REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1867

Allan Kardec

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Novembre

Impressions d'un médium inconscient à propos du Roman de l'avenir

Par M. Eug. Bonnemère

M. Bonnemère a bien voulu nous transmettre, sur le jeune breton dont il est question dans la préface de l'intéressant livre qu'il a publié sous le titre de Roman de l'Avenir, des détails circonstanciés qui complètent ceux que nous avons donnés à ce sujet dans la Revue de juillet 1867, page 215. Ces nouveaux renseignements sont du plus haut intérêt, et nos lecteurs sauront gré à l'auteur, comme nous le remercions nous-mêmes, de les avoir mis à notre disposition. Nous les ferons suivre de quelques remarques.

Monsieur,

Un ami m'envoie fort tardivement le numéro de la Revue spirite dans lequel vous rendez compte du Roman de l'Avenir que j'ai signé de mon nom. Permettez-moi de vous donner quelques éclaircissements au sujet d'un passage de cet article où se trouve cette réflexion : « On nous a dit que, lorsqu'il a écrit ce livre, l'auteur ne connaissait pas le Spiritisme ; cela paraît difficile, etc. »

Cela est cependant rigoureusement vrai. Je l'avoue en toute sincérité et humilité, Monsieur, j'ai eu le tort de ne pas vous offrir ce volume ; je ne suis jamais allé chez vous ; je ne connaissais pas même le titre de la Revue spirite, et ma bibliothèque ne possède aucun ouvrage sur les questions que l'on y traite ; c'est pourquoi j'ai appelé mon jeune breton un extatique naturel, tandis qu'il est pour vous un médium.

J'ai raconté, dans la préface du Roman de l'Avenir par suite de quelle aventure étrange, moi qui fus un historien dans la maturité de ma vie, j'allais devenir un romancier après avoir dépassé la cinquantaine. Les lecteurs n'ont vu là qu'un de ces procédés familiers aux auteurs pour donner quelque piquant à leur récit. J'atteste sur l'honneur qu'à l'exception d'un détail qui ne fait rien à l'affaire, et qu'il ne m'est pas permis de révéler encore, tout ce que j'avance dans cette préface est vrai, et bien loin d'exagérer, je ne dis pas tout.

Mon jeune breton explique dans vingt passages de ses volumineux manuscrits (près de 18,000 pages) les causes et les effets de cette sorte de condamnation aux travaux forcés qu'il subit en la maudissant.

« Chaque soir, a-t-il écrit à la date du 24 août 1864, je me couche très fatigué après une journée de travail ; je m'endors ; une heure après je me réveille ; je suis triste, un crêpe noir semble m'envelopper ; je suis sans parole, mais je ne souffre pas. Quelque chose de vague est dans mon cerveau ; c'est sous cette impression que mes yeux se referment souvent avec des larmes dans le cœur. Puis au matin je m'éveille avec un mutisme persistant, c'est-à-dire avec d'intolérables souffrances dans le côté gauche et dans le cœur qui ne me permettent pas de retrouver le sommeil. J'éprouve un état d'angoisse intolérable qui me force à me lever. J'étouffe ; il y a du trop plein en moi qu'il faut déverser. Alors je vais à mon bureau, et là je suis contraint de travailler.

Plus je souffre, plus et mieux je travaille. J'ai alors un débordement d'imagination extrême. Quand une œuvre est composée, et qu'elle n'a plus besoin que d'être jetée sur le papier, j'en invente une autre, sans la chercher jamais, et tout en écrivant mécaniquement celle qui est arrivée à maturité.

Lorsque je dois servir d'instrument à quelqu'un des amis disparus, son nom résonne à mon oreille. Quand j'écris, ce nom ne me quitte pas, et j'éprouve, même au milieu de mes souffrances physiques parfois aiguës, surtout dans le cœur, une sorte de douceur à écrire ce qu'il met en moi. C'est comme une inspiration, mais bien involontaire. Toutes les fibres de mon être moral sont mises en éveil. Alors je ressens plus vivement ; il me semble que je vibre ; tous les bruits sont plus forts, plus perceptibles ; je vis de vibrations intellectuelles et morales à la fois.

Lorsque je suis dans cet état de mutisme, je me sens comme enveloppé d'un réseau qui établit une séparation entre mon être intellectuel et la masse des objets matériels ou des personnes qui m'environnent. C'est un isolement absolu au milieu de la foule ; ma parole et mon esprit sont ailleurs. L'être inspirateur qui vient en moi ne me quitte plus ; c'est une sorte de pénétration intime de lui à moi ; je suis comme une éponge imbibée de sa pensée. Je la presse, et il en sort la quintessence de son intelligence, dégagée de toutes les mesquineries de notre vie d'ici-bas.

Parfois, même sans mutisme, que je sois seul ou avec d'autres, peu importe, je cause, je ris, je parais tout à la conversation des autres, et pourtant je travaille ; les idées s'accumulent, mais fugitives ; j'y suis et n'y suis plus ; je reviens à moi, et n'ai plus souvenance de rien ; mais l'état de mutisme fait revivre les images effacées.

Si c'est un roman que je dois écrire, le titre me vient d'abord, les événements arrivent ensuite ; c'est quelquefois l'affaire d'un ou deux jour pour le composer en entier. S'il s'agit de choses plus sérieuses, le titre également m'est dicté, puis les pensées surabondent, voire même quand je semble le plus fortement distrait. L'élaboration se fait à son heure jusqu'à l'instant où le trop plein déborde sur le papier.

Il m'est arrivé souvent, après un long roman terminé, et lorsque je n'avais rien autre chose de tout prêt à être versé sur mes cahiers, d'éprouver cette étrange sensation, comme si, dans mon cerveau, il y avait une case vide. Je souffre beaucoup plus alors ; c'est un état d'atonie complète jusqu'au moment où ma tête se remplit d'autre chose.

Généralement, dès le soir même, ou le matin dans mon lit, je combine quelque plan nouveau. Parfois, cependant, je me lève sans penser à rien de ce que je vais faire et sans avoir rien élaboré d'avance. Ma bougie allumée, je me mets devant mon papier. J'entends alors du côté gauche, dans l'oreille gauche, un nom, un mot, un sujet de roman en deux ou trois mots. Cela suffit ; les mots se succèdent sans interruption ; les événements viennent s'aligner d'eux-mêmes sous ma plume sans un instant d'arrêt, jusqu'à ce que l'histoire soit terminée. Quand les choses se passent ainsi, c'est qu'il ne s'agit que d'une nouvelle très courte qui sera terminée dans une séance.

Il y a encore dans mon état une particularité très singulière, c'est lorsque je suis inquiet de la santé de quelqu'un que j'aime. Cela devient véritablement pour moi une atroce maladie, et je crois bien que je souffre plus que la personne elle-même. Durant quelques instants, je suis saisi dans la tête, dans l'estomac, dans le cœur et dans les entrailles, d'une pression pleine d'angoisses qui va jusqu'à une douleur extrême. Il vient un moment où la tête seule souffre. Alors un nom de remède, ou plusieurs noms sont en moi. Je ne veux pas parler, car je doute et crains de faire mal, quand je voudrais tant soulager ! Mais ces mots reviennent sans cesse ; je suis vaincu, je cède et les dis avec effort, ou je les écris. Alors c'est fini, je n'y pense plus, et tout est effacé. »

Je ne sais pas si je me trompe, mais il me semble retrouver là tous les caractères de la possession d'autrefois, et je crois bien que l'on a brûlé jadis bien des possédés qui n'étaient pas plus sorciers que mon jeune extatique. Evidemment il vit d'une double vie dont chacun n'a aucun rapport avec l'autre. Je l'ai vu souvent, lorsqu'une des personnes qui se confiaient à lui, venait lui dire qu'elle souffrait ; l'œil fixe, les paupières écartées, la pupille dilatée, il semblait écouter, chercher. – « Oui, oui ! » murmurait-il comme s'il se répétait lui-même ce qu'une voix intérieure lui disait. Il indiquait alors le remède nécessaire, causait un moment sur la nature et la cause du mal, puis, peu à peu, tout cela se dissipait, et il n'avait conscience ni de l'instant où l'extase était venue, ni de celui où elle avait cessé. Ce rapide moment d'absence n'existait pas pour lui, et on évitait de lui en parler.

« Je veux et je dois vivre dans l'ombre, a-t-il écrit ailleurs. On me dit : Vous êtes dans une société dévoyée par suite d'une mauvaise direction. Le bien qu'on fait sans intérêt, émanant d'une source naturelle, mais un peu extraordinaire, semble coupable, ridicule, indiscret tout au moins. Il ne faut pas s'exposer à la moquerie, parfois au mépris pour une bonne action. Suivant un vieux proverbe : Faute avouée est à moitié pardonnée, » on peut dire qu'une bonne action cachée est à moitié pardonnée. Il faut donc faire aux autres le bien sans qu'ils s'en doutent. C'est la véritable charité qui donne sans espérer qu'on lui rende. »

Tout cela ne s'accomplit pas sans luttes. Parfois il se révolte contre cette obsession tyrannique. Je l'ai vu résister, se débattre avec colère, puis, dompté par une volonté supérieure à la sienne, se mettre à l'ouvrage.

Il avait annoncé un grand et long travail sur la liberté. Il se déclarait incapable de le faire, et protestait qu'il ne le ferait pas. Un matin il écrivit :

« Non, je veux lutter encore aujourd'hui. Je sens que la forme n'est pas venue encore assez claire… Quand donc me laisserez-vous en repos ?… Je suis brisé !… Ah ! vous appelez cela une liberté de pensée que vous infusez en moi ! Mais c'est la servitude de vos pensées, qu'il faudrait dire ! Vous prétendez que j'en ai le germe, et que c'est me rendre un immense service que de la développer en y ajoutant ce que vous pouvez y mettre !

Je commencerai par cette question déjà traitée : Qu'est-ce que la vie ? »

Une sorte d'annonce de programme à remplir se continuait ainsi pendant dix pages de son écriture, et avait été écrite en quarante minutes.

