Réponse du frère mort au frère vivant
Me voilà, mon bon frère ; mais tu
exiges trop ; je ne peux, avec la meilleure volonté, satisfaire, dans
une seule évocation, aux nombreuses demandes que tu m'adresses. Ne
sais-tu pas qu'il est quelquefois très difficile aux Esprits de
transmettre leur pensée à l'aide de certains médiums peu propres à
recevoir nettement, dans le cerveau, l'impression photographique des
pensées de certains Esprits, et qui, en les dénaturant, leur donnent un
cachet de fausseté qui amène, de la part des intéressés, la négation la
plus formelle de la manifestation ; ce qui est très peu flatteur et
attriste profondément ceux qui, faute d'instruments convenables, sont
impuissants à donner des signes d'identité suffisants.
Crois-moi, bon frère, évoque-moi en famille ; et toi-même, avec un peu
de bonne volonté et quelques essais persévérants, tu pourras causer à
ton gré avec moi. Je suis presque toujours près de toi, parce que je
sais que tu es Spirite et que j'espère en toi. Il est certain que la
sympathie attire la sympathie, et qu'on ne peut être expansif avec un
médium qu'on voit pour la première fois ; je vais cependant tâcher de
vous satisfaire.
Ma mort qui vous afflige était le terme de la
captivité de mon âme ; votre amour, votre sollicitude, votre tendresse
avaient rendu doux mon exil sur la terre ; mais, dans mes plus beaux
moments d'inspiration musicale, je tournais mes regards vers les régions
lumineuses où tout est harmonie, et je m'oubliais à écouter les accords
lointains de la mélodie céleste qui m'inondait de ses douces
vibrations. Que de fois je me suis oublié dans ces rêveries extatiques,
auxquelles je devais le succès de mes études musicales que je continue
ici ! Ce serait une étrange erreur de croire que l'aptitude individuelle
se perd dans le monde spirite ; elle s'y perfectionne, au contraire,
pour apporter en-suite ce perfectionnement sur les planètes où ces
Esprits sont appelés à vivre.
Ne pleurez donc plus, vous tous,
bien-aimés parents ! A quoi servent les pleurs ? A énerver, à décourager
les âmes. Je suis parti le premier, mais vous viendrez me rejoindre ;
cette certitude n'est-elle pas assez puissante pour vous consoler ? La
rose, qui a exhalé ses parfums au chêne, meurt comme moi après avoir peu
vécu, en jonchant le sol de ses pétales flétris ; mais le chêne meurt à
son tour, et il a le sort de la rose qu'il a pleuré et dont les vives
couleurs s'harmonisaient avec son sombre feuillage.
Encore
quelque temps, et vous viendrez à moi ; nous chanterons alors le
cantique des cantiques, et nous louerons Dieu dans ses œuvres ; car nous
serons heureux ensemble, si vous vous résignez à l'épreuve qui vous
frappe.
Celui qui fut ton frère sur la terre et qui t'aime toujours.
B…
Plusieurs
enseignements importants ressortent de cette communication. Le premier
est la difficulté qu'éprouve l'Esprit à s'exprimer à l'aide de
l'instrument qui lui était donné. Nous connaissons personnellement ce
médium qui a fait depuis longtemps ses preuves comme puissance et
flexibilité de faculté, surtout en fait d'évocations particulières ;
c'est ce qu'on peut appeler un médium sûr et bien assisté. D'où vient
donc cet empêchement ? C'est que la facilité des communications dépend
du degré d'affinité fluidique qui existe entre l'Esprit et le médium.
Chaque médium est ainsi plus ou moins apte à recevoir l'impression ou l'impulsion
de la pensée de tel ou tel Esprit ; il peut être un bon instrument pour
l'un et un mauvais instrument pour l'autre, sans que cela préjuge rien
contre ses qualités, cette condition étant plus organique que morale.
Les Esprits recherchent donc de préférence les instruments qui vibrent à
leur unisson ; leur imposer le premier venu, et croire qu'ils peuvent
indifféremment s'en servir, serait comme si l'on imposait à un pianiste
de jouer du violon, par la raison que, sachant la musique, il doit
pouvoir jouer de tous les instruments.
Sans cette harmonie qui seule peut amener l'assimilation fluidique, aussi nécessaire dans la typtologie que dans l'écriture,
les communications sont ou impossibles, ou incomplètes, ou fausses. A
défaut de l'Esprit que l'on ne peut avoir, s'il ne peut se manifester
librement, il n'en manque pas d'autres toujours prêts à saisir
l'occasion, et qui se soucient fort peu de la vérité de ce qu'ils
disent. Cette assimilation fluidique est quelquefois tout à fait
impossible entre certains Esprits et certains médiums ; d'autres fois,
et c'est le cas le plus ordinaire, elle ne s'établit que graduellement
et à la longue, ce qui explique pourquoi les Esprits qui se manifestent
d'habitude à un médium le font avec plus de facilité, et pourquoi les
premières communications attestent presque toujours une certaine gêne et
sont moins explicites.
