REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1864

Allan Kardec

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Janvier

L'époque du renouvellement des abonnements à la Revue est, pour beaucoup de nos lecteurs, dont le nombre s'est augmenté cette année dans une très notable proportion, une occasion de témoigner de leur dévouement à la cause, et de manifester à notre égard des sentiments dont nous sommes vivement touchés. Les lettres qui en contiennent l'expression sont trop nombreuses pour qu'il nous soit possible de répondre à chacune en particulier. Nous leur adressons donc collectivement nos remerciements sincères pour les choses obligeantes qu'ils veulent bien nous dire et les vœux qu'ils forment pour nous et l'avenir du Spiritisme ; notre conduite passée leur est garante que nous ne faillirons pas à notre tâche, quelque lourde qu'elle soit, et qu'ils nous trouveront toujours au premier rang sur la brèche. Jusqu'à ce jour leurs prières ont été exaucées, c'est pourquoi nous les invitons à remercier les bons Esprits qui nous assistent et nous secondent de la manière la plus évidente, en écartant les obstacles qui pourraient entraver notre marche, et en nous montrant de plus en plus clairement le but que nous devons atteindre.

Longtemps nous avons été à peu près seul, mais voici que de nouveaux lutteurs entrent en lice de tous les côtés, travaillant avec l'ardeur, la persévérance et l'abnégation que donne la foi, à la défense et à la propagation de notre sainte doctrine, sans se rebuter par les obstacles, et sans craindre la persécution ; aussi la plupart ont-ils vu le mauvais vouloir fléchir devant leur fermeté. Qu'ils reçoivent ici nos sincères félicitations au nom de tous les Spirites présents et futurs dans la mémoire desquels ils vivront certainement. Bientôt ils auront la satisfaction de voir de nombreux imitateurs marcher sur leurs traces, car l'élan une fois donné, il ne s'arrêtera plus ; bientôt aussi ils se verront soutenus par des hommes faisant autorité, et qui prendront hardiment en main la cause du Spiritisme, qui est celle du progrès et du bien-être matériel et moral de l'humanité.

Salut cordial et fraternel à tous nos frères en Spiritisme de tous les pays.

Allan Kardec.


L'année qui vient de s'écouler n'a pas été moins féconde que les précédentes pour le Spiritisme, mais elle se distingue par plusieurs traits particuliers. Plus que toutes les autres elle a été marquée par la violence de certaines attaques, signe caractéristique dont la portée n'a échappé à personne. Tout le monde s'est dit : puisqu'on se met en colère, c'est qu'on a peur ; si l'on a peur, c'est qu'il y a quelque chose de sérieux.

Comme il est aujourd'hui bien avéré que ces agressions ont fait avancer le Spiritisme au lieu de l'arrêter, on verra naturellement diminuer les attaques à force ouverte ; mais il ne faut pas s'endormir sur ce calme apparent, ni croire que les ennemis du Spiritisme vont en prendre sitôt leur parti ; il faut donc bien se persuader que la lutte n'est pas terminée, mais qu'il y aura changement de tactique ; c'est pourquoi nous disons aux Spirites de veiller sans cesse sur ce qui se passe autour d'eux, et de se rappeler ce que nous avons dit dans le numéro de décembre dernier sur la période de la lutte, la guerre sourde et les conflits ; qu'ils ne s'étonnent donc pas si l'ennemi se glisse jusque dans leurs rangs ; Dieu le permet pour éprouver la foi, le courage, la persévérance de ses véritables serviteurs. Le but sera désormais de chercher tous les moyens possibles de compromettre le Spiritisme, afin de le discréditer ; de pousser les groupes, sous l'apparence du zèle et le prétexte qu'il faut aller de l'avant, à s'occuper de choses étrangères à l'objet de la doctrine ; à traiter des questions politiques ou autres de nature à provoquer des discussions irritantes et à semer la division, le tout pour avoir des prétextes d'en demander la fermeture. La modération des Spirites est ce qui étonne et contrarie le plus leurs adversaires ; on essayera de tout pour les en faire sortir, même de la provocation ; mais ils sauront déjouer ces manœuvres par leur prudence, comme ils l'ont déjà fait en plus d'une occasion, et ne pas tomber dans les pièges qu'on leur tendra ; ils verront, d'ailleurs, les instigateurs se prendre dans leurs propres filets, car il est impossible que tôt ou tard ils ne montrent pas le bout de l'oreille. Ce sera un moment plus difficile à passer que celui de la guerre ouverte, où l'on voit son ennemi face à face ; mais, plus l'épreuve sera rude, plus grand sera le triomphe.

Au reste, cette campagne a eu un immense résultat, c'est de prouver l'impuissance des armes dirigées contre le Spiritisme ; les hommes les plus capables du parti opposé sont entrés en lice ; toutes les ressources de l'argumentation ont été déployées, et, le Spiritisme n'en ayant pas souffert, chacun est demeuré convaincu qu'on ne pouvait lui opposer aucune raison péremptoire, et la plus grande preuve de la pénurie de bonnes raisons, c'est qu'on a eu recours à la triste et ignoble ressource de la calomnie ; mais on a eu beau vouloir faire dire au Spiritisme le contraire de ce qu'il dit : la doctrine est là, écrite en termes si clairs qu'ils défient toute fausse interprétation, c'est pourquoi l'odieux de la calomnie retombe sur ceux qui l'emploient, et les convainc d'impuissance. C'est là un fait considérable dans l'année qui finit, et n'eussions-nous obtenu que ce résultat, nous devrions en être satisfaits ; mais il en est d'autres non moins positifs.

Cette année est surtout, marquée par l'accroissement du nombre des groupes ou sociétés qui se sont formés dans une multitude de localités où il n'y en avait point encore, tant en France qu'à l'étranger, signe évident de l'augmentation du nombre des adeptes et de la diffusion de la doctrine, Paris, qui était resté en arrière, cède enfin à l'impulsion générale et commence à s'émouvoir ; chaque jour voit se former des réunions particulières dans un but éminemment sérieux et dans d'excellentes conditions ; la Société que nous présidons voit avec joie se multiplier autour d'elle des rejetons vivaces capables de répandre la bonne semence. Les groupes particuliers, quand ils sont bien dirigés, sont très utiles pour l'initiation des nouveaux adeptes ; la Société principale, en raison de l'étendue de ses relations, étant le centre où tout aboutit des diverses parties du monde, ne peut et ne doit s'occuper que du développement de la science et des questions générales qui absorbent tout son temps ; elle doit forcément s'abstenir de tout ce qui est élémentaire et personnel ; les groupes particuliers viennent donc combler la lacune qu'elle laisse forcément dans la pratique, c'est pourquoi elle encourage et seconde de ses conseils et de son appui moral les personnes qui se dévouent à cette œuvre de propagation. Si un instant on a pu concevoir quelques craintes sur l'effet de certaines dissidences dans la manière d'envisager le Spiritisme, un fait est de nature à les dissiper complètement, c'est le nombre toujours croissant des Sociétés qui, de tous les pays, se placent spontanément sous le patronage de celle de Paris, et arborent son drapeau. Il est de notoriété que la doctrine du Livre des Esprits est aujourd'hui le point où converge l'immense majorité des adeptes ; la maxime : Hors la charité point de salut, a rallié tous ceux qui voient le côté moral du Spiritisme, parce qu'il n'y a pas deux manières de l'interpréter, et qu'elle satisfait toutes les aspirations. Depuis la constitution du Spiritisme en corps de doctrine, bien des systèmes isolés sont déjà tombés, et le peu de traces qu'ils laissent encore sont sans influence sur l'opinion générale. Les bases solides sur lesquelles il s'appuie triompheront sans peine des divisions que ses adversaires ne manqueront pas de susciter, car ceux-ci comptent sans les Esprits qui protègent leur œuvre, et se servent de ses ennemis mêmes pour en assurer le succès. Il eût été sans précédent qu'une doctrine pût s'établir sans dissidence, et si l'on peut s'étonner d'une chose, c'est de voir, quant au Spiritisme, l'unité se former aussi promptement.

Quoi qu'il en soit, le Spiritisme n'a pas encore pénétré partout, et dans beaucoup d'endroits il est à peine connu de nom ; les rares adeptes que l'on y rencontre l'attribuent à deux causes : la première au caractère des populations trop absorbées par les intérêts matériels, la seconde à l'absence de prédications contraires ; c'est pourquoi ils appellent de tous leurs vœux des sermons dans le genre de ceux qui ont été prêchés ailleurs, ou quelque manifestation éclatante d'hostilité qui réveille l'attention et pique la curiosité ; mais, qu'ils prennent patience, comme il faut que tout le monde y arrive, les Esprits sauront bien y suppléer par d'autres moyens.

Mais le trait le plus caractéristique de l'année 1863, c'est le mouvement qui s'est produit dans l'opinion concernant la doctrine spirite ; on est surpris de la facilité avec laquelle le principe est accepté par des personnes qui naguère l'eussent repoussé et tourné en dérision ; les résistances, nous parlons de celles qui ne sont pas systématiques et intéressées, diminuent sensiblement. On cite plusieurs écrivains de bonne foi qui ont combattu à outrance le Spiritisme, et qui aujourd'hui, dominés par leur entourage, sans s'avouer vaincus, renoncent à une lutte reconnue inutile. C'est que la nécessité d'une transformation morale se fait de plus en plus sentir ; la ruine du vieux monde est imminente, parce que les idées qu'il préconise ne sont plus à la hauteur où est arrivée l'humanité intelligente ; tout semble y conduire, et derrière on entrevoit vaguement de nouveaux horizons ; on sent qu'il faut quelque chose de mieux que ce qui existe, et on le cherche inutilement dans le monde actuel ; quelque chose circule dans l'air comme un courant électrique précurseur, et chacun est dans l'attente ; mais chacun se dit aussi que ce n'est pas l'humanité qui doit reculer.