Toutes ces choses, qui m'ont paru bien étranges, le seront peut-être moins pour vous, Monsieur. En somme, j'ai foi dans son pouvoir mystérieux, parce qu'il m'a guéri de plus d'une affection qui eût peut-être embarrassé la Faculté. Jamais personne n'est malade auprès de lui sans qu'il écrive sa petite ordonnance. Il le fait souvent malgré lui, sentent bien que l'on ne tiendra pas compte de ses prescriptions. Il terminait un jour par ces lignes une consultation au sujet d'une personne malade de la poitrine que l'on soignait mal, à son avis, et qu'il croyait pouvoir sauver encore :

« Voilà les choses que je puis dire. Qu'on en fasse ce qu'on jugera convenable ; ce sont mes observations, voilà tout. Je n'aurai pas à me reprocher de les avoir laissées dormir en moi. Il ne faut rien faire sans l'avis du médecin. Avec des natures comme ils sont tous, ceci ne peut servir que comme indication. Que l'on ne m'en parle jamais ; que l'on ne me remercie pas. Je ne suis pas un homme, mais une âme qui s'éveille au cri de la souffrance, et qui ne se souvient plus après que le soulagement est arrivé. »

Quand il n'avait pas de malades sous la main, il écrivait des remèdes généraux pour les affections que la science officielle ne sait pas encore guérir. Que valent ces prescriptions ? Je l'ignore. Toutefois, ce que j'ai vu, ce que j'ai pu expérimenter, me porte à croire qu'elles pourraient peut-être mettre sur la voie de procédés curatifs nouveaux.

Si un individu qui n'a jamais ouvert un livre de médecine écrit, sans en avoir conscience, des remèdes qui peuvent guérir, dans bien des cas, la plupart des maux déclarés aujourd'hui incurables, il me semble incontestable que ces choses lui sont révélées par une puissance inconnue et mystérieuse. En présence d'un pareil fait, la question me paraît tranchée. On doit accepter, comme démontré, qu'il existe des sensitifs auxquels il est accordé de servir d'intermédiaires aux amis disparus qui, n'ayant plus d'organes au service de leur volonté, viennent emprunter la voix ou la main de ces êtres privilégiés, lorsqu'ils veulent guérir notre corps, ou raffermir notre âme en l'éclairant sur les choses qu'il leur est permis de nous faire connaître.

On peut risquer une expérience in anima vili, sur les vers à soie par exemple, qui ne sont plus guère bons qu'à être jetés eux-mêmes aux vers de la tombe, tant ils sont malades. La question est grave, car c'est par centaines de millions de francs qu'il faut compter la perte que nous fait subir chaque année la maladie qui les moissonne. Le résultat à obtenir vaut la peine que l'on tente cette première expérience qui, dans tous les cas, si elle échoue, ne saurait aggraver la situation.

Il peut y avoir ici un mystère, mais j'affirme qu'il n'y a pas de mystification. Si je suis mystifié, il me restera toujours les cent et quelques romans et nouvelles de ce romancier sans le savoir, dont la publication va occuper agréablement les loisirs des dernières années de mon existence, et dont je laisserai la plus grosse part d'autres après moi.

Cet hiver je donnerai un nouveau roman de mon jeune extatique breton. Dans la préface, je transcrirai textuellement tout ce qu'il a écrit sur la guérison des vers à soie ; et j'ajouterai même, si l'on veut, ses prescriptions pour prévenir et guérir le choléra et les maladies de poitrine.

Il importe peu que l'on rie de moi pendant quelques jours ; mais il importe beaucoup que ces secrets dont le hasard m'a fait dépositaire, ne meurent pas avec moi, s'ils contiennent quelque chose de sérieux, et que l'on sache s'il existe des rapports possibles entre les intelligences supérieures de l'autre côté de la vie et les intelligences dociles de celui-ci ; et je crois qu'il serait fort important pour nous de nouer des relations de plus en plus suivies avec ces morts de bonne volonté qui paraissent disposés à nous rendre de pareils services.

Agréez, etc.

E. Bonnemère.



Le tableau des impressions de ce jeune homme, tracé par lui-même, est d'autant plus remarquable qu'ayant été écrit en l'absence de toute connaissance spirite, il ne peut être le reflet d'idées puisées dans une étude quelconque qui aurait exalté son imagination. C'est l'impression spontanée de ses sensations, d'où ressortent avec la dernière évidence tous les caractères d'une médiumnité inconsciente ; l'intervention d'intelligences occultes y est exprimée sans ambiguïté ; la résistance qu'il oppose, la contrariété même qu'il en ressent, prouvent surabondamment qu'il agit sous l'empire d'une volonté qui n'est pas la sienne. Ce jeune homme est donc un médium dans toute l'acception du mot, et de plus doué de facultés multiples, car il est à la fois médium écrivain, parlant, voyant, auditif, mécanique, intuitif, inspiré, impressible, somnambule, médical, littéraire, philosophe, moraliste, etc. Mais dans les phénomènes retracés, il n'y a aucun des caractères de l'extase ; c'est donc improprement que M. Bonnemère le qualifie d'extatique, car c'est précisément une des facultés qui lui manquent. L'extase est un état particulier bien défini, qui ne s'est pas présenté dans le cas dont il s'agit. Il ne paraît pas non plus doué de la médiumnité à effets physiques, ni de la médiumnité guérissante.

Il y a des médiums naturels, comme il y a des somnambules naturels, qui agissent spontanément et inconsciemment ; chez d'autres, les phénomènes médianimiques sont provoqués par la volonté, la faculté est développée par l'exercice, comme chez certains individus le somnambulisme est provoqué et développé par l'action magnétique.

Il y a donc les médiums inconscients et les médiums conscients. La première catégorie, à laquelle appartient le jeune breton, est la plus nombreuse ; elle est presque générale, et l'on peut dire, sans exagération, que sur 100 individus il y en a 90 qui sont doués de cette aptitude à des degrés plus ou moins ostensibles ; si chacun s'étudiait, on trouverait dans ce genre de médiumnité, qui revêt les apparences les plus multiples, la raison d'une foule d'effets qui ne s'expliquent par aucune des lois connues de la matière.

Ces effets, qu'ils soient matériels ou non, apparents ou occultes, pour avoir cette origine, n'en sont pas moins naturels ; le Spiritisme n'admet rien de surnaturel ni de merveilleux ; selon lui tout rentre dans l'ordre des lois de la nature. Lorsque la cause d'un effet est inconnue, il faut la chercher dans l'accomplissement de ces lois, et non dans leur perturbation provoquée par l'acte d'une volonté quelconque, ce qui serait le véritable miracle ; un homme investi du don de miracles aurait le pouvoir de suspendre le cours des lois que Dieu a établies, ce qui n'est pas admissible. Mais l'élément spirituel étant une des forces actives de la nature, donne lieu à des phénomènes spéciaux qui ne paraissent surnaturels que parce qu'on s'obstine à en chercher la cause dans les seules lois de la matière. Voilà pourquoi les Spirites ne font pas de miracles, et n'ont jamais eu la prétention d'en faire. La qualification de thaumaturges, que leur donne la critique par ironie, prouve qu'elle parle d'une chose dont elle ne sait pas le premier mot, puisqu'elle appelle faiseurs de miracles ceux mêmes qui viennent les détruire.

Un autre fait ressort des explications données dans la lettre ci-dessus, c'est que le Roman de l'avenir est bien une œuvre médianimique du jeune breton, et l'on ne peut que savoir gré à M. Bonnemère d'en avoir décliné la paternité. Des pensées aussi élevées et aussi profondes n'avaient rien qui pût nous étonner de sa part, c'est pourquoi nous n'avions pas hésité à les lui attribuer, et nous n'en avions que plus d'estime pour son caractère, et pour son talent d'écrivain qui nous était connu ; mais elles empruntent un intérêt particulier de la source d'où elles émanent ; quelque étrange que cette source paraisse au premier abord, elle n'a rien de surprenant pour quiconque connaît le Spiritisme. Des faits de ce genre se voient fréquemment, et il n'est pas un Spirite un peu éclairé qui ne s'en rende parfaitement compte, sans recourir aux miracles.

Attribuant donc l'ouvrage à M. Bonnemère, et y trouvant des faits et des pensées qui semblent empruntés à la doctrine elle-même, il nous paraissait difficile que l'auteur y fût étranger. Dès lors qu'il affirme le contraire, nous le croyons sans peine, et nous trouvons dans son ignorance même la confirmation de ce fait maintes fois répété dans nos écrits, que les idées spirites sont tellement dans la nature qu'elles germent en dehors de l'enseignement du Spiritisme, et qu'une foule de gens sont ou deviennent Spirites sans le savoir et par intuition ; il ne manque à leurs idées que le nom. Le Spiritisme est comme ces plantes dont les semences sont portées par les vents et qui poussent sans culture ; il naît spontanément dans la pensée, sans étude préalable. Que peuvent donc contre lui ceux qui rêvent son anéantissement en frappant la souche mère ?

Ainsi, voici un médium complet, remarquable, et un observateur qui ne se doutent ni l'un ni l'autre de ce que c'est que le Spiritisme, et l'observateur, par une déduction logique de ce qu'il voit, arrive de lui-même à toutes les conséquences du Spiritisme. Ce qu'il constate d'abord, c'est que les faits qu'il a sous les yeux lui présentent, dans le même individu, une double vie dont l'une n'a aucun rapport avec l'autre. Evidemment ces deux vies, où se manifestent des pensées divergentes, sont soumises à des conditions différentes ; elles ne peuvent toutes les deux procéder de la matière ; c'est la constatation de la vie spirituelle ; c'est l'âme que l'on voit agir en dehors de l'organisme. Ce phénomène est très vulgaire ; il se produit journellement pendant le sommeil du corps, dans les rêves, dans le somnambulisme naturel ou provoqué, dans la catalepsie, dans la léthargie, dans la double vue, dans l'extase. Le principe intelligent isolé de l'organisme est un fait capital, car c'est la preuve de son individualité. L'existence, l'indépendance et l'individualité de l'âme peuvent ainsi être le résultat de l'observation. Si, pendant la vie du corps, l'âme peut agir sans le concours des organes matériels, c'est qu'elle a une existence propre ; l'extinction de la vie corporelle n'entraîne donc pas forcément celle de la vie spirituelle. On voit par là où, de conséquence en conséquence, on arrive par une déduction logique.

