II - Dieu ne se venge pas.
Ce qui précède n'est qu'un préambule destiné à servir d'introduction à
d'autres idées. Je vous ai parlé d'idées préconçues, il y en a d'autres
que celles qui viennent des penchants de l'inspiré ; il y en a qui sont
la suite d'une instruction erronée, d'une interprétation accréditée par
un temps plus ou moins long, qui ont eu leur raison d'être à une époque
où la raison humaine était insuffisamment développée, et qui, passées à
l'état chronique, ne peuvent être modifiées que par d'héroïques efforts,
surtout quand elles ont pour elles l'autorité de l'enseignement
religieux et de livres réservés. Une de ces idées est celle-ci : Dieu se
venge. Qu'un homme blessé dans son orgueil, dans sa personne ou dans
ses intérêts se venge, cela se conçoit ; cette vengeance, quoique
coupable, est dans la marge faite aux imperfections humaines ; mais un
père qui se venge sur ses enfants, soulève l'indignation générale, parce
que chacun sent qu'un père, chargé du soin de former ses enfants, peut
redresser des torts, corriger des défauts par tous les moyens qui sont
en son pouvoir, mais que la vengeance lui est interdite, sous peine de
devenir étranger à tous les droits de la paternité.
Sous le nom
de vindicte publique, la société qui s'en va se vengeait des coupables ;
la punition infligée, souvent cruelle, était la vengeance qu'elle
tirait des méfaits d'un homme pervers ; elle n'avait nul souci de
l'amendement de cet homme, elle laissait à Dieu le soin de le punir ou
de lui pardonner ; il lui suffisait de frapper d'une terreur, qu'elle
croyait salutaire, les coupables à venir. La société qui vient ne pense
plus ainsi ; si elle n'agit point encore en vue de l'amendement du
coupable, elle comprend au moins ce que la vengeance a d'odieux pour
elle-même ; sauvegarder la société contre les attaques d'un criminel lui
suffit, et, la crainte d'une erreur judiciaire aidant, bientôt la peine
capitale disparaîtra de vos codes.
Si la société se trouve
aujourd'hui trop grande devant un coupable pour se laisser aller à la
colère et se venger de lui, comment voulez-vous que Dieu, participant à
vos faiblesses, s'émeuve d'un sentiment irascible et frappe par
vengeance un pécheur appelé à se repentir ? Croire à la colère de Dieu
est un orgueil de l'humanité, qui s'imagine être d'un grand poids dans
la balance divine. Si la plante de votre jardin vient mal, si elle se
déjette, irez-vous vous mettre en colère et vous venger de sa mauvaise
venue ? Non, vous la redresserez si vous pouvez, vous lui donnerez un
tuteur, vous gênerez, par des entraves, ses mauvaises tendances, vous la
transplanterez au besoin, mais vous ne vous vengerez pas ; ainsi fait
Dieu.
Dieu se venger, quel blasphème ! quel amoindrissement de
la grandeur divine ! quelle ignorance de la distance infinie qui sépare
le créateur de sa créature ! quel oubli de sa bonté et de sa justice !
Dieu viendrait, dans une existence où il ne vous reste aucun souvenir de
vos torts passés, vous faire payer chèrement les fautes que vous pouvez
avoir commises à une époque effacée de votre être ! Non, non, Dieu
n'agit pas ainsi ; il entrave l'essor d'une passion funeste, il corrige
l'orgueil inné par une humilité forcée, il redresse l'égoïsme du passé
par l'urgence d'un besoin présent qui fait désirer l'existence d'un
sentiment que l'homme n'a ni connu ni éprouvé. Comme père, il corrige,
mais, comme père aussi, Dieu ne se venge pas.
Gardez-vous de
ces idées préconçues de vengeance céleste, débris égarés d'une erreur
ancienne. Gardez-vous de ces tendances fatalistes dont la porte est
ouverte sur vos doctrines nouvelles, et qui vous conduiraient tout droit
au quiétisme oriental. La part de liberté de l'homme n'est pas déjà
assez grande pour l'amoindrir encore par des croyances erronées ; plus
vous vous sentirez de liberté à vous, plus vous aurez de responsabilité
sans doute ; mais plus aussi les efforts de votre volonté vous
conduiront en avant dans la voie du progrès.
Pascal.