Un autre fait non moins significatif que beaucoup ont remarqué, et qui est la conséquence de l'état actuel des esprits, c'est le nombre prodigieux d'écrits, sérieux ou légers, faits en dehors, et probablement sans la connaissance du Spiritisme, où se trouvent des pensées spirites. Le principe de la pluralité des existences a surtout une tendance manifeste à entrer dans l'opinion des masses et dans la philosophie moderne ; beaucoup de penseurs y sont conduits par la logique des faits, et avant peu cette croyance sera devenue populaire ; ce sont évidemment les avant-coureurs de l'adoption du Spiritisme dont les voies sont ainsi préparées et la route aplanie. Ce sont toutes ces idées semées de divers côtés, dans des écrits qui vont dans toutes les mains, qui en rendent l'acceptation de plus en plus facile.

L'état du Spiritisme en 1863 peut donc se résumer ainsi : attaques violentes ; multiplication des écrits pour et contre ; mouvement dans les idées ; extension notable de la doctrine, mais sans signes extérieurs de nature à produire une sensation générale ; les racines s'étendent, poussent des rejetons, en attendant que l'arbre déploie ses rameaux. Le moment de sa maturité n'est pas encore venu.

Au nombre des publications qui, dans cette dernière année, sont venues prendre part à la lutte et concourir à la défense du Spiritisme, nous plaçons au premier rang la Ruche de Bordeaux et la Vérité de Lyon, dont les rédacteurs méritent la reconnaissance et les encouragements de tous les vrais Spirites pour la persévérance, le dévouement et le désintéressement dont ils ont fait preuve. Dans le centre spirite le plus nombreux de France, et peut-être du monde entier, la Vérité est venue se poser en athlète redoutable par ses articles d'une logique si serrée, qu'ils ne laissent aucune prise à la critique. Le Spiritisme aura bientôt, on nous le fait espérer, un nouvel et important organe en Italie, qui, comme ses aînés de France, marchera d'un commun accord avec les grands principes de la doctrine.


Un officier de chasseurs, Spirite de longue date, et l'un des nombreux exemples des réformes morales que le Spiritisme peut opérer, nous transmet les détails suivants :

« Cher maître, nous profitons de nos longues heures d'hiver pour nous livrer avec ardeur au développement de nos facultés médianimiques. La triade du 4e chasseurs, toujours unie, toujours vivante, s'inspire de ses devoirs, et s'essaye à de nouveaux efforts. Vous désirez sans doute connaître l'objet de nos travaux, afin de savoir si le champ que nous cultivons n'est pas stérile. Vous pourrez en juger par les détails suivants. Depuis quelques mois nos travaux ont pour but l'étude des fluides ; cette étude a développé en nous la médiumnité guérissante ; aussi, nous l'appliquons maintenant avec succès. Il y a quelques jours, une simple émission fluidique de cinq minutes avec ma main a suffi pour enlever une névralgie violente.

Madame P…, était affectée depuis vingt-huit ans d'une hyperesthésie aiguë ou sensibilité exagérée de la peau, maladie qui la retenait dans sa chambre depuis quinze ans. Elle habite une petite ville voisine, et ayant entendu parler de notre groupe spirite, elle est venue chercher du soulagement près de nous. Au bout de trente-cinq jours, elle est repartie complètement guérie. Pendant ce temps, elle a reçu chaque jour un quart d'heure d'émission fluidique, avec le concours de nos guides spirituels.

Nous donnions en même temps nos soins à un épileptique atteint de cette terrible maladie depuis vingt-sept ans. Les crises se renouvelaient presque chaque nuit, et chaque fois sa mère passait de longues heures à son chevet. Trente-cinq jours ont suffi pour cette cure importante, et qu'elle était heureuse, cette mère, en emmenant son fils radicalement guéri ! Nous nous relevions tous les trois de huit jours en huit jours. Pour l'émission fluidique, nous placions la main tantôt sur le creux de l'estomac du malade, tantôt sur la nuque à la naissance du cou. Chaque jour le malade pouvait constater une amélioration ; nous-mêmes, après l'évocation et pendant le recueillement, nous sentions le fluide extérieur nous envahir, passer en nous, et s'échapper de nos doigts allongés et de notre bras tendu vers le corps du sujet que nous traitions.

Nous donnons en ce moment nos soins à un second épileptique ; cette fois, la maladie sera peut-être plus rebelle, parce qu'elle est héréditaire. Le père a laissé à ses quatre enfants le germe de cette affection ; enfin, avec l'aide de Dieu et des bons Esprits, nous espérons la réduire chez tous les quatre.

Cher maître, nous réclamons le secours de vos prières et celles de nos frères de Paris. Ce secours sera pour nous un encouragement et un stimulant à nos efforts. Puis, vos bons Esprits peuvent venir à notre aide, rendre le traitement plus salutaire et en abréger la durée.

Nous n'acceptons pour toute récompense, comme bien vous le pensez, et elle doit être suffisante, que la satisfaction d'avoir fait notre devoir et d'avoir obéi à l'impulsion des bons Esprits. Le véritable amour du prochain porte avec lui une joie sans mélange, et laisse en nous quelque chose de lumineux qui charme et qui élève l'âme. Aussi nous cherchons, autant que nos imperfections nous le permettent, à nous pénétrer des devoirs du véritable Spirite, qui ne doivent être que l'application des préceptes évangéliques.

M. G… de L… doit nous amener son beau-frère, qu'un Esprit malfaisant subjugue depuis deux ans. Notre guide spirituel Lamennais nous charge du traitement de cette obsession rebelle. Dieu nous donnerait-il aussi le pouvoir de chasser les démons ? S'il en était ainsi, nous n'aurions qu'à nous humilier devant une si grande faveur, au lieu de nous enorgueillir. Combien plus grande encore ne serait pas pour nous l'obligation de nous améliorer, pour lui en témoigner notre reconnaissance et pour ne pas perdre des dons si précieux ?

Cette intéressante lettre ayant été lue à la Société Spirite de Paris dans sa séance du 18 décembre 1863, un de nos bons médiums obtint spontanément à ce sujet les deux communications suivantes :

La volonté existant chez l'homme à différents degrés de développement, servit, à toutes les époques, soit à guérir, soit à soulager. Il est regrettable d'être obligé de constater qu'elle fut aussi la source de bien des maux, mais c'est une des conséquences de l'abus que l'être a souvent fait de son libre arbitre. La volonté développe le fluide soit animal, soit spirituel, car, vous le savez tous maintenant, il y a plusieurs genres de magnétisme, au nombre desquels sont le magnétisme animal et le magnétisme spirituel qui peut, selon l'occurrence, demander appui au premier. Un autre genre de magnétisme, beaucoup plus puissant encore, est la prière qu'une âme pure et désintéressée adresse à Dieu.

La volonté a été souvent mal comprise ; en général celui qui magnétise ne songe qu'à déployer sa puissance fluidique, qu'à déverser son propre fluide sur le patient soumis à ses soins, sans s'occuper s'il y a ou non une Providence qui s'y intéresse autant et plus que lui ; agissant seul, il ne peut obtenir que ce que sa force seule peut produire ; tandis que nos médiums guérisseurs commencent par élever leur âme à Dieu, et par reconnaître que, par eux-mêmes, ils ne peuvent rien ; ils font par cela même acte d'humilité, d'abnégation ; alors, s'avouant trop faibles par eux-mêmes, Dieu, dans sa sollicitude, leur envoie de puissants secours que ne peut obtenir le premier, puisqu'il se juge suffisant à l'œuvre entreprise. Dieu récompense toujours l'humilité sincère en l'élevant, tandis qu'il abaisse l'orgueil. Ce secours qu'il envoie, ce sont les bons Esprits qui viennent pénétrer le médium de leur fluide bienfaisant que celui-ci transmet au malade. Aussi est-ce pour cela que le magnétisme employé par les médiums guérisseurs est si puissant et produit ces guérisons qualifiées de miraculeuses, et qui sont dues simplement à la nature du fluide déversé sur le médium ; tandis que le magnétiseur ordinaire s'épuise souvent en vain à faire des passes, le médium guérisseur infiltre un fluide régénérateur par la seule imposition des mains, grâce au concours des bons Esprits ; mais ce concours n'est accordé qu'à la foi sincère et à la pureté d'intention. »

Mesmer (Médium, M. Albert).



« Un mot sur les médiums guérisseurs dont vous venez de parler ; ils sont tous dans les dispositions les plus louables ; ils ont la foi qui soulève les montagnes, le désintéressement qui purifie les actes de la vie, et l'humilité qui les sanctifie. Qu'ils persévèrent dans l'œuvre de bienfaisance qu'ils ont entreprise ; qu'ils se souviennent bien que celui qui pratique les lois sacrées qu'enseigne le Spiritisme, se rapproche constamment du Créateur. Que, lorsqu'ils emploient leur faculté, la prière, qui est la volonté la plus forte, soit toujours leur guide, leur point d'appui. Le Christ vous a donné dans toute son existence la preuve la plus irrécusable de la volonté la plus ferme, mais c'était la volonté du bien et non celle de l'orgueil. Lorsqu'il disait parfois : Je veux, ce mot était rempli d'onction ; sec apôtres, qui l'entouraient, sentaient leurs cœurs s'ouvrir à cette sainte parole. La douceur constante du Christ, sa soumission à la volonté de son Père, sa parfaite abnégation, sont les plus beaux modèles de volonté que l'on puisse se proposer pour exemple. »

Paul, apôtre (Médium, M. Albert).