M. Bonnemère n'est point arrivé à ce résultat par une théorie préconçue, mais par l'observation ; le Spiritisme n'a pas procédé autrement ; l'étude des faits a précédé la doctrine, et les principes n'ont été formulés, comme dans toutes les sciences d’observation, qu'au fur et à mesure qu'ils ont été déduits de l'expérience. M. Bonnemère a fait ce que peut faire tout observateur sérieux, car les phénomènes spontanés qui ressortent du même principe sont nombreux et vulgaires ; seulement, M. Bonnemère n'ayant vu qu'un point, n'a pu arriver qu'à une conclusion partielle, tandis que le Spiritisme, ayant embrassé l'ensemble de ces phénomènes si complexes et si variés, a pu les analyser, les comparer, les contrôler les uns par les autres, et y trouver la solution d'un plus grand nombre de problèmes.

Puisque le Spiritisme est un résultat d'observations, quiconque a des yeux pour voir, du jugement pour raisonner, de la patience et de la persévérance pour aller jusqu'au bout, pourrait arriver à constituer le Spiritisme, de même qu'on pourrait reconstituer toutes les sciences ; mais le travail étant tout fait, c'est du temps gagné et de la peine épargnée. S'il fallait sans cesse recommencer, il n'y aurait pas de progrès possible.

Comme les phénomènes spirites sont dans la nature, ils se sont produits à toutes les époques ; et précisément parce qu'ils touchent d'une manière plus directe à la spiritualité, ils se trouvent mêlés à toutes les théogonies. Le Spiritisme, venu à une époque moins accessible aux préjugés, éclairé par le progrès des sciences naturelles qui manquaient aux premiers hommes, et par une raison plus développée, a pu mieux observer qu'on ne le faisait jadis ; il vient aujourd'hui dégager ce qui est vrai de l'alliage introduit par les croyances superstitieuses, filles de l'ignorance.

M. Bonnemère se félicite du hasard qui lui a mis entre les mains les documents fournis par le jeune breton. Le Spiritisme n'admet pas plus le hasard que le surnaturel dans les événements de la vie. Le hasard, qui par sa nature est aveugle, se montrerait parfois singulièrement intelligent. Nous pensons donc que c'est intentionnellement que ces documents sont venus en sa possession après qu'il a été mis à même d'en constater l'origine. Entre les mains du jeune homme, ils eussent été perdus, et c'est sans doute ce qui ne devait pas être. Il fallait donc que quelqu'un se chargeât de les tirer de l'obscurité, et c'est, paraît-il, à M. Bonnemère qu'est dévolue cette mission.

Quant à la valeur de ces documents, à en juger par l'échantillon des pensées contenues dans le Roman de l'avenir, il doit assurément y avoir d'excellentes choses ; toutes sont-elles bonnes ? c'est une autre question. Sous ce rapport leur origine n'est pas une garantie d'infaillibilité, attendu que les Esprits, n'étant que les âmes des hommes, n'ont pas la souveraine science. Leur avancement étant relatif, il y en a de plus éclairés les uns que les autres ; s'il y en a qui savent plus que les hommes, il y a aussi des hommes qui savent plus que certains Esprits. Jusqu'à ce jour on a considéré les Esprits comme des êtres en dehors de l'humanité, et doués de facultés exceptionnelles ; c'est là une erreur capitale qui a engendré tant de superstitions et que le Spiritisme est venu rectifier. Les Esprits font partie de l'humanité, et jusqu'à ce qu'ils aient atteint le point culminant de la perfection vers lequel ils gravitent, ils sont sujets à se tromper. C'est pourquoi on ne doit jamais faire abnégation de son libre arbitre et de son jugement, même à l'égard de ce qui vient du monde des Esprits ; il ne faut jamais rien accepter les yeux fermés, et sans le contrôle sévère de la logique. Sans rien préjuger sur les documents en question, il se pourrait donc qu'il y eût du bon et du mauvais, du vrai et du faux, et que, par suite, il y eût à faire un choix judicieux pour lequel les principes de la doctrine peuvent fournir d'utiles indications.

Au nombre de ces principes, il en est un qu'il importe de ne pas perdre de vue, c'est le but providentiel de la manifestation des Esprits ; ils viennent pour attester leur existence et prouver à l'homme que tout ne finit pas pour lui avec la vie corporelle ; ils viennent l'instruire sur sa condition future, l'exciter à acquérir ce qui est utile à son avenir et ce qu'il peut emporter, c'est-à-dire les qualités morales, mais non pour lui donner les moyens de s'enrichir. Le soin de sa fortune et de l'amélioration de son bien-être matériel doit être le fait de sa propre intelligence, de son activité, de son travail et de ses recherches. S'il en était autrement, le paresseux et l'ignorant pourraient s'enrichir sans peine, puisqu'il suffirait de s'adresser aux Esprits pour obtenir une invention lucrative, faire découvrir des trésors, gagner à la bourse ou à la loterie ; aussi toutes les espérances de fortune fondées sur le concours des Esprits ont-elles déplorablement échoué.

C'est ce qui nous inspire quelques doutes sur l'efficacité du procédé pour les vers à soie, procédé qui aurait pour effet de faire gagner des millions, et d'accréditer l'idée que les Esprits peuvent donner les moyens de s'enrichir, idée qui pervertirait l'essence même du Spiritisme. Il serait donc imprudent de se créer des chimères à ce sujet, car il pourrait en être ici comme de certaines recettes qui devaient faire couler le Pactole en certaines mains, et qui n'ont abouti qu'à de ridicules mystifications. Ce n'est cependant pas une raison pour taire le procédé, et pour le négliger ; si le succès doit avoir un résultat plus important et plus sérieux que la fortune, il se peut qu'une pareille révélation soit permise. Mais dans l'incertitude, il est bon de ne pas se bercer d'espérances qui pourraient être déçues. Nous approuvons donc le projet de M. Bonnemère de publier les recettes qui ont été données à son jeune breton, parce que, dans le nombre, il peut s'en trouver d'utiles, surtout pour les maladies.

Le curé Gassner, médium guérisseur

Dans le journal l'Exposition populaire illustrée, 24e numéro, nous trouvons dans un article intitulé : Correspondance sur les thaumaturges, une intéressante notice sur le curé Gassner, presque aussi connu dans son temps que le prince Hohenlohe pour son pouvoir guérisseur.

« Gassner (Jean-Joseph) naquit le 20 août 1727, à Bratz près de Bludens (Souabe) ; il fit ses premières études à Inspruck et à Prague, reçut les ordres ecclésiastiques et fut pourvu, en 1758, de la cure de Kloesterle, dans le pays des Grisons.

Après quinze ans d'une vie retirée, il se révéla au monde comme doué d'une puissance exceptionnelle, celle de guérir toutes les maladies par la simple apposition des mains, et cela sans employer aucun remède, et sans exiger aucune rétribution. Les malades affluèrent bientôt de toutes parts, et en si grand nombre que, pour se mettre plus à la portée de les secourir, Gassner sollicita et obtint la permission de s'absenter de sa cure, et se rendit successivement à Wolfegg, à Weingarten, à Ravensperg, à Detland, à Kirchberg, à Morspurg et à Constance. Les malheureux lui faisaient cortège ; le corps médical se dressa contre lui. Les uns proclamaient des cures merveilleuses, d'autres les contestaient.

L'évêque de Constance le contraignit à une enquête faite par le directeur du séminaire. Gassner déclara n'avoir jamais eu la pensée de faire des miracles et s'être borné à appliquer le pouvoir que l'ordination confère à tous les prêtres d'exorciser, au nom de Jésus-Christ, les démons qui sont une des causes les plus fréquentes de nos maladies. Il déclara diviser toutes les maladies en maladies naturelles ou lésions, en maladies d'obsessions et en maladies compliquées d'obsessions. Il était, disait-il, sans pouvoir sur les premières et échouait sur celles de la troisième catégorie, lorsque la maladie naturelle était supérieure à la maladie d'obsession.

L'évêque ne fut point convaincu et ordonna à Gassner de rentrer dans sa cure, mais bientôt après il l'autorisa à continuer ses exorcismes ; le curé se hâta de profiter de l'autorisation et surprit les habitants d'Elwangen, de Sulzbach et de Ratisbonne, par la foule immense de malades que sa renommée attirait de la Suisse, de l'Allemagne et de la France. Le duc de Wurtemberg se déclara ouvertement son admirateur et son protecteur ; ses succès lui attirèrent de puissants adversaires. Le célèbre Haen et le théatin Sterzingen l'attaquèrent avec persévérance et passion ; plusieurs évêques prêtèrent leur appui au fougueux théatin et lui interdirent d'exorciser dans leurs diocèses. Enfin Joseph II rendit un rescrit qui ordonnait à Gassner de quitter Ratisbonne ; mais fort de la protection du prince-évêque de cette ville, qui lui avait conféré le titre de conseiller ecclésiastique, avec la charge de chapelain de cour, il persévéra ; cette résistance se prolongea jusqu'en 1777, époque à laquelle Gassner fut pourvu de la cure de Bondorf où il se retira et mourut le 4 avril 1779, à l'âge de 52 ans.

Remarque. – Le Spiritisme proteste contre la qualification de thaumaturge donnée aux guérisseurs, par la raison qu'il n'admet pas que rien se fasse en dehors des lois naturelles. Les phénomènes qui appartiennent à l'ordre des faits spirituels ne sont pas plus miraculeux que les faits matériels, attendu que l'élément spirituel est une des forces de la nature, tout aussi bien que l'élément matériel. Le curé Gassner ne faisait donc pas plus de miracles que le prince de Hohenlohe et que le zouave Jacob, et l'on peut voir de singuliers rapprochements entre ce qui se passait alors à son sujet, et ce qui se passe aujourd'hui.

Les pressentiments et les pronostics.

Nous empruntons au même article du journal précité les faits ci-après qui accompagnent la notice sur le curé Gassner, parce que le Spiritisme peut en tirer un utile sujet d'instruction. L'auteur de l'article les fait suivre de réflexions dignes de remarque en ce temps de scepticisme à l'endroit des causes extra matérielles.

« Gassner avait joui d'une grande faveur auprès de l'impératrice Marie-Thérèse, qui le consultait souvent, ajoutant quelque foi à ses inspirations. On raconte (voir les mémoires de Mme Campan) qu'à l'époque où l'idée avait été conçue d'unir la fille de Marie-Thérèse au petit-fils de Louis XV, la grande impératrice fit venir Gassner et lui demanda : « Mon Antoinette doit-elle être heureuse ? »

Gassner, après avoir longuement réfléchi, pâlit étrangement et persista à garder le silence.

