Le Spiritisme et le choléra
On sait de quelles accusations les premiers chrétiens
étaient chargés à Rome ; il n'y avait pas de crimes dont ils ne fussent
capables, pas de malheurs publics dont, au dire de leurs ennemis, ils ne
fussent les auteurs volontaires ou la cause involontaire, car leur influence
était pernicieuse. Dans quelques siècles d'ici on aura peine à croire que des
esprits forts du dix-neuvième siècle aient tenté de ressusciter ces idées à
l'égard des Spirites, en les déclarant auteurs de tous les troubles de la
société, comparant leur doctrine à la peste, et en engageant à leur courir sus.
Ceci est de l'histoire imprimée ; ces paroles sont tombées de plus d'une
chaire évangélique ; mais ce qui est plus surprenant, c'est qu'on les
trouve dans des journaux qui disent parler au nom de la raison, et se posent en
champions de toutes les libertés, et de la liberté de conscience en
particulier. Nous possédons déjà une assez curieuse collection des aménités de
ce genre que nous nous proposons de réunir plus tard en un volume pour la plus
grande gloire de leurs auteurs, et l'édification de la postérité. Nous serons
donc reconnaissant à ceux qui voudront nous aider à enrichir cette collection
en nous envoyant tout ce qui, à leur connaissance, a paru ou paraîtra sur ce
sujet. En comparant ces documents de l'histoire du Spiritisme avec ceux de
l'histoire des premiers siècles de l'Église, on sera surpris d'y trouver des
pensées et des expressions identiques ; il n'y manque qu'une chose :
les bêtes féroces du cirque, ce qui néanmoins est un progrès.
Le Spiritisme étant donc une peste éminemment
contagieuse, puisque, de l'aveu de ses adversaires, il envahit avec une
effrayante rapidité toutes les classes de la société, il a une certaine
analogie avec le choléra ; aussi dans cette dernière levée de boucliers,
certains critiques l'ont-ils facétieusement appelé le Spirito-morbus, et il n'y
aurait rien de surprenant à ce qu'on ne l'accusât aussi d'avoir importé ce
fléau ; car il est à remarquer que deux camps diamétralement opposés se
donnent la main pour le combattre. Dans l'un, nous a-t-on assuré, on a fait
frapper une médaille à l'effigie de saint Benoît qu'il suffit de porter pour se
préserver de la contagion spirite ; on ne dit pas que ce moyen guérit ceux
qui en sont atteints.
Il y a bien réellement une analogie entre le
Spiritisme et le choléra, c'est la peur que l'un et l'autre causent à certaines
gens ; mais considérons la chose à un point de vue plus sérieux ;
voici ce qu'on nous écrit de Constantinople :
« … Les journaux vous ont appris la rigueur avec
laquelle le terrible fléau vient de sévir dans notre cité et ses environs, tout
en atténuant ses ravages. Quelques personnes, se disant bien informées, portent
le nombre des cholériques décédés à 70 mille, et d'autres à près de cent mille.
Toujours est-il que nous avons été rudement éprouvés, et vous pouvez vous
figurer les douleurs et le deuil général de nos populations. C'est surtout dans
ces tristes moments d'épidémie épouvantable que la foi et la croyance spirites
donnent du courage ; nous venons tous d'en faire la plus véridique
épreuve. Qui sait si nous ne devons pas à ce calme de l'âme, à cette persuasion
de l'immortalité à cette certitude d'existences successives où les êtres sont
récompensés selon leur mérite et leur degré d'avancement ; qui sait,
dis-je, si ce n'est pas à ces croyances, bases de notre belle doctrine, que
nous tous, Spirites de Constantinople, qui sommes, vous le savez, assez
nombreux, devons d'avoir été préservés du fléau qui s'est promené, et se
promène encore autour de nous ! Je dis ceci d'autant plus qu'il a été
constaté, ici comme ailleurs, que la peur est le pré-dispositif le plus
dangereux du choléra, comme l'ignorance en devient malheureusement la source
contagieuse…
Repos jeune, avocat. »
Assurément il serait absurde de croire que la foi
spirite soit un brevet de garantie contre le choléra ; mais comme il est
scientifiquement reconnu que la peur, affaiblissant à la fois le moral et le
physique, rend plus impressionnable et plus susceptible de recevoir les
atteintes des maladies contagieuses, il est évident que toute cause tendant à
fortifier le moral est un préservatif. On le comprend si bien aujourd'hui qu'on
évite autant que possible, soit dans les comptes rendus, soit dans les
dispositions matérielles, ce qui peut frapper l'imagination par un aspect
lugubre.