Quelques explications feront aisément comprendre ce qui se passe en cette circonstance. On sait que le fluide magnétique ordinaire peut donner à certaines substances des propriétés particulières actives ; dans ce cas, il agit en quelque sorte comme agent chimique, modifiant l'état moléculaire des corps ; il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'il puisse de même modifier l'état de certains organes ; mais on comprend également que son action plus ou moins salutaire doit dépendre de sa qualité ; de là les expressions de « bon ou mauvais fluide ; fluide agréable ou pénible. » Dans l'action magnétique proprement dite, c'est le fluide personnel du magnétiseur qui est transmis, et ce fluide, qui n'est autre que le périsprit, on sait qu'il participe toujours plus ou moins des qualités matérielles du corps, en même temps qu'il subit l'influence morale de l'Esprit. Il est donc impossible que le fluide propre d'un incarné soit d'une pureté absolue, c'est pourquoi son action curative est lente, quelquefois nulle, quelquefois même nuisible, parce qu'il peut transmettre au malade des principes morbides. De ce qu'un fluide est assez abondant et énergique pour produire des effets instantanés de sommeil, de catalepsie, d'attraction ou de répulsion, il ne s'ensuit nullement qu'il ait les qualités nécessaires pour guérir ; c'est la force qui terrasse, et non le baume qui adoucit et répare ; ainsi en est-il des Esprits désincarnés d'un ordre inférieur, dont le fluide peut même être très malfaisant, ce que les Spirites ont à chaque instant l'occasion de constater. Chez les Esprits supérieurs seuls, le fluide périsprital est dépouillé de toutes les impuretés de la matière ; il est en quelque sorte quintessencié ; son action, par conséquent, doit être plus salutaire et plus prompte ; c'est le fluide bienfaisant par excellence. Puisqu'on ne peut le trouver parmi les incarnés ni parmi les désincarnés vulgaires, il faut donc le demander aux Esprits élevés, comme on va chercher dans les pays lointains les remèdes qu'on ne trouve pas chez soi. Le médium guérisseur émet peu de son propre fluide ; il sent le courant du fluide étranger qui le pénètre et auquel il sert de conducteur ; c'est avec ce fluide qu'il magnétise, et c'est là ce qui caractérise le magnétisme spirituel et le distingue du magnétisme animal : l'un vient de l'homme, l'autre des Esprits. Comme on le voit, il n'y a là rien de merveilleux, mais un phénomène résultant d'une loi de nature que l'on ne connaissait pas.

Pour guérir par la thérapeutique ordinaire, il ne suffît pas des premiers médicaments venus ; il les faut purs, non avariés ou frelatés, et convenablement préparés ; par la même raison, pour guérir par l'action fluidique, les fluides les plus épurés sont les plus salutaires ; puisque ces fluides bienfaisants sont le propre des Esprits supérieurs, c'est donc le concours de ces derniers qu'il faut obtenir ; c'est pour cela que la prière et l'invocation sont nécessaires. Mais pour prier, et surtout prier avec ferveur, il faut la foi ; pour que la prière soit écoutée, il faut qu'elle soit faite avec humilité et dictée par un sentiment réel de bienveillance et de charité ; or, il n'y a point de vraie charité sans dévouement, et point de dévouement sans désintéressement ; sans ces conditions, le magnétiseur, privé de l'assistance des bons Esprits, en est réduit à ses propres forces, souvent insuffisantes, tandis qu'avec leur concours elles peuvent être centuplées en puissance et en efficacité. Mais il n'est pas de liqueur, si pure qu'elle soit, qui ne s'altère en passant par un vase impur ; ainsi en est-il du fluide des Esprits supérieurs en passant par les incarnés ; de là, pour les médiums en qui se révèle cette précieuse faculté, et qui veulent la voir grandir et non se perdre, la nécessité de travailler à leur amélioration morale.

Entre le magnétiseur et le médium guérisseur il y a donc cette différence capitale, que le premier magnétise avec son propre fluide, et le second avec le fluide épuré des Esprits ; d'où il suit que ces derniers donnent leur concours à ceux qu'ils veulent et quand ils veulent ; qu'ils peuvent le refuser, et, par conséquent, enlever la faculté à celui qui en abuserait ou la détournerait de son but humanitaire et charitable pour en faire un trafic. Quand Jésus dit à ses apôtres : « Allez ! chassez les démons, guérissez les malades, » il ajouta : « Donnez gratuitement ce que vous avez reçu gratuitement. »

Les médiums guérisseurs tendent à se multiplier, ainsi que les Esprits l'ont annoncé, et cela en vue de propager le Spiritisme par l'impression que ce nouvel ordre de phénomènes ne peut manquer de produire sur les masses, car il n'est personne qui ne tienne à sa santé, même les plus incrédules. Lors donc qu'on verra obtenir avec le concours des Esprits ce que la science ne peut donner, il faudra bien convenir qu'il y a une puissance en dehors de notre monde ; la science sera ainsi conduite à sortir de la voie exclusivement matérielle où elle est restée jusqu'à ce jour ; lorsque les magnétiseurs antispiritualistes ou antispirites verront qu'il existe un magnétisme plus puissant que le leur, ils seront bien forcés de remonter à la véritable cause.

Il importe, toutefois, de se prémunir contre le charlatanisme, qui ne manquera pas de tenter d'exploiter à son profit cette nouvelle faculté. Il est pour cela un moyen bien simple, c'est de se souvenir qu'il n'y a point de charlatanisme désintéressé, et que le désintéressement absolu, matériel et moral, est la meilleure garantie de sincérité. S'il est une faculté donnée par Dieu dans un but saint, c'est sans contredit celle-là, puisqu'elle exige impérieusement le concours des Esprits supérieurs, et que ce concours ne peut être acquis au charlatanisme. C'est afin que l'on soit bien édifié sur la nature toute spéciale de cette faculté que nous l'avons décrite avec quelques détails. Quoique nous ayons pu en constater l'existence par des faits authentiques, dont plusieurs se sont passés sous nos yeux, on peut dire qu'elle est encore rare, et qu'elle n'existe que partiellement chez les médiums qui la possèdent, soit que ceux-ci n'aient pas toutes les qualités requises pour la posséder dans toute sa plénitude, soit parce qu'elle est à son début ; c'est pourquoi les faits n'ont eu jusqu'à ce jour que peu de retentissement ; mais elle ne tardera pas à prendre des développements de nature à fixer l'attention générale ; d'ici à peu d'années elle se révélera chez quelques personnes prédestinées à cet effet avec une puissance qui triomphera de bien des obstinations ; mais ce ne sont pas les seuls faits que l'avenir nous réserve, et par lesquels Dieu confondra les orgueilleux et les convaincra d'impuissance. Les médiums guérisseurs sont un des mille moyens providentiels pour atteindre ce but et hâter le triomphe du Spiritisme. On comprend aisément que cette qualification ne peut être donnée aux médiums écrivains qui obtiennent des prescriptions médicales de certains Esprits.

Nous n'avons envisagé la médiumnité guérissante qu'au point de vue phénoménal et comme moyen de propagation, mais non comme ressource habituelle ; dans un prochain article nous traiterons de son alliance possible avec la médecine et la magnétisation ordinaires.

Dans notre précédent article, nous avons décrit la triste situation de cette jeune fille, et les circonstances qui prouvaient chez elle une véritable possession. Nous sommes heureux de confirmer ce que nous avons dit de sa guérison aujourd'hui complète. Après avoir été délivrée de son Esprit obsesseur, les violentes secousses qu'elle avait éprouvées pendant plus de six mois avaient apporté une grave perturbation dans sa santé ; maintenant elle est tout à fait remise, mais elle n'est pas sortie de son état somnambulique, ce qui ne l'empêche pas de vaquer à ses travaux habituels. Nous allons exposer les circonstances de cette guérison.

Plusieurs personnes avaient entrepris de la magnétiser, mais sans beaucoup de succès, sauf une légère et passagère amélioration dans son état pathologique ; quant à l'Esprit, il était de plus en plus tenace, et les crises avaient atteint un degré de violence des plus inquiétants. Il aurait fallu là un magnétiseur dans les conditions que nous avons indiquées dans l'article précédent pour les médiums guérisseurs, c'est-à-dire pénétrant la malade d'un fluide assez pur pour éliminer le fluide du mauvais Esprit. S'il est un genre de médiumnité qui exige une supériorité morale, c'est sans contredit dans le cas d'obsession, parce qu'il faut avoir le droit d'imposer son autorité à l'Esprit. Les cas de possession, selon ce qui est annoncé, doivent se multiplier avec une grande énergie d'ici à quelque temps, afin que l'impuissance des moyens employés jusqu'à présent pour les combattre soit bien démontrée. Une circonstance même, dont nous ne pouvons encore parler, mais qui a une certaine analogie avec ce qui s'est passé au temps du Christ, contribuera à développer cette sorte d'épidémie démoniaque. Il n'est donc pas douteux qu'il surgira des médiums spéciaux ayant le pouvoir de chasser les mauvais Esprits, comme les apôtres avaient celui de chasser les démons, soit parce que Dieu met toujours le remède à côté du mal, soit pour donner aux incrédules une nouvelle preuve de l'existence des Esprits.

Pour mademoiselle Julie, comme dans tous les cas analogues, le magnétisme simple, quelque énergique qu'il fût, était donc insuffisant ; il fallait agir simultanément sur l'Esprit obsesseur pour le dompter, et sur le moral de la malade ébranlé par toutes ces secousses ; le mal physique n'était que consécutif ; c'était un effet et non la cause ; il fallait donc traiter la cause avant l'effet ; le mal moral détruit, le mal physique devait disparaître de lui-même. Mais pour cela il faut s'identifier avec la cause ; étudier avec le plus grand soin et dans toutes ses nuances le cours des idées, pour lui imprimer telle ou telle direction plus favorable, car les symptômes varient selon le degré d'intelligence du sujet, le caractère de l'Esprit et les motifs de l'obsession, motifs dont l'origine remonte presque toujours aux existences antérieures.

L'insuccès du magnétisme sur mademoiselle Julie a fait que plusieurs personnes ont essayé ; dans le nombre s'est trouvé un jeune homme doué d'une assez grande puissance fluidique, mais qui, malheureusement, manquait totalement de l'expérience, et, surtout, des connaissances nécessaires en pareil cas. Il s'attribuait un pouvoir absolu sur les Esprits inférieurs qui, selon lui, ne pouvaient résister à sa volonté ; cette prétention, poussée à l'excès et fondée sur sa puissance personnelle et non sur l'assistance des bons Esprits, devait lui attirer plus d'un mécompte. Cela seul aurait dû suffire pour montrer aux amis de la jeune fille qu'il manquait de la première des qualités requises pour lui être d'un secours efficace. Mais ce qui, par-dessus tout, aurait dû les éclairer, c'est qu'il professait sur les Esprits en général une opinion complètement fausse. Selon lui, les Esprits supérieurs sont d'une nature fluidique trop éthérée pour pouvoir venir sur la terre communiquer avec les hommes et les assister ; cela n'est possible qu'aux Esprits inférieurs en raison de leur nature plus grossière. Cette opinion, qui n'est autre que la doctrine de la communication exclusive des démons, il avait le tort très grave de la soutenir devant la malade, même dans les moments de crise. Avec cette manière de voir, il devait ne compter que sur lui-même, et ne pouvait invoquer la seule assistance qui aurait du le seconder, assistance dont, il est vrai, il croyait pouvoir se passer ; la conséquence la plus fâcheuse était pour la malade qu'il décourageait, en lui ôtant l'espoir de l'assistance des bons Esprits. Dans l'état d'affaiblissement où était son cerveau, une telle croyance, qui donnait toute prise à l'Esprit obsesseur, pouvait devenir fatale pour sa raison, pouvait même la tuer. Aussi répétait-elle sans cesse dans les moments de crise : « Fou… fou…, il me rendra fou… tout à fait fou… je ne le suis pas encore, mais je le deviendrai. » En parlant de son magnétiseur, elle dépeignait parfaitement son action en disant : « Il me donne la force du corps, mais il ne me donne pas la force de l'esprit. » Cette parole était profondément significative, et cependant personne n'y attachait d'importance.

