LA GENÈSE, LES MIRACLES ET LES PRÉDICTIONS SELON LE SPIRITISME

Allan Kardec

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DOCTRINE DES ANGES DECHUS ET DU PARADIS PERDU [2].

43.- Les mondes progressent physiquement par l'élaboration de la matière, et moralement par l'épuration des Esprits qui les habitent. Le bonheur y est en raison de la prédominance du bien sur le mal, et la prédominance du bien est le résultat de l'avancement moral des Esprits. Le progrès intellectuel ne suffit pas, puisque avec l'intelligence ils peuvent faire le mal.

Lors donc qu'un monde est arrivé à l'une de ses périodes de transformation qui doit le faire monter dans la hiérarchie, des mutations s'opèrent dans sa population incarnée et désincarnée ; c'est alors qu'ont lieu les grandes émigrations et immigrations (n° 34, 35). Ceux qui, malgré leur intelligence et leur savoir, ont persévéré dans le mal, dans leur révolte contre Dieu et ses lois, seraient désormais une entrave pour le progrès moral ultérieur, une cause permanente de trouble pour le repos et le bonheur des bons, c'est pourquoi ils en sont exclus et envoyés dans des mondes moins avancés ; là ils appliqueront leur intelligence et l'intuition de leurs connaissances acquises au progrès de ceux parmi lesquels ils sont appelés à vivre, en même temps qu'ils expieront, dans une série d'existences pénibles et par un dur travail, leurs fautes passées et leur endurcissement volontaire.

Que seront-ils parmi ces peuplades, nouvelles pour eux, encore dans l'enfance de la barbarie, sinon des anges ou Esprits déchus envoyés en expiation ? La terre dont ils sont expulsés n'est-elle pas pour eux un paradis perdu ? n'était-elle pas pour eux un lieu de délices, en comparaison du milieu ingrat où ils vont se trouver relégués pendant des milliers de siècles, jusqu'au jour où ils auront mérité leur délivrance ? Le vague souvenir intuitif qu'ils en conservent est pour eux comme un mirage lointain qui leur rappelle ce qu'ils ont perdu par leur faute.

44.- Mais en même temps que les mauvais sont partis du monde qu'ils habitaient, ils sont remplacés par des Esprits meilleurs, venus soit d'un monde moins avancé qu'ils ont mérité de quitter, et pour lesquels leur nouveau séjour est une récompense. La population spirituelle étant ainsi renouvelée et purgée de ses plus mauvais éléments, au bout de quelque temps l'état moral du monde se trouve amélioré.

Ces mutations sont quelquefois partielles, c'est-à-dire limitées à un peuple, à une race ; d'autres fois, elles sont générales, quand la période de rénovation est arrivée pour le globe.

45.- La race adamique a tous les caractères d'une race proscrite ; les Esprits qui en font partie ont été exilés sur la terre, déjà peuplée, mais d'hommes primitifs, plongés dans l'ignorance, et qu'ils ont eu pour mission de faire progresser en apportant parmi eux les lumières d'une intelligence développée. N'est-ce pas, en effet, le rôle que cette race a rempli jusqu'à ce jour ? Leur supériorité intellectuelle prouve que le monde d'où ils sont sortis était plus avancé que la terre ; mais ce monde devant entrer dans une nouvelle phase de progrès, et ces Esprits, vu leur obstination, n'ayant pas su se mettre à cette hauteur, y auraient été déplacés et auraient été une entrave à la marche providentielle des choses ; c'est pourquoi ils en ont été exclus, tandis que d'autres ont mérité de les remplacer.

En reléguant cette race sur cette terre de labeur et de souffrances, Dieu a eu raison de lui dire : « Tu en tireras ta nourriture à la sueur de ton front. » Dans sa mansuétude, il lui a promis qu'il lui enverrait un Sauveur, c'est-à-dire celui qui devait l'éclairer sur la route à suivre pour sortir de ce lieu de misère, de cet enfer, et arriver à la félicité des élus. Ce Sauveur, il le lui a envoyé dans la personne du Christ, qui a enseigné la loi d'amour et de charité méconnue par eux, et qui devait être la véritable ancre de salut.

C'est également en vue de faire avancer l'humanité dans un sens déterminé que des Esprits supérieurs, sans avoir les qualités du Christ, s'incarnent de temps à autre sur la terre pour y accomplir des missions spéciales qui profitent en même temps à leur avancement personnel, s'ils les remplissent selon les vues du Créateur.

46.- Sans la réincarnation, la mission du Christ serait un non-sens, ainsi que la promesse faite par Dieu. Supposons, en effet, que l'âme de chaque homme soit créée à la naissance de son corps, et qu'elle ne fasse que paraître et disparaître sur la terre, il n'y a aucune relation entre celles qui sont venues depuis Adam jusqu'à Jésus-Christ, ni entre celles qui sont venues depuis ; elles sont toutes étrangères les unes aux autres. La promesse d'un Sauveur faite par Dieu ne pouvait s'appliquer aux descendants d'Adam, si leurs âmes n'étaient pas encore créées. Pour que la mission du Christ pût se rattacher aux paroles de Dieu, il fallait qu'elles pussent s'appliquer aux mêmes âmes. Si ces âmes sont nouvelles elles ne peuvent êtres entachées de la faute du premier père, qui n'est que le père charnel et non le père spirituel ; autrement Dieu aurait créé des âmes entachées d'une faute qui ne pouvait déteindre sur elles puisqu'elles n'existaient pas. La doctrine vulgaire du péché originel implique donc la nécessité d'un rapport entre les âmes du temps du Christ et celles du temps d'Adam, et par conséquent la réincarnation.

