Théorie des rêves
Il est vraiment étrange qu'un phénomène aussi vulgaire
que celui des rêves ait été l'objet d'autant d'indifférence de la part de la
science, et que l'on en soit encore à se demander la cause de ces visions. Dire
que ce sont des produits de l'imagination, ce n'est pas résoudre la
question ; c'est un de ces mots à l'aide desquels on veut expliquer ce que
l'on ne comprend pas, et qui n'expliquent rien. Dans tous les cas,
l'imagination est un produit de l'entendement ; or, comme on ne peut admettre
ni entendement ni imagination dans la matière brute, il faut bien croire que
l'âme y est pour quelque chose. Si les rêves sont encore un mystère pour la
science, c'est qu'elle s'est obstinée à fermer les yeux sur la cause
spirituelle.
On cherche l'âme dans les replis du cerveau, tandis
qu'elle se dresse à chaque instant devant nous, libre et indépendante, dans une
foule de phénomènes inexplicables par les seules lois de la matière, notamment
dans les rêves, le somnambulisme naturel et artificiel, et dans la double vue à
distance ; non point dans des phénomènes rares, exceptionnels, subtils,
qui exigent les patientes recherches du savant et du philosophe, mais les plus
vulgaires ; elle est là qui semble dire : Regardez et vous me verrez ;
je suis sous vos yeux et vous ne me voyez pas ; vous m'avez vue maintes et
maintes fois ; vous me voyez tous les jours ; les enfants même me
voient ; le savant et l'ignorant, l'homme de génie et l'idiot me voient,
et vous ne me reconnaissez pas.
Mais il est des gens qui semblent avoir peur de la
regarder en face, et d'acquérir la preuve de son existence. Quant à ceux qui la
cherchent de bonne foi, il leur a manqué jusqu'à ce jour la seule clef qui
pouvait la leur faire reconnaître ; cette clef, le Spiritisme vient la donner
par la loi qui régit les rapports du monde corporel et du monde
spirituel ; à l'aide de cette loi et des observations sur lesquelles elle
s'appuie, il donne des rêves l'explication la plus logique qui ait encore été
fournie ; il démontre que le rêve, le somnambulisme, l'extase, la double
vue, le pressentiment, l'intuition de l'avenir, la pénétration de la pensée, ne
sont que des variantes et des degrés d'un même principe : l'émancipation
de l'âme plus ou moins dégagée de la matière.
A l'égard des rêves, rend-il un compte précis de
toutes les variétés qu'ils présentent ? Non, pas encore ; nous
possédons le principe, c'est déjà beaucoup ; ceux que nous pouvons nous
expliquer, nous mettront sur la voie des autres ; il nous manque sans
doute encore des connaissances que nous acquerrons plus tard. Il n'est pas une
seule science qui, de prime saut, ait développé toutes ses conséquences et ses
applications ; elles ne peuvent se compléter que par des observations
successives. Or, le Spiritisme, né d'hier, est comme la chimie entre les mains
des Lavoisier et des Berthollet, ses premiers créateurs ; ceux-ci ont
découvert les lois fondamentales ; les premiers jalons posés ont mis sur
la voie de nouvelles découvertes.
Parmi les rêves, il en est qui ont un caractère tellement
positif, qu'on ne saurait les attribuer rationnellement au seul jeu de
l'imagination ; tels sont ceux où l'on acquiert au réveil la preuve de la
réalité de ce que l'on a vu et à quoi on ne songeait nullement. Les plus
difficiles à expliquer sont ceux qui nous présentent des images incohérentes,
fantastiques, sans réalité apparente. Une étude plus approfondie du singulier
phénomène des créations fluidiques nous mettra sans doute sur la voie.
En attendant, voici une théorie qui semble devoir
faire faire un pas à la question. Nous ne la donnons pas comme absolue, mais
comme fondée en logique, et pouvant être un sujet d'étude. Elle nous a été
donnée par un de nos meilleurs médiums en état de somnambulisme très lucide, à
l'occasion du fait suivant.
Prié par la mère d'une jeune personne de lui donner
des nouvelles de sa fille, qui était à Lyon, il la vit couchée et endormie, et
décrivit avec exactitude l'appartement où elle se trouvait. Cette jeune fille,
âgée de dix-sept ans, est médium écrivain ; sa mère demanda si elle avait
l'aptitude à devenir médium voyant. Attendez, dit le somnambule, il faut que je
suive la trace de son Esprit, qui n'est pas dans son corps en ce moment. Elle
est ici, villa Ségur, dans la salle où nous sommes, attirée par votre pensée ;
elle vous voit et vous écoute. C'est pour elle un rêve, mais dont elle ne se
souviendra pas au réveil.