Lorsque nous vîmes mademoiselle Julie, le mal était à son apogée, et la crise dont nous fûmes témoin fut une des plus violentes ; c'est au moment même où nous nous appliquions à remonter son moral, où nous cherchions à lui inculquer la pensée qu'elle pouvait dompter ce mauvais Esprit avec l'assistance des bons et de son ange gardien dont il fallait invoquer l'appui, c'est à ce moment, disons-nous, que le jeune magnétiseur, qui se trouvait présent, par une circonstance providentielle sans doute, vint, sans provocation aucune, affirmer et développer sa théorie, détruisant d'un côté ce que nous faisions de l'autre. Nous dûmes lui exposer avec énergie qu'il commettait une mauvaise action, et assumait sur lui la terrible responsabilité de la raison et de la vie de cette malheureuse jeune fille.

Un fait des plus singuliers, que tout le monde avait observé, mais dont personne n'avait déduit les conséquences, se produisait dans la magnétisation. Quand elle avait lieu pendant la lutte avec le mauvais Esprit, ce dernier seul absorbait tout le fluide qui lui donnait plus de force, tandis que la malade se trouvait affaiblie et succombait sous ses étreintes. On doit se rappeler qu'elle était toujours en état de somnambulisme ; elle voyait, par conséquent, ce qui se passait, et c'est elle-même qui a donné cette explication. On ne vit dans ce fait qu'une malice de l'Esprit, et l'on se contenta de s'abstenir de magnétiser dans ces moments-là et de rester spectateur de la lutte. Avec la connaissance de la nature des fluides, on peut aisément se rendre compte de ce phénomène. Il est évident, d'abord, qu'en absorbant le fluide pour se donner de la force au détriment de la malade, l'Esprit voulait convaincre le magnétiseur d'impuissance à l'égard de sa prétention ; s'il y avait malice de sa part, c'était contre le magnétiseur, puisqu'il se servait de l'arme même avec laquelle ce dernier prétendait le terrasser ; on peut dire qu'il lui prenait le bâton des mains. Il était non moins évident que sa facilité à s'approprier le fluide du magnétiseur dénotait une affinité entre ce fluide et le sien propre, tandis que des fluides d'une nature contraire se fussent repoussés comme l'eau et l'huile. Ce fait seul suffirait pour démontrer qu'il y avait d'autres conditions à remplir. C'est donc une erreur des plus graves, et nous pouvons dire des plus funestes, de ne voir dans l'action magnétique qu'une simple émission fluidique, sans tenir compte de la qualité intime des fluides. Dans la plupart des cas, le succès repose entièrement sur ces qualités, comme dans la thérapeutique il dépend de la qualité du médicament. Nous ne saurions trop appeler l'attention sur ce point capital, démontré à la fois par la logique et par l'expérience.

Pour combattre l'influence de la doctrine du magnétiseur qui, déjà, avait influé sur les idées de la malade, nous dîmes à celle-ci : « Mon enfant, ayez confiance en Dieu ; regardez autour de vous ; ne voyez-vous pas de bons Esprits ? ‑ C'est vrai, dit-elle ; j'en vois de lumineux que Frédégonde n'ose pas regarder. ‑ Eh bien ! ce sont ceux qui vous protègent, et qui ne permettront pas que le mauvais Esprit ait le dessus ; implorez leur assistance ; priez avec ferveur ; priez surtout pour Frédégonde. – Oh ! pour cela, jamais je ne le pourrai. ‑ Prenez garde ! voyez à ce mot les bons Esprits s'éloigner. Si vous voulez leur protection, il faut la mériter par vos bons sentiments, en vous efforçant surtout d'être meilleure que votre ennemie. Comment voulez-vous qu'ils vous soutiennent, si vous ne valez pas mieux qu'elle ? Songez que dans d'autres existences vous avez eu aussi des reproches à vous faire ; ce qui vous arrive est une expiation ; si vous voulez la faire cesser, il faut vous améliorer, et pour prouver vos bonnes intentions, il faut commencer par vous montrer bonne et charitable pour vos ennemis. Frédégonde elle-même en sera touchée, et peut-être ferez-vous entrer le repentir dans son cœur. Réfléchissez. ‑ Je le ferai. – Faites-le tout de suite, et dites avec moi : « Mon Dieu, je pardonne à Frédégonde le mal qu'elle m'a fait ; je l'accepte comme une épreuve et une expiation que j'ai méritées ; pardonnez-moi mes propres fautes, comme je lui pardonne les siennes ; et vous, bons Esprits qui m'entourez, ouvrez son cœur à de meilleurs sentiments, et donnez-moi la force qui me manque. » Promettez-vous de prier tous les jours pour elle ? ‑ Je le promets. ‑ C'est bien ; de mon côté je vais m'occuper de vous et d'elle ; ayez confiance. – Oh ! merci ! quelque chose me dit que cela va bientôt finir. »

Ayant rendu compte de cette scène à la Société, les instructions suivantes y furent données à ce sujet :

« Le sujet dont vous vous occupez a ému les bons Esprits eux-mêmes qui veulent, à leur tour, venir en aide à cette jeune fille par leurs conseils. Elle présente un cas d'obsession en effet fort grave, et parmi ceux que vous avez vus et que vous verrez encore, on peut mettre celui-ci au nombre des plus importants, des plus sérieux, et surtout des plus intéressants par les particularités instructives qu'il a déjà présentées et qu'il vous offrira de nouveau.

Comme je vous l'ai déjà dit, ces cas d'obsession se renouvelleront fréquemment, et fourniront deux sujets distincts d'utilité, pour vous d'abord, et pour ceux qui les subiront ensuite.

Pour vous d'abord, en ce que, de même que plusieurs ecclésiastiques ont contribué puissamment à répandre le Spiritisme parmi ceux qui y étaient parfaitement étrangers, de même aussi ces obsédés, dont le nombre deviendra assez important pour que l'on s'en occupe d'une manière non point superficielle, mais large et approfondie, ouvriront assez les portes de la science pour que la philosophie spirite puisse avec eux y pénétrer, et occuper, parmi les gens de science et les médecins de tout système, la place à laquelle elle a droit.

Pour eux ensuite, en ce qu'à l'état d'Esprit, avant de s'incarner parmi vous, ils ont accepté cette lutte que leur procure la possession qu'ils subissent, en vue de leur avancement, et cette lutte, croyez-le bien, fait cruellement souffrir leur propre Esprit qui, lorsque leur corps n'est en quelque sorte plus leur, a parfaitement conscience de ce qui se passe. Selon qu'ils auront supporté cette épreuve, dont vous pouvez leur abréger puissamment la durée par vos prières, ils auront progressé plus ou moins ; car, soyez en certains, malgré cette possession, toujours momentanée, ils gardent une suffisante conscience d'eux-mêmes pour discerner la cause et la nature de leur obsession.

Pour celle qui vous occupe, un conseil est nécessaire. Les magnétisations que lui fait endurer l'Esprit incarné dont vous avez parlé lui sont funestes sous tous les rapports. Cet Esprit est systématique ; et quel système ! Celui qui ne rapporte point toutes ses actions à la plus grande gloire de Dieu, qui tire vanité des facultés qui lui ont été accordées, sera toujours confondu ; les présomptueux seront abaissés, dans ce monde souvent, infailliblement dans l'autre. Tâchez donc, mon cher Kardec, que ces magnétisations cessent complètement, ou les inconvénients les plus graves résulteraient de leur prolongation, non seulement pour la jeune fille, mais encore pour l'imprudent qui pense avoir sous ses ordres tous les Esprits des ténèbres et leur commander en maître.

Vous verrez, dis-je, ces cas de possession et d'obsession se développer pendant une certaine période de temps, parce qu'ils sont utiles au progrès de la science et du Spiritisme ; c'est par là que les médecins et les savants ouvriront enfin les yeux et apprendront qu'il est des maladies dont les causes ne sont pas dans la matière, et qui ne doivent pas être traitées par la matière. Ces cas de possession vont également ouvrir au magnétisme des horizons tout nouveaux et lui faire faire un grand pas en avant par l'étude, jusqu'à présent si imparfaite, des fluides ; aidé de ces nouvelles connaissances, et par son alliance intime avec le Spiritisme, il obtiendra les plus grandes choses ; malheureusement, dans le magnétisme, comme dans la médecine, il y aura longtemps encore des hommes qui croiront n'avoir plus rien à apprendre. Ces obsessions fréquentes auront aussi un fort bon côté, en ce qu'étant pénétré par la prière et la force morale on peut les faire cesser et acquérir le droit de chasser les mauvais Esprits, chacun cherchera, par l'amélioration de sa conduite, à acquérir ce droit que l'Esprit de Vérité, qui dirige ce globe, conférera lorsqu'il sera mérité. Ayez foi et confiance en Dieu, qui ne permet point que l'on souffre inutilement et sans motif. »

Hahnemann (Médium, M. Albert).