Pressé de nouveau par l'impératrice et cherchant alors à donner une expression générale à l'idée dont il semblait fortement occupé : Madame, répondit-il, il est des croix pour toutes les épaules.

Le mariage eut lieu le 16 mai 1770 ; le dauphin et Marie-Antoinette reçurent la bénédiction nuptiale à la chapelle de Versailles (Marie-Antoinette était arrivée à Compiègne le 14) ; à trois heures de l'après-midi le ciel se couvrit de nuages, des torrents de pluie inondèrent Versailles ; de violents coups de tonnerre retentirent, et la foule des curieux qui remplissaient le jardin fut obligée de se retirer.

L'arrivée de Marie-Antoinette dans le palais des rois de France (lisons-nous dans la Vie publique et privée de Louis XVI, par M. A*** et de Salex ; Paris, 1814, p. 340), fut signalée par un de ces pronostics dont on ne se rappelle d'ordinaire que lorsqu'on les voit se réaliser dans la suite des temps.

Au moment où cette princesse, entrant pour la première fois dans les cours du château de Versailles, mit le pied dans la cour de marbre, un violent coup de tonnerre ébranla le château : Présage de malheur ! s'écria le maréchal de Richelieu.

La soirée fut triste dans la ville, et les illuminations ne purent produire aucun effet.

Ajoutez-y le terrible accident arrivé le 30 mai dans la rue Royale, le jour de la fête que donna sur la place louis XV la ville de Paris pour le mariage du Dauphin et de la Dauphine. Anquetil porte à 300 le nombre des morts sur place, et à 1,200 le nombre de ceux qui succombèrent dans les hospices ou à domicile peu de jours après, ou bien qui restèrent estropiés.

En 1757 (voir les Affiches de Tours, 25e année, n° 14. – Jeudy 5 avril 1792), madame de Pompadour fit venir devant Louis XV un astrologue qui, après avoir calculé son thème de naissance, lui dit : « Sire, votre règne est célèbre par de grands événements, celui qui le suivra, le sera par de grands désastres. »

Le jour de la mort de Louis XV il y eut à Versailles un orage affreux.

Quelle accumulation de pronostics !

Pendant huit ans la couche de la reine fut stérile. – Le 19 décembre 1778 naquit une fille, Marie-Thérèse-Charlotte (plus tard appelée du titre de son époux, madame la Dauphine, duchesse d'Angoulême). Encore trois ans et le 22 octobre 1781 Marie-Antoinette donna un héritier à la couronne. La ville de Paris vota à cette occasion à la reine une fête où fut déployée la plus somptueuse munificence.

Cette fête eut lieu le 21 janvier 1782. Onze ans plus tard la commune de Paris donnait au peuple le spectacle de la mort du roi. La reine était prisonnière en attendant que la vision de Gassner s'accomplît.

Puisque nous avons touché à ces questions brûlantes, écoutez encore les révélations de Mme Campan. – On était en mai 1789 ; les journées des 4 et 5 avaient diversement impressionné les esprits ; quatre bougies éclairaient le cabinet de la reine, qui racontait quelques accidents remarquables qui avaient eu lieu dans le cours de la journée. – « Une bougie s'éteignit d'elle-même ; je la rallumai, dit Mme Campan ; bientôt la deuxième, puis la troisième, s'éteignirent aussi ; alors la reine, lui serrant la main avec un mouvement d'effroi, lui dit : « Le malheur peut rendre superstitieuse ; si cette quatrième bougie s'éteint comme les autres, rien ne pourra m'empêcher de regarder ce signe comme un sinistre présage… » La quatrième bougie s'éteignit ! ! !

Peu de nuits avant, la reine avait, disait-elle, fait un songe affreux dont elle était restée profondément affectée.

Sans doute les esprits forts rient de tous ces pronostics, de toutes ces prophéties, de ce don de vue antérieure. Ils n'y croient pas ou feignent de ne pas y croire ! Mais, pourquoi donc, à toutes les époques, y a-t-il eu des personnages de quelque valeur, de quelque importance qui, sans aucun intérêt quelconque, ont affirmé des faits de ce genre qu'ils ont déclarés absolus, positifs.

Citons quelques exemples :

Théodore-Agrippa d'Aubigné, aïeul de Mme de Maintenon, rapporte dans ses Mémoires avoir eu à son service, en Poitou, un sourd-muet de naissance douÉ du don de la divination. « Un jour, dit-il, les filles du logis lui ayant demandé combien le roi (Henri IV) vivrait encore d'années, le temps et les circonstances de sa mort, il leur marqua trois ans et demi, et désigna la ville, la rue et le carrosse avec les deux coups de couteau qu'il recevrait dans le cœur. »

Quelques mots encore sur ce même Henri IV.

Quel jugement porterons-nous sur les noirs pressentiments qu'il n'est que trop constant que ce malheureux prince eut de sa cruelle destinée ? – dit Sully dans ses Mémoires, liv. XXVII. – Ils sont d'une singularité qui a quelque chose d'effrayant ; j'ai déjà rapporté avec quelle répugnance il s'était laissé aller à permettre que la cérémonie du couronnement de la reine se fît avant son départ ; plus il en voyait approcher le moment, plus il sentait la frayeur et l'horreur redoubler en son cœur ; il venait l'ouvrir tout entier à moi, dans cet état d'amertume et d'accablement, dont je le reprenais comme d'une faiblesse impardonnable. Ces propres paroles feront une tout autre impression que tout ce que je pourrais dire : – « Ah ! mon ami, me disait-il, que ce sacre me déplait ; je ne sais ce que c'est, mais le cœur me dit qu'il m'arrivera quelque malheur. » Il s'asseyait, en me disant ces paroles, sur une chaise basse, que j'avais fait faire exprès pour lui, et, livré à toutes les noirceurs de ses idées, il frappait des doigts sur l'étui de ses lunettes en rêvant profondément.

S'il sortait de cette rêverie, c'était pour se lever brusquement en frappant des mains sur ses cuisses et pour s'écrier : « Pardieu, je mourrai dans cette ville, je n'en sortirai jamais ; ils me tueront ; je vois bien qu'ils mettent leur dernière ressource dans ma mort ! Ah ! maudit sacre, tu seras cause de ma mort !

– Mon Dieu, sire, lui dis-je un jour, à quelle idée vous livrez-vous là ? Si elle continue, je suis d'avis que vous rompiez ce sacre, et couronnement, voyage, et guerre ; le voulez-vous ? Ce sera bientôt fait.

– Oui, me dit-il enfin, après que je lui eus tenu ce discours deux ou trois fois ; oui, rompez ce sacre, et que je n'en entende plus parler ; j'aurai par ce moyen l'esprit guéri des impressions que quelques avis y ont faites ; je sortirai de cette ville et ne craindrai plus rien. »

A quel trait reconnaîtrait-on ce cri secret et impérieux du cœur si on le méconnaît à ceux-ci : « Je ne veux point vous céler, me disait-il encore, qu'on m'a dit que je devais être tué à la première magnificence que je ferais et que je mourrais dans un carrosse, et c'est ce qui fait que j'y suis si peureux.

– Vous ne m'aviez, ce me semble, jamais dit cela, sire, lui répondis-je ; je me suis plusieurs fois étonné, en vous entendant crier dans un carrosse, de vous voir si sensible à un petit danger, après vous avoir vu tant de fois intrépide au milieu des coups de canon et de mousquet, et parmi les piques et les épées nues ; mais puisque cette opinion vous trouble jusqu'à ce point, en votre place, sire, je partirais dès demain : je laisserais faire le sacre sans vous, ou je le remettrais à une autre fois, et de longtemps je ne rentrerais dans Paris, ni dans aucun carrosse ; voulez-vous que j'envoie tout à cette heure à Notre-Dame et à Saint-Denis, faire tout cesser et renvoyer les ouvriers ?

– Je le veux bien, me dit encore ce prince, mais que dira ma femme ? car elle a merveilleusement ce sacre en tête.

– Elle dira ce qu'elle voudra, repris-je, voyant combien ma proposition avait fait plaisir au roi. Mais je ne saurais croire que quand elle saura la persuasion où vous êtes qu'il doit être la cause de tant de mal, elle s'y opiniâtre davantage. »

Je n'attendis point d'autre ordre pour aller donner celui d'interrompre les préparatifs du couronnement ; ce n'est qu'avec un véritable regret que je me vois obligé de dire que, quelques efforts que je fisse, je ne pus jamais engager la reine à donner cette satisfaction à son époux.

Je passe sous silence les sollicitations, les prières, et les contestations que j'employai pendant trois jours entiers pour tâcher de la fléchir ; ce fut à ce prince à céder. Mais Henri n'en revint pas moins fortement à ses premières appréhensions, qu'il m'exprimait ordinairement par ces paroles-ci qu'il avait souvent à la bouche : « – Ah ! mon ami, je ne sortirai jamais de cette ville ; ils me tueront ici ! O maudit sacre, tu seras la cause de ma mort ! »

Ce sacre se fit à Saint-Denis le jeudi 13 mai, et la reine devait, le dimanche 16 du même mois, faire son entrée à Paris.

Le 14, le roi voulut faire visite à Sully, visite qu'il lui avait annoncée pour le samedi matin 15 ; il prit son carrosse et sortit, modifiant plusieurs fois son itinéraire en route, etc., etc.

Péréfixe, son historien, fait observer que « le ciel et la terre n'avaient donné que trop de pronostics de ce qui lui arriva.

L'évêque de Rodez met au nombre de ces pronostics une éclipse de soleil, l'apparition d'une terrible comète, des tremblements de terre, des monstres nés en diverses contrées de la France, des pluies de sang qui tombèrent en quelques endroits, une grande peste qui avait affligé Paris en 1606, des apparitions de fantômes et plusieurs autres prodiges (voir l'Histoire de Henri le Grand par Hardouin de Péréfixe, évêque de Rhodez, Vie du Duc d'Epernon, Mercure français, Mathieu, l'Estoile, etc.)