Les Spirites peuvent sans doute mourir du choléra
comme tout le monde, parce que leur corps n'est pas plus immortel que celui des
autres, et que, lorsque l'heure est venue, il faut partir, que ce soit par
cette cause ou par une autre ; le choléra est une de ces causes qui n'a de
particulier que d'emmener un plus grand nombre de personnes à la fois, ce qui
produit plus de sensation ; on part en masses, au lieu de partir en
détail, voilà toute la différence. Mais la certitude qu'ils ont de l'avenir, et
surtout la connaissance qu'ils ont de cet avenir, qui répond à toutes leurs
aspirations et satisfait la raison, font qu'ils ne regrettent nullement la
terre où ils se considèrent comme passagèrement en exil. Tandis qu'en présence
de la mort, l'incrédule ne voit que le néant, ou se demande ce qu'il va en être
de lui, le Spirite sait que, s'il meurt, il ne sera que dépouillé d'une
enveloppe matérielle sujette aux souffrances et aux vicissitudes de la vie,
mais qu'il sera toujours lui avec un corps éthéré inaccessible à la
douleur ; qu'il jouira de perceptions nouvelles et de facultés plus
grandes ; qu'il va retrouver ceux qu'il a aimés et qui l'attendent au
seuil de la véritable vie, de la vie impérissable. Quant aux biens matériels,
il sait qu'il n'en aura plus besoin et que les jouissances qu'ils procurent
seront remplacées par des jouissances plus pures et plus enviables, qui ne
laissent après elles ni amertume ni regrets. Il les abandonne donc sans peine
et avec joie, et plaint ceux qui, restant après lui sur la terre, vont encore
en avoir besoin. Il est comme celui qui, devenant riche, laisse ses vieilles
défroques aux malheureux. Aussi dit-il à ses amis en les quittant : ne me
plaignez pas ; ne pleurez pas ma mort ; félicitez-moi plutôt d'être
délivré du souci de la vie, et d'entrer dans le monde radieux où je vais vous
attendre.
Quiconque aura lu et médité notre ouvrage, le Ciel et
l'enfer selon le Spiritisme, et surtout le chapitre sur les appréhensions de la
mort, comprendra la force morale que les Spirites puisent dans leur croyance,
en présence du fléau qui décime les populations.
S'en suit-il qu'ils vont négliger les précautions
nécessaires en pareil cas, et se jeter tête baissée dans le danger ?
Nullement : ils prendront toutes celles que commandent la prudence et une
hygiène rationnelle, parce qu'ils ne sont point fatalistes, et que, s'ils ne
craignent pas la mort, ils savent qu'ils ne doivent point la chercher. Or,
négliger les mesures sanitaires qui peuvent en préserver serait un véritable
suicide dont ils connaissent trop bien les conséquences pour s'y exposer. Ils
considèrent comme un devoir de veiller à la santé du corps, parce que la santé
est nécessaire pour l'accomplissement des devoirs sociaux. S'ils cherchent à
prolonger la vie corporelle, ce n'est pas par attachement pour la terre, mais
afin d'avoir plus de temps pour progresser, s'améliorer, s'épurer, dépouiller
le vieil homme et acquérir une plus grande somme de mérites pour la vie
spirituelle. Mais si, malgré tous les soins, ils doivent succomber, ils en
prennent leur parti sans se plaindre, sachant que tout progrès porte ses
fruits, que rien de ce que l'on acquiert en moralité et en intelligence n'est
perdu, et que s'ils n'ont pas démérité aux yeux de Dieu, ils seront toujours
mieux dans l'autre monde que dans celui-ci, alors même qu'ils n'y auraient pas
la première place ; ils se disent simplement : Nous allons un peu
plus tôt où nous serions allés un peu plus tard.
Croit-on qu'avec de telles pensées on ne soit pas dans
les meilleures conditions de tranquillité d'esprit recommandées par la
science ? Pour l'incrédule ou le douteux, la mort a toutes ses terreurs,
car il perd tout et n'attend rien. Que peut dire un médecin matérialiste pour
calmer chez les malades la peur de mourir ? Rien que ce que disait un jour
l'un d'eux à un pauvre diable qui tremblait au seul mot de choléra :
« Bah ! tant qu'on n'est pas mort il y a espoir ; puis, en
définitive, on ne meurt qu'une fois, et c'est bientôt passé ; quand on est
mort, tout est fini ; on ne souffre plus. » Tout est fini quand on
est mort, voilà la suprême consolation qu'il donne.
