Études morales
La commune de Kœnigsfeld le monde futur en miniature
On lit dans le Galneur de Colmar :
« La commune de Kœnigsfeld, près Villingen, dans
la Forêt Noire, qui compte environ 400 habitants, forme un Etat modèle en
petit. Depuis cinquante ans, date de l'existence de cette commune, il n'est
jamais arrivé qu'un seul habitant ait eu à faire avec la police ; il n'y a
jamais été question de délits ou de crimes ; pendant cinquante ans il n'y
a été fait aucun encan et il n'y est pas né d'enfant naturel. Jamais il n'a été
plaidé de procès en cette commune. Il ne s'y trouve également pas de
mendiants. »
Cette intéressante notice ayant été lue à la Société
de Paris, a donné lieu à la communication spontanée suivante :
« Il est beau de voir la vertu dans un centre
restreint et pauvre ; là, tous se connaissent, tous se voient ; la
charité y est simple et grande. N'est-ce pas l'exemple le plus frappant de la
solidarité universelle que cette petite commune ? N'est-ce pas en petit ce
que sera un jour le résultat de la vraie charité quand elle sera pratiquée par
tous les hommes ? Tout est là Spirites : la charité, la tolérance.
Entre vous si ce ne sont pas les secours à l'infortune qui sont praticables,
les rapports intelligents, exempts d'envie, de jalousie et de dureté le sont
toujours. »
Lamennais (Méd. M. A. Didier.)
Qui est-ce qui cause la plus grande partie des maux de
la terre, si ce n'est le contact incessant des hommes méchants et
pervers ? L'égoïsme tue la bienveillance, la condescendance, l'indulgence,
le dévouement, l'affection désintéressée, et toutes les qualités qui font le
charme et la sécurité des rapports sociaux. Dans une société d'égoïstes, il n'y
a de sûreté pour personne, parce que chacun, ne cherchant que son intérêt,
sacrifie sans scrupule celui de son voisin. Beaucoup de gens se croient
parfaitement honnêtes parce qu'ils sont incapables d'assassiner et de voler sur
les grands chemins ; mais est-ce que celui qui, par sa cupidité et sa
dureté cause la ruine d'un individu et le pousse au suicide, qui réduit toute
une famille à la misère, au désespoir, n'est pas pire qu'un assassin et un
voleur ? Il assassine à petit feu, et parce que la loi ne le condamne pas,
que ses pareils applaudissent à son savoir faire et à son habileté, il se croit
exempt de reproches et marche tête levée ! Aussi les hommes sont-ils
constamment en défiance les uns contre les autres ; leur vie est une
anxiété perpétuelle ; s'ils ne craignent ni le fer, ni le poison, ils sont
en butte aux chicanes, à l'envie, à la jalousie, à la calomnie, en un mot à
l'assassinat moral. Que faudrait-il pour faire cesser cet état de choses ?
Pratiquer la charité ; tout est là, comme dit Lamennais.
La commune de Kœnigsfeld nous offre en petit ce que sera
le monde quand il sera régénéré. Ce qui est possible sur une petite échelle
l'est-il en grand ? En douter serait nier le progrès. Un jour viendra où
les hommes, vaincus par les maux qu'engendre l'égoïsme, comprendront qu'ils
font fausse route, et Dieu veut qu'ils l'apprennent à leurs dépens, parce qu'il
leur a donné le libre arbitre. L'excès du mal leur fera sentir la nécessité du
bien, et ils se tourneront de ce côté comme vers la seule ancre de salut. Qui
les y portera ? La foi sérieuse en l'avenir et non la croyance au néant
après la mort ; la confiance en un Dieu bon et miséricordieux, et non la
crainte des supplices éternels.
Tout est soumis à la loi du progrès ; les mondes
aussi progressent physiquement et moralement ; mais si la transformation
de l'humanité doit attendre le résultat de l'amélioration individuelle, si
aucune cause ne vient hâter cette transformation, que de siècles, que de
milliers d'années ne faudra-t-il pas encore ? La terre étant arrivée à
l'une de ses phases progressives, il suffit qu'il ne soit plus permis aux
Esprits arriérés de s'y incarner, et qu'à mesure des extinctions, des Esprits
plus avancés viennent prendre la place des partants, pour qu'en une ou deux
générations le caractère général de l'humanité soit changé. Supposons donc
qu'au lieu d'Esprits égoïstes, l'humanité soit, dans un temps donné, formée
d'Esprits imbus des sentiments de charité, au lieu de chercher à se nuire, ils
s'entraideront mutuellement ; ils vivront heureux et en paix. Plus
d'ambition de peuple à peuple, partant, plus de guerres ; plus de
souverains gouvernant selon le bon plaisir, la justice au lieu de l'arbitraire,
partant, plus de révolutions ; plus de forts écrasant ou exploitant le
faible, équité volontaire dans toutes les transactions, partant, plus de
querelles ni de chicanes. Tel sera l'état du monde après sa transformation.
D'un monde d'expiation et d'épreuve, d'un lieu d'exil pour les Esprits
imparfaits, il deviendra un monde heureux, un lieu de repos pour les bons
Esprits ; d'un monde de punition, il sera un monde de récompense.
La commune de Kœnigsfeld se compose incontestablement
d'Esprits avancés au moins moralement si ce n'est scientifiquement, et qui
pratiquent entre eux la loi de charité et d'amour du prochain ; ces
Esprits se réunissent par sympathie sur ce coin béni de la terre pour y vivre
en paix en attendant qu'ils puissent le faire sur toute sa surface. Supposons
que quelques Esprits brouillons, égoïstes et méchants viennent s'y incarner,
ils y sèmeraient bientôt le trouble et la confusion ; on verrait revivre
comme ailleurs les querelles, les procès, les délits et les crimes ; ainsi
en serait-il de la terre après sa transformation, si Dieu en ouvrait l'accès
aux mauvais Esprits. La terre progressant, ils y seraient déplacés, c'est pourquoi
ils iront expier leur endurcissement et parfaire leur éducation morale dans des
mondes moins avancés.