« Je serai bref. Il sera très facile de guérir cette malheureuse possédée ; les moyens en étaient implicitement contenus dans les réflexions qui ont été émises tout à l'heure par Allan Kardec. Il faut non seulementune action matérielle et morale, mais encore une action purement spirituelle. A l'Esprit incarné qui se trouve, comme Julie, en état de possession, il faut un magnétiseur expérimenté et parfaitement convaincu de la vérité Spirite ; il faut qu'il soit en outre d'une moralité irréprochable et sans présomption. Mais, pour agir sur l'Esprit obsesseur, il faut l'action non moins énergique d'un bon Esprit désincarné. Ainsi donc, double action : action terrestre, action extra-terrestre ; incarné sur incarné, désincarné sur désincarné ; voilà la loi. Si jusqu'à cette heure cette action n'a pas été accomplie, c'est justement pour vous amener à l'étude et à l'expérimentation de cette intéressante question ; c'est à cet effet que Julie n'a pas été plus tôt délivrée : elle devait servir à vos études.

Ceci vous démontre ce que vous aurez à faire désormais dans les cas de possession manifeste ; il est indispensable d'appeler à votre aide le concours d'un Esprit élevé, jouissant en même temps d'une puissance morale et fluidique, comme par exemple l'excellent curé d'Ars, et vous savez que vous pouvez compter sur l'assistance de ce digne et saint Vianney. Au surplus, notre concours est acquis à tous ceux qui nous appelleront à leur aide avec pureté de cœur et foi véritable.

Je me résume : Quand on magnétisera Julie, il faudra d'abord procéder par la fervente évocation du curé d'Ars et des autres bons Esprits qui se communiquent habituellement parmi vous, en les priant d'agir contre les mauvais Esprits qui persécutent cette jeune fille, et qui fuiront devant leurs phalanges lumineuses. Il ne faut pas oublier non plus que la prière collective a une très grande puissance, quand elle est faite par un certain nombre de personnes agissant de concert, avec une foi vive et un ardent désir de soulager. »

Eraste (Médium, M. d'Ambel).



Ces instructions ont été suivies ; plusieurs membres de la Société se sont entendus pour agir par la prière dans les conditions voulues. Un point essentiel était d'amener l'Esprit obsesseur à s'amender, ce qui devait nécessairement faciliter la guérison. C'est ce que l'on a fait en l'évoquant et en lui donnant des conseils ; il a promis de ne plus tourmenter mademoiselle Julie, et il a tenu parole. Un de nos collègues a été spécialement chargé par son guide spirituel de son éducation morale, et il a lieu d'en être satisfait. Cet Esprit, aujourd'hui, travaille sérieusement à son amélioration et demande une nouvelle incarnation pour expier et réparer ses fautes.

L'importance de l'enseignement qui découle de ce fait et des observations auxquelles il a donné lieu, n'échappera à personne, et chacun y pourra puiser d'utiles instructions selon l'occurrence. Une remarque essentielle que ce fait a permis de constater, et que l'on comprendra sans peine, c'est l'influence du milieu. Il est bien évident que si l'entourage seconde par une communauté de vue, d'intention et d'action, le malade se trouve dans une sorte d'atmosphère homogène de fluides bienfaisants, ce qui doit nécessairement faciliter et hâter le succès ; mais s'il y a désaccord, opposition ; si chacun veut agir à sa manière, il en résulte des tiraillements, des courants contraires qui paralysent forcément, et parfois annulent, les efforts tentés pour la guérison. Les effluves fluidiques, qui constituent l'atmosphère morale, si elles sont mauvaises, sont tout aussi funestes à certains individus que les exhalaisons des pays marécageux.

Frédégonde



Nous donnons ci-après les deux évocations de l'Esprit de Frédégonde, faites dans la Société à un mois d'intervalle, et qui forment le complément des deux précédents articles sur la possession de mademoiselle Julie. Cet Esprit ne s'est point manifesté avec des signes de violence, mais il écrivait avec une très grande difficulté et fatiguait extrêmement le médium, qui en fut même indisposé, et dont les facultés semblaient en quelque sorte paralysées. Dans la prévision de ce résultat, nous avions eu soin de ne pas confier cette évocation à un médium trop délicat.

Dans une autre circonstance, un Esprit, interrogé sur le compte de celui-ci, avait dit que, depuis longtemps il cherchait à se réincarner, mais que cela ne lui avait pas été permis, parce que son but n'était point encore de s'améliorer, son but étant, au contraire, d'avoir plus de facilité pour faire le mal à l'aide d'un corps matériel. De telles dispositions devaient rendre sa conversion fort difficile ; elle ne le fut cependant pas autant qu'on pouvait le craindre, grâce, sans doute, au concours bienveillant de toutes les personnes qui y ont participé, et peut-être aussi parce que le temps était venu où cet Esprit devait entrer dans la voie du repentir.



16 octobre 1863  Médium, M. Leymarie.

1. Evocation.  Rép. Je ne suis pas Frédégonde ; que me voulez-vous ?

2. Qui êtes-vous donc ?  R. Un Esprit qui souffre.

3. Puisque vous souffrez, vous devez désirer ne plus souffrir ; nous vous assisterons, car nous compatissons avec tous ceux qui souffrent en ce monde et en l'autre ; mais il faut que vous nous secondiez, et, pour cela, il faut que vous priiez.  R. Je vous en remercie, mais je ne puis prier.

4. Nous allons prier, cela vous aidera ; ayez confiance en la bonté de Dieu, qui pardonne toujours à celui qui se repent.  R. Je vous crois ; priez, priez ; peut-être je pourrai me convertir.

5. Mais il ne suffit pas que nous priions, il faut prier de votre côté.  R. J'ai voulu prier, et je n'ai pas pu ; maintenant je vais essayer avec votre aide.

6. Dites avec nous : Mon Dieu, pardonnez-moi, parce que j'ai péché ; je me repens du mal que j'ai fait.  R. Je le dis ; après.

7. Cela ne suffit pas ; il faut l'écrire.  R. Mon…. (Ici l'Esprit ne peut écrire le mot Dieu ; ce n'est qu'après force encouragements qu'il parvient à terminer la phrase, d'une manière saccadée et peu lisible.)

8. Il ne faut pas dire cela pour la forme ; il faut le penser, et prendre la résolution de ne plus faire le mal, et vous verrez qu'aussitôt vous serez soulagée.  R. Je vais prier.

9. Si vous avez prié sincèrement, n'en éprouvez-vous pas du mieux ?  R. Oh ! si !

10. Maintenant, donnez-nous quelques détails sur votre vie et sur les causes de votre acharnement contre Julie ?  R. Plus tard… je dirai… mais je ne puis aujourd'hui.

11. Promettez-vous de laisser Julie en repos ? Le mal que vous lui faites retombe sur vous et augmente vos souffrances.  R. Oui, mais je suis poussée par d'autres Esprits plus mauvais que moi.

12. C'est une mauvaise excuse que vous donnez là pour vous disculper ; dans tous les cas, vous devez avoir une volonté, et avec de la volonté on peut toujours résister aux mauvaises suggestions.  R. Si j'avais eu de la volonté, je ne souffrirais pas ; je suis punie parce que je n'ai pas su résister.

13. Vous en montriez cependant assez pour tourmenter Julie ; mais vous venez de prendre de bonnes résolutions, nous vous engageons à y persister, et nous prierons les bons Esprits de vous seconder.

Remarque.  Pendant cette évocation, un autre médium obtenait de son guide spirituel une communication contenant entre autres choses ce qui suit : « Ne vous inquiétez pas des dénégations que vous remarquez dans les réponses de cet Esprit : son idée fixe de se réincarner lui fait repousser toute solidarité avec son passé, bien qu'elle n'en supporte que trop les effets. Elle est bien celle qui a été nommée, mais elle n'en veut pas convenir avec elle-même. »



13 novembre 1863.

14. Evocation.  R. Je suis prête à répondre.

15. Avez-vous persisté dans la bonne résolution où vous étiez la dernière fois ?  R. Oui.

16. Comment vous en êtes-vous trouvée ?  R. Très bien, car j'ai prié et je suis plus calme, bien plus heureuse.

17. Nous savons en effet que Julie n'a plus été tourmentée. Puisque vous pouvez vous communiquer plus facilement, voulez-vous nous dire pourquoi vous vous acharniez après elle ?  R. J'étais oubliée depuis des siècles, et je désirais que la malédiction qui couvre mon nom cessât un peu, afin qu'une prière, une seule, vînt me consoler. Je prie, je crois en Dieu ; maintenant je puis prononcer son nom, et certes c'est plus que je ne pouvais attendre du bienfait que vous pouvez m'accorder.

Remarque.  Dans l'intervalle de la première à la seconde évocation, l'Esprit était appelé tous les jours par celui de nos collègues qui était chargé de l'instruire. Un fait positif, c'est qu'à partir de ce moment mademoiselle Julie a cessé d'être tourmentée.

18. Il est fort douteux que le seul désir d'obtenir une prière ait été le mobile qui vous portait à tourmenter cette jeune fille ; vous voulez sans doute encore chercher à pallier vos torts ; dans tous les cas, c'était un mauvais moyen d'attirer sur vous la compassion des hommes.  R. Cependant si je n'avais pas tourmenté fortement Julie, vous n'auriez pas songé à moi, et je ne serais pas sortie du misérable état où je languissais. Il en est résulté une instruction pour vous et un grand bien pour moi, puisque vous m'avez ouvert les yeux.

19. (Au guide du médium.) Est-ce bien Frédégonde qui fait cette réponse ?  R. Oui, c'est elle, un peu aidée, il est vrai, parce qu'elle est humiliée ; mais cet Esprit est beaucoup plus avancé en intelligence que vous ne croyez ; il lui faut le progrès moral dont vous l'aidez à faire le premier pas. Elle ne vous dit pas que Julie tirera un grand profit de ce qui s'est passé pour son avancement personnel.

20. (A Frédégonde.) Mademoiselle Julie vivait-elle de votre temps, et pourriez-vous nous dire ce qu'elle était ?  R. Oui ; c'était une de mes suivantes, appelée Hildegarde ; une âme souffrante et résignée qui a fait ma volonté ; elle subit la peine de ses services trop humbles et trop complaisants à mon égard.