Arrêtons-nous ! nous écririons un volume, des volumes, tant les faits abondent. Mais est-il donc si nécessaire d'avoir recours aux récits des autres ? Que chacun se questionne lui-même ; que chacun en appelle à ses propres souvenirs et se réponde avec loyauté et franchise, et chacun dira : Il y a en moi un inconnu qui est nous, qui tout à la fois commande à mon moi matière et lui obéit. – Cet inconnu, esprit, âme, qui est-il ? comment est-il ? pourquoi est-il ? Mystère ; série de mystères ; inexplicable mystère. Comme tout dans la nature, dans l'organisme, dans la vie, la vie et la mort ne sont-elles pas deux impénétrables mystères ? Le sommeil, cet essai de la mort, n'est-il pas un inexplicable mystère ? L'assimilation des aliments, qui deviennent nous : inexplicable, incompréhensible mystère ! La génération : mystérieuse obscurité ! Cette obéissance passive de mes doigts qui tracent ces lignes et obéissent à ma volonté : ténèbres dont Dieu seul sonde les profondeurs et qui s'illuminent, pour lui seul, de la lumière de vérité !

Baissez la tête, enfants de l'ignorance et du doute ; humiliez cette orgueilleuse que vous nommez la raison ; libres penseurs, subissez les chaînes qui étreignent votre intelligence ; fléchissez le genou : Dieu seul sait ! »

Dans ces faits, il y a deux choses bien distinctes à considérer : les pressentiments et les phénomènes regardés comme des pronostics d'événements futurs.

On ne saurait nier les pressentiments dont il est peu de personnes qui n'aient eu des exemples. C'est un de ces phénomènes dont la matière seule est impuissante à donner l'explication, car si la matière ne pense pas, elle ne peut non plus pressentir. C'est ainsi que le matérialisme se heurte à chaque pas contre les choses les plus vulgaires qui viennent le démentir.

Pour être averti d'une manière occulte de ce qui se passe au loin et dont nous ne pouvons avoir connaissance que dans un avenir plus ou moins prochain par les moyens ordinaires, il faut que quelque chose se dégage de nous, voie et entende ce que nous ne pouvons percevoir par les yeux et les oreilles, pour en rapporter l'intuition à notre cerveau. Ce quelque chose doit être intelligent puisqu'il comprend, et que souvent d'un fait actuel il prévoit les conséquences futures ; c'est ainsi que nous avons parfois le pressentiment de l'avenir. Ce quelque chose n'est autre que nous-même, notre être spirituel, qui n'est point confiné dans le corps comme un oiseau dans une cage, mais qui, pareil à un ballon captif, s'éloigne momentanément de la terre, sans cesser d'y être attaché.

C'est surtout dans les moments où le corps repose, pendant le sommeil, que l'Esprit, profitant du répit que lui laisse le soin de son enveloppe, recouvre en partie sa liberté et va puiser dans l'espace, parmi d'autres Esprits, incarnés comme lui ou désincarnés, et dans ce qu'il voit, des idées dont il rapporte l'intuition au réveil.

Cette émancipation de l'âme a souvent lieu à l'état de veille ; dans les moments d'absorption, de méditation et de rêverie, où l'âme semble n'être plus préoccupée de la terre ; elle a surtout lieu d'une manière plus effective et plus ostensible chez les personnes douées de ce qu'on appelle double vue ou vue spirituelle.

A côté des intuitions personnelles de l'Esprit, il faut placer celles qui lui sont suggérées par d'autres Esprits, soit pendant la veille, soit pendant le sommeil, par la transmission de pensées d'âme à âme. C'est ainsi que souvent on est averti d'un danger, sollicité de prendre telle ou telle direction, sans pour cela que l'Esprit cesse d'avoir son libre arbitre. Ce sont des conseils, et non des ordres, car il reste toujours maître d'agir à son gré.

Les pressentiments ont donc leur raison d'être, et trouvent leur explication naturelle dans la vie spirituelle, dont nous ne cessons pas un instant de vivre, parce que c'est la vie normale.

Il n'en est pas de même des phénomènes physiques considérés comme des pronostics d'événements heureux au malheureux. Ces phénomènes n'ont en général aucune liaison avec les choses qu'ils semblent présager. Ils peuvent être les précurseurs d'effets physiques qui en sont la conséquence, comme un point noir à l'horizon peut présager au marin la tempête, ou certains nuages annoncer la grêle, mais la signification de ces phénomènes pour les choses de l'ordre moral doit être rangée parmi les croyances superstitieuses qu'on ne saurait combattre avec trop d'énergie.

Cette croyance, qui ne repose absolument sur rien de rationnel, fait que, lorsqu'un événement arrive, on se rappelle quelque phénomène qui l'a précédé, et auquel l'esprit frappé le rattache, sans s'inquiéter de l'impossibilité de rapports qui n'existent que dans l'imagination. On ne songe pas que les mêmes phénomènes se répètent journellement sans qu'il en résulte rien de fâcheux, et que les mêmes événements arrivent à chaque instant sans être précédés d'aucun prétendu signe précurseur. S'il s'agit d'événements qui touchent à des intérêts généraux, des narrateurs crédules, ou plus souvent officieux, pour en exalter l'importance aux yeux de la postérité, amplifient sur les pronostics qu'ils s'efforcent de rendre plus sinistres et plus terribles en y ajoutant de prétendues perturbations de la nature, dont les tremblements de terre et les éclipses sont les accessoires obligés, ainsi que l'a fait l'évêque de Rodez à propos de la mort d'Henri IV. Ces récits fantastiques, qui souvent avaient leur source dans les intérêts des partis, ont été acceptés sans examen par la crédulité populaire qui a vu, ou à laquelle on voulait faire voir des miracles dans ces phénomènes étranges.

Quant aux événements vulgaires, l'homme en est le plus souvent lui-même la première cause ; ne voulant pas s'avouer ses propres faiblesses, il cherche une excuse en mettant sur le compte de la nature les vicissitudes qui sont presque toujours le résultat de son imprévoyance et de son impéritie. C'est dans ses passions, dans ses défauts personnels qu'il faut chercher les véritables pronostics de ses misères, et non dans la nature qui ne dévie pas de la route que Dieu lui a tracée de toute éternité.

Le Spiritisme, en expliquant par une loi naturelle la véritable cause des pressentiments, démontre, par cela même, ce qu'il y a d'absurde dans la croyance aux pronostics. Loin d'accréditer la superstition, il lui ôte son dernier refuge : le surnaturel.

Le zouave Jacob

Deuxième article, voir le numéro d'octobre


M. Jacob est-il un charlatan ? Son désintéressement matériel est un fait constant, et peut-être un de ceux qui ont le plus désorienté la critique. Comment accuser de charlatanisme un homme qui ne demande rien et qui ne veut rien, pas même de remerciements ?

Quel serait donc son mobile ? L'amour-propre, dit-on. Le désintéressement moral absolu étant le sublime de l'abnégation, il faudrait avoir la vertu des anges pour ne pas éprouver une certaine satisfaction quand on voit la foule se presser subitement autour de soi, alors que la veille on était inconnu. Or, comme M. Jacob n'a pas, les prétentions d'être un ange, en supposant, ce que nous ignorons, qu'il se soit un peu exalté son importance à ses propres yeux, on ne pourrait lui en faire un grand crime, et cela ne détruirait pas les faits s'il y en a. Nous aimons à croire que ceux qui lui imputent ce travers sont trop au-dessus des choses terrestres pour avoir, sous ce rapport, le moindre reproche à se faire.

Mais dans tous les cas, ce sentiment ne pouvait être que consécutif et non préconçu. Si M. Jacob eût prémédité le dessein de populariser en se donnant pour guérisseur émérite sans pouvoir prouver autre chose que son impuissance, au lieu d'applaudissements, il n'aurait recueilli dès le premier jour que des huées, ce qui n'aurait pas été très flatteur pour lui. Pour s'enorgueillir de quelque chose il faut une cause préexistante ; il fallait donc qu'il guérît avant d'en tirer vanité.

Il voulait, ajoute-t-on, faire parler de lui, soit ; si tel a été son but, il faut convenir que, grâce à la presse, il a été servi à souhait. Mais quel est le journal qui peut dire que M. Jacob ait été quêter la moindre réclame, le plus petit article, qu'il ait payé une seule ligne ! A-t-il été voir un seul journaliste ? Non, ce sont les journalistes qui sont allés à lui, et qui n'ont pas toujours pu le voir facilement. La presse a parlé spontanément de lui quand elle a vu la foule, et la foule n'est venue que quand il y a eu des faits. A-t-il été faire sa cour aux grands personnages ? S'est-il montré pour eux plus accessible, plus empressé, plus prévenant ? Tout le monde sait qu'il a poussé, sous ce rapport, le rigorisme jusqu'à l'excès. Son amour-propre, cependant, eût trouvé plus d'éléments de satisfaction dans le grand monde, que chez d'obscurs indigents.

Il faut donc logiquement écarter toute imputation d'intrigue et de charlatanisme.

Guérit-il toutes les maladies ? Non-seulement il ne les guérit pas toutes, mais de deux individus atteints du même mal, souvent il guérira l'un et ne fera rien sur l'autre. Il ne sait jamais d'avance s'il guérira un malade, voilà pourquoi il ne promet jamais rien ; or on sait que les charlatans ne sont pas avares de promesses. La guérison tient à des affinités fluidiques qui se manifestent instantanément, comme une secousse électrique, et qui ne peuvent être préjugées.

Est-il doué d'un pouvoir surnaturel ? Sommes-nous revenus au temps des miracles ? Interrogez-le lui-même, et il vous répondra qu'il n'y a dans ces guérisons rien de surnaturel ni de miraculeux ; qu'il est doué d'une puissance fluidique indépendante de sa volonté qui se manifeste avec plus ou moins d'énergie selon les circonstances et le milieu où il se trouve ; que le fluide qu'il émet guérit certaines maladies chez certaines personnes, sans qu'il sache ni pourquoi ni comment.

Quant à ceux qui prétendent que cette faculté est un présent du diable, on peut leur répondre que, puisqu'elle ne s'exerce que pour le bien, il faut admettre que le diable a des bons moments dont on fait bien de profiter. On peut aussi leur demander quelle différence il y a entre les guérisons du prince de Hohenlohe et celles du zouave Jacob, pour que les unes soient réputées saintes et miraculeuses, et les autres diaboliques ? Passons sur cette question qui ne peut être prise au sérieux dans ce temps-ci.

La question de charlatanisme préjugeait toutes les autres, c'est pourquoi nous y avons insisté ; cette question étant écartée, voyons quelles conclusions on peut tirer de l'observation.

M. Jacob a guéri instantanément des maladies réputées incurables, c'est un fait positif. La question du nombre des malades guéris est ici secondaire ; n'y en eût-il qu'un sur cent, le fait n'en subsisterait pas moins ; or ce fait a une cause.