On peut, ajoute-t-il, diviser les rêves en trois
catégories caractérisées par le degré du souvenir qui tient à l'état de
dégagement dans lequel se trouve l'Esprit. Ce sont :
1° Les rêves qui sont provoqués par l'action de la
matière et des sens sur l'Esprit, c'est-à-dire ceux où l'organisme joue un rôle
prépondérant par l'union plus intime du corps et de l'Esprit. On s'en souvient
clairement, et pour peu que la mémoire soit développée, on en conserve une
impression durable.
2° Les rêves qu'on peut appeler mixtes. Ils
participent à la fois de la matière et de l'Esprit ; le dégagement est
plus complet. On s'en souvient au réveil, pour l'oublier presque instantanément,
à moins que quelque particularité ne vienne en réveiller le souvenir.
3° Les rêves éthérés ou purement spirituels. Ils sont
le produit de l'Esprit seul, qui est dégagé de la matière, autant qu'il peut
l'être pendant la vie du corps. On ne s'en souvient pas ; ou s'il reste un
vague souvenir qu'on a rêvé, aucune circonstance ne saurait remettre en mémoire
les incidents du sommeil.
Le rêve actuel de cette jeune fille appartient à cette
troisième catégorie ; elle ne s'en souviendra pas. Elle a été conduite ici
par un Esprit bien connu du monde spirite lyonnais, et même du monde spirite
européen (le somnambule médium dépeint l'Esprit Carita). Il l'a amenée dans le
but qu'elle en rapporte, sinon un souvenir précis, mais un pressentiment du
bien que l'on peut retirer d'une croyance ferme, pure et sainte, et de celui
que l'on peut faire aux autres en s'en faisant à soi-même.
Elle dit, pour sa mère, que si elle se souvenait aussi
bien à son état normal qu'elle se souvient maintenant de ses précédentes incarnations,
elle ne demeurerait pas longtemps dans l'état stationnaire où elle est ;
car elle voit clairement, et peut avancer sans hésitation, tandis qu'à l'état
ordinaire nous avons un bandeau sur les yeux. Elle dit aux assistants :
« Merci de vous être occupés de moi. » Puis elle embrasse sa mère.
Qu'elle est heureuse ! ajoute le médium en terminant, qu'elle est heureuse
de ce rêve, dont elle ne se souviendra pas, mais qui n'en laissera pas moins en
elle une impression salutaire ! Ce sont ces rêves inconscients qui
procurent ces sensations indéfinissables de contentement et de bonheur dont on
ne se rend pas compte, et qui sont un avant goût de celui dont jouissent les
Esprits heureux.
Il ressort de là que l'Esprit incarné peut subir des
transformations qui modifient ses aptitudes. Un fait qui n'a peut-être pas été
suffisamment observé, vient à l'appui de la théorie ci-dessus. On sait que
l'oubli au réveil est un des caractères du somnambulisme ; or, du premier
degré de lucidité, l'Esprit passe quelquefois à un degré plus élevé, qui est
différent de l'extase, et dans lequel il acquiert de nouvelles idées et des
perceptions plus subtiles. En sortant de ce second degré pour rentrer dans le
premier, il ne se souvient ni de ce qu'il a dit, ni de ce qu'il a vu ;
puis, en repassant de ce degré à l'état de veille, il y a nouvel oubli. Une
chose à remarquer, c'est qu'il y a souvenir du degré supérieur au degré
inférieur, tandis qu'il y a oubli du degré inférieur au degré supérieur.
Il est donc bien évident qu'entre les deux états
somnambuliques dont nous venons de parler, il se passe quelque chose d'analogue
à ce qui a lieu entre l'état de veille et le premier degré de lucidité ;
que ce qui se passe influe sur les facultés et les aptitudes de l'Esprit. On
dirait que de l'état de veille, au premier degré l'Esprit est dépouillé d'un
voile ; que de ce premier degré au second, il est dépouillé d'un second
voile. Dans les degrés supérieurs ces voiles n'existant plus, l'Esprit voit ce
qui est au-dessous et s'en souvient ; en redescendant l'échelle, les
voiles se reforment successivement et lui cachent ce qui est au-dessus, ce qui
fait qu'il en perd le souvenir. La volonté du magnétiseur peut parfois dissiper
ce voile fluidique et rendre le souvenir.
Il y a, comme on le voit, une grande analogie entre
ces deux états somnambuliques, et les différentes catégories de rêves décrites
ci-dessus. Il nous paraît plus que probable que, dans l'un et l'autre cas,
l'Esprit se trouve dans une situation identique. A chaque échelon qu'il gravit,
il s'élève au-dessus d'une couche de brouillard ; sa vue et ses
perceptions sont plus nettes.