Dites que toutes ces âmes faisaient partie de la colonie d'Esprits exilés sur la terre au temps d'Adam, et qu'elles étaient entachées des vices qui les avaient fait exclure d'un monde meilleur, et vous aurez la seule interprétation rationnelle du péché originel, péché propre à chaque individu, et non le résultat de la responsabilité de la faute d'un autre qu'il n'a jamais connu ; dites que ces âmes ou Esprits renaissent à diverses reprises sur la terre à la vie corporelle pour progresser et s'épurer ; que le Christ est venu éclairer ces mêmes âmes non seulement pour leurs vies passées, mais pour leurs vies ultérieures, et seulement alors vous donnez à sa mission un but réel et sérieux, acceptable par la raison.

47.- Un exemple familier, frappant par son analogie, fera mieux comprendre encore les principes qui viennent d'être exposés :

Le 24 mai 1861, la frégate Iphigénie amena à la Nouvelle-Calédonie une compagnie disciplinaire composée de 291 hommes. Le commandant de la colonie leur adressa, à leur arrivée, un ordre du jour ainsi conçu :

« En mettant le pied sur cette terre lointaine, vous avez déjà compris le rôle qui vous est réservé.

« A l'exemple de nos braves soldats de la marine servant sous vos yeux, vous nous aiderez à porter avec éclat, au milieu des tribus sauvages de la Nouvelle-Calédonie, le flambeau de la civilisation. N'est-ce pas là une belle et noble mission, je nous le demande ? Vous la remplirez dignement.

« Ecoutez la voix et les conseils de vos chefs. Je suis à leur tête ; que mes paroles soient bien entendues.

« Le choix de votre commandant, de vos officiers, de vos sous-officiers et caporaux est un sûr garant de tous les efforts qui seront tentés pour faire de vous d'excellents soldats ; je dis plus, pour vous élever à la hauteur de bons citoyens et vous transformer en colons honorables si vous le désirez.

« Votre discipline est sévère ; elle doit l'être. Placée en nos mains, elle sera ferme et inflexible, sachez-le bien ; comme aussi, juste et paternelle, elle saura distinguer l'erreur du vice et de la dégradation... »

Voilà donc des hommes expulsés, pour leur mauvaise conduite, d'un pays civilisé, et envoyés, par punition, chez un peuple barbare. Que leur dit le chef ? « Vous avez enfreint les lois de votre pays ; vous y avez été une cause de trouble et de scandale, et l'on vous en a chassés ; on vous envoie ici, mais vous pouvez y racheter votre passé ; vous pouvez, par le travail, vous y créer une position honorable, et devenir d'honnêtes citoyens. Vous y avez une belle mission à remplir, celle de porter la civilisation parmi ces tribus sauvages. La discipline sera sévère, mais juste, et nous saurons distinguer ceux qui se conduiront bien. Votre sort est entre vos mains ; vous pouvez l'améliorer si vous le désirez, parce que vous avez votre libre arbitre ».

Pour ces hommes relégués au sein de la sauvagerie, la mère patrie n'est-elle pas un paradis perdu par leur faute et par leur rébellion à la loi ? Sur cette terre lointaine, ne sont-ils pas des anges déchus ? Le langage du chef n'est-il pas celui que Dieu fit entendre aux Esprits exilés sur la terre : « Vous avez désobéi à mes lois, et c'est pour cela que je vous ai chassés du monde où vous pouviez vivre heureux et en paix ; ici vous serez condamnés au travail, mais vous pourrez, par votre bonne conduite, mériter votre pardon et reconquérir la patrie que vous avez perdue par votre faute, c'est-à-dire le ciel ? »

48.- Au premier abord, l'idée de déchéance paraît en contradiction avec le principe que les Esprits ne peuvent rétrograder ; mais il faut considérer qu'il ne s'agit point d'un retour vers l'état primitif ; l'Esprit, quoique dans une position inférieure, ne perd rien de ce qu'il a acquis ; son développement moral et intellectuel est le même, quel que soit le milieu où il se trouve placé. Il est dans la position de l'homme du monde condamné au bagne pour ses méfaits ; certes, il est dégradé, déchu au point de vue social, mais il ne devient ni plus stupide ni plus ignorant.

49.- Croit-on maintenant que ces hommes envoyés dans la Nouvelle-Calédonie vont se transformer subitement en modèles de vertus ? qu'ils vont abjurer tout à coup leurs erreurs passées ? Il ne faudrait pas connaître l'humanité pour le supposer. Par la même raison, les Esprits de la race adamique, une fois transplantés sur la terre d'exil, n'ont pas dépouillé instantanément leur orgueil et leurs mauvais instincts ; longtemps encore ils ont conservé les tendances de leur origine, un reste du vieux levain ; or, n'est-ce pas là le péché originel ?


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[2] Lorsque, dans la Revue de janvier 1862, nous avons publié un article sur l'interprétation de la doctrine des anges déchus, nous n'avons présenté cette théorie que comme une hypothèse, n'ayant que l'autorité d'une opinion personnelle controversable, parce qu'alors nous manquions d'éléments assez complets pour une affirmation absolue ; nous l'avons donnée à titre d'essai, en vue d'en provoquer l'examen, bien déterminé à l'abandonner ou à la modifier s'il y avait lieu. Aujourd'hui, cette théorie a subi l'épreuve du contrôle universel ; non seulement elle a été accueillie par la grande majorité des Spirites comme la plus rationnelle et la plus conforme à la souveraine justice de Dieu, mais elle a été confirmée par la généralité des instructions données par les Esprits sur ce sujet. Il en est de même de celle qui concerne l'origine de la race adamique.

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