Il est donc démontré à la fois par la
théorie et par l'expérience qu'il n'y a pas plus de médiums universels
pour les évocations que pour l'aptitude aux divers genres de
manifestations. Celui qui prétendrait recevoir à volonté et à point
nominé les communications de tous les Esprits, et pouvoir satisfaire,
par conséquent, les légitimes désirs de tous ceux qui veulent
s'entretenir avec les êtres qui leur sont chers, ferait preuve, ou d'une
ignorance radicale des principes les plus élémentaires de la science,
ou de charlatanisme, et, dans tous les cas, d'une présomption
incompatible avec les qualités essentielles d'un bon médium. On a pu le
croire dans un temps, mais aujourd'hui les progrès de la science
théorique et pratique démontrent que cela ne se peut pas en principe.
Lorsqu'un Esprit se communique pour la première fois à un médium sans
aucune gêne, cela tient à une affinité fluidique exceptionnelle ou
antérieure entre l'Esprit et son interprète.
C'est donc un tort
d'imposer un médium à l'Esprit que l'on veut évoquer ; il faut lui
laisser le choix de son instrument. Mais comment faire, dira-t-on, si
l'on n'a qu'un seul médium, ce qui est très fréquent ? D'abord, se
contenter de ce que l'on a, et se passer de ce que l'on n'a pas. Il
n'est pas plus au pouvoir de la science spirite de changer les
conditions normales des manifestations, qu'à la chimie de changer celles
de la combinaison des éléments.
Il y a cependant ici un moyen
d'atténuer la difficulté. En principe, lorsqu'il s'agit d'une évocation
nouvelle, le médium doit toujours préalablement évoquer son guide
spirituel, et lui demander si elle est possible ; en cas d'affirmative,
demander à l'Esprit évoqué s'il trouve dans le médium l'aptitude
nécessaire pour recevoir et transmettre sa pensée. S'il y a difficulté
ou impossibilité, le prier de le faire par l'entremise du guide du
médium ou de s'en faire assister. Dans ce cas la pensée de l'Esprit
n'arrive que de seconde main, c'est-à-dire après avoir traversé deux
milieux. On comprend alors combien il importe que le médium soit bien
assisté, car s'il l'est par un Esprit obsesseur, ignorant ou
orgueilleux, la communication en sera altérée. Ici, les qualités
personnelles du médium jouent forcément un rôle important, par la nature
des Esprits qu'il attire à lui. Les médiums les plus indignes peuvent
avoir de puissantes facultés, mais les plus sûrs sont ceux qui, à cette
puissance, joignent les meilleures sympathies dans le monde invisible ;
or, ces sympathies ne sont nullement
garanties par les noms plus ou moins imposants des Esprits qui signent
les communications, mais par la nature constamment bonne des
communications qu'ils en reçoivent.
Ces principes sont à la
fois fondés sur la logique et sur l'expérience ; les difficultés même
qu'ils accusent, prouvent que la pratique du Spiritisme ne doit pas être
traitée légèrement.
Un autre fait ressort également de la
communication ci-dessus : c'est la confirmation du principe que les
Esprits intelligents poursuivent dans la vie spirituelle les travaux et
les études qu'ils ont entrepris dans la vie corporelle.
C'est
ainsi que, dans les communications que nous publions, nous donnons la
préférence à celles d'où peut sortir un enseignement utile.
Quant à la lettre du frère vivant à son frère mort, c'est une naïve et
touchante expression de la foi sincère en la survivance de l'âme, en la
présence des êtres qui nous sont chers, et de la possibilité de
continuer avec eux les rapports d'affection qui nous unissaient à eux.
Les incrédules, sans doute, riront de ce qui, à leurs yeux, est une
puérile crédulité. Ils auront beau faire, le néant qu'ils préconisent
n'aura jamais de charme pour les masses, car il brise le cœur et les
affections les plus saintes ; il glace au lieu de réchauffer ; il
épouvante et désespère au lieu de fortifier et consoler.
Leurs
diatribes contre le Spiritisme ayant pour pivot cette doctrine navrante
du néant, il ne faut pas s'étonner de leur impuissance à détourner les
masses des nouvelles idées. Entre une doctrine désespérante et une
doctrine consolante, le choix de la majorité ne saurait être douteux.
Après l'épouvantable catastrophe de l'église de San-Yago du Chili en
1864, on trouva dans l'église une boîte aux lettres dans laquelle les
fidèles déposaient les missives qu'ils adressaient à la sainte Vierge.
Pourrait-on établir une parité entre ce fait qui a défrayé la verve des
railleurs, et la lettre ci-dessus ? Assurément non. Cependant le tort
n'était pas à ceux qui croyaient à la possibilité de correspondre avec
l'autre monde, mais à ceux qui exploitaient cette croyance en
proportionnant les réponses au prix d'affranchissement joint à la
lettre. Il est peu de superstitions qui n'aient leur point de départ
dans une vérité dénaturée par l'ignorance ; le Spiritisme, accusé de les
ressusciter, vient au contraire les réduire à leur juste valeur.