Le médecin spirite, au contraire, dit à celui qui voit
la mort devant lui : « Mon ami, je vais employer toutes les
ressources de la science pour vous rendre la santé et vous conserver le plus
longtemps possible ; nous réussirons, j'en ai l'espoir ; mais la vie
de l'homme est entre les mains de Dieu, qui nous rappelle quand notre temps
d'épreuve ici-bas est fini ; si l'heure de votre délivrance est arrivée,
réjouissez-vous, comme le prisonnier qui va sortir de sa prison. La mort nous
débarrasse du corps qui nous fait souffrir, et nous rend à la véritable vie,
vie exempte de troubles et de misères. Si vous devez partir, ne pensez pas que vous
soyez perdu pour vos parents et vos amis qui restent après vous ; non,
vous n'en serez pas moins au milieu d'eux ; vous les verrez et vous les
entendrez mieux que vous ne pouvez le faire en ce moment ; vous les
conseillerez, les dirigerez, les inspirerez pour leur bien. Si donc il plaît à
Dieu de vous rappeler à lui, remerciez-le de ce qu'il vous rend la
liberté ; s'il prolonge votre séjour ici, remerciez-le encore de vous
donner le temps d'achever votre tâche. Dans l'incertitude, soumettez-vous sans
murmure à sa sainte volonté. »
De telles paroles ne sont-elles pas propres à ramener
la sérénité dans l'âme, et cette sérénité ne seconde-t-elle pas l'efficacité
des remèdes, tandis que la perspective du néant plonge le moribond dans
l'anxiété du désespoir ?
Outre cette influence morale, le Spiritisme en a une
plus matérielle. On sait que les excès de tous genres sont une des causes qui
prédisposent le plus aux atteintes de l'épidémie régnante ; aussi les
médecins recommandent-ils la sobriété en toutes choses, prescription salutaire,
à laquelle bien des gens ont de la peine à se soumettre. En admettant qu'ils le
fassent, c'est sans doute un point important, mais croit-on qu'une abstention
momentanée puisse réparer instantanément les désordres organiques causés par
des abus invétérés, dégénérés en habitude, qui ont usé le corps et l'ont, par
cela même, rendu accessible aux miasmes délétères ? En dehors du choléra,
ne sait-on pas combien l'habitude de l'intempérance est pernicieuse dans les
climats torrides, et dans ceux où la fièvre jaune est endémique ? Eh
bien ! le Spirite, par suite de ses croyances et de la manière dont il
envisage le but de la vie présente et le résultat de la vie future, modifie
profondément ses habitudes ; au lieu de vivre pour manger, il mange pour
vivre ; il ne fait aucun excès ; il ne vit point en cénobite :
aussi use-t-il de tout, mais n'abuse de rien. Ce doit être assurément là une
considération prépondérante à ajouter à celle que fait valoir notre
correspondant de Constantinople.
Voilà donc un des résultats de cette doctrine, à
laquelle l'incrédulité jette l'injure et le sarcasme ; qu'elle bafoue,
taxe de folie, et qui, selon elle, apporte la perturbation dans la société.
Gardez votre incrédulité, si elle vous plaît, mais respectez une croyance qui
rend heureux et meilleurs ceux qui la possèdent. Si c'est une folie de croire
que tout ne finit pas pour nous avec la vie, qu'après la mort, nous vivons
d'une vie meilleure, exempte de soucis ; que nous revenons au milieu de
ceux que nous aimons ; ou encore de croire qu'après la mort nous ne sommes
ni plongés dans les flammes éternelles, sans espoir d'en sortir, ce qui ne
vaudrait guère mieux que le néant, ni perdus dans l'oisive et béate
contemplation de l'infini, plût à Dieu que tous les hommes fussent fous de
cette manière ; il y aurait parmi eux bien moins de crimes et de suicides.
De nombreuses communications ont été données sur le
choléra ; plusieurs l'ont été à la Société de Paris ou dans notre cercle
intime ; nous n'en reproduisons que deux, fondues en une seule, pour
éviter les répétitions, et qui résument la pensée dominante du plus grand
nombre.