La faculté guérissante portée à ce degré de puissance, se trouvant chez un soldat qui, tout honnête homme qu'il soit, n'a ni le caractère, ni les habitudes, ni le langage, ni les allures des saints ; exercée en dehors de toute forme ou appareil mystique, dans les conditions les plus vulgaires et les plus prosaïques ; se trouvant d'ailleurs à différents degrés chez une foule d'autres personnes, chez des hérétiques comme les Musulmans, les Indous, les Boudhistes, etc., exclue l'idée de miracles dans le sens liturgique du mot. C'est donc une faculté inhérente à l'individu ; et puisqu'elle n'est pas un fait isolé, c'est qu'elle dépend d'une loi comme tout effet naturel.

La guérison est obtenue sans l'emploi d'aucun médicament, donc elle est due à une influence occulte ; et attendu qu'il s'agit d'un résultat effectif, matériel, et que rien ne peut produire quelque chose, il faut que cette influence soit quelque chose de matériel ; ce ne peut donc être qu'un fluide matériel, quoique impalpable et invisible. M. Jacob ne touchant pas le malade, ne faisant même aucune passe magnétique, le fluide ne peut avoir pour moteur et propulseur que la volonté ; or, la volonté n'étant pas un attribut de la matière, ne peut émaner que de l'esprit ; c'est donc le fluide qui agit sans l'impulsion de l'esprit. La plupart des maladies guéries par ce moyen étant de celles contre lesquelles la science est impuissante, il y a donc des agents curatifs plus puissants que ceux de la médecine ordinaire ; ces phénomènes sont, par conséquent, la révélation de lois inconnues de la science ; en présence de faits patents il est plus prudent de douter que de nier. Telles sont les conclusions auxquelles arrive forcément tout observateur impartial.

Quelle est la nature de ce fluide ? Est-ce de l'électricité ou du magnétisme ? Il y a probablement l'un et l'autre, et peut-être quelque chose de plus ; c'en est, dans tous les cas, une modification, puisque les effets sont différents. L'action magnétique est évidente, quoique plus puissante que celle du magnétisme ordinaire, dont ces faits sont la confirmation, et en même temps la preuve qu'il n'a pas dit son dernier mot.

Il n'entre pas dans le cadre de cet article d'expliquer le mode d'action de cet agent curatif, déjà décrit dans la théorie de la médiumnité guérissante ; il suffit d'avoir démontré que l'examen des faits conduit à reconnaître l'existence d'un principe nouveau, et que ce principe, quelque étranges qu'en soient les effets, ne sort pas du domaine des lois naturelles.


Dans les faits concernant M. Jacob, il n'a pour ainsi dire pas été fait mention du Spiritisme, tandis que toute l'attention s'est concentrée sur le magnétisme ; cela avait sa raison d'être et son utilité. Bien que le concours d'Esprits désincarnés dans ces sortes de phénomènes soit un fait constaté, leur action n'est pas ici évidente, c'est pourquoi nous en faisons abstraction. Peu importe que les faits soient expliqués avec ou sans l'intervention d'Esprits étrangers ; le magnétisme et le Spiritisme se donnent la main ; ce sont deux parties d'un même tout, deux branches d'une même science qui se complètent et s'expliquent l'une par l'autre. Accréditer le magnétisme, c'est ouvrir la voie au Spiritisme, et réciproquement.

La critique n'a pas épargné M. Jacob ; à défaut de bonnes raisons, elle lui a, comme d'habitude, prodigué la raillerie et les injures grossières, ce dont il ne s'est pas ému le moins du monde ; il a méprisé les unes et les autres, et les gens sensés lui ont su gré de sa modération.

Quelques-uns ont été jusqu'à solliciter son incarcération comme imposteur abusant de la crédulité publique ; mais un imposteur est celui qui promet et ne tient pas ; or, comme M. Jacob n'a jamais rien promis, personne ne peut se plaindre d'avoir été abusé. Que pouvait-on lui reprocher ? En quoi était-il en contravention légale ? Il n'exerçait pas la médecine, pas même ostensiblement le magnétisme. Quelle est la loi qui défend de guérir les gens en les regardant ?

On lui a fait un grief de ce que la foule des malades qui venaient à lui gênait la circulation ; mais est-ce lui qui a appelé la foule ? L'a-t-il convoquée par des annonces ? Quel est le médecin qui se plaindrait s'il en avait une pareille à sa porte ? Et si l'un d'eux avait cette bonne fortune, même au prix d'annonces chèrement payées, que dirait-il si on voulait l'inquiéter pour ce fait ? On a dit qu'à quinze cents personnes par jour pendant un mois, cela faisait quarante-cinq mille malades qui s'étaient présentés, et qu'à ce compte, s'il les avait guéris, il ne devrait plus y avoir de boiteux ni d'estropiés dans les rues de Paris. Il serait superflu de relever cette singulière objection, mais nous dirons que plus on grossit le nombre des malades qui, guéris ou non, se pressaient dans l'impasse de la rue de la Roquette, plus on prouve combien est grand le nombre de ceux que la médecine ne peut guérir, car il est évident que si ces malades avaient été guéris par les médecins, ils ne seraient pas venus à M. Jacob.

Comme, malgré les dénégations, il y avait des faits patents de guérisons extraordinaires, on a voulu les expliquer en disant que M. Jacob agissait, par la brusquerie même de ses paroles, sur l'imagination des malades ; soit, mais alors si vous reconnaissez à l'influence de l'imagination une telle puissance sur les paralysies, les épilepsies, les membres ankylosés, que n'employez-vous ce moyen, au lieu de laisser souffrir tant de malheureux infirmes, ou de leur donner des drogues que vous savez inutiles ?

La preuve, a-t-on dit, que M. Jacob n'avait pas le pouvoir qu'il s'attribuait, c'est qu'il a refusé d'aller guérir dans un hôpital sous les yeux de gens compétents pour apprécier la réalité des cures.


Deux raisons ont dû motiver ce refus. D'abord, il ne pouvait se dissimuler que l'offre qui lui était faite n'était pas dictée par la sympathie, mais un défi qu'on lui proposait. Si, sur une salle de trente malades, il n'en avait mis sur pieds ou soulagé que trois ou quatre, on n'aurait pas manqué de dire que cela ne prouvait rien et qu'il avait échoué.

En second lieu, il faut tenir compte des circonstances qui peuvent favoriser ou paralyser son action fluidique. Lorsqu'il est entouré de malades qui viennent à lui volontairement, la confiance qu'ils apportent les prédispose. N'admettant aucun étranger attiré par la curiosité, il se trouve dans un milieu sympathique qui le prédispose lui-même ; il est tout à lui ; son esprit se concentre librement, et son action a toute sa puissance. Dans une salle d'hôpital, inconnu des malades habitués aux soins de leurs médecins dont ce serait suspecter l'habileté que d'avoir foi en autre chose qu'en leur médication, sous les regards inquisiteurs et moqueurs de gens prévenus, intéressés à le dénigrer ; qui, au lieu de le seconder par le concours d'intentions bienveillantes, craindraient plus qu'ils ne désireraient de le voir réussir, parce que le succès d'un zouave ignorant serait un démenti donné à leur savoir, il est évident que, sous l'empire de ces impressions et de ces effluves antipathiques, sa faculté se trouverait neutralisée. Le tort de ces messieurs, en cela comme lorsqu'il s'est agi du somnambulisme, a toujours été de croire que ces sortes de phénomènes se manœuvraient à volonté comme une pile électrique.

Les guérisons de ce genre sont spontanées, imprévues et ne peuvent être préméditées ni mises au concours. Ajoutons à cela que le pouvoir guérissant n'est point permanent ; tel qui le possède aujourd'hui, peut le voir cesser au moment où il s'y attend le moins ; ces intermittences prouvent qu'il dépend d'une cause indépendante de la volonté du guérisseur, et déjouent les calculs du charlatanisme.

Nota. M. Jacob n'a point encore repris le cours de ses guérisons ; nous en ignorons le motif, et il ne paraît pas qu'il y ait rien de fixé sur l'époque où il les recommencera si cela doit avoir lieu. En attendant, nous apprenons que la médiumnité guérissante se propage en différentes localités, avec des aptitudes diverses.


Notices Bibliographiques

La Raison du Spiritisme[1]
Par Michel Bonnamy

Juge d'instruction ; membre des congrès scientifiques de France ; ancien membre du conseil général de Tarn-et-Garonne.

Lorsque parut le roman de Mirette, les Esprits dirent ces paroles remarquables à la Société de Paris :

«L'année 1866 présente la philosophie nouvelle sous toutes ses formes; mais c'est encore la tige verte qui renferme l'épi de blé, et attend pour le montrer que la chaleur du printemps l'ait fait mûrir et s'entrouvrir. 1866 a préparé, 1867 mûrira et réalisera. L'année s'ouvre sous les auspices de Mirette, et elle ne s'écoulera pas sans voir apparaître de nouvelles publications du même genre, et de plus sérieuses encore, en ce sens que le roman se fera philosophie et que la philosophie se fera histoire.» (Revue de février 1867, page 64.)

Ils avaient déjà dit précédemment qu'il se préparait plusieurs ouvrages sérieux sur la philosophie du Spiritisme, où le nom de la doctrine ne serait pas timidement dissimulé, mais hautement avoué et proclamé, par des hommes dont le nom et la position sociale donneraient du poids à leur opinion ; et ils ajoutèrent que le premier paraîtrait probablement vers la fin de la présente année.

L'ouvrage que nous annonçons réalise complètement cette vision. C'est la première publication de ce genre où la question soit envisagée dans toutes ses parties et de toute sa hauteur; on peut donc dire qu'elle inaugure une des phases de l'existence du Spiritisme. Ce qui le caractérise, c'est que ce n'est point une adhésion banale aux principes de la doctrine, une simple profession de foi, mais une démonstration rigoureuse, où les adeptes eux-mêmes trouveront des aperçus nouveaux. En lisant cette argumentation serrée, poussée, si l'on peut dire jusqu'à la minutie, et par un enchaînement méthodique des idées, on se demandera, sans doute, par quelle étrange extension du mot on pourrait appliquer à l'auteur l'épithète de fou. Si c'est un fou qui discute ainsi, on pourra dire que les fous ferment parfois la bouche à des gens soi-disant sensés. C'est un plaidoyer en règle où l'on reconnaît l'avocat qui veut réduire la réplique à ses dernières limites ; mais on y reconnaît aussi celui qui a étudié sa cause sérieusement et l'a scrutée dans ses plus minutieux détails. L'auteur ne se borne pas à émettre son opinion: il la motive et donne la raison d'être de chaque chose; c'est pour cela qu'il a justement intitulé son livre: La Raison du Spiritisme.

En publiant cet ouvrage, sans couvrir sa personnalité du moindre voile, l'auteur prouve qu'il a le vrai courage de son opinion, et l'exemple qu'il donne est un titre à la reconnaissance de tous les Spirites. Le point de vue où il s'est placé est principalement celui des conséquences philosophiques, morales et religieuses, celles qui constituent le but essentiel du Spiritisme et en font une œuvre humanitaire.

Voici du reste comment il s'exprime dans sa préface.

«Il est dans les vicissitudes des choses humaines, ou plutôt il semble fatalement réservé à toute idée nouvelle, d'être mal accueillie à son apparition. Comme elle a pour mission le plus souvent de renverser des idées qui l'ont précédée, elle rencontre une très grande résistance de la part de l'entendement humain.»

«L'homme qui a vécu avec les préjugés n'accueille qu'avec défiance la nouvelle venue, qui tend à modifier, à détruire même des combinaisons et des idées arrêtées dans son esprit, à le forcer, en un mot, à se mettre de nouveau à l'œuvre, pour courir après la vérité. Il se sent d'ailleurs humilié dans son orgueil d'avoir vécu dans l'erreur.»

«La répulsion qu'inspire l'idée nouvelle est bien plus accentuée encore, lorsqu'elle apporte avec elle des obligations, des devoirs; lorsqu'elle impose une ligne de conduite plus sévère.»

«Elle rencontre enfin des attaques systématiques, ardentes, acharnées, lorsqu'elle menace des positions acquises, et surtout lorsqu'elle se trouve en face du fanatisme ou d'opinions profondément enracinées dans la tradition des siècles.»

«Les doctrines nouvelles ont donc toujours de nombreux détracteurs ; elles ont même souvent à subir la persécution, ce qui a fait dire à Fontenelle: «Que s'il tenait toutes les vérités dans sa main, il se garderait bien de l'ouvrir.»»

«Tels étaient la défaveur et les périls qui attendaient le Spiritisme à son apparition dans le monde des idées. Les insultes, la raillerie, la calomnie ne lui ont pas été épargnées; et, peut-être, viendra-t-il aussi le jour de la persécution. Les adeptes du Spiritisme ont été traités d'illuminés, d'hallucinés, de dupes, de fous, et à ce flux d'épithètes qui semblaient cependant se contredire et s'exclure, on a ajouté celles d'imposteurs, de charlatans, et enfin de suppôts de Satan.»

«La qualification de fou est celle qui paraît plus spécialement réservée à tout promoteur ou propagateur d'idées nouvelles. C'est ainsi qu'on traita de fou celui qui, le premier, s'avisa de dire que la terre tourne autour du soleil.»

«Il était fou aussi, ce célèbre navigateur qui découvrit un nouveau monde. C'était encore un fou, de par l'aréopage de la science, celui qui trouva la puissance de la vapeur ; et la docte assemblée accueillit, avec un dédaigneux sourire, la savante dissertation de Franklin sur les propriétés de l'électricité et la théorie du paratonnerre.»

«Lui aussi n'a-t-il pas été traité de fou, le divin régénérateur de l'humanité, le réformateur autorisé de la loi de Moïse? N'a-t-il pas expié par un supplice ignominieux l'inoculation à la terre des bienfaits de la morale divine?»

«Galilée n'a-t-il pas expié comme hérétique dans une cruelle séquestration et par les plus amères persécutions morales, la gloire d'avoir eu le premier l'initiative du système planétaire dont Newton devait promulguer les lois?»

«Saint Jean-Baptiste, le précurseur du Christ, avait aussi été sacrifié à la vengeance des coupables dont il flétrissait les crimes.»

«Les apôtres, dépositaires des enseignements du divin Messie, durent sceller de leur sang la sainteté de leur mission. Et la religion réformée n'a-t-elle pas été persécutée à son tour, et après les massacres de la Saint-Barthélemy, n'a-t-elle pas eu à subir les dragonnades?»

«Enfin, remontant jusqu'à l'ostracisme inspiré par d'autres passions, nous voyons Aristide exilé, et Socrate condamné à boire la ciguë.»

«Sans doute, grâce aux mœurs douces qui caractérisent notre siècle, sous l'empire de nos institutions et des lumières qui mettent un frein à l'intolérance fanatique, les bûchers ne se dresseront pas pour purifier par les flammes les doctrines spirites, dont on prétend faire remonter la paternité à Satan. Mais elles doivent s'attendre, elles aussi, à une levée de boucliers des plus hostiles, et aux attaques d'ardents adversaires.»

«Toutefois, cet état militant ne saurait affaiblir le courage de ceux qui sont animés d'une conviction profonde, de ceux qui ont la certitude de tenir dans leurs mains une de ces vérités fécondes qui constituent, dans leurs développements, un grand bienfait pour l'humanité.»

«Mais, quoi qu'il en soit de l'antagonisme des idées ou des doctrines que suscitera le Spiritisme ; quels que soient les périls qu'il doive ouvrir sous les pas des adeptes, le Spirite ne saurait laisser cette lumière sous le boisseau, et se refuser à lui donner tout l'éclat qu'elle comporte, l'appui de ses convictions et le témoignage sincère de sa conscience.»

«Le Spiritisme révélant à l'homme l'économie de son organisation, l'initiant à la connaissance de ses destinées, ouvre un champ immense à ses médiations. Ainsi le philosophe spirite, appelé à porter ses investigations vers ces nouveaux et splendides horizons, n'a pour limites que l'infini. Il assiste, en quelque sorte, au conseil suprême du Créateur. Mais l'enthousiasme est l'écueil qu'il doit éviter, surtout lorsqu'il jette ses regards sur l'homme, devenu si grand, et qui, cependant, se fait orgueilleusement si petit. Ce n'est donc qu'éclairé par les lumières d'une prudente raison, et qu'en prenant pour guide la froide et sévère logique, qu'il doit diriger ses pérégrinations dans le domaine de la science divine dont le voile a été soulevé par les Esprits.»

«Ce livre est le résultat de nos propres études et de nos médiations sur ce sujet qui, dès l'abord, nous a paru d'une importance capitale, et avoir des conséquences de la plus haute gravité. Nous avons reconnu que ces idées sont des racines profondes, et nous y avons entrevu l'aurore d'une ère nouvelle pour la société; la rapidité avec laquelle elles se propagent est un indice de leur prochaine admission au nombre des croyances reçues. En raison même de leur importance, nous ne nous sommes pas contenté des affirmations et des arguments de la doctrine; non-seulement nous nous sommes assuré de la réalité des faits, mais nous avons scruté avec une attention minutieuse les principes qu'on en fait découler; nous en avons cherché la raison avec une froide impartialité, sans négliger l'étude non moins consciencieuse des objections qu'opposent les antagonistes; comme un juge qui écoute les deux parties adverses, nous avons mûrement pesé le pour et le contre. C'est donc après avoir acquis la conviction que les allégations contraires ne détruisent rien; que la doctrine repose sur des bases sérieuses, sur une logique rigoureuse, et non sur des rêveries chimériques; qu'elle contient le germe d'une rénovation salutaire de l'état social sourdement miné par l'incrédulité; que c'est enfin une barrière puissante contre l'envahissement du matérialisme et de la démoralisation, que nous avons cru devoir donner notre appréciation personnelle, et les déductions que nous avons tirées d'une étude attentive.»

«Ayant donc trouvé une raison d'être aux principes de cette science nouvelle qui vient prendre rang parmi les connaissances humaines, nous avons intitulé notre livre: La Raison du Spiritisme. Ce titre est justifié par le point de vue sous lequel nous avons envisagé le sujet, et ceux qui nous liront reconnaîtront sans peine que ce travail n'est pas le produit d'un enthousiasme inconsidéré, mais d'un examen mûrement et froidement réfléchi.»

«Nous sommes convaincus que quiconque, sans parti pris d'opposition systématique, fera, comme nous l'avons fait, une étude consciencieuse de la doctrine spirite, la considèrera comme une des choses qui intéressent au plus haut degré l'avenir de l'humanité.»

«En donnant notre adhésion à cette doctrine, nous usons du droit de liberté de conscience qui ne peut être contesté à personne, quelle que soit sa croyance ; à plus forte raison, cette liberté doit-elle être respectée quand elle a pour objectif des principes de la plus haute moralité qui conduisent les hommes à la pratique des enseignements du Christ, et par cela même sont la sauvegarde de l'ordre social.»

«L'écrivain qui consacre sa plume à retracer l'impression que de tels enseignements ont laissée dans le sanctuaire de sa conscience, doit bien se garder de confondre les élucubrations écloses dans son horizon terrestre avec les traits lumineux partis du ciel. S'il reste des points obscurs ou cachés à ses explications, points qu'il ne lui est pas encore donné de connaître, c'est que, dans les vues de la sagesse divine, ils restent réservés pour un degré supérieur dans l'échelle ascendante de son épuration progressive et de sa perfectibilité.»

«Néanmoins, hâtons-nous de le dire, tout homme convaincu et consciencieux, en consacrant ses méditations à la diffusion d'une vérité féconde pour le bonheur de l'humanité, trempe sa plume dans l'atmosphère céleste où notre globe est immergé, et reçoit incontestablement l'étincelle de l'inspiration.»

L'indication du titre des chapitres fera connaître le cadre embrassé par l'auteur.

«1. Définition du Spiritisme. – 2. Principe du bien et du mal. – 3. Union de l'âme avec le corps. – 4. Réincarnation. – 5. Phrénologie. – 6. Du péché originel. – 7. L'enfer. – 8. Mission du Christ. – 9. Le purgatoire. – 10. Le ciel. – 11. Pluralité des globes habités. – 12. La charité. – 13. Devoirs de l'homme. – 14. Périsprit. – 15. Nécessité de la révélation. – 16. Opportunité de la révélation. – 17. Les anges et les démons. – 18. Les temps prédits. – 19. La prière. – 20. La foi. – 21. Réponse aux insulteurs. – 22. Réponse aux incrédules, athées ou matérialistes. – 23. Appel au clergé.»

Nous regrettons que le défaut d'espace ne nous permette pas de reproduire autant de passages que nous l'eussions désiré. Nous nous bornerons à quelques citations.

Chap. III, page 41.
«L'utilité réciproque et indispensable de l'âme et du corps pour leur coopération respective constitue donc la raison d'être de leur union. Elle constitue de plus, pour l'esprit, les conditions militantes dans la voie du progrès où il est appelé à conquérir sa personnalité intellectuelle et morale.

«Comment ces deux principes accomplissent-ils normalement en l'homme le but de leur destination? Quand l'esprit est fidèle à ses aspirations divines, il restreint les instincts animaux et sensuels du corps et les réduit à leur action providentielle dans l'œuvre du Créateur; il se développe, il grandit. C'est la perfection de l'œuvre même qui s'accomplit. Il arrive au bonheur, dont le dernier terme est inhérent au degré suprême de la perfectibilité.»

«Si, au contraire, abdiquant la souveraineté qu'il est appelé à exercer sur le corps, il cède à l'entraînement des sens, et s'il accepte leurs conditions de plaisirs terrestres comme unique but de ses aspirations, il fausse la raison d'être de son existence, et, loin d'accomplir ses destinées, il reste stationnaire; attaché à cette vie terrestre qui, cependant, n'aurait dû être pour lui qu'une condition accessoire, puisqu'elle ne saurait être sa fin, l'Esprit, de chef qu'il était, devient subordonné; il accepte en insensé le bonheur terrestre que ses sens lui font éprouver et qu'ils lui proposent de satisfaire, étouffant ainsi en lui l'intuition du bonheur vrai qui lui est réservé. C'est là sa première punition.»

Au chapitre XII, de l'enfer, page 99, nous trouvons cette remarquable appréciation de la mort et des fléaux destructeurs:

«Serait-ce en énumérant les fléaux qui promènent sur la terre la terreur et l'épouvante, la souffrance et la mort, que l'on croirait pouvoir donner la preuve des manifestations de la colère divine?»

«Sachez donc, téméraires évocateurs des vengeances célestes, que les cataclysmes que vous signalez, loin d'avoir le caractère exclusif d'un châtiment infligé à l'humanité, sont, au contraire, un acte de la miséricorde divine, qui ferme à celle-ci l'abîme où la précipitaient ses désordres, et lui ouvre les voies du progrès qui doivent la ramener dans le chemin qu'elle doit suivre pour assurer sa régénération.»

«Que sont ces cataclysmes, sinon une nouvelle phase dans l'existence de l'homme, une ère heureuse marquant pour les peuples et l'humanité entière le point providentiel de son avancement?»

«Sachez donc que la mort n'est pas un mal; phare de l'existence de l'Esprit, celle-ci est toujours, lorsqu'elle vient de Dieu, le signe de sa miséricorde et de son assistance bienveillante. La mort n'est que la fin du corps, le terme d'une incarnation, et dans les mains de Dieu, c'est l'anéantissement d'un milieu corrupteur et vicieux, l'interruption d'un courant funeste, auquel, en un moment solennel, la Providence arrache l'homme et les peuples.»

«La mort n'est qu'un temps d'arrêt dans l'épreuve terrestre; loin de nuire à l'homme, ou plutôt à l'Esprit, elle l'appelle à se recueillir dans le monde invisible, soit pour reconnaître ses fautes et les regretter, soit pour s'éclairer et se préparer, par de fermes et salutaires résolutions, à reprendre l'épreuve de la vie terrestre.»

«La mort ne glace l'homme d'effroi que parce que, trop identifié à la terre, il n'a pas foi à son auguste destinée, dont la terre n'est que la douloureuse officine où doit s'accomplir son épuration.»

«Cessez donc de croire que la mort suit un instrument de colère et de vengeance entre les mains de Dieu; sachez, au contraire, qu'elle est à la fois l'expression de sa miséricorde et de sa justice, soit en arrêtant le méchant dans la voie de l'iniquité, soit en abrégeant le temps d'épreuves ou d'exil du juste sur la terre.»

«Et vous, ministres du Christ, qui du haut de la chaire de vérité proclamez la colère et la vengeance de Dieu, et semblez, par vos éloquentes descriptions de la fantastique fournaise, en attiser les flammes inextinguibles pour dévorer le malheureux pécheur; vous qui, de vos lèvres si autorisées, laissez tomber cette terrifiante épigraphe: «Jamais! – Toujours!» avez-vous donc oublié les instructions de votre divin Maître?»

Nous citerons encore les passages suivants extraits du chapitre sur le péché originel.

«Au lieu de créer l'âme parfaite, Dieu a voulu que ce ne fût que par de longs et constants efforts qu'elle parvînt à se dégager de cet état d'infériorité native, et graviter vers ses augustes destinées.»

«Pour arriver à ces fins, elle a donc à rompre les liens qui l'attachent à la matière, à résister à l'entraînement des sens, avec l'alternative de sa suprématie sur le corps, ou de l'obsession exercée sur elle par les instincts animaux.»

«Ce sont ces liens terrestres dont il lui importe de s'affranchir et qui constituent en elle les conditions mêmes de son infériorité; ils ne sont autres que le prétendu péché originel, l'alvéole qui voile son essence divine. Le péché originel constitue ainsi l'ascendant primitif que les instincts animaux ont dû exercer d'abord sur les aspirations de l'âme. Tel est l'état de l'homme que la Genèse a voulu représenter sous la figure naïve de l'arbre de la science du bien et du mal. L'intervention du serpent tentateur n'est autre que les désirs de la chair et la sollicitation des sens ; le christianisme a consacré cette allégorie comme un fait réel se rattachant à l'existence du premier homme; et c'est sur ce fait qu'il a basé le dogme de la rédemption.»

«Placé à ce point de vue, il faut le reconnaître, le péché originel a dû être et a été, en effet, celui de toute la postérité du premier homme, et il en sera ainsi pendant une longue suite de siècles, jusqu'à l'affranchissement complet de l'Esprit des étreintes de la matière; affranchissement qui tend sans doute à se réaliser, mais qui n'est pas encore accompli de nos jours.»

«En un mot, le péché originel constitue les conditions de la nature humaine portant les premiers éléments de son existence, avec tous les vices qu'elle a engendrés.»

«Le péché originel, c'est l'égoïsme, c'est l'orgueil qui président à tous les actes de la vie de l'homme;
C'est le démon de l'envie et de la jalousie qui rongent son cœur;
C'est l'ambition qui trouble son sommeil;
C'est la cupidité que ne peut rassasier son âpreté au lucre;
C'est l'amour et la soif de l'or, cet élément indispensable pour donner satisfaction à toutes les exigences du luxe, du confortable et du bien-être, que poursuit le siècle avec tant d'ardeur.»

«Voilà le péché originel proclamé par la Genèse, et que l'homme a toujours recelé en lui; il ne sera effacé que le jour où, pénétré de ses hautes destinées, l'homme abandonnera, conformément à la leçon du bon La Fontaine, l'ombre pour la proie; le jour où il renoncera au mirage du bonheur terrestre, pour tourner toutes ses aspirations vers le bonheur réel qui lui est réservé.»

«Que l'homme apprenne donc à se rendre digne de son titre de chef parmi tous les êtres créés, et de l'essence éthérée émanée du sein même de son créateur et dont il est pétri. Qu'il soit fort pour lutter contre les tendances de son enveloppe terrestre, dont les instincts sont étrangers à ses aspirations divines et ne sauraient constituer sa personnalité spirituelle; que son but unique soit toujours de graviter vers la perfection de sa dernière fin, et le péché originel n'existera plus pour lui.»

M. Bonnamy est déjà connu de nos lecteurs qui ont pu apprécier la fermeté, l'indépendance de son caractère, et l'élévation de ses sentiments, par la lettre remarquable que nous avons publiée de lui dans la Revue de mars 1866, page 76, à l'article intitulé: Le Spiritisme et la magistrature. Il vient aujourd'hui, par un travail de haute portée, prêter résolument l'appui et l'autorité de son nom à une cause que, dans sa conscience, il considère comme celle de l'humanité.

Parmi les adeptes déjà nombreux que le Spiritisme compte dans la magistrature, M. Jaubert, vice-président du tribunal de Carcassonne, et M. Bonnamy, juge d'instruction à Villeneuve-sur-Lot, sont les premiers qui en ont ouvertement arboré le drapeau; et ils l'ont fait, non pas au lendemain de la victoire, mais au moment de la lutte, alors que la doctrine est en butte aux attaques de ses adversaires, et où ses adhérents sont encore sous le coup de la persécution. Les Spirites présents et ceux de l'avenir sauront l'apprécier et ne l'oublieront pas. Quand une doctrine reçoit les suffrages d'hommes aussi justement considérés, c'est la meilleure réponse aux diatribes dont elle peut être l'objet.

L'ouvrage de M. Bonnamy marquera dans les annales du Spiritisme, non-seulement comme premier en date dans son genre, mais surtout par son importance philosophique. L'auteur y examine la doctrine en elle-même, il en discute les principes dont il tire la quintessence, en faisant abstraction complète de toute personnalité, ce qui exclut toute pensée de coterie.


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[1] Un volume in-12 ; prix 3 francs, par la poste, 3 fr. 35 c. Librairie internationale, 15, boulevard Montmartre à Paris.

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Sous presse pour paraître en Décembre, La genèse, les miracles et les prédictions selon le Spiritisme par Allan Kardec
1 vol. in-12 de 500 pages.

Avis.

Réponse à M. S. B. de Marseille.

Il n'est tenu aucun compte des lettres qui ne sont pas ostensiblement signées, ou qui sont sans adresse certaine quand le nom est inconnu. Elles sont mises au rebut.

Cette réponse s'adresse également à une série de lettres portant le timbre de route de Besançon et venues quotidiennement pendant un certain temps. Si cet avis parvient à leur auteur, il sera informé que, par le motif ci-dessus, et vu leur longueur, elles n'ont même pas été lues à mesure de leur arrivée, la personne chargée du dépouillement de la correspondance les a mises de côté, comme toutes celles qui sont entourées de mystère, et que, par cette raison, on ne considère pas comme assez sérieuses pour y donner du temps au préjudice des travaux d'une importance réelle, et auxquels on suffit à peine.





Allan Kardec




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