21. Désirez-vous une nouvelle incarnation ?  R. Oui, je la désire. O mon Dieu ! j'ai souffert mille tortures, et si j'ai mérité une peine bien juste, hélas ! il est temps que je puisse, à l'aide de vos prières, recommencer une existence meilleure, afin de me laver de mes anciennes souillures. Dieu est juste ; priez pour moi. Jusqu'à ce jour j'avais méconnu toute l'étendue de ma peine ; j'avais la vue voilée et comme le vertige ; mais à présent je vois, je comprends, je désire le pardon du Maître avec celui de mes victimes. Mon Dieu, que c'est doux le pardon !

22. Dites-nous quelque chose de Brunehaut ?  R. Brunehaut !… Ce nom me donne le vertige… Elle est la grande faute de ma vie, et j'ai senti ma vieille haine se réveiller à ce nom !… Mais mon Dieu me pardonnera, et je pourrai désormais écrire ce nom sans frémir. Plus heureuse que moi, elle est réincarnée pour la deuxième fois, et remplit un rôle que je désire, celui d'une sœur de charité.

23. Nous sommes heureux de votre changement, nous vous y encouragerons, nous vous soutiendrons de nos prières.  R. Merci ! merci ! bons Esprits, Dieu vous le rendra.

Remarque.  Un fait caractéristique chez les mauvais Esprits, c'est l'impossibilité où ils sont souvent de prononcer ou d'écrire le nom de Dieu. Cela dénote sans doute une mauvaise nature, mais en même temps un fond de crainte et de respect que n'ont pas les Esprits hypocrites, moins mauvais en apparence ; ces derniers, loin de reculer devant le nom de Dieu, s'en servent effrontément pour capter la confiance. Ils sont infiniment plus pervers et plus dangereux que les Esprits franchement méchants ; c'est dans cette classe qu'un trouve la plupart des Esprits fascinateurs, dont il est bien plus difficile de se débarrasser que des autres, parce que c'est de l'Esprit même qu'ils s'emparent à l'aide d'un faux semblant de savoir, de vertu ou de religion, tandis que les autres ne s'emparent que du corps. Un Esprit qui, comme celui de Frédégonde, recule devant le nom de Dieu, est bien plus près de sa conversion que ceux qui se couvrent du masque du bien. Il en est de même parmi les hommes, où vous retrouvez ces deux catégories d'Esprits incarnés.




Les réunions spirites qui se forment sont si nombreuses qu'il nous serait impossible de citer toutes les bonnes paroles qui sont dites à ce sujet, et qui témoignent des sentiments qu'excite la doctrine. Le nouveau groupe qui vient de se former dans l'île d'Oléron est d'autant plus digne de sympathie que le Spiritisme a été, dans ces contrées, l'objet d'une assez vive opposition. Nous rapportons une des allocutions qui ont été prononcées en cette circonstance, pour prouver de quelle manière les Spirites répondent à leurs adversaires.



Discours du président de la société spirite de Marennes

« Messieurs et chers frères spirites d'Oléron,

L'extension que le Spiritisme prend chaque jour dans nos contrées est la preuve la plus évidente de l'impuissance des attaques dont il est l'objet ; c'est qu'ainsi que le dit monsieur Allan Kardec : « De deux choses l'une, ou c'est une erreur ou c'est une vérité ; si c'est une erreur, il tombera de lui-même comme toutes les utopies qui n'ont eu qu'une existence éphémère, et sont mortes faute de la base solide qui seule peut donner la vie ; si c'est une de ces grandes vérités qui, par la volonté de Dieu, doivent prendre rang dans l'histoire du monde, et marquer une ère du progrès de l'humanité, rien ne saurait en arrêter la marche.

L'expérience est là pour montrer dans laquelle de ces deux catégories il doit être rangé. La facilité avec laquelle il est accepté par les masses, disons plus : le bonheur, la consolation, le courage contre l'adversité que l'on puise dans cette croyance, la rapidité inouïe de sa propagation, ne sont pas le fait d'une idée sans valeur. Le système le plus excentrique peut faire secte, et grouper autour de lui quelques partisans ; mais comme un arbre sans racines, il s'effeuille promptement, et meurt sans produire de rejetons. En est-il ainsi du Spiritisme ? Non, vous le savez aussi bien que moi. Depuis son apparition, il n'a cessé de grandir, malgré les attaques dont il a été l'objet, et aujourd'hui il a planté son drapeau sur tous les points du globe ; ses partisans se comptent par millions ; et si l'on considère le chemin qu'il a fait depuis dix ans, à travers les obstacles sans nombre qu'on a semés sur sa route, on peut juger de ce qu'il en sera dans dix ans d'ici, d'autant plus que les obstacles s'aplanissent à mesure qu'il avance, et que le nombre de ses adhérents augmente. On peut donc dire, avec M. Allan Kardec, qu'aujourd'hui le Spiritisme est un fait accompli ; l'arbre a pris racine ; il ne lui reste plus qu'à se développer, et tout concourt à lui être favorable ; car, malgré quelques bourrasques, le vent est au Spiritisme ; il faudrait être aveugle pour ne pas le reconnaître.

Une circonstance a puissamment contribué à son extension, c'est qu'il n'est exclusif d'aucune religion ; sa devise : Hors la charité point de salut, appartient à toutes ; c'est à la fois le drapeau de la tolérance, de l'union et de la fraternité, autour duquel tout le monde peut se rallier sans renoncer à sa croyance particulière. On commence à comprendre que c'est un gage de sécurité pour la société. Quant à moi, chers frères, je vais plus loin, et je pense que vous serez de mon avis quand je dis : Lorsque tous les peuples auront inscrit sur leur bannière : Hors la charité point de salut, la paix du monde sera assurée, et tous les peuples vivront en frères. N'est-ce qu'un beau rêve ? Non, messieurs, c'est la promesse faite par le Christ, et nous sommes au temps de son accomplissement.

Que sommes-nous, nous autres, dans le grand mouvement qui s'opère ? Nous sommes d'obscurs ouvriers qui apportons notre pierre à l'édifice, mais quand des millions d'ouvriers auront apporté des millions de pierres, l'édifice sera achevé. Travaillons donc avec zèle et persévérance, sans nous décourager par la petitesse du sillon que nous traçons, puisque de nombreux sillons se tracent autour de nous. Permettez-moi une comparaison matérielle, mais qui répond à cette pensée. Au commencement des chemins de fer, chaque petite localité voulut avoir son tronçon ; chacun de ces tronçons était peu de chose en lui-même, mais quand tous furent réunis, on eut cet immense réseau qui couvre aujourd'hui le monde et abaisse les barrières des peuples. Les chemins de fer ont fait tomber les barrières matérielles ; le mot d'ordre : Hors la charité point de salut, fera tomber les barrières morales ; il fera surtout cesser l'antagonisme religieux, cause de tant de haines et de sanglants conflits, car alors Juifs, Catholiques, Protestants, Musulmans, se tendront la main en adorant, chacun à sa manière, l'unique Dieu de miséricorde et de paix qui est le même pour tous.

Le but est grand, comme vous le voyez, messieurs et chers frères ; il nous resterait à examiner l'organisation de notre petite sphère, pour en faire un rouage utile de l'ensemble. Pour cela, notre tâche est rendue facile par les instructions que nous trouvons dans les ouvrages de notre chef vénéré, devenus, on peut le dire, les ouvrages classiques de la doctrine. En les suivant ponctuellement, nous sommes certains de ne pas nous égarer dans une fausse route, parce que ces instructions sont le fruit de l'expérience. Que chacun de nous médite donc avec soin ces ouvrages, et nous y trouverons tout ce qui nous est nécessaire ; d'ailleurs, j'en ai l'assurance, l'appui et les conseils du maître ne nous feront jamais défaut. Il n'est permis à aucun de nous d'oublier que, si l'espérance et la foi sont rentrées dans la plupart de nos cœurs, si beaucoup d'entre nous ont été arrachés au matérialisme et à l'incrédulité, nous le devons à son courage persévérant, à son zèle, que ni les calomnies, ni les diatribes, ni les attaques de toutes sortes n'ont ébranlé. Le premier il a su comprendre la portée immense du Spiritisme, et dès lors il a tout sacrifié pour en répandre les bienfaits parmi ses frères de la terre. Disons-le : il a été évidemment choisi pour ce grand apostolat, car il est impossible de méconnaître qu'il remplit une mission moralisatrice parmi nous. Je vous propose, messieurs, de lui voter les remerciements que tous les vrais et sincères Spirites lui doivent. Prions Dieu, en même temps, de continuer à le soutenir dans une entreprise qu'il est seul en mesure de faire fructifier complètement.

Quelques mots encore, messieurs, sur le caractère de cette réunion. La maxime qui nous sert de guide est de nature à rassurer ceux que le nom de Spiritisme pourrait effaroucher. Que peut-on craindre, en effet, de gens qui font du principe de la charité pour tous, amis et ennemis, la règle de leur conduite ? Et ce principe est pour nous si sérieux, que nous en faisons la condition expresse de notre salut. N'est-ce pas le meilleur gage que nous puissions donner de nos intentions pacifiques ? Qui pourrait donc voir d'un mauvais œil, même parmi ceux qui ne partagent pas nos croyances, des gens qui ne prêchent que la tolérance, l'union et la concorde, et dont l'unique but est de ramener à Dieu ceux qui s'en éloignent, de combattre le matérialisme et l'incrédulité qui envahissent la société et la menacent dans ses fondements ?

Adressons-nous donc à ceux qui ne croient pas, et le champ à moissonner est assez vaste, ainsi que l'a dit monsieur Allan Kardec ; en vertu même du principe de charité qui nous sert de guide, gardons-nous d'aller troubler aucune conscience ; accueillons en frères ceux qui viennent à nous, et ne cherchons à contraindre personne dans sa foi religieuse. Nous ne venons point élever autel contre autel, mais en élever un où il n'y en avait pas. Ceux qui trouveront nos principes bons les adopteront ; ceux qui les trouveront mauvais les laisseront de côté, et nous ne les en considèrerons pas moins comme des frères ; s'ils nous jettent la pierre, nous prierons Dieu de leur pardonner leur manque de charité, et de les rappeler à l'Évangile et à l'exemple de Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui priait pour ses bourreaux.