Société de Paris. – Médiums, MM. Desliens et Morin
Puisque le choléra est une question d'actualité, et
que chacun apporte son remède pour repousser le terrible fléau, je me
permettrai, si vous le voulez bien, de donner également mon avis, bien qu'il me
paraisse peu probable que vous ayez à en craindre les atteintes d'une manière
cruelle. Cependant, comme il est bon qu'à l'occasion les moyens ne fassent pas
défaut, je mets mon peu de lumière à votre disposition.
Cette affection, quoi qu'on en dise, n'est pas
immédiatement contagieuse, et ceux qui se trouvent dans un endroit où elle
sévit ne doivent pas craindre de donner leurs soins aux malades.
Il n'existe pas de remède universel contre cette
maladie, soit préventif, soit curatif, attendu que le mal se complique d'une
foule de circonstances qui tiennent, soit au tempérament des individus, soit à
leur état moral et à leurs habitudes, soit aux conditions climatériques, ce qui
fait que tel remède réussit dans certains cas et non dans d'autres. On peut
dire qu'à chaque période d'invasion et selon les localités, le mal doit faire
l'objet d'une étude spéciale, et requiert une médication différente. C'est
ainsi, par exemple, que la glace, la thériaque, etc., qui ont pu guérir des cas
nombreux dans les choléras de 1832, de 1849, et dans certaines contrées,
pourraient ne donner que des résultats négatifs à d'autres époques et dans
d'autres pays. Il y a donc une foule de remèdes bons, et pas un qui soit
spécifique. C'est cette diversité dans les résultats qui a dérouté et déroutera
longtemps encore la science, et qui fait que nous-mêmes ne pouvons donner de
remède applicable à tout le monde, parce que la nature du mal ne le comporte
pas. Il y a cependant des règles générales, fruits de l'observation, et dont il
importe de ne pas s'écarter.
Le meilleur préservatif consiste dans les précautions
de l'hygiène sagement recommandées dans toutes les instructions données à cet
effet ; ce sont par-dessus tout la propreté, l'éloignement de toute cause
d'insalubrité et des foyers d'infection, l'abstention de tout excès. Avec cela
il faut éviter de changer ses habitudes alimentaires, si ce n'est pour en
retrancher les choses débilitantes. Il faut également éviter les
refroidissements, les transitions brusques de température, et s'abstenir, à
moins de nécessité absolue, de toute médication violente pouvant apporter un
trouble dans l'économie.
La peur, vous le savez, est souvent en pareil cas pire
que le mal ; le sang-froid ne se commande pas, malheureusement, mais vous,
Spirites, vous n'avez besoin d'aucun conseil sur ce point ; vous regardez
la mort sans sourciller, et avec le calme que donne la foi.
En cas d'attaque, il importe de ne pas négliger les
premiers symptômes. La chaleur, la diète, une transpiration abondante, les
frictions, l'eau de riz dans laquelle on a mis quelques gouttes de laudanum,
sont des médicaments peu coûteux et dont l'action est très efficace, si l'énergie
morale et le sang-froid viennent s'y joindre. Comme il est souvent difficile de
se procurer du laudanum en l'absence d'un médecin, on peut y suppléer, en cas
d'urgence, par toute autre composition calmante, et en particulier par le suc
de laitue, mais employé à faible dose. On peut d'ailleurs faire bouillir
simplement quelques feuilles de laitue dans l'eau de riz.
La confiance en soi et en Dieu est, en pareille
circonstance, le premier élément de la santé.
Maintenant que votre santé matérielle est mise à
l'abri du danger, permettez-moi de songer à votre tempérament spirituel, auquel
une épidémie d'un autre genre semble vouloir s'attaquer. Ne craignez rien de ce
côté ; le mal ne saurait atteindre que les êtres à qui la vie vraiment
spirituelle fait défaut, et déjà morts sur la tige. Tous ceux qui se sont voués
sans retour et sans arrière-pensée à la doctrine y puiseront au contraire de
nouvelles forces, pour faire fructifier les enseignements que nous nous faisons
un devoir de vous transmettre. La persécution, quelle qu'elle soit, est
toujours utile ; elle met au jour les cœurs solides, et si elle détache du
tronc principal quelques branches mal attachées, les jeunes rejetons, mûris par
les luttes dans lesquelles ils triompheront en suivant nos avis, deviendront
des hommes sérieux et réfléchis. Ainsi donc bon courage ; marchez sans
crainte dans la voie qui vous est tracée, et comptez sur celui qui ne vous fera
jamais défaut dans la mesure de ses forces.
Docteur Demeure.