Spirites qui possèdent ce don, parce que c'est un don satanique ? D'autres prêchent que les malheureux ne devaient pas accepter le pain distribué par les Spirites, parce que c'était le pain du diable ? Que disaient et que faisaient de plus les prêtres juifs et les pharisiens ? Du reste, il est dit que tout doit se passer aujourd'hui comme au temps du Christ.
Cette demande des disciples : Est-ce le péché de cet homme qui est cause qu'il est né aveugle ? indique l'intuition d'une existence antérieure, autrement elle n'aurait pas de sens ; car le péché qui serait la cause d'une infirmité de naissance devrait avoir été commis après la naissance et, par conséquent, dans une existence antérieure. Si Jésus avait vu là une idée fausse, il leur aurait dit : « Comment cet homme aurait-il pu pécher avant d'être né ? » Au lieu de cela, il leur dit que cet homme est aveugle, ce n'est pas qu'il ait péché, mais afin que la puissance de Dieu éclate en lui, c'est-à-dire qu'il devait être l'instrument d'une manifestation de la puissance de Dieu. Si ce n'était pas une expiation du passé, c'était une épreuve qui devait servir à son avancement, car Dieu, qui est juste, ne pouvait lui imposer une souffrance sans compensation.
Quant au moyen employé pour le guérir, il est évident que l'espèce de boue faite avec de la salive et de la terre ne pouvait avoir de vertu que par l'action du fluide guérisseur dont elle était imprégnée ; c'est ainsi que les substances les plus insignifiantes : l'eau, par exemple, peuvent acquérir des qualités puissantes et effectives sous l'action du fluide spirituel ou magnétique auquel elles servent de véhicule, ou, si l'on veut, de réservoir.
Nombreuses guérisons de Jésus
En soulageant la souffrance, il s'attachait les gens par le coeur, et se faisait des prosélytes plus nombreux et plus sincères que s'ils n'eussent été frappés que par le spectacle des yeux. Par ce moyen il se faisait aimer, tandis que, s'il se fût borné à produire des effets matériels surprenants, comme en demandaient les pharisiens, la plupart n'auraient vu en lui qu'un sorcier et un habile jongleur que les désoeuvrés, eussent été voir pour se distraire.
Ainsi, quand Jean-Baptiste envoie à lui ses disciples pour lui demander s'il est le Christ, il ne dit pas : « Je le suis, » car tout imposteur aurait pu en dire autant ; il ne leur parle ni de prodiges, ni de choses merveilleuses, mais il leur répond simplement : « Allez dire à Jean : Les aveugles voient, les malades sont guéris, les sourds entendent, l'Evangile est annoncé aux pauvres. » C'était lui dire : « Reconnaissez-moi à mes oeuvres, jugez l'arbre à son fruit, » car là est le véritable caractère de sa mission divine.
Ceux qui ne voient dans le Spiritisme que des effets matériels ne peuvent comprendre sa puissance morale ; aussi les incrédules, qui ne le connaissent que par des phénomènes dont ils n'admettent pas la cause première, ne voient dans les Spirites que des jongleurs et des charlatans. Ce n'est donc pas par des prodiges que le Spiritisme triomphera de l'incrédulité : c'est en multipliant ses bienfaits moraux, car si les incrédules n'admettent pas les prodiges, ils connaissent, comme tout le monde, la souffrance et les afflictions, et personne ne refuse les soulagements et les consolations.
POSSEDES
Or il se trouva dans la synagogue un homme, possédé d'un Esprit impur, qui s'écria - en disant : Qu'y a-t-il entre vous et nous, Jésus de Nazareth ? Etes-vous venu pour nous perdre ? Je sais qui vous êtes : vous êtes le saint de Dieu. - Mais Jésus, lui parlant avec menace, lui dit : Tais-toi et sors de cet homme. - Alors l'Esprit impur, s'agitant avec de violentes convulsions, et jetant un grand cri, sortit de lui.
Tous en furent si surpris, qu'ils se demandaient les uns aux autres : Qu'est-ce que ceci ? et quelle est cette nouvelle doctrine ? Il commande avec empire, même aux Esprits impurs, et ils lui obéissent (Saint Marc, ch. I, v. de 21 à 27).
Mais les Pharisiens disaient au contraire : C'est par le prince des démons qu'il chasse les démons (Saint Matth., ch. IX, v. 32, 33, 34).
Alors il leur demanda : De quoi disputez-vous ensemble ? - Et un homme d'entre le peuple, prenant la parole, lui dit : Maître, je vous ai amené mon fils qui est possédé d'un Esprit muet ; - et en quelque lieu qu'il se saisisse de lui, il le jette contre terre, et l'enfant écume, grince des dents, et devient tout sec. J'ai prié vos disciples de le chasser, mais ils ne l'ont pu.
Jésus leur répondit : O gens incrédules, jusqu'à quand serai-je avec vous ? Jusqu'à quand vous souffrirai-je ? Amenez-le-moi ! - Ils le lui amenèrent ; et il n'eut pas plus tôt vu Jésus, que l'Esprit commença à l'agiter avec violence, et il tomba par terre où il se roulait en écumant.
Jésus demanda au père de l'enfant : Combien y a-t-il que cela lui arrive ? - Dès son enfance, dit le père - Et l'Esprit l'a souvent jeté, tantôt dans le feu, et tantôt dans l'eau pour le faire périr ; mais si vous pouvez quelque chose, ayez compassion de nous et nous secourez.
Jésus lui répondit : Si vous pouvez croire, tout est possible à celui qui croit. - Aussitôt le père de l'enfant s'écriant, lui dit avec larmes : Seigneur, je crois, aidez-moi dans mon incrédulité.
Et Jésus, voyant que le peuple accourait en foule, parla avec menace à l'Esprit impur, et lui dit : Esprit sourd et muet, sors de l'enfant, je te le commande, et n'y rentre plus. - Alors, cet Esprit ayant jeté un grand cri, et l'ayant agité par de violentes convulsions, sortit, et l'enfant demeura comme mort, de sorte que plusieurs disaient qu'il était mort. - Mais Jésus l'ayant pris par la main, et le soulevant, il se leva.
Lorsque Jésus fut entré dans la maison, ses disciples lui dirent en particulier : D'où vient que nous n'avons pu chasser ce démon ? - Il leur répondit : Ces sortes de démons ne peuvent être chassés par aucun autre moyen que par la prière et par le jeûne (Saint Marc, ch. IX, v. de 13 à 28).
Mais les pharisiens entendant cela, disaient : Cet homme ne chasse les démons que par la vertu de Belzébuth, prince des démons.
Or Jésus, connaissant leurs pensées, leur dit : Tout royaume divisé contre lui-même sera ruiné ; et toute ville ou maison qui est divisée contre elle-même ne pourra subsister. - Si Satan chasse Satan, il est divisé contre soi-même ; comment donc son royaume subsistera-t-il ? - Et si c'est par Belzébuth que je chasse les démons, par qui vos enfants les chassent-ils ? C'est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges. - Si je chasse les démons par l'Esprit de Dieu, le royaume de Dieu est donc parvenu jusqu'à vous (Saint Matth., ch. XII, v. 22 à 28).
Sans être à l'état épidémique, les obsessions individuelles sont extrêmement fréquentes et se présentent sous des aspects très variés, qu'une connaissance approfondie du Spiritisme fait aisément reconnaître ; elles peuvent souvent avoir des conséquences fâcheuses pour la santé, soit en aggravant des affections organiques, soit en les déterminant. Elles seront incontestablement un jour rangées parmi les causes pathologiques requérant, par leur nature spéciale, des moyens curatifs spéciaux. Le Spiritisme, en faisant connaître la cause du mal, ouvre une nouvelle voie à l'art de guérir, et fournit à la science le moyen de réussir là où elle n'échoue souvent que faute de s'attaquer à la cause première du mal (Livre des Médiums, chap. XXIII).
« Si Jésus avait opéré ses miracles par la vertu du démon, le démon aurait donc travaillé à détruire son empire, et il aurait employé sa puissance contre lui-même. Certes, un démon qui chercherait à détruire le règne du vice pour établir celui de la vertu, serait un étrange démon. Voilà pourquoi Jésus, pour repousser l'absurde accusation des Juifs, leur disait : « Si j'opère des prodiges au nom du démon, le démon est donc divisé avec lui-même, il cherche donc à se détruire ! » réponse qui ne souffre pas de réplique. »
C'est précisément l'argument qu'opposent les Spirites à ceux qui attribuent au démon les bons conseils qu'ils reçoivent des Esprits. Le démon agirait comme un voleur de profession qui rendrait tout ce qu'il a volé, et engagerait les autres voleurs à devenir d'honnêtes gens.
RESURRECTIONS
Fille de Jaïre.
Jésus s'en alla avec lui, et il était suivi d'une grande foule de peuple qui le pressait.
Lorsqu'il (Jaïre) parlait encore, il vint des gens du chef de la Synagogue, qui lui dirent : Votre fille est morte ; pourquoi voulez-vous donner au Maître la peine d'aller plus loin ? - Mais Jésus, ayant entendu cette parole, dit au chef de la synagogue : Ne craignez point, croyez seulement. - Et il ne permit à personne de la suivre, sinon à Pierre, à Jacques et à Jean, frère de Jacques.
Etant arrivé dans la maison de ce chef de la synagogue il y vit une troupe confuse de personnes qui pleuraient et qui jetaient de grands cris ; - et en entrant il leur dit : Pourquoi faites-vous tant de bruit, et pourquoi pleurez-vous ? Cette fille n'est pas morte, elle n'est qu'endormie. - Et ils se moquaient de lui. Ayant fait sortir tout le monde, il prit le père et la mère de l'enfant et ceux qui étaient venus avec lui, et il entra au lieu où la fille était couchée. - Il la prit par la main et lui dit : Talitha cumi, c'est-à-dire : Ma fille, levez-vous je vous le commande. - Au même instant, la fille se leva et se mit à marcher ; car elle avait douze ans, et ils furent merveilleusement étonnés (Saint Marc, ch. V, v. de 21 à 43).
Fils de la veuve de Naïm
Tous ceux qui étaient présents furent saisis de frayeur, et ils glorifiaient Dieu en disant : Un grand prophète a paru au milieu de nous, et Dieu a visité son peuple. - Le bruit de ce miracle qu'il avait fait se répandit dans toute la Judée et dans tous les pays d'alentour (Saint Luc, ch. VII, v. de 11 à 17).
Si, parmi nous, les apparences trompent parfois les gens de l'art, les accidents de cette nature devaient être bien autrement fréquents dans un pays où l'on ne prenait aucune précaution, et où l'ensevelissement était immédiat[2]. Il y a donc toute probabilité que, dans les deux exemples ci-dessus, il n'y avait que syncope ou léthargie. Jésus lui-même le dit positivement de la faille de Jaïr : Cette fille, dit-il, n'est pas morte, elle n'est qu'endormie.
D'après la puissance fluidique que possédait Jésus, il n'y a rien d'étonnant que ce fluide vivifiant, dirigé par une forte volonté, ait ranimé les sens engourdis ; qu'il ait même pu rappeler dans le corps l'Esprit prêt à le quitter, tant que le lien périsprital n'était pas définitivement rompu. Pour les hommes de ce temps, qui croyaient l'individu mort dès qu'il ne respirait plus, il y avait résurrection, et ils ont pu l'affirmer de très bonne foi, mais il y avait, en réalité, guérison et non résurrection dans l'acception du mot.
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« Ananie, ayant entendu ces paroles, tomba et rendit l'Esprit ; et tous ceux qui en entendirent parler furent saisis d'une grande crainte. - Aussitôt, quelques jeunes gens vinrent prendre son corps, et, l'ayant emporté, ils l'enterrèrent. - Environ trois heures après, sa femme (Saphire), qui ne savait pas ce qui était arrivé, entra. - Et Pierre lui dit..., etc. - Au même moment elle tomba à ses pieds et rendit l'Esprit. Ces jeunes hommes étant entrés la trouvèrent morte ; et, l'emportant, ils l'enterrèrent auprès de son mari. »
Et qui pouvait savoir s'il sentait mauvais ? C'est sa soeur Marthe qui le dit, mais comment le savait-elle ? Lazare étant enterré depuis quatre jours, elle le supposait, mais ne pouvait en avoir la certitude (Chap. XIV, n° 29).[3]
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JESUS MARCHE SUR L'EAU.
Cependant la barque était fort battue des flots au milieu de la mer, parce que le vent était contraire. - Mais à la quatrième veille de la nuit, Jésus vint à eux marchant sur la mer[4]. - Lorsqu'ils le virent marcher ainsi sur la mer, ils furent troublés, et ils disaient : C'est un fantôme, et ils s'écrièrent de frayeur. Aussitôt Jésus leur parla et leur dit : Rassurez-vous, c'est moi, ne craignez point.
Pierre lui répondit : Seigneur, si c'est vous, commandez que j'aille à vous en marchant sur les eaux. Jésus lui dit : Venez. Et Pierre, descendant de la barque, marchait sur l'eau pour aller à Jésus. Mais voyant un grand vent, il eut peur ; et commençant à s’enfoncer, il s'écria : Seigneur, sauvez-moi. - Aussitôt Jésus, lui tendant la main, le prit et lui dit : Homme de peu de foi, pourquoi avez-vous douté ? - Et étant monté dans la barque, le vent cessa. - Alors ceux qui étaient dans cette barque, s'approchant de lui, l'adorèrent en lui disant : Vous êtes vraiment fils de Dieu (Saint Matth., ch. XIV, v. de 22 à 23).
[4]Le lac de Génésareth ou de Tibériade.
Des exemples analogues prouvent qu'il n'est ni impossible ni miraculeux, puisqu'il est dans les lois de la nature. Il peut s'être produit de deux manières.
Jésus, quoique vivant, a pu apparaître sur l'eau sous une forme tangible, tandis que son corps charnel était ailleurs ; c'est l'hypothèse la plus probable. On peut même reconnaître, dans le récit, certains signes caractéristiques des apparitions tangibles (Chap. XIV, n° 35 à 37).
D'un autre côté, son corps aurait pu être soutenu, et sa pesanteur être neutralisée par la même force fluidique qui maintient une table dans l'espace sans point d'appui. Le même effet s'est plusieurs fois produit sur des corps humains.
TRANSFIGURATION
Alors Pierre dit à Jésus : Maître, nous sommes bien ici ; faisons-y trois tentes : une pour vous, une pour Moïse et une pour Elie ; - car il ne savait ce qu'il disait, tant il était effrayé.
En même temps, il parut une nuée qui les couvrit ; et il sortit de cette nuée une voix qui fit entendre ces mots : Celui-ci est mon fils bien-aimé ; écoutez-le.
Aussitôt, regardant de tous côtés, ils ne virent plus personne que Jésus, qui était demeuré avec eux.
Lorsqu'ils descendaient de la montagne, il leur commanda de ne parler à personne de ce qu'ils avaient vu, jusqu'à ce que le fils de l'homme fût ressuscité d'entre les morts. - Et ils tinrent les choses secrètes, s'entre-demandant ce qu'il voulait dire par ces mots : Jusqu'à ce que le Fils de l'homme fût ressuscité d'entre les morts. (St Marc, ch. IX, v. de 1 à 9).
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[5]Le mont Thabor ou Tabor, au S. O. du lac de Tabarich, à 11 km S. E. de Nazareth ; environ 1.000 mètres de haut.
De toutes les facultés qui se sont révélées en Jésus, il n'en est aucune qui soit en dehors des conditions de l'humanité, et qu'on ne rencontre chez le commun des hommes, parce qu'elles sont dans la nature ; mais par la supériorité de son essence morale et de ses qualités fluidiques, elles atteignaient chez lui des proportions au-dessus de celles du vulgaire. Il nous représentait, à part son enveloppe charnelle, l'état des purs Esprits.
TEMPETE APAISEE
Dans tous les cas, Jésus, dormant tranquillement pendant la tempête, atteste une sécurité qui peut s'expliquer par ce fait que son Esprit voyait qu'il n'y avait aucun danger, et que l'orage allait s'apaiser.
NOCES DE CANA
Considéré en lui-même, ce fait a peu d'importance comparativement à ceux qui témoignent véritablement des qualités spirituelles de Jésus. En admettant que les choses se soient passées comme elles sont rapportées, il est remarquable que c'est le seul phénomène de ce genre qu'il ait produit ; il était d'une nature trop élevée pour s'attacher à des effets purement matériels propres seulement à piquer la curiosité de la foule, qui l'eût assimilé à un magicien ; il savait que les choses utiles lui conquerraient plus de sympathie et lui amèneraient plus d'adeptes que celles qui pouvaient passer pour des tours d'adresse et ne touchaient point le coeur (n° 27).
Bien qu'à la rigueur le fait puisse s'expliquer jusqu'à un certain point par une action fluidique qui, ainsi que le magnétisme en offre des exemples, aurait changé les propriétés de l'eau en lui donnant le goût du vin, cette hypothèse est peu probable, attendu qu'en pareil cas l'eau n'ayant que le goût du vin, aurait conservé sa couleur, ce qui n'eût pas manqué d'être remarqué. Il est plus rationnel d'y voir une de ces paraboles si fréquentes dans les enseignements de Jésus, comme celle de l'Enfant prodigue, du festin de noces, du mauvais riche, du figuier desséché, et tant d'autres qui ont cependant le caractère des faits accomplis. Il aura fait pendant le repas une allusion au vin et à l'eau, d'où il aura tiré une instruction. Ce qui justifie cette opinion, ce sont les paroles que lui adresse à ce sujet le maître d'hôtel : « Tout homme sert d'abord le bon vin, et après qu'on en a beaucoup bu, il en sert alors de moindre ; mais pour vous, vous avez réservé le bon vin jusqu'à cette heure ».
Entre deux hypothèses, il faut choisir la plus rationnelle, et les Spirites ne sont pas gens assez crédules pour ne voir partout que des faits de manifestations, ni assez absolus pour prétendre tout expliquer par les fluides.
MULTIPLICATION DES PAINS
On peut y voir cependant plus qu'une figure, et admettre, à certain point de vue, la réalité d'un fait matériel, sans pour cela recourir au prodige. On sait qu'une grande préoccupation d'esprit, l'attention soutenue donnée à une chose font oublier la faim. Or, ceux qui suivaient Jésus étaient des gens avides de l'entendre ; il n'y a donc rien d'étonnant que, fascinés par sa parole et peut-être aussi par la puissante action magnétique qu'il exerçait sur eux, ils n'aient pas éprouvé le besoin matériel de manger.
Jésus, qui prévoyait ce résultat, a donc pu tranquilliser ses disciples en disant, dans le langage figuré qui lui était habituel, en admettant qu'on ait réellement apporté quelques pains, que ces pains suffiraient pour rassasier la foule. En même temps il donnait à ceux-ci une leçon : « Donnez-leur vous-mêmes à manger, » disait-il ; il leur enseignait par là qu'eux aussi pouvaient nourrir par la parole.
Ainsi, à côté du sens allégorique moral, il a pu se produire un effet physiologique naturel très connu. Le prodige, dans ce cas, est dans l'ascendant de la parole de Jésus, assez puissante pour captiver l'attention d'une foule immense au point de lui faire oublier de manger. Cette puissance morale témoigne de la supériorité de Jésus, bien plus que le fait purement matériel de la multiplication des pains, qui doit être considéré comme une allégorie.
Cette explication se trouve d'ailleurs confirmée par Jésus lui-même, dans les deux passages suivants :
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Ce que Jésus connaissant, il leur dit : Hommes de peu de foi, pourquoi vous entretenez-vous ensemble de ce que vous n'avez point pris de pains ? Ne comprenez-vous point encore et ne vous souvient-il point que cinq pains ont suffi pour cinq mille hommes, et combien vous en avez emporté de paniers ? - Comment ne comprenez-vous point que ce n'est pas du pain que je vous parlais, lorsque je vous ai dit de vous garder du levain des pharisiens et des saducéens ?
Alors ils comprirent qu'il ne leur avait pas dit de se garder du levain qu'on met dans le pain, mais de la doctrine des pharisiens et des saducéens. (Saint Matt., ch. XVI, v. de 5 à 12).
Le pain du ciel
Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non à cause des miracles que vous avez vus, mais parce que je vous ai donné du pain à manger, et que vous avez été rassasiés.
- Travaillez pour avoir, non la nourriture qui périt, mais celle qui demeure pour la vie éternelle, et que le Fils de L'homme vous donnera, parce que c'est en lui que Dieu le Père a imprimé son sceau et son caractère.
Ils lui dirent : Que ferons-nous pour faire des oeuvres de Dieu ? - Jésus leur répondit : L'oeuvre de Dieu est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé.
Ils lui dirent : Quel miracle donc faites-vous, afin qu'en le voyant nous vous croyions ? Que faites-vous d'extraordinaire ? - Nos pères ont mangé la manne dans le désert ; selon ce qui est écrit : Il leur a donné à manger le pain du ciel.
Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, Moïse ne vous a point donné le pain du ciel ; mais c'est mon Père qui vous donne le véritable pain du ciel. - Car le pain de Dieu est celui qui est descendu du ciel, et qui donne la vie au monde.
Ils lui dirent donc : Seigneur, donnez-nous toujours de ce pain.
Jésus leur répondit : Je suis le pain de vie : celui qui vient à moi n'aura point faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif. - Mais je vous l'ai déjà dit : vous m'avez vu et vous ne croyez point.
En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle. - Je suis le pain de vie. - Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts. - Mais voici le pain qui est descendu du ciel, afin que celui qui en mange ne meure point (Saint Jean, ch. VI, v. de 22 à 36 et de 47 à 50.)
C'est ce qui ressort non moins clairement du discours de Jésus sur le pain du ciel, dans lequel il s'attache à faire comprendre le sens véritable de la nourriture spirituelle. « Travaillez, dit-il, non pour avoir la nourriture qui périt, mais celle qui demeure pour la vie éternelle, et que le Fils de l'homme vous donnera. » Cette nourriture est sa parole, qui est le pain descendu du ciel et qui donne la vie au monde. « Je suis, dit-il, le pain de vie ; celui qui vient à moi n'aura point faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif. »
Mais ces distinctions étaient trop subtiles pour ces natures abruptes, qui ne comprenaient que les choses tangibles. La manne qui avait nourri le corps de leurs ancêtres était pour eux le véritable pain du ciel ; là était le miracle. Si donc le fait de la multiplication des pains avait eu lieu matériellement, comment ces mêmes hommes, au profit desquels il se serait produit peu de jours auparavant, en auraient-ils été assez peu frappés pour dire à Jésus : « Quel miracle donc faites-vous, afin qu'en le voyant nous vous croyions ? Que faites-vous d'extraordinaire ? » C'est qu'ils entendaient par miracles les prodiges que demandaient les pharisiens, c'est-à-dire des signes dans le ciel opérés au commandement, comme par la baguette d'un enchanteur. Ce que faisait Jésus était trop simple et ne s'écartait pas assez des lois de la nature ; les guérisons même n'avaient pas un caractère assez étrange, assez extraordinaire ; les miracles spirituels n'avaient pas assez de corps pour eux.
TENTATION DE JESUS
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[6]L'explication suivante est tirée textuellement d'une instruction donnée à ce sujet par un Esprit.
53.- « Jésus ne fut pas enlevé, mais il voulait faire comprendre aux hommes que l'humanité est sujette à faillir, et qu'elle doit être toujours en garde contre les mauvaises inspirations auxquelles sa nature faible la porte à céder. La tentation de Jésus est donc une figure, et il faudrait être aveugle pour la prendre à la lettre. Comment voudriez-vous que le Messie, le Verbe de Dieu incarné, ait été soumis pour un temps, si court qu'il fût, aux suggestions du démon, et que, comme le dit l'Evangile de Luc, le démon l'ait quitté, pour un temps, ce qui donnerait à penser qu'il sera encore soumis à sa puissance ? Non ; comprenez mieux les enseignements qui vous ont été donnés. L'Esprit du mal ne pouvait rien sur l'essence du bien. Personne ne dit avoir vu Jésus sur la montagne ni sur le sommet du Temple ; certes, c'eût été un fait de nature à se répandre parmi tous les peuples. La tentation ne fut donc pas un acte matériel et physique. Quant à l'acte moral, pouvez-vous admettre que l'Esprit des ténèbres pût dire à celui qui connaissait son origine et sa puissance : « Adore-moi, je te donnerai tous les royaumes de la terre ? » Le démon aurait donc ignoré quel était celui à qui il faisait de telles offres, ce qui n'est pas probable ; s'il le connaissait, sa proposition était un non-sens, car il savait bien qu'il serait repoussé par celui qui venait ruiner son empire sur les hommes.
« Comprenez donc le sens de cette parabole, car c'en est une, tout aussi bien que celles de l'Enfant prodigue et du Bon Samaritain. L'un nous montre les dangers que courent les hommes, s'ils ne résistent pas à cette voix intime qui leur crie sans cesse : « Tu peux être plus que tu n'es ; tu ne peux posséder plus que tu ne possèdes ; tu peux grandir, acquérir ; cède à la voix de l'ambition, et tous tes voeux seront comblés. » Elle vous montre le danger et le moyen de l'éviter, en disant aux mauvaises inspirations : Retire-toi, Satan ! autrement dit : Arrière la tentation !
« Les deux autres paraboles que j'ai rappelées vous montrent ce que peut encore espérer celui qui, trop faible pour chasser le démon, a succombé à ses tentations. Elles vous montrent la miséricorde du père de famille étendant sa main sur le front du fils repentant, et lui accordant, avec amour, le pardon imploré. Elles vous montrent le coupable, le schismatique, l'homme repoussé par ses frères, valant mieux, aux yeux du Juge suprême, que ceux qui le méprisent, parce qu'il pratique les vertus enseignées par la loi d'amour.
« Pesez bien les enseignements donnés dans les Evangiles ; sachez distinguer ce qui est au sens propre ou au sens figuré, et les erreurs qui vous ont aveuglés durant tant de siècles s'effaceront petit à petit, pour faire place à l'éclatante lumière de la vérité. » (Bordeaux, 1862. Jean, Evang.).
PRODIGES A LA MORT DE JESUS
En même temps le voile du Temple se déchira en deux depuis le haut jusqu'en bas : la terre trembla, les pierres se fendirent ; - les sépulcres s'ouvrirent ; et plusieurs corps des saints, qui étaient dans le sommeil de la mort, ressuscitèrent ; - et sortant de leurs tombeaux après sa résurrection, ils vinrent dans la ville sainte, et furent vus de plusieurs personnes. (Saint Matth., ch. XXVII, v. 45, 51, 52, 53).
La durée de cette obscurité est bien à peu près celle d'une éclipse de soleil, mais ces sortes d'éclipses ne se produisent qu'à la nouvelle lune, et la mort de Jésus eut lieu pendant la pleine lune, le 14 du mois de nissan, jour de la Pâque des Juifs.
L'obscurcissement du soleil peut aussi être produit par les taches que l'on remarque à sa surface. En pareil cas, l'éclat de la lumière est sensiblement affaibli, mais jamais au point de produire l'obscurité et les ténèbres. En supposant qu'un phénomène de ce genre ait eu lieu à cette époque, il aurait eu une cause parfaitement naturelle[7].
Quant aux morts ressuscités, il se peut que quelques personnes aient eu des visions ou apparitions, ce qui n'est point exceptionnel ; mais, comme alors on ne connaissait pas la cause de ce phénomène, on se figurait que les individus apparus sortaient du sépulcre.
Les disciples de Jésus, émus de la mort de leur maître, y ont sans doute rattaché quelques faits particuliers auxquels ils n'auraient prêté aucune attention en d'autres temps. Il aura suffi qu'un fragment de rocher se soit détaché à ce moment, pour que des gens prédisposés au merveilleux y aient vu un prodige, et qu'en amplifiant le fait, ils aient dit que les pierres s'étaient fendues.
Jésus est grand par ses oeuvres, et non par les tableaux fantastiques dont un enthousiasme peu éclairé a cru devoir l'entourer.
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APPARITIONS DE JESUS APRES SA MORT
Ayant dit cela, elle se retourna, et vit Jésus debout, sans savoir néanmoins que ce fût Jésus. - Alors Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous ? Elle, pensant que ce fût le jardinier, lui dit : Seigneur, si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez mis, et je l'emporterai.
Jésus lui dit : Marie. Aussitôt elle se retourna, et lui dit : Rabboni, c'est-à-dire : Mon maître. - Jésus lui répondit : Ne me touchez pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père ; mais allez trouver mes frères, et dites-leur de ma part : Je monte vers mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu.
Marie-Madeleine vint donc dire aux disciples qu'elle avait vu le Seigneur, et qu'il lui avait dit ces choses (Saint Jean, ch. XX, v. de 14 à 18).
L'un d'eux, appelé Cléophas, prenant la parole, lui dit : Etes-vous seul si étranger dans Jérusalem, que vous ne sachiez pas ce qui s'y est passé ces jours-ci ? - Et quoi ? leur dit-il. Ils lui répondirent : Touchant Jésus de Nazareth, qui a été un prophète puissant devant Dieu et devant tout le peuple ; et de quelle manière les princes des prêtres et nos sénateurs l'ont livré pour être condamné à mort et l'ont crucifié. - Or, nous espérions que ce serait lui qui rachèterait Israël, et cependant, après tout cela, voici le troisième jour que ces choses se sont passées. - Il est vrai que quelques femmes de celles qui étaient avec nous nous ont étonnés ; car, ayant été avant le jour à son sépulcre, - et n'y ayant point trouvé son corps, elles sont venues dire que des anges mêmes leur ont apparu, qui leur ont dit qu'il est vivant. - Et quelques-uns des nôtres, ayant été aussi au sépulcre, ont trouvé toutes choses comme les femmes les leur avaient rapportées ; mais pour lui, ils ne l'ont point trouvé.
Alors il leur dit : O insensés, dont le coeur est tardif à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît toutes ces choses, et qu'il entrât ainsi dans la gloire ? - Et commençant par Moïse, et ensuite par tous les prophètes, il leur expliquait dans toutes les Ecritures ce qui avait été dit de lui.
Lorsqu'ils furent proches du bourg où ils allaient, il fit semblant d'aller plus loin. - Mais ils le forcèrent de s'arrêter en lui disant : Demeurez avec nous, parce qu'il est tard, et que le jour est déjà sur son déclin ; et il entra avec eux. - Etant avec eux à table, il prit le pain, et le bénit, et l'ayant rompu, il le leur donna. - En même temps leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent ; mais il disparut de devant leurs yeux.
Alors ils se dirent l'un à l'autre : N'est-il pas vrai que notre coeur était tout brûlant dans nous, lorsqu'il nous parlait en chemin, et qu'il nous expliquait les Ecritures ? - Et se levant à l'heure même, ils retournèrent à Jérusalem, et trouvèrent que les onze apôtres et ceux qui demeuraient avec eux étaient assemblés et disaient : Le Seigneur est vraiment ressuscité, et il est apparu à Simon. - Alors ils racontèrent aussi eux-mêmes ce qui leur était arrivé en chemin, et comment ils l'avaient reconnu dans la fraction du pain.
Pendant qu'ils s'entretenaient ainsi, Jésus se présenta au milieu d'eux, et leur dit : La paix soit avec vous ; c'est moi, n'ayez pas peur. - Mais dans le trouble et la frayeur dont ils étaient saisis, ils s'imaginèrent voir un Esprit.
Et Jésus leur dit : Pourquoi vous troublez-vous ; et pourquoi s'élève-t-il tant de pensées dans vos coeurs ? - Regardez mes mains et mes pieds, et reconnaissez que c'est moi-même ; touchez-moi, et reconnaissez qu'un Esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai. - Après avoir dit cela, il leur montra ses mains et ses pieds.
Mais comme ils ne croyaient point encore, tant ils étaient transportés de joie et d'admiration, il leur dit : Avez-vous ici quelque chose à manger ? Ils lui présentèrent un morceau de poisson rôti et un rayon de miel. - Il en mangea devant eux, et prenant les restes, il les leur donna, et leur dit : Voilà ce que je vous disais étant encore avec vous : qu'il était nécessaire que tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les Psaumes, fût accompli.
En même temps il leur ouvrit l'esprit, afin qu'ils entendissent les Ecritures ; - et il leur dit : C'est ainsi qu'il est écrit, et c'est ainsi qu'il fallait que le Christ souffrît, et qu'il ressuscitât d'entre les morts le troisième jour ; - et qu'on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations, commençant par Jérusalem. - Or, vous êtes témoins de ces choses. - Et je vais vous envoyer le don de mon Père, qui vous a été promis ; mais cependant demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut. (Saint Luc, ch. XXIV, v. de 13 à 49).
Huit jours après, les disciples étant encore dans le même lieu, et Thomas avec eux, Jésus vint, les portes étant fermées, et il se tint au milieu d'eux, et leur dit : La paix soit avec vous.
Il dit ensuite à Thomas : Portez ici votre doigt, et considérez mes mains ; approchez aussi votre main, et mettez-la dans mon côté ; et ne soyez point incrédule, mais fidèle. - Thomas lui répondit et lui dit : Mon Seigneur et mon Dieu ! - Jésus lui dit : Vous avez cru, Thomas, parce que vous avez vu ; heureux ceux qui ont cru sans avoir vu (Saint Jean, ch. XX, v. de 20 à 29).
Simon-Pierre et Thomas appelé Didyme, Nathanaël, qui était de Cana en Galilée, les fils de Zébédée et deux autres de ses disciples étaient ensemble. - Simon-Pierre leur dit : Je vais pêcher. Ils lui dirent : Nous allons aussi avec vous. Ils s'en allèrent donc, et entrèrent dans une barque ; mais cette nuit-là, ils ne prirent rien.
Le matin était venu, Jésus parut sur le rivage, sans que ces disciples connussent que c'était Jésus. - Jésus leur dit donc : Enfants, n'avez-vous rien à manger ? Ils lui répondirent : Non. - Il leur dit : Jetez le filet au côté droit de la barque, et vous en trouverez. Ils le jetèrent aussitôt, et ils ne pouvaient plus le retirer, tant il était chargé de poissons.
Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : C'est le Seigneur. Et Simon-Pierre ayant appris que c'était le Seigneur, mit son habit (car il était nu), et il se jeta dans la mer. - Les autres disciples vinrent avec la barque ; et comme ils n'étaient loin de la mer que d'environ deux cents coudées, ils y tirèrent le filet plein de poissons. (Saint Jean, ch. XXI, v. de 1 à 8).
Pour eux, après l'avoir adoré, ils s'en retournèrent à Jérusalem, remplis de joie ; - et ils étaient sans cesse dans le temple, louant et bénissant Dieu. Amen. (Saint Luc, ch. XXIV, v. de 50 à 53).
Jésus s'est donc montré avec son corps périsprital, ce qui explique qu'il n'a été vu que par ceux à qui il a voulu se faire voir ; s'il avait eu son corps charnel, il aurait été vu par le premier venu, comme de son vivant. Ses disciples ignorant la cause première du phénomène des apparitions, ne se rendaient pas compte de ces particularités qu'ils ne remarquaient probablement pas ; ils voyaient Jésus et le touchaient, pour eux ce devait être son corps ressuscité (Chap. XIV, n° 14, et de 35 à 38).
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En effet, Jésus, obscur, pauvre, né dans la condition la plus humble, chez un petit peuple presque ignoré et sans prépondérance politique, artistique ou littéraire, ne prêche que trois ans ; durant ce court espace de temps, il est méconnu et persécuté par ses concitoyens, calomnié, traité d'imposteur ; il est obligé de fuir pour ne pas être lapidé ; il est trahi par un de ses apôtres, renié par un autre, abandonné par tous au moment où il tombe entre les mains de ses ennemis. Il ne faisait que le bien, et cela ne le mettait pas à l'abri de la malveillance, qui tournait contre lui les services mêmes qu'il rendait. Condamné au supplice réservé aux criminels, il meurt ignoré du monde, car l'histoire contemporaine se tait sur son compte[9]. Il n'a rien écrit, et cependant, aidé de quelques hommes obscurs comme lui, sa parole a suffi pour régénérer le monde ; sa doctrine a tué le paganisme tout-puissant, et elle est devenue le flambeau de la civilisation. Il avait donc contre lui tout ce qui peut faire échouer les hommes, c'est pourquoi nous disons que le triomphe de sa doctrine est le plus grand de ses miracles, en même temps qu'elle prouve sa mission divine. Si, au lieu de principes sociaux et régénérateurs, fondés sur l'avenir spirituel de l'homme, il n'avait eu à offrir à la postérité que quelques faits merveilleux, à peine le connaîtrait-on peut-être de nom aujourd'hui.
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[9]L'historien juif Josèphe est le seul qui en parle, et il en dit très peu de chose.
DISPARITION DU CORPS DE JESUS
Selon une autre opinion, Jésus n'aurait point revêtu un corps charnel, mais seulement un corps fluidique ; il n'aurait été, durant toute sa vie, qu'une apparition tangible, en un mot, une sorte d'agénère. Sa naissance, sa mort et tous les actes matériels de sa vie n'auraient été qu'une apparence C'est ainsi, dit-on, que son corps, retourné à l'état fluide, a pu disparaître du sépulcre, et c'est avec ce même corps qu'il se serait montré après sa mort.
Sans doute, un pareil fait n'est pas radicalement impossible, d'après ce que l'on sait aujourd'hui sur les propriétés des fluides ; mais il serait au moins tout à fait exceptionnel et en opposition formelle avec le caractère des agénères (Chap. XIV, n° 36). La question est donc de savoir si une telle hypothèse est admissible, si elle est confirmée ou contredite par les faits.
Le corps charnel a les propriétés inhérentes à la matière proprement dite et qui diffèrent essentiellement de celles des fluides éthérés ; la désorganisation s'y opère par la rupture de la cohésion moléculaire. Un instrument tranchant, pénétrant dans le corps matériel, en divise les tissus ; si les organes essentiels à la vie sont attaqués, leur fonctionnement s'arrête, et la mort s'ensuit, c'est-à-dire la mort du corps. Cette cohésion n'existant pas dans les corps fluidiques, la vie ne repose pas sur le jeu d'organes spéciaux, et il ne peut s'y produire des désordres analogues ; un instrument tranchant, ou tout autre, y pénètre comme dans une vapeur, sans y occasionner aucune lésion. Voilà pourquoi ces sortes de corps ne peuvent pas mourir, et pourquoi les êtres fluidiques désignés sous le nom d'agénères ne peuvent être tués.
Après le supplice de Jésus, son corps resta là, inerte et sans vie ; il fut enseveli comme les corps ordinaires, et chacun put le voir et le toucher. Après sa résurrection, lorsqu'il veut quitter la terre, il ne meurt pas ; son corps s'élève, s'évanouit et disparaît, sans laisser aucune trace, preuve évidente que ce corps était d'une autre nature que celui qui périt sur la croix ; d'où il faut conclure que si Jésus a pu mourir, c'est qu'il avait un corps charnel.
Par suite de ses propriétés matérielles, le corps charnel est le siège des sensations et des douleurs physiques qui se répercutent dans le centre sensitif ou Esprit. Ce n'est pas le corps qui souffre, c'est l'Esprit qui reçoit le contre-coup des lésions ou altérations des tissus organiques. Dans un corps privé de l'Esprit, la sensation est absolument nulle ; par la même raison, l'Esprit, qui n'a point de corps matériel, ne peut éprouver les souffrances qui sont le résultat de l'altération de la matière, d'où il faut également conclure que si Jésus a souffert matériellement, comme on n'en saurait douter, c'est qu'il avait un corps matériel d'une nature semblable à ceux de tout le monde.
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[10]Nous ne parlons pas du mystère de l'incarnation, dont nous n'avons pas à nous occuper ici, et qui sera examiné ultérieurement.
Si Jésus avait été, durant sa vie, dans les conditions des êtres fluidiques, il n'aurait éprouvé ni la douleur, ni aucun des besoins du corps ; supposer qu'il en a été ainsi, c'est lui ôter tout le mérite de la vie de privations et de souffrances qu'il avait choisie comme exemple de résignation. Si tout en lui n'était qu'apparence, tous les actes de sa vie, l'annonce réitérée de sa mort, la scène douloureuse du jardin des Oliviers, sa prière à Dieu d'écarter le calice de ses lèvres, sa passion, son agonie, tout, jusqu'à son dernier cri au moment de rendre l'Esprit, n'aurait été qu'un vain simulacre pour donner le change sur sa nature et faire croire au sacrifice illusoire de sa vie, une comédie indigne d'un simple honnête homme, à plus forte raison d'un être aussi supérieur ; en un mot, il aurait abusé de la bonne foi de ses contemporains et de la postérité. Telles sont les conséquences logiques de ce système, conséquences qui ne sont pas admissibles, car c'est l'abaisser moralement, au lieu de l'élever.
Jésus a donc eu, comme tout le monde, un corps charnel et un corps fluidique, ce qu'attestent les phénomènes matériels et les phénomènes psychiques qui ont signalé sa vie.
Les Docètes (du grec dokein, paraître), secte nombreuse des Gnostiques, qui subsista pendant les trois premiers siècles, avaient la même croyance.
LES PREDICTIONS
CHAPITRE XVI - Théorie de la prescience
Prenons, comme comparaison, un exemple dans les choses usuelles, et qui aidera à faire comprendre le principe que nous aurons à développer.
On comprend que, selon le degré de perfection, un Esprit puisse embrasser une période de quelques années, de quelques siècles et même de plusieurs milliers d'années, car qu'est-ce qu'un siècle en présence de l'infini ? Les événements ne se déroulent point successivement devant lui, comme les incidents de la route du voyageur : il voit simultanément le commencement et la fin de la période ; tous les événements qui, dans cette période, sont l'avenir pour l'homme de la terre, sont pour lui le présent. Il pourrait donc venir nous dire avec certitude : Telle chose arrivera à telle époque, parce qu'il voit cette chose comme l'homme de la montagne voit ce qui attend le voyageur sur la route ; s'il ne le fait pas, c'est parce que la connaissance de l'avenir serait nuisible à l'homme ; elle entraverait son libre arbitre ; elle le paralyserait dans le travail qu'il doit accomplir pour son progrès ; le bien et le mal qui l'attendent, étant dans l'inconnu, sont pour lui l'épreuve.
Si une telle faculté, même restreinte, peut être dans les attributs de la créature, à quel degré de puissance ne doit-elle pas s'élever dans le Créateur, qui embrasse l'infini ? Pour lui, le temps n'existe pas : le commencement et la fin des mondes sont le présent. Dans cet immense panorama, qu'est la durée de la vie d'un homme, d'une génération, d'un peuple ?
Celui à qui est confié le soin de révéler une chose cachée peut en recevoir, à son insu, l'inspiration des Esprits qui la connaissent, et alors il la transmet machinalement, sans s'en rendre compte. On sait en outre que, soit pendant le sommeil, soit à l'état de veille, dans les extases de la double vue, l'âme se dégage et possède à un degré plus ou moins grand les facultés de l'Esprit libre. Si c'est un Esprit avancé, s'il a surtout, comme les prophètes, reçu une mission spéciale à cet effet, il jouit, dans les moments d'émancipation de l'âme, de la faculté d'embrasser par lui-même, une période plus ou moins étendue, et voit, comme présents, les événements de cette période. Il peut alors les révéler à l'instant même, ou en conserver la mémoire à son réveil. Si ces événements doivent rester dans le secret, il en perdra le souvenir ou il ne lui en restera qu'une vague intuition, suffisante pour le guider instinctivement.
Le don de prédiction n'est donc pas plus surnaturel qu'une foule d'autres phénomènes ; il repose sur les propriétés de l'âme et la loi des rapports du monde visible et du monde invisible que le Spiritisme vient faire connaître.
Cette théorie de la prescience ne résout peut-être pas d'une manière absolue tous les cas que peut présenter la révélation de l'avenir, mais on ne peut disconvenir qu'elle en pose le principe fondamental.
Cette faculté est inhérente à l'état de spiritualisation, ou, si l'on veut, de dématérialisation ; c'est-à-dire que la spiritualisation produit un effet que l'on peut comparer, quoique très imparfaitement, à celui de la vue d'ensemble de l'homme qui est sur la montagne. Cette comparaison avait simplement pour but de montrer que des événements qui sont dans l'avenir pour les uns, sont dans le présent pour d'autres, et peuvent ainsi être prédits, ce qui n'implique pas que l'effet se produise de la même manière.
Pour jouir de cette perception, l'Esprit n'a donc pas besoin de se transporter sur un point quelconque de l'espace ; celui qui est sur la terre, à nos côtés, peut la posséder dans sa plénitude, tout aussi bien que s'il en était à mille lieues, tandis que nous ne voyons rien en dehors de l'horizon visuel. La vue, chez les Esprits, ne se produisant pas de la même manière ni avec les mêmes éléments que chez l'homme, leur horizon visuel est tout autre ; or c'est précisément là le sens qui nous manque pour le concevoir ; l'Esprit, à côté de l'incarné est comme le voyant à côté d'un aveugle.
Non seulement l'Esprit incarné perçoit, mais il se souvient de ce qu'il a vu à l'état d'Esprit, et ce souvenir est comme un tableau qui se retrace à sa pensée. Dans l'incarnation, il voit, mais vaguement et comme à travers un voile ; à l'état de liberté il voit et conçoit clairement. Le principe de la vue n'est pas hors de lui, mais en lui ; c'est pour cela qu'il n'a pas besoin de notre lumière extérieure. Par le développement moral, le cercle des idées et de la conception s'élargit ; par la dématérialisation graduelle du périsprit, celui-ci se purifie des éléments grossiers qui altéraient la délicatesse des perceptions ; d'où il est aisé de comprendre que l'extension de toutes les facultés suit le progrès de l'Esprit.
Sans être Esprits désincarnés, que les Spirites se portent seulement à trente ans en avant au milieu de la génération qui s'élève ; que, de là, ils considèrent ce qui se passe aujourd'hui ; qu'ils en suivent la marche progressive, et ils verront se consumer en vains efforts ceux qui se croient appelés à le renverser ; ils les verront peu à peu disparaître de la scène, à côté de l'arbre qui grandit et dont les racines s'étendent chaque jour davantage.
Le temps, de même que l'espace, ne peut être évalué qu'à l'aide de points de comparaison ou de repère qui le divisent en périodes que l'on peut compter. Sur la terre, la division naturelle du temps en jours et en années est marquée par le lever et le coucher du soleil, et par la durée du mouvement de translation de la terre. Les unités de mesure du temps doivent varier selon les mondes, puisque les périodes astronomiques sont différentes ; c'est ainsi, par exemple, que dans Jupiter, les jours équivalent à dix de nos heures, et les années à près de douze années terrestres.
Il y a donc pour chaque monde une manière différente de supputer la durée, suivant la nature des révolutions astrales qui s'y accomplissent ; ce serait déjà une difficulté pour la détermination de nos dates par des Esprits qui ne connaîtraient pas notre monde. Mais, en dehors des mondes, ces moyens d'appréciation n'existent pas. Pour un Esprit, dans l'espace, il n'y a ni lever ni coucher de soleil marquant les jours, ni révolution périodique marquant les années ; il n'y a pour lui que la durée et l'espace infinis (Chap. VI, n° 1 et suivants). Celui donc qui ne serait jamais venu sur la terre n'aurait aucune connaissance de nos calculs, qui, du reste, lui seraient complètement inutiles ; il y a plus : celui qui n'aurait jamais été incarné sur aucun monde n'aurait aucune notion des fractions de la durée. Lorsqu'un Esprit étranger à la terre vient s'y manifester il ne peut assigner de date aux événements qu'en s'identifiant avec nos usages, ce qui est sans doute en son pouvoir, mais ce que, le plus souvent, il ne juge pas utile de faire.
Voilà pourquoi les prédictions circonstanciées ne peuvent offrir de certitude, et ne doivent être acceptées que comme des probabilités, alors même qu'elles ne porteraient pas avec elles un cachet de légitime suspicion. Aussi les Esprits vraiment sages ne prédisent jamais rien à époques fixes ; ils se bornent à nous pressentir sur l'issue des choses qu'il nous est utile de connaître. Insister pour avoir des détails précis, c'est s'exposer aux mystifications des Esprits légers, qui prédisent tout ce qu'on veut, sans se soucier de la vérité, et s'amusent des frayeurs et des déceptions qu'ils causent.
Quoi qu'il en soit, on ne peut disconvenir que quelques-unes ont un caractère sérieux, et confondent par leur véracité. Il est probable que cette forme voilée a eu, dans un temps, sa raison d'être et même sa nécessité.
Aujourd'hui, les circonstances ne sont plus les mêmes ; le positivisme du siècle s'accommoderait peu du langage sibyllin. Aussi, les prédictions de nos jours n'affectent plus ces formes étranges ; celles que font les Esprits n'ont rien de mystique ; ils parlent le langage de tout le monde, comme ils l'eussent fait de leur vivant, parce qu'ils n'ont pas cessé d'appartenir à l'humanité ; ils nous pressentent sur les choses futures, personnelles ou générales, lorsque cela peut être utile, dans la mesure de la perspicacité dont ils sont doués, comme le feraient des conseillers ou des amis. Leurs prévisions sont donc plutôt des avertissements, qui n'ôtent rien au libre arbitre, que des prédictions proprement dites qui impliqueraient une fatalité absolue. Leur opinion est, en outre, presque toujours motivée, parce qu'ils ne veulent pas que l'homme annihile sa raison sous une foi aveugle, ce qui permet d'en apprécier la justesse.
Cette aptitude tient souvent, sans doute, à la rectitude du jugement qui déduit les conséquences logiques du présent ; mais souvent aussi elle est le résultat d'une clairvoyance spéciale inconsciente, ou d'une inspiration étrangère. Ce que ces hommes ont fait de leur vivant, ils peuvent à plus forte raison le faire, et avec plus d'exactitude à l'état d'Esprit, alors que la vue spirituelle n'est plus obscurcie par la matière.
CHAPITRE XVII - Prédictions de l'Evangile
NUL N'EST PROPHETE EN SON PAYS.
Dans le langage usuel, cette maxime s'entend du crédit dont un homme jouit parmi les siens et ceux au milieu desquels il vit, de la confiance qu'il leur inspire par la supériorité du savoir et de l'intelligence. Si elle souffre des exceptions, elles sont rares, et, dans tous les cas, elles ne sont jamais absolues ; le principe de cette vérité est une conséquence naturelle de la faiblesse humaine, et peut s'expliquer ainsi :
L'habitude de se voir depuis l'enfance, dans les circonstances vulgaires de la vie, établit entre les hommes une sorte d'égalité matérielle qui fait que, souvent, on se refuse à reconnaître une supériorité morale en celui dont on a été le compagnon ou le commensal, qui est sorti du même milieu et dont on a vu les premières faiblesses ; l'orgueil souffre de l'ascendant qu'il est obligé de subir. Quiconque au-dessus du niveau commun est toujours en butte à la jalousie et à l'envie ; ceux qui se sentent incapables d'atteindre à sa hauteur s'efforcent de le rabaisser par le dénigrement, la médisance et la calomnie ; ils crient d'autant plus fort qu'ils se voient plus petits, croyant se grandir et l'éclipser par le bruit qu'ils font. Telle a été et telle sera l'histoire de l'humanité, tant que les hommes n'auront pas compris leur nature spirituelle et n'auront pas élargi leur horizon moral ; aussi ce préjugé est-il le propre des esprits étroits et vulgaires, qui rapportent tout à leur personnalité.
D'un autre côté, on se fait généralement des hommes, que l'on ne connaît que par leur esprit, un idéal qui grandit avec l'éloignement des temps et des lieux. On les dépouille presque de l'humanité ; il semble qu'ils ne doivent ni parler ni sentir comme tout le monde ; que leur langage et leurs pensées doivent être constamment au diapason de la sublimité, sans songer que l'esprit ne saurait être incessamment tendu, et dans un état perpétuel de surexcitation. Dans le contact journalier de la vie privée, on voit trop l'homme matériel, que rien ne distingue du vulgaire. L'homme corporel, qui frappe les sens, efface presque l'homme spirituel, qui ne frappe que l'esprit ; de loin, on ne voit que les éclairs du génie ; de près, on voit les repos de l'esprit.
Après la mort, la comparaison n'existant plus, l'homme spirituel reste seul, et il paraît d'autant plus grand, que le souvenir de l'homme corporel est plus éloigné. Voilà pourquoi les hommes qui ont marqué leur passage sur la terre par des oeuvres d'une valeur réelle, sont plus appréciés après leur mort que de leur vivant. Ils sont jugés avec plus d'impartialité, parce que les envieux et les jaloux ayant disparu, les antagonismes personnels n'existent plus. La postérité est un juge désintéressé qui apprécie l'oeuvre de l'esprit, l'accepte sans enthousiasme aveugle si elle est bonne, la rejette sans haine si elle est mauvaise, abstraction faite de l'individualité qui l'a produite.
Jésus pouvait d'autant moins échapper aux conséquences de ce principe, inhérent à la nature humaine, qu'il vivait dans un milieu peu éclairé, et parmi des hommes, tout entiers à la vie matérielle. Ses compatriotes ne voyaient en lui que le fils du charpentier, le frère d'hommes aussi ignorants qu'eux, et ils se demandaient ce qui pouvait le rendre supérieur à eux et lui donner le droit de les censurer ; aussi, en voyant que sa parole avait moins de crédit sur les siens, qui le méprisaient, que sur les étrangers, il alla prêcher parmi ceux qui l'écoutaient, au milieu desquels il trouvait de la sympathie.
On peut juger de quels sentiments ses proches étaient animés envers lui par ce fait, que ses propres frères, accompagnés de sa mère, vinrent dans une assemblée où il se trouvait, pour se saisir de lui, disant qu'il avait perdu l'esprit. (Saint Marc, ch. III, v. 20, 21, et de 31 à 35. - Evangile selon le Spiritisme, ch. XIV.)
Ainsi, d'un autre côté, les prêtres et les pharisiens accusaient Jésus d'agir par le démon ; de l'autre, il était taxé de folie par ses plus proches parents. N'est-ce pas ainsi qu'on en use de nos jours à l'égard des spirites, et ceux-ci doivent-ils se plaindre de n'être pas mieux traités par leurs concitoyens que ne le fût Jésus ? Ce qui n'avait rien d'étonnant il y a deux mille ans, chez un peuple ignorant, est plus étrange au dix-neuvième siècle chez les nations civilisées.
MORT ET PASSION DE JESUS
Mais ils ne comprirent rien à tout cela : ce langage leur était caché, et ils n'entendaient point ce qu'il leur disait (Saint Luc, ch. XVIII, v. 31 à 34).
Au même temps, les princes des prêtres et les anciens du peuple s'assemblèrent dans la cour du grand prêtre, appelé Caïphe, - et tinrent conseil ensemble pour trouver moyen de se saisir adroitement de Jésus, et de le faire mourir. - Et ils disaient : Il ne faut pas que ce soit pendant la fête, de peur qu'il ne s'excite quelque tumulte parmi le peuple (Saint Matthieu, ch. XXVI, v. 1 à 5).
PERSECUTION DES APOTRES
VILLES IMPENITENTES
Malheur à toi, Corozaïn, malheur à toi Bethsaïde, parce que, si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu'elles auraient fait pénitence dans le sac et dans la cendre. - C'est pourquoi je vous déclare qu'au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous.
Et toi, Capharnaüm, t'élèveras-tu toujours jusqu'au ciel ? Tu seras abaissée jusqu'au fond de l'enfer, parce que, si les miracles qui ont été faits au milieu de toi avaient été faits dans Sodome, elle subsisterait peut-être encore aujourd'hui. - C'est pourquoi je te déclare qu'au jour du jugement, le pays de Sodome sera traité moins rigoureusement que toi (Saint Matth., ch. XI, v. de 20 à 24).
RUINE DU TEMPLE ET DE JERUSALEM
Jérusalem, Jérusalem qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui sont envoyés vers toi, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu ne l'as pas voulu. - Le temps s'approche où votre maison demeurera déserte. Or, je vous dis, en vérité, que vous ne me verrez plus désormais, jusqu'à ce que vous disiez : Bénit soit celui qui vient au nom du Seigneur (Saint Luc, ch. XIII, v. 33, 34, 35).
MALEDICTION AUX PHARISIENS
Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que, sous prétexte de vos longues prières, vous dévorez les maisons des veuves ; c'est pour cela que vous recevrez un jugement plus rigoureux !
Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous courrez la mer et la terre pour faire un prosélyte, et qu'après qu'il l'est devenu, vous le rendez digne de l'enfer deux foix plus que vous !
Malheur à vous, conducteurs aveugles qui dites : Si un homme jure par le temple, ce n'est rien ; mais quiconque jure par l'or du temple est obligé à son serment ! - Insensés et aveugles que vous êtes ! Lequel doit-on plus estimer, ou l'or ou le temple qui sanctifie l'or ? - Et si un homme, dites-vous, jure par l'autel, ce n'est rien ; mais quiconque jure par le don qui est sur l'autel est obligé à son serment. - Aveugles que vous êtes ! Lequel doit-on plus estimer, ou le don, ou l'autel qui sanctifie le don ? - Celui, donc, qui jure par l'autel, jure par l'autel et par tout ce qui est dessus ; - et quiconque jure par le temple, jure par le temple et par celui qui l'habite ; - et celui qui jure par le ciel, jure par le trône de Dieu et par celui qui y est assis.
Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui payez la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin, et qui avez abandonné ce qu'il y a de plus important dans la loi, savoir : la justice, la miséricorde et la foi ! C'étaient là les choses qu'il fallait pratiquer, sans néanmoins omettre les autres. - Conducteurs aveugles, qui avez grand soin de passer ce que vous buvez, de peur d'avaler un moucheron, et qui avalez un chameau !
Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, et vous êtes au-dedans pleins de rapines et d'impureté ! - Pharisiens aveugles ! nettoyez premièrement le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors soit net aussi.
Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous êtes semblables à des sépulcres blanchis qui, au-dehors, paraissent beaux aux yeux des hommes, mais qui, au-dedans, sont pleins d'ossements de morts et de toutes sortes de pourriture ! - Ainsi, au-dehors, vous paraissez justes, mais, au-dedans, vous êtes pleins d'hypocrisie et d'iniquité.
Malheur à vous, scribes et pharisiens, qui bâtissez des tombeaux aux prophètes et ornez les monuments des justes, - et qui dites : Si nous eussions été du temps de nos pères, nous ne nous fussions pas joints à eux pour répandre le sang des prophètes ! - Achevez donc aussi de combler la mesure de vos pères. - Serpents, race de vipères, comment pourrez-vous éviter d'être condamnés à l'enfer ? - C'est pourquoi je vais vous envoyer des prophètes, des sages et des scribes, et vous tuerez les uns, vous crucifierez les autres, vous en fouetterez d'autres dans vos synagogues, et vous les persécuterez de ville en ville ; - afin que tout le sang innocent qui a été répandu sur la terre retombe sur vous, depuis le sang d'Abel le juste jusqu'au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le temple et l'autel ! - Je vous dis, en vérité, tout cela viendra fondre sur cette race qui est aujourd'hui (S. Matth., ch. XXIII, v. de 13 à 36).
MES PAROLES NE PASSERONT POINT
La vérité étant une, ne peut se trouver dans des affirmations contraires, et Jésus n'a pu vouloir donner un double sens à ses paroles. Si donc les différentes sectes se contredisent ; si les unes considèrent comme vrai ce que d'autres condamnent comme des hérésies, il est impossible qu'elles soient toutes dans la vérité. Si toutes eussent pris le sens véritable de l'enseignement évangélique, elles se seraient rencontrées sur le même terrain, et il n'y aurait pas eu de sectes.
Ce qui ne passera pas, c'est le sens vrai des paroles de Jésus ; ce qui passera, c'est ce que les hommes ont bâti sur le sens faux qu'ils ont donné à ces mêmes paroles.
Jésus ayant mission d'apporter aux hommes la pensée de Dieu, sa doctrine pure peut seule être l'expression de cette pensée ; c'est pourquoi il a dit : Toute plante que mon Père céleste n'a point plantée sera arrachée.
LA PIERRE ANGULAIRE
Les princes des prêtres et les pharisiens, ayant entendu ces paroles de Jésus, connurent que c'était d'eux qu'il parlait ; - et, voulant se saisir de lui, ils appréhendèrent le peuple, parce qu'il le regardait comme un prophète (Saint Matth., ch. XXI, v. de 42 à 46).
PARABOLE DES VIGNERONS HOMICIDES
Or, le temps des fruits étant proche, il envoya ses serviteurs aux vignerons, pour recueillir le fruit de sa vigne. - Mais les vignerons, s'étant saisis de ses serviteurs, battirent l'un, tuèrent l'autre et en lapidèrent un autre. - Il leur envoya encore d'autres serviteurs en plus grand nombre que les premiers, et ils les traitèrent de même. - Enfin il leur envoya son propre fils, disant en lui-même : Ils auront quelque respect pour mon fils. - Mais les vignerons, voyant le fils, dirent entre eux : voici l'héritier ; venez, tuons-le, et nous serons maîtres de son héritage. - Ainsi s'étant saisis de lui, ils le jetèrent hors de la vigne, et le tuèrent.
Lors donc que le seigneur de la vigne sera venu, comment traitera-t-il ses vignerons ? - On lui répondit : Il fera périr misérablement ces méchants et louera sa vigne à d'autres vignerons, qui lui en rendront les fruits en leur saison (Saint Matth., ch. XXI, v. de 33 à 41).
Ainsi en a-t-il été des scribes, des princes des prêtres et des pharisiens ; ainsi en sera-t-il quand il viendra de nouveau demander compte à chacun de ce qu'il a fait de sa doctrine ; il ôtera l'autorité à qui en aura abusé, car il veut que son champ soit administré selon sa volonté.
Après dix-huit siècles l'humanité, arrivée à l'âge viril, est mûre pour comprendre ce que le Christ n'a fait qu'effleurer, parce que, comme il le dit lui-même, il n'aurait pas été compris. Or, à quel résultat ont abouti ceux qui, pendant cette longue période, ont été chargés de son éducation religieuse ? A voir l'indifférence succéder à la foi, et l'incrédulité s'ériger en doctrine. A aucune autre époque, en effet, le scepticisme et l'esprit de négation ne furent plus répandus dans toutes les classes de la société.
Mais si quelques-unes des paroles du Christ sont voilées sous l'allégorie, pour tout ce qui concerne la règle de conduite, les rapports d'homme à homme, les principes de morale dont il fait la condition expresse du salut, il est clair, explicite et sans ambiguïté (Evangile selon le Spiritisme, ch. XV).
Qu'a-t-on fait de ses maximes de charité, d'amour et de tolérance ; des recommandations qu'il a faites à ses apôtres de convertir les hommes par la douceur et la persuasion ; de la simplicité, de l'humilité, du désintéressement et de toutes les vertus dont il a donné l'exemple ? En son nom, les hommes se sont jetés l'anathème et la malédiction ; ils se sont égorgés au nom de celui qui a dit : Tous les hommes sont frères. On a fait un Dieu jaloux, cruel, vindicatif et partial de celui qu'il a proclamé infiniment juste, bon et miséricordieux ; on a sacrifié à ce Dieu de paix et de vérité plus de milliers de victimes sur les bûchers, par la torture et les persécutions, que n'en ont jamais sacrifié les païens pour les faux dieux ; on a vendu les prières et les faveurs du ciel au nom de celui qui a chassé les vendeurs du Temple, et qui a dit à ses disciples : Donnez gratuitement ce que vous avez reçu gratuitement.
Que dirait le Christ, s'il vivait aujourd'hui parmi nous ? S'il voyait ses représentants ambitionner les honneurs, les richesses, le pouvoir et le faste des princes du monde, tandis que lui, plus roi que les rois de la terre, fit son entrée dans Jérusalem monté sur un âne ? Ne serait-il pas en droit de leur dire : Qu'avez-vous fait de mes enseignements, vous qui encensez le veau d'or, qui faites, dans vos prières, une large part aux riches et une maigre part aux pauvres, alors que je vous ai dit : Les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers dans le royaume des cieux ? Mais s'il n'y est pas charnellement, il y est en Esprit, et, comme le maître de la parabole, il viendra demander compte à ses vignerons du produit de sa vigne, quand le temps de la récolte sera venu.
UN SEUL TROUPEAU ET UN SEUL PASTEUR
Cependant, l'unité se fera en religion comme elle tend à se faire socialement, politiquement, commercialement, par l'abaissement des barrières qui séparent les peuples, par l'assimilation des moeurs, des usages, du langage ; les peuples du monde entier fraternisent déjà, comme ceux des provinces d'un même empire ; on pressent cette unité, on la désire. Elle se fera par la force des choses, parce qu'elle deviendra un besoin pour resserrer les liens de fraternité entre les nations ; elle se fera par le développement de la raison humaine qui fera comprendre la puérilité de ces dissidences ; par le progrès des sciences qui démontre chaque jour les erreurs matérielles sur lesquelles elles s'appuient, et détache peu à peu les pierres vermoulues de leurs assises. Si la science démolit, dans les religions, ce qui est l'oeuvre des hommes et le fruit de leur ignorance des lois de la nature, elle ne peut détruire, malgré l'opinion de quelques-uns, ce qui est l'oeuvre de Dieu et l'éternelle vérité ; en déblayant les accessoires, elle prépare les voies de l'unité.
Pour arriver à l'unité, les religions devront se rencontrer sur un terrain neutre, cependant commun à toutes ; pour cela, toutes auront à faire des concessions et des sacrifices plus ou moins grands, selon la multiplicité de leurs dogmes particuliers. Mais, en vertu du principe d'immuabilité qu'elles professent toutes, l'initiative des concessions ne saurait venir du camp officiel ; au lieu de prendre leur point de départ d'en haut, elles le prendront d'en bas par l'initiative individuelle. Il s'opère depuis quelque temps un mouvement de décentralisation qui tend à acquérir une force irrésistible. Le principe d'immuabilité, que les religions ont considéré jusqu'ici comme une égide conservatrice, deviendra un élément destructeur, attendu que les cultes s'immobilisant, tandis que la société marche en avant, ils seront débordés, puis absorbés dans le courant des idées de progression.
L'immobilité, au lieu d'être une force, devient une cause de faiblesse et de ruine pour qui ne suit pas le mouvement général ; elle rompt l'unité, parce que ceux qui veulent aller en avant se séparent de ceux qui s'obstinent à rester en arrière.
Dans l'état actuel de l'opinion et des connaissances, la religion qui devra rallier un jour tous les hommes, sous un même drapeau, sera celle qui satisfera le mieux la raison et les légitimes aspirations du coeur et de l'esprit ; qui ne sera sur aucun point démentie par la science positive ; qui, au lieu de s'immobiliser, suivra l'humanité dans sa marche progressive sans se laisser jamais dépasser ; qui ne sera ni exclusive ni intolérante ; qui sera émancipatrice de l'intelligence en n'admettant que la foi raisonnée ; celle dont le code de morale sera le plus pur, le plus rationnel, le plus en harmonie avec les besoins sociaux, le plus propre enfin à fonder sur la terre le règne du bien, par la pratique de la charité et de la fraternité universelles.
Ce qui entretient l'antagonisme entre les religions, c'est l'idée qu'elles ont chacune leur dieu particulier, et leur prétention d'avoir le seul vrai et le plus puissant, qui est en hostilité constante avec les dieux des autres cultes, et occupé à combattre leur influence. Quand elles seront convaincues qu'il n'y a qu'un seul Dieu dans l'univers et que, en définitive, c'est le même qu'elles adorent sous les noms de Jéhovah, Allah ou Deus ; quelles seront d'accord sur les attributs essentiels, elles comprendront qu'un être unique ne peut avoir qu'une seule volonté ; elles se tendront la main comme les serviteurs d'un même Maître et les enfants d'un même Père, et elles auront fait un grand pas vers l'unité.
AVENEMENT D'ELIE
Mais je vous le déclare qu'Elie est déjà venu, et ils ne l'ont point connu, mais ils l'ont traité comme il leur a plu. C'est ainsi qu'ils feront mourir le Fils de l'homme.
Alors, ses disciples comprirent que c'était de Jean-Baptiste qu'il leur avait parlé (Saint Matth., ch. XVII, v. de 10 à 13).
ANNONCE DU CONSOLATEUR
J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter présentement.
Quand cet Esprit de Vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité, car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu'il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir.
Il me glorifiera, parce qu'il recevra de ce qui est à moi, et il vous l'annoncera. (Saint Jean, ch. XVI, v. de 7 à 14).
Il annonce sous le nom de Consolateur et d'Esprit de Vérité celui qui doit enseigner toutes choses et faire ressouvenir de ce qu'il a dit : donc son enseignement n'était pas complet ; de plus, il prévoit qu'on aura oublié ce qu'il a dit, et qu'on l'aura dénaturé, puisque l'Esprit de Vérité doit en faire ressouvenir, et, de concert avec Elie, rétablir toutes choses, c'est-à-dire selon la véritable pensée de Jésus.
La doctrine de Moïse, incomplète, est restée circonscrite dans le peuple juif ; celle de Jésus, plus complète, s'est répandue sur toute la terre par le christianisme, mais n'a pas converti tout le monde ; le Spiritisme, plus complet encore, ayant des racines dans toutes les croyances, convertira l'humanité[1].
SECOND AVENEMENT DU CHRIST
Et que servirait-il à un homme de gagner tout le monde, et de perdre son âme ? Ou par quel échange l'homme pourra-t-il racheter son âme, après qu'il l'aura perdue ? - Car le Fils de l'homme doit venir dans la gloire de son Père avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon ses oeuvres.
Je vous dis, en vérité, il y en a quelques-uns de ceux qui sont ici qui n'éprouveront pas la mort qu'ils n'aient vu le Fils de l'homme venir en son règne (Saint Matth., ch. XVI, v. de 24 à 28).
Aussitôt le grand prêtre, déchirant ses vêtements, leur dit : Qu'avons-nous plus besoin de témoins ? (Saint Marc, ch. XIV, v. de 60 à 63).
Cette parole : « Il y en a quelques-uns de ceux qui sont ici qui n'éprouveront pas la mort qu'ils n'aient vu le Fils de l'homme venir en son règne, » semble une contradiction, puisqu'il est certain qu'il n'est venu du vivant d'aucun de ceux qui étaient présents. Jésus ne pouvait cependant se tromper dans une prévision de cette nature, et surtout pour une chose contemporaine qui le concernait personnellement ; il faut d'abord se demander si ses paroles ont toujours été bien fidèlement rendues. On peut en douter, si l'on songe qu'ils n'ont rien écrit ; qu'elles n'ont été recueillies qu'après sa mort ; et lorsqu'on voit le même discours presque toujours reproduit en termes différents dans chaque évangéliste, c'est une preuve évidente que ce ne sont pas les expressions textuelles de Jésus. Il est, en outre, probable que le sens a dû parfois être altéré en passant par des traductions successives.
D'un autre côté, il est certain que, si Jésus avait dit tout ce qu'il aurait pu dire, il se serait exprimé sur toutes choses d'une manière nette et précise qui n'eût donné lieu à aucune équivoque, comme il le fait pour les principes de morale, tandis qu'il a dû voiler sa pensée sur les sujets qu'il n'a pas jugé à propos d'approfondir. Les apôtres, persuadés que la génération présente devait être témoin de ce qu'il annonçait, ont dû interpréter la pensée de Jésus selon leur idée ; ils ont pu, par conséquent, la rédiger dans le sens du présent d'une manière plus absolue qu'il ne l'a peut-être fait lui-même. Quoi qu'il en soit, le fait est là qui prouve que les choses ne sont pas arrivées ainsi qu'ils l'ont cru.
C'est dans cette loi qu'on peut trouver l'explication rationnelle des paroles ci-dessus, en les admettant comme textuelles. Puisqu'elles ne peuvent s'appliquer à la personne des apôtres, il est évident qu'elles se rapportent au règne futur du Christ, c'est-à-dire au temps où sa doctrine, mieux comprise, sera la loi universelle. En leur disant que quelques-uns de ceux qui sont présents verront son avènement, cela ne pouvait s'entendre que dans le sens qu'ils revivraient à cette époque. Mais les Juifs se figuraient qu'ils allaient voir tout ce que Jésus annonçait, et prenaient ses allégories à la lettre.
Du reste, quelques-unes de ses prédictions se sont accomplies de leur temps, telles que la ruine de Jérusalem, les malheurs qui en furent la suite, et la dispersion des Juifs ; mais Jésus porte sa vue plus loin, et en parlant du présent, il fait constamment allusion à l'avenir.
SIGNES PRECURSEURS
Alors, le signe du Fils de l'homme paraîtra dans le ciel, et tous les peuples de la terre seront dans les pleurs et dans les gémissements ; et ils verront le Fils de l'homme qui viendra sur les nuées du ciel avec une grande majesté.
Et il enverra ses anges, qui feront entendre la voix éclatante de leurs trompettes, et qui rassembleront ses élus des quatre coins du monde, depuis une extrémité du ciel jusqu'à l'autre.
Apprenez une comparaison tirée du figuier. Quand ses branches sont déjà tendres, et qu'il pousse des feuilles, vous savez que l'été est proche. - De même, lorsque vous verrez toutes ces choses, sachez que le Fils de l'homme est proche, et qu'il est comme à la porte.
Je vous dis, en vérité, que cette race ne passera point que toutes ces choses ne soient accomplies (Saint Matth., ch. XXIV, v. de 29 à 34).
Et il arrivera à l'avènement du Fils de l'homme ce qui arriva au temps de Moïse, - car, comme dans les derniers temps avant le déluge, les hommes mangeaient et buvaient, se mariaient et mariaient leurs enfants, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche ; - et qu'ils ne connurent pas le moment du déluge que lorsqu'il survint et emporta tout le monde, il en sera de même à l'avènement du Fils de l'homme (Saint Matth., ch. XXIV, v. 37, 38).
51.- Quant à ce jour-là ou à cette heure, nul ne le sait, ni les anges qui sont dans le ciel, ni le Fils, mais le Père seul (Saint Marc, ch. XIII, v. 32).
Par une conséquence naturelle de cette disposition d'esprit, la puissance suprême ne pouvait, selon la croyance d'alors, se manifester que par des choses extraordinaires, surnaturelles ; plus elles étaient impossibles, mieux elles étaient acceptées comme probables.
Le Fils de l'homme venant sur les nuées du ciel, avec une grande majesté, entouré de ses anges et au bruit des trompettes, leur semblait bien autrement imposant qu'un être investi de la seule puissance morale. Aussi les Juifs, qui attendaient dans le Messie un roi de la terre, puissant entre tous les rois, pour mettre leur nation au premier rang, et relever le trône de David et de Salomon, ne voulurent-ils pas le reconnaître dans l'humble fils du charpentier, sans autorité matérielle.
Cependant ce pauvre prolétaire de la Judée est devenu le plus grand entre les grands ; il a conquis à sa souveraineté plus de royaumes que les plus puissants potentats ; avec sa seule parole et quelques misérables pêcheurs, il a révolutionné le monde, et c'est à lui que les Juifs devront leur réhabilitation. Il était donc dans le vrai, quand, à cette question de Pilate : « Etes-vous roi ? » il répondit : « Vous le dites ».
Il est bien certain que ce changement ne pouvait s'opérer du vivant des apôtres, autrement Jésus n'aurait pu l'ignorer, et d'ailleurs une telle transformation ne pouvait s'accomplir en quelques années. Cependant il leur parle comme s'ils devaient en être témoins ; c'est qu'en effet, ils pourront revivre à cette époque et travailler eux-mêmes à la transformation. Tantôt il parle du sort prochain de Jérusalem, et tantôt il prend ce fait comme point de comparaison pour l'avenir.
Il n'est pas rationnel de supposer que Dieu détruise le monde précisément au moment où il entrera dans la voie du progrès moral par la pratique des enseignements évangéliques ; rien, d'ailleurs, dans les paroles du Christ, n'indique une destruction universelle, qui, dans de telles conditions, ne serait pas justifiée.
La pratique générale de l'Evangile, devant amener une amélioration dans l'état moral des hommes, amènera, par cela même, le règne du bien et entraînera la chute de celui du mal. C'est donc à la fin du vieux monde, du monde gouverné par les préjugés, l'orgueil, l'égoïsme, le fanatisme, l'incrédulité, la cupidité et toutes les mauvaises passions que le Christ fait allusion quand il dit : « Lorsque l'Evangile sera prêché par toute la terre, c'est alors que la fin arrivera ; » mais cette fin amènera une lutte, et c'est de cette lutte que sortiront les maux qu'il prévoit.
VOS FILS ET VOS FILLES PROPHETISERONT
Si, maintenant, en faisant la part de la forme allégorique de certains tableaux, et en scrutant le sens intime des paroles de Jésus, on compare la situation actuelle avec les temps décrits par lui, comme devant marquer l'ère de la rénovation, on ne peut disconvenir que plusieurs de ses prédictions reçoivent aujourd'hui leur accomplissement ; d'où il faut conclure que nous touchons aux temps annoncés, ce que confirment sur tous les points du globe les Esprits qui se manifestent.
C'est l'annonce non équivoque de la vulgarisation de la médiumnité, qui se révèle de nos jours chez les individus de tout âge, de tout sexe et de toutes conditions, et, par suite, de la manifestation universelle des Esprits, car sans les Esprits il n'y aurait pas de médiums. Cela, est-il dit : arrivera dans les derniers temps ; or, puisque nous ne touchons pas à la fin du monde, mais au contraire à sa régénération, il faut entendre par ces mots les derniers temps du monde moral qui finit (Evangile selon le Spiritisme, ch. XXI).
JUGEMENT DERNIER
On voit par ce seul fait que Jésus avait raison de dire à ses disciples : « Il y a beaucoup de choses que je ne puis vous dire, parce que vous ne les comprendriez pas, » puisque le progrès des sciences était indispensable pour une saine interprétation de quelques-unes de ses paroles. Assurément les apôtres, saint Paul et les premiers disciples, auraient établi tout autrement certains dogmes s'ils avaient eu les connaissances astronomiques, géologiques, physiques, chimiques, physiologiques et psychologiques que l'on possède aujourd'hui. Aussi Jésus a-t-il ajourné le complément de ses instructions, et annoncé que toutes choses devaient être rétablies.
Et puis, si le jugement final doit surprendre les hommes à l'improviste, au milieu de leurs travaux ordinaires, et les femmes enceintes, on se demande dans quel but Dieu, qui ne fait rien d'inutile ni d'injuste, ferait naître des enfants et créerait des âmes nouvelles à ce moment suprême, au terme fatal de l'humanité, pour les faire passer en jugement au sortir du sein de la mère, avant qu'elles aient la conscience d'elles-mêmes, alors que d'autres ont eu des milliers d'années pour se reconnaître ? De quel côté, à droite ou à gauche, passeront ces âmes qui ne sont encore ni bonnes ni mauvaises, et à qui toute voie ultérieure de progrès est désormais fermée, puisque l'humanité n'existera plus ? (Chap. II, n° 19).
Que ceux dont la raison se contente de pareilles croyances les conservent c'est leur droit, et personne n'y trouve à redire ; mais qu'on ne trouve pas mauvais non plus que tout le monde ne soit pas de leur avis.
Selon cette interprétation, la qualification de jugement dernier n'est pas exacte, puisque les Esprits passent par de semblables assises à chaque rénovation des mondes qu'ils habitent jusqu'à ce qu'ils aient atteint un certain degré de perfection. Il n'y a donc point, à proprement parler, de jugement dernier, mais il y a des jugements généraux à toutes les époques de rénovation partielle ou totale de la population des mondes, par suite desquelles s'opèrent les grandes émigrations et immigrations d'Esprits.
CHAPITRE XVIII - Les temps sont arrivés
SIGNES DES TEMPS
Ceci posé, nous dirons que notre globe, comme tout ce qui existe, est soumis à la loi du progrès. Il progresse physiquement par la transformation des éléments qui le composent, et moralement par l'épuration des Esprits incarnés et désincarnés qui le peuplent. Ces deux progrès se suivent et marchent parallèlement, car la perfection de l'habitation est en rapport avec celle de l'habitant. Physiquement, le globe a subi des transformations, constatées par la science, et qui l'ont successivement rendu habitable par des êtres de plus en plus perfectionnés ; moralement, l'humanité progresse par le développement de l'intelligence, du sens moral et l'adoucissement des moeurs. En même temps que l'amélioration du globe s'opère sous l'empire des forces matérielles, les hommes y concourent, par les efforts de leur intelligence ; ils assainissent les contrées insalubres, rendent les communications plus faciles et la terre plus productive.
Ce double progrès s'accomplit de deux manières : l'une lente, graduelle et insensible ; l'autre par des changements plus brusques, à chacun desquels s'opère un mouvement ascensionnel plus rapide qui marque, par des caractères tranchés, les périodes progressives de l'humanité. Ces mouvements, subordonnés dans les détails au libre arbitre des hommes, sont en quelque sorte fatals dans leur ensemble, parce qu'ils sont soumis à des lois, comme ceux qui s'opèrent dans la germination, la croissance et la maturité des plantes ; c'est pourquoi le mouvement progressif est quelquefois partiel, c'est-à-dire borné à une race ou à une nation, d'autres fois général.
Le progrès de l'humanité s'effectue donc en vertu d'une loi ; or, comme toutes les lois de la nature sont l'oeuvre éternelle de la sagesse et de la prescience divines, tout ce qui est l'effet de ces lois est le résultat de la volonté de Dieu, non d'une volonté accidentelle et capricieuse, mais d'une volonté immuable. Lors donc que l'humanité est mûre pour franchir un degré, on peut dire que les temps marqués par Dieu sont arrivés, comme on peut dire aussi qu'en telle saison, ils sont arrivés pour la maturité des fruits et la récolte.
Telle est la période où ils vont entrer désormais, et qui marquera une des phases principales de l'humanité. Cette phase qui s'élabore en ce moment est le complément nécessaire de l'état précédent, comme l'âge viril est le complément de la jeunesse ; elle pouvait donc être prévue et prédite d'avance, et c'est pour cela qu'on dit que les temps marqués par Dieu sont arrivés.
Du reste, chacun sait combien l'ordre de choses actuel laisse encore à désirer ; après avoir, en quelque sorte, épuisé le bien-être matériel qui est le produit de l'intelligence, on arrive à comprendre que le complément de ce bien-être ne peut être que dans le développement moral. Plus en avance, plus on sent ce qui manque, sans cependant pouvoir encore le définir clairement : c'est l'effet du travail intime qui s'opère pour la régénération ; on a des désirs, des aspirations qui sont comme le pressentiment d'un état meilleur.
7.- Mais un changement aussi radical que celui qui s'élabore ne peut s'accomplir sans commotion ; il y a lutte inévitable entre les idées. De ce conflit naîtront forcément des perturbations temporaires, jusqu'à ce que le terrain soit déblayé et l'équilibre rétabli. C'est donc de la lutte des idées que surgiront les graves événements annoncés, et non de cataclysmes, ou catastrophes purement matérielles. Les cataclysmes généraux étaient la conséquence de l'état de formation de la terre ; aujourd'hui ce ne sont plus les entrailles du globe qui s'agitent, ce sont celles de l'humanité.
« Chaque corps céleste, outre les lois simples qui président à la division des jours et des nuits, des saisons, etc., subit des révolutions qui demandent des milliers de siècles pour leur parfait accomplissement, mais qui, comme les révolutions plus brèves, passent par toutes les périodes, depuis la naissance jusqu'à un summum d'effet, après lequel il y a décroissance jusqu'à la dernière limite, pour recommencer ensuite à parcourir les mêmes phases.
« L'homme n'embrasse que les phases d'une durée relativement courte, et dont il peut constater la périodicité ; mais il en est qui comprennent de longues générations d'êtres, et même des successions de races, dont les effets, par conséquent, ont pour lui les apparences de la nouveauté et de la spontanéité, tandis que, si son regard pouvait se porter à quelques milliers de siècles en arrière, il verrait, entre ces mêmes effets et leurs causes, une corrélation qu'il ne soupçonne même pas. Ces périodes, qui confondent l'imagination des humains par leur longueur relative, ne sont cependant que des instants dans la durée éternelle.
« Dans un même système planétaire, tous les corps qui en dépendent réagissent les uns sur les autres ; toutes les influences physiques y sont solidaires, et il n'est pas un seul des effets que vous désignez sous le nom de grandes perturbations qui ne soit la conséquence de la composante des influences de tout ce système.
« Je vais plus loin : je dis que les systèmes planétaires réagissent les uns sur les autres, en raison du rapprochement ou de l'éloignement qui résulte de leur mouvement de translation à travers les myriades de systèmes qui composent notre nébuleuse. Je vais plus loin encore : je dis que notre nébuleuse, qui est comme un archipel dans l'immensité, ayant aussi son mouvement de translation à travers les myriades de nébuleuses, subit l'influence de celles dont elle se rapproche.
« Ainsi les nébuleuses réagissent sur les nébuleuses, les systèmes réagissent sur les systèmes, comme les planètes réagissent sur les planètes, comme les éléments de chaque planète réagissent les uns sur les autres, et ainsi de proche en proche jusqu'à l'atome ; de là, dans chaque monde, des révolutions locales ou générales, qui ne semblent des perturbations que parce que la brièveté de la vie ne permet d'en avoir que les effets partiels.
« La matière organique ne saurait échapper à ces influences ; les perturbations qu'elle subit peuvent donc altérer l'état physique des êtres vivants, et déterminer quelques-unes de ces maladies qui sévissent d'une manière générale sur les plantes, les animaux et les hommes ; ces maladies, comme tous les fléaux, sont pour l'intelligence humaine un stimulant qui la pousse, par la nécessité, à la recherche des moyens de les combattre, et à la découverte des lois de la nature.
« Mais la matière organique réagit à son tour sur l'Esprit ; celui-ci, par son contact et sa liaison intime avec les éléments matériels, subit aussi des influences qui modifient ses disposions, sans cependant lui ôter son libre arbitre, surexcitent ou ralentissent son activité, et, par cela même, contribuent à son développement. L'effervescence, qui se manifeste parfois dans toute une population, parmi les hommes d'une même race, n'est pas une chose fortuite, ni le résultat d'un caprice ; elle a sa cause dans les lois de la nature. Cette effervescence, d'abord inconsciente, qui n'est qu'un vague désir, une aspiration non définie vers quelque chose de mieux, un besoin de changement, se traduit par une sourde agitation, puis par des actes qui amènent les révolutions sociales, lesquelles, croyez-le bien, ont aussi leur périodicité, comme les révolutions physiques, car tout s'enchaîne. Si la vue spirituelle n'était pas circonscrite par le voile matériel, vous verriez ces courants fluidiques qui, comme des milliers de fils conducteurs, relient les choses du monde spirituel et du monde matériel.
« Quand on vous dit que l'humanité est arrivée à une période de transformation, et que la terre doit s'élever dans la hiérarchie des mondes, ne voyez dans ces paroles rien de mystique, mais, au contraire, l'accomplissement d'une des grandes lois fatales de l'univers, contre lesquelles tout mauvais vouloir humain se brise. » ARAGO.
[1]Extrait de deux communications données à la Société de Paris, et publiées dans la Revue spirite d'octobre 1868, page 313. Elles sont le corollaire de celles de Galilée, rapportées au chapitre VI, et un complément au chapitre IX sur les révolutions du globe.
« L'humanité terrestre, arrivée à l'une de ces périodes de croissance, est en plein, depuis bientôt un siècle, dans le travail de la transformation ; c'est pourquoi elle s'agite de toutes parts, en proie à une sorte de fièvre et comme mue par une force invisible, jusqu'à ce qu'elle ait repris son assiette sur de nouvelles bases. Qui la verra alors la trouvera bien changée dans ses moeurs, son caractère, ses lois, ses croyances, en un mot, dans tout son état social.
« Une chose qui vous paraîtra étrange, mais qui n'en est pas moins une rigoureuse vérité, c'est que le monde des Esprits qui vous environne subit le contrecoup de toutes les commotions qui agitent le monde des incarnés : je dis même qu'il y prend une part active. Cela n'a rien de surprenant pour quiconque sait que les Esprits ne font qu'un avec l'humanité ; qu'ils en sortent et doivent y rentrer ; il est donc naturel qu'ils s'intéressent aux mouvements qui s'opèrent parmi les hommes. Soyez donc certains que, lorsqu'une révolution sociale s'accomplit sur la terre, elle remue également le monde invisible ; toutes les passions bonnes et mauvaises y sont surexcitées comme chez vous ; une indicible effervescence règne parmi les Esprits qui font encore partie de votre monde et qui attendent le moment d'y rentrer.
« A l'agitation des incarnés et des désincarnés se joignent parfois, le plus souvent même, parce que tout se tient dans la nature, les perturbations des éléments physiques ; c'est alors, pour un temps, une véritable confusion générale, mais qui passe comme un ouragan, après lequel le ciel redevient serein, et l'humanité, reconstituée sur de nouvelles bases, imbue de nouvelles idées, parcourt une nouvelle étape de progrès.
« C'est dans la période qui s'ouvre qu'on verra fleurir le Spiritisme, et qu'il portera ses fruits. C'est donc pour l'avenir, plus que pour le présent, que vous travaillez ; mais il était nécessaire que ces travaux fussent élaborés d'avance, parce qu'ils préparent les voies de la régénération par l'unification et la rationalité des croyances. Heureux ceux qui en profitent dès aujourd'hui, ce sera pour eux autant de gagné et de peines épargnées. »
Docteur BARRY.
Si, par l'enchaînement et la solidarité des causes et des effets, les périodes de rénovations morales de l'humanité coïncident, comme tout porte à le croire, avec les révolutions physiques du globe, elles peuvent être accompagnées ou précédées de phénomènes naturels, insolites pour ceux qui n'y sont pas habitués, de météores qui semblent étranges, d'une recrudescence et d'une intensité inaccoutumée des fléaux destructeurs. Ces fléaux ne sont ni une cause, ni des présages surnaturels, mais une conséquence du mouvement général qui s'opère dans le monde physique et dans le monde moral.
En prédisant l'ère de rénovation qui devait s'ouvrir pour l'humanité et marquer la fin du vieux monde, Jésus a donc pu dire qu'elle serait signalée par des phénomènes extraordinaires, des tremblements de terre, des fléaux divers, des signes dans le ciel qui ne sont autres que des météores, sans sortir des lois naturelles ; mais le vulgaire ignorant a vu dans ces paroles l'annonce de faits miraculeux[2].
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A celui qui vit assez longtemps pour embrasser les deux versants de la nouvelle phase, il semble qu'un monde nouveau soit sorti des ruines de l'ancien ; le caractère, les moeurs, les usages, tout est changé ; c'est qu'en effet des hommes nouveaux, ou mieux régénérés, ont surgi ; les idées emportées par la génération qui s'éteint ont fait place à des idées nouvelles dans la génération qui s'élève.
C'est à l'une de ces périodes de transformation, ou, si l'on veut, de croissance morale, qu'est parvenue l'humanité. De l'adolescence elle passe à l'âge viril ; le passé ne peut plus suffire à ses nouvelles aspirations, à ses nouveaux besoins ; elle ne peut plus être conduite par les mêmes moyens ; elle ne se paye plus d'illusions et de prestiges : il faut à sa raison mûrie des aliments plus substantiels. Le présent est trop éphémère ; elle sent que sa destinée est plus vaste et que la vie corporelle est trop restreinte pour la renfermer tout entière ; c'est pourquoi elle plonge ses regards dans le passé et dans l'avenir afin d'y découvrir le mystère de son existence et d'y puiser une consolante sécurité.
Et c'est au moment où elle se trouve trop à l'étroit dans sa sphère matérielle, où la vie intellectuelle déborde, où le sentiment de la spiritualité s'épanouit, que des hommes se disant philosophes espèrent combler le vide par les doctrines du néantisme et matérialisme ! Etrange aberration ! Ces mêmes hommes qui prétendent la pousser en avant s'efforcent de la circonscrire dans le cercle étroit de la matière d'où elle aspire à sortir ; ils lui ferment l'aspect de la vie infinie, et lui disent, en lui montrant la tombe : Nec plus ultrà !
Mais, au contraire, quelle amplitude donne à la pensée de l'homme la certitude de la perpétuité de son être spirituel ! Quoi de plus rationnel, de plus grandiose, de plus digne du Créateur que cette loi d'après laquelle la vie spirituelle et la vie corporelle ne sont que deux modes d'existence qui s'alternent pour l'accomplissement du progrès ! Quoi de plus juste et de plus consolant que l'idée des mêmes êtres progressant sans cesse, d'abord à travers des générations du même monde, et ensuite de monde en monde jusqu'à la perfection, sans solution de continuité ! Toutes les actions ont alors un but, car, en travaillant pour tous, on travaille pour soi, et réciproquement ; de sorte que ni le progrès individuel ni le progrès général ne sont jamais stériles ; il profite aux générations et aux individualités futures, qui ne sont autres que les générations et les individualités passées, arrivées à un plus haut degré d'avancement.
C'est cette foi que donne le Spiritisme, et qui sera désormais le pivot sur lequel se mouvra le genre humain, quels que soient le mode d'adoration et les croyances particulières.
C'est lui qui abaissera les barrières des peuples, qui fera tomber les préjugés de caste, et taire les antagonismes de sectes, en apprenant aux hommes à se regarder comme des frères appelés à s'entraider et non à vivre aux dépens les uns des autres.
C'est encore le progrès moral, secondé ici par le progrès de l'intelligence, qui confondra les hommes dans une même croyance établie sur les vérités éternelles, non sujettes à discussion et par cela même acceptées par tous.
L'unité de croyance sera le lien le plus puissant, le plus solide fondement de la fraternité universelle, brisée de tout temps par les antagonismes religieux qui divisent les peuples et les familles, qui font voir dans les dissidents des ennemis qu'il faut fuir, combattre, exterminer, au lieu de frères qu'il faut aimer.
Aujourd'hui, l'humanité est mûre pour porter ses regards plus haut qu'elle ne l'a fait, pour s'assimiler des idées plus larges et comprendre ce qu'elle n'avait pas compris.
La génération qui disparaît emportera avec elle ses préjugés et ses erreurs ; la génération qui s'élève, trempée à une source plus épurée, imbue d'idées plus saines, imprimera au monde le mouvement ascensionnel dans le sens du progrès moral, qui doit marquer la nouvelle phase de l'humanité.
Mais il manque à ces réformes une base pour se développer, se compléter, se consolider, une prédisposition morale plus générale pour fructifier et se faire accepter des masses. Ce n'en est pas moins un signe caractéristique du temps, le prélude de ce qui s'accomplira sur une plus large échelle, à mesure que le terrain deviendra plus propice.
LA GENERATION NOUVELLE
La terre, au dire des Esprits, ne doit point être transformée par un cataclysme qui anéantirait subitement une génération. La génération actuelle disparaîtra graduellement, et la nouvelle lui succédera de même sans que rien soit changé à l'ordre naturel des choses.
Tout se passera donc extérieurement comme d'habitude, avec cette seule différence, mais cette différence est capitale, qu'une partie des Esprits qui s'y incarnaient ne s'y incarneront plus. Dans un enfant qui naîtra, au lieu d'un Esprit arriéré et porté au mal, qui s'y serait incarné, ce sera un Esprit plus avancé et porté au bien.
Il s'agit donc bien moins d'une nouvelle génération corporelle que d'une nouvelle génération d'Esprits ; c'est dans ce sens, sans doute, que l'entendait Jésus quand il disait : « Je vous dis, en vérité, que cette génération ne passera pas sans que ces faits soient accomplis. » Ainsi, ceux qui s'attendraient à voir la transformation s'opérer par des effets surnaturels et merveilleux seront déçus.
Les deux générations qui se succèdent ont des idées et des vues tout opposées. A la nature des dispositions morales, mais surtout des dispositions intuitives et innées, il est facile de distinguer à laquelle des deux appartient chaque individu.
La nouvelle génération, devant fonder l'ère du progrès moral, se distingue par une intelligence et une raison généralement précoces, jointes au sentiment inné du bien et des croyances spiritualistes, ce qui est le signe indubitable d'un certain degré d'avancement antérieur. Elle ne sera point composée exclusivement d'Esprits éminemment supérieurs, mais de ceux qui, ayant déjà progressé, sont prédisposés à s'assimiler toutes les idées progressives et aptes à seconder le mouvement régénérateur.
Ce qui distingue, au contraire, les Esprits arriérés, c'est d'abord la révolte contre Dieu par le refus de reconnaître aucune puissance supérieure à l'humanité ; la propension instinctive aux passions dégradantes, aux sentiments antifraternels de l'égoïsme, de l'orgueil, de l'envie, de la jalousie ; enfin l'attachement pour tout ce qui est matériel : la sensualité, la cupidité, l'avarice.
Ce sont ces vices dont la terre doit être purgée par l'éloignement de ceux qui refusent de s'amender, parce qu'ils sont incompatibles avec le règne de la fraternité, et que les hommes de bien souffriront toujours de leur contact. Lorsque la terre en sera délivrée, les hommes marcheront sans entraves vers l'avenir meilleur qui leur est réservé dès ici-bas, pour prix de leurs efforts et de leur persévérance, en attendant qu'une épuration encore plus complète leur ouvre l'entrée des mondes supérieurs.
La manière dont s'opère la transformation est fort simple, et, comme on le voit, elle est toute morale et ne s'écarte en rien des lois de la nature.
Supposons qu'on retire ces hommes du régiment un par un, dix par dix, cent par cent, et qu'on les remplace à mesure par un nombre égal de bons soldats, même par ceux qui ont été expulsés, mais qui se seront sérieusement amendés : au bout de quelque temps on aura toujours le même régiment, mais transformé ; le bon ordre y aura succédé au désordre. Ainsi en sera-t-il de l'humanité régénérée.
C'est parce que beaucoup, malgré leurs imperfections, sont mûrs pour cette transformation, que beaucoup partent afin d'aller se retremper à une source plus pure. Tant qu'ils seraient restés dans le même milieu et sous les mêmes influences, ils auraient persisté dans leurs opinions et dans leur manière de voir les choses. Un séjour dans le monde des Esprits suffit pour leur dessiller les yeux, parce qu'ils y voient ce qu'ils ne pouvaient pas voir sur la terre. L'incrédule, le fanatique, l'absolutiste pourront donc revenir avec des idées innées de foi, de tolérance et de liberté. A leur retour, ils trouveront les choses changées, et subiront l'ascendant du nouveau milieu où ils seront nés. Au lieu de faire de l'opposition aux idées nouvelles, ils en seront les auxiliaires.
Lorsque cette amélioration est isolée et individuelle, elle passe inaperçue, et elle est sans influence ostensible sur le monde. Tout autre est l'effet, lorsqu'elle s'opère simultanément sur de grandes masses ; car alors, selon les proportions, en une génération, les idées d'un peuple ou d'une race peuvent être profondément modifiées.
C'est ce qu'on remarque presque toujours après les grandes secousses qui déciment les populations. Les fléaux destructeurs ne détruisent que le corps, mais n'atteignent pas l'Esprit ; ils activent le mouvement de va-et-vient entre le monde corporel et le monde spirituel, et par suite le mouvement progressif des Esprits incarnés et désincarnés. Il est à remarquer qu'à toutes les époques de l'histoire, les grandes crises sociales ont été suivies d'une ère de progrès.
Les incrédules riront de ces choses et les traiteront de chimères ; mais, quoi qu'ils disent, ils n'échapperont pas à la loi commune ; ils tomberont à leur tour comme les autres, et alors qu'adviendra-t-il d'eux ? Ils disent : Rien ! mais ils vivront en dépit d'eux-mêmes, et seront, un jour, forcés d'ouvrir les yeux.