Prions donc aussi, chers frères, afin que Dieu daigne étendre sur nous sa miséricorde, et nous pardonner nos fautes comme nous pardonnons à ceux qui nous veulent du mal. Disons tous du fond du cœur :

Seigneur, Dieu Tout-Puissant, qui lisez dans le fond des âmes et voyez la pureté de nos intentions, daignez nous soutenir dans notre œuvre, et protégez notre chef ; donnez-nous la force de supporter avec courage et résignation, et comme des épreuves pour notre foi et notre persévérance, les misères que la malveillance pourrait nous susciter ; faites qu'à l'exemple des premiers martyrs chrétiens, nous soyons prêts à tous les sacrifices pour vous prouver notre soumission à votre sainte volonté. Que sont d'ailleurs les sacrifices des biens de ce monde quand on a, comme doivent l'avoir tous les Spirites sincères, la certitude des biens impérissables de la vie future ! Faites, Seigneur, que les préoccupations de la vie terrestre ne nous détournent pas de la voie sainte dans laquelle vous nous avez conduits, et daignez nous envoyer de bons Esprits pour nous maintenir dans la route du bien ; que la charité, qui est votre loi et la nôtre, nous rende indulgents pour les fautes de nos frères ; qu'elle étouffe en nous tout sentiment d'orgueil, de haine, d'envie et de jalousie, et nous rende bons et bienveillants pour tout le monde, afin que nous prêchions d'exemple autant que de paroles. »

Les délégués de divers groupes des localités environnantes s'étaient réunis, en cette occasion, à leurs nouveaux frères en croyance ; plusieurs autres discours ont été prononcés, qui tous témoignent d'une parfaite entente du véritable Esprit du Spiritisme ; nous regrettons que le défaut d'espace ne nous permette pas de les citer, ainsi qu'une remarquable communication obtenue dans cette séance, signée François-Nicolas Madeleine, qui trace en termes simples et touchants les devoirs du vrai Spirite.

A Lyon, un nouveau groupe vient de se former dans des conditions spéciales qui méritent d'être signalées, comme encouragement et bon exemple. Cette réunion a un double but : l'instruction et la bienfaisance. Sous le rapport de l'instruction, on se propose de faire une part moins grande qu'on ne le fait généralement aux communications médianimiques, et d'en faire, par contre, une plus large aux instructions orales, en vue de développer et d'expliquer les principes du Spiritisme. Sous le rapport de la bienfaisance, la nouvelle société se propose de venir en aide aux personnes nécessiteuses par des dons en nature d'objets usuels, tels que linge, vêtements, etc. En outre de ce qu'elle pourra recueillir, les dames qui en font partie fournissent leur contingent par leur travail personnel pour la confection, et par des visites aux pauvres malades. Un des membres de cette société nous écrit à ce sujet : « Grâce au zèle de madame G…, Lyon va bientôt compter une réunion Spirite de plus. Cette réunion atteindra-t-elle le but qu'elle se propose ? C'est l'avenir qui en décidera. Si elle est peu nombreuse encore, elle renferme au moins des éléments dévoués, pleins de foi et de charité. Nous pouvons échouer dans notre entreprise, mais nos intentions au moins sont bonnes ; il nous suffira que la société de Paris, sous l'égide de laquelle nous nous plaçons, nous approuve et nous aide de ses conseils, pour que nous persévérions à l'aide de son appui moral. »

Cet appui ne manquera jamais à toute œuvre fondée selon le véritable esprit du Spiritisme, et qui a pour but la réalisation du bien. La Société de Paris est toujours heureuse de voir la doctrine porter de bons fruits ; elle ne déclinerait toute solidarité qu'à l'égard des groupes ou sociétés qui, méconnaissant le principe de charité et de fraternité sans lequel il n'y a point de vrais Spirites, verraient les autres réunions d'un mauvais œil, leur jetteraient la pierre, ou chercheraient à les dénigrer sous un prétexte quelconque. La charité et la fraternité se reconnaissent à leurs œuvres et non aux paroles ; c'est une mesure d'appréciation qui ne peut tromper que ceux qui s'aveuglent sur leur propre mérite, mais non les tiers désintéressés ; c'est la pierre de touche à laquelle on reconnaît la sincérité des sentiments ; et quand on parle de charité, en Spiritisme, on sait qu'il ne s'agit pas seulement de celle qui donne, mais aussi et surtout de celle qui oublie et pardonne, qui est bienveillante et indulgente, qui répudie tout sentiment de jalousie et de rancune. Toute réunion spirite qui ne serait pas fondée sur le principe de la vraie charité, serait plus nuisible qu'utile à la cause, parce qu'elle tendrait à diviser au lieu de réunir ; elle porterait d'ailleurs en elle-même son élément destructeur. Nos sympathies personnelles seront donc toujours acquises à toutes celles qui prouveront, par leurs actes, le bon Esprit qui les anime, car les bons Esprits ne peuvent inspirer que le bien.

Dans le prochain numéro, nous parlerons des nouvelles sociétés spirites de Bruxelles, de Turin et de Smyrne, qui se placent également sous le patronage de la Société de Paris.

Progrès dans les premières incarnations

Demande. Deux âmes, créées simples et ignorantes, ne connaissent ni le bien ni le mal en venant sur la terre. Si, dans cette première existence, l'une suit la voie du bien et l'autre celle du mal, comme c'est en quelque sorte le hasard qui les a conduites, elles ne méritent ni punition ni récompense. Ce premier voyage terrestre ne doit avoir servi qu'à donner à chacune la conscience de son existence, conscience qu'elle n'avait pas d'abord. Pour être logique, il faudrait admettre que les punitions et les récompenses ne commenceront à être infligées ou accordées qu'à partir de la deuxième incarnation, alors que les Esprits savent distinguer le bien d'entre le mal, expérience qui leur manquait à leur création, mais qu'elles ont acquises au moyen de leur première incarnation. Cette opinion est-elle fondée ?

Réponse. Quoique cette question soit déjà résolue par la doctrine spirite, nous allons y répondre pour l'instruction de tous.

Nous ignorons absolument dans quelles conditions sont les premières incarnations de l'âme ; c'est un de ces principes des choses qui sont dans les secrets de Dieu. Nous savons seulement qu'elles sont créées simples et ignorantes, ayant ainsi toutes un même point de départ, ce qui est conforme à la justice ; ce que nous savons encore, c'est que le libre arbitre ne se développe que peu à peu et après de nombreuses évolutions dans la vie corporelle. Ce n'est donc ni après la première, ni après la deuxième incarnation que l'âme a une conscience assez nette d'elle-même pour être responsable de ses actes ; ce n'est peut-être qu'après la centième, peut-être la millième ; il en est de même de l'enfant qui ne jouit de la plénitude de ses facultés ni un, ni deux jours après sa naissance, mais après des années. Et encore, alors que l'âme jouit de son libre arbitre, la responsabilité croît en raison du développement de son intelligence ; c'est ainsi, par exemple, qu'un sauvage qui mange ses semblables est moins puni que l'homme civilisé qui commet une simple injustice. Nos sauvages sont sans doute bien arriérés par rapport à nous, et cependant ils sont déjà bien loin de leur point de départ. Pendant de longues périodes, l'âme incarnée est soumise à l'influence exclusive des instincts de conservation ; peu à peu ces instincts se transforment en instincts intelligents, ou, pour mieux dire, s'équilibrent avec l'intelligence ; plus tard, et toujours graduellement, l'intelligence domine les instincts ; c'est alors seulement que commence la sérieuse responsabilité.

L'auteur de la question commet en outre deux erreurs graves : la première est d'admettre que le hasard décide de la bonne ou de la mauvaise route que suit l'Esprit à son principe. S'il y avait hasard ou fatalité, toute responsabilité serait injuste. Comme nous l'avons dit, l'Esprit est pendant de nombreuses incarnations dans un état inconscient ; la lumière de l'intelligence ne se fait que peu à peu, et la responsabilité réelle ne commence que lorsque l'Esprit agit librement et en connaissance de cause.

La seconde erreur est d'admettre que les premières incarnations humaines ont lieu sur la terre. La terre a été, mais n'est plus un monde primitif ; les êtres humains les plus arriérés que l'on trouve à sa surface ont déjà dépouillé les premiers langes de l'incarnation, et nos sauvages sont en progrès comparativement à ce qu'ils étaient avant que leur Esprit vînt s'incarner sur ce globe. Que l'on juge maintenant du nombre d'existences qu'il faut à ces sauvages pour franchir tous les degrés qui les séparent de la civilisation la plus avancée ; tous ces degrés intermédiaires se trouvent sur la terre sans solution de continuité, et on peut les suivre en observant les nuances qui distinguent les différents peuples ; il n'y a que le commencement et la fin qui ne s'y trouvent pas ; le commencement se perd pour nous dans les profondeurs du passé qu'il ne nous est pas donné de pénétrer. Ceci, du reste, nous importe peu, puisque cette connaissance ne nous avancerait en rien. Nous ne sommes pas parfaits, voilà ce qui est positif ; nous savons que nos imperfections sont le seul obstacle à notre bonheur futur, étudions-nous donc afin de nous perfectionner. Au point où nous en sommes, l'intelligence est assez développée pour permettre à l'homme de juger sainement du bien et du mal, et c'est à ce point aussi que sa responsabilité est le plus sérieusement engagée ; car on ne peut plus dire de lui ce que disait Jésus : « Pardonnez-leur, Seigneur, car ils ne savent ce qu'ils font. »




Variétés

Nous devons à l'obligeance de M. Flammarion la communication d'une lettre qui lui a été adressée et qui contient le récit suivant :

Vous vous imaginez probablement, cher monsieur, être le premier astronome qui se soit occupé de Spiritisme ; détrompez-vous ; il y a un siècle et demi, Fontenelle faisait de la typtologie avec mademoiselle Letard, médium. M'amusant ce matin à feuilleter un vieux manuel épistolaire publié par Philipon de la Madeleine il y a cinquante ans, je trouve une lettre de mademoiselle de Launai, qui fut plus tard madame de Staal, adressée de la part de la duchesse du Maine au secrétaire de l'Académie des sciences, relativement à une aventure dont voici le résumé.

En 1713, une jeune fille nommée Letard prétendit avoir avec les Esprits un commerce tel que Socrate en avait eu avec son démon. M. de Fontenelle alla voir cette jeune fille, et comme il laissait voir dans ses propos quelques doutes sur cette espèce de charlatanisme, madame du Maine (qui ne doutait pas) chargea mademoiselle de Launai de lui écrire à ce sujet.


Philipon de la Madeleine.



On trouve sur ce fait la note suivante dans une édition des œuvres choisies de Fontenelle publiée à Londres en 1761.

Une jeune fille, appelée mademoiselle Letard, excita au commencement de ce siècle la curiosité du public par un prétendu prodige. Tout le monde y courait, et M. de Fontenelle, engagé par Mgr le duc d'Orléans, alla aussi voir la merveille. C'est à ce sujet que mademoiselle de Launai lui avait écrit. ‑ Voici cette lettre :

« L'aventure de mademoiselle Letard fait moins de bruit, monsieur, que le témoignage que vous en avez rendu. On s'étonne, et peut-être avec quelque raison, que le destructeur des oracles, que celui qui a renversé le trépied des sibylles, se soit mis à genoux devant mademoiselle Letard. Quoi ! disent les critiques, cet homme qui a mis dans un si beau jour des supercheries faites à mille lieues loin, et plus de deux mille ans avant lui, n'a pu découvrir une ruse tramée sous ses yeux ! Les raffinés prétendent qu'en bon pyrrhonien, trouvant tout incertain, vous trouvez tout possible. D'un autre côté, les dévots paraissent fort édifiés des hommages que vous avez rendus au diable ; ils espèrent que cela pourra aller plus loin. Pour moi, monsieur, je suspens mon jugement jusqu'à ce que je sois mieux éclairée. »

Réponse de M. de Fontenelle :

J'aurai l'honneur, mademoiselle, de vous répondre la même chose que je répondis à un de mes amis qui m'écrivit de Marly le lendemain que j'eus été chez l'Esprit. Je lui mandai que j'avais entendu des bruits dont je ne connaissais pas la mécanique ; mais que, pour décider, il faudrait un examen plus exact que celui que j'avais fait, et le répéter. Je n'ai point changé de langage ; mais parce que je n'ai pas décidé absolument que c'était un artifice, on m'a imputé de croire que c'était un lutin ; et comme le public ne s'arrête pas en si beau chemin, on me l'a fait dire. Il n'y a pas grand mal à cela. Si on m'a fait le tort de m'attribuer un discours que je n'ai pas tenu, on m'a fait l'honneur d'avoir de l'attention sur moi, et l'un ira pour l'autre. Je n'ai pas cru que d'avoir décrié les vieilles prophétesses de Delphes ce fût un engagement pour détruire une jeune fille vivante et dont on n'avait parlé qu'en bien. Si cependant on trouve que j'ai manqué à mon devoir, une autre fois je prendrai un ton plus impitoyable et plus philosophique. Il y a longtemps qu'on me reproche mon peu de sévérité. Il faut que je sois bien incorrigible, puisque l'âge, l'expérience et les injustices du monde n'y font rien. Voilà, mademoiselle, tout ce que je puis vous dire sur l'Esprit qui m'a attiré une lettre que je le soupçonnerais volontiers d'avoir dictée, puisque enfin je ne suis pas éloigné d'y croire. Quand il me viendra aussi un démon familier, je vous dirai avec plus de grâce et d'un ton plus ingénieux, mais non avec plus de sincérité, que je suis, etc. »



Remarque. Fontenelle, comme on le voit, ne se prononce ni pour ni contre, et se borne à constater le fait ; c'était de la prudence, ce dont manquent la plupart des négateurs de notre époque, qui tranchent sur ce qu'ils ne se sont pas même donné la peine d'observer, au risque de recevoir plus tard le démenti de l'expérience. Cependant, il est évident qu'il incline pour l'affirmative, chose remarquable pour un homme dans sa position et dans le siècle du scepticisme par excellence. Loin d'accuser mademoiselle Letard de charlatanisme, il reconnaît qu'on n'en parlait qu'en bien. Peut-être même était-il plus convaincu qu'il ne le voulait paraître, et n'était retenu que par la crainte du ridicule, si puissant à cette époque. Il fallait toutefois qu'il fût bien ébranlé, pour ne pas dire carrément que c'était une supercherie ; or, son opinion sur ce point est importante. La question de charlatanisme étant écartée, il demeure évident que mademoiselle Letard était un médium spontané dans le genre des demoiselles Fox.

Le passage suivant, tiré de saint Athanase, patriarche d'Alexandrie, l'un des Pères de l'Église grecque, semble avoir été écrit sous l'inspiration des idées spirites d'aujourd'hui.

« L'âme ne meurt pas, mais le corps meurt quand elle s'en éloigne. L'âme est à elle-même son propre moteur ; le mouvement de l'âme, c'est sa vie. Lors même qu'elle est prisonnière dans le corps, et comme attachée à lui, elle ne se rapetisse pas à ses étroites proportions, elle ne s'y renferme pas ; mais souvent, alors que le corps est gisant immobile, et comme inanimé, elle reste éveillée par sa propre vertu ; et sortant de la matière, quoiqu'elle y tienne encore, elle conçoit, elle contemple des existences au delà du globe terrestre ; elle voit les saints dégagés de l'enveloppe des corps, elle voit les anges et monte vers eux dans la liberté de sa pure innocence.

Tout à fait séparée du corps, et lorsqu'il plaira à Dieu de lui ôter la chaîne qu'il lui impose, n'aura-t-elle pas, je vous prie, une bien plus claire vision de son immortelle nature ? Si aujourd'hui même, et dans les entraves de la chair, elle vit déjà d'une vie tout extérieure, elle vivra bien davantage après la mort du corps, grâce à Dieu qui par son Verbe l'a faite ainsi. Elle comprend, elle embrasse en elle les idées d'éternité, les idées d'infini, parce qu'elle est immortelle. De même que le corps, qui est mortel, ne perçoit rien que de matériel et de périssable, ainsi l'âme, qui voit et médite les choses immortelles, est nécessairement immortelle elle-même, et vivra toujours : car les pensées et les images d'immortalité ne la quittent jamais et sont en elle comme un foyer vivant qui nourrit et assure son immortalité. »

(Sanet. Atlzan. Oper., t. J, p. 32. - VILLE~'lAIN, Tableau de l' éloquenee cltrétienne au quat1'ieme siàcle.)


N'est-ce pas là, en effet, une peinture exacte du rayonnement extérieur de l'âme pendant la vie corporelle, et de son émancipation dans le sommeil, l'extase, le somnambulisme et la catalepsie ? Le Spiritisme dit exactement la même chose, et il le prouve par l'expérience.

Avec les idées éparses contenues dans la Bible, les Évangiles, les Apôtres et les Pères de l'Église, sans parler des écrivains profanes, on peut constituer toute la doctrine spirite moderne. Les commentaires qui ont été faits de ces écrits, l'ont été généralement à un point de vue exclusif et avec des idées préconçues, et beaucoup n'y ont vu que ce qu'ils voulaient y voir, ou manquaient de la clef nécessaire pour y voir autre chose ; mais aujourd'hui le Spiritisme est la clef qui donne le véritable sens des passages mal compris. Jusqu'à présent ces fragments sont recueillis partiellement, mais un jour viendra que des hommes de patience et de savoir, et dont l'autorité ne pourra être méconnue, feront de cette étude l'objet d'un travail spécial et complet qui jettera la lumière sur toutes ces questions, et devant l'évidence clairement démontrée il faudra bien se rendre. Ce travail considérable sera, nous croyons pouvoir le dire, l'œuvre de membres éminents de l'Église, qui recevront cette mission, parce qu'ils comprendront que la religion doit être progressive comme l'humanité, sous peine d'être débordée, car il en est des idées rétrogrades en religion comme en politique ; en pareil cas, ne pas avancer c'est reculer. Ce qui fait les incrédules, c'est précisément parce que la religion s'est tenue en dehors du mouvement scientifique et progressif ; elle fait plus : elle déclare ce mouvement l'œuvre du démon, et l'a toujours combattu. Il en est résulté que la science, étant repoussée par la religion, à son tour a repoussé la religion ; de là un antagonisme qui ne cessera que lorsque la religion comprendra que non seulement elle doit marcher avec le progrès, mais qu'elle doit être un élément de progrès. Tout le monde croira en Dieu quand elle ne le présentera pas en contradiction avec les lois de la nature, qui sont son œuvre.

Dans un article politique fort sérieux sur la Pologne, signé Bonneau, publié dans l'Opinion nationale du 10 novembre 1863, on lit le passage suivant :

« Que François-Joseph évoque l'ombre de son aïeule, qu'il demande conseil à Marie-Thérèse, âme souffrante, poursuivie par le remords de la Pologne démembrée, et la lumière se fera tout à coup à ses yeux. »

Ces paroles n'ont pas besoin de commentaire. Nous avions raison de dire plus haut que l'idée spirite perce partout ; on y est entraîné malgré soi, et bientôt elle débordera.

On lit dans l'Histoire de saint Martial, apôtre des Gaules et notamment de l'Aquitaine et du Limousin, par le R. P. Bonaventure de Saint-Amable, religieux carme déchaussé, 3e partie, p. 752 :

« L'an 1518, au mois de décembre, en la maison de Pierre Juge, marchand de Limoges, un Esprit, durant quinze jours, faisait grand bruit, frappant sur les portes, les planches et le pavé, et changeait les ustensiles d'un lieu en un autre. Plusieurs religieux y allèrent dire la messe, et veiller la nuit avec des cierges allumés et de l'eau bénite, sans qu'il voulût parler. Un jeune homme de seize ans, natif d'Ussel, qui servait ce marchand, avoua que cet Esprit l'avait souvent molesté chez lui et en plusieurs autres lieux, et ajouta qu'un sien parent, qui l'avait laissé héritier, était mort à la guerre, et était souvent apparu à plusieurs de ses parents, et avait frappé sa sœur, qui en mourut trois jours après. Le susdit marchand Juge ayant donné congé à ce jeune homme, tout ce bruit cessa. »

Ce jeune homme était évidemment un médium inconscient, à effets physiques, comme il y en a toujours eu. La connaissance des lois qui régissent les rapports du monde visible et du monde invisible font rentrer tous ces faits, prétendus merveilleux, dans le domaine des lois